- Mercredi 23 janvier 2019
- Audition conjointe sur le piratage des retransmissions sportives : MM. Jacques Bajon, directeur médias et contenus numériques du groupe de réflexion Idate Digiworld, auteur du rapport « Piratage des médias, Un risque majeur pour le sport et le linéaire ? », Carlos Eugénio, secrétaire général de l'association portugaise Mapinet, directeur de l'association portugaise Visapress, Mathieu Moreuil, directeur des affaires européennes de l'English Premier League, Mme Sophie Jordan, directrice générale adjointe de beIN Sports France, MM. Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP) et Denis Rapone, président de la Hadopi
- Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse - Examen des amendements de séance sur le texte de la commission
Mercredi 23 janvier 2019
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 5.
Audition conjointe sur le piratage des retransmissions sportives : MM. Jacques Bajon, directeur médias et contenus numériques du groupe de réflexion Idate Digiworld, auteur du rapport « Piratage des médias, Un risque majeur pour le sport et le linéaire ? », Carlos Eugénio, secrétaire général de l'association portugaise Mapinet, directeur de l'association portugaise Visapress, Mathieu Moreuil, directeur des affaires européennes de l'English Premier League, Mme Sophie Jordan, directrice générale adjointe de beIN Sports France, MM. Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP) et Denis Rapone, président de la Hadopi
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis très heureuse d'accueillir les participants à cette audition conjointe consacrée au piratage des retransmissions sportives.
Je remercie de leur présence Jacques Bajon, directeur médias et contenus numériques de Idate Digiworld ; Carlos Eugénio, secrétaire général de l'association de lutte contre le piratage portugaise Mapinet et directeur de l'association portugaise de gestion collective des contenus médias (Visapress) ; Mathieu Moreuil, directeur des affaires européennes de l'English Premier League ; Sophie Jordan, directrice générale adjointe de beIN Sports France ; Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP), qui avait participé à notre colloque sur l'audiovisuel public en juillet dernier ; et Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), que nous avons déjà entendu ès qualité et que je remercie pour sa mobilisation.
Cette audition est captée et retransmise en direct sur Internet ; elle fait l'objet d'une traduction en anglais.
Michel Savin était à l'origine de l'article 24 de la loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs, promulguée le 2 mars 2017. Cette disposition avait pour but d'inciter les différentes parties prenantes à négocier de bonnes pratiques pour lutter contre le piratage des programmes sportifs. Près de deux ans après, le moment est venu d'en faire le bilan mais aussi de mesurer l'évolution d'un phénomène préoccupant, qui menace l'économie des médias.
Le sport professionnel est devenu un produit à la fois très coûteux et très populaire. Il constitue par définition le fondement des chaînes qui diffusent des programmes sportifs par abonnement. Mais il est également un élément fondamental de l'offre de chaînes plus généralistes comme Canal+ : le piratage des droits sportifs réduit les moyens qui peuvent être consacrés au cinéma et à la création audiovisuelle.
La lutte contre le piratage des droits sportifs est dès lors une nécessité, tant pour le développement du sport professionnel, secteur d'avenir, pourvoyeur d'emplois et de développement territorial, que comme offre complémentaire des autres programmes diffusés à la télévision.
Si les détenteurs de droits et les diffuseurs ont commencé depuis deux ans un travail de fond pour améliorer les mécanismes de lutte contre le piratage, c'est la première fois qu'une table ronde est organisée au Parlement en présence du président de la Hadopi. Cette rencontre constitue une étape importante dans la perspective du projet de loi de réforme de l'audiovisuel, qui doit adapter l'ensemble de nos règles à la révolution numérique.
Afin de réfléchir ensemble aux évolutions juridiques possibles, j'ai souhaité qu'un expert mette en perspective le phénomène et je remercie Jacques Bajon de sa présence. Et pour bien comprendre les solutions envisageables, il nous est apparu essentiel de nous intéresser à l'expérience des autres pays européens en la matière. Je remercie donc également Mathieu Moreuil et Carlos Eugénio. Sophie Jordan et Didier Quillot nous donneront le point de vue des acteurs français.
M. Jacques Bajon, directeur médias et contenus numériques, Idate Digiworld. - Mon groupe a établi, l'an dernier, un rapport sur les enjeux du piratage audiovisuel, ses conséquences sur le live et en particulier sur le sport. Médiamétrie nous a fourni les chiffres les plus récents disponibles - jusqu'à septembre 2018. Le piratage du sport en France apparaît très important : 1,5 à 2 millions de pirates par mois, c'est-à-dire les personnes se livrant à un acte de piratage dans le mois. La tendance est globalement, dans l'audiovisuel, à la baisse, mais pas pour les programmes sportifs, au contraire. Ainsi en septembre dernier, lorsqu'a démarré RMC Sports en France, les nombreux problèmes techniques, donc le mauvais fonctionnement du service, ont favorisé un piratage supplémentaire. Un nouvel acteur - la démarche est légitime - accroît en outre la fragmentation de l'offre, propice au piratage puisque le budget d'abonnement augmente pour le consommateur qui voudrait avoir accès à toutes les retransmissions... On peut se demander si l'arrivée de MediaPro, avec l'achat des droits de la Ligue de football, ne risque pas de produire un effet similaire. Peut-être les acteurs pourraient-ils réfléchir ensemble à une offre cohérente pour les abonnés ?
Le football, dans le piratage audiovisuel des diffusions sportives, occupe une place particulière : les grands matchs, comme ceux du PSG actuellement, correspondent à des pics d'activité de piratage.
Notre inquiétude, lorsque nous avons entrepris ce rapport, était de voir le marché du piratage devenir un marché de masse. Au cours de la période récente, ces craintes sont nourries par les services Kody de piratage semi-professionnel proposant des offres de télévision. Le piratage n'est pas nouveau, le nombre des pirates est d'ailleurs passé de 14 à 12 millions de spectateurs, mais les facteurs d'inquiétude sont nombreux : la connectivité de plus en plus importante, les débits croissants et les terminaux de réception de plus en plus nombreux au sein des foyers, élargissent la consommation potentielle en streaming.
En outre, le développement des systèmes d'application, avec des environnements conviviaux, un confort d'utilisation nouveau créent parfois une zone grise : les consommateurs ne savent pas toujours s'ils sont sur un site pirate.
La diffusion en live augmente, en particulier avec les plateformes sociales, YouTube, Facebook, Twitch, Periscope, Instagram... Ce sont des vecteurs de diffusion des programmes sportifs.
La motivation des pirates ne réside pas uniquement dans le prix. D'autres facteurs s'y ajoutent, tels que la disponibilité du contenu sur un territoire donné, la fraîcheur du contenu (on refuse d'attendre six mois pour voir un film), ou encore, des environnements de consommation plus conviviaux sur Internet.
Le piratage traditionnel des cartes de télévision reste massif. Les représentants de beIN Sports m'ont indiqué que le piratage de l'intégralité de l'offre depuis l'Arabie Saoudite a des effets majeurs. La technologie du peer to peer est en recul, le téléchargement direct avec le phénomène de megaupload est en retrait ; le streaming s'est développé. Qui sont actuellement les acteurs, volontaires ou non, du piratage ? À côté des grands sites de référencement de liens, comme Rojadirecta, qui a fait l'actualité récemment s'agissant du football, ou LiveTV également un gros site d'hébergement de liens de sites de streaming - ils ne les hébergent pas, ce qui modifie les possibilités de poursuites - les plateformes sociales, Google, Facebook, permettent d'accéder à des contenus pirates. Ils permettent de trouver des contenus, mais aussi de les consommer. En outre, avec Facebook, on peut partager, notamment des liens. Tous les environnements d'interface développés sous Android donnent l'impression d'une offre légale.
Le manque à gagner pour l'industrie est difficile à évaluer ; on ne connaît pas la clé de passage entre le nombre de pirates et la proportion de ceux-ci qui se transformeraient en abonnés s'ils ne pouvaient plus pirater. Mais l'impact se mesure certainement en centaines de millions d'euros.
Nous préférons nous intéresser au risque systémique et au découpage de la valeur : on crée de la valeur essentiellement sur l'édition de services, donc sur le segment des chaînes de télévision, et celles-ci financent la production de contenus et achètent les droits. Les chaînes de télévision sont en situation délicate aujourd'hui, du fait du piratage mais aussi en raison de la transformation du marché, de l'apparition d'offres légales comme Netflix, qui les obligent à se renouveler.
On regarde de moins en moins de films à la télévision ; le sport devient alors le programme clé pour les chaînes. Or, je l'ai dit, il est très exposé aux attaques. Le lien entre la perte du droit de diffusion du football pour une chaîne premium et la perte d'abonnés n'est pas linéaire mais il est direct. Par conséquent, toute perte sur le montant des droits de retransmission du football (ils ne cessent de se renchérir) pénalise le système et les chaînes comme Canal+ qui financent le cinéma. Si le marché de la pay TV est pénalisé, les achats et la production s'en ressentent inévitablement.
Il existe une économie du piratage. Le peer to peer communautaire sans création de valeur a diminué ; en revanche les grands sites de piratage doivent être rentables, car ils ont des coûts techniques d'hébergement, de distribution sur Internet... Cela a un impact sur les actions à mener contre eux. Nous avons procédé à des estimations de coûts et de recettes par catégories de services, IPTV sur Internet, streaming, téléchargement direct, sites de référencement.
L'abonnement, la consommation payante devient le modèle dominant, et non la publicité. Or, dès lors qu'ils paient les services d'IPTV, même à faible prix, les consommateurs croient qu'ils ont affaire à une offre légale. Les gros sites de streaming proposent une offre premium (pas de publicité, une image de qualité,...), qui leur fournit la majeure partie de leurs revenus. C'est dans le référencement que la recette publicitaire est la plus importante. Une partie des revenus, dans le piratage, provient aussi du commissionnement, le site bénéficiaire reversant une commission au site de référencement.
Contre le piratage, l'offre légale doit jouer la concurrence, renforcer son attrait, par la mise à disposition des contenus, par une information claire du consommateur, comme l'a fait la Hadopi en référençant tous les sites d'offre légale. Sur le plan technique, même si c'est une course sans fin, les contenus peuvent être mieux sécurisés, car il faut du temps pour casser les sécurités ; on peut aussi les marquer, ce qui me semble une piste intéressante. Pour tarir les ressources, on pourrait également inciter les régies publicitaires à ne pas référencer les sites pirates parmi leurs vecteurs de diffusion. Agir du côté des outils de paiement, comme Paypal, permettrait sans doute de bloquer les règlements sur les sites de piratage.
Des campagnes de communication auprès du grand public ont été menées dans le passé. On en a connu surtout dans le secteur de la musique, pour expliquer que pirater revient à tuer la musique : si personne ne paie, personne ne gagnera sa vie, l'industrie et les services disparaîtront.
Les actions collectives restent les plus compliquées à mettre en place : comment fermer des sites de streaming, comment obtenir des fermetures rapides de sites de référencement, comment s'attaquer aux gros acteurs, qui sont à cibler en priorité. Le dialogue avec les plateformes sociales, concernant les fake news, a commencé : il faudra être pareillement vigilant sur tous les liens pirates qui sont échangés par ces canaux.
M. Carlos Eugénio, secrétaire général de l'association portugaise de lutte contre le piratage Mapinet et directeur de l'association portugaise de gestion collective des contenus médias. - Merci de votre accueil. Créée en 2010, Mapinet est une association de plusieurs organisations - éditeurs, chaînes de télévision, producteurs audiovisuels et musicaux, sociétés d'auteurs... - qui lutte contre le piratage en ligne : une mission complexe.
En 2015, en accord avec les associations de consommateurs et sous l'impulsion du ministère de la Culture, nous avons négocié un protocole qui est désormais en application. Plusieurs étapes se succèdent : nous rassemblons les liens des sites pirates, leurs pages d'accueil, nous envoyons des courriels à leurs propriétaires pour les informer de ce que leur comportement est illégal et qu'ils doivent y mettre un terme sous 48 heures. Nous avons deux critères pour bloquer les sites : ceux-ci doivent contenir au moins 500 liens vers des contenus illégaux ou deux tiers du site doit consister en de tels liens. Cet accord, qui résulte d'un litige avec les fournisseurs d'accès Internet (FAI) portugais, perdu par ceux-ci, nous facilite beaucoup le contrôle et la fermeture des noms de domaine.
La requête est très simple : elle contient les liens vers les contenus piratés et la preuve que ce sont des contenus piratés. Lorsque les FAI la reçoivent, ils vérifient qu'elle est conforme aux procédures définies par le protocole d'accord et ils bloquent le site Internet concerné. Cela prend, en général, cinq jours. Le délai maximal est de quinze jours. Ils doivent installer une page de renvoi expliquant que le site a été bloqué pour cause de piratage, ce qui sensibilise les usagers à ce problème.
En un an, nous avons bloqué 1 839 sites et redemandé le blocage de 516 sites. Souvent, un site bloqué disparaît mais, parfois, il change simplement de nom de domaine. Incopro, une organisation internationale, a montré que, dans les six premiers mois, les sites illégaux perdent 75 % de leur trafic. Nous n'avons pas de problème d'opinion publique, car les consommateurs sont désormais sensibilisés - et peuvent toujours contourner le blocage en passant par un autre nom de domaine...
Depuis le 1er janvier 2019, nous pouvons bloquer des contenus en streaming, en temps réel. Nous l'avons fait pour douze matches de football, en bloquant 736 sites. Les preuves de l'illégalité du contenu, que nous rassemblons conformément au protocole d'accord, figurent dans la requête, par laquelle nous obtenons l'autorisation de réaliser le blocage pendant deux heures, le temps du match. Au Portugal, il s'agit d'une infraction sérieuse et nous disposons d'une entité spécifique pour la réprimer, mais il pourrait s'avérer nécessaire de modifier l'arsenal législatif actuel. La liste des sites bloqués est envoyée à cette entité et elle informe les annonceurs qu'ils ne doivent pas faire de la publicité sur ces sites.
M. Mathieu Moreuil, directeur des affaires européennes de l'English Premier League. - Nous avons une longue expérience, au Royaume-Uni, de la lutte contre le piratage et nous avons dû nous armer de plusieurs mécanismes. La première ordonnance de blocage date de 2013 ; elle concernait le site Firstrow, qui était l'un des cinquante sites les plus populaires du pays et générait quelque dizaines de millions de livres sterling de revenus publicitaires chaque année. Il y a donc bien une économie du piratage, qui n'est aucunement le fait d'adolescents épris de partage et de liberté d'expression, mais bien celui de véritables escrocs.
Des ordonnances nous permettent désormais de bloquer non plus des sites, mais des serveurs. Leur base juridique est que nous bénéficions d'une vraie protection au titre du droit d'auteur, par une fixation du film et une protection des logos, de l'hymne et des graphiques. Cela nous permet d'invoquer la section 97-A du code de la propriété intellectuelle britannique et de demander des ordonnances de blocage s'appliquant aux intermédiaires de l'économie numérique - par une transposition classique de la directive européenne en droit anglais.
La dernière ordonnance que nous avons obtenue date de 2017 et a été depuis renouvelée. Elle permet de bloquer des serveurs. Pour pirater une rencontre sportive, il faut d'abord capter un faisceau légal. Il faut ensuite une plateforme, pour gérer sa distribution, et un serveur, pour diffuser. Les usagers peuvent regarder le contenu de différentes manières : sites Internet, applications, softwares dans des télévisions, clefs usb connectant votre adresse IP au serveur de streaming... D'où l'intérêt d'opérer le blocage en amont, au niveau du serveur.
Le juge ordonne donc aux FAI de bloquer certains serveurs. Cette décision, prise en mars 2017, a été appliquée pendant la saison, jusqu'au mois de juin. Elle a été renouvelée pour la saison suivante. Le juge a considéré qu'il n'y avait pas de menace pour la liberté d'expression - qui ne s'étend pas au vol de contenus protégés - et que le coût pour les FAI n'était pas disproportionné. Les FAI, d'ailleurs, loin de s'opposer à notre démarche, l'ont soutenue.
Nous établissons donc une liste de serveurs de streaming et nous la fournissons aux FAI, qui bloquent ces serveurs pour la durée effective des matchs. Dynamique et limitée dans le temps, cette ordonnance est très efficace et limite la consommation de streaming illégal. Cela dit, elle n'est pas une solution miracle, car elle nous impose un gros travail en amont et en aval. Nous avons dû investir dans la mise en place d'une forme de reconnaissance de notre propre contenu - finger printing - et dans la vérification, par nous-même ou par l'intermédiaire de prestataires, de l'usage de celui-ci sur Internet. Nous devons collecter l'information et la fournir aux FAI pour mettre en oeuvre l'ordonnance de blocage. Nous devons enfin, évidemment, nous adapter aux tentatives des pirates de contourner cette ordonnance.
L'essentiel est la coopération des FAI. Sans eux, nous serions dans l'inconnue. Ce sont eux qui nous ont procuré de l'information sur le trafic des serveurs incriminés, ce qui nous a permis de montrer au juge que celui-ci, à peu près nul en temps normal, devenait considérable uniquement pendant la durée des matchs. Cette coopération est facilitée au Royaume-Uni par le fait que deux des principaux FAI, Sky et British Telecom, sont détenteurs de droits, et que les autres ont des accords avec Sky pour la diffusion des contenus sportifs.
Le travail que nous avons fait pour préparer l'ordonnance est aussi indispensable. On nous avait objecté que ce serait trop cher, trop difficile, voire impossible techniquement. En réalité, les FAI savent bloquer des serveurs, et le font régulièrement pour d'autres types de contenus. Cela a un coût, qui doit être raisonnablement partagé avec eux. Si l'ordonnance nous aide beaucoup, sa faiblesse est de n'être valable qu'à l'intérieur du Royaume-Uni.
Mme Sophie Jordan, directrice générale adjointe de beIN Sports France. - Je suis aussi secrétaire générale du groupe beIN, et membre de l'association de protection des programmes sportifs (APPS). Nous connaissons bien le piratage, auquel nous sommes souvent confrontés. Merci de votre accueil, qui reflète la reconnaissance, par votre commission, de l'importance de ce sujet pour les acteurs du sport et de la télévision payante en France. Ces acteurs font face à un concurrent sans visage, qui brasse des centaines de millions d'euros - autant de manque à gagner pour ces acteurs et pour la filière du sport, qu'ils financent largement - et utilise des technologies de plus en plus sophistiquées, contre lesquelles la lutte coûte de plus en plus cher aux diffuseurs.
Nous utilisons le finger printing et le water marking pour identifier nos contenus. La valeur de nos droits, liée à la diffusion en direct, disparaît en quelques dizaines de minutes. Nous avons donc besoin d'outils pour interrompre sans délai le piratage. L'APPS rassemble 14 membres - diffuseurs, ayants droit, ligues professionnelles, fédérations sportives - pour coordonner leur stratégie de protection des contenus et négocier des accords de bonne pratique.
À l'inverse de ce qu'on observe chez nos voisins, les discussions avec les FAI sont au point mort. Pourtant, les difficultés alléguées seraient aisément surmontables. Nous avons étudié le phénomène à l'étranger : premier constat, il est global. Et la France est en retard sur la lutte contre le piratage. Les succès en la matière ont tous pour point commun le blocage de sites ou de serveurs. Nous devons donc rattraper notre retard avec l'aide des autorités. L'article 24 de la loi sur l'éthique du sport ouvre cette possibilité. Il faut identifier des outils juridiques innovants et efficaces. Les FAI sont des champions en matière de technologie... Ils ont tous les moyens de nous aider !
Notre association prendra toute sa part dans la recherche de solution, pourvu que celle-ci soit pragmatique et respecte les droits de toutes les parties prenantes. Que la solution retenue prenne une forme judiciaire ou passe par une autorité administrative indépendante, la Hadopi aura un rôle à jouer.
M. Didier Quillot, directeur général exécutif de la Ligue de football professionnel (LFP). - Merci de votre accueil. Certes, le piratage fait peser une menace sur l'économie des medias, du cinéma, de l'audiovisuel et sur la culture de notre pays. On a évoqué un risque systémique. Il y en a un aussi sur l'économie du sport, alors que celui-ci joue un rôle essentiel en matière d'intégration sociale et de santé publique. En effet, la Ligue de football professionnel (LFP) finance largement la filière du sport : chaque année, nous versons 38 millions d'euros au titre de la taxe Buffet et 20 millions d'euros en vertu de la convention que nous avons avec la Fédération française de football. Ces montants passeront à 60 et 30 millions d'euros en 2020, soit, si l'on y ajoute les concours versés aux associations par les clubs professionnels, un total de près de 200 millions d'euros. Lorsque le football professionnel est menacé, c'est toute la filière du sport français qui souffre. Or Canal+ parle de plus de 500 millions d'euros de destruction de valeur par le piratage, qui constitue une véritable économie organisée et profitable, contre laquelle il faut lutter, avec l'aide du législateur.
Pour chaque match de ligue 1, nous recensons environ 250 liens illicites. Pour le top 5, nous avons enregistré, la saison dernière, 1 700 flux pirates, dont 12 % via Facebook. De fait, les grands acteurs du numérique véhiculent du piratage.
Il y a plusieurs difficultés. Un match de football dure une heure trente : c'est aussi la durée pour consommer la valeur de nos droits. Or nous devons livrer à nos diffuseurs un contenu exclusif. La temporalité est donc essentielle. De plus, nos ennemis sont anonymes et ils sont à la tête d'une économie riche et puissante, dont la marge se situe entre 40 % et 90 %. Et Rojadirecta, que nous avons attaqué et contre lequel nous avons gagné, fait systématiquement appel, ce qui allonge les procédures et les rend plus coûteuses. Enfin, la plupart de ces sites sont hébergés hors de l'Union européenne.
Il faut donc absolument que les FAI jouent le jeu. Seul le groupe Altice-SFR-RMC est à la fois FAI et diffuseur. Les autres FAI doivent être nos partenaires, volontaires ou contraints, pour lutter contre le piratage. Aux pouvoirs publics de nous aider : un rapport récent de l'Assemblée nationale préconisait à juste titre « un blocage immédiat et temporaire de sites ou contenus illicites ». Nous réalisons une étude pour savoir si c'est la voie administrative ou judiciaire qu'il faut privilégier. En tout cas, il faut agir vite - et la Hadopi aura un rôle à jouer.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur Rapone, quels seraient les moyens humains nécessaires à la mise en place d'une politique efficace de lutte contre le piratage ? Des mutualisations avec d'autres autorités seraient-elles envisageables ?
M. Denis Rapone, président de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). - La Hadopi n'a pas, à l'heure actuelle, de compétence en matière de lutte contre le piratage des contenus sportifs. En 2009, la loi qui l'a créée ne mentionnait que la lutte contre le piratage des contenus culturels sur Internet. Mais la situation peut évoluer. Déjà, notre expérience peut être mise à profit, car ce sont des champs similaires : les acteurs et les techniques mises en oeuvre sont souvent les mêmes. Ainsi, certaines plateformes, parfaitement légales, peuvent donner accès à des liens illicites. Le piratage se fait souvent sur des sites qui font courir des risques aux usagers, qu'il s'agisse de virus, de l'exposition à des contenus inappropriés, ou du pillage des données. De plus, ces sites sont souvent domiciliés en dehors de l'Union européenne, ce qui les met à l'abri de poursuites judiciaires directes. Heureusement, nous pouvons briser le lien qui permet d'aller vers eux. Les préjudices évoqués pour le monde sportif rappellent aussi ceux qui frappent les acteurs culturels - et dans les deux cas, l'État perd des recettes fiscales et sociales.
Les techniques utilisées vont du pair à pair - contre lequel la Hadopi a instauré la réponse graduée - au téléchargement direct et au live streaming, qui est le mode privilégié de piratage des contenus sportifs - pour lesquels nous avons néanmoins des propositions. La procédure de réponse graduée est inadaptée au live streaming. Il faut donc atteindre directement les sites et les plateformes, en passant par les FAI et les moteurs de recherche.
Pour que la Hadopi devienne compétente, il faudrait que soit créé un droit voisin au droit d'auteur, ce qui nous placerait dans le champ de la propriété intellectuelle. La révision de la directive européenne, sur ce point, en est à la phase de trilogue. On parle beaucoup de l'article 13, sur la presse, ou de l'article 11, mais personne ne parle de l'article 12 bis, qui prévoit que les États-membres peuvent conférer aux organisateurs d'événements sportifs des droits voisins du droit d'auteur, comme le droit exclusif d'interdire ou d'autoriser la reproduction. Ces droits voisins permettraient de bénéficier de saisines en référé du juge, qui obligeraient les FAI et les moteurs de recherche à bloquer l'accès au site et à le déréférencer. Certains pays n'ont pas attendu l'aboutissement de cette négociation pour mettre en place des droits voisins pour la retransmission de contenus sportifs.
Il faudrait aussi que l'on s'inspire des modèles étrangers : parfois, une autorité administrative peut prononcer une injonction de blocage ayant force exécutoire à l'encontre des FAI, et c'est la même autorité qui sanctionne un FAI récalcitrant - en Espagne et au Portugal, une telle sanction requiert l'intervention du juge. Nos voisins fondent d'ailleurs leur système sur la transposition de la directive sur le commerce électronique. La France, elle, a choisi une transposition restrictive qui limite au seul juge la possibilité de formuler des injonctions de blocage : c'est l'article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle. La Hadopi pourrait se voir donner la compétence de caractérisation des sites illicites. Si cela ne suffit pas dans des situations de blocage durable, cela a au moins pour mérite de sensibiliser les internautes sur les sites en question et, dans le cas où le site mue vers une autre adresse, de ne pas avoir à revenir devant le juge pour déclarer sa nouvelle version tout aussi illicite que la précédente.
Le défi est surtout dans le piratage en direct, qui épuise les droits exclusifs et l'intérêt de l'internaute. Un système de blocage administratif soulèverait des difficultés constitutionnelles ; d'où l'idée d'un système mixte de blocage à titre conservatoire par l'autorité administrative, avec validation du juge. Cette voie, qui répondrait le mieux aux préoccupations évoquées, demande encore à être juridiquement expertisée. En tout cas, la réponse au défi du piratage sportif ne peut pas s'inscrire dans la même temporalité que celle que nous faisons au piratage des contenus culturels.
Concernant les moyens humains, je ne suis pas en mesure d'établir un chiffrage : le blocage sera-t-il entièrement administratif, ou mi-administratif et mi-judiciaire ? Quid du pouvoir de caractérisation des sites ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez évoqué les articles 12 bis et 13 de la directive. Il se trouve que le Sénat examine demain une proposition de loi dont notre collègue David Assouline est coauteur tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.
M. Jean-Pierre Leleux. - Le sujet du piratage des retransmissions sportives préoccupe beaucoup Michel Savin, spécialiste du sport. J'ai bien noté les solutions ébauchées. Par rapport à cette problématique du piratage, je veux insister sur la spécificité des retransmissions sportives. Leur valeur étant immédiate, le temps du match, toute intervention doit l'être également, l'obsolescence survenant à la fin de la manifestation sportive. Si l'on se réfère aux exemples portugais et britannique, même s'ils comportent des faiblesses, sur quels fondements juridiques, conventionnels ou législatifs, issus du droit d'auteur - sans qu'ils soient inconstitutionnels - pourrait-on se baser pour couper immédiatement les sites qui retransmettent illégalement des matchs via les FAI, lesquels sont assez réticents à ce jour ? La Hadopi pourrait intervenir, pour peu qu'on lui en donne les moyens.
M. Carlos Eugénio. - Que pouvons-nous faire pour renforcer nos dispositifs ? Notre point faible, au Portugal, est que nous ne disposons pas du blocage par les adresses IP ; seulement par les DNS. Nous ne bloquons pas Internet : nous donnons au consommateur le choix, nous agissons en tant qu'entité fournissant des informations. À l'avenir, dans le cas des IPTV, nous devrons procéder à des blocages IP.
Une approche administrative est plus efficace qu'une approche juridique. Il faut fournir les preuves sur lesquelles se fonderont les juges pour prendre leurs décisions. La solution sera probablement un mix : un blocage administratif dans un premier temps et ensuite une injonction judiciaire. Pour l'instant, au Portugal, nous avons deux approches différentes en matière de blocage : le blocage de la retransmission en direct et ensuite un blocage à long terme, sur une année. Nous recensons tous les sites identifiés pour un blocage du streaming puis les inscrivons sur la liste pour laquelle nous adressons une requête de blocage en direct. Il est plus efficace de procéder par les adresses IP, mais nous tentons de négocier avec les FAI, qui sont tout à fait conscients de ce que nous voulons faire. Ils nous soutiendront certainement dans cette démarche et un accord sera possible. Dans quelques années, nous pourrons avoir une approche juridique directe ou par transposition.
Je travaille contre le piratage depuis 2006, je vois le tort qu'il fait à l'industrie musicale, par exemple. Nous devons absolument protéger les autres secteurs. La production musicale n'est pas morte, certes, mais les autres industries culturelles sont plus vulnérables. Il faut nous doter des outils pour protéger la création humaine.
M. Mathieu Moreuil. - Je suis ravi que M. Rapone ait mentionné l'article 12 A : avec d'autres détenteurs de droits sportifs, nous avons proposé de doter les organisateurs d'événements sportifs d'un droit voisin harmonisé au niveau européen. Une majorité de députés européens, environ 400, ont voté en faveur de cet amendement. En revanche, nous n'avons pas beaucoup de soutien de la part des États membres, parce que ce projet de directive étant déjà très complexe, ceux-ci n'ont pas voulu prévoir en plus un droit voisin pour les organisateurs de manifestations sportives sur le même modèle que pour les éditeurs de presse. Je ne suis pas très optimiste quant à l'issue des négociations, d'autant que le soutien du gouvernement français n'a pas été aussi important que sur d'autres dossiers.
Même en l'absence d'un droit voisin harmonisé au niveau européen, il existe des protections au niveau national qui permettent au juge de délivrer des injonctions de blocage de sites ou de serveurs. Ainsi, il existe un droit voisin pour les diffuseurs et certains droits peuvent être attribués par contrat aux organisateurs de compétitions sportives.
Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt Premier League, a clairement indiqué que les États membres peuvent adopter une réglementation nationale pour protéger les événements sportifs au même titre que le droit d'auteur. Si le gouvernement français décide de le faire, il le peut donc. Au titre du droit d'auteur, il me paraît donc possible de procéder à des blocages de sites, mais cela doit aller vite. Le droit britannique permet à un juge de délivrer une injonction aux FAI afin de bloquer dans un premier temps des sites Internet, puis des adresses IP de serveurs de streaming.
M. Jean-Jacques Lozach. - Je rejoins ce qu'a dit M. Quillot : en raison de la réduction du rendement de la taxe Buffet sur les droits télés, c'est l'ensemble de l'économie du sport qui est victime de cette concurrence déloyale, y compris le sport amateur, et pas seulement les sports faisant l'objet de ces retransmissions, en particulier le football, le rugby ou les sports automobiles. Comme l'a dit M. Rapone, l'État est lui aussi victime de ces pratiques, comme les collectivités locales, telles les villes qui investissent dans l'éclairage d'un terrain pour promouvoir les retransmissions télévisées.
Beaucoup de solutions techniques et juridiques ont été évoquées pour lutter contre les sites pirates. Ne pourrait-on envisager de s'attaquer à leurs recettes publicitaires ?
Même s'il est très difficile d'estimer les chiffres d'affaires en jeu, même si l'adversaire est anonyme, peut-on imaginer combien de personnes vivent de cette économie au niveau européen ?
M. Denis Rapone. - Je ne suis pas en mesure de répondre. L'assèchement des ressources publicitaires des sites, sur le modèle américain du follow the money, repose sur de l'autorégulation. Une charte a été signée entre les ayants droit culturels et les régies publicitaires. Sur la base d'une liste noire dressée par les premiers, et donc assez contestée, les seconds acceptent de ne plus contracter avec certains sites. S'agissant des piratages de contenus sportifs, nous proposons de reprendre à notre compte cette compétence pour définir, sur la base de critères objectifs, la licéité ou non des sites, en recueillant le cas échéant leurs observations.
M. Carlos Eugénio. - Au Portugal, cette approche par assèchement des recettes publicitaires se heurte au fait qu'il n'existe pas d'organisme important regroupant les annonceurs. Les annonces viennent essentiellement de Google et d'AdWords, à qui nous demandons directement de les retirer. Ou bien ce sont des sous-traitants de courtiers, qui opèrent dans des pays tiers.
Combien de personnes cette économie touche-t-elle ? Le week-end dernier, le site sur lequel je regardais un match de football impliquant une équipe portugaise indiquait que 5 000 personnes faisaient de même. Dans la mesure où nous avons bloqué 738 sites ou retransmissions, vous aurez une idée du nombre de personnes fréquentant ces sites.
M. Jean-Jacques Lozach. - Ma question portait plutôt sur le nombre de personnes vivant de cette économie délictuelle.
M. Michel Savin. - Je partage les propos de Jean-Jacques Lozach sur les conséquences du piratage, qui remet en cause l'économie du sport. Les expériences portugaise et britannique démontrent que la coopération avec les FAI est indispensable. À travers l'article 24 de la loi de 2017, nous souhaitions qu'une démarche s'engage, basée sur la concertation. Aujourd'hui, le dialogue est dans l'impasse. Quels arguments les FAI opposent-ils pour justifier ce refus de dialogue ? Comment être plus contraignant avec eux ? Cela passe-t-il par la loi ?
Mme Sophie Jordan. - Les FAI nous opposent essentiellement deux arguments : les risques de surblocage et le coût des blocages de sites. Les expériences portugaise et britannique montrent que ces arguments sont largement irrecevables.
M. Didier Quillot. - J'ai dirigé un opérateur télécom pendant une dizaine d'années. Effectivement, les FAI que nous avons contactés nous ont adressé une fin de non-recevoir ; cet argument des coûts ne me paraît pas recevable au regard de leur taux de rentabilité. Par ailleurs, il y a sans doute un élément culturel, pour ne pas dire idéologique, propre à la France, qui permet aux FAI de s'abriter derrière des arguments autres qu'économiques. Enfin, les FAI, hormis Altice, ne sont pas diffuseurs ; en matière de piratage, nos intérêts ne convergent donc pas. Je suis par conséquent pessimiste quant à la concertation avec eux. Sans doute faudra-t-il en passer par la voie réglementaire ou législative.
M. Mathieu Moreuil. - Nous avons eu droit à ces arguments techniques et financiers. Le juge chargé de délivrer l'injonction a considéré que les risques de surblocage étaient réels, mais peu importants, le trafic sur les serveurs étant corrélé à la durée des matchs. Dernièrement, après une première injonction de blocage et après les vérifications nécessaires, le juge a accepté de délivrer une seconde injonction. D'ailleurs, nous n'avons jusqu'à présent été saisis d'aucune plainte au sujet d'un blocage excessif.
S'agissant du coût des blocages, je ne pourrai pas être très précis, car cela relève de négociations confidentielles. Les matchs ayant lieu le week-end, c'est donc à ce moment qu'il est nécessaire de faire intervenir les techniciens chargés des opérations de blocage. Pour ce qui nous concerne, les négociations que nous avons engagées ont commencé à un niveau élevé, avant de s'établir à un niveau plus acceptable. En tout cas, il ne me paraît pas nécessaire pour les FAI d'établir un nouveau business model pour gérer les coûts de ces blocages.
M. Denis Rapone. - Selon l'un des quatre grands FAI, parmi d'autres, deux obstacles, pourraient contrecarrer toute injonction de blocage, administrative ou judiciaire : le risque que soient mises en péril la sécurité et l'intégrité des réseaux et l'impossibilité de procéder à un blocage dans un délai d'une heure et demie, le temps d'un match de football par exemple, un délai de trois à quatre heures étant nécessaire.
Je ne suis pas en mesure de déterminer la validité de cet argument. Je l'ai transmis aux Labs pour une contre-expertise technique. Une comparaison avec les pratiques à l'étranger relativiserait peut-être l'argument d'une mise en danger des réseaux.
M. Carlos Eugénio. - Au Portugal, nous avions déposé une injonction contre un fournisseur d'accès. Un ingénieur d'Altice a déclaré, à l'audience, que le coût du blocage était très modéré : ce n'est qu'un copier-coller de documents sur un serveur.
Nous avons développé une interface de programmation où le nom du site s'inscrit automatiquement dans le fichier texte, mettant ainsi le blocage en place. Cela présente un coût, mais les propriétaires de contenus peuvent tout à fait l'assumer.
M. David Assouline. - Pour sauver les droits d'auteur face au piratage, les autorités ont réagi dans l'urgence par des mesures coercitives, certes nécessaires, mais il y a aussi un problème de cherté de l'offre. Le secteur de la musique a réglé une partie du problème en mettant en place une offre légale à moindre coût. Dans le passé, les représentants du secteur du cinéma ne s'inquiétaient pas : il faut trois jours pour télécharger un film, disaient-ils... Aujourd'hui, ce secteur est menacé faute d'avoir proposé une offre adaptée.
Le même raisonnement vaut pour le sport. Moi-même mordu de football, je ne peux m'offrir les chaînes qui le retransmettent que parce que j'en ai les moyens. Le football est un sport populaire. Or, pour être en mesure de voir les retransmissions de toutes les principales compétitions, il faut être abonné à RMC Sport, beIN Sports et Canal+, soit 70 euros par mois au total. D'aucuns diront que le sport étant un spectacle, il est normal de payer pour le voir ; mais le football, sport populaire, a été visible en clair, et il ne l'est plus - à tout le moins sur les chaînes publiques.
Il est essentiel de répondre à ce problème ; la pédagogie passe par là. On peut toujours mettre en garde les enfants contre le piratage, mais ils voient bien que l'économie du football, avec ses transferts à plusieurs dizaines, voire centaines de millions d'euros, est - pardonnez l'expression - « blindée de fric ». Ils se disent donc qu'ils ne vont pas la mettre en péril en regardant le match de leurs rêves en streaming. Je me suis toujours battu pour le droit d'auteur, mais en l'espèce il faut que la morale de l'histoire soit comprise.
M. Olivier Paccaud. - Je souscris entièrement aux propos de M. Assouline. La première source du piratage est le coût trop élevé du football. Le système de droits télévisés est essentiel pour financer le sport, mais aussi le cinéma et la culture. Cependant nous assistons à une surenchère, à une compétition entre décideurs qui se traduit par une hausse du coût des droits et un découpage en lots - un « pognon de dingue » - au bénéfice des clubs et des ligues. De l'autre côté de l'écran, c'est le fan de football qui en fait les frais.
Avez-vous établi une typologie du pirate ? C'est souvent, d'après mes constats, un jeune qui sait naviguer et se connecter aux sites de diffusion. Le système n'a-t-il pas engendré sa propre fragilité en pompant trop d'argent ? Avec la course en avant technologique, il y aura toujours des pirates malgré tous les blocages du monde. Quand il était moins cher de voir du football, je pense qu'il y avait moins de pirates.
M. Michel Laugier. - Plus les droits de retransmission sont élevés, plus il y a de piratage. Il faudrait trouver une équation plus positive. Sur ce point, je rejoins mes deux collègues.
On parle de blocage contre le piratage mais pas de pénalités. Or pour sanctionner efficacement, il faut aller au-delà des mesures de blocage.
M. Didier Quillot. - Le coût de diffusion n'est pas un problème franco-français, mais un problème européen. Celui qui veut voir le football des principaux championnats européens et la Ligue des champions paiera 47 euros en Italie - pays le moins cher - contre 80 à 90 euros en Espagne. La France est dans la moyenne et ces prix sont définis hors promotions et offres couplées. L'arrivée de MediaPro n'y changera rien : pour voir le championnat de France, il faut déjà souscrire un abonnement à Canal+ et beIN Sports.
Les coûts paraissent élevés parce que c'est l'économie des droits premium, c'est-à-dire exclusifs, qui est ainsi bâtie. Pour un opérateur généraliste, il existe un lien linéaire entre la détention de droits sportifs et le nombre d'abonnés. Le sport repose sur la retransmission en direct ; sur le long terme, il restera un droit exclusif premium, c'est-à-dire rare et cher, à la fois dans l'acquisition et dans la commercialisation. Prétendre mettre fin à ce système est illusoire.
En Angleterre, où les droits de retransmission se chiffrent en milliards, les acteurs ont pris conscience de la nécessité de protéger la valeur, et ils y sont parvenus. Il est vrai que les fournisseurs d'accès y sont aussi les diffuseurs, ce qui n'est pas le cas en France.
Dire que le piratage augmente parce que le football coûte cher, c'est poser le débat dans les mauvais termes. Il faut d'abord trouver les moyens de protéger la valeur créée, qui au demeurant bénéficie à toute une filière : rappelons qu'en France, la taxe Buffet sur les droits de retransmission est variabilisée. Plus les droits sont élevés, plus le ruissellement vers le football amateur, qui en est le bénéficiaire, est important.
M. Carlos Eugénio. - Les droits d'auteur, dans le monde numérique, sont immatériels : une tierce partie ne peut pas s'en emparer. Le vol d'un ticket pour un match de football est considéré comme ce qu'il est - un vol - et non la conséquence du prix du ticket. Il y a beaucoup d'idéologie dans ce débat. Du fait de leur immatérialité, ces droits n'ont pas, aux yeux du public, la valeur qu'ils devraient avoir.
Au Portugal, nos demandes de blocage sont transmises à un procureur qui mène une enquête pour identifier le propriétaire du site. Si celui-ci est résident portugais, il est passible d'une peine de trois ans de prison.
M. Mathieu Moreuil. - Le débat sur le coût du football est légitime, mais je suis gêné par le lien établi entre la cherté du contenu et le piratage. Même des diffuseurs gratuits, comme la BBC, en sont victimes.
M. David Assouline. - Dans une moindre mesure.
M. Mathieu Moreuil. - La BBC s'est associée à nos demandes d'injonction. Il n'y a pas de lien direct et proportionnel entre le prix de la diffusion et le piratage.
Autre problème, ceux qui volent des contenus en ont fait un véritable business model. Ainsi les services IPTV diffusent contre paiement du sport, du cinéma et même les chaînes traditionnelles. La question dépasse donc le prix du football.
On prétend que les abonnements sont trop chers, mais il est de toute façon difficile, dans un environnement concurrentiel, de lutter contre le gratuit - d'autant que cette gratuité n'en a que l'apparence puisque l'utilisateur paie en livrant ses données ou à travers les risques qu'il prend.
Il est donc légitime de lutter contre ce phénomène. Le piratage de contenus pose la question suivante : peut-on tout faire sur Internet au nom de la liberté d'expression, et consommer des contenus gratuitement - mais au bénéfice de régies publicitaires ? Il y a toujours un gagnant dans la chaîne de valeur.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Vous avez raison : la soi-disant gratuité d'Internet est en réalité une économie de l'attention basée sur la captation et la marchandisation de données.
M. Denis Rapone. - La Hadopi a été créée pour lutter contre le piratage, protéger les droits mais aussi contribuer au développement de l'offre légale. Il existe évidemment un lien automatique entre le piratage et l'accessibilité d'une offre légale : elle est pauvre et chère s'agissant du cinéma ; celui-ci est massivement piraté. Ce n'est pas le cas pour les contenus musicaux, où des plateformes comme Deezer et Spotify ont vu le jour. Je n'ai pas d'avis sur le coût de la retransmission sportive, mais le lien avec le piratage me paraît incontestable.
L'action de la Hadopi repose sur le délit de contrefaçon, qui implique une procédure pénale et une information judiciaire. Or elle reçoit 70 000 constats de piratage par jour, et seulement en pair à pair, qui représente 40 % du total des actes de piratage. Le délit de contrefaçon est pertinent en soi, mais plus adapté à une contrefaçon massive telle que la pratique la criminalité organisée qu'à ces actes de piratage individuels.
En 2009, nous avons donc créé une contravention de cinquième classe qui ne peut toutefois s'appliquer qu'au partage en pair à pair. Le streaming échappe à ce dispositif ; on peut cibler les sites, toujours sur la base de la notion de contrefaçon, mais nous nous heurtons toujours au problème de la temporalité et au fait que la plupart des sites sont basés hors de France. Le blocage, administratif et judiciaire civil, est une réponse aux situations d'urgence. La réponse pénale devrait, à mon sens, être réservée aux sites que nous sommes en mesure de cibler - ce qui n'est pas souvent le cas - et aux usagers qui pratiquent, en lien avec ces sites, un piratage massif.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie. Le Sénat organise, le 7 février, en partenariat avec la Hadopi, un colloque intitulé « Stratégies internationales de lutte contre le piratage de contenus culturels et sportifs ». La dimension internationale du sujet est essentielle.
Le piratage présente des enjeux économiques, mais aussi éthiques, qui sont plus subtils mais doivent être pris en compte. C'est le Sénat qui, au moment de l'examen de la loi Hadopi 1, a introduit par amendement la notion d'offre légale.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.
Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse - Examen des amendements de séance sur le texte de la commission
La réunion est ouverte à 14 h 20.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour l'examen des amendements de séance sur le texte de la commission relatif à la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.
M. David Assouline, rapporteur. - Les amendements nos 1 rectifié bis, 2 rectifié et 4 sont identiques. Ils reviennent sur un débat que nous avons déjà eu lors de la présentation du rapport.
C'est l'occasion pour moi de faire le point sur la procédure au niveau européen. Le trilogue de lundi a été annulé, les États n'ayant pas pu donner de mandat clair à la Roumanie. L'Allemagne et l'Italie ont rejoint les rangs des opposants à l'article 13 de la directive. Le blocage ne semble pas concerner l'article 11, qui nous intéresse aujourd'hui.
J'en reviens aux amendements de séance.
Le Parlement européen a voté pour une durée de cinq ans, qui correspond à la durée durant laquelle les droits voisins des éditeurs et des agences de presse s'appliqueraient. C'est la position de la France. Selon moi, à ce stade, il n'y a pas de raison d'abaisser la durée à moins de vingt ans. Néanmoins, si trois groupes politiques réclament cinq ans, je ne peux qu'émettre un avis de sagesse.
M. Jean-Pierre Leleux. - Vous l'avez dit, nous avons déjà eu ce débat. Ce délai nous paraît plus raisonnable, compte tenu de l'obsolescence de plus en plus grande des contenus. Il ne faut pas oublier que les photographes bénéficient déjà d'un droit spécifique. C'est pourquoi je maintiens la proposition du groupe Les Républicains.
M. Michel Laugier. - Le groupe Union Centriste a exactement la même position.
M. Claude Malhuret. - Même motif, même punition. Le groupe Les Indépendants est aussi sur cette ligne.
Mme Sylvie Robert. - Le groupe socialiste et républicain ne prendra pas part au vote, pour se conformer à la position de sagesse exprimée par notre rapporteur.
M. Antoine Karam. - N'ayant reçu aucune instruction de mon groupe, je suivrai le rapporteur à titre personnel.
M. Pierre Ouzoulias. - Le groupe CRCE ne prendra pas part au vote, pour les mêmes raisons que celles qui ont été exprimées par Mme Robert.
La commission émet un avis favorable aux amendements n° 1 rectifié bis, 2 rectifié et 4.
M. David Assouline, rapporteur. - L'amendement CULT. 1 est un amendement rédactionnel.
L'amendement CULT. 1 est adopté.
M. Pierre Ouzoulias. - Une fois la loi votée, il faut craindre une riposte des plateformes, qui choisiront sans doute de faire payer l'hébergement des sites extérieurs. Nous n'avons pas de solution toute faite, mais l'amendement n° 3 a vocation à amorcer le débat, même si je reconnais qu'il n'est pas très bien rédigé. Considérez-le plus comme un amendement d'appel.
M. David Assouline, rapporteur. - Ce sujet mérité d'être traité en séance publique, et j'attirerai l'attention du Gouvernement sur ce point. Il nous faut créer les conditions d'un futur rapport de forces. Or l'amendement ne le permet pas. Les GAFAM - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - risquent d'orchestrer une riposte devant les tribunaux avec de gros moyens. Nous devons donc être irréprochables juridiquement.
Je demanderai le retrait en séance, même si je souscris à votre objectif.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il nous faut avancer toujours plus vers la régulation des plateformes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission adopte les avis suivants sur les amendements de séance déposés sur la proposition de loi :
La réunion est close à 14 h 35.