Mercredi 23 janvier 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de pacte finance-climat européen - Audition conjointe de MM. Jean Jouzel et Pierre Larrouturou
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Jean Jouzel, climatologue et ancien vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), que notre commission connaît bien, et M. Pierre Larrouturou, ingénieur agronome de formation et fondateur du mouvement Nouvelle Donne, au sujet de leur proposition de pacte finance-climat européen.
Faisant le constat que, partout en Europe, la transition écologique bute sur des questions de financement, vous avez lancé en décembre 2017 un appel demandant aux chefs d'État et de gouvernement européens de négocier le plus rapidement possible un pacte finance-climat « qui assurerait pendant 30 ans des financements à la hauteur des enjeux pour financer la transition énergétique sur le territoire européen et mettre la finance au service du climat et de l'emploi ».
Ce pacte permettrait de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne d'ici 2050. Pour y parvenir, deux outils sont proposés : d'une part, la mise en place d'une banque européenne du climat qui accorderait des prêts à taux zéro aux pays signataires du pacte, qui s'apparenterait à un nouveau traité ; d'autre part, la négociation d'un budget européen sur le climat, doté de 100 milliards d'euros par an financés par une taxe sur les bénéfices, dont 40 milliards d'euros pour un « plan Marshall pour l'Afrique », 10 milliards d'euros pour un grand plan de recherche et 50 milliards d'euros pour financer la lutte contre le dérèglement climatique à l'échelle des citoyens et des entreprises.
Nous souhaiterions, messieurs, que vous nous présentiez ce plan plus en détail. Comment fonctionnerait-il effectivement ? Comment serait-il mis en oeuvre au niveau de chaque État membre ? Comment - c'est le nerf de la guerre... - serait-il financé ?
Ce pacte est d'ores et déjà soutenu par de nombreuses personnalités, comme Pascal Lamy, Romano Prodi, Alain Juppé, ou Edgar Morin, entre autres. Où en sont vos contacts avec les différents pays européens ? Ce projet a-t-il une chance d'aboutir ?
Au-delà de ce pacte, je voudrais vous interroger sur la situation d'urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons - Valérie Masson-Delmotte nous disait en octobre dernier, après la parution du rapport du GIEC, que cette urgence était plus réelle que jamais. Jérôme Bignon, Guillaume Chevrollier, Guillaume Gontard, Angèle Préville et moi-même nous sommes rendus à Katowice pour participer à la COP 24 en décembre dernier : l'ambiance y était plutôt morose...
Je souhaiterais enfin avoir le sentiment de M. Larrouturou, qui en est membre, sur le Haut Conseil pour le climat, installé le 27 novembre 2018 à l'initiative du Président de la République : que peut-on en attendre ?
M. Jean Jouzel. - Merci, monsieur le président, pour votre invitation.
Je serai rapide sur la réalité du réchauffement climatique. Les quatre dernières années ont été les plus chaudes depuis 150 ans - 2018 est à peu près au niveau de 2015. Ce n'est pas une surprise puisque la quantité de CO2 a augmenté de 40 % depuis 200 ans, modifiant la composition de l'atmosphère et accroissant de ce fait l'effet de serre. En augmentant le chauffage de 1 %, sans surprise, la température augmente dans l'atmosphère et, surtout, dans les océans, qui captent 90 % de cette chaleur supplémentaire. D'où l'élévation du niveau de la mer, due à la dilatation de l'eau et à la fonte des glaces - du Groenland et de l'Antarctique surtout, depuis une vingtaine d'années.
Ce réchauffement est sans équivoque, telle est la conclusion du cinquième rapport du GIEC. Il est pour l'essentiel lié aux activités humaines, c'est très clair. Les variations naturelles ne pourraient expliquer qu'un dixième de degré d'augmentation. Sans surprise, plus nous émettrons de gaz à effet de serre, plus le réchauffement sera important. Si rien n'était fait pour lutter contre, si le réchauffement moyen atteignait 5 degrés à la fin du siècle - un peu plus dans l'arctique, un peu moins dans les océans -, les conséquences seraient très graves.
Avec un tel réchauffement, cinquante fois plus rapide que le dernier réchauffement naturel que nous ayons connu, le climat ne serait pas stabilisé à la fin du siècle. Vous en connaissez les conséquences : acidification des océans menaçant les récifs coralliens, réfugiés climatiques, problèmes de sécurité alimentaire, de santé et d'environnement, pertes de biodiversité, modification des écosystèmes, pollution... Certains phénomènes sont irréversibles, comme l'élévation du niveau de la mer, qui pourrait atteindre un mètre d'ici la fin du siècle - 50 centimètres au moins, dans notre scénario sobre. Les étés, qui étaient en 2003 de 3 degrés plus chauds qu'au milieu du XXe siècle, seraient 6 à 8 degrés plus chauds à la fin du siècle que les étés de référence du XXe siècle.
C'est donc un monde très différent de celui d'aujourd'hui qui se profile. La sécheresse s'accroîtrait sur le pourtour méditerranéen tandis que les précipitations augmenteraient dans le nord de l'Europe, accroissant la tension sur les ressources en eau, entraînant des risques d'inondations, de feux de forêt - risque critique sur l'ouest et le centre de la France -, et de réfugiés climatiques. Un Européen sur vingt connaît aujourd'hui un événement climatique extrême ; selon le scénario émetteur, ils seront deux sur trois dans la seconde partie de ce siècle à subir de tels événements - des canicules, en particulier. Les décès annuels liés aux événements climatiques seraient multipliés par cinquante, passant de 3 000 à 150 000 - certaines années sont certes exceptionnelles, comme 2003, au cours de laquelle 75 000 personnes sont mortes...
Tous les décideurs politiques en sont convaincus : il faut suivre le scénario sobre, qui repose sur les hypothèses inscrites dans l'accord de Paris, à savoir maintenir le réchauffement climatique à long terme bien en-deçà de 2 degrés, voire de 1,5 degré. Le dernier rapport du GIEC en rappelle l'urgence, car à chaque niveau de stabilisation est associée une quantité de dioxyde de carbone pouvant encore être émise. Au rythme actuel, il faudrait quinze à vingt ans pour atteindre les 2 degrés supplémentaires, dix à quinze ans pour atteindre 1,5 degré ; nous devons donc impérativement changer de mode de développement. Pour vous donner une idée du changement de société nécessaire, il faudrait pour viser la cible d'1,5 degré laisser intactes 90 % des réserves d'énergie fossile.
Le rapport du GIEC insiste encore sur la différence de conséquences d'une hausse de 1,5 degré plutôt que de 2 degrés, les vagues de chaleur étant deux fois plus intenses que les augmentations moyennes de température. À 2 degrés, nous subirions des pluies plus intenses, une diminution plus forte de la productivité agricole et des ressources halieutiques, ce qui entraînerait des problèmes de sécurité alimentaire, les récifs coralliens disparaîtraient complètement - alors qu'on pourrait espérer en sauver un tiers à 1,5 degré - et le niveau de la mer, 10 centimètres plus haut qu'à 1,5 degré, menacerait 10 millions d'habitants supplémentaires.
D'autres chiffres encore illustrent l'urgence : nous émettons 52 milliards de tonnes de CO2 chaque année. Si rien n'était fait, nous irions vers 65 milliards de tonnes en 2030. Avec l'accord de Paris, nous allons, au mieux, si tous les pays signataires respectent leurs engagements, vers 55 milliards de tonnes, mais nous sommes probablement loin du compte. Pour avoir une chance de rester sur la trajectoire des 2 degrés, il faudrait passer à 40 milliards de tonnes en 2030 et en deçà de 30 milliards pour atteindre l'objectif d'un plafond à 1,5 degré, seuil sensé pour le climatologue. Or, actuellement, la trajectoire nous emmène au-delà de trois degrés. Ce ne sont pas seulement les générations futures qui en subiront les conséquences, mais d'abord les jeunes d'aujourd'hui ! Si nous voulons atteindre l'objectif de 1,5 degré, il faut viser la neutralité carbone en 2050 et développer les émissions négatives, c'est-à-dire les pièges à CO2 - avec tous les problèmes de compétition énergétique et alimentaire associés. La meilleure façon de procéder reste de ne pas émettre de gaz carbonique.
M. Pierre Larrouturou. - Merci, monsieur le président, de votre invitation. Jean Jouzel l'a dit : il y a urgence. Jean-Pierre Raffarin, en 2003, avait déjà engagé la France sur la voie du facteur 4, voté à l'unanimité au Parlement. Nous étions alors tous d'accord pour diminuer par quatre nos émissions de CO2 à horizon 2050. L'objectif consensuel est de diminuer nos émissions de 3 % chaque année, régulièrement, afin de rester sur la bonne voie, et non d'attendre un sursaut à l'approche de la date fatidique de 2050. La Cour des comptes européenne a publié un rapport assez amusant, quoique au vitriol, dans lequel elle se dit lassée des scénarios qui se terminent toujours bien en 2050 grâce au miracle survenu en 2048 ! Si nous dépassons les 2 degrés, compte tenu des cercles vicieux qui se mettent en place - fonte des glaces, donc diminution de la surface blanche renvoyant la chaleur, donc décongélation du pergélisol dégageant du méthane, etc. -, il sera très compliqué d'arrêter le processus, nous disent les scientifiques : nous serons déjà au milieu du toboggan !
L'objectif de réduction de nos émissions de 3 % par an est-il tenu ? Non, selon le dernier bilan, elles ont même augmenté de 3,2 %. C'est catastrophique ! Certains pensent que nous allons un peu trop lentement dans le bon sens ; ils se trompent, même si plein de choses bougent, notamment sur les territoires, car nous allons en réalité dans le mauvais sens ! Et c'est ainsi dans toute l'Europe. Et tout le monde s'en fiche, la routine continue, chaque catastrophe climatique faisant couler quelques larmes de crocodile. C'est aussi pour cette raison que Nicolas Hulot a démissionné !
Avant de vous montrer, comme économiste, comment financer un vrai plan Marshall pour gagner la bataille, en s'appuyant sur ce que disent la Cour des comptes et d'autres experts, voyons ce que nous coûte notre inaction. Les calculs des sociétés d'assurance, qui se réassurent elles-mêmes pour ne pas faire faillite en cas de catastrophe - inondations, feux de forêt, etc. - permettent de l'illustrer : le nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont des conséquences financières a été multiplié par 2,5 en 30 ans. La photographie est assez nette, même si elle reste floue sur la souffrance des femmes et des hommes des pays du Sud, qui sont très mal assurés, et même si le climat n'est pas seul en cause - il faudrait certes aussi moins construire en zone dangereuse. Le coeur du problème reste le nombre d'événements climatiques extrêmes, dont le nombre et la gravité augmentent.
Jean Jouzel a raison : ce ne sont pas d'abord les générations futures mais nos propres enfants qui sont concernés. Il y a deux ans, les inondations survenues en Île-de-France étaient amusantes pour les Parisiens, qui regardaient la Seine sortir de son lit, mais terribles pour les producteurs de blé français et belges, dont la récolte a baissé de 31 % cette année-là. Heureusement que l'Ukraine, deuxième grenier à blé de l'Europe, a connu de très bonnes récoltes, car si elle avait subi les mêmes pertes, nous aurions des tickets de rationnement ! À l'heure d'internet, nous avons tendance à croire que tout vient en un clic, mais il faut bien voir que notre stock de céréales est inférieur au tiers de notre consommation annuelle. Aux parlementaires aussi de veiller à notre sécurité alimentaire...
C'est dans les pays du Sud que les enjeux sont les plus importants. Je reviens d'ailleurs de Bamako, où j'en ai pris plein la tête... Là-bas, ils parlent du sida climatique, alors que le vrai sida, qui fait des milliers de morts, ils savent ce que c'est ! L'ONU nous annonce 150 millions de réfugiés climatiques dans les 30 ans qui viennent, dont 90 millions qui devront quitter l'Afrique pour survivre. Ce n'est pas un hasard si le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix : c'est en effet assez rapidement la paix mondiale qui sera en jeu. Comment l'Europe accueillera-t-elle ces 90 millions de réfugiés climatiques de façon fraternelle, intelligente, démocratique et non violente ?
Repérons pour commencer la source des émissions de CO2. En France, le transport est le premier secteur émetteur : nous avons beaucoup trop de camions sur les routes, notre alimentation parcourt trop de kilomètres avant d'arriver dans l'assiette, nous utilisons trop la voiture et nos voitures, trop lourdes, consomment trop. Vient ensuite l'industrie, puis l'agriculture et l'habitat - Nicolas Hulot voulait ainsi mobiliser 7 milliards d'euros chaque année pour isoler les bâtiments, en commençant par les plus précaires, ce qui devait favoriser l'emploi dans nos villages. Nous connaissons également les cercles vicieux à l'oeuvre. À présent, il est temps d'y aller, n'ayons pas peur du chantier ! Lorsque les parlementaires ont voté l'école pour tous, d'aucuns y ont vu une folie ou estimé que nous n'en avions pas les moyens. En vingt ans pourtant, dans un pays beaucoup moins riche qu'aujourd'hui, tous les villages de France ont été dotés d'une école de filles, d'une école de garçons et d'une maison des maîtres. Quand Kennedy annonce un voyage sur la Lune, certains le croient dingue ; le projet est pourtant concrétisé sept ans plus tard, créant 400 000 emplois et des retombées technologiques bénéfiques au pays tout entier !
Si l'on prend le taureau par les cornes, nous créerons des emplois massivement sur tout le territoire. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) et l'Association des petites villes de France (APVF) nous soutiennent d'ailleurs activement car, s'ils voient bien les problèmes de canicule, de sécheresse et d'accès à l'eau, ils voient aussi les perspectives de création d'emplois ouvertes par l'isolation des bâtiments et l'espoir de repeuplement que fait naître le travail à distance, qui n'exige pas de prendre sa voiture... L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) nous soutient également, qui juge notre projet solide et estime que nous pourrions créer 800 000 emplois ; dans un pays qui compte 4 millions de chômeurs et dans lequel la croissance ralentit, c'est plutôt une bonne nouvelle !
Le nerf de la guerre est en effet l'argent. Une partie de la solution est à rechercher au niveau européen. En Allemagne, le gouvernement se déchire sur les réseaux sociaux : Peter Altmaier, qui doit défendre un projet de loi sur l'efficacité énergétique en février mais ne sait pas encore comment le financer, a envisagé d'en réduire les ambitions ; la ministre de l'environnement l'a exhorté sur Twitter à ne pas baisser les bras ! La Fédération allemande de l'industrie, coeur du patronat allemand, a remis un rapport à Angela Merkel estimant que nous n'avions pas d'autre choix que de réussir la transition écologique, qui peut être une opportunité de créer des emplois, innover et prendre le leadership dans certains secteurs. Cela exigerait, toujours selon le patronat allemand, 50 milliards d'euros chaque année, 1 500 milliards sur 30 ans. La chancelière ne sait pas où les trouver... Aux Pays-Bas, même scénario : alors que l'État a été condamné par la justice pour son inaction, le Premier ministre Mark Rutte a avoué ne pas savoir comment financer l'isolation des bâtiments ou la construction de nouvelles digues. La Cour des comptes européenne estime à 1 115 milliards d'euros les besoins de financement annuels dès 2021. Ce chiffre est intéressant car il condamne deux utopies : celle qui compte sur des financements entièrement publics et celle qui compte sur des financements entièrement privés. Il nous faut des financements mixtes, et inventer de nouveaux outils.
Souvenez-vous que, pour sauver les banques, en 2008, la Banque centrale européenne (BCE) a mis 1 000 milliards d'euros sur la table en quelques jours, et la Réserve fédérale américaine 2 000 milliards - et heureusement qu'elles l'ont fait. À l'époque, Michel Rocard, Jean Jouzel et moi-même disions qu'il fallait faire pareil pour sauver le climat et créer des emplois. Certains nos soutenaient, d'autres disaient que la BCE ne l'accepterait jamais. En 2014, un tabou a été brisé lorsque la BCE a décidé de mettre à nouveau sur la table 1 000 milliards d'euros au moyen de ce que l'on a appelé le quantitative easing - c'est le mot chic pour désigner la planche à billets de notre enfance, ce qu'ignorent même de hauts responsables à Matignon à qui, semble-t-il, nous l'avons appris... En plus du quantitative easing, la BCE conduit parfois des targeted long term refinancing operations : le quotidien Les Échos, en mars 2017, nous informait qu'en une seule journée, la BCE avait ainsi créé et prêté aux banques 233 milliards d'euros à taux négatif ! Vous êtes, j'imagine, quelques-uns à passer des nuits blanches chaque année à déplacer quelques millions d'euros pour équilibrer votre budget local, et voilà que, sans aucun débat démocratique, la BCE octroie 233 milliards d'euros aux banques !
Nous pouvons démontrer, grâce à des agents de la BCE et de la Banque européenne d'investissement (BEI) qui n'ont pas le droit d'apparaître dans le débat public mais qui nous aident à y voir plus clair, qu'au total 2 600 milliards ont été créés par la BCE depuis avril 2015. Où est allé cet argent ? D'après les statistiques, 11 % sont allés vers l'économie réelle, via des prêts aux ménages et aux collectivités ; les 89 % restants sont allés aux marchés financiers. La dernière fois qu'une crise financière est survenue, le Dow Jones était à 14 000 points ; il est à présent à 26 000 points ! Tandis que Donald Trump exulte, le Fonds monétaire international (FMI) et sa présidente Christine Lagarde sonnent l'alerte tous les mois, craignant une crise plus grave, plus rapide, plus générale qu'en 2008. Les Échos ont repris une phrase du dernier rapport du FMI indiquant qu'une nouvelle crise pourrait provoquer dix fois plus de dégâts qu'il y a dix ans. Sommes-nous des homo sapiens sapiens ou des homo debilus debilus ? Voilà trente ans que le GIEC nous alerte, l'Ademe souligne le potentiel de création d'emplois dans les territoires, nous savons en lisant les journaux que les liquidités n'ont jamais été aussi abondantes, mais nous restons comme des lapins pris dans les phares d'une nouvelle crise mondiale, doublée par le chaos climatique !
Or, il n'est pas trop tard pour réagir. Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui s'accordent pour prédire la fin de l'Europe à défaut d'une nouvelle vision, ont dit leur volonté de signer de nouveaux traités. Nous estimons que, née avec la mise en commun du charbon et de l'acier, l'Europe pourrait renaître avec un traité relatif au climat et à l'emploi. Le sommet du mois de décembre devait être le lieu des décisions historiques ; elles sont à présent repoussées au sommet de mars-avril...
Le traité que nous proposons contient deux outils. D'abord, la mise au service du bien commun et de la création d'emplois de la création monétaire. Il s'agit concrètement non de toucher à la BCE mais de créer une banque du climat, filiale de la Banque européenne d'investissement, chargée de financer les territoires des États membres à taux zéro, à hauteur de 2 % de leur PIB. Notre livre est postfacé par Philippe Maystadt, sorte de Raymond Barre belge, ancien ministre des finances qui a mis de l'ordre dans les comptes de la Belgique et ancien patron de la Banque européenne d'investissement. Le chiffre de 2 % vient des travaux de Lord Nicholas Stern, auteur du fameux rapport remis au Parlement britannique qui estime à ce niveau l'enveloppe à consacrer à la transition écologique en plus des mécanismes existants.
Pour la France, cela équivaut à 45 milliards d'euros. L'important est d'en garantir la pérennité, car ce qui tue toute action, dans le bâtiment par exemple, c'est l'instabilité : les aides publiques à la rénovation, modifiées tous les ans, concernent une année les portes, l'année suivante les fenêtres, etc. Pareil pour l'agriculture : alors qu'il n'y a plus aucun climato-sceptique parmi les agriculteurs, c'est de stabilité des aides que le secteur a besoin. Le président de la Fédération française du bâtiment, Jacques Chanut, ne dit pas autre chose, qui insiste sur le besoin de stabilité des financements pour garantir des recrutements. Garantir financements et stabilité : voilà l'objet du traité.
Les responsables de la BEI et du Bundestag que nous avons rencontrés nous ont dit que ce premier outil pouvait être mis en place en moins d'un an. Quand le mur de Berlin est tombé, il a suffi de six mois pour que Helmut Kohl et François Mitterrand mettent en place un outil nouveau pour financer la transition - elle n'était certes pas écologique, à l'époque -, qui a été la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).
Deuxième outil : un budget climat. Les prêts à taux zéro, c'est très bien, mais l'école n'a pas été rendue gratuite par des prêts à taux zéro aux parents d'élèves : on l'a déclarée gratuite une semaine avant de la rendre obligatoire. On ne peut certes pas tout rendre gratuit, mais pour accélérer la dynamique, un budget climat s'impose, comme il existe un budget éducation ou un budget défense. Un tel budget aurait trois grands volets : d'abord, un plan Marshall pour l'Afrique, à défaut de quoi le continent se disloquera. La plupart des Africains veulent élever leur niveau de vie, mais si cela signifie consommer davantage de fioul et de pétrole, nous sommes tous fichus. Les compétences existent en Afrique, dans la biomasse, le photovoltaïque ou l'éolien, ne manquent que les investissements. Voilà 18 mois qu'Angela Merkel a annoncé un tel plan Marshall pour l'Afrique, mais n'ont pas encore été trouvés 10 % des financements nécessaires... Nous proposons que l'Europe y pourvoie, ce qui suppose des relations financières renouvelées avec les pays d'Afrique.
Un deuxième volet de ce budget flécherait 10 milliards d'euros vers la recherche. L'Europe a consacré des milliards à Airbus, et ce fut un succès ; des milliards pour Ariane, et ce fut un succès ; des milliards pour chercher le boson de Higgs, et nous l'avons trouvé, après avoir inventé en chemin - on l'oublie souvent - internet et les écrans tactiles. L'Europe se donne-t-elle les moyens d'inventer dans quinze ans une voiture ou un ordinateur qui consomment moins ? Michel Spiro, ancien patron de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), nous soutient et estime que créer un vrai plan européen de recherche pour régler les questions climatiques aurait de l'allure... Troisième volet de ce budget climat : 50 milliards d'euros consacrés à l'aide aux travaux d'isolation, afin de diviser par deux toutes les factures qui s'y rapportent.
Emmanuel Macron disait à la Sorbonne vouloir une ambition pour l'Europe et un budget de plusieurs centaines de milliards d'euros. Nous répondons : chiche, c'est ce qu'il faut pour le climat ! Comment les trouver sans braquer des millions d'Européens ? La meilleure solution est celle que Jacques Delors a mise sur la table il y a trente ans, et que Mario Monti a reprise il y a deux ans : mettre fin à la concurrence fiscale. Depuis que le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne s'est engagée une course au plus faible impôt sur les bénéfices. Les bénéfices n'ont jamais été aussi élevés qu'aujourd'hui, mais chaque pays en abaisse le taux d'imposition pour doubler son voisin ! Le journal Ouest-France a montré que les États américains faisaient de même jusqu'à ce que Roosevelt ne crée en 1933 un impôt fédéral, dont le taux est resté stable, à 38 %, jusqu'à ce que Donald Trump le porte à 24 %... Le comble, c'est qu'il soit tombé à 19 % en Europe ! D'autant que le FMI nous alerte sur le fait que les bénéfices, loin d'être réinvestis, repartent vers les marchés financiers. Nous proposons, et Jean-Pierre Raffarin nous soutient, un impôt sur les bénéfices de 5 % en moyenne, ce qui serait une bonne chose sur le plan macroéconomique et permettrait de diviser par deux les factures des travaux d'isolation. Les gens feraient ainsi des économies, rembourseraient leur prêt à taux zéro sur dix ou quinze ans, et nous créerions entre 700 000 et 900 000 emplois sur les territoires !
(Mmes les sénatrices et MM. les sénateurs applaudissent.)
M. Hervé Maurey, président. - Merci pour cette présentation complète et pédagogique. Je donne la parole à Jérôme Bignon, qui préside notre groupe de travail sur le climat.
M. Jérôme Bignon. - J'avais lu la tribune de MM. Jouzel et Larrouturou dans la presse en décembre. Curieux de savoir quelle position prendrait le Gouvernement à la suite de la COP 24, j'ai interrogé Mme Brune Poirson lors d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement. Si elle ne s'est pas prononcée sur vos propositions, elle s'est dite convaincue que le système financier devait soutenir plus massivement les projets bons pour la planète. Où en êtes-vous de vos échanges avec le Gouvernement ? Comment les parlementaires que nous sommes peuvent-ils vous aider, en lien peut-être avec nos homologues étrangers ?
M. Jean Jouzel. - Mme Poirson est effectivement très décidée à engager le secteur financier dans le financement de la transition climatique.
M. Pierre Larrouturou. - Nous avons été reçus huit fois à l'Élysée, la ministre Mme Nathalie Loiseau a fait un discours très favorable à nos propositions et le fait que j'aie été nommé au Haut Conseil pour le climat indique que nous sommes dans le paysage... Pour autant, depuis quinze mois, rien de concret n'a été fait, et la fenêtre pour faire bouger les choses ne cesse de se rétrécir.
Oui, la dynamique parlementaire est importante. Nous avons été auditionnés par les commissions du développement durable et des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et nous avons passé la semaine dernière la barre des 200 députés qui nous soutiennent officiellement. J'ignore si un vote est possible. Il faut en tout cas pousser Mme Merkel et M. Macron à l'audace. Le président du gouvernement espagnol M. Sanchez nous soutient - je me suis rendu deux fois à Madrid. Nous recevons de nombreux témoignages de soutien, du Bundestag comme du gouvernement allemand ou encore de Bruxelles. Le Conseil économique et social européen, qui nous a auditionnés et a publié un rapport officiel soutenant nos propositions, m'a invité à Katowice, où les syndicats et le patronat européen ont à leur tour témoigné leur approbation... À présent, encourageons le courage et l'audace ! Un vote en ce sens serait assurément très utile.
M. Hervé Maurey, président. - Concrétiser une ambition au niveau européen est toujours long et compliqué. On le voit aussi sur la taxation des GAFA par exemple : le Gouvernement, qui n'arrive à rien à cette échelle, est tenté d'agir seul. Le problème de l'Europe, c'est que chacun se rassure en se comparant, et attend son voisin pour faire un geste. Il est temps d'être moteur. J'ignore si cela doit passer par une proposition de résolution, ainsi que Jérôme Bignon l'a défendu dans notre assemblée au moment de la COP 21 ; ce pourrait sans doute être une manière de créer un effet d'entraînement.
M. Joël Bigot. - Je remercie les deux intervenants pour la qualité de leur propos et ces piqûres de rappel... Pour faire émerger une société nouvelle, plus équilibrée, plus sobre en énergie, il faut une volonté politique et un soutien financier, vous l'avez dit. N'oublions pas le changement des comportements, indispensable pour arriver à quelque chose de durable.
L'Ademe estime que la rénovation énergétique pourrait créer 800 000 emplois. Pour l'heure, aucun pays n'arrive à lutter efficacement contre le changement climatique. La COP 24 a peiné à accoucher d'un communiqué final, qui n'a été produit que par consensus et qui reste muet sur la soutenabilité des investissements à long terme pour les rénovations liées à la transition énergétique. C'est dire les difficultés qui restent à surmonter.
Vous proposez la création d'une banque et d'une politique européenne : ce sont de beaux sujets pour les élections qui se profilent... Car nous sommes dans des sociétés démocratiques : pas assez sans doute d'après ceux qui sont revêtus de jaune sur les ronds-points, mais c'est un mode de gouvernance qui semble donner satisfaction aux autres. Que faire si certains pays ne veulent pas s'engager ou font marche arrière ?
M. Pierre Larrouturou. - Nous n'aurons sans doute pas l'unanimité mais, selon le conseiller politique de Pedro Sanchez, nous pourrons rassembler treize ou quatorze pays. Le climat est en réalité le meilleur sujet pour débloquer les négociations européennes. Sept ou huit pays du nord de l'Europe, conduits par les Pays-Bas, ont rédigé un courrier assez violent pour s'opposer au grand budget défendu par M. Macron et dénoncer la mainmise du couple franco-allemand sur les décisions qui engagent le continent. Le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, qui sera sans doute le prochain président de la BCE et dont la voix compte beaucoup en Allemagne, ne cesse de dire son opposition au projet de refondation de l'Europe de M. Macron, mais appelle à avancer sur les chantiers qui peuvent être achevés au seul niveau européen, comme la protection de l'environnement et des frontières qui, eux, pourraient nécessiter un budget commun et un transfert de compétences. Beaucoup d'autres pays européens sont sur cette ligne.
Nous avons, avec l'aide de juristes, commencé à rédiger le traité. Nous pourrions avancer même avec un nombre réduit de pays, par accord intergouvernemental, comme nous l'avons fait pour le mécanisme européen de stabilité ou l'espace Schengen - qui a commencé entre cinq États seulement -, car une coopération renforcée exige des majorités qualifiées.
Les esprits évoluent, y compris en Pologne, où les gens en ont assez de respirer un air pollué. Si nous disons aux Polonais de fermer les centrales à charbon, la crainte d'avoir 100 000 chômeurs de plus les braquera ; si nous leur disons que des aides financeront de nouveaux emplois dans les transports en commun, le bâtiment ou l'agriculture, nous faciliterons la transition. Plus le plan sera global et financé, plus il sera facile de sortir du charbon en Allemagne ou en Pologne.
M. Rémy Pointereau. - Merci pour cette présentation et cet état des lieux. Vous avez sans doute raison d'être alarmistes, mais nous vivons une crise politique sans précédent depuis cinquante ans, qui a été déclenchée par une révolte contre la hausse de la fiscalité sur les carburants. Beaucoup de nos concitoyens ne sont en effet pas prêts à accepter une écologie punitive, qui pénalise surtout les classes moyennes et la ruralité.
Quand bien même votre plan Marshall pour l'Europe serait mis en place, les émissions de gaz à effet de serre sont pour 38 % le fait des États-Unis, 30 % celui de la Chine, 8 % celui de l'Europe, dont 15 % pour le logement et 13 % pour les véhicules. Quel impact l'effort européen, et notamment celui de la France, aurait-il au niveau mondial ? C'est important de le savoir, car les Français, je le répète, sont circonspects... Comment les convaincre et, surtout, comment convaincre la Chine et les États-Unis de participer à l'effort global ?
M. Jean Jouzel. - Les débats de Katowice et un article récent de la revue Nature ont montré que l'acceptation de la fiscalité écologique suppose réunies deux conditions : il faut un volet social, qui a fait défaut en France, et la transparence des financements. Les gens doivent savoir où va l'argent, à quoi il sert. Partout où ces conditions sont réunies, la fiscalité écologique est bien acceptée. Tant que Bercy fera office de boîte noire, rien ne marchera.
Il faut voir la transition écologique comme une dynamique positive. Les grands pays qui prendront le leadership en matière écologique seront les grands gagnants sur le plan économique. Rester accroché aux énergies fossiles, c'est aller dans le mur ! Dans dix ans, tout le monde dira qu'il fallait le faire ! Le climat que nous avons aujourd'hui, une température supérieure d'un ou deux dixièmes de degrés par décennie et une intensification des événements extrêmes, c'est celui que nous craignions il y a 30 ans. Par conséquent, prenons au sérieux les prévisions, et encourageons la transition énergétique, qui sera la source du dynamisme économique de demain.
M. Pierre Larrouturou. - Il n'y a rien de punitif dans notre projet. Lors d'un débat auquel je participais récemment en Mayenne, la salle était pleine. Étaient présents la Jeune Chambre économique française (JCEA), la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea), la Confédération paysanne, des jeunes et huit « gilets jaunes », dont l'un me filmait et retransmettait les images à 140 personnes très intéressées.
La plupart des Français comprennent les problèmes liés au climat. Quand les jeunes de la Fnsea nous invitent, ils nous disent que ce débat était inimaginable il y a 15 ans, car tous les agriculteurs étaient alors plutôt climatosceptiques ; ce n'est plus le cas aujourd'hui, mais la question qui se pose désormais est celle du financement. Une installation de biogaz dans un élevage représente 500 000 euros d'investissement, alors que la plupart des agriculteurs ne touchent même pas le SMIC... Si cette facture est divisée par deux dans le cadre d'un pacte finance-climat et si l'agriculteur peut compter sur des débouchés pendant trente ans, alors il peut s'associer avec d'autres. Cela créera de l'emploi et des revenus supplémentaires.
Voilà 50 ans, lorsque Edgard Pisani a lancé son projet de modernisation de l'agriculture française, des milliers de techniciens étaient allés sur le terrain former les paysans, et le Crédit agricole finançait la moitié du matériel. Il faut réorienter notre modèle avec la même bienveillance, en aidant les agriculteurs à échanger sur les bonnes pratiques.
La situation est mûre et les personnes qui nous soutiennent sont très diverses. Nous allons rencontrer début février des centaines de maires ruraux des quatre départements de Bretagne, qui nous ont invités parce qu'ils veulent s'engager sur ce projet. Nombre de ces maires sont très remontés contre la taxe carbone, car dans leur région il n'y a ni transport en commun, ni travail à proximité, ni dispositif pour favoriser le travail à distance. Si l'on n'investit pas dans ces trois postes, on ne peut que « braquer » les Français, d'autant plus que 40 % d'entre eux n'ont aucune épargne. La fiscalité que nous proposons, en revanche, doit conduire chacun à faire un effort, à prendre moins souvent l'avion ou sa voiture. Et si l'on crée 800 000 emplois, c'est toute l'économie qui va redémarrer.
Du point de vue géopolitique, nous savons qu'avec Donald Trump et Jair Bolsonaro nous ne pourrons jamais conclure un accord international ambitieux. Soit on attend la fin du monde, soit l'Europe, première puissance économique mondiale, cesse de se flageller et montre que l'on peut consommer moins d'énergies fossiles et créer des emplois. Même si 13 ou 14 pays seulement répondent à l'appel, on peut parier sur l'effet domino. Voyez le Japon : il a été frappé par trois catastrophes climatiques - inondations, canicule, typhon - et la Banque du Japon ne sait plus quoi faire de ses liquidités. Si l'Europe lance le modèle, je parie que les Japonais suivront, que les Chinois souhaiteront passer à la vitesse supérieure et que le successeur de Trump y réfléchira aussi. Si l'Europe et l'Afrique montrent que l'on peut vivre bien et sauver le climat, il y aura un effet de d'entraînement.
M. Hervé Maurey, président. - Les mauvaises pratiques de certains ne doivent pas justifier le non-recours aux bonnes pratiques, bien au contraire.
Les propos de M. Jouzel rejoignent ce qui a été dit lors de la table ronde que nous avons organisée il y a quelques mois : la fiscalité écologique doit être affectée à l'écologie en toute transparence. Or la mesure proposée par le Gouvernement était destinée non pas à financer la transition mais à boucher les trous du déficit budgétaire.
M. Jean-François Longeot. - Vous avez évoqué Jean-Pierre Raffarin, qui préconisait déjà en 2003 de prendre des mesures. En 2019, nous continuons à nous interroger, alors qu'il faudrait réduire nos émissions. Lorsque nous vous écoutons, nous sommes très motivés, mais après nous oublions... C'est une véritable difficulté !
S'il convient de traiter ce problème au niveau européen, il faut aussi clarifier les choses et définir qui est chef de file : l'État, les régions, les départements, les communes ?
Par ailleurs, on nous a dit il y a vingt ans qu'il fallait acheter une voiture diesel, car c'était ce qu'il y avait de mieux. Aujourd'hui, on nous dit qu'il faut acheter des voitures électriques. Qu'en sera-t-il dans vingt ans ?
M. Jean Jouzel. - Il y a vingt ans, la communauté scientifique était unanime pour dire qu'il ne fallait pas acheter de diesel.
M. Hervé Maurey, président. - Écoutons les scientifiques !
M. Éric Gold. - L'un des atouts de ce pacte étant qu'il fonctionne avec un budget propre et ne pèse donc pas sur la fiscalité des ménages, il peut aussi permettre de donner du sens à l'Europe et de lutter contre le sentiment anti-européen.
Comment faire en sorte que les TPE et les PME ne se sentent pas injustement taxées sur leurs bénéfices par rapport aux multinationales qui ont les moyens de recourir en permanence à l'optimisation fiscale ?
Une réforme fiscale au niveau européen doit être approuvée par le Parlement et par chacun des États membres. Si tous sont censés reconnaître l'urgence climatique, pensez-vous qu'ils soient prêts à franchir le pas ? Un débat est lancé sur les règles de vote au sein de l'Union européenne. Pour l'instant, c'est l'unanimité qui prévaut en matière fiscale, ce qui rend l'aventure un peu difficile.
M. Pierre Larrouturou. - Monsieur Longeot, en effet, l'heure est venue d'accoucher de la nouvelle société, car cela fait trente ans que le GIEC nous alerte. Dans les mois qui viennent, nous devons inciter nos dirigeants à faire preuve d'audace.
Je le répète, des personnes très différentes nous soutiennent. Ainsi, les élus des 49 communes de la métropole Nice Côte d'Azur ont voté un texte de soutien, et Christian Estrosi a écrit une lettre au président Macron pour lui demander de nous recevoir et de reprendre ce projet à son compte. Il faut donc veiller à ce que cette question ne passe pas à l'arrière-plan, par exemple en cas de crise financière.
Sur le plan de la fiscalité écologique, il est vrai que les PME pourraient payer moins que 5 %. On pourrait aussi lutter davantage contre l'évasion fiscale. J'ajoute que les PME recevront aussi des aides et qu'elles profiteront aussi de la création de 800 000 emplois, qui va relancer l'activité, car cela représente aussi la sortie de la précarité pour 800 000 familles.
Nous avons trouvé un moyen de contourner la règle de l'unanimité, en s'inspirant de ce qui a été fait pour le mécanisme européen de stabilité, lequel prévoit une contribution obligatoire des banques : les pays qui le souhaitent mettent en place ce mécanisme, et ceux qui ne le veulent pas n'ont pas les moyens de bloquer.
Nous proposons que ce traité soit proposé à l'ensemble des peuples d'Europe, chaque pays décidant ensuite de rejoindre ou non cette union pour le climat. Et s'ils changent d'avis trois ans plus tard, ils seront les bienvenus.
M. Guillaume Gontard. - Merci d'avoir rappelé que les mesures prises aujourd'hui sont les plus importantes. J'adhère à vos propositions.
Par quels outils pourra-t-on contraindre au fléchage des financements vers la transition énergétique et écologique ? Vous avez évoqué les 2 500 milliards d'euros injectés depuis 2015 par la BCE, dont seulement 11 % ont bénéficié à l'économie réelle... On sait aussi qu'à peine 40 % des sommes versées sur les livrets de développement durable et solidaire bénéficient au développement durable.
M. Pierre Larrouturou. - L'une de nos équipes est en train de rédiger le traité, et une autre réfléchit au mode de gouvernance. Il faut en effet un pilotage, comme le disait M. Longeot, pour accélérer l'échange de bonnes pratiques et vérifier que 100 % des fonds ont utilisés dans le bon sens. Cette question se pose en Europe et en Afrique ; il faut en parler, car il n'y a aucun tabou.
Le premier plan Marshall, qui a aidé l'Europe à se relever, correspondait aussi à un changement radical de logique : 80 % des fonds attribués par les États-Unis étaient des dons. La seule condition était l'émergence d'une coopération entre les pays. Peut-être faut-il également inciter à la coopération en Afrique, entre les pays mais aussi entre les gouvernements et la société civile.
Nous sommes preneurs de vos réflexions. Il faut montrer qu'il n'y a pas de paroi étanche entre la société civile et les élus.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Monsieur Jouzel, quelle est l'incidence du réchauffement climatique sur les températures nocturnes ?
Je me félicite du changement de discours. On a essayé de mobiliser par la peur, on le fait désormais par l'enthousiasme, et c'est très bien ; on explique que la troisième révolution industrielle est en marche et que la transition énergétique créera des emplois.
Le secteur des assurances, au niveau mondial, représente des milliards de dollars et la sinistralité, en 2018, a énormément augmenté. L'ouragan Irma a ainsi coûté environ 1,9 milliard aux assureurs. Y a-t-il là une piste de financement pour la transition écologique ?
M. Jean Jouzel. - Je me suis toujours efforcé de dire depuis une trentaine d'années qu'il y avait des solutions, sans masquer l'ampleur du problème.
Un potentiel existe dans le secteur des assurances, qui manifeste un grand intérêt pour le problème du réchauffement climatique, mais il n'y a pas d'engagement de leur part pour le moment.
Enfin, pour répondre à votre question sur les températures nocturnes, celles-ci pourront augmenter de 6 degrés en période caniculaire, et ce sans tenir compte de l'effet d'îlot de chaleur urbain.
Mme Christine Lanfranchi Dorgal. - On peut aussi mobiliser par les outils, et notamment ceux de la lutte contre l'évasion fiscale, laquelle est aujourd'hui légale.
La banque pour le climat sera-t-elle la Banque européenne d'investissement, ou bien un autre organisme ?
Enfin, la taxation des GAFAM, sur laquelle nous allons légiférer, ne pourrait-elle être complètement transparente et fléchée sur le climat ? Cela fait trente ans que l'on parle du climat et de l'évasion fiscale et rien n'a été fait, ou pas grand-chose.
M. Pierre Larrouturou. - On pourrait en effet faire davantage contre l'évasion fiscale, y compris embaucher des fonctionnaires chargés de vérifier que les entreprises payent correctement leurs impôts ; ce serait un investissement rentable.
Votre réflexion sur les GAFAM me fait penser aux propos de Vanik Berberian, président de l'association des maires ruraux de France. Si ces élus obtiennent la compensation qu'ils réclament de longue date en faveur de leurs villages, ils souhaitent que l'intégralité de ce surplus serve à financer la transition écologique.
Mme Angèle Préville. - Le constat est terrible et force est de constater que nous n'agissons pas assez vite. Même l'évolution du climat est plus rapide que nos décisions politiques...
La volonté politique est-elle suffisante dans un système où la finance chapeaute tout ? Le principe de la liberté d'entreprendre étant inscrit dans notre Constitution, cela bloque beaucoup de choses. Lorsque nous modifierons ce texte, il faudra veiller à y faire figurer la protection de l'environnement et la prise en compte du changement climatique, notamment les objectifs de développement durable.
Nous aurons besoin de l'appui de nos populations. Or, nos concitoyens sont insuffisamment sensibilisés.
Vous avez parlé du plan Marshall ; il a aussi servi à développer des marchés au bénéfice des États-Unis et a entraîné l'avènement de la société de consommation...
M. Pierre Larrouturou. - Certes, les Américains ont bénéficié de commandes en retour de ce plan ; il n'en reste pas moins qu'il a permis d'entrer dans une logique de coopération.
Je reviens sur la question relative à la banque du climat. Il y a un an, l'idée était de transformer à cet effet la BEI, puis il est ensuite apparu que ce serait compliqué. Il s'agirait désormais plutôt de créer une filiale de la BEI dotée de la note AAA, et au conseil d'administration de laquelle siègeraient les États qui le souhaitent. On pourrait ainsi prévoir huit pays actionnaires de la banque du climat.
Nous sommes nombreux à souhaiter un changement complet de société. En 1970 déjà, Jacques Delors expliquait que le produit intérieur brut (PIB) ne voulait rien dire et qu'il fallait des indicateurs sociaux - emploi correct, temps de transport, accès à la culture... Nous disons la même chose dans le rapport du GIEC depuis 30 ans. Emmanuel Macron, dans ses voeux, nous a expliqué que le capitalisme dérégulé était en train de mourir. Le pape François, qui nous a reçu au Vatican, dit qu'il faut un changement complet, que tout est lié et qu'il faut entendre le cri des pauvres et celui de la planète... Nous comprenons que ce système nous mène à la ruine, mais comment faire émerger rapidement une nouvelle société ? Il faut agir au niveau européen. Les Allemands, les Espagnols et les Hollandais aspirent à ce changement.
J'en viens à la liberté d'entreprendre. Pendant plus de trente ans, entre 1945 et 1980, on a su la concilier avec les régulations sociales grâce la Déclaration de Philadelphie, et cela fonctionnait, sans crise financière. Priorité était donnée à la justice sociale : il n'était pas possible de faire du dumping social ou fiscal. Nous avons, quant à nous, besoin de régulation sociale et écologique.
M. Jean-Marc Boyer. - Le constat est très noir : l'avenir annoncé apparaît catastrophique. L'urgence concerne la France, mais surtout les pays émetteurs de gaz à effet de serre. Quel est le bilan CO2 de nos voisins européens, de la Chine et des États-Unis ?
Vous annoncez la création de 800 000 emplois. De quel type d'emplois s'agirait-il, notamment dans nos villages ?
M. Jean Jouzel. - S'agissant des émissions de gaz à effet de serre, tous les voyants sont au rouge. Elles ont augmenté de 2 à 3 % en Chine, en Europe et aux États-Unis. Le constat est en effet très négatif. Les climatologues disent qu'il faudrait atteindre le pic des émissions en 2020 ; ce ne sera pas le cas.
M. Pierre Larrouturou. - Je veux préciser que les Allemands n'ont relancé les centrales à charbon que pendant deux ans, et ils diminuent de nouveau cette production. Ils ont conscience que l'essentiel du travail est devant eux. Ils ont l'impression que le nucléaire français veut pousser son avantage ; il faut donc avoir une négociation plus globale, si nous ne voulons pas nous fâcher avec nos meilleurs alliés.
Les créations d'emploi concerneront les secteurs du bâtiment, des énergies renouvelables, de la réparation, des transports en commun. Pour diviser par deux notre consommation d'énergie, il faut isoler tous les bâtiments publics et privés en vingt ans. C'est un chantier colossal. Le secteur privé commence à bouger : chaque semaine, Total achète une entreprise d'énergies renouvelables, parce que c'est rentable. Pour soutenir les activités moins rentables, il faudra une intervention politique et une mixité des financements.
M. Claude Bérit-Débat. - Nombre de nos citoyens sont conscients de l'urgence climatique, mais ne voyaient pas comment y faire face. Or, là, vous nous proposez des outils, auxquels je souscris.
Admettons que nous atteignions ces objectifs au niveau européen ; quel sera l'impact sur le climat à l'échelle mondiale ?
M. Jean Jouzel. - Si l'Europe seule diminuait rapidement par deux sa consommation d'énergie, l'impact ne porterait que sur 10 % des émissions globales. Ce serait donc insuffisant pour respecter l'accord de Paris.
M. Pierre Larrouturou. - Certains pays, comme le Japon et la Chine, changeront peut-être de position à cet égard, surtout si l'on taxe leurs produits à leur arrivée en Europe.
M. Christophe Priou. - On ferme aujourd'hui des centrales thermiques en France, mais lorsque l'on a besoin de sources d'énergie, par exemple dans le Grand Ouest, on est obligé d'importer de l'électricité d'Allemagne, laquelle relance ses centrales à charbon...
Le 24 octobre dernier, M. Jacques Archimbaud, président de la commission particulière chargée du débat public sur la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avait fait état devant nous de la différence entre la théorie et la pratique. Ainsi, les subventions pour les voitures électriques sont-elles insuffisantes pour nombre de Français qui voudraient changer de véhicule.
Votre discours magistral est en décalage avec la réalité. Je regrette, pour ma part, le départ de Nicolas Hulot du Gouvernement, qui était en la matière le leader le plus charismatique et le plus crédible. On voit que, dans le Grand débat national, l'environnement et l'écologie ne représentent que 11 % des préoccupations, contre 50 % pour la fiscalité. Quant à l'écologie politique, elle n'était pas représentée lors de l'élection présidentielle... Il manque donc une connexion, mais je ne sais pas laquelle !
M. Jean Jouzel. - Je regrette aussi le départ de Nicolas Hulot.
Si l'on continue de fermer les yeux, la France sera dans trois ou quatre ans inondée de voitures électriques à 10 000 euros qui viendront de Chine. Il faut baisser les prix de ces véhicules !
La voiture électrique se répandra beaucoup plus rapidement qu'on ne le pense si son coût est raisonnable.
M. Pierre Larrouturou. - Nicolas Hulot a dit hier qu'il fallait un plan Marshall pour le climat, et qu'il nous soutenait.
Pour la Bretagne, il n'y aura pas de solution sans un énorme effort d'efficacité énergétique.
De façon générale, il faut investir massivement pour améliorer la qualité de vie, réduire les dépenses de chauffage de nos concitoyens et créer des emplois.
M. Christophe Priou. - Il faudra investir dans l'orientation professionnelle, car les secteurs que vous avez cités manquent de bras.
Mme Nelly Tocqueville. - Vous avez mentionné la multiplication des contentieux et pris l'exemple des Pays-Bas. En France, il y a aussi une conscience collective du dérèglement climatique puisque la pétition « L'affaire du siècle », lancée par quatre associations, a recueilli presque 2 millions de signatures. Cette pétition assimile l'État à une personne réelle. Au niveau européen, les États sont-ils identifiés comme tels ?
Sans la mobilisation des multinationales de l'énergie, de l'agroalimentaire et du numérique, l'impact de votre démarche ne sera-t-il pas limité ?
Que pensez-vous de la réflexion de Pascal Bruckner, qui affirme dans Le Monde : « Ne nous faisons pas croire que nous allons sauver la planète » ?
M. Jean Jouzel. - Si nous ne faisons rien, nos civilisations vont se développer de façon chaotique.
M. Guillaume Chevrollier. - Face aux menaces de crise financière et de chaos climatique, il faut entraîner nos dirigeants, mais aussi les peuples. Durant votre tour de France, vous confrontez très régulièrement votre projet de pacte finance-climat à la réalité du terrain. Quelles sont les réactions des personnes que vous rencontrez ?
Quelle place occuperont les enjeux climatiques lors du débat pour les élections européennes ?
M. Pierre Larrouturou. - À Bruxelles, il y a dix jours, a eu lieu une grande manifestation rassemblant des personnes de droite, de gauche, des parents avec des poussettes et des grands-parents, des patrons et des syndicalistes. La question du climat préoccupe les gens, comme le montre aussi la pétition l'« Affaire du siècle », signée par plus de 2 millions de personnes, et peut rassembler l'Europe. Laurence Parisot et Rudy De Leeuw, le président de la Confédération européenne des syndicats (CES), qui ont des désaccords, sont ainsi heureux de faire campagne ensemble pour un traité sur le climat.
Pour répondre à Pascal Bruckner, si nous ne faisons rien, dans vingt ans, nous aurons honte ! Nous nous dirons que nous savions ce qui allait se passer, qu'il y aurait des millions de réfugiés, alors même qu'il y avait une alternative. Ce sera le chaos politique. Nos dirigeants ont donc là une belle occasion de retrouver la confiance des citoyens.
Les personnes que nous rencontrons demandent : qu'est-ce qu'on attend ? Surtout lorsqu'on fait état de la diversité de nos soutiens : Alain Juppé, Christian Estrosi, la maire de Madrid Manuela Carmena, soutenue par Podemos, le pape François, le Grand Orient de France... Et personne, ni à Bruxelles ni à Berlin, n'a trouvé de faille dans notre projet depuis quinze mois que le débat est lancé.
Nous devons inciter nos dirigeants à être audacieux, et le Sénat peut jouer à cet égard un rôle important.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Il ne manque plus que Cyril Hanouna sur la liste de vos soutiens !
Le chiffre de 3,2 % d'augmentation des émissions mondiales de CO2 en 2017 est affolant, d'autant qu'aucune décision n'a été prise pour rétablir la situation en 2018. On n'en entend pas parler !
Quelle sera la place de l'environnement et de la crise climatique dans programmation pluriannuelle européenne 2021-2027 ?
M. Jean Jouzel. - La PPE prend acte du retard de la France par rapport à sa feuille de route sur la transition énergétique. Il est dit que ce décalage se poursuivra jusqu'en 2023, et que cela ira mieux après. On prend là un risque énorme !
M. Hervé Maurey, président. - On a toujours le sentiment que l'on va rattraper les retards accumulés...
M. Jean Jouzel. - L'Europe est sensible aux problèmes d'environnement, c'est très clair. Elle vient d'afficher dans ses objectifs la neutralité carbone à l'horizon 2050. Mais entre ces objectifs et la réalité, le pas n'est pas encore franchi.
M. Olivier Jacquin. - L'économiste Eloi Laurent constate que l'on est en train de réussir la transition numérique, et que la volonté n'est pas la même pour la transition écologique ; il y a des points de blocage.
Quel est votre avis, monsieur Jouzel, sur la pétition « L'affaire du siècle » ? Nos concitoyens seraient-ils en avance par rapport à ceux qui les gouvernent ?
Monsieur Larrouturou, faut-il rendre plus cher ce qui pollue et mettre en place une fiscalité écologique ?
M. Jean Jouzel. - J'ai signé cette pétition numérique sans enthousiasme, par solidarité climatique. Le nombre de signataires est en effet un signe, mais c'est insuffisant pour que cette dynamique l'emporte.
M. Pierre Larrouturou. - Il ne faut pas abandonner la taxe carbone, mais peut-être prévoir un « chèque vert » pour les premières années de sa mise en place. Cette taxe pourrait être prévue dans un traité européen. Une fois qu'on a fait appel à l'intelligence des gens et qu'on leur a expliqué, il faut prévoir une carotte, c'est-à-dire des financements intelligents, puis un bâton à l'encontre de ceux qui continueront à avoir une grosse voiture et à prendre l'avion tous les week-ends.
M. Jordi Ginesta. - Les domaines très émetteurs de CO2 sont l'énergie, le transport et l'habitat. On sait que l'énergie nucléaire pollue le moins, et que les énergies renouvelables sont irrégulières et aléatoires. Êtes-vous favorables à la construction de centrales nucléaires ?
Ce qui pose véritablement problème en termes de transports, ce sont le maritime et l'aérien. Allez-vous, personnellement, réduire vos voyages ? Je ne le pense pas ! Vous voulez pénaliser ceux qui ont des grosses voitures et prennent l'avion ; cela revient à réduire les activités professionnelles. Entre la théorie et la pratique, il y a un monde !
Pour ce qui concerne l'habitat, vous allez demander à ceux qui ont les moyens les plus faibles un effort financier qu'ils ne peuvent pas assumer. Comment comptez-vous faire ?
M. Pierre Larrouturou. - À titre personnel, je ne prends jamais l'avion pour des vacances familiales. Et je ne suis pas le seul, surtout depuis la démission de Nicolas Hulot, à vouloir changer de comportement.
Pour les ménages les plus pauvres, nous proposons de mettre en place des aides financières importantes pour que leurs travaux d'isolation ne leur coûtent rien. Je peux vous donner des exemples concrets de travaux réalisés avec le patronat du bâtiment et la Fondation Abbé Pierre, et qui aboutissent à un gain de pouvoir d'achat. Il n'y a là aucune sanction !
M. Didier Mandelli. - La question de la démographie n'est jamais abordée. Or la population mondiale a plus que doublé en quelques décennies. Celle de Madagascar est passée en quarante ans de 5 à 24 millions de personnes, dont 95 % vivent sous le seuil de pauvreté. Quand aurons-nous l'honnêteté d'en parler ? Et je n'insiste pas sur les 20 millions de déplacés climatiques par an...
M. Pierre Larrouturou. - Ce point doit être mis sur la table si l'on croit au principe de fraternité. À Bamako, j'ai expliqué à mes interlocuteurs que le problème était insoluble si la population continuait à doubler tous les trente ans.
Par ailleurs, la planète peut nourrir l'ensemble de la population, à condition que l'on cesse de manger de la viande tous les jours. Si l'on privilégie la qualité par rapport à la quantité, comme cela s'est passé pour le vin, le revenu des agriculteurs sera tout de même correct.
M. Benoît Huré. - Vous avez su nous présenter une écologie non punitive, enthousiasmante. Vous nous bousculez tout en nous donnant des raisons d'espérer en l'avenir, pour peu que nous soyons plus acteurs que spectateurs. C'est de la bonne pédagogie.
Les climato-sceptiques me font penser à certains dirigeants qui, de retour de Munich à la veille de la Seconde Guerre mondiale, disaient avoir sauvé la paix. Pensons aux reproches de nos enfants !
M. Pierre Larrouturou. - Cela me rappelle, quant à moi, la ligne Maginot. Certains disent que les nouvelles technologies vont sauver le monde. Non ! Il faut faire un effort d'efficacité et de sobriété. Il faut créer une dynamique. Lorsque le président Kennedy parlait d'envoyer une fusée sur la lune, il n'avait pas la moindre idée des problèmes techniques à régler !
Redonner un espoir permettra de rassembler nos citoyens sur tout le territoire. Le Sénat et votre commission doivent insister sur le caractère fondamental des mois qui viennent. Vous devez vous dire que ce projet est votre bébé, même si vous n'êtes pas d'accord à 100 %.
M. Ronan Dantec. - Le débat des prochaines semaines portera sur l'avenir de la taxe carbone, qui est le levier le plus efficient pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre.
Lors des Assises européennes de la transition énergétique, hier à Dunkerque, François de Rugy a proposé aux collectivités territoriales une offre de donnant-donnant : en contrepartie d'un scénario d'augmentation de la taxe carbone, un réinvestissement de cette recette sur les territoires dans le cadre du plan climat.
L'investissement dans la transition énergétique et climatique, notamment dans le budget des collectivités, doit être évalué de façon différente ; pourquoi pas à l'occasion du Grand Débat national ?
M. Pierre Larrouturou. - La taxe carbone doit être maintenue, mais ce n'est pas le seul outil. Il y a aussi l'investissement dans les transports en commun et dans le travail à distance. Il faut parler à l'intelligence des acteurs, donner la parole aux pionniers et disposer de plusieurs dispositifs qui se complètent. Par exemple, on pourrait procéder pour l'isolation des bâtiments comme pour l'interdiction de l'amiante. Se limiter à la taxe carbone risque de créer un blocage.
M. Hervé Maurey, président. - Nous remercions les deux intervenants. Pour que cette réunion ne reste pas lettre morte, je propose que le groupe de travail sur le suivi des négociations internationales sur le climat présidé par Jérôme Bignon prépare une proposition de résolution, comme cela avait été fait au moment de la COP 21, qui pourrait être débattue au sein de la commission puis adoptée en séance publique par le Sénat lors d'une semaine de contrôle.
M. Jérôme Bignon. - Ce point pourrait être ajouté à l'ordre du jour du groupe de travail, qui se réunira le 14 février.
M. Hervé Maurey, président. - Un vote unanime sur le sujet serait un signe fort et montrerait que le Sénat joue un rôle moteur sur ces questions.
Communication sur la réunion de Bureau de la commission
M. Hervé Maurey, président. - Le bureau s'est réuni la semaine dernière et a échangé sur les prochaines échéances législatives. Nous examinerons le 13 février la proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard visant à faciliter le désenclavement des territoires, qui sera débattue en séance le 20 février. Nous avons nommé M. Jean-Pierre Corbisez rapporteur la semaine dernière. Nous examinerons également le 20 février prochain la proposition de loi de notre collègue Éliane Assassi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, laquelle sera débattue en séance le 7 mars. Nous nommerons le rapporteur la semaine prochaine.
Le projet de loi d'orientation des mobilités sera examiné par notre commission le 6 mars. Je vous propose de fixer la date limite de dépôt des amendements pour la commission avant la suspension de nos travaux au mois de février. Enfin, le projet de loi visant à fusionner l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) pourrait être examiné par notre commission le 3 avril, et en séance publique la semaine du 8 avril.
Un compte rendu complémentaire de la réunion vous sera adressé.
M. Rémy Pointereau. - Monsieur le président, il serait important que nous abordions la problématique de l'arrêt des zones de revitalisation rurale (ZRR) en 2020. L'Assemblée nationale a pris de l'avance sur nous en créant une mission sur ce sujet.
M. Hervé Maurey, président. - J'ai bien reçu votre demande. Elle fera l'objet d'un examen très prochainement par notre commission, en lien avec celle des finances.
La réunion est close à 11 h 35.