Mardi 5 février 2019
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Mme Audrey Keysers
Mme Annick Billon, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce soir Audrey Keysers, co-auteure d'un ouvrage de référence sur le football féminin, intitulé Football féminin. La femme est l'avenir du foot, paru en 2012, dont beaucoup de constats me semblent encore d'actualité.
Je précise à l'attention de Mme Keysers que la délégation aux droits des femmes a décidé à l'unanimité d'inscrire le football féminin à son programme de travail, dans la perspective de la Coupe du monde de football qui se tiendra en France du 7 juin au 7 juillet 2019.
Nous souhaitons mettre à l'honneur l'équipe de France à l'occasion de cette compétition qui représente une opportunité de valoriser les joueuses qui portent nos couleurs.
Nous avons pensé que cette thématique s'inscrivait dans le cadre général de l'égalité entre femmes et hommes et illustrait notre souci constant de promouvoir une meilleure visibilité des femmes, quel que soit le domaine où elles exercent leurs talents, ainsi qu'un meilleur accès aux responsabilités.
Notre objectif est aussi d'encourager le développement de la pratique du football féminin dans nos territoires.
Pour mener ce travail, nous avons désigné quatre co-rapporteures représentant différentes sensibilités politiques de notre assemblée : Céline Boulay-Espéronnier (LR) ; Victoire Jasmin (socialiste) ; Christine Prunaud (CRCE) et moi-même.
Nous avons lancé nos travaux le 13 décembre dernier, avec l'audition de Roxana Maracineanu, ministre des Sports. Nous entendrons le 4 avril Nathalie Boy de la Tour1(*), présidente de la Ligue de football professionnel (LFP) puis, le 11 avril, Marianne Gazeau, fondatrice de Foot d'Elles, un média en ligne spécialisé dans le football féminin. Nous comptons organiser plusieurs déplacements de terrain au cours du premier trimestre, ainsi qu'une table ronde en lien avec la Fédération française de football (FFF) au mois de mai.
Malgré des avancées certaines, le football féminin ne suscite toujours pas autant d'engouement et d'intérêt auprès du grand public et des médias que le football masculin. Par exemple, la victoire des Bleues le samedi 19 janvier en match amical contre l'équipe des États-Unis, réputée la meilleure du monde, dans le cadre de la préparation du Mondial, a été assez peu relayée par les chaînes de télévision nationales.
Je me tourne vers Audrey Keysers. Quelles sont vos propositions pour faire régresser le sexisme, progresser l'égalité entre les femmes et les hommes et renforcer la mixité dans un milieu encore masculin ? À l'issue de votre intervention, les co-rapporteures et les membres de la délégation vous poseront des questions pour un temps d'échanges. Je vous remercie d'être venue jusqu'à nous et je vous cède sans plus tarder la parole. Nous vous écoutons avec intérêt.
Mme Audrey Keysers, co-auteure de « Football féminin. La femme est l'avenir du foot ». - Je suis ravie d'avoir été invitée à m'exprimer devant vous. J'ai co-écrit ce livre avec une ancienne sportive de haut niveau, Maguy Nestoret Ontanon ; il a été préfacé par Lilian Thuram. Évoquer le football, sport universel, préféré des Français, était aussi l'occasion de pointer les discriminations dont les femmes étaient victimes dans le sport en général.
J'ai écrit ce livre en 2012, à une époque où les Français découvraient le football féminin. L'équipe féminine avait atteint la quatrième place de la Coupe du monde, alors que l'équipe masculine faisait l'objet d'un « désamour » en raison de son attitude dénoncée comme hautaine et désagréable au quotidien. Depuis la sortie du livre, il y a eu des avancées notables dans le football féminin.
Le problème du sexisme perdure dans le sport féminin, notamment le football. Je voudrais vous citer deux exemples précis et récents.
Le premier est une déclaration : « Elles sont très fortes, elles joueront désormais contre les équipes des garçons, mais seulement pour des matches amicaux car les garçons n'aiment pas perdre, de nature, alors être battus par des filles... (...) De toute façon, elles pratiquent un football différent ». Ce sont les propos de M. Alain Martin, président du district de Loire-Atlantique, quelqu'un qui a donc des responsabilités dans le football.
Le second porte sur le premier Ballon d'or féminin. Cette prestigieuse récompense, qui existe depuis longtemps chez les hommes, a été décernée à la norvégienne Ada Hegerberg le 3 décembre 2018. La personne qui remettait la récompense, Martin Solveig, un disc-jockey très connu chez les jeunes, ne l'a pas félicitée, alors qu'elle est un exemple pour toutes les petites filles et les adolescentes qui jouent au football. Il lui a demandé en revanche si elle savait « twerker » - il s'agit d'une danse très suggestive... Même si l'intéressé s'est ensuite excusé face à la polémique, cette blague sexiste illustre bien la place des femmes dans le football, et plus largement dans la société, où l'on ramène une sportive de haut niveau à son sexe.
Ces deux exemples datent de moins d'un mois : bienvenue dans le monde du football féminin !
Le plan de féminisation du football lancé en 2011 par Noël Le Graët à la Fédération française de football (FFF) est un véritable succès ; il a atteint son objectif avec 165 000 licenciées actuellement, contre 54 000 en 2011. Le nombre de licenciées a ainsi été multiplié par trois depuis 2011. La France a rattrapé son retard sur les autres pays européens. En Europe, les pays précurseurs en matière de pratique féminine sont l'Allemagne, la Norvège et la Suède ; la place de la femme dans le sport y est moins discutée. Ce sont aussi des pays qui disposent de clubs féminins forts avec des budgets conséquents et une reconnaissance. L'Angleterre et l'Espagne ont également accéléré leur développement ces dernières années.
L'organisation de la Coupe du monde 2019 tombe à pic, puisque la FFF s'est fixé l'objectif ambitieux d'atteindre plus de 200 000 licenciées en 2020. La part des licenciées dans le football français reste néanmoins extrêmement minoritaire, puisque les femmes représentent 7,4 % seulement des deux millions de licenciés dans le football, contre 8 % dans le rugby et 36 % dans le handball. La Coupe du monde, qui devrait enclencher une deuxième vitesse, a pour slogan : « Le moment de briller ».
Dans mon livre, j'ai mis en avant des situations dramatiques pour des sportives de haut niveau puisqu'en 2011, le seul club qui rémunérait ses joueuses était l'Olympique lyonnais. Dans les autres clubs, les joueuses, quand elles étaient rémunérées, touchaient parfois 500 ou 1 000 euros par mois. Elles devaient donc travailler à côté. Développer des performances, s'entraîner et récupérer tout en étant caissière ou vendeuse à mi-temps est une situation terrible. L'Olympique lyonnais est le premier club à avoir compris qu'il fallait rémunérer les joueuses si l'on voulait des performances élevées - elles l'étaient à hauteur de 4 000 euros par mois. La situation qui a le plus fait parler d'elle est celle du Paris Saint-Germain (PSG), où, en 2011, les femmes n'étaient soit pas payées, soit humiliées au quotidien. Elles n'avaient droit qu'à un maillot par saison, une seule place pour aller voir un match lorsqu'elles le demandaient et, quand certaines ont fait valoir leur difficulté de trouver du travail, on leur a proposé d'être vendeuses dans la boutique du PSG des Champs-Élysées ! C'est une humiliation, pour une sportive de haut niveau... Les joueuses avaient fini par estimer que la situation ne pouvait pas évoluer. Je ne suis même pas sûre que le PSG était conscient de ces discriminations. Je me souviens d'une réception organisée à l'Hôtel de Ville de Paris où les joueuses étaient invitées pour la première fois aux côtés des joueurs. Le PSG avait prévu un car pour y transporter ses sportifs, mais n'avait rien prévu pour ses sportives... Depuis, la situation a évolué dans le bon sens.
En 2011, aucune joueuse, même à l'échelon mondial, ne recevait de salaire conséquent. En 2017, la joueuse la mieux payée était la Brésilienne Marta, qui jouait à Rosenberg, en Norvège, avec 346 000 euros par an, tandis que le joueur le mieux payé, l'Argentin Carlos Tevez, avait reçu 31 millions d'euros de son club chinois de Shangaï. Selon la FFF, les footballeuses évoluant dans les plus grands clubs (PSG, OM, OL, Montpellier) touchent en moyenne 4 000 euros par mois. C'est très différent de la situation de 2011. Les autres, issues de clubs moins prestigieux, peuvent prétendre à un salaire mensuel allant de 1 500 euros à 3 000 euros. C'est une misère au regard des salaires des footballeurs de première ligue, qui touchent en moyenne 75 000 euros par mois !
Selon l'Observatoire des inégalités, les femmes gagnent 22,8 % de moins que les hommes. Dans le football, elles gagnent 96 % de moins...
Encore une fois, la situation a considérablement évolué depuis 2011 : des sportives de haut niveau peuvent vivre de leur sport, ce qui me semble être la base. Les deux clubs qui font des efforts importants pour leurs joueuses sont l'Olympique lyonnais (OL) et le Paris Saint-Germain, qui a rattrapé tout son retard. Les salaires moyens qui y sont pratiqués ne sont pas comparables à ceux des autres clubs. Ada Hegerberg, attaquante à l'OL, gagne environ 50 000 euros par mois et l'Américaine Alex Morgan, considérée comme la meilleure joueuse en 2017, gagnait environ 30 000 euros par mois, elle aussi à l'Olympique lyonnais. Ce sont les plus gros salaires du football féminin en France. Je précise que dans ce sport, les primes sont aussi importantes que les salaires, or celles des femmes sont environ dix fois plus faibles que celles des hommes. Les lauréates américaines de l'édition 2015 avaient perçu 1,7 million d'euros de la part de la FIFA, à comparer aux 31,6 millions d'euros pour les gagnants de cette coupe du monde masculine en 2018. Au niveau individuel, les joueuses de l'Équipe de France auraient chacune touché une prime de 30 000 euros en cas de victoire en finale de la part de leur fédération, alors que les hommes auraient, en cas de victoire au Brésil en 2014, touché une prime de 300 000 à 400 000 euros chacun.
Comment faire progresser les rémunérations ? Tout est lié : la médiatisation du football féminin est un enjeu majeur. Les sponsors arrivent lorsque les audiences sont bonnes. Selon la FFF, le football féminin n'est pas encore rentable mais s'approche de l'équilibre.
L'évolution du football féminin est liée à celle du sport féminin dans la société. Les femmes sont condamnées à l'exploit pour faire parler d'elles dans la presse et à la télévision. Les hommes sont surmédiatisés dès le début de la compétition alors que les femmes doivent parvenir aux quarts ou aux demi-finales pour avoir droit à une médiatisation importante. Cette analyse est valable pour de nombreux sports collectifs féminins. Par exemple, en rugby, les hommes sont médiatisés dès le début du Tournoi des six nations. En 2012, les femmes ont dû remporter trois victoires d'affilée pour que L'Équipe leur consacre une demi-page au titre révélateur : « Elles existent aussi ».
Malgré des avancées, le sport féminin reste trop méconnu. En 2016, le CSA a publié une étude sur le thème « sport et télévision ». Cette étude montre que la présence du sport féminin a heureusement progressé à la télé au cours des dernières années. Son poids dans le volume horaire des retransmissions sportives a plus que doublé entre 2012 et 2016. Selon le CSA, le sport féminin a représenté entre 16 et 20 % du volume horaire de diffusion de retransmission sportive en 2016, contre 14 % en 2014 et 7 % en 2012.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire. Seulement sept journalistes se sont déplacés pour la conférence de presse de la saison sur le football féminin à Clairefontaine quand, pour les hommes, il faut une salle de presse de 300 places pour accueillir tous les journalistes qui se déplacent. Il serait donc souhaitable d'intervenir dans les écoles de journalisme pour améliorer le traitement médiatique du sport féminin. Mais il faut aussi faire progresser la mixité des journalistes. Pendant longtemps, dans les rédactions, couvrir le football féminin était presque une punition. Les comptes rendus étaient très succincts. Les sports les plus valorisés sont le football et le rugby masculins, considérés comme des sports d'homme ; les sports féminins les plus mis en avant correspondent aux stéréotypes : il s'agit du patinage artistique et de la gymnastique. Comme en politique, non seulement le sport féminin est moins présent, mais il est aussi traité différemment. Par exemple, il faut noter que les médias parlent souvent d'une sportive de haut niveau en l'appelant par son prénom, alors que les hommes sont appelés par leur nom. En outre, les commentaires de compétitions féminines portent encore sur le physique des sportives, ce qui n'est pas le cas pour les hommes. Heureusement, de plus en plus de femmes sont journalistes sportives et interviennent à la télévision sur le rugby et le football ; elles cassent les stéréotypes car elles ne parlent jamais du physique des joueuses, mais de leurs performances sportives.
Un problème persiste dans L'Équipe. Ce journal fait très peu de couvertures sur les sportives de haut niveau et celles qui sont mises en valeur pratiquent en général un sport individuel. Le sport collectif, très rare, est relégué à l'intérieur du journal et en petit format. Bien sûr, le traitement progresse, mais très faiblement, alors que L'Équipe est le journal phare du sport. C'est tout à fait regrettable. En revanche, la couverture du football féminin est désormais bonne dans Le Parisien-Aujourd'hui en France. En 2011, elle était inexistante ; ensuite, de petits encadrés avec les résultats sont apparus ; aujourd'hui, l'analyse du match est systématiquement publiée. Quant à la presse quotidienne régionale (PQR), elle joue plutôt le jeu en médiatisant les équipes et les sportives locales. Ce n'était pas le cas il y a quelques années.
Beaucoup de progrès ont été réalisés en matière de diffusion télévisée. La prochaine coupe du monde de football féminin sera retransmise conjointement sur TF1 et Canal Plus. Le groupe TF1 diffusera les vingt-cinq meilleures affiches, dont les matches des Bleues, et Canal Plus la totalité des rencontres pour ses abonnés, soit 52 matchs. TF1 a dépensé 10 millions d'euros pour cette coupe du monde, contre un million d'euros pour W9 en 2011. Ces montants sont à comparer aux 130 millions d'euros dépensés par TF1 et BeIn Sports pour acquérir les droits du Mondial 2018.
En 2011, c'est la TNT qui a acquis les droits parce que personne n'y croyait. Or j'ai envie de dire que le football féminin porte chance à ceux qui croient en lui : avec deux millions de téléspectateurs pour la demi-finale entre la France et les États-Unis, Direct 8 a pulvérisé son record d'audience.
Plus généralement, on constate que les audiences sont au rendez-vous ; c'est la preuve que le foot féminin de haut niveau intéresse. Par exemple, à l'Euro 2017, les exploits des Bleues ont été suivis par 3,3 millions de personnes. Diffusé sur France 2, le match PSG-OL du 11 juin 2017 (une rencontre de la Ligue féminine des champions) a été plébiscité par 2,7 millions de téléspectateurs.
D'ailleurs la FFF, qui devait auparavant démarcher pour vendre ses droits, est aujourd'hui courtisée par les chaînes qui souhaitent les acquérir, ce qui a suscité la satisfaction de Brigitte Henriques, vice-présidente de la Fédération : « Depuis 2011, nous n'avons plus à demander aux chaînes de nous diffuser. Aujourd'hui, les médias viennent à nous ». Cela concrétise toute l'évolution du foot féminin.
Le Mondial féminin existe depuis 1991. Son budget, de 35 millions d'euros, représente 3,8 % de celui de la coupe du monde masculine qui a eu lieu en Russie, et dont le montant a été évalué à 9,2 milliards d'euros... Pourtant, les compétitions de football féminin ne sont pas déficitaires. En 2015, au Canada, où s'est tenu le dernier Mondial féminin, les retombées économiques ont atteint plus de 490 millions de dollars canadiens, montant qui a dépassé de 46 % les prévisions de recettes. Quand la communication est bien faite, tout va bien !
Neuf villes-hôtes accompagnées depuis deux ans par la FFF recevront les compétitions, ce qui est beaucoup : Grenoble, le Havre, Lyon, Montpellier, Nice, Paris, Reims, Rennes et Valenciennes. La FFF veillera à ce que des évènements précèdent les matches, pour y attirer du public. Car le principal défi de ce Mondial sera de remplir les stades ! Si les gens ne se déplacent pas et qu'on voit à la télévision des stades à moitié vides, l'image sera désastreuse. Une politique commerciale de vente de billets à bas prix sera mise en place - alors que les prix n'ont déjà rien à voir avec ceux pratiqués pour des matches masculins. La FFF est assez confiante pour les matches de l'équipe de France, où elle table sur un remplissage à 80 %. Mais pour les autres... À mon avis, avant les matches pour lesquels il resterait des places, il faudrait songer à distribuer celles-ci gratuitement dans les écoles et les quartiers. Cela dit, le dernier match amical entre la France et les États-Unis, au Havre, le 19 janvier dernier, alors même qu'il n'avait pas été repris dans la presse, a réuni 17 000 spectateurs. C'est un résultat encourageant dans la mesure où en juin prochain, le Havre accueillera 7 des 52 matchs de la Coupe du monde. À titre de comparaison, en Espagne, 48 000 spectateurs ont assisté le 30 janvier dernier à un match féminin opposant l'Atlético Bilbao à l'Atlético Madrid, ce qui correspond à un record d'affluence en Europe pour le foot féminin.
Mme Céline Boulay-Espéronnier, co-rapporteure. - 17 000 places, c'est précisément la contenance du Parc des Princes !
Mme Audrey Keysers. - En effet. Il est vrai que le prix des places est très faible : environ cinq euros pour un tel match, jusqu'à vingt-cinq euros pour un match du Mondial. Au Havre, cela signifie que des gens se sont déplacés, alors même que nous n'avons pas, en France, cette culture : nous n'allons voir un match de football féminin en famille que si notre fille, ou une petite cousine, y joue. L'Allemagne, au contraire - qui compte un million de licenciées, même si la FFF conteste ce chiffre, qui l'agace, en disant que les licenciées n'y sont jamais radiées - a une culture moins discriminante et on va y voir des matchs féminins en famille, comme des spectacles. Espérons que le Mondial développera de telles pratiques en France.
Pour cela, il faut que la transmission à la télévision soit relayée par la presse écrite, qui doit mettre en valeur les sportives, par exemple par des portraits. Il faut aussi communiquer de manière positive, cesser de dire que les femmes ont moins de force, jouent moins bien ou sont moins performantes. D'ailleurs, même les spécialistes qui l'affirmaient par le passé ne pensent plus rien de tel.
Soulignons, au contraire, que le football féminin a un meilleur esprit. Il ne connaît pas la simulation, et on n'y a jamais vu une joueuse insulter l'arbitre. Le respect mutuel y est profond. J'ajoute que, contrairement aux compétitions masculines, les tournois féminins ne sont pas l'occasion, pour des organisations mafieuses, de gagner de l'argent en déplaçant des milliers de prostituées ! Il faut profiter de chaque occasion pour dénoncer cette violence inacceptable exercée à l'encontre des femmes.
Il importe aussi de favoriser la pratique du football à l'école primaire, où tout se joue en matière de lutte contre les stéréotypes. La FFF organise par exemple les opérations « Foot à l'école » et la « Quinzaine du football », destinées à promouvoir et à développer la pratique du football en milieu scolaire. Cela permet aux petites filles de prendre conscience que le football n'est pas un sport réservé aux garçons. Il y a encore des réticences dans certaines familles, contre lesquelles il faut lutter. Cette année, le thème est « A la rencontre de ma Coupe du monde ». Les participants recevront des récompenses (matériel, places pour le Mondial 2019...). Les lauréats nationaux de « Foot à l'école » seront conviés à une rencontre avec les Bleues et ceux de la « Quinzaine du foot » avec l'équipe masculine, au Centre national du football (CNF) de Clairefontaine.
Ces actions, bien sûr, ne doivent pas se limiter à la période de la compétition. Il faudra donc veiller à inscrire le foot féminin dans la durée au cours des années suivantes, par exemple en offrant des places pour assister à des matchs féminins.
Nous devons favoriser la mixité dans le football, et cela à tous les niveaux, sur le terrain, comme dans la gestion des clubs. Actuellement, cette mixité n'existe quasiment pas : il n'y a que des hommes dans le football masculin, et que des femmes dans le football féminin. Aujourd'hui, on compte 38 000 dirigeantes contre 26 000 en 2011, 1 200 éducatrices et animatrices (contre 750 en 2011) et 850 arbitres (contre 670 en 2011). Votre délégation sait bien que, plus on monte dans une hiérarchie, moins on trouve de femmes. Il n'y a, à la FFF, que deux présidentes de district sur 100, et aucune présidente de ligue ni de club professionnel. Et, sauf exceptions, les femmes n'entraînent ni n'arbitrent de matches masculins. Il faut donc étudier de nouvelles pistes. Il faut savoir que les épreuves pour obtenir le Brevet d'entraîneur professionnel de football (BEPF) sont les mêmes pour les femmes et les hommes : elles ne sont pas adaptées aux femmes. Il y a donc une seule entraîneuse de première division, à Rodez : Sabrina Viguier. Et Corinne Diacre, à la tête de l'équipe de France depuis 2017, a été la première femme à obtenir le BEPF et à entraîner une équipe de foot masculin professionnel, Clermont foot 63, de 2014 à 2017. Je crois savoir que la FFF mène une étude sur ce sujet.
Un symbole me paraît particulièrement choquant : que le football féminin soit rattaché, en France, à la Ligue amateur. Depuis 2011, la FFF communique sur le thème que ce n'est pas le moment de créer une ligue professionnelle, car cela impliquerait des aménagements, des équipes, un budget. C'était peut-être vrai en 2011, mais aujourd'hui, vu le nombre de licenciées et la médiatisation, pourquoi ne pas profiter de la dynamique du Mondial pour passer à la vitesse supérieure ? Comme d'autres sports (basket, handball) ou d'autres pays tels que l'Allemagne, la création d'une ligue professionnelle de foot féminin pourrait s'inscrire dans la suite logique du plan de féminisation de la FFF. Selon moi, cela pourrait également conduire à une évolution positive du statut des joueuses vers la professionnalisation.
Pour conclure, le football féminin a beaucoup progressé en quelques années, mais l'égalité ne va pas de soi : à preuve, ces joueuses danoises qui ont refusé de jouer un match de qualification au Mondial face à la Suède pour obtenir une hausse de salaire et les mêmes primes que les hommes !
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cet exposé passionnant.
Vous avez bien fait d'évoquer la prostitution. La délégation s'est réjouie, par un communiqué de presse, de la décision du Conseil constitutionnel du 1er février 2019 qui a validé les dispositions de la loi du 13 avril 20162(*) relatives à la pénalisation du client, contestées dans le cadre d'une QPC. Plusieurs membres de la délégation avaient d'ailleurs cosigné une tribune pour exprimer leur soutien à cette loi.
Je me tourne désormais vers les co-rapporteures. Chères collègues, je vous laisse prendre la parole dans l'ordre qui vous conviendra.
Mme Céline Boulay-Espéronnier, co-rapporteure. - Merci pour votre présentation claire et dynamique. On vous écouterait pendant des heures... Vous avez décrit avec objectivité les progrès accomplis, et les frustrations qui demeurent. Il reste en effet un long chemin à parcourir ! Quels sont les facteurs de réussite pour le développement du football dans nos territoires ? Je pense en particulier aux zones rurales, où il y a peu d'infrastructures - on parle beaucoup de la fracture territoriale... Quelles actions mener pour soutenir le développement de la pratique amateur ? Enfin, la distribution de billets gratuits, que vous avez évoquée, ne dévaloriserait-elle pas le sport féminin ? On ne le ferait jamais pour des matchs masculins...
Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - J'apprécie beaucoup le football, mais je n'ai pas vu beaucoup de matchs féminins. En Guadeloupe, dont je suis élue et où je me trouvais il y a quinze jours, un maire a porté à ma connaissance la création récente d'un club de football féminin. Pourquoi les sections sport-étude, qui profitent tant aux hommes, ne fonctionnent-elles pas pour les femmes ? Nous, parlementaires, pouvons diffuser largement dans nos départements l'information sur ce Mondial, afin que les stades soient remplis. Déjà, le club que j'ai mentionné a prévu de faire le déplacement en métropole.
Mme Christine Prunaud, co-rapporteure. - Sur les salaires, vous avez tout dit. Comment pensez-vous que les parlementaires pourraient favoriser la création d'une ligue professionnelle ? J'ai prochainement un rendez-vous avec l'entraîneuse de Guingamp, et un autre avec celle de Rennes, Mélissa Plaza. Toutes deux ont été très enthousiastes en apprenant que notre délégation s'intéressait au football féminin.
Mme Martine Filleul. - Je ressens un engouement autour du football féminin. La loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle3(*) prévoyait une représentation plus égalitaire dans les instances dirigeantes. N'a-t-elle pas fait évaluer les choses ? La FFF a-t-elle pris conscience du sexisme ambiant ? S'organise-t-elle pour lutter contre ? Dans les quartiers, les filles sont empêchées de faire du sport pour des raisons philosophico-religieuses. Ce serait notre rôle républicain de mettre en place des animateurs de proximité pour encourager la pratique féminine du football.
Mme Audrey Keysers. - Oui, la FFF a conscience du sexisme dans le football, et a mis en place une équipe de trois personnes, qui se déplace si besoin. Elle a fait des erreurs, aussi, malgré de bonnes intentions, en tombant dans le piège des stéréotypes : sa première campagne de promotion du football féminin, en 2011, était tout en rose et vantait le « foot des princesses » !
Certaines joueuses de l'équipe de France viennent des quartiers. C'est très positif : quand elles y retournent, elles sont des exemples, notamment dans le nord de Marseille. Elles montrent que l'on peut être une fille, jouer au foot, être connue et gagner de l'argent. N'hésitez pas à faire venir des joueuses de l'équipe de France dans vos territoires. C'est comme en politique : tant qu'il n'y avait pas d'élues, on manquait de modèles. Les premières joueuses en équipe de France ont dû commencer leur carrière en jouant avec des garçons...
Les instances de la FFF ne sont en aucune manière paritaires. Noël Le Graët est d'ailleurs le premier à le reconnaître, mais il estime qu'il faudra beaucoup de temps pour y parvenir. En effet, cela demande de former des gens pour les faire monter dans les territoires. Comme en politique, le volontarisme est indispensable. Peut-être faudrait-il encourager l'accès des femmes au diplôme d'entraîneur. C'est une piste que vous pouvez creuser en tant qu'élues. Cette mixité créerait de la parité.
En tant que parlementaires, vous pourriez aussi proposer des démonstrations de foot féminin dans toutes les écoles maternelles et primaires. La venue de footballeuses dans les écoles créerait de l'envie et des vocations. Cela permettrait aussi de lutter contre les stéréotypes. Il faudrait aussi, comme le relevait Mme Jasmin, mettre en place dans quelques villes des sections de sports-études pour le foot féminin.
J'en viens à la question importante de la reconversion des footballeuses. Pour les hommes, la question ne se pose guère car ils gagnent beaucoup d'argent, ce qui leur permet d'en mettre de côté. En revanche, avec 3 000 ou 4 000 euros par mois et des carrières très courtes, la reconversion des footballeuses est bien plus difficile.
La FFF a certes mis en place un accompagnement, mais cela reste marginal. Certaines joueuses sont devenues commentatrices de match à la télévision ou journalistes, mais c'est exceptionnel. Pour les autres, pourquoi ne pas prévoir une reconversion en tant que professeur de sport, par exemple ?
Si l'on créait une Ligue professionnelle de football féminin, cette question serait mieux prise en compte et les budgets seraient plus importants.
Enfin, je propose de distribuer des places gratuites aux scolaires : si les tribunes ne sont pas remplies, autant en profiter pour donner l'envie de jouer aux enfants.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cet exposé très complet qui nous incite à lire votre ouvrage que vous avez certainement eu l'occasion de présenter dans d'autres instances.
Mme Audrey Keysers. - J'ai été récemment auditionnée par deux chercheurs de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) qui mènent une étude sur le foot féminin avec l'UNESCO dans ses dimensions internationales. Ce rapport va décrire les bonnes pratiques au niveau international : certains pays sont bien plus avancés que nous. Il sera intéressant d'en prendre connaissance.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour tout.
Jeudi 7 février 2019
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Dépôt d'une proposition de résolution
Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, en accord avec Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, co-rapporteures en 2018 de notre travail sur les mutilations sexuelles féminines, il m'a paru souhaitable d'envisager sur ce sujet l'élaboration d'une proposition de résolution faite dans le cadre de l'article 34-1 de la Constitution.
Ce type de texte permet en effet de donner de la substance à des prises de position de notre institution qui ne relèvent pas des compétences législatives.
Maryvonne Blondin, Marta de Cidrac et moi avons pensé que nous devions, en cette semaine dédiée à la thématique de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, du fait de la Journée onusienne du 6 février, « Journée internationale de tolérance zéro contre les mutilations sexuelles féminines », nous inscrire dans ce combat, comme nous l'avions fait il y a précisément un an, en organisant une table ronde ouverte au public qui a servi de fil conducteur aux réflexions de nos co-rapporteures.
Le projet de texte qui vous a été adressé par courriel préalablement à cette réunion rassemble en un document unique une synthèse de nos conclusions sur deux sujets liés : les mutilations sexuelles féminines et le mariage des enfants. Je rappelle que le mariage des enfants a pour corollaire les grossesses et accouchements précoces, qui constituent la deuxième cause de décès dans le monde pour les jeunes filles de 15 à 19 ans.
Les constats statistiques concernant ces pratiques sont effroyables. Nous les connaissons, mais je vous les rappelle : toutes les sept secondes dans le monde, une jeune fille de moins de 15 ans est mariée, toutes les 15 secondes, une fillette ou une femme est excisée, une fille sur cinq donne naissance à son premier enfant avant l'âge de 18 ans et 70 000 décès dans le monde sont causés chaque année par les grossesses précoces.
Nos précédents travaux sur les mutilations sexuelles féminines nous ont alertés des conséquences dramatiques de l'excision sur la santé physique et psychologique des victimes. Ils nous ont confirmé que ces pratiques s'inscrivaient dans le continuum des violences faites aux filles et aux femmes.
Quant à la table ronde du 11 octobre dernier, organisée avec l'UNICEF à l'occasion de la Journée internationale des droits des filles, elle nous a alertés sur les conséquences du mariage précoce et forcé, qui en empêchant les filles d'aller à l'école, les condamne à une vie de dépendance et de précarité économique et prive les pays concernés d'un potentiel de développement et de croissance évident.
Le bref rapport d'information que nous avons adopté lors de notre dernière réunion rappelle ces enseignements. Il souligne la nécessité d'une vigilance accrue contre le mariage des enfants, dont on relève l'amplification depuis quelques années, y compris dans des régions où cette pratique avait diminué. Ce fait tient, selon les observateurs, à la multiplication des zones de crise, qu'elles résultent de conflits ou de catastrophes naturelles et environnementales.
La proposition de résolution reprend la plupart des constats et des points de vigilance que nous avons formulés dans ces précédents travaux. Pour ma part, je tiens à souligner la nécessité absolue d'impliquer les hommes dans ce combat.
Je précise que ce texte est destiné à devenir, sous réserve de son inscription à l'ordre du jour et de son adoption, une résolution du Sénat et non pas un travail de la délégation. J'attire aussi votre attention sur le fait que la délégation ne saurait déposer collectivement une proposition de résolution et que, de ce fait, nous agissons dans ce domaine dans le cadre d'initiatives individuelles.
Si vous m'y autorisez, je la déposerai donc dès aujourd'hui avec Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, qui en sont les co-auteures, et vous invite à la cosigner avec nous. Notre collègue Claude Malhuret m'a dès hier indiqué son souhait de faire partie des cosignataires. Il est évident que les cosignataires non membres de notre délégation seraient plus que les bienvenus.
L'objectif est en effet de montrer l'implication du Sénat tout entier dans la lutte contre ces fléaux, qui sont autant d'atteintes aux droits fondamentaux de la moitié de l'humanité. Il est aussi de marquer la considération de notre institution pour tous les acteurs, professionnels et bénévoles qui, partout dans le monde, agissent pour défendre ces droits.
Je donne sans plus tarder la parole à Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac, en tant que co-auteures.
Mme Maryvonne Blondin. - C'est une très grande satisfaction pour moi de voir notre travail sur les mutilations sexuelles féminines prendre la forme d'une proposition de résolution et je remercie notre présidente d'avoir porté cette initiative. Notre assemblée doit être impliquée dans ce combat, et une proposition de résolution manifestera l'engagement de notre institution en faveur de cette cause. Nous l'avons vu avec le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. D'ailleurs, quand j'ai évoqué cette proposition de résolution lors de notre dernière réunion de groupe, des collègues qui ne font pas partie de la délégation ont manifesté de l'intérêt pour notre démarche. Nous devons rassembler le plus possible de signataires ! De plus, je rejoins notre présidente, il est primordial que les hommes s'impliquent. À cet égard, je voudrais mentionner l'initiative d'un jeune homme (il n'a que vingt ans) originaire de Concarneau qui vient de remporter des prix prestigieux récompensant le court métrage qu'il a réalisé sur les mutilations féminines, intitulé « J'avais neuf ans » : je vous invite à le regarder en ligne.
Mme Marta de Cidrac. - Je tiens moi aussi à remercier très chaleureusement notre présidente d'avoir pris l'initiative de l'élaboration de ce texte. Son dépôt sera un aboutissement très appréciable de nos travaux, qui ne peuvent pas toujours se traduire dans le cadre de nos compétences de législateur. Une résolution prise sur le fondement de l'article 34-1 de la Constitution donnera une véritable substance à nos réflexions sur des sujets si graves. Il faut en avoir conscience, tant le mariage des enfants que l'excision s'inscrivent dans un parcours traumatique qui comporte tout le spectre des violences faites aux femmes. Maintenant, il nous faut réunir le plus grand nombre possible de cosignatures, dans tous les groupes !
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie, chères collègues. Je suggère donc que ce texte soit proposé dans un premier temps à la signature de l'ensemble de la délégation, et que nous portions ensuite notre initiative dans nos groupes respectifs, afin de réunir des cosignatures de la manière la plus large possible. Dès aujourd'hui, cette proposition de résolution sera déposée avec les cosignataires qui se seront manifestés d'ici cet après-midi. Nous pouvons considérer, d'après nos échanges, que toutes et tous, vous êtes d'ores et déjà compris dans la liste des cosignataires en vue du dépôt. Je vois que vous le confirmez !
Sommes-nous bien d'accord pour que l'intitulé de cette proposition de résolution fasse référence à notre volonté de « soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines » ? Je ne vois pas d'objection, ce titre fait l'unanimité.
Cette proposition, ainsi intitulée, sera donc déposée en fin d'après-midi. Ce dépôt sera assorti d'un communiqué de presse faisant référence à notre souhait d'apporter, par ce texte, notre contribution à la Journée internationale « Tolérance zéro contre les mutilations sexuelles féminines », ce qui implique son dépôt à une date proche du 6 février.
Mme Laurence Cohen. - Cette thématique est terrible. J'assistais récemment à une manifestation sur ce sujet, organisée par l'association Femmes solidaires afin de faire connaître un foyer pour jeunes filles créé en Éthiopie pour protéger les adolescentes menacées d'excision et leur permettre de poursuivre leur scolarité. Un documentaire a été réalisé pour soutenir ce projet. Comment pouvons-nous, en tant que parlementaires, aider ces associations qui ont besoin de moyens pour mener leur combat ? Nous savons à quels problèmes se heurtent les associations demandant des subventions. Par-delà nos sensibilités politiques, nous devons être des porte-voix pour apporter notre soutien aux associations, actrices incontournables de la lutte contre les violences.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci, mes chers collègues. Nous pouvons donc passer au second point de notre ordre du jour.
Échange de vues sur la parité dans les élections municipales
Mme Annick Billon, présidente. - Mes chers collègues, nous en venons au second point de notre ordre du jour : un échange de vues sur les suites de la table ronde du 17 janvier sur la parité dans les intercommunalités et de notre réunion du 22 janvier dernier.
Je rappelle qu'au cours de la table ronde du 17 janvier, nous avons entendu l'AMF, l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et le Haut conseil à l'égalité ainsi que l'association Elles aussi.
Chaque intervenant a alors insisté sur le fait que le levier des élections municipales était essentiel pour renforcer la féminisation des instances communautaires, affectée par les fusions intervenues en lien avec la loi NOTRe4(*). Nous le savons, quand une commune ne dispose plus que d'un siège dans l'intercommunalité, elle y est représentée par son maire. Or 84 % des maires sont des hommes.
Par un communiqué de presse publié le 18 juillet 2018, l'AMF s'est prononcée en faveur de l'élargissement du scrutin de liste paritaire et alternée femme/homme à toutes les communes, même à celles de moins de 1 000 habitants, de l'élection des maires adjoints à partir d'une liste alternant hommes et femmes, et de l'obligation de désigner au poste de premier adjoint un candidat de sexe différent de celui du maire.
Au cours de notre réunion du 22 janvier, nous nous sommes posé la question de la traduction, par une proposition de loi, des recommandations de l'Association des maires de France. J'ai alors constaté le souhait de la majorité des présents de ne pas se limiter aux questions de droit électoral, mais d'étendre notre propos aux exécutifs. Sur la base de ces réflexions, j'ai demandé à la division de soutien à l'initiative parlementaire, en lien avec le secrétariat de la délégation, de travailler à un projet de texte tirant les conséquences de nos précédents échanges.
Je rappelle que les délégations ne sont pas habilitées à déposer collectivement des propositions de loi : une telle démarche relève de l'initiative personnelle de ses membres.
Le dépôt éventuel de cette proposition de loi par des membres de la délégation poserait toutefois différents problèmes que nous devons aborder ce matin.
Tout d'abord un problème de délai.
Certes, on peut se demander si ce texte pourrait être adopté en temps voulu pour modifier les règles applicables aux prochaines élections municipales de 2020, compte tenu des contraintes afférentes à l'inscription à l'ordre du jour et à la navette parlementaire. Toutefois, il ne semble pas que l'usage consistant à s'abstenir de modifier les règles d'un scrutin au cours de l'année qui le précède soit de nature à nous empêcher de déposer ce texte. Rappelons en effet que la loi du 17 mai 2013 a modifié les règles applicables aux élections municipales de mars 2014. De plus, le Conseil constitutionnel ne semble pas considérer que le respect de ce délai d'un an conditionne la constitutionnalité des lois modifiant le code électoral, si l'on se réfère à une décision du 21 février 2008 concernant la loi facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général5(*).
Cette interrogation relative aux délais ne devrait pas nous décourager à l'excès : nous serions dans notre rôle en proposant de telles mesures, a fortiori en raison de la prise de position de l'AMF. Nous aurions de plus apporté notre contribution au débat sur la parité dans les élections municipales.
Un autre problème à débattre est le périmètre d'une éventuelle proposition de loi.
1er point : faut-il viser aussi la gouvernance des intercommunalités ou nous concentrer sur l'échelon communal ?
2e point : faut-il nous en tenir à l'élection des conseillers municipaux ou élargir ces propositions à la désignation des maires adjoints ? Le texte qui vous est distribué, et qui constitue notre base de discussion ce matin, prévoit les deux hypothèses. Il aborde donc aussi les autres collectivités (départements, région, Corse, métropole de Lyon) pour lesquelles la loi n'a pas prévu de règle de parité au sein des vice-présidents. Or il me semble difficile de définir des règles plus strictes pour les communes que pour les départements et régions.
Je persiste à m'interroger sur l'opportunité de ces dispositions, dès lors que notre sujet est de traiter la situation dans les intercommunalités...
Serait-il pertinent, par ailleurs, d'intégrer cette problématique, alors même que la seule question de l'extension du scrutin de liste paritaire aux petites communes est déjà plus complexe que l'on ne pourrait croire au premier abord ? Je pose la question.
Je vous propose de commenter rapidement le texte qui vous est distribué. Celui-ci constitue une base de discussion. Puis nous aurons un échange entre nous.
Je souhaite préciser d'emblée que ce texte ne prévoit pas d'extension aux collectivités ultramarines : cela supposerait la consultation des autorités locales, de la compétence du Gouvernement. Il m'a donc semblé préférable de nous en tenir, dans un premier temps du moins, à la métropole.
La proposition de loi dont le texte vous a été distribué étend aux communes de moins de 1 000 habitants le mode de scrutin applicable aux communes de plus de 1 000 habitants.
Ensuite, ce texte propose des adaptations de ce mode de scrutin aux spécificités des petites communes.
Ainsi, il permet aux listes candidates dans les communes de moins de 1 000 habitants d'être incomplètes, comme c'est le cas actuellement6(*). Cela répond à la difficulté de trouver autant de candidats que de sièges à pourvoir, souvent mise en avant pour contester la parité dans ces communes. L'idée est que le manque allégué de candidats, susceptible d'être aggravé par l'exigence de parité, ne revienne pas à priver une partie des électeurs de la possibilité de désigner leur conseil municipal et, indirectement, à les empêcher de participer à l'élection des sénateurs.
Par ailleurs, bien que les listes puissent être incomplètes, la proposition de loi écarte explicitement les candidatures isolées qui pourraient encourager des stratégies de contournement, sauf dans les communes de moins de 50 habitants où des dérogations sont nécessaires. Nous devons voir entre nous si une telle dérogation est souhaitable et quel est le seuil le plus pertinent à cet égard.
En outre, ce texte pose le principe d'un nombre minimal de candidats, fixé à un tiers du nombre de sièges à pourvoir.
De plus, la proposition de loi propose, pour départager les listes ayant obtenu un nombre égal de voix, d'avantager celles qui comporteraient le plus de candidats, afin d'encourager la constitution de listes aussi complètes que possible.
Enfin, une autre adaptation est proposée pour les communes de moins de 50 habitants (là encore, nous devons discuter du seuil le plus adapté) : il s'agit de les exonérer de l'obligation d'avoir un nombre minimum de conseillers résidant dans la commune. Cet assouplissement vise à prendre en compte les difficultés supplémentaires qui pourraient résulter, du fait de la parité, dans ces très petites communes où, semble-t-il, il n'est pas garanti de trouver des candidats. À mon avis, cette objection vaut autant pour les hommes que pour les femmes, en réalité.
Cela vous paraît-il utile ?
Le texte comporte également des dispositions déclinant la parité dans les exécutifs. Les autres dispositions (articles 3 et 4) sont des coordinations techniques et des mises à jour.
Mme Chantal Deseyne. - Merci, Madame la présidente. Mon intervention portera sur la dérogation que le texte prévoit au profit des petites communes. Nous avons tous fait le constat dans nos territoires de la difficulté à trouver des candidats sur les listes municipales des plus petites communes. Le seuil de 50 habitants me semble beaucoup trop bas et les dispositions proposées ne feraient qu'entraîner des contraintes supplémentaires pour les communes concernées. Pour moi, il faudrait peut-être fixer ce seuil à 300 habitants.
Mme Annick Billon, présidente. - Il est vrai que fixer un seuil s'avère toujours délicat et complexe.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie de nous faire des propositions pour avancer sur la parité dans les communes et les intercommunalités. En écoutant votre intervention, j'ai pris conscience de toute la complexité du sujet !
Pourriez-vous repréciser les raisons qui justifient l'urgence de déposer un texte maintenant ?
Mme Annick Billon, présidente. - Cela tient au calendrier électoral, sachant que les élections municipales auront lieu en mars 2020 et qu'en vertu d'un usage, il est préférable d'éviter de légiférer sur les règles électorales moins d'un an avant l'échéance. Pour autant, j'ai expliqué que le Conseil constitutionnel avait déjà admis des dérogations à cette tradition républicaine. Malgré tout, quelle que soit l'appréciation des délais, nous serions dans notre rôle en promouvant une initiative législative dans ce domaine.
Mme Marie-Pierre Monier. - Nous avons tous reçu un communiqué de presse de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), qui représente les petites communes, et qui nous enjoint, de façon prioritaire, à avancer sur le statut de l'élu plutôt que sur une modification des règles électorales.
Il ne suffit pas de déposer une proposition de loi, encore faudrait-il qu'elle soit adoptée, ce qui reste incertain au regard de la complexité du sujet et des questions que le texte soulève. Pour ma part, malgré la très grande importance que j'attache à la parité dans les intercommunalités et à la nécessité de renforcer la féminisation de la fonction de maire, j'ai besoin d'un temps de réflexion pour examiner ces propositions de façon plus approfondie avant de me prononcer.
Mme Annick Billon, présidente. - La question du seuil soulevée par notre collègue Chantal Deseyne est une difficulté évidente ; les aspects juridiques sont très techniques, ce qui rend le sujet particulièrement compliqué...
Mme Martine Filleul. - À titre personnel - je ne sais pas dans quel sens se prononcera mon groupe -, j'estime qu'il faudrait déposer une proposition de loi le plus rapidement possible.
Je suis favorable aux dispositions qui concernent l'échelon municipal, dans le texte commenté par notre présidente. L'échelon communal est le plus important ! La question de l'intercommunalité pourrait être discutée au sein des groupes et donner lieu, le cas échéant, à des amendements.
S'agissant du seuil à fixer pour les petites communes, je pense que la parité doit s'imposer partout, d'autant plus que, comme vous l'avez dit, il est très difficile de fixer un seuil qui ne soit pas arbitraire.
Je voudrais rappeler que depuis le début de notre combat pour la parité, ses détracteurs nous ont toujours opposé des difficultés et des obstacles pour ne pas avancer, mais nous y sommes néanmoins parvenues ! La difficulté supposée de trouver des candidates est un argument très fréquemment avancé. Pourquoi ne serait-il pas possible d'imposer la parité, y compris dans les communes de 50 habitants ?
Notre démarche doit être une action aussi forte que symbolique !
Mme Marta de Cidrac. - J'estime moi aussi que nous ne devons pas nous censurer. Faire progresser la parité a toujours été compliqué. Agir sur le seul échelon communal me semble tout à fait insuffisant. Par exemple, dans mon territoire, nous atteignons la parité à cet échelon, ce qui est en revanche loin d'être le cas à l'échelon intercommunal. De même, la parité est réelle au niveau du département, car nous l'avons imposée. C'est une question de volonté politique.
Néanmoins, je suis consciente de la difficulté de l'exercice et je sais que nous aurons toujours des détracteurs. C'est bien notre rôle, à la délégation, de faire progresser la parité ! Je ne vois pas pourquoi les citoyennes, qui payent des impôts comme les hommes, et qui sont également impactées par les décisions financières prises par les communes, n'auraient pas droit de cité pour peser sur ces décisions !
J'aimerais bien être dans un monde où rien n'est imposé et où les choses se mettent en place naturellement, mais nous n'en sommes pas encore là...
À cet égard, je ne peux que manifester mon chagrin face au constat que, à chaque fois que le conseil municipal doit arbitrer en matière d'équipement sportif, c'est le foot qui l'emporte systématiquement ! C'est peut-être un cliché, mais ce point est révélateur d'un mode de fonctionnement au sein de nos communes et intercommunalités.
Dans mon territoire, la parité existe à l'échelle des communes, mais le bureau de l'intercommunalité compte dix-huit hommes sur vingt membres !
Il faut introduire des dispositifs permettant aux élues de s'exprimer et de peser autant que leurs collègues masculins dans les décisions, sinon nous n'irons pas au bout de l'exercice.
J'exprime une position personnelle que j'assume parfaitement.
Mme Maryvonne Blondin. - Je comprends vos remarques. Cependant, je crois qu'il faut garder à l'esprit un principe de réalité. J'ai rencontré récemment les représentants de l'Association des maires ruraux du Finistère, département qui ne compte aucune commune de moins de 50 habitants. Si j'adhère bien évidemment au principe de la proposition de loi, j'ai quelques doutes sur le fait qu'elle puisse s'appliquer dans la réalité. Ne sous-estimons pas le désarroi des élus, qui pousse de nombreux « dauphins » à abandonner l'idée de succéder à leurs maires, tant la tâche est difficile. Je ne pense pas que les maires, notamment ceux des petites communes rurales, accueilleraient favorablement des contraintes supplémentaires dans le contexte actuel.
Mme Annick Billon, présidente. - Quelle est donc votre position sur le texte ?
Mme Maryvonne Blondin. - Il est nécessaire d'exonérer les petites communes des obligations de parité que nous préconisons. Je pencherais pour ma part pour un seuil fixé à 500 habitants.
Mme Annick Billon, présidente. - Il me semblerait utile, pour notre réflexion, de disposer de statistiques relatives au nombre de communes comptant respectivement moins de 500, de 300 et de 100 habitants en France. Cela pourrait nous aider à la prise de décision.
Nous sommes en contact toutes les semaines avec des maires, nos territoires sont variés. Si nous devons déposer une proposition de loi, il faut qu'elle ait une chance d'aboutir et, surtout, qu'elle ne suscite pas le mécontentement des maires des petites communes !
Mme Marie-Pierre Monier. - Exactement !
Mme Victoire Jasmin. - En Guadeloupe, nous comptons 50 % de femmes présidentes de communautés d'agglomérations et de communes (trois sur six). Par ailleurs, beaucoup de femmes sont maires.
Plutôt que de prévoir des contraintes, ne serait-il pas plus judicieux d'inciter les femmes à déposer des listes qu'elles constitueraient elles-mêmes, sans que leur candidature soit conditionnée par les décisions des hommes ? Ces derniers vivent parfois mal cette logique de parité, comme si on leur enlevait quelque chose.
Je suis favorable à la promotion des femmes, dans une logique d'incitation plutôt que de contrainte.
Beaucoup de femmes ne tiennent pas à s'opposer aux hommes. Si nous mettions en avant les compétences des femmes et leurs capacités à diriger, le discours serait plus positif.
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour vos remarques. Les associations de femmes élues font un travail remarquable pour promouvoir les femmes en politique.
Je rappelle que notre démarche se voulait une réponse à l'impact de la loi NOTRe sur la parité dans les intercommunalités, en réponse à l'appel qui nous a été adressé par des associations. Pour que la parité progresse dans les intercommunalités, il faut d'abord qu'il y ait davantage de femmes maires. Je précise à cet égard que je suis entrée il y a vingt ans dans un conseil municipal grâce aux lois sur la parité, et je ne pense pas être la seule...
Mme Laurence Cohen. - Dès lors que l'outil qu'est la loi est essentiel dans la lutte pour obtenir l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment en matière de parité, usons-en, d'autant que cette proposition de loi aurait un effet d'entraînement.
Plusieurs problématiques doivent cependant être examinées, notamment la répartition territoriale différenciée de la démographie communale. Par exemple, le Val-de-Marne ne comptant aucune commune de moins de 50 habitants, il m'est difficile de me prononcer sur des dispositions qui concernent spécifiquement ces communes où ne sont élus que sept conseillers municipaux ; je partage les propos de Chantal Deseyne sur ce point.
Définir un seuil d'au moins 100 habitants serait peut-être préférable, sous réserve de dénombrer au préalable les communes qui seraient concernées.
Les avancées en matière d'égalité entre les hommes et les femmes ne sont pas spontanées, mais résultent bien souvent d'une obligation légale, nous le savons bien ! Je souscris donc à l'adoption de mesures contraignantes, afin d'obliger les élus, notamment les maires, à prendre pleinement conscience de cette problématique.
Les intercommunalités en sont une parfaite illustration, car en l'absence de règles contraignantes, le nombre de femmes qui y siègent est très réduit, au prétexte - fallacieux - que le nombre de candidates est restreint.
En outre, les femmes qui se voient proposer des postes à responsabilité tendent généralement à décliner l'offre, estimant bien souvent ne pas en avoir les compétences ou les capacités ; je constate que les hommes font rarement montre d'autant de retenue...
Faire en sorte que les titulaires des fonctions de maire et de premier adjoint soient de sexes différents serait intéressant : de tels binômes faciliteraient l'accès des femmes aux responsabilités. Toutefois, le binôme maire-maire adjoint exige aussi l'existence d'affinités. La majorité des maires et des têtes de listes demeurent cependant encore masculines et les contournements possibles des dispositions légales existantes sont multiples.
Mme Annick Billon, présidente. - Les éléments statistiques relatifs à la démographie communale sont les suivants :
- de 0 à 499 habitants : 19 996 ;
- de 500 à 1 999 habitants : 11 570 ;
- de 2 000 à 3 499 habitants : 2 155 ;
- de 3 500 à 4 999 habitants : 911 ;
- de 5 000 à 9 999 habitants : 1 100 ;
- de 10 000 à 19 999 habitants : 500 ;
- de 20 000 à 49 999 habitants : 319 ;
- de 50 000 à 99 999 habitants : 83 ;
- 40 communes comptent plus de 100 000 habitants.
Aussi, moins de 1 000 communes ont plus de 10 000 habitants, et presque 20 000 moins de 500 habitants. 94,5 % des communes comptent moins de 5 000 habitants et seulement 942 ont plus de 10 000 habitants.
Ces données devront cependant être affinées pour s'intéresser aux seuils de 100 et de 300 habitants.
Mme Laurence Rossignol. - Je n'ai aucun état d'âme s'agissant de la parité, des quotas ou des dispositions légales contraignantes qui peuvent favoriser l'accès des femmes aux fonctions électives, d'autant plus que beaucoup d'entre nous, y compris moi-même, ne seraient pas présentes au Sénat en l'absence de telles dispositions.
Toutefois, ainsi que les femmes élues de mon département me l'ont précisé, la question de leur représentation au sein des organes des intercommunalités demeure un enjeu prioritaire par rapport à celui de la parité dans les communes faiblement peuplées, où les femmes sont diversement représentées parmi les élus.
J'avoue que ma réflexion achoppe encore sur la conciliation entre l'exigence de parité dans les intercommunalités et la nécessité d'y représenter les communes dont les premiers magistrats sont majoritairement des hommes.
Les communes de moins de 1 000 habitants sont membres d'intercommunalités regroupant au moins 70 communes, auquel cas tous les maires ne sont pas vice-présidents. Les communes plus peuplées, concernées par les dispositions relatives à la parité sont, quant à elles, regroupées au sein d'intercommunalités composées d'un plus faible nombre d'entités. Toutefois, l'application des mesures de parité dans la constitution des listes n'est pas suffisante pour assurer une représentation paritaire des maires sur l'ensemble de ces communes.
Ce premier écueil se double d'un problème politique. Laurence Cohen et Maryvonne Blondin, qui ont aussi participé aux débats lors de l'examen, en 2013, des dispositions légales sur l'élection des conseillers départementaux7(*), se souviennent sans doute de certains propos alors tenus dans l'hémicycle. Qui appelait à voter pour des dispositions paritaires temporaires demandant à être réexaminés à l'aulne des compétences dont les femmes élues auraient fait preuve dans l'exercice de leur mandat. Qui proposait d'instituer une bien singulière parité, réduite à une représentation des femmes cantonnée à 30 %...
Bref, nous avons assisté à un concours Lépine des meilleurs idées pour contourner l'application d'une représentation paritaire dans les conseils départementaux !
Je m'interroge donc sur notre capacité à faire adopter cette proposition de loi de la délégation aux droits des femmes par le Sénat, même si j'y suis favorable. Qui d'entre nous peut assurer que son groupe politique consentira à céder sa niche pour permettre d'en débattre ? Par ailleurs, même si les travaux de la délégation sont examinés de manière sereine et consensuelle, je n'ai pas retrouvé lors de certains votes et débats dans l'hémicycle le même soutien affiché pendant nos réunions plénières. Je me suis parfois sentie bien seule pour affronter les interventions d'opposants à nos thèses ! Nous en avons eu un exemple récemment...
Des élections sénatoriales vont se dérouler en 2020 : il ne faudrait pas que les adversaires de notre proposition de loi se posent en défenseurs des petites communes que les auteures de la proposition de loi auraient malmenées !
Les débats animés sur l'élection des conseils départementaux, dont je parlais tout à l'heure, ont bien montré que les dispositions visant à instituer la parité ne sont vraiment acceptées qu'une fois votées. En témoignent les anciens adversaires de l'introduction de dispositions paritaires pour l'élection des conseillers départementaux : ils reconnaissent désormais qu'elles ont changé les choses et ne songent aucunement à suggérer que l'on revienne sur ces mesures.
Nous devons donc être certains que cette proposition de loi puisse être adoptée par le Sénat avant les élections sénatoriales, sinon elle se retournera contre les audacieux - ou plutôt les audacieuses - qui l'auront portée, au grand bénéfice des collègues raisonnables, qui se seront érigés en protecteurs des petites communes.
J'en suis à ce stade de ma réflexion. Je vous la livre à titre personnel, indépendamment de la décision que mon groupe est susceptible de prendre sur ces questions.
Mme Christine Prunaud. - L'accroissement de la représentation des femmes dans les intercommunalités procédera d'une volonté politique des communes ; il faut donc présenter cette proposition de loi, en augmentant toutefois le seuil proposé de 50 habitants et argumenter pour la défendre.
Mme Marta de Cidrac. - Je souscris à l'analyse de Laurence Rossignol présentant l'enjeu de la place des femmes au sein des intercommunalités comme prioritaire. Le combat sera difficile, ce qui appelle à conduire une réflexion pour que ceux d'entre nous, renouvelables aux élections sénatoriales de 2020, ne soient pas pénalisés.
Le bureau de l'intercommunalité à laquelle j'appartiens compte dix-huit hommes pour deux femmes. Je vous laisse donc imaginer la place réservée aux femmes au sein des organes de l'intercommunalité ! Quant au mécanisme proposé pour y promouvoir les femmes, il pourrait s'agir de préciser que le représentant de la commune au sein de l'intercommunalité soit le premier adjoint, celui-ci et le maire devant être de sexes différents.
Mme Marie-Pierre Monier. - La Drôme compte 56 % de communes de moins de 500 habitants. La représentation des petites communes au sein d'une intercommunalité est déjà un sujet en soi, auquel vient se greffer celui de la représentation des femmes dans les organes de l'intercommunalité, sachant que peu de femmes sont maires. Remédier à ce problème demandera un long travail.
Mme Maryvonne Blondin. - Je complète mes propos précédents en précisant que 31 communes (11 %) de mon département du Finistère ont moins de 500 habitants et aucune moins de 50 habitants.
Mme Annick Billon, présidente. - Quel que soit le contenu d'une éventuelle proposition de loi, il faut toutefois s'attendre à rencontrer des réticences, l'adhésion totale de nos groupes respectifs sur ce sujet étant loin d'être acquise.
À la lumière de vos remarques, plus nuancées que celles qui avaient émergé de nos échanges du 22 janvier, le sujet des intercommunalités pose problème, notamment dans celles qui regroupent un grand nombre de petites communes représentées seulement par des hommes et où il est donc difficile d'imposer la parité.
Comme l'urgence de cette proposition est relative, je suggère que nous nous donnions le temps de la réflexion.
J'ai noté votre volonté d'avancer sur ce sujet où la délégation est dans son rôle, d'autant que l'AMF et l'AdCF défendent aussi les dispositions proposées ce matin. Toutefois, des élus qui ont longtemps siégé au sein de ces instances semblent estimer que cette position ne serait pas unanimement partagée en leur sein.
Mme Laurence Rossignol. - Je profite de cette réunion pour vous informer que j'ai invité au Sénat, en salle Clemenceau, trois associations à l'occasion du 8 mars : l'Assemblée des femmes, dont j'assure désormais la présidence, Femmes solidaires et les ateliers du féminisme populaire, dans le cadre d'un forum ouvert au public sur le thème « le grand débat des femmes des banlieues, des villes, des campagnes et des ronds-points ». Cette initiative s'inscrit dans le Grand débat national, en donnant la parole aux femmes qui y sont invisibles. À cette occasion sera diffusé le film « On nous appelait beurettes ». Les sujets de la précarité, des violences économiques, de la pauvreté, de l'isolement mais aussi d'émancipation seront débattus.
Mme Maryvonne Blondin. - Je voudrais porter à votre connaissance que l'Union interparlementaire (UIP) et l'Assemblée du Conseil de l'Europe (APCE) ont publié un très intéressant bulletin thématique « Sexisme, harcèlement et violence à l'égard des femmes dans les parlements d'Europe» qui analyse le phénomène, ses causes, les facteurs de risque et les conséquences.
Mme Annick Billon, présidente. - Je remercie Laurence Rossignol de son invitation. Je vous rappelle que la délégation aux droits des femmes organise quant à elle, le 20 février, un colloque commun avec la délégation à l'outre-mer, dans le cadre du 8 mars.
* 1 Son audition initialement programmée le jeudi 31 janvier 2019 a dû être reportée.
* 2 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
* 3 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.
* 4 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
* 5 Le Conseil constitutionnel a estimé que la « tradition républicaine en vertu de laquelle les règles électorales ne pourraient être modifiées dans l'année qui précède un scrutin et, a fortiori, lorsque le processus électoral a débuté » ne saurait être invoquée, que « cette tradition [n'a pas] donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République » et que « diverses lois antérieures ont, au contraire, modifié les règles électorales dans l'année précédant le scrutin ». Il a donc jugé ce grief « inopérant ».
NB : l'objectif de la loi n° 2008-175 du 26 février 2008 déférée était, à la suite de la loi n° 2007-128 d 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, qui avait dans son article 4 institué pour l'élection au conseil général un « ticket paritaire », d'éviter le recours à des élections partielles afin de remplacer un parlementaire démissionnaire pour cause de cumul des mandats d'élections partielles qui suit directement un renouvellement général sera limité. Elle prévoyait pour ce faire d'étendre les cas de remplacement du conseiller général titulaire par le suppléant d'un autre sexe aux cas de démission pour cause de cumul lorsqu'est concerné un député ou un sénateur.
* 6 Ce risque est même certain pour les toutes petites communes : sachant que tout conseil municipal doit compter au moins 7 membres (dont au moins trois doivent résider dans la commune) et que plusieurs dizaines de communes comptent moins de 20 voire moins de 10 habitants (22 communes de moins de 10 habitants selon le site service-public), on peut s'attendre à ce que la constitution de listes « 4 + 3 », et à plus forte raison de deux listes, soit irréalisable malgré la meilleure volonté des initiateurs.
* 7 Loi organique n° 2013-402 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.