- Mercredi 6 février 2019
- Audition de M. Robert Vautard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement - Institut Pierre-Simon Laplace des sciences de l'environnement (LSCE-IPSL)
- Audition de de MM. Bertrand Labilloy, directeur général des réassurances et des fonds publics, et Thierry Cohignac, directeur du département études techniques et réassurances publiques, de la Caisse centrale de réassurance (CCR)
Mercredi 6 février 2019
- Présidence de M. Michel Vaspart, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de M. Robert Vautard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement - Institut Pierre-Simon Laplace des sciences de l'environnement (LSCE-IPSL)
M. Michel Vaspart, président. - Mes chers collègues, nous débutons aujourd'hui nos auditions. Je vous rappelle que le Sénat a constitué une mission d'information sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation à l'initiative du groupe Socialiste et républicain. Notre collègue Nicole Bonnefoy en est la rapporteure.
L'objectif principal de cette mission d'information est d'identifier et d'analyser les difficultés liées à l'indemnisation des sinistres résultant des aléas naturels de forte intensité et de proposer des solutions pour y remédier. Nos réflexions intègrent également des mesures de nature préventive, dès lors qu'elles permettent de limiter les conséquences des aléas naturels et donc de maîtriser les besoins d'indemnisation.
Bien évidemment, le point de départ de notre réflexion est le risque de multiplication et d'intensification de ces aléas naturels de forte intensité, en raison du changement climatique.
Nous sommes donc heureux de recevoir un expert sur ce sujet en la personne de M. Robert Vautard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) et à l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), qui étudie ces phénomènes.
Je précise à cette occasion que nos travaux seront bien sûr coordonnés avec ceux de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui mènent des investigations sur la même thématique dans nos territoires ultramarins.
Je cède toute de suite la parole à Nicole Bonnefoy, après quoi je propose que M. Vautard nous fasse un exposé liminaire d'une dizaine de minutes avant de passer aux questions de nos collègues.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Dans le cadre rappelé par mon collègue Michel Vaspart, nous avons effectivement choisi de commencer nos travaux par un état des lieux, portant tout d'abord sur les aléas à l'origine des sinistres à indemniser.
Comme vous le savez, nous avons plusieurs questions concernant ces aléas. Elles concernent à la fois la situation actuelle et l'avenir.
Par exemple, quelles évolutions historiques des risques naturels observe-t-on en termes de fréquence et d'intensité ? Dès lors que nos travaux sont centrés sur l'indemnisation des sinistrés, la quantification du risque est un élément important.
De même, dans quelle mesure ces évolutions sont-elles causées par ou corrélées au changement climatique, et quels sont alors les mécanismes scientifiques à l'oeuvre ?
Enfin, quant à l'avenir, qu'est-il d'ores et déjà possible d'anticiper ?
Nous entendons parfois dire qu'au-delà d'une évolution quantitative, c'est la nature même des risques ou leur localisation qui pourraient changer. Pour avoir un éclairage scientifique sur ces questions, nous avons souhaité débuter nos auditions avec vous M. Vautard et nous vous remercions d'avoir accepté dans un délai si bref.
M. Robert Vautard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement - Institut Pierre-Simon Laplace. - Mesdames, Messieurs les Sénateurs, vous me voyez ravi d'être parmi vous pour parler de mon travail et du travail de la communauté scientifique qui m'entoure. Il est important de pouvoir communiquer les résultats de nos travaux ici au Sénat.
Je suis directeur de recherche au CNRS et au LSCE qui fait partie de l'Institut Pierre-Simon Laplace dont la vocation est d'étudier le climat. Je suis également coordinateur d'un des chapitres du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui sortira en 2021. Le chapitre que je coordonne a trait précisément à la quantification des aléas pour mieux prévenir les risques futurs liés au changement climatique. Je vais me limiter à mon domaine d'expertise qui est la nature physique du climat et du changement des aléas et non pas la façon de gérer les politiques climatiques.
Tout d'abord, les différents rapports du GIEC rappellent que les changements de long terme du climat, qu'ils soient sur plusieurs décennies ou plusieurs siècles, sont dus en premier lieu à des variations naturelles aléatoires ou sous l'influence du soleil et du volcanisme mais aussi aux variations liées à l'accroissement des gaz à effet de serre (GES) et, en général, aux effets de l'homme sur l'environnement.
La communauté scientifique estime que ces perturbations dues au développement de l'humanité ont contribué de façon significative au réchauffement climatique que l'on observe, aujourd'hui estimé à 1°C, plus ou moins 0,2°C, par rapport à l'ère préindustrielle à partir de la moitié du XXème siècle. Avant, il est difficile de déceler la trace de l'homme sur le climat. Aujourd'hui, cette empreinte est parfaitement claire. Il est impossible aujourd'hui de l'expliquer par les seuls mécanismes naturels et sans faire intervenir l'accroissement des GES. Sur ce point, tous les modèles aboutissent aux mêmes conclusions.
Depuis cette période, les observations liées au changement climatique et les résultats des simulations sont en parfaite adéquation. Accroissement des températures atmosphériques et océaniques, fonte des glaciers et de la banquise, augmentation graduelle du niveau des mers et réduction de la couverture nuageuse : tous ces phénomènes sont expliqués par ces changements du climat.
L'océan stocke au fil du temps plus de 90 % de l'excédent d'énergie résultant de l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES. Si les océans répondent clairement à cette perturbation de façon, comme en témoigne la montée régulière de leur niveau, la variation globale des températures est quant à elle plus irrégulière. On peut observer des fluctuations d'une année à l'autre voire d'une décennie à l'autre. C'est pourquoi il est difficile d'estimer le changement climatique si l'on regarde seulement quelques décennies.
Au rythme actuel de réchauffement climatique, l'écart de température atteindra 1,5°C avant le milieu du XXIème siècle et 2°C après le milieu du XXIème siècle si le réchauffement se poursuit à sa vitesse actuelle.
Ce réchauffement a des conséquences globales mais aussi régionales. On observe un réchauffement dans toutes les régions du monde, en Europe et en France tout particulièrement. Mais il est trois fois plus important dans les régions arctiques compte tenu des réponses des différents systèmes comme la banquise et les systèmes océaniques, et cela pose des problèmes importants pour la biodiversité.
Le réchauffement climatique induit donc des perturbations sur tous les continents mais je vais essayer de centrer mon exposé sur l'Europe et la France.
La question des risques liés au changement climatique ne doit pas être seulement appréhendée via les changements que connaît le climat. En effet, un risque résulte du croisement d'un aléa, d'une exposition et d'une vulnérabilité. Si une vague de chaleur touche une région inhabitée par exemple, elle occasionnera moins de risques que si elle touche une région habitée. On observe des tendances très claires pour certains types de phénomènes et d'autres moins claires, voire inexistantes, pour d'autres phénomènes.
Partout dans le monde, il y a une intensification de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur. Dans plusieurs régions du monde, et dans plusieurs régions françaises, on observe une augmentation de la fréquence et de l'intensité des précipitations extrêmes. On constate également une diminution des vagues de froid. Même s'il reste des événements de forte intensité, comme aux États-Unis récemment ou en Europe en 2012 par exemple, leur fréquence diminue tendanciellement.
On observe également dans l'Atlantique Nord une augmentation de l'intensité des ouragans. Cette augmentation est complexe à expliquer.
En dehors de ces phénomènes, il est souvent difficile d'observer une tendance très claire. Cela est dû non pas à l'absence de tendance mais à l'absence de données fiables et homogènes sur une durée suffisamment longue. Ce n'est pas parce que l'on n'observe pas de tendance qu'il n'y en a pas ! Parfois on ne peut simplement pas l'observer avec nos moyens actuels.
Pour le passé plus récent, durant les deux dernières décennies en Europe, on constate une répétition de grandes vagues de chaleur. D'abord en 2003, en 2006 et, depuis 2015, tous les étés connaissent une vague de chaleur qui peut se manifester au Nord de la France, par exemple en 2018, ou au Sud de la France comme en 2017 avec un pic début août qui a dépassé les 42°C à Nîmes. Ces phénomènes ne se manifestent pas toujours au même endroit mais apparaissent depuis 2015 en France tous les ans.
On note également un grand nombre de phénomènes de pluies extrêmes avec des catastrophes liées aux inondations qui en découlent. Il faut distinguer plusieurs catégories parmi ces aléas. D'abord, des inondations pluviales résultant de fortes pluies au cours de quelques heures peuvent se manifester dans une ville où les surfaces ne permettent pas l'évacuation d'une quantité d'eau importante. Ensuite, les inondations liées à la crue d'une rivière compte tenu de pluies régulières sur plusieurs jours ou semaines - c'était le cas des inondations de la Seine en 2016. Enfin, les inondations côtières, d'un tout autre type, qui s'expliquent par des montées du niveau de la mer dues à une conjonction de tempêtes, de grandes marées et de vagues dans un contexte global d'augmentation moyenne du niveau des océans.
Les vagues de froid sont, elles, moins nombreuses mais restent encore présentes.
Sur ces tendances observées, on dit souvent que les coûts des catastrophes naturelles sont en augmentation. Cela est probablement vrai mais il faut faire très attention aux interprétations de ces données car le coût des catastrophes naturelles augmente aussi parce qu'il y a plus de biens assurés qu'auparavant... Les parts liées au changement climatique et aux assurances restent encore à déterminer.
Sur les sécheresses, il n'existe pas aujourd'hui de tendance marquée lorsqu'on regarde les observations de pluie ou d'humidité des sols. Ces sécheresses dans les observations sont peu remarquables mais Météo-France a construit un indice de sécheresse et de risque pour les feux qui montre que ces indices sont en évolution compte tenu des mouvements de température, qui augmentent mécaniquement les phénomènes d'évaporation.
Pour le moment, je parlais de l'observation des tendances. Maintenant, comment peut-on les expliquer et dans quelle mesure sont-elles liées au changement climatique ?
Pour évaluer les effets du changement climatique sur ces tendances, il faudrait idéalement disposer d'une planète avec la perturbation humaine et d'une autre planète sans perturbation humaine. Mais nous disposons de modèles qui, bien qu'ils soient imparfaits, donnent des informations intéressantes.
On sait aujourd'hui que la responsabilité humaine dans l'évolution des vagues de chaleur est très importante. Elle est démontrée : par exemple, la vague de chaleur de l'été 2017 a aujourd'hui une période de retour estimée à 10 ans. Sans l'action de l'homme sur le climat, cette période de retour aurait dû être dix fois plus élevée, c'est-à-dire être un événement extrêmement rare, de fréquence centennale. C'est donc un évènement exceptionnel qui a occasionné sécheresse, pertes agricoles et autres dégâts. Mais aujourd'hui, il a une fréquence estimée à une fois tous les dix ans. Nous estimons aussi que dans un climat plus chaud de 2°C, ce type de vagues de chaleur deviendrait la norme puisqu'elle apparaîtrait un été sur deux. Ce qu'on a vu dès l'été 2018 dans le Nord de l'Europe avec un nombre record de journées au-delà de 30°C, notamment dans le Nord de la France.
Les pluies intenses (200 mm par jour ou plus) ont une augmentation d'intensité de 20 % depuis le milieu du dernier siècle. Cette augmentation d'intensité est liée au changement climatique. Une étude a montré que la probabilité des pluies printanières sur trois jours, comme celles qui ont provoqué la crue de la Seine en 2016, a augmenté avec le changement climatique d'un facteur 2. Tous les modèles le montrent.
Pour les vagues de froid, il n'y a pas encore d'étude précise même si on sait que dans le futur elles devraient diminuer.
Pour tous les autres phénomènes, il est très difficile de lier les évolutions observées au changement climatique. Le GIEC est extrêmement prudent sur cette question. Sur les cyclones et les ouragans des Caraïbes, on observe, certes, une augmentation du nombre d'ouragans les plus intenses mais il est impossible de lier cette évolution au changement climatique de façon claire.
Si l'on doit se projeter dans l'avenir, le futur ressemble beaucoup aux connaissances actuelles. Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur seront en augmentation dans beaucoup de régions du monde, en France en particulier. C'est une évolution pour laquelle il y a très peu d'incertitude si ce n'est sur l'amplitude et le décalage de fréquence. Pour les sécheresses, il est probable que les sécheresses agricoles seront en augmentation du simple fait du changement de température. Avec des températures plus élevées, une évaporation plus importante et sans pluie supplémentaire, les sécheresses augmenteront. Pour les vagues de chaleur, une forte augmentation dans toutes leurs dimensions est à prévoir pour le siècle qui vient. Une diminution de la fréquence des vagues de froid est à attendre mais leur intensité pourrait rester importante.
Pour les orages et les épisodes de grêles, il très difficile de répondre à cette question car la science n'est pas assez mûre pour donner des réponses précises sur l'évolution à attendre.
Pour les incendies, les indices de risques de feux météorologiques donnent des évolutions vers des risques plus forts mais nous savons que ces risques dépendent aussi de la prévention et du comportement humain, donc cela ne signifie pas nécessairement que les feux augmenteront. D'ailleurs, ils n'ont pas connu d'augmentation notable dans le passé récent.
Pour les ouragans, le dernier rapport du GIEC dit que l'intensité des ouragans et des cyclones devrait augmenter : il faut s'attendre à des phénomènes plus violents encore. Par ailleurs, avec l'élévation du niveau des mers, des problèmes d'inondations côtières sont à attendre quelle que soit l'évolution de l'intensité des cyclones.
Enfin, la question des actions à mener contre ces phénomènes ne relève pas de mon domaine d'études. Il me semble toutefois que pour se prémunir des risques à venir, on ne peut se satisfaire des observations passées uniquement. Pour calculer les périodes de retour de crue, les observations du passé sont déjà dépassées. Il est par conséquent important de prendre en compte les observations passées mais également les modélisations qui sont faites de tous les phénomènes dont nous avons parlés pour établir des plans pour l'avenir.
Les pluies extrêmes et les vagues de chaleur ne nous lâcheront pas. Il faudra s'en prémunir. Se prémunir non pas d'un été 2003 mais d'un été encore plus chaud. Il faut que ces plans prennent en compte des phénomènes qui n'ont pas encore été rencontrés.
Il faut développer une meilleure communication entre les acteurs de la société civile, les industriels et les chercheurs. La science du climat est complexe. Les incertitudes sont importantes et il est souvent difficile d'interpréter des données qui seraient livrées sans interprétation et décodage par les spécialistes.
Il est important également de développer la formation des jeunes sur la question du changement climatique, particulièrement via les manuels scolaires. Or aujourd'hui, nous chercheurs, avons l'impression que ces questions ne sont pas correctement prises en compte dans ces documents.
M. Michel Vaspart, président. - Merci. Dans le cadre de la France et de l'Europe, vous avez dit que les vagues de froid sont moins nombreuses. L'actualité nous montre qu'une vague de froid intense sévit aux États-Unis, probablement comme jamais il n'y en eut. Est-ce que ce cas particulier est, selon vos analyses, dû au changement climatique ?
M. Robert Vautard. - Il est difficile de donner des résultats scientifiques aussi rapidement. Néanmoins, nous essayons de faire des attributions en temps réel des phénomènes extrêmes. Pour cette vague de froid américaine actuelle, la communauté scientifique est encore divisée sur l'influence du changement climatique. Deux questions se posent. D'une part, est-ce que cette vague de froid témoigne d'une absence d'évolution du nombre de ces phénomènes dans le temps ? D'autre part, cette vague de froid est-elle liée au changement climatique lui-même ? À la première, l'évolution des vagues de froid sur grande durée connaît une diminution et ce n'est pas un évènement précis qui modifiera cette tendance. La question que la communauté scientifique se pose aujourd'hui est de savoir si le changement climatique ne fait pas augmenter l'intensité et la fréquence des vagues de froid par différents mécanismes, notamment le réchauffement plus important de l'Arctique qui crée des anticyclones apportant des vagues de froid plus intenses sur les latitudes tempérées. C'est encore une hypothèse non démontrée aujourd'hui.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Merci pour votre exposé qui nous accable en montrant l'impact de l'homme sur le changement climatique et ses conséquences. Cette mission d'information est là pour mettre en lumière les problématiques liées à l'indemnisation et à la réparation du préjudice que l'homme a subi. Et c'est intéressant car c'est l'homme lui-même qui a provoqué la catastrophe ! Il faut indemniser, bien sûr, mais il faut aussi prévenir et que l'homme change de comportement. Le monde scientifique tire la sonnette d'alarme depuis trente ans et, comme vous le disiez dans votre conclusion, on voit que les jeunes ne sont pas suffisamment formés ou sensibilisés à ces questions. Cela montre l'importance de cette mission d'information qui pourra tirer un signal d'alarme supplémentaire sur ces questions. Notre mission ne changera pas la tendance mais pourra contribuer à faire passer le message et c'est une nécessité.
Mme Nelly Tocqueville. - Vous avez présenté trois types d'inondations. Avez-vous pu évaluer l'impact de ces crues futures en matière d'aménagement du territoire ? Parmi les espaces les plus durement touchés, il s'agit de zones construites qui seraient aujourd'hui pour la plupart interdites de construction.
M. Guillaume Gontard. - Depuis un ou deux ans, nous avons concrètement vu que le lac d'Annecy s'est vidé tout comme d'autres lacs à côté. Des glaciers disparaissent. Un autre indicateur le prouve : on produit moins d'électricité d'origine renouvelable en 2017 malgré les augmentations en énergie solaire car la production hydroélectrique a baissé en raison du manque d'eau. Concernant cette évolution des ressources en eau, avez-vous des estimations ?
M. Marc Daunis. - On n'a pas de « planète témoin » comme vous le rappelez. Dès lors, y a-t-il des éléments de modélisation qui sont mis en commun, au-delà des travaux du GIEC, entre les différents organismes mondiaux de recherche ? Travaillez-vous sur des modèles qui évoluent avec la lutte contre le changement climatique ? Et y intégrez-vous les actions correctives que l'homme tente de mettre en place pour lutter contre le changement climatique ?
Pensez-vous que nous sommes face à des changements climatiques qui sont d'une telle ampleur que des actions locales n'ont aucun effet ? La question centrale sera-t-elle davantage d'indemniser et de prendre en compte les risques ou pensez-vous qu'il y a des micro-secteurs géographiques où, en fonction des risques, il peut y avoir une intervention humaine qui amène des résultats concrets ?
Mme Evelyne Perrot. - Ma question rejoint celle de Nelly Tocqueville. Vos travaux sont-ils communiqués au niveau des directions départementales des territoires (DDT) pour l'aménagement dans les communes ? Les diamètres des canalisations d'eau fluviale sont-ils adaptés en conséquence de ce qui va arriver ?
Mme Victoire Jasmin. - J'aimerais savoir si les données que vous avez sont utilisées par les dirigeants au niveau national et international. Pour avoir travaillé au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur le sujet, nous avons vu les limites des assurances face à l'impact croissant des catastrophes naturelles. Les données servent-elles aussi à assurer une meilleure adaptation des politiques d'aménagement du territoire, notamment sur son volet financier ? Êtes-vous sollicités pour la formation des enseignants et est-ce que les rectorats et le Ministère de l'éducation nationale intègrent vos préconisations ?
M. Michel Magras. - Mon métier était d'enseigner les sciences et vie de la Terre. Je me réjouis aujourd'hui que toutes les études convergent pour reconnaître la part de responsabilité humaine tout en retenant que nous ne sommes pas les seuls responsables puisque le changement de climat a toujours existé. Mais je ne suis pas pessimiste. La prise de conscience est réelle et c'est déjà une opportunité pour nous obliger à changer de politiques afin qu'elles soient plus respectueuses des ressources et de l'environnement. Je ne peux pas dire que cela va inverser la tendance mais cela peut en tout cas ralentir le phénomène.
J'attire votre attention sur la place des outre-mer au regard des phénomènes que vous avez décrits, surtout celui de la montée des eaux. Les territoires ultramarins, dont la Polynésie française et ses 118 îles dont certaines sont très basses, nécessitent une mobilisation car certains de ces territoires vont disparaitre. C'est une problématique pour nous élus de collectivités insulaires : seuls, on ne pourra pas inverser la tendance. Notre rôle est d'anticiper. Et c'est le sens de la démarche de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui analyse les données et fait des préconisations pour voir comment les politiques doivent s'adapter. Il ne faut donc pas les oublier dans le rapport de notre mission d'information, comme cela a été malheureusement le cas dans un récent rapport sur l'exposition au cancer au niveau national. Cela fait 3,5 millions d'oubliés.
M. Daniel Gremillet. - Quand on reprend l'histoire, il semblerait que la calotte glaciaire a déjà évolué, ce qui a eu des impacts climatiques importants. A-t-on une idée comparative entre ce qu'il s'est passé lors de ces périodes et ce qui est en train de se passer aujourd'hui ?
M. Robert Vautard. - Dans le passé, on a eu des climats plus chauds d'environ 5°C par rapport à aujourd'hui à cause de la modification de l'orbite terrestre. Il y a 120 000 ans, le Groenland avait presque complétement fondu, ce qui a occasionné un niveau des mers d'environ 7 mètres plus élevé qu'aujourd'hui. Les conséquences étaient bien entendues très importantes. Toutefois, même si un climat plus chaud a déjà eu lieu, la rapidité avec laquelle le climat évolue aujourd'hui est sans précédent. Pour rencontrer une teneur en GES identique à celle d'aujourd'hui, il faut remonter à plusieurs millions d'années. Et 5°C en 100 ans, c'est extrêmement rapide pour le climat et l'évolution des espèces. L'enjeu n'est pas tellement dans l'amplitude mais bien dans la rapidité des changements observés et attendus.
En outre, lorsque l'on parle de la pollution atmosphérique par les particules, on peut se dire qu'on aura un jour des voitures et des véhicules propres qui n'en émettront plus et à ce moment-là, en quelques semaines, il n'y aura plus de pollution à particules. Or l'arrêt de l'émission des GES ne fait pas revenir les températures à leur niveau initial. Cela les stabilisera au mieux pendant des siècles ou des millénaires. Il y a donc une forme d'irréversibilité dans le phénomène. Nous aurons à nous adapter quoiqu'il arrive au changement climatique et il faut essayer d'en limiter l'amplitude.
Cela m'amène aux actions locales par rapport à ce phénomène qui nous dépasse. Comment agit-on ? On peut agir par des soins palliatifs ou par un traitement de fond. L'adaptation c'est le traitement palliatif. Réduire les GES, c'est un traitement de fond. La seule façon d'y arriver est d'engager l'ensemble de la société, ce que rappelle le dernier rapport du GIEC. Bien sûr, une action personnelle ou locale n'a que peu de poids dans cet ensemble mais si tout le monde dit cela, on n'y arrivera pas.
En revanche, l'adaptation, par exemple en construisant des infrastructures permettant d'améliorer la résilience à ces phénomènes, est locale et peut se faire à l'échelle d'une ville par exemple. J'entendais récemment un maire d'une commune du Sud-Est rappeler que les inondations de sa commune s'expliquaient par le changement climatique mais aussi par les aménagements réalisés en amont. La problématique ne doit donc pas être uniquement traitée au niveau d'une commune mais bien à l'échelle d'un bassin. Les secteurs d'activité peuvent également se doter de plans d'actions tout comme les États.
Les régions méditerranéennes sont en première ligne des problèmes de ressources en eau tant pour l'agriculture que pour l'énergie. Plus largement, les régions du Sud de la France seront exposées à davantage d'aléas que le Nord de la France, tout comme les régions de montagne, pour d'autres raisons. On estime par exemple qu'avec un climat plus chaud de 2°C, la durée de l'enneigement sera réduite d'un mois, avec les implications touristiques et économiques que l'on peut imaginer. Des maires dans les Cévennes m'ont informé qu'ils tentaient de transformer leurs stations pour réduire leur dépendance au ski.
Dans nos modèles, nous travaillons sur des scénarios avec ou sans prise en compte des politiques climatiques. C'est pourquoi le scénario le plus ambitieux en termes d'actions menées, notamment en matière de géo-ingénierie par exemple en retirant directement du CO2 de l'atmosphère, nous conduit à un climat d'environ 1,5°C plus chaud qu'aujourd'hui.
Enfin, la communication est insuffisante. Nous sommes une centaine de climatologues en France aujourd'hui et n'avons pas les moyens de mieux faire circuler nos résultats.
M. Michel Vaspart, président. - Merci très sincèrement pour cette audition et pour vos réponses claires et complètes à nos questions.
Audition de de MM. Bertrand Labilloy, directeur général des réassurances et des fonds publics, et Thierry Cohignac, directeur du département études techniques et réassurances publiques, de la Caisse centrale de réassurance (CCR)
M. Michel Vaspart, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions. Pour rappel, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime « CatNat », est placé au centre des travaux de notre mission. En effet, depuis plusieurs années, des sinistrés signalent des problèmes de prévisibilité et de transparence dans la mise en oeuvre de ce dispositif d'indemnisation, qui les placent souvent dans des situations matérielles particulièrement difficiles.
Nous sommes donc particulièrement heureux de recevoir les représentants de la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui joue un rôle central dans la mise en oeuvre du régime CatNat, à savoir M. Bertrand Labilloy, directeur général, et M. Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Dans le cadre rappelé par notre président, nous avons choisi de commencer nos travaux par un état des lieux qui porte à la fois sur les risques eux-mêmes et sur les outils d'indemnisation dont notre pays dispose aujourd'hui. Nous avons donc plusieurs questions concernant le régime des catastrophes naturelles et la Caisse centrale de réassurance.
Tout d'abord, pourriez-vous nous rappeler comment fonctionne le dispositif CatNat ? Quel est le bilan chiffré de son utilisation ?
Puisque notre mission est centrée sur les victimes, nous entendons souvent des reproches quant à l'appréciation de l'état de catastrophe naturelle et aux délais d'indemnisation. Que pouvez-vous nous dire sur ces sujets ?
Ensuite, s'agissant des acteurs qui mettent en oeuvre le dispositif CatNat, quel est le rôle de la CCR ?
Enfin, il est particulièrement intéressant pour une mission parlementaire de vous entendre sur les pistes d'améliorations possibles pour mieux faire face aux risques et aux besoins d'indemnisation.
M. Bertrand Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CRR). - Concernant le fonctionnement du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, je vais être très rapide. Les informations précises sont largement disponibles et nous vous les fournirons par écrit suite à cette audition.
Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles provient d'un partenariat public-privé, établi en 1982, qui a pris appui sur l'assurance des dommages aux biens - immobiliers, professionnels, industriels - et aux véhicules. Toutes ces assurances avaient un fort taux de pénétration en métropole, à la différence des DOM. En s'appuyant sur ce fort taux de pénétration, le législateur a ajouté une extension de garantie obligatoire pour les dommages causés par les catastrophes naturelles. Il a eu raison de s'appuyer sur l'industrie de l'assurance pour la gestion des sinistres, car il s'agit d'un véritable métier que d'évaluer un sinistre et de l'indemniser.
En cas de catastrophe naturelle, les coûts cumulés peuvent être extrêmement importants. La réassurance permet de garantir la solvabilité du marché de l'assurance et donc l'indemnisation complète et rapide des assurés.
L'exposition et la vulnérabilité ne sont pas les mêmes pour tous. Elles varient selon le lieu du domicile. Si vous habitez à Montmartre, vous n'avez pas intérêt à vous assurer contre les catastrophes naturelles. Si vous habitiez une maison en Martinique, en revanche, le coût d'une assurance serait prohibitif.
Avec ce partenariat public-privé, nous sommes partis des contrats d'assurance dommages aux biens dont la tarification était établie en fonction de la sinistralité hors risques naturels et nous avons assorti l'extension de garantie d'un taux de surprime unique de 12 %. En France, tous les citoyens et toutes les entreprises peuvent ainsi assurer leurs biens contre les risques naturels.
Dans notre pays, plus de 98 % des ménages sont couverts contre les effets des catastrophes naturelles. En cas de sinistre, ils sont donc indemnisés, ce qui contribue à la résilience des territoires. Ainsi, Lourdes a été ravagée par la crue du Gave de Pau en 2013 : 100 millions d'euros de dégâts pour les habitants et 150 millions d'euros pour les hôteliers et les restaurateurs, pour une ville qui vit essentiellement du tourisme et des pèlerinages. En moins de six mois, la vie économique a repris. Cette assurance offre donc une garantie très forte. En outre, le système permet une péréquation entre les territoires exposés et ceux qui le sont moins.
En Italie, moins de 5 % des ménages sont couverts par une assurance ; ce taux varie pour les PME, et les grandes entreprises en ont toutes.
En Allemagne, moins de 30 % des ménages sont couverts contre le risque d'inondation, ce qui pose un véritable problème eu égard au changement climatique en cours. Des événements récents ont d'ailleurs coûté cher aux sinistrés et aux pouvoirs publics ; en raison d'une crue en Allemagne de l'Est, l'État a dû débourser huit milliards d'euros.
Le régime français protège les finances publiques. S'il y a bien eu des catastrophes de très grande ampleur en France ultramarine ou continentale, non seulement elles n'ont rien coûté aux pouvoirs publics français, mais en outre la Caisse centrale de réassurance paie un tribut annuel à l'État en rémunération des garanties dont elle bénéficie, s'acquitte de l'impôt sur les sociétés pour ses bénéfices - les primes que nous percevons sont placées sur le marché et génèrent des produits financiers - et verse des dividendes à son actionnaire, l'État. C'est donc un système très intéressant pour l'État.
Lorsque surviendra la crue centennale de la Seine, l'État devra exercer sa garantie au bénéfice de la CCR mais, dans une telle situation, avec ou sans système, il interviendrait de toute façon. Une crue centennale de la Seine représente entre 1 à 1,5 point de PIB, entre 20 et 30 milliards d'euros ; il est impossible que l'État n'intervienne pas et laisse les citoyens se débrouiller.
Ce dispositif fonctionne donc bien, il permet aux assurés de s'assurer contre les tempêtes, les inondations ou autres à un tarif raisonnable, vingt ou vingt-cinq euros, éventuellement trente euros pour un logement de grande valeur.
Il y a sans doute, dans la pratique, des frustrations liées aux délais d'indemnisation. Pourtant, le délai d'examen des dossiers est en moyenne de douze jours, c'est très efficace. Le délai de vingt-neuf jours entre l'avis de catastrophe naturelle de la commission interministérielle et sa publication au Journal officiel est en revanche un peu long. C'est la somme de ces deux délais qui est importante.
Les assureurs indemnisent rapidement, il n'y a pas de difficulté à cet égard - je me permets de le dire, la CCR étant indépendante. Quand il y a des difficultés sur les délais d'indemnisation, cela concerne rarement les avances de frais et les indemnisations préalables ; simplement, il faut que les travaux soient achevés et facturés pour être remboursés ; on ne rembourse pas sur une estimation du coût des travaux. Aussi, il peut effectivement y avoir, au cas par cas, des difficultés tenant à l'engorgement des artisans faisant les travaux de réparation. Cela a été le cas à Saint-Martin et, dans une moindre mesure, à Saint-Barthélemy, mais la situation insulaire de ces territoires a renforcé les difficultés.
Une deuxième difficulté fréquente concerne les franchises. Il y a des franchises individuelles d'un montant assez faible, mais qui peuvent être modulées par un coefficient multiplicateur si l'on est dans un territoire plusieurs fois sinistré et qu'il n'y a pas eu de mesure préventive d'une fois sur l'autre. Cela dit, cette clause est très rarement appliquée.
M. Antoine Quantin, directeur des réassurances et des fonds publics. - Environ 3 ou 4 % des communes font l'objet d'une modulation chaque année.
M. Bertrand Labilloy. - La franchise de certains artisans est exprimée en pourcentage du montant des sinistres - 10 % de mémoire -, et ce pourcentage peut parfois dépasser le plafond de solvabilité d'un petit commerçant ou d'un petit artisan.
La CCR considère que le système de franchise pourrait être amélioré ; il faudrait qu'elle soit exprimée en pourcentage du sinistre pour tout le monde, y compris pour les particuliers, car un montant absolu ne représente pas la même charge selon le niveau de vie et la qualité du bien immobilier. Par ailleurs, il faudrait plafonner la franchise pour les commerçants et artisans.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - La distinction entre les territoires bénéficiant de la reconnaissance de catastrophe naturelle et les autres peut susciter des questions. Nombreux sont les sinistrés qui ne comprennent pas pourquoi telle commune se voit octroyer ce statut, et telle autre non. Faites-vous partie de la commission interministérielle qui contribue à la reconnaissance ou non de l'état de catastrophe naturelle ?
Ma seconde question porte sur le ressenti des sinistrés ; le régime couvre 98 % des ménages français, ce qui présente un intérêt par rapport à d'autres pays. Néanmoins, ce régime souffre d'une perception négative, notamment en raison des délais importants d'indemnisation. Le dispositif doit être plus rapide, plus généreux, plus incitatif. Je pense en particulier à la franchise trop élevée pour les professionnels, fixée à 10 % des dommages matériels, avec un minimum de 1 140 euros pour les petites entreprises.
Par ailleurs, il pourrait être envisagé de généraliser la prise en charge par les assureurs des frais de relogement des sinistrés contraints de quitter leur logement.
M. Bertrand Labilloy. - La CCR participe à cette commission interministérielle, mais en tant que secrétaire ; nous n'avons pas voix au chapitre. Cela dit, nous avons un point de vue d'expert sur les critères de reconnaissance de catastrophe naturelle.
Conformément à la loi, sont couverts par le régime d'indemnisation « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel ». Cela couvre donc l'aléa ; les tempêtes en métropole, par exemple, ne sont pas couvertes, car c'est un risque assurable, tout le monde étant uniformément exposé à ce risque ; il n'y a pas d'anti-sélection, d'exclusion du marché de l'assurance, contrairement aux sécheresses, aux mouvements de terrain, aux cyclones ou aux inondations, dont le risque est localisé.
Je confirme donc que les frais de relogement, qui ne sont pas des dommages matériels directs, ne sont pas couverts ; toutefois, ils peuvent l'être par l'assureur.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Cela pourrait être généralisé.
M. Bertrand Labilloy. - C'est un autre sujet, sur lequel je reviendrai dans un instant.
Par conséquent, ce n'est pas parce que la rivière située en bas de chez soi déborde que l'on est indemnisé. Si elle déborde régulièrement entre septembre et janvier, cela correspond au cours normal des choses. En gros, le critère généralement retenu est une occurrence plus rare qu'une fois par décennie.
Il est difficile, dans un contexte de changement climatique, de réglementer des pratiques d'urbanisme pas toujours maîtrisées. Lorsque des habitations ou des locaux professionnels sont régulièrement touchés par des aléas naturels, ils peuvent ne pas systématiquement bénéficier du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, car ces aléas ne sont pas des catastrophes naturelles.
On observe également un décalage fréquent entre le traitement médiatique d'un événement et sa réalité scientifique...En janvier 2016, la crue de la Seine atteignait la ceinture du zouave du pont de l'Alma : la catastrophe du siècle selon les médias ! En réalité, ce phénomène se produit une fois tous les dix ans... Il faut réapprendre à vivre avec les aléas naturels.
Cela nous renvoie au régime de prévention, l'un des points forts du régime d'indemnisation. Par une prévention appropriée, nous devons nous protéger de ces événements d'ampleur moyenne.
Pour les frais de relogement, sont couverts au titre du régime d'indemnisation les dommages couverts par le contrat de base - par exemple, si les frais de relogement sont prévus en cas d'incendie. Mais rien n'empêche l'assureur, pour cette garantie, de se réassurer auprès du marché privé. Le CCR n'a aucun monopole sur les catastrophes naturelles, nous sommes en parfaite concurrence avec les réassureurs du marché privé. Nous bénéficions de la garantie de l'État, ce qui nous permet d'offrir des garanties illimitées, ce que ne font généralement pas nos concurrents privés. Nous détenons ainsi 90 % du marché, et pouvons réaliser à ce titre des péréquations entre les territoires exposés et ceux moins exposés.
Faut-il rendre obligatoires, pour tous les contrats d'assurance, les frais de relogement, même s'ils sont dus à des aléas non naturels ? La prime Cat-Nat représente 12 % de la prime totale. Il faudrait aligner les garanties du contrat de base et celles de l'extension Cat-Nat, sinon vous introduisez une charge pour le régime - donc pour le CCR et pour l'État, - à laquelle ne correspond aucune prime. Vous créez alors un mécanisme de subvention. Tous les assureurs du marché et l'État souhaitent-ils cette obligation d'extension des frais de relogement pour tous les contrats et tous les dommages ?
M. Marc Daunis. - Mes convictions philosophiques m'interdisent de voir un lien de cause à effet entre un délai d'indemnisation de moins de six mois et la ville de Lourdes... Je suis enchanté de ce faible délai, mais certains habitants de la région de Biot, à proximité de la technopole de Sophia Antipolis, n'ont toujours pas été indemnisés pour un sinistre datant du 3 octobre 2015 ! Disposez-vous de statistiques sur le montant moyen d'indemnisation par région et par type de sinistres, pour voir leur évolution ?
Le changement climatique rend la notion d'événement anormal ou exceptionnel très délicate. Dans certains secteurs, les crues dites décennales seront plus fréquentes...
Près de 3 à 4 % des communes sont concernées par le dépassement de la franchise et sont majorées. Elles sont si peu nombreuses, vous n'allez pas les abandonner ? Ce serait une source d'incompréhension supplémentaire et de traitement différencié.
Enfin, est-il souhaitable d'avoir une garantie de base catastrophes naturelles dans un contrat unique plus clair et plus protecteur ?
Mme Nelly Tocqueville. - La sinistralité Cat-Nat devrait au moins doubler d'ici à 2050, et s'accompagnera d'une augmentation des cotisations aux assurances. Cela sera très compliqué pour les particuliers et les collectivités territoriales. Pourriez-vous nous indiquer comment évolueront ces cotisations ?
Certains territoires près d'un cours d'eau, construits, seraient désormais déclarés inconstructibles, mais les propriétaires sont de bonne foi : soit ils ont obtenu l'autorisation de construire à l'époque, soit ils ont acheté un bien déjà construit. On ne peut pas les rendre responsables du phénomène ! Vous devriez nuancer votre approche.
Mme Victoire Jasmin. - Compte tenu de la fréquence et de l'intensité des différents aléas, ce système ne doit-il pas être révisé ? Par ailleurs, tenez-vous compte de l'évolution des plans locaux d'urbanisme ?
Mme Gisèle Jourda. - Sénatrice de l'Aude, j'ai été choquée par les inondations dans mon département les 15 et 16 octobre derniers, qui ont fait onze morts, dont six dans ma commune de Trèbes. Dès le 17 octobre était signé un arrêté de catastrophe naturelle pour 126 communes ; dix jours après, un autre visait 78 communes. Au total, 204 communes du département sont concernées. Les pluies diluviennes ont parfois rayé de la carte des moitiés de village, et de nombreuses infrastructures comme des stations d'épuration, des piscines, des immeubles d'habitations... Notre système assurantiel et d'indemnisation doit être revu : il y a un problème sur les franchises et pour le relogement. La communauté de communes de Carcassonne a avancé les fonds pour reloger les sinistrés le plus rapidement possible.
Le degré de vétusté dans les contrats assurantiels est extrêmement pénalisant. Les particuliers les moins nantis socialement économisent en premier sur l'assurance, notamment de leur véhicule, seul moyen de locomotion en territoire rural pour aller travailler ou conduire les enfants à l'école. Ils sont souvent assurés au tiers, et perdent alors totalement leur véhicule en cas d'inondation.
Certes, on ne peut pas tout. Les villages ont un patrimoine magnifique, mais sont situés près de cours d'eau. Nous n'étions pas particulièrement touchés par ces épisodes cévenols, mais en quelques heures, la ville a été coupée du monde pendant trois à quatre jours... Les services de l'État ont été réactifs, mais alors que le Président de la République, sur place, affirmait devant les collectivités territoriales qu'il n'y aurait plus de franchise, le directeur national des assurances nous a rétorqué, la semaine suivante, que ce n'était pas possible...
Les collectivités territoriales, avec l'aide des préfets, peuvent monter des dossiers pour les infrastructures, mais l'accumulation des différents fonds est difficilement lisible... Le directeur national des assurances nous a affirmé que la grille d'indemnisations était en train d'être revue.
Contrairement aux départements d'outre-mer, où les phénomènes climatiques font partie des risques à prévenir, nous nous sommes retrouvés complètement démunis par cet événement. C'est pourquoi il faudrait revoir l'indemnisation des situations exceptionnelles.
Par ailleurs, il s'agit d'un département agricole. Si les agriculteurs, vignerons et cultivateurs de céréales ont subi un sinistre sur le plan privé et si, pour leurs exportations agricoles, c'est le dispositif des calamités agricoles qui a été activé, leur outil de travail a été détruit et ils se trouvent dans la détresse.
Mme Françoise Cartron. - Je souhaite mieux comprendre les notions d'aléa climatique et de catastrophe naturelle.
Le département de la Gironde, dont je suis l'élue, est touché par le recul du trait de côte, phénomène qui se transforme en catastrophe. Un aléa climatique, tel qu'une tempête, peut aggraver ce phénomène, qui se développe dans la durée. Nous sommes alors face à une espèce de vide : qui peut indemniser les personnes qui perdent leurs habitations, alors que celles-ci sont amenées à disparaître ? S'agit-il d'une catastrophe, d'une catastrophe naturelle, d'un aléa ?
Se pose aussi la question de la prévention. Outre ceux qui se trouvent aujourd'hui immédiatement en danger, que fait-on des habitations qui, selon les prévisions, seront touchées dans quelques années ? Il y a là un angle mort.
Mme Maryse Carrère. - Lourdes a connu des crues en 2013, après celles d'octobre 2012. Si les assurances ont réagi très vite, c'est parce que les enjeux économiques étaient très importants. En d'autres termes, nous ne sommes pas tous égaux face aux assurances.
A-t-on une idée des surcoûts des primes d'assurance à la suite d'un tel événement ?
Par ailleurs, si, à Lourdes, les assurances ont été très rapides, il a fallu que les assurés acceptent d'énormes concessions en termes de travaux et financent les protections qui leur ont été imposées pour pallier d'éventuelles futures crues. Dans ces conditions, les grosses entreprises ont résisté, mais pas les plus petites.
M. Michel Vaspart, président. - Je partage l'avis de Marc Daunis sur les délais d'indemnisation. Les remontées de terrain attestent de difficultés.
M. Bertrand Labilloy. - Il est vrai que la prise en charge du coût des travaux de protection pour ne plus subir de dommages équivalents à l'avenir constitue un angle mort du système actuel, qui date de 1982 et sur lequel il serait judicieux de se pencher à l'occasion de la réforme du régime. C'est toutefois ce qui permet de diminuer les coûts pour les catastrophes naturelles.
Sur l'augmentation des tarifs post-événement, le dispositif est de nature assurantielle - il ne s'agit pas d'un dispositif public avec un impôt per capita. Il est assez naturel que les différents intervenants de la chaîne d'indemnisation réévaluent en permanence le risque et adaptent la tarification en conséquence. Cela permet d'adresser aux assurés un signal en retour pour qu'ils comprennent qu'ils se trouvent dans une situation d'exposition ou de vulnérabilité supérieure ou croissante. Il faut toutefois en relativiser l'ampleur, car ce régime d'indemnisation permet une très forte péréquation par rapport à ce qui devrait être payé en théorie sur la seule base du risque. Pour un particulier, le montant de l'assurance habitation s'élève à vingt euros par personne et par an : une hausse de 10 % se traduira par deux euros de plus.
Le recul du trait de côte est-il une catastrophe naturelle ou pas ? Beaucoup se penchent sur cette question. D'ailleurs, plusieurs inspections générales ont créé une mission sur ce sujet. Au sens strictement assurantiel du terme, si une tempête emporte votre maison, cela se discute. En revanche, si la tempête fait avancer le trait de côte de cinq mètres, on reste dans un phénomène progressif, donc prévisible, donc non pris en charge.
Les dommages agricoles ne sont pas inclus dans le champ du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles. Il existe un fonds calamité agricole, ainsi que des assurances contre les pertes de récolte. Or le taux de pénétration de l'assurance agricole est très faible, ce qui pose problème. Les différents intervenants sur ce marché n'ont pas réussi à trouver la bonne formule pour augmenter ce taux de pénétration.
Si, pour les dommages aux biens des particuliers et des professionnels, le défaut de couverture est très faible, en tout cas en métropole, c'est parce que tout le monde est assuré, y compris ceux qui sont très faiblement exposés et qui contribuent pour les autres. Or le monde agricole n'a pas réussi à mettre en place un système analogue pour les pertes agricoles. Nous travaillons avec le ministère de l'agriculture pour apporter tous les éléments d'éclairage statistiques, actuariels et assurantiels pour aider à mettre en place une solution.
En matière d'aménagement du territoire, il y a le fameux fonds Barnier, dont une partie sert à des acquisitions amiables ou même à indemniser à la suite d'expropriations. Ce n'est pas négligeable. Est-ce pour autant suffisant dans le cadre de de l'évolution de la situation de tel ou tel territoire ?
J'en viens à l'augmentation des cotisations pour les particuliers et les collectivités à l'horizon 2050. Nous avons publié une étude montrant que le coût des catastrophes naturelles à cet horizon devrait doubler, voire davantage. Pour l'essentiel, l'augmentation n'est pas liée à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des éléments naturels : c'est tout simplement parce que nous sommes de plus en plus riches et possédons des biens mobiliers de plus en plus chers. Cela ne nécessite pas un changement du taux de surprime.
En revanche, il est tout de même prévu une augmentation de l'ordre de 30 à 50 % de l'intensité et de la fréquence des éléments naturels et de la concentration des personnes et des activités économiques dans les zones exposées. C'est pourquoi, à l'horizon 2050, il faudrait passer d'un taux de surprime de 12 à 18 %, sauf à développer les mesures de prévention nécessaires pour réduire la vulnérabilité des personnes et des entreprises.
Le problème de la sous-assurance ne concerne pas que les particuliers. La collectivité locale de Saint-Martin a eu la mauvaise idée de céder aux sirènes d'un assureur qui proposait un tarif particulièrement intéressant, mais avec une faible limite de garantie. À la suite du cyclone Irma, le montant du sinistre s'est élevé à 50 millions d'euros, alors que le contrat prévoyait une limite de garantie de 15 millions d'euros.
Les particuliers ne sont donc pas les seuls à être concernés par le risque de sous-assurance. Pour que le régime fonctionne bien, il faut que tout le monde s'assure, les ménages comme les entreprises. Si on ne s'assure pas, on ne peut pas prétendre à une indemnisation ; c'est une lapalissade ! Cela n'empêche pas toutefois de réfléchir à un dispositif spécifique pour les véhicules qui sont assurés au tiers.
Dans notre évaluation du risque, nous prenons en compte les efforts faits en matière d'urbanisme. Plus largement, nous tenons compte des ouvrages de protection contre les événements naturels. Nous avons développé un modèle numérique du territoire pour simuler les effets des aléas climatiques. Nous avons ainsi pu mesurer l'efficacité des barrages écrêteurs de crue en amont sur la Seine. Certains projets sont dans les cartons, il serait bon de les accélérer.
La pérennité du régime face aux changements climatiques ? En général, à l'exception des territoires tellement impactés que la seule solution est une expropriation, l'intensification du risque se traduit par un ajustement de la prime en conséquence ou par des mesures de prévention suffisantes pour limiter la sinistralité.
À titre personnel, je dirais que le système de modulation des franchises n'est pas absolument déterminant et que l'on peut vivre sans...
Vous avez aussi évoqué la frustration de certains sinistrés quant aux délais d'indemnisation. Les délais moyens sont satisfaisants. Mais l'écart-type peut parfois être élevé. Il n'est pas satisfaisant, en effet, qu'une personne qui a subi un dommage en octobre 2015 n'ait toujours pas été indemnisée. Certaines situations sont kafkaïennes. À Saint-Martin, par exemple, on a parfois du mal à savoir qui est en cause et à trouver la solution au problème. Cependant, il ne faut pas juger un régime qui bénéficie à des millions de citoyens, couvre des milliards de dommages par an, à l'aune de quelques situations individuelles. Il existe toutefois des failles dans le régime d'indemnisation : c'est le cas, par exemple, pour les gens qui, à la suite d'un événement naturel, ne peuvent plus habiter leur domicile, car il menace de s'effondrer. Or ils ne sont pas indemnisés et l'assurance ne joue pas parce que leur bien n'a pas été directement touché et qu'il n'y a pas de dégâts. Donc même si le système fonctionne bien dans l'ensemble, certains cas méritent une attention particulière.
M. Michel Vaspart, président. - Et sur la vétusté ?
M. Antoine Quantin. - C'est une question qui dépasse le régime Cat-Nat. En effet, il ne peut pas y avoir d'enrichissement sans cause. Si l'on indemnisait sans tenir compte de la vétusté, les gens ne seraient plus incités à entretenir leur bien. On peut faire de la pédagogie, proposer la garantie remboursement à neuf, mais il paraît difficile de supprimer la référence à la vétusté.
M. Michel Vaspart, président. - Merci pour ces réponses.
La réunion est close à 16 h 5.