- Jeudi 17 janvier 2019
- Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture
- Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Olivier Schrameck, président, Mmes Mémona Hintermann-Afféjee et Nathalie Sonnac, membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
Jeudi 17 janvier 2019
- Présidence commune de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture
M. Michel Magras, président. - Je voudrais en tout premier lieu dire ma satisfaction que la présente audition soit menée en réunion conjointe avec nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, dont certains sont également membres de notre délégation sénatoriale aux outre-mer, et je tiens à remercier très vivement sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly d'avoir accepté cette démarche commune.
La question de la représentation et de la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public est un enjeu fort pour nos territoires ultramarins et leurs populations, dont la diversité des cultures et l'implantation dans tous les océans sont une richesse et une chance pour notre pays qui n'en a pas toujours une conscience aiguisée. La valorisation de la dimension ultramarine est largement tributaire d'une connaissance plus effective de cette réalité et cela passe inéluctablement par une meilleure prise en compte dans les médias, une prise en compte dépassant la vision catastrophiste et les clichés vivaces de carte postale : il y a là un enjeu de cohésion républicaine et la « mission du lien » incombe en premier lieu au service public.
À l'heure bientôt sonnée de la réforme de l'audiovisuel public et alors que la décision a été prise par le Gouvernement, au début de l'été dernier, de supprimer la chaîne France Ô de la TNT au profit d'une plateforme exclusivement numérique assortie d'une meilleure intégration des sujets traitant des outre-mer dans la programmation des chaînes publiques, notre délégation a considéré nécessaire de se saisir de ce sujet majeur. Elle l'a fait sur la base d'auditions menées le 5 juillet consécutives à l'émoi suscité par l'annonce gouvernementale ; elles ont révélé de fortes inquiétudes, beaucoup d'incompréhension et la nécessité d'un éclairage étayé. Il est apparu nécessaire de dresser un état des lieux et de procéder à une rétrospective pour asseoir un éventuel nouveau schéma, et en tous cas forger de réelles garanties qui ne soient pas que de bonnes paroles.
Tel est le sens de notre démarche, Monsieur le ministre, une démarche constructive et sans concession comme pour chacune des études menées par la délégation. Nous sommes heureux de vous accueillir pour ouvrir nos travaux dont la conduite a été confiée à nos deux collègues, Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, et Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, qui vous interrogeront tout à l'heure. Avant que vous ne nous présentiez la vision du Gouvernement, je cède la parole à Mme la présidente Catherine Morin-Desailly dont la commission sera amenée à examiner la réforme de l'audiovisuel.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir Franck Riester, ministre de la culture, à l'initiative de la délégation aux outre-mer, qui mène un travail de fond sur l'audiovisuel ultramarin tout à fait nécessaire.
Je confirme que les sénateurs ultramarins de la commission de la culture - Maurice Antiste, Abdallah Hassani et Antoine Karam - sont très vigilants s'agissant de l'avenir de l'audiovisuel public et sur la nécessité absolue d'améliorer l'offre de programmes pour nos concitoyens ultramarins.
Au printemps dernier, la commission de la culture s'est émue de l'annonce de la suppression de la diffusion hertzienne de France Ô, sans que soit en réalité présentée en contrepartie une amélioration de l'offre. Cette suppression a pu laisser penser à une forme de désengagement vis-à-vis de nos concitoyens ultramarins.
Nous aurons l'occasion d'évoquer la situation de France Ô au cours de cette audition. Je crois utile de rappeler que la chaîne est sur la sellette. Peut-être n'a-t-elle pu trouver son public du fait d'un déficit de ligne éditoriale, qui a été sujette à débat. De nombreux rapports de notre collègue Jean-Pierre Leleux en ont d'ailleurs fait état. On peut dire que ses rares performances ont été obtenues grâce à la rediffusion de séries de France 2 et de France 3 sans véritable lien avec l'outre-mer.
Il s'agit donc de savoir comment réellement améliorer cette offre. Les économies réalisées à la suite de l'arrêt de la diffusion hertzienne de France Ô pourront-elles le permettre ? La solution doit être sans doute trouvée dans une offre numérique, ce qui pose aussi la question des projets de plateforme de France Télévisions.
Voici la réalité devant laquelle nous nous trouvons. Nous exigerons en tout cas une équité de traitement de l'ensemble de nos concitoyens, où qu'ils résident. C'est le sens de notre travail, qui est destiné à alimenter notre réflexion dans la perspective de la réforme de l'audiovisuel.
M. Michel Magras, président. - Je laisse à présent les rapporteurs se présenter à vous.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, je suis très heureux que vous participiez à nos réflexions. Vous allez pouvoir nous éclairer sur bien des points.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, sénatrice de l'Essonne, née d'une mère métropolitaine et d'un père martiniquais, je suis attachée à la commune du Diamant, en Martinique, où je possède un pied-à-terre. De par mes origines, je connais bien le sujet que nous allons traiter aujourd'hui.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Monsieur le ministre, comme vous le savez, le Sénat et la commission de la culture travaillent depuis de nombreuses années sur l'audiovisuel dans toutes ses composantes, qu'elles soient privées ou publiques.
Lors des annonces de votre prédécesseure, nous avions exprimé quelques réserves à propos de la suppression de France 4 mais nous avions différé notre avis concernant France Ô, cette question méritant un approfondissement. Nous allons pouvoir avancer dans la clarification. Je me réjouis de ces travaux menés par la délégation aux outre-mer qui nous éclaireront et nous aideront à la rédaction de notre rapport sur la réforme de l'audiovisuel.
M. Franck Riester, ministre. - Madame la présidente, monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un plaisir pour moi d'être présent devant vous ce matin, dans cette salle magnifique pour échanger avec vous sur l'audiovisuel.
Nous sommes dans un moment un peu particulier, une réforme de l'audiovisuel public ayant été annoncée par ma prédécesseure. Parallèlement, Françoise Nyssen a travaillé et je travaille aujourd'hui sur une réforme plus globale de l'audiovisuel, qui comportera nécessairement une partie relative à l'audiovisuel public. Il est donc d'autant plus utile que nous puissions échanger, et je suis à votre écoute.
Qu'elles soient de fiction ou d'information, les images ont un impact considérable sur nos imaginaires : on a tendance à s'y projeter et à apprécier davantage les films et les séries dans lesquelles on s'identifie à un personnage. Mais, pour certains, il est difficile de s'identifier à une image, à une situation ou à un personnage car, trop souvent, les écrans ne montrent qu'une partie de notre société, occultant tout un pan de la société française. En omettant de les représenter, on donne le sentiment à certains territoires et à certains Français d'être invisibles, délaissés, de n'être pas suffisamment considérés.
Ce sentiment, nous l'avons trop longtemps laissé prospérer, et je suis vraiment convaincu que cela ne peut pas durer plus longtemps. Cette insatisfaisante représentation à l'écran, les outre-mer sont les premiers à en souffrir. Leur diversité, leur jeunesse, la richesse de leurs langues et de leur patrimoine, leur vie culturelle foisonnante, leur francophonie vibrante..., nous ne les montrons pas assez, nous ne leur donnons pas suffisamment de visibilité.
Il n'est pas normal de ne pas avoir d'acteurs ou de personnages ultramarins dans les séries françaises. Il n'est pas normal que les journaux télévisés évoquent Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ou La Réunion par exemple uniquement lorsque ces territoires vont mal.
Pour que l'audiovisuel public parle à tous, il faut qu'il parle de tous, et ce sur des chaînes regardées par tous. L'existence d'une chaîne dédiée dans l'hexagone n'était pas une réponse à la hauteur de l'enjeu. Je suis convaincu que France Ô a servi d'alibi à l'absence de programmes dédiés aux outre-mer et à leurs habitants sur les autres chaînes du service public. Elle a cantonné « l'archipel de France » à la périphérie, au lieu de le placer au centre des programmes que les Français regardent.
Les choses doivent changer, et, croyez-moi, les choses vont changer ! La transformation de l'audiovisuel public va nous y aider. Elle doit permettre de montrer la France telle qu'elle est, de donner une image fidèle de notre pays et à notre pays. Elle doit refléter la vitalité de celui-ci. Notre objectif, c'est de placer l'outre-mer au centre et non plus à la périphérie de l'audiovisuel public, c'est de parler de l'outre-mer comme on parle de l'hexagone. Cela signifie, par exemple, intégrer au journal télévisé de France 2 des sujets à propos du prochain lancement de l'expérimentation du pass culture en Guyane ou à propos de l'actualité culturelle de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il s'agit de rendre ces sujets plus visibles à la télévision, mais aussi dans l'univers numérique. Un portail dédié sera développé, comportant beaucoup plus de programmes consacrés aux outre-mer, avec un meilleur accès aux chaînes Outre-mer 1ère et à leurs contenus, qui sont pour moi un modèle exceptionnel de média global.
À l'horizon 2020, lorsque France Ô cessera d'émettre, tous les Français verront sur les écrans du service public des programmes produits en outre-mer, qui parlent de l'outre-mer, avec des ultramarins.
Afin d'y parvenir, des engagements ont été pris par le Président de la République, mais aussi, lors des Assises des outre-mer, en juin, par le Gouvernement tout entier, par la voix de la ministre des outre-mer, ma collègue Annick Girardin, et celle de ma prédécesseure, Françoise Nyssen, le 19 juillet, lors de la restitution de la mission de concertation, ainsi que par France Télévisions - et je remercie Delphine Ernotte de son engagement très fort et à travers elle, l'engagement de toutes les équipes de France Télévisions.
Pour obtenir des résultats visibles à l'antenne dans les meilleurs délais et pour que les choses changent vraiment, nous avons besoin de travailler avec les premiers concernés. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de donner la parole aux outre-mer. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de votre voix. C'est la raison pour laquelle un groupe de travail composé de parlementaires travaille avec France Télévisions afin d'étudier la façon dont les engagements pris seront tenus.
Il est de la responsabilité du Gouvernement - et nous l'assumons - de demander clairement à France Télévisions un certain nombre de propositions pour respecter les engagements qui seront pris et seront inscrits dans les documents contractualisant notre relation avec France Télévisions - par exemple, le cahier des charges, le contrat d'objectifs et de moyens (COM) ou encore la future loi audiovisuelle.
Si nous voulons la diversité à l'écran, nous devons avoir la diversité dans nos rangs. Il faut continuer le travail avec France Télévisions. Nous avons besoin de rentrer précisément dans le concret, avec des indicateurs et des idées pour réinventer les programmes des chaînes et le déroulé des journaux télévisés, de recruter de nouveaux animateurs, de réfléchir collectivement aux moyens d'améliorer la visibilité des territoires ultramarins dans l'ensemble du pays.
Il faut également associer à cette démarche Arte, France Médias Monde, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Médiamétrie. Catherine Morin-Desailly a justement rappelé que l'audience de France Ô était très faible : elle était en 2007 de 0,6 point, soit 2,2 % des audiences totales de France Télévisions. Il y avait un problème d'audience. Il faut en revanche s'assurer que les programmes ultramarins, qui contiennent des personnalités ultramarines ou qui portent sur des sujets ultramarins, soient diffusés à un moment où l'audience est forte. Ce qui compte, c'est de toucher le plus grand nombre de Français, dans l'hexagone ou en outre-mer. Il faut aussi travailler avec les syndicats de la production audiovisuelle et avec le collectif « Sauvons France Ô », car nous devons échanger, travailler et être à l'écoute de tous.
L'État souhaite travailler avec le groupe de travail, les commissions des affaires culturelles du Sénat et de l'Assemblée nationale, les deux délégations parlementaires. Nous devons mobiliser nos moyens, sans confusion entre le législatif et l'exécutif, mais avec la même volonté que l'audiovisuel public et France Télévisions changent dans l'approche des outre-mer.
Avant de répondre à vos questions, je tiens à rappeler que France Télévisions continuera à engager des personnels et des moyens au niveau central pour les offres ultramarines. La question de l'avenir des personnels de France Ô sera traitée avec sérieux et responsabilité : nous devons faire les choses comme il se doit.
10 millions d'euros sont actuellement alloués par France Télévisions aux coproductions ultramarines. Cette enveloppe budgétaire sera non seulement maintenue mais elle doit être augmentée.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous avons toutes les cartes en main pour mieux représenter l'outre-mer. Nous avons les moyens d'en parler comme on parle de l'hexagone : c'est ce que nous allons faire. Sur ce sujet, je n'aurai de cesse de travailler en étroite collaboration avec la ministre des outre-mer, ma collègue Annick Girardin, et de coopérer avec le Parlement et l'ensemble des collectivités territoriales ultramarines.
Je suis élu depuis 1995, j'ai été maire durant dix ans et suis toujours conseiller municipal de Coulommiers : je suis très attaché au fait d'entretenir les meilleures relations avec les élus, en particulier les élus locaux. Les relations avec les collectivités territoriales ultramarines sont donc pour moi essentielles. Vous pouvez compter sur ma détermination et mon écoute totale. Je vous remercie.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre. J'apprécie la concision et la précision de votre propos. Nous faisons tous le même diagnostic concernant l'insatisfaisante représentation à l'écran des outre-mer et leur insuffisante visibilité.
Je note votre volonté de changer. Notre délégation est fidèle à sa manière de travailler : nous n'avons pas d'idée préconçue. Le rapport et les préconisations que nous fournirons seront à la disposition du Gouvernement comme du Parlement et de l'ensemble des acteurs concernés.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, votre intervention pourrait presque constituer une excellente conclusion à nos travaux, tant vous êtes largement allé dans les détails.
Les cahiers des charges et les contrats d'objectifs et de moyens (COM) successifs de France Télévisions prévoient, décret après décret et COM après COM, une visibilité des outre-mer sur l'ensemble des chaînes, notamment France 2 et France 3.
Je vais vous citer - et ce n'est qu'un exemple - le COM 2011-2015 : « France Télévisions renforcera les liens entre les rédactions de France 2, France 3 et celles de RFO, de façon à amplifier la diffusion en métropole d'images et de reportages en provenance de l'outre-mer ».
Je cherche, monsieur le ministre, les raisons impérieuses qui ont pu empêcher France Télévisions de respecter la mission inscrite dans son contrat. Si les cahiers des charges et les contrats d'objectifs et de moyens ne sont que des manifestes, autant gagner du temps et s'exonérer de leur rédaction.
En outre, les outre-mer représentent 11 collectivités et des millions de Français, dans les territoires comme dans l'hexagone. Mais quelle visibilité sur les grandes chaînes ? Peau de chagrin. Si les chaînes publiques font toujours mieux que le privé, elles sont loin, très loin de briller dans ce domaine, et ce alors même que leur cahier des charges les y invite explicitement.
Ma question est simple, Monsieur le ministre, faut-il Irma pour que l'hexagone découvre que Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont des îles françaises ? Faut-il qu'un célèbre chanteur décide de se faire inhumer dans les Antilles pour que nous en voyions une carte dans un journal télévisé ? Faut-il que Mayotte subisse des troubles importants durant des semaines pour avoir 30 secondes au 20h ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, nous parlions des critiques que subit souvent France Ô. Cette chaîne ne serait pas à la hauteur.
Je me permets de vous lire un extrait du COM 2011-2015 « France Ô s'efforce de raconter de "belles histoires", fait appel à l'empathie, à l'émotion, aux impulsions créatrices et à l'intelligence humaine ». De qui se moque-t-on ? Surtout, de qui se moquaient les rédacteurs de ce COM, qui est de la responsabilité de votre ministère et de France Télévisions ?
Quelle a été la réelle ambition des gouvernements successifs pour cette chaîne ? Et si, monsieur le ministre, le problème ce n'était pas France Ô mais le manque d'ambition qu'on lui porte ?
Considérons que cette chaîne est une fenêtre dans l'hexagone sur les outre-mer, mais elle est aussi et surtout une passerelle, entre les outre-mer et l'hexagone et entre les territoires eux-mêmes. C'est une symbolique forte et je mesure le gâchis qui est en train de se produire.
Monsieur le ministre, France Ô est souvent pointée du doigt pour ses audiences, vous les avez évoquées. On avance régulièrement le chiffre de 0,6 % de part d'audience. Nous avons eu des bilans de Médiamétrie sur cet aspect. Je vous avoue que j'ai été assez interloquée : on omet de préciser que 0,6 %, c'est l'audience mesurée... dans l'hexagone seulement !
C'est assez révélateur que, pour évaluer une chaîne « des outre-mer », on ne s'intéresse qu'à son résultat dans l'hexagone.
Si l'on regarde les audiences outre-mer, on constate des chiffres toujours supérieurs, et de loin : le double voire le triple dans les Antilles, 3,4 % en Polynésie, 3,8 % en Guyane et 4,6 % à Mayotte. Ces audiences sont-elles à vos yeux négligeables et « confidentielles » ?
M. Franck Riester, ministre. - En effet, l'audience est un peu plus forte en outre-mer, d'abord parce qu'il y a moins de chaînes. Elle atteint 3 points : on pourrait néanmoins attendre beaucoup mieux d'une chaîne dite d'outre-mer en outre-mer, avec une mission de service public d'atteindre des publics importants ! On voit bien que les publics ultramarins eux-mêmes considèrent que les programmes de France Ô ne correspondent pas forcément suffisamment à leur attente.
Pour autant, certains contenus étaient très intéressants. Je ne remets pas en cause la totalité de la programmation de France Ô : je dis simplement que, globalement, on ne touche pas suffisamment de public dans l'hexagone et en outre-mer. Il faut plutôt investir des moyens pour développer les contenus et renforcer la présence de l'outre-mer dans l'audiovisuel public. L'ambition doit être beaucoup plus forte.
Je suis convaincu que l'on peut faire beaucoup mieux. France Ô souffre aussi, il faut le dire, de la modification assez récente de son cahier des charges. Elle était auparavant la « chaîne de la diversité » et pas simplement celle de l'outre-mer, il faut s'en souvenir. Il y a encore des intitulés qui ne correspondent pas vraiment à ce que l'on pourrait attendre d'une chaîne de l'outre-mer. Il faut que l'audiovisuel public ait clairement pour mission de représenter l'outre-mer, de diffuser des programmes qui touchent des sujets d'outre-mer, réalisés par des producteurs, des acteurs et des journalistes ultramarins. C'est notre objectif et cela doit constituer une belle ambition de l'audiovisuel public.
Le texte sur l'audiovisuel, les cahiers des charges et le futur COM seront l'occasion de le faire figurer noir sur blanc. Ce travail, qui consiste à trouver collectivement les bons indicateurs et intitulés que l'on pourra y inscrire, nous permettra de vérifier ensuite qu'ils sont respectés. Il faudra savoir ce que l'on attend et il faudra également que le CSA s'assure que le cahier des charges et le COM sont respectés par France Télévisions. Cela n'a pas toujours été suffisamment le cas, on ne peut que le regretter. Nous comptons bien insister sur ce point dans nos discussions futures avec le CSA.
Je l'ai dit dans mon propos liminaire, il n'est absolument pas normal, et vos exemples étaient très bons, qu'on ne cite que très ponctuellement les différents territoires ou départements d'outre-mer. J'ai beaucoup regardé la télévision entre Noël et le Jour de l'An, durant la trêve des confiseurs : il est formidable, lors de la diffusion du bulletin météo de France 2, de pouvoir avoir la météo des outre-mer et savoir le temps qu'il fait en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion ou en Polynésie française même si c'est parfois dur quand nous avons de la pluie en Île-de-France ! Il y a une véritable appétence de nos compatriotes dans ce domaine, nos compatriotes de l'hexagone aiment l'outre-mer. Il faut que l'on assure donc davantage la présence de l'outre-mer dans l'audiovisuel public.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, vous annoncez une « plateforme numérique » qui proposerait des contenus en ligne et une création renforcée. Mais à quels publics vous adressez-vous ? On nous parle de « l'évolution des usages », et de la « consommation croissante de contenus en ligne ». Mais la télévision reste le média de masse, accessible à tous. Alors que les audiences de France Ô en Guyane et à Mayotte sont par exemple plus qu'honorables, faut-il vous rappeler le faible accès à internet dans ces territoires ?
Cesser la diffusion en linéaire, sur la TNT, de cette chaîne, pour beaucoup de ses publics ce n'est pas une bascule sur le numérique, c'est la coupure du signal.
Je voudrais par ailleurs vous interroger, monsieur le ministre, sur ce que signifie aujourd'hui pour vous la notion de « service public ». Le service public est-il soumis aux chiffres d'audience comme les autres chaînes ? Si oui, allons jusqu'au bout de la logique : que ferez-vous si le programme mensuel que l'on nous annonce dédié aux outre-mer sur France 2 et France 3 réalise de faibles audiences ?
Nous entendons également les critiques portées à France Ô : « pas assez d'outre-mer », « trop de fictions étrangères ». Mais quels sont les moyens de cette chaîne ? 25 millions d'euros, c'est 1,16 % du coût de la grille du groupe France Télévisions.
La commission de concertation que votre prédécesseure avait mise en place parle pour France Ô d'une chaîne « pleine d'énergie, qui produit à coûts raisonnés et qui apporte un vrai soutien à la création ». Avant de fermer France Ô, ne faut-il pas tenter de lui donner les moyens adéquats et d'en évaluer les résultats ? Et ce alors que le COM 2016-2020 précisait que « dès septembre 2016, France Ô sera consacrée exclusivement aux outre-mer afin de mieux les faire connaître à un large public, de l'hexagone et des outre-mer eux-mêmes, et de favoriser le maintien des liens entre les originaires des outre-mer vivant dans l'hexagone et leurs collectivités d'origine ».
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, vouloir renforcer la place des outre-mer sur les grandes chaînes est louable et c'est même une nécessité. Encore une fois, ce n'est que vouloir le respect des missions assignées au service public en la matière.
Mais je voudrais que nous posions vraiment la question de ce canal dédié qu'est le canal 19 avec France Ô. Les heures de programmes quotidiens dédiés aux outre-mer ne seront pas toutes reprises sur les autres chaînes. Cette disparition n'est pas un transfert, c'est une perte sèche. On nous parle d'un programme de début de soirée par mois, de bulletins météo... Est-ce cela, l'avenir des outre-mer sur les chaînes publiques, « cocher la case outre-mer une fois par mois » ?
Je voudrais enfin vous interroger sur les orientations retenues concernant France Ô. Le candidat Emmanuel Macron déclarait, en avril 2017 : « France Ô sera maintenue. Il n'y aura pas de suppression, je l'ai dit. Je pense qu'il y a une multiplication de chaînes qui, parfois ne se justifie pas, mais France Ô a un programme et une justification pleine et entière ». En juin 2018, Emmanuel Macron, devenu Président de la République, s'est à nouveau exprimé sur l'avenir de cette chaîne, déclarant que le doublon était ridicule aujourd'hui et qu'il fallait faire un choix, considérant le débat sur le maintien de France Ô comme hypocrite. Que s'est-il passé en un an pour que la même chaîne passe aux yeux du Président de la République d'un statut de légitimité reconnue à celui de coquetterie inutile ?
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, quelles exigences avez-vous formulées auprès de France Télévisions pour la mise en oeuvre du calendrier de la réforme ? Je pense particulièrement aux équipes et aux personnels du pôle outre-mer et de France Ô. Les échos que nous pouvons avoir sur le traitement de leur situation et l'incertitude de leur avenir professionnel sont inquiétants. Je tiens d'ailleurs à saluer leur travail au service de l'information et de la production de contenus sur notre territoire.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, les formules se sont succédé dans les lois et cahiers des charges pour que les grandes chaînes publiques puissent mettre en oeuvre un aspect de leur mission de service public, la visibilité de ces territoires de la République que sont les outre-mer.
Pourtant, nous savons tous que très peu de programmes ultramarins sont présents sur les grandes chaînes, encore plus aux heures de grande écoute. Quant au journal de l'outre-mer, il a même disparu des antennes de France 3 depuis 2016, je crois !
Ce constat, monsieur le ministre, aboutit à une conclusion pessimiste : comment peut-on avoir confiance dans des exigences qui, en plus de vingt ans, n'ont jamais été satisfaites ? Comment croire en d'éventuels indicateurs, qui apparaissent comme autant de totems, dont les garanties sont plus qu'incertaines ?
Aussi ma question est-elle simple : que faut-il que nous écrivions dans la loi, que faut-il que vous écriviez dans les cahiers des charges, pour que les chaînes publiques s'astreignent enfin à respecter cette mission fondamentale de représentation de la société française et de l'ensemble des territoires ?
Enfin, le communiqué de presse du 19 juillet 2018 évoquait le maintien des moyens de production à l'heure de la nouvelle plateforme numérique. Pouvez-vous nous assurer que l'enveloppe dédiée aux productions ultramarines sera au moins sanctuarisée ?
M. Michel Magras, président. - Vous l'avez vu, monsieur le ministre, les inquiétudes sont nombreuses et grandes. Je vous laisse le soin de les lever toutes.
M. Franck Riester, ministre. - Je me suis engagé en politique, comme vous j'en suis sûr, madame la sénatrice, parce que je crois que l'on peut changer les choses. Je crois qu'en prenant des décisions, en s'engageant, avec des difficultés évidemment, on peut y arriver. Je ne me satisfais pas du manque de résultat du passé. Je ne suis pas fataliste. Je vais essayer, avec vous, d'y parvenir. C'est cela, la politique : on a des idées, on veut les mettre en oeuvre pour que la situation s'améliore, que les gens vivent mieux, et que ce que l'on considère comme pertinent devienne réalité.
Je suis convaincu qu'on peut faire mieux en travaillant sur le cahier des charges, sur le COM, en partenariat avec les équipes de France Télévisions et de l'audiovisuel public au sens large : Radio France, Arte, France Médias Monde, TV5 Monde, les chaînes Outre-mer 1ère.
France Ô a constitué une sorte d'alibi pour ne pas être volontariste sur les autres antennes de France Télévisions. Soyons volontaristes, précis, concrets ! Il le faut. On peut faire évoluer les choses. Nous allons nous y atteler. Cela passe par un travail en commun, par la définition de points très précis et par la vérification par le CSA, mais aussi par le Gouvernement et le Parlement, que les engagements mentionnés dans le cahier des charges et le COM sont tenus.
Je suis persuadé qu'il faut aller bien plus loin et s'assurer que la politique de l'audiovisuel public est tournée vers le public. Il faut que l'on sache à quels publics on s'adresse et on veut proposer des programmes d'audiovisuel public, c'est fondamental. Tout un travail de fond reste à faire.
Il faut que nous ne soyons pas seulement en train de produire des programmes par canal de diffusion mais bien de réfléchir et répondre aux besoins et attentes des publics en correspondance avec les missions de service public, et ensuite, de concevoir et diffuser sur différents supports - radio, tv, internet. C'est cela l'audiovisuel, la télé et la radio d'aujourd'hui et de demain.
Pour ce qui concerne l'outre-mer, il faut travailler avec les équipes de France Télévisions pour préciser ce qu'on attend d'elles. C'est tout le travail que l'on aura à mener dans l'année qui vient.
Comment vérifier que l'audiovisuel public est à la hauteur de nos attentes ? C'est un grand débat. Cela fait des années que le Parlement, le Gouvernement et tous les observateurs s'interrogent sur cette question. Doit-on uniquement tenir compte de l'audience, comme le font essentiellement les chaînes privées ? Est-ce la qualité des programmes ? Et qui la juge alors ? Est-ce la perception et la satisfaction des téléspectateurs devant ces programmes ? La performance de l'audiovisuel public est à mon sens une combinaison de tout cela. L'audience est nécessaire car il faut toucher un public - pas seulement confidentiel - mais elle ne suffit pas. Cela ne doit pas nous empêcher d'être exigeants en matière de qualité et de nous assurer que les programmes proposés correspondent à ce qu'on attend du service public, ce qui est notamment précisé dans le cahier des charges.
L'exécutif et le législatif doivent veiller à ce que l'évaluation de la performance de l'audiovisuel public soit adaptée aux évolutions des usages. De plus en plus de nos compatriotes ont accès aux contenus audiovisuels sur internet. J'aime à dire qu'on regarde de plus en plus la radio et qu'on écoute de plus en plus la télévision : ce n'est pas scandaleux, c'est une évolution dont il faut tirer les conséquences.
Les questions de la couverture hertzienne et de la couverture en très haut débit sont deux priorités du Gouvernement. Tous les territoires de la République doivent avoir accès au très haut débit. L'État y consacre des moyens considérables, les collectivités territoriales jouent le jeu. Cela soulève aussi des questions de régulation, car l'accès aux contenus hertziens et le très haut débit nécessitent une réflexion de plus en plus transversale. Nous devons être exigeants sur la qualité et la conformité des contenus par rapport au cahier des charges mais nous savons que nos compatriotes regardent de plus en plus de contenus de l'audiovisuel public sur internet via smartphone, ordinateur ou tablette. Il faudra donc étudier comment, au-delà de la télévision linéaire, France Télévisions éditorialise ses différents dispositifs internet pour pouvoir mettre à disposition les contenus ultramarins de la manière la plus large possible.
Cette présence ne doit pas être anecdotique et ne concerner que la météo ou un programme une fois par mois, bien évidemment. C'est cela qu'il faut concrètement regarder avec France Télévisions. Nous avons l'engagement des équipes, le CSA est là pour s'assurer que les engagements sont tenus et nous sommes là, exécutif et législatif, en vigies. En ce qui concerne le Président de la République et le Gouvernement, un travail a été accompli par ma prédécesseure et ses équipes. Elles en ont conclu qu'une réforme de l'audiovisuel public passait par l'arrêt de France 4 et de France Ô en linéaire. Dont acte. Il faut maintenant envisager l'avenir avec détermination et ambition.
Concernant le pôle outre-mer, les équipes sont forcément dans l'incertitude et dans l'inquiétude quand il y a de telles réformes. J'ai encore échangé avec Delphine Ernotte sur cette question assez récemment. Elle est très mobilisée pour faire en sorte que les choses se passent au mieux.
Je souhaite que les équipes de France Télévisions restent mobilisées pour traiter un certain nombre de contenus ultramarins dans l'hexagone. Chaque cas particulier sera suivi par la présidente de France Télévisions et ses équipes de ressources humaines afin que la transition se passe au mieux.
M. Michel Magras, président. - Nous devons entendre la présidente de France Télévisions, aller à Malakoff au siège du pôle outre-mer et échanger en visioconférence avec différentes chaînes Outre-mer 1ère avant d'entendre les directions des chaînes à Paris pour nourrir nos travaux.
M. Georges Patient. - Monsieur le ministre, France Ô aurait été victime de l'audimat. S'il fallait en instaurer un au Sénat, je crois qu'il n'y aurait plus de parlementaires ultramarins depuis pas mal de temps, tant l'intérêt qu'on peut susciter est le même que celui que suscite France Ô ! Tenir compte, dans l'audiovisuel public, du critère d'audience ne permettra jamais d'arriver à l'équité pour les outre-mer.
Vous avez évoqué un certain nombre de moyens d'évaluation : je reste persuadé que le seul moyen de faire connaître les outre-mer dans l'audiovisuel public est de pratiquer - je vais peut-être heurter certains - la discrimination positive, comme l'ont fait les Américains. Les outre-mer représentent 5 % de la population française : appliquons ce pourcentage à tous les niveaux - direction de l'audiovisuel public, production - et cessons de tenir compte du seul audimat.
N'ayons donc pas peur de faire de la discrimination positive. Si j'utilise ce terme, c'est parce que je considère que nous sommes actuellement discriminés.
M. Antoine Karam. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué la météo et c'est vrai que le soleil et la chaleur de nos territoires sont un peu exotiques quand nous sommes ici dans le froid.
Je tiens à souligner que ce sont les outre-mer qui confèrent à la France et à l'Europe sa dimension universelle, avec un espace maritime conséquent. Toutefois, l'audience que vous évoquez en permanence démontre que nous sommes toujours exclus, même sur les chaînes nationales. Lorsqu'on écrase un chien en région parisienne, on en parle, mais lorsque quinze maisons brûlent à Saint-Laurent-du-Maroni, ville de 60 000 habitants, à la frontière du Suriname, en Amérique du Sud, et qu'il y a une centaine de personnes dans la rue, personne n'en dit mot, on ne sait même pas que nous existons !
Vous avez évoqué internet : c'est de chez nous que sont lancés les meilleurs satellites du monde qui lui permettent de fonctionner, sauf que 35 % de la population en Guyane n'a pas accès à l'électricité ou à l'eau potable ; je vous laisse aller voir l'accès à internet. Voilà les décalages.
Même si l'audimat de France Ô est ridicule, les images qui passent par cette chaîne permettent à des millions de personnes de s'intéresser à nos problèmes. Je ne sais quelle décision sera prise, mais vous avez observé que les ultramarins, mais aussi les collègues de cette commission, sont vent debout contre cette décision. On ne peut pas faire disparaître une chaîne de télévision qui a une histoire et un passé. Il faut simplement la transformer, lui donner une autre dimension, y mettre les moyens, faire le ménage s'il le faut. Mettre 5 ou 10 minutes par ici ou par là ne va pas améliorer, je crois, la situation et réduire le décalage qui existe entre les outre-mer et la France hexagonale.
Mme Catherine Dumas. - Je suis une amie des outre-mer. Je suis sénatrice de Paris mais j'ai un fort lien avec les outre-mer et je veux démontrer, par ma présence, l'intérêt que je porte à ce sujet. Nous sommes nombreux au Sénat dans ce cas.
Je voudrais attirer votre attention sur les contenus. Je pense que la visibilité de l'outre-mer passe par la mise en valeur des talents, des savoir-faire, des hommes et des femmes qui font les outre-mer - et il y en a beaucoup. C'est ce qu'on attend de l'audiovisuel public : montrer ce qu'est le territoire, même aussi loin.
J'attire votre attention sur le contenu des programmes, notamment sur France 2 : pourquoi ne nous parle-t-on pas des savoir-faire de l'outre-mer, de l'artisanat, de la gastronomie - c'est un sujet très porteur sur le plan culturel, patrimonial, économique, ainsi qu'en termes de formation ?
Il faut faire passer certaines informations qui seront appréciées par tout type de public. Elles permettront également de renforcer cette cohésion des territoires sur laquelle nous travaillons et qui est vraiment nécessaire à notre pays, encore plus maintenant. Cela peut également constituer un levier pour le tourisme et répondre à la question de l'audience et de la satisfaction des téléspectateurs, ce que vous appelez la performance de l'audiovisuel public.
M. David Assouline. - Monsieur le ministre, il est difficile de discuter avec vous d'une décision que vous n'avez pas prise et que, peut-être, vous n'auriez pas prônée à ce moment-là et dans ces conditions. Le premier malentendu réside probablement - et ce n'est pas à vous d'en rendre compte - dans le fait qu'on ait annoncé une grande réforme de l'audiovisuel public et, avant même qu'on ait commencé à en étudier les propositions, il ait été décidé de réduire le périmètre de l'audiovisuel public de deux chaînes : c'est gigantesque.
Il fut une époque, et vous la connaissez, au moment de la réforme de l'audiovisuel de 2009, où l'idée d'une réduction du périmètre aurait fait grand scandale. Cela avait déjà été évoqué. Une décision aussi lourde, prise sans vrai débat, suscite probablement les malentendus auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, je parle ici de la forme. Il vous appartient ainsi qu'au Gouvernement d'envisager de rectifier la décision. Le maintien d'une chaîne dédiée à l'outre-mer remaniée, enrichie, peut-il être encore envisagé ?
Sur le fond, s'agissant de l'audience, beaucoup a été dit. J'ai souvenir que certains plaidaient à une certaine époque pour l'arrêt d'Arte. Nous avons pensé qu'il y avait une particularité d'Arte qu'il fallait plutôt renforcer, trouver son public, l'enrichir. C'était indispensable, tout comme pour France Culture à Radio France. Personne ne vient aujourd'hui plus le remettre en cause, le public a été trouvé.
Les citoyens d'outre-mer sont des personnes comme les autres : sur l'ensemble de l'offre, il doit y avoir une visibilité. Ce n'était pas fait : il faut le faire mieux et plus fort, même si des efforts ont été réalisés. Cela n'épuise cependant pas le sujet de la spécificité territoriale et culturelle, car il y en a une, d'une chaîne des outre-mer : l'un n'efface pas l'autre. À une autre époque, on aurait dit qu'il s'agissait d'un cadeau fait à la concurrence privée.
Dans un autre domaine, nous pouvons également évoquer la suppression de France 4. Cette chaîne, qui avait certes des problèmes d'audience, aurait pu être améliorée alors que la BBC dispose de deux chaînes enfance et que le secteur de l'animation pourrait être affecté. Il aurait probablement nécessité que l'on puisse en discuter au moment de la réforme à venir. Je redoute que tout soit parti d'une injonction budgétaire, et non d'une vision. Certes, le fait de supprimer deux chaînes indique une cible d'économies à l'horizon 2022, que l'on habille en parlant d'audience et de changement culturel. Peut-être aurait-il fallu faire l'inverse : acter le nécessaire maintien en réformant pour proposer une offre de meilleure qualité n'aurait pas produit d'économies par la suppression de cette chaîne.
Mme Céline Brulin. - Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur les audiences de France Ô, même s'il a été justement rappelé qu'elles ne sont pas les mêmes en métropole et outre-mer et que l'on ne peut pas examiner le service public seulement à l'aune de l'audimat. Pourquoi, à partir de ce diagnostic, ne pas travailler la piste d'une modification de la ligne éditoriale de la chaîne et de moyens supplémentaires pour qu'elle puisse conquérir des parts d'audience supplémentaires ? Cette solution n'a pas été explorée.
Je ne vais peut-être pas être comprise de mes collègues ultramarins et j'entends la volonté de faire « France ensemble » : que la visibilité de l'outre-mer passe par les chaînes généralistes paraît séduisant. Malheureusement, la proximité du service public audiovisuel recule, même en métropole, où certaines éditions locales sont aussi sur la sellette. Ceci n'est pas fait pour rassurer nos concitoyens d'outre-mer sur le fait que l'on accordera toute l'importance à leurs territoires.
Enfin, même si les usages numériques se développent considérablement, ils ne constituent pas la solution à tout. La suppression de France Ô est prévue pour 2020, c'est demain et malgré les efforts énormes que réalisent les collectivités pour équiper nos territoires en accès numérique, on sera encore très loin d'une couverture totale à cette échéance.
Vous parlez du travail mené avec des parlementaires mais, dans le délai imparti, autant d'imprécisions m'inquiètent : je ne vois pas de solution qui permette de nous rassurer. Je sais que vous n'êtes pas à l'origine de cette décision ; on comprend parfaitement que cela puisse expliquer un certain nombre d'approximations.
M. Michel Magras, président. - Monsieur le ministre, dans le droit fil de l'intervention du président Assouline, je souhaiterais ajouter quelques éléments sur la forme.
Reprenons l'agenda de cette réforme : le 5 Juin 2018, annonce du « scénario de l'anticipation » et mise en place d'une commission de concertation ; le 28 juin 2018, propos du Président Macron, laissant penser à une suppression à venir de France Ô ; le 5 juillet 2018, devant la délégation, la commission de concertation indique pourtant que rien n'est tranché ; le 19 juillet 2018, communiqué de presse du Premier ministre et de votre prédécesseure scellant la disparition de la chaîne.
Un mois. À peine un mois où on nous a dit « ne vous inquiétez pas » puis « cette chaîne n'est pas utile » avant de la fermer, sans autre forme de concertation et consultation.
Que faites-vous ensuite ? Vous créez un groupe de travail pour établir des indicateurs, en demandant donc implicitement aux parlementaires d'acter votre décision. Mais, monsieur le ministre, c'était avant cette décision qu'il fallait convoquer France Télévisions devant les parlementaires, c'était avant cette décision qu'il fallait mettre tout le monde autour de la table pour vraiment examiner les forces et faiblesses de l'offre actuelle et réfléchir ensemble aux meilleures options à retenir.
Je ne peux adhérer à votre méthode, et c'est en ce sens que la délégation entend au Sénat repositionner ce débat, le dépassionner et apporter de réels éléments objectifs de réflexion.
M. Franck Riester, ministre. - Je vais commencer par répondre à MM. Patient et Karam. Je me rendrai en Guyane durant le premier trimestre au sujet du pass culture, ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure. C'est un symbole de notre volonté de prendre en compte toutes les spécificités des territoires ultramarins. Le pass culture, qui est une application internet, doit être confronté à la réalité de la situation d'un certain nombre de territoires. C'est pour cela que je veux aller sur place : pour examiner la manière dont on prend en compte les spécificités qui sont les vôtres. J'irai également en Martinique et en Guadeloupe rendre compte des différentes problématiques audiovisuelles, patrimoniales et du pass culture.
Nous avons intérêt à bien faire comprendre et partager à tous nos compatriotes, quels qu'ils soient, que la France est diverse et riche de cette diversité. Les outre-mer constituent une richesse formidable pour notre pays, cela doit être perçu par l'ensemble de nos compatriotes. C'est pour cela que je parle d'audience, non pour dire « c'est trop cher et il n'y a pas d'audience, on supprime » : l'objectif n'est pas simplement économique mais il s'agit de s'assurer qu'on touche le plus de personnes possible avec la visibilité des talents ultramarins.
Les Outre-mer 1ère sont de formidables chaînes de média global public de proximité en outre-mer. Elles touchent un large public et sont à mon avis très modernes. Je pense que l'on doit s'en inspirer dans l'hexagone, notamment dans la réflexion autour de la réorganisation de France 3 et France Bleu. Je suis convaincu que l'une des missions essentielles de l'audiovisuel public est de s'assurer de contenus, d'informations culturelles, d'éducation, de proximité. L'audiovisuel public doit relever ce défi. France Bleu et France 3 réalisent déjà des choses formidables, mais il faut aller beaucoup plus loin. Il existe une attente en matière d'information et de contenus de proximité.
Catherine Dumas a raison : les Français aiment en effet leur terroir, leur territoire, leur culture, qu'elle soit régionale, locale ou nationale. Il faut que l'on mette ceci davantage en avant, il ne faut pas en avoir peur. Il y a un gros travail à fournir et tout changement soulève des interrogations, des inquiétudes. Il faut savoir rassurer et donner des gages, mais je suis convaincu qu'il faut s'inspirer de ce qui est fait outre-mer par les Outre-mer 1ère et capitaliser sur cette force, qui permet d'avoir une spécificité ultramarine - car il y en a une - en s'assurant également d'une plus grande présence dans tous les contenus audiovisuels publics.
Concernant le nombre de chaînes qu'évoquait David Assouline, la somme est de « +1, -2 » avec la création de la chaîne gratuite France Info, par rapport à la situation d'il y a 10 ans. Avec quatre antennes linéaires gratuites sur la TNT, plus internet, plus les antennes radio publiques et les antennes spécifiques des Outre-mer 1ère, ne dispose-t-on pas d'un panel suffisamment important pour remplir les missions de l'audiovisuel public ? Je pense que oui. La priorité doit porter sur les missions de l'audiovisuel public et la réflexion sur leur actualisation, non sur la question du nombre de chaînes qui serait une perte de temps. Même si cela ne remplace pas toute l'offre linéaire, loin s'en faut, il faut se rendre compte que de plus en plus de nos compatriotes ont accès aux contenus audiovisuels, publics en particulier, via les différents supports numériques. C'est évident, il faut en tenir compte, il ne s'agit pas de supprimer tout le reste pour autant.
Quant à l'animation, il y a avec la décision de supprimer France 4 des interrogations. Il s'agit d'un sujet important, notamment pour les jeunes téléspectateurs. C'est un secteur économiquement important, la France est en pointe en matière de fabrication et de production de contenus d'animation. Ce n'est pas parce qu'on supprime France 4 et qu'on mobilise davantage d'énergie sur les supports et les contenus numériques qu'on se prive de diffuser des contenus d'animation sur le linéaire de l'audiovisuel public. Il existe trois antennes - quatre avec France Info - sur lesquelles on doit aussi trouver de l'animation et non seulement sur un canal qui est aujourd'hui France 4. On ne renonce pas à diffuser de l'animation en linéaire sur l'audiovisuel public. Pour autant, on voit bien que particulièrement les jeunes - mais pas seulement - ont accès aux contenus audiovisuels à partir des nouveaux supports. Il faut leur apporter des contenus de l'audiovisuel public là où ils sont, et se mobiliser pour cela.
Dans l'absolu, on pourrait peut-être avoir plus de chaînes, mais il existe des limites financières, je n'ai pas peur de le dire. Ce sont nos compatriotes qui payent l'audiovisuel public avec la contribution à l'audiovisuel public ; on doit donc demeurer vigilant en matière de gestion de l'argent public et se fixer des limites aux moyens qu'on mobilise, même si l'on doit être ambitieux et s'assurer de bénéficier de moyens importants pour satisfaire de la meilleure façon possible les missions importantes de l'audiovisuel public.
Je suis totalement d'accord avec Catherine Morin-Desailly, il faut proposer des contenus pertinents qui touchent un public, de qualité, qui créent une satisfaction : c'est la force des créateurs. C'est ainsi que l'on donnera davantage envie d'audiovisuel public à nos compatriotes.
Mme Sylvie Robert. - Je ne vais pas revenir sur la méthode, mon collègue David Assouline en a parlé. Le sujet aurait pu être travaillé bien en amont, et nos travaux en cohérence avec l'ensemble de la réflexion sur la réforme de l'audiovisuel public. Ces questions de méthode nous poussent parfois à réfléchir de façon un peu biaisée.
Qu'entendez-vous, monsieur le ministre, par le terme de visibilité ? Quelles sont les facteurs ? Les conditions de réussite ? S'agit-il de la régularité, d'un montant plus important dans la production ? On peut commencer par s'interroger sur le thème même.
Nous n'avons pas non plus abordé la question importante de la mémoire et du patrimoine immatériel que constituent les outre-mer. Je pense que la disparition de France Ô pose cette question de la sauvegarde de cette mémoire pour l'INA. Qu'entendez-vous par là ?
Enfin, un collègue le disait, le COM n'a pas été respecté : comment allez-vous faire demain pour que la mesure prise afin de garantir à tous les citoyens cette visibilité soit respectée ?
M. Stéphane Artano. - Monsieur le ministre, je vous invite à venir à Saint-Pierre-et-Miquelon même si ce n'est pas les mêmes températures que là où vous avez prévu de vous rendre.
Je vous accorde le bénéfice du doute, mais nous ne sommes pas des « perdreaux de l'année » ! En décembre 2017, la ministre des outre-mer m'annonçait que France Ô ne disparaîtrait pas. J'avais interrogé Françoise Nyssen dans la foulée à ce sujet, début 2018, elle était également pétrie de bonnes intentions. En juillet, tout ce petit monde nous a annoncé la disparition de la chaîne !
La décision a pour moi été arrêtée, j'en prends acte, même si je peux la regretter pour les raisons que j'avais évoquées. David Assouline a raison de rappeler qu'il s'agit d'un alibi pour justifier un choix budgétaire. C'est tellement vrai qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, on vient de modifier l'heure du journal local d'une demi-heure. Pour reprendre une crainte exprimée par ma collègue, je pense que les stations locales sont également en difficultés financières et que les restrictions budgétaires vont inévitablement être répercutées.
Cela m'inquiète pour le devenir des chaînes locales, peut-être des groupes de travail seront-ils mis en place - je souhaite évidemment y contribuer. Mais j'ai une inquiétude à propos de cette injonction budgétaire qui a amené la disparition de France Ô.
Une question m'inquiète aujourd'hui : que veut-on faire de l'audiovisuel public français ? J'ai le sentiment que mettre une case outre-mer au niveau national constitue encore un alibi. Cela me gêne profondément. Que voulez-vous quand on parle de mettre l'outre-mer au niveau national ? Désirez-vous que l'on parle de citoyenneté, de culture, voulez-vous éduquer, divertir ? Sur la ligne éditoriale de France Ô, il y a aujourd'hui un sujet. La visibilité est aujourd'hui théorique ; elle peut prendre corps si on lui donne un contenu et si l'on s'est accordé sur celui-ci, reste ensuite la déclinaison des moyens. La difficulté de France Ô - mais ce n'est pas la seule chaîne à la connaître - c'est son positionnement et de savoir ce qu'on attend de l'audiovisuel public. C'est pour ces raisons que ce débat me gêne lorsque l'on nous dit que l'on supprime deux chaînes et que l'on va faire de la visibilité avec une case outre-mer au niveau national. Qu'est-ce que cela va apporter de plus ? Qu'attend-on de cette case ? De la culture ? Des paysages ? On peut apporter autre chose que les paysages outre-mer ! Par exemple, des regards croisés entre l'outre-mer et l'hexagone au sujet des valeurs citoyennes, du mélange des cultures. Il y a des choses qui ne sont pas abordées avant de parler des moyens, même si la visibilité dépend de ces derniers.
La ministre des outre-mer pourrait nous dire que non, France Ô ne disparaît pas, mais bascule sur le numérique. Certes, mais il n'existera plus de productions documentaires. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) n'intervenant que sur les chaînes hertziennes, vous arrêtez la production ultramarine en termes de documentaires - sauf à ce que vous me disiez que les règles d'intervention du CNC pourraient être modifiées à l'avenir pour les chaînes numériques. Mais il existe un chapelet de chaînes numériques audiovisuelles qui pourraient être intéressées par ce dispositif. Cela m'inquiète en termes de production audiovisuelle.
Tout ceci pose la question de la place de l'outre-mer au niveau national et de l'audiovisuel dans la société française d'aujourd'hui. Elle n'a pas encore été tranchée ; il est difficile de parler des moyens et de visibilité sans l'avoir traitée.
M. André Gattolin. - Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé et il faut le dire, quand on parle de France Ô, on ne parle pas de tout l'audiovisuel ultramarin ; les chaînes et les stations Outre-mer 1ère sont fondamentales. On trouve deux grandes notions dans les missions fondamentales du service public. Il y a l'universalité de l'accès et il est normal que les territoires ultramarins disposent de l'accès au service public à travers les stations pour avoir l'information sur leurs territoires en même temps que l'information nationale. Il y a aussi un élément constitutif de tous les services audiovisuels publics dans le monde qui est d'assurer la cohérence et la cohésion nationales. C'est peut-être en ce sens qu'il faut considérer l'existence de France Ô.
Nous parlions tout à l'heure des audiences. Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, dont je suis l'élu, accueille le pôle outre-mer qui comprend France Ô. Lorsque j'ai été sollicité par les salariés, je me suis rendu compte qu'il y avait plus de 400 salariés au niveau central. On parlait plus tôt des audiences et de la performance d'Arte - qui n'a d'ailleurs jamais été remise en cause puisque créée par un traité franco-allemand. Peut-être cette chaîne a-t-elle été critiquée pour de faibles audiences, mais comparons avec le nombre de personnes qui travaillent à Arte France.
Quand il s'agit de poser la question du service public, faut-il analyser une entité de chaîne ou ses contenus ? Quand on regarde l'offre globale, à travers tous les canaux, quels sont les éléments qui relèvent des missions de service public ? La diffusion des telenovelas sur France Ô en fait-elle partie ? Ne fait-on pas, là aussi, du remplissage ?
J'aimerais également comprendre la cohérence globale de l'offre. Si France 3 a -et c'est une orientation forte - vocation à devenir la chaîne des régions et des territoires, je serais assez favorable à ce que des programmes nationaux concernant les territoires ultramarins aient toute leur place sur cette chaîne qui est navire amiral avec une forte audience.
Je voudrais donner un exemple : l'un des produits phares de la création audiovisuelle pour enfants, Les Zouzous, a été créé pour France 5. On a décidé de les transférer sur France 4 quand on a décidé que cette chaîne serait celle de la jeunesse. On a assisté à une dégringolade de plus de la moitié de l'audience ! Ne vaut-il pas mieux être sur une grande chaîne généraliste, dans des créneaux adaptés pour assurer la visibilité et la reconnaissance de la cohésion nationale vis-à-vis des populations ultramarines plutôt que dans le ghetto qu'est aujourd'hui France Ô s'agissant de l'audience nationale ?
Mme Laure Darcos. - Monsieur le ministre, notre commission de la culture est aussi celle du sport. Je voudrais rappeler que Paris accueillera les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Les champions ultramarins sont légion ! Je pense que l'absence de France Ô ou équivalent va susciter une grande frustration. Je vous conjure de mettre en évidence tous nos champions des territoires ultramarins. C'est aussi un moment où l'on parle d'eux et de cette culture du sport, où ils sont mis en lumière. Il faut pouvoir les mettre à l'honneur !
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir soulevé cette question. La délégation sénatoriale aux outre-mer vient de rendre un rapport sur le sport en outre-mer, que je vous invite à le consulter. Celui-ci formule un certain nombre de propositions qui méritent d'être prises en considération à tous les niveaux de décision.
M. Franck Riester, ministre. - S'agissant de la méthode, vous avez toutes et tous fait des remarques. J'échange avec la présidente Morin-Desailly - le président Magras pourra être concerné - sur la façon d'associer le Sénat à la préparation de la réforme de l'audiovisuel afin de travailler plus en amont. C'est au Gouvernement de fixer les grandes lignes de ce qu'il souhaite en matière de réforme audiovisuelle, mais nous avons également besoin de discuter avec vous : c'est ce que je m'engage à faire.
Concernant la visibilité, la réponse était bien souvent dans vos questions. Tout doit être pris en compte, qu'il s'agisse des personnes à l'écran - en matière d'information de journalistes, je sensibilise France Télévisions sur ce point, d'acteurs dans les séries - des émissions ou des contenus qui parlent de l'outre-mer et, je vous rejoins, pas seulement de paysages, mais aussi de contenus produits par des comédiens et acteurs ultramarins. L'outre-mer contribue grandement au rayonnement de notre pays et à sa présence partout dans le monde. Pourquoi faire parfois venir des journalistes de l'hexagone pour couvrir des événements à l'autre bout du monde, alors que les journalistes ultramarins pourraient faire ce travail avec une grande proximité ? Vous êtes nos têtes de pont partout dans le monde.
Le patrimoine, la mémoire font bien évidemment partie des contenus et des missions de l'audiovisuel. Je vous propose d'y travailler. C'est ce qui doit constituer notre objectif commun : réfléchissons ensemble à ce que doivent être les missions de service public actualisées à l'ère du numérique et du XXIe siècle. Inscrivons-le dans le marbre des cahiers des charges et des COM, et assurons-nous que ceux-ci sont satisfaits.
Vous êtes un certain nombre à suivre les questions audiovisuelles depuis des années. De manière collective, nous n'avons pas été bons. On reparle des mêmes choses chaque année, on met la pression sur les salariés de l'audiovisuel public et sur ses dirigeants pour des questions budgétaires. On se demande à chaque fois ce que l'on va décider en matière budgétaire, chaque gouvernement remet systématiquement tout sur la table, parfois en cours d'exécution.
Nous allons en parler ensemble durant les prochains mois : ma volonté est de définir une gouvernance de l'audiovisuel public modernisée, de fixer un cap en termes de missions, d'objectifs et de moyens de façon pluriannuelle, et d'évaluer les choses progressivement, et j'insiste sur ce point. De grâce, sortons de cette gouvernance du passé et essayons de nous mettre d'accord. On doit pouvoir collectivement trouver les grandes missions de service public, la bonne gouvernance et les enveloppes budgétaires définies. Laissons ensuite travailler les équipes. Puis, prenons le temps de réfléchir à l'avenir, au futur cahier des charges et aux futurs engagements budgétaires pour les redéfinir, les revoter et retravailler de manière pluriannuelle. C'est ce que nous devons arriver à faire ensemble : faire évoluer cette gouvernance de l'audiovisuel public qui n'est objectivement pas à la hauteur de l'engagement des personnels et de tous les acteurs qui rayonnent autour de lui.
Arte, qui fait un travail remarquable, est bien évidemment une entreprise audiovisuelle publique, même si c'est un traité avec l'Allemagne qui est à l'origine de sa création. Cette chaîne bénéficie de moyens publics importants et doit aussi être regardée comme une entreprise qui doit satisfaire aux missions de service public, comme France Médias Monde, TV5 Monde, chacune avec ses spécificités.
Pour ce qui est des Jeux olympiques et paralympiques, l'enjeu de service public est grand. C'est une vraie question, notamment sur le plan financier - le comité d'organisation a besoin de financements, c'est un sujet que je suis de très près. Il y a également la question, mais je sais que David Assouline et Catherine Morin-Desailly y sont très attachés, de la présence en clair d'un certain nombre de contenus de sports : il faudra qu'on en reparle.
Je souhaite également dire qu'aujourd'hui France Télévisions réfléchit à faire en sorte de s'assurer que France Info est davantage présente dans les territoires ultramarins. Peut-être pourrait-il y avoir une substitution à France Médias Monde, ce qui permettrait de renforcer l'information en continu du service public. Une réflexion est engagée dans ce domaine, nous pourrons en reparler.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le ministre, au terme de cette audition, ce que l'on voit émaner de l'ensemble des membres de la délégation et de la commission de la culture, c'est une volonté de reprendre ce sujet et d'y mettre un peu de méthode.
Vous venez de prendre vos fonctions. Nous avons déploré ces deux dernières années que la réforme de l'audiovisuel public n'apparaisse que comme étant traitée sous le seul prisme budgétaire. Le Gouvernement a annoncé que l'audiovisuel public devrait réaliser des économies. Nous ne nions pas les réalités budgétaires, mais nous avons déploré que cette réforme ne soit envisagée que sous ce seul prisme.
C'est la raison pour laquelle, le 12 juillet dernier, nous avons organisé au Sénat un colloque « Comment ré enchanter l'audiovisuel public ? », qui a réuni des présidents d'entreprises de l'audiovisuel public européen qui avaient mené des réformes. Il est ressorti de cette journée quelques principes incontournables qui doivent guider notre réflexion dans le cadre de cette réforme, dont l'universalité, évoquée par André Gattolin.
C'est pourquoi nous nous sommes émus de cette annonce de la suppression de France Ô et de France 4, déconnectée peut-être d'une vision de ce que sera le bouquet de chaînes par la suite. Vous le savez, nous avons eu l'occasion d'échanger à ce sujet. Peut-être faut-il d'ailleurs relativiser la question budgétaire concernant ces deux chaînes. Je note en effet que, sur un budget 2,85 milliards d'euros, France Ô bénéficie de quelque 30 millions d'euros et France 4 de 25 millions d'euros. Le ratio est assez faible !
Nous pensons que ce principe d'universalité doit être intangible. Or, quand nous mesurons que la couverture numérique n'est pas au rendez-vous dans nos territoires, pas plus dans l'hexagone qu'outre-mer, nous ne pouvons supprimer des chaînes tant que l'offre n'est pas assurée. Le basculement vers le tout numérique aura bien lieu. Nous avons le devoir de le préparer de même que l'adaptation aux nouveaux usages et je suis convaincue que, d'ici quelques années, la notion de chaîne ne sera plus la même et nous serons davantage dans des contenus et des offres. Mais c'est la réalité qu'exprimaient les collègues ici présents.
Nous avons parlé du contenu : je me demande s'il ne faut pas que France Télévisions change de logiciel, comme France 3. Selon un sondage que nous avions réalisé lors de notre colloque, 75 % des Français souhaitent que France 3 soit beaucoup plus régionalisée et offre davantage de contenus qui correspondent à la visibilité de leur territoire ; il en va de même pour l'outre-mer. France Télévisions doit donc engager des réflexions à ce sujet.
Je relève que Canal Plus a lancé une production intitulée « Guyane ». Ne faudrait-il pas, sur les 420 millions d'euros dédiés à la production à France Télévisions, sanctuariser une ligne pour la production audiovisuelle outre-mer et en régions ? Ne faut-il pas en passer par là pour une prise de conscience ?
Nous sommes dans un état d'esprit constructif, la réforme de l'audiovisuel doit être globale. Vous avez évoqué France Médias Monde qui doit naturellement être dans la boucle. C'est une offre globale à laquelle il convient de travailler : nous souhaitons qu'intervienne une réforme systémique que vous avez d'ailleurs évoquée en conclusion, vous avez parlé du mode de gouvernance, du modèle économique, de la mission et des contenus. Nous voulons faire avancer les curseurs ensemble, afin que la réforme ne soit pas incompréhensible pour nos concitoyens.
M. Michel Magras, président. - Monsieur le ministre, à mon tour de vous remercier pour la qualité de l'échange que nous avons eu, vos réponses et votre écoute.
Les inquiétudes ne sont pas toutes levées. Notre délégation veillera à réaliser le travail de manière rigoureuse. Nous ne sommes qu'au début du vaste programme de réforme de l'audiovisuel. La délégation, qui n'interviendra pas sur le champ de compétence de la commission, apportera son éclairage et le fruit des travaux de la délégation sera à votre disposition quand il vous reviendra de piloter le débat.
Je voudrais pour finir remercier l'audiovisuel français, toutes catégories confondues, d'avoir accompagné Saint-Barthélemy et Saint-Martin au lendemain du cyclone Irma.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Olivier Schrameck, président, Mmes Mémona Hintermann-Afféjee et Nathalie Sonnac, membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)
M. Michel Magras, président. - Le Gouvernement a engagé à l'été 2018 une réforme d'ampleur de l'audiovisuel public.
Alors que les annonces du Président de la République sur l'avenir de France Ô à la fin juin, à l'issue des Assises des outre-mer, avaient suscité inquiétudes et interrogations, le Premier ministre et la ministre de la culture ont annoncé dès juillet dans un communiqué conjoint la fin, d'ici à 2020, de la diffusion de la chaîne France Ô sur la TNT.
Dans la perspective de cette réforme de l'audiovisuel public, et alors que cette décision a soulevé une vive émotion, notre Délégation sénatoriale aux outre-mer a souhaité se saisir du sujet de la visibilité et de la représentation des outre-mer sur les ondes publiques. Il nous semble en effet nécessaire de dresser un état des lieux rigoureux et ainsi de poser sereinement les enjeux de ce débat, ses tenants et aboutissants.
Un binôme de rapporteurs a été désigné, qui réunit comme il est de coutume majorité et opposition mais aussi hexagone et outre-mer, avec nos collègues Maurice Antiste et Jocelyne Guidez.
Nous avons tous, je pense, l'ambition que nos outre-mer, territoires de la République, trouvent enfin la juste place qui leur est due dans l'audiovisuel, et particulièrement les chaînes publiques.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), autorité régulatrice de l'audiovisuel français, nous paraissait un acteur fondamental que nous devions entendre parmi les premiers au cours de l'instruction de cette étude. Votre rôle de veille, de supervision mais aussi, quand cela est nécessaire, de sanction, est incontournable. À l'heure où l'on parle d'exigences renforcées pour l'audiovisuel public, parfois d'indicateurs, votre expertise et votre recul nous semblent primordiaux. Aussi, après l'audition du ministre de la culture Franck Riester ce matin, je vous remercie Monsieur le président et Mesdames les conseillères, d'avoir répondu favorablement à notre invitation.
Votre présence conjointe montre que ce sujet est considéré avec sérieux par votre institution et je sais que chacun, dans vos fonctions, attributions et domaines de compétences respectifs, vous nous permettrez de nourrir nos travaux et d'avancer sur cette question.
Je vous cède sans plus attendre la parole.
M. Olivier Schrameck, président du CSA. - Je vous remercie des appréciations que vous portez sur les appréciations que nous formulons. Je suis entouré de Mme Nathalie Sonnac, qui revient tout juste d'un séjour de travail aux Antilles, et de Mme Mémona Hintermann-Afféjee, elle-même originaire de La Réunion et de longue date attentive au problème qui fait l'objet de vos travaux. Ma directrice de cabinet, Virginie Sainte-Rose, a également un patronyme évocateur.
Notre mission de régulation de l'ensemble des services audiovisuels tend à assurer le respect du principe fondamental de la liberté de l'information et la refonte de notre organisation interne il y a deux ans s'est attachée à faire ne sorte que les outre-mer soient systématiquement pris en compte et traités de façon strictement équitable par rapport aux autres zones du territoire national. Le CSA n'est d'ailleurs pas une institution parisienne mais une institution nationale : à ce titre, il comporte seize comités territoriaux dont quatre, soit le quart, en outre-mer, pour les Antilles et la Guyane, La Réunion et Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, ainsi que la Polynésie française. Pour des raisons pratiques, Saint-Pierre-et-Miquelon est rattaché au comité territorial de Paris.
Nous consacrons une grande partie de notre activité à l'allocation des fréquences ainsi qu'au bon déroulement des consultations électorales, avec une consultation systématique des exécutifs locaux. Les outre-mer font l'objet d'une attention toute particulière du CSA au titre de la cohésion nationale, comme le prescrit l'article 3-1 de la loi qui régit notre institution et aux termes duquel il convient de « veiller à ce que la programmation reflète la diversité de la société française et contribue notamment au rayonnement de la France d'outre-mer ». Le régulateur doit veiller à ce que l'audiovisuel privé soit associé à cet enjeu de cohésion territoriale républicaine : le CSA négocie donc avec les éditeurs privés de radio et de télévision la place de l'outre-mer dans la programmation, selon les termes de l'article 28 de la loi de 1986 dont le 8° précise que les conventions passées par le CSA avec les radios et télévisions hertziennes prévoient « la contribution à la diffusion d'émissions de radio ou de télévision dans les départements, territoires et collectivités territoriales d'outre-mer, à la connaissance, en métropole, de ces départements, territoires et collectivités territoriales et à la diffusion des programmes culturels de ces collectivités ». Nous sommes là au coeur de l'actualité. Par exemple, la convention conclue avec TF1 stipule que l'éditeur acquiert les droits de diffusion des émissions sur l'ensemble du territoire national mais qu'il s'attache aussi à développer des partenariats avec les services de télévision locale afin de favoriser la diffusion en métropole de ces programmes, que l'éditeur peut également conclure une convention avec Outre-mer La 1ère pour la reprise de ces programmes.
D'autre part, le CSA s'assure de la représentation et de la visibilité des outre-mer dans sa mission de contrôle et d'évaluation, du respect par les sociétés de l'audiovisuel public des obligations de leurs cahiers des charges et de leurs contrats d'objectifs et de moyens (COM). Il en rend compte chaque année dans son rapport d'exécution au Parlement qui porte sur l'exécution du cahier des charges, d'une part, et celle du COM, d'autre part. Le CSA rend un avis sur toute modification de ces documents. Nous nous interrogeons d'ailleurs sur la répartition des sujets traités entre ces deux supports, la cohérence n'étant pas toujours au rendez-vous pour tracer les contours clairs d'une politique commune. Nous sommes donc saisis des orientations du Gouvernement qui touchent l'outre-mer dans la réforme en cours annoncée en juillet 2018.
Nous sommes très sensibles à ce que la mission de promotion de la représentation et de la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel ait été renforcée à la fin de la dernière législature pour une représentation plus équitable de la vie politique ultramarine dans l'audiovisuel : ainsi la loi du 22 février 2017 a prévu que le CSA devait veiller à ce que les éditeurs de services de communication audiovisuelle à vocation nationale publics ou privés diffusent par voie hertzienne terrestre les émissions d'information politique rendant compte des résultats des élections générales pour l'ensemble du territoire national. Or, cela fait suite à un certain nombre d'observations du CSA sur le fait qu'il était parfois rendu compte de façon séparée et parfois minorée de ces résultats. Nous nous sommes attachés à approfondir notre analyse de cette dimension de notre diversité sur les écrans et à la promouvoir, ma collègue Mémona Hintermann-Afféjee ayant tout particulièrement exercé sur ce point une vigilance assidue. Ceci s'exprime notamment par la mise en place du baromètre de la diversité qui prend désormais en compte les territoires : fin décembre 2018, sur deux semaines de référence au printemps et à l'automne, alors que la population ultramarine représente 3,23 % de la population nationale, si l'on prend en compte France Ô on arrive à une proportion de 9 % de personnes apparaissant dans les programmes, et sans France Ô cette proportion chute à 0,3 %. La différence est donc considérable et met en évidence l'importance de la présence de France Ô.
Les décisions du Gouvernement se matérialisent par la voie réglementaire du cahier des charges et l'action du régulateur se déploie dans le cadre ainsi fixé. Nous donnons notre avis après que les autres consultations ont été effectuées et nous n'avons pas encore été saisis des orientations de la réforme annoncée ; sans trahir le secret des délibérations, je veux cependant ici me faire l'interprète des inquiétudes exprimées lors de nos débats.
Si la question de la présence à l'écran des personnes ultramarines est loin d'épuiser la question de la représentation et de la visibilité des outre-mer sur les ondes audiovisuelles publiques, le rôle de France Ô pour cette représentation et cette visibilité est incontestable. L'arrêt de la diffusion hertzienne constitue pour nous un point de préoccupation majeur. L'impact d'une sortie de la TNT doit être évalué avec soin et, en cas de maintien de cette décision, donner lieu à des mesures d'accompagnement. Cette sortie ne priverait pas France Ô de son statut de chaîne du service public et les privilèges de distribution qui en découlent tels que l'obligation de reprise dans les offres de fournisseurs d'accès à internet (FAI), même s'il conviendra d'adapter cette obligation à son statut de chaîne non TNT.
La préoccupation d'une juste représentation des outre-mer est largement partagée au sein du CSA et, au-delà de mes collègues ici présentes je dois également citer Nicolas Curien qui s'est récemment rendu à La Réunion au comité territorial et auprès de plusieurs radios qui éprouvent de réelles difficultés financières avec des conditions de concurrence pas toujours satisfaisantes. Trois conseillers sur sept ont effectué des visites outre-mer au cours des trois derniers mois.
M. Michel Magras, président. - Votre propos très complet dont nous vous remercions nous conforte dans nos inquiétudes, notamment la confirmation des obligations qui figurent déjà dans les contrats d'objectifs et de moyens et qui n'offrent manifestement en tant que tels aucune garantie effective.
Mme Mémona Hintermann-Afféjee. - Au CSA, durant six années, j'ai eu la chance de présider le groupe de travail sur la diversité que nous avons dénommé « groupe de cohésion sociale » qui traite de maints sujets. Une des difficultés avec l'outre-mer apparaît très régulièrement à l'occasion de nos travaux du CSA : dans le baromètre de la diversité française qui analyse tous les programmes de 17 heures à 23 heures ainsi que les journaux de la mi-journée, quelque 5 millions de citoyens constitués des 3,5 millions des ressortissants des outre-mer et de 1,5 million d'ultramarins de l'hexagone sont invisibles. Il y a plusieurs raisons à cela. Au-delà de l'ignorance, il y a beaucoup d'indifférence à l'égard des outre-mer, ce que Aimé Césaire avait déjà constaté en déclarant que les ultramarins n'étaient pas des Français à part entière mais entièrement à part. L'exemple de l'ouragan Irma illustre cette affirmation : au 20 heures de France 2 la veille du déferlement de l'ouragan, ce sujet a été traité en 11 secondes avec en parallèle un sujet de 9 secondes sur la naissance de deux pandas au zoo de Beauval. En cinquante ans de vie professionnelle dans l'audiovisuel je constate que les choses n'ont pas vraiment évolué. Les originaires des outre-mer évoluent dans toutes les sphères et domaines d'expertise mais on ne les voit pas, au point qu'on leur donne le sentiment de ne pas « faire partie de la famille ».
Les outre-mer sont bien représentés sur France Ô, ce qui donne l'illusion que tout va bien. Or, en dépit du professionnalisme de cette chaîne l'audience est faible et touche très peu de monde si bien que l'on doit se demander s'il n'est pas préférable d'avoir une fenêtre d'une minute et demie sur France 2. Dès mon arrivée au CSA nous avons identifié cette question et avons dénoncé cette situation dans nos rapports annuels au Parlement mais rien a changé. Il faut que le CSA ait les moyens de faire respecter la nécessité d'une visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel.
M. Michel Magras, président. - Comment faire pour atteindre effectivement cet objectif dès lors que beaucoup de choses sont déjà écrites ?
Mme Nathalie Sonnac, présidente du groupe de travail Télévisons locales. - Je suis en charge au CSA des questions économiques, de concurrence et de sport ainsi que de la présidence du groupe de travail télévision gratuite, nationale et locale et c'est à ce titre que je me suis rendue du 6 au 11 décembre aux Antilles, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ce déplacement a été l'occasion d'appréhender l'écosystème audiovisuel local en rencontrant de nombreux acteurs locaux : les patrons des sept chaînes de télévisions privées, les dirigeants de Canalsat, les deux directrices de Guadeloupe La 1ère et de Martinique La 1ère, un membre du syndicat des producteurs guadeloupéens, les préfets, les exécutifs territoriaux et le président, le secrétaire général et des membres du comité territorial (CTA) Antilles-Guyane.
On a une offre télévisuelle dynamique, diverse et riche qui se structure pour l'essentiel autour de bouquets payants (groupe Canal+ par satellite, sur le câble, la fibre et ADSL des FAI tels Orange Caraïbe, SFR et Canalbox) et la mise en place depuis 2010 de dix chaînes gratuites. Le secteur privé local répond à une double typologie : des télévisions semi-généralistes qui reprennent des programmes de TF1 et de M6 auxquels elles ajoutent des productions locales qu'elles fabriquent elles-mêmes, d'une part, et des télévisions locales dites de proximité diffusant des programmes locaux (KMT ou Zouk TV en Martinique, Alizés Guadeloupe ou Éclair TV et Canal 10 dans ce même territoire, IOTV à Saint-Martin qui est le seul média télévisuel local). Cette information de proximité répond à des engagements conventionnels passés avec le CSA et correspond aux attentes des téléspectateurs antillais. Malgré la notoriété des chaînes privées, leur situation qui repose sur un marché publicitaire restreint est fragile face à des coûts de diffusion sur la TNT très élevés.
Le secteur audiovisuel public dans les outre-mer a un atout majeur : les chaînes La 1ère bénéficient d'un statut de média global ; elles sont les seules sur le territoire national à faire converger les trois vecteurs de communication que sont la télévision, la radiodiffusion et les services interactifs. Sauf à La Réunion, les chaînes La 1ère enregistrent les meilleures audiences, ce qui n'est pas le cas pour la radio. Les acteurs rencontrés au cours du déplacement ont dressé les constats communs suivants : le coût de la grille est élevé malgré des montants très faibles, de l'ordre de 3 à 4 %, de production des programmes locaux ; le manque d'ancrage local des chaînes du service public résultant d'un déficit de dynamisme pénalisant ; la programmation de ces chaînes comporte un volume important de fictions, avec une présence des telenovelas représentant 48 % du temps d'antenne et un maximum de cinq heures de programmes locaux, alors même qu'une chaîne comme Canal 10 Guadeloupe diffuse exclusivement de tels programmes ; la différenciation de l'offre publique par rapport à celle du secteur privé est insuffisamment lisible pour les téléspectateurs qui sont nécessairement plus exigeants envers le service public. La TNT n'a pas contribué à l'enrichissement de l'offre locale puisque les chaînes privées n'y sont pas diffusées.
Face à ces constats, il existe des voies de progrès et des propositions pourraient être les suivantes :
- inscrire des engagements de programmation chiffrés concernant les services des chaînes outre-mer 1ère dans le cahier des charges de France Télévisions annexé au décret 2009-796 du 23 juin 2009 ;
- dans le cadre d'une refonte de la régulation audiovisuelle à l'ère numérique et comme avec les chaînes du secteur privé, conclure des conventions comprenant des engagements mesurables ;
- mener une réflexion sur la création d'un service public audiovisuel dédié pour les deux collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui en sont encore dépourvues ;
- pour renforcer l'attractivité des territoires, développer des structures de formation aux métiers de l'audiovisuel, étant entendu que l'offre se résume aujourd'hui à une formation de BTS au lycée de Pointe noire en Guadeloupe et que les jeunes, grands consommateurs se services numériques via l'ADSL et confrontés à des taux de chômage de plus de 50 %, seraient intéressés ;
- consolider la filière de production audiovisuelle aux Antilles et plus largement dans la Caraïbe. Les premiers états généraux de la production audiovisuelle et cinématographique en décembre 2016 ont pointé le rôle moteur et structurant du service public qui fait défaut outre-mer ;
- dupliquer dans les territoires la formation dispensée sur le campus Radio France de Paris.
Mme Mémona Hintermann-Afféjee. - En 2016, lors de l'examen du projet de loi, j'avais été auditionnée à l'Assemblée nationale où il avait été question d'imposer des indicateurs mais cette exigence avait été supprimée lors de la lecture au Sénat sous la pression du lobbying des chaînes.
M. Michel Magras, président. - Le Sénat représente les territoires et la qualité de ses travaux est largement reconnue.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - La loi sur la liberté de communication prévoit que le CSA « veille auprès des éditeurs de services de communication audiovisuelle, compte tenu de la nature de leurs programmes, à ce que la programmation reflète la diversité de la société française et contribue notamment au rayonnement de la France d'outre-mer ». Comment s'exerce cette mission ? Quelle évaluation arrivez-vous à produire ? Quelles actions et éventuelles sanctions avez-vous pu prendre sur cette base ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - J'ai moi-même des attaches familiales en Martinique et connais bien les outre-mer. Vous avez déjà répondu sur de nombreux points aux questions que nous comptions vous poser. À titre de précision complémentaire, pouvez-vous détailler l'action du CSA et nous transmettre les conventions que vous avez conclues, notamment celle passée avec TF1 ?
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Les textes qui encadrent l'audiovisuel public et particulièrement les cahiers des charges des sociétés de programme ont régulièrement prévu des obligations relatives à la visibilité des outre-mer. Vous êtes chargés de veiller au respect de ces cahiers des charges ou différents textes contraignants. Quel bilan avez-vous tiré de ces exigences dans vos travaux d'évaluation ? Quelles mesures avez-vous pu prendre à cet égard ?
Quel bilan le CSA tire-t-il de l'existence et des missions de la chaîne publique France Ô, dédiée aux outre-mer et présente depuis 2005 sur la TNT, considérant notamment les moyens dont elle dispose au sein du groupe France Télévisions ?
Quels moyens le CSA peut-il juger nécessaires pour renforcer sa mission de garantie de représentation des territoires de la République, de leur diversité et de leurs spécificités, particulièrement les outre-mer ? Considérez-vous avoir les moyens d'assumer votre mission ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Quels orientations et supports le CSA peut-il estimer pertinents pour arriver à une juste visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel national eu égard à la diversité des publics et à l'évolution des usages ?
Nous l'évoquions ce matin avec le ministre, les formules se sont succédées et accumulées dans les lois et cahiers des charges pour que les grandes chaînes publiques accèdent au respect d'un aspect de leur mission de service public, à savoir la visibilité de ces territoires de la République que sont les outre-mer. Pourtant, nous connaissons tous le niveau déplorable de respect de ces exigences et la très faible présence des programmes ultramarins sur les grandes chaînes, encore plus aux heures de grande écoute. Quant au « journal de l'outre-mer », il a même disparu des antennes de France 3. Ma question est simple : que faut-il selon vous écrire dans la loi, que faut-il écrire dans les cahiers des charges pour qu'enfin les chaînes publiques s'astreignent à respecter cette mission fondamentale de représentation de la société française et de l'ensemble des territoires ?
M. Olivier Schrameck. - Je veux souligner l'implication de ma collègue Mémona Hintermann-Afféjee dans le combat contre la tentation de l'esquive qui évince les outre-mer de l'audiovisuel pour cause de non-rentabilité économique. Aujourd'hui, pour rassembler, il faut ressembler. Nos interlocuteurs ont une vision et des préoccupations qui ne sont pas nécessairement prioritaires pour nous en nos qualités de régulateurs et de parlementaires et il nous faut considérer leur point de vue tout en leur faisant partager que les outre-mer sont une richesse pour notre pays et doivent être une fierté à exposer sur les ondes.
En réponse à vos interrogations, je soulignerai tout d'abord les problèmes de réglementation et de gouvernance. Il faut clarifier la manière dont s'articule le rôle du Gouvernement avec celui du CSA sous l'autorité du Parlement. Les dispositions du cahier des charges de France Télévisions, qui est vieux de plusieurs décennies et a été très peu modifié, s'enchevêtrent avec celles du contrat d'objectifs et de moyens (COM), actuellement pour la période 2016-2020. Le précédent COM ne comportait pas moins de 70 prescriptions. L'élaboration du COM s'étend sur une période trop longue : ainsi la présidente de France Télévisions, Mme Delphine Ernotte, a pris ses fonctions le 22 août 2015 pour une entrée en vigueur du COM au 1er janvier 2016. Les entreprises de communication ont besoin de prévisibilité, de sûreté, de continuité et toute modification du cahier des charges provoque des secousses dommageables pour leur équilibre économique. Nous avons insisté sur ce point dès 2013 au sujet des recettes de publicité : il y a la dotation consentie par le Parlement, qui fait l'objet d'arbitrages budgétaires qu'il nous revient de respecter, mais il importe de ne pas changer les règles en cours de mise en oeuvre d'une stratégie. J'ai par ailleurs constaté, et c'est un paradoxe, que le contrôle du CSA était moindre sur le secteur public que sur le secteur privé avec lequel nous avons multiplié les conventions. Il a fallu la loi du 15 novembre 2013 pour que le CSA reçoive la compétence pour donner des avis sur les COM transmis aux commissions parlementaires chargées de la culture et doive établir un bilan quadriennal de l'action des dirigeants des sociétés nationales de l'audiovisuel. Nous souhaiterions jouer un même rôle de régulation envers le secteur public qu'envers le secteur privé.
Le CSA, autorité administrative indépendante, tire principalement sa légitimité de ses rapports avec le Parlement, raison pour laquelle nous attachons tellement d'importance au rapport annuel. Il faudrait effacer la distinction artificielle entre le COM et le cahier des charges, instaurer des rapports clairs d'accompagnement et de suivi par l'État actionnaire qui est l'autorité de tutelle et que la fonction de régulation puisse se concrétiser par des conventions avec les sociétés du secteur public comme avec celles du secteur privé pour mettre en oeuvre les exigences du service public.
Nous sommes soucieux de la définition même de ce service public. On observe que la définition du service public en vertu de l'article 43-11 de la loi de 1986 est une simple déclinaison de celle des missions du CSA résultant de l'article 3-1 de cette même loi concernant la régulation du secteur privé. La part du service public a décliné pour représenter aujourd'hui seulement 27,1 % du paysage audiovisuel de l'hexagone, mais il reste une armature essentielle de l'audiovisuel outre-mer. Il est impératif d'aménager une place déterminante aux rapports avec les sociétés publiques dans les territoires et, à cet égard, la réforme législative à venir est une occasion à saisir. Il ne faut pas laisser se développer les ferments de désagrégation de notre communauté nationale qui rassemble tous nos territoires. Il convient donc d'être davantage directif à l'égard des sociétés publiques en traduisant cela en termes juridiques contraignants. La mission de « veiller à » n'est pas suffisante dans la mesure où, sur ce fondement, le Conseil d'État ne peut sanctionner un manquement : en effet, si sur certains sujets comme par exemple l'exigence de pluralisme en matière électorale, la veille correspond à l'exercice d'un véritable pouvoir réglementaire, ce n'est pas le cas sur d'autres sujets comme le respect de la diversité où le « veiller à » devient une simple orientation reposant sur la seule capacité de persuasion. Le CSA a réuni ses interlocuteurs avec la demande de soumettre des projets pluriannuels intégrant l'objectif de diversité mais, en dépit de leur bonne volonté, les faits ont démenti les intentions.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Vous demandez une révision des fondations juridiques de vos relations avec vos partenaires.
M. Olivier Schrameck. - Nous évoluons dans un corset réglementaire qui, par définition, est général et impersonnel : on traite des situations foncièrement dissemblables par des règles uniformes. Or, la régulation nécessite de pouvoir s'adapter aux situations concrètes pour enregistrer des progrès. Il faut davantage de latitude, avec bien sûr la contrepartie de l'évaluation et du compte rendu. Nous avons parfois le sentiment que nos rapports ne connaissent pas de suite, de traduction concrète, mais nous restons disponibles pour toute demande d'avis. Dans un document rendu public le 20 septembre dernier, nous avons formulé 20 propositions au Parlement adoptées à l'unanimité.
M. Guillaume Arnell. - Les ultramarins demandent en permanence un traitement différencié pour tenir compte de leurs spécificités et contraintes propres. Comme le faisait valoir Mme Sonnac, il n'existe pas de service audiovisuel public dédié à Saint-Martin et cela est vécu difficilement par la population car cela laisse place à une certaine dérive des radios locales. Nos territoires ne sont regardés qu'au travers de faits divers tragiques. IOTV, qui a conclu un partenariat avec Canalsat, m'a interpellé sur leurs faibles moyens et la part qui devrait être allouée à Saint-Martin et Saint-Barthélemy des budgets dévolus aux 1ères. Il n'y a même plus de bureau de Guadeloupe La 1ère sur ces territoires.
Mme Nathalie Sonnac. - Je connais bien votre territoire et suis particulièrement choquée de la situation de l'absence totale de service public, d'autant que IOTV a été totalement dévastée par l'ouragan Irma. L'antenne de France Télévisions n'a pas été réinstallée après cet épisode. Aussi est-il important de mener une réflexion pour que l'écosystème soit incitatif en faveur d'une meilleure visibilité de la diversité ultramarine car tout diffère d'un territoire à l'autre. Pourquoi ne pas mettre en place un partenariat entre IOTV et France Télévisions ? Je rappelle que dans notre note stratégique sur la nouvelle régulation nous préconisons de conventionner avec les chaînes du service public pour qu'elles aient l'obligation d'avoir recours au tissu économique local pour produire des programmes locaux. Il y aurait alors un rôle structurant de France Télévisions pour renforcer les filières de production locale et des possibilités de rediffusion sur France 3 régions. La diversité émane du terrain ; elle doit partir des territoires pour diffuser vers l'hexagone. On pourrait imaginer un fonds d'aide pour la production audiovisuelle locale.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Que pensez-vous de la disparition annoncée de France Ô ?
Mme Nathalie Sonnac. - Saisissons l'occasion de la réforme annoncée pour que les outre-mer reprennent une véritable place dans le paysage audiovisuel, au même titre que les autres territoires, afin que la diversité ultramarine soit représentée et visible. Et il n'y a pas de meilleur vecteur que la télévision, qu'il s'agisse de France Ô ou des autres chaînes. Mais il faut d'abord renforcer les moyens de la production audiovisuelle locale dont Antenne Réunion ou ATV aux Antilles sont de beaux exemples.
M. Olivier Schrameck. - Croyez bien que je serai le porte-parole de ce sujet majeur auprès de mon successeur à la présidence du CSA.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - A-t-on des garanties pour que les capacités de production locale soient renforcées malgré la disparition de France Ô ?
Mme Mémona Hintermann-Afféjee. - Il faut des verrous dans la loi, afin par exemple que le respect des indicateurs soit vérifié par le CSA. Les outre-mer doivent être visibles dans les actualités. Il faut également réserver une part aux outre-mer dans les productions de fictions. Il existe des talents et des savoir-faire dans les outre-mer ou issus des outre-mer ; je ne citerai que France Zobda et Sébastien Folin parmi bien d'autres. La loi doit prévoir précisément, au besoin par le biais de quotas, et le régulateur doit ensuite contrôler. Sans garantie juridique, il n'y a que des voeux pieux. Au bout du compte, cela génèrera davantage de cohésion sociale pour le bien de tous.
M. Guillaume Arnell. - Toute obligation doit pouvoir être sanctionnée pour être effective.
M. Stéphane Artano. - Les outre-mer mer sont victimes de l'indifférence et il ne faut pas qu'il y ait une « case alibi » dans la grille audiovisuelle qui permette seulement de se donner bonne conscience. Quel type de représentation souhaite-t-on dans l'audiovisuel public : veut-on divertir ? Veut-on faire voyager le spectateur ? Veut-on de la fiction, des documentaires ? Il faut convaincre le Gouvernement de modifier les moyens dont dispose le régulateur. Il faut aussi encourager la production locale et pour cela développer la formation sur les territoires, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon où il y a peu de ressources en la matière. Les budgets des chaînes La 1ère sont en outre largement obérés par les frais de personnels et la bascule de France Ô sur le numérique va priver les chaînes de la contribution financière du CNC à la production de documentaires. Or, l'injonction budgétaire est aujourd'hui très prégnante. Je souscris par ailleurs à l'évolution des missions du CSA.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Le CSA est le partenaire privilégié de notre réflexion et nous offre une vision globale de la situation du panorama audiovisuel.
Mme Mémona Hintermann-Afféjee. - J'ai découvert au CSA une administration de très haute qualité qui regroupe quelque 280 personnes. C'est une plaque tournante de la galaxie audiovisuelle rassemblant une somme inédite d'expérience et d'expertise.