Mercredi 16 janvier 2019

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes réunis ce matin afin d'examiner la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, déposée par notre collègue David Assouline et les membres du groupe socialiste et républicain, que nous avons désigné rapporteur le 19 décembre dernier. Nous avions déjà évoqué les contours de cette proposition lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).

Ce sujet est très important. Il s'inscrit parfaitement dans le travail que fait la commission depuis des années sur la responsabilisation des plateformes. Ce que propose notre collègue consiste en une déclinaison économique de cette responsabilisation et nous ne pouvons que soutenir cette initiative.

M. David Assouline, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, le contexte politique général que nous traversons, les attaques contre les journalistes, la déferlante de ce qu'il est convenu d'appeler la « post-vérité » sur les réseaux sociaux, témoignent, plus que jamais, du caractère essentiel pour la vitalité et la qualité du débat démocratique d'une information libre indépendante, pluraliste et produite de manière professionnelle.

L'irruption d'internet et la domination sans partage de quelques grands groupes mondiaux, les « GAFAM » - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft -, ont doublement fragilisé l'édifice de notre presse, tel que conçu à la Libération. Elles ont, d'une part, contribué à assécher les sources de financement des éditeurs et des agences de presse, qui subissent une crise économique sans précédent. Elles ont, d'autre part, mis toutes les opinions et tous les points de vue sur le même plan, sans hiérarchisation ni classification, dévalorisant par là même la parole des journalistes.

Je vous livre quelques éléments pour souligner la gravité de cette crise, sur laquelle notre commission, notamment Michel Laugier, rapporteur pour avis du programme « Presse » de la mission budgétaire « Médias, livre et industries culturelles », s'est penché ces dernières années.

En 2009, 7 milliards d'exemplaires de journaux étaient vendus chaque année. Ce chiffre est aujourd'hui inférieur à 4 milliards. Le chiffre d'affaires de la presse baisse ainsi de plus de 4,5 % par an.

Plus encore que la baisse des ventes, c'est la chute des recettes publicitaires qui est alarmante : celles-ci diminuent de 7,5 % par an alors même que le marché de la publicité numérique est en hausse de 12 % par an !

La raison de cet effet de ciseau mortifère, qui conjugue baisse des ventes et chute plus brutale encore des recettes publicitaires, est connue - notre commission, en particulier, travaille de longue date sur ce sujet : il s'agit de l'action des grandes plateformes de l'internet. L'effet de cette action se fait sentir à deux niveaux.

Premier niveau : les recherches effectuées sur un moteur de recherche permettent aux plateformes d'engranger des recettes publicitaires très importantes, en vendant des « mots clés » et en constituant des bases de données sur chacun d'entre nous - je sais que notre présidente est particulièrement attentive à cette question, qui met en jeu nos libertés individuelles.

Second niveau : bien souvent, les informations recueillies par la simple consultation des résultats d'une recherche ou à l'occasion du partage d'un article suffisent à l'internaute, qui éprouve rarement le besoin d'aller plus loin, c'est-à-dire sur le site de l'éditeur. Dès lors, par le biais de ces « snippets », s'effectue une réelle spoliation des éditeurs et des agences. Sur un marché de la publicité en ligne estimé, en France, à 3,5 milliards d'euros, les seuls Google et Facebook en récupèrent 2,4 milliards, et les éditeurs moins de 13 %.

Afin de vous permettre de bien comprendre cet enjeu, je vais m'arrêter un instant sur la notion essentielle de « snippet ». Ce terme désigne la façon dont une page web est décrite dans les résultats d'un moteur de recherche : il peut s'agir, indifféremment, du résumé textuel proprement dit ou de tout le bloc de présentation de la page. Ainsi, lorsque vous faites une recherche sur un moteur bien connu, vous savez que vont apparaître le titre et le lien vers une nouvelle page ; en général, un petit résumé de quelques lignes, le snippet, donc, les accompagne.

Quand la recherche est en lien avec l'actualité, ces quelques lignes, qui peuvent être aussi une photo, sont en réalité extraites d'un article de presse, que ce soit sur Google ou Facebook, si l'article est partagé. Comme je l'ai dit, ces résumés suffisent très souvent à l'internaute. L'éditeur ne peut donc valoriser la consultation. Les plateformes attirent ainsi les internautes via une information qu'elles ne produisent ni ne rémunèrent et en retirent des bénéfices. Autrement dit, on assiste à une captation de la valeur créée par le travail des éditeurs et des agences de presse - ces dernières sont concernées au premier chef, s'agissant notamment de la photo. Aujourd'hui, les éditeurs et les agences n'ont en effet pas les moyens juridiques de faire valoir leur droit.

Tel est précisément l'objet de la présente proposition de loi : doter les éditeurs et les agences d'un « droit voisin » du droit d'auteur des journalistes et des photographes inscrit dans la loi de 2009 issue des états généraux de la presse, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les artistes-interprètes ou les sociétés de production audiovisuelle. Ce droit leur permettra de négocier avec les plateformes l'utilisation de leurs productions.

J'avais déposé, en 2016, une première proposition de loi visant à créer un tel droit voisin au profit des agences de presse, mais, faute d'être inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat, elle n'avait pu être discutée. Le texte que nous examinons aujourd'hui reprend en bonne partie ses dispositions, en les étendant à l'ensemble des éditeurs de presse.

La nécessité de faire contribuer les plateformes et les moteurs de recherche est largement reconnue. Des tentatives de législation nationale ont échoué en Allemagne et en Espagne face à la puissance des grands opérateurs et, notamment, aux menaces de Google. C'est pourquoi, dans le cadre de la réforme du droit d'auteur lancée en 2016, la Commission européenne a proposé une directive, dont l'article 11 crée un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse.

Je ne reviendrai pas sur les péripéties qui ont accompagné la discussion de cette directive. L'article 11, ainsi que l'article 13, sur le filtrage automatique des contenus postés, ont suscité des campagnes de lobbying très intenses ; celles-ci ont d'ailleurs failli réussir, puisque, à la surprise générale, le Parlement européen a, dans un premier temps, le 5 juillet dernier, repoussé le texte de sa commission, avant de se « reprendre » et d'adopter finalement un texte, le 12 septembre.

Nous sommes actuellement dans la phase dite de « trilogue », destinée à concilier les positions respectives du Parlement et du Conseil. Le prochain trilogue, qui - nous l'espérons - sera le dernier, doit se tenir lundi prochain, le 21 janvier. Il pourrait être conclusif, et une législation européenne pourrait donc être adoptée dans le courant du mois de mars, dans le meilleur des cas. J'emploie le conditionnel, car, en la matière, rien n'est encore certain. Mais cette option est à la fois souhaitable et possible.

Quelles sont les principales dispositions du présent texte ?

La proposition de loi permet de créer un nouveau droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse. Concrètement, il serait mis fin à l'utilisation sans consentement de textes rédigés par des journalistes, qui ne donne jamais lieu à rémunération. Mais le texte va plus loin. Les exemples allemand et espagnol ont montré que les plateformes étaient en position de force pour négocier et pouvaient tout simplement cesser de référencer les articles des éditeurs si ces derniers ne concédaient pas une licence gratuite, comme en Espagne.

La solution que je vous propose - celle qui a été, au demeurant, retenue dans la directive - consiste à créer les conditions d'un rapport de force plus favorable, en poussant au regroupement au sein de sociétés de gestion collective, sur le modèle, par exemple, de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) ou de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Concrètement, ce sont ces sociétés de gestion qui iront négocier des licences avec les opérateurs en ligne, sous le contrôle des éditeurs et des agences.

À ce jour, aucun chiffrage crédible n'a pu être fourni - c'est plutôt l'intox qui règne, dans les deux sens. En 2014, les éditeurs allemands avaient fait réaliser une estimation, mais sans aucune expertise contradictoire, pour mesurer les revenus qui pourraient découler de l'application de la législation sur les droits voisins adoptée dans ce pays dès 2013. Ces revenus avaient été chiffrés à 500 millions d'euros par an. Si l'on obtient la moitié de cette somme, perspective plus réaliste, quoiqu'encore optimiste, l'apport à la presse française sera déjà fantastique - les montants en cause sont énormes, et l'enjeu gigantesque -, et un premier pas sera effectué en direction d'un financement pérenne de la presse dans notre pays.

Je vous propose, par amendement, d'introduire à l'article 3 deux dispositions essentielles.

Il s'agit tout d'abord de corriger un oubli : j'avais omis de parler des réseaux sociaux, ne prenant en compte que certains agrégateurs. Il s'agit de plus, de manière parfaitement légitime, d'associer les journalistes et les photographes aux revenus complémentaires perçus par les éditeurs et les agences. Nous avons auditionné le syndicat national des journalistes (SNJ) et les éditeurs, ce qui a permis de trouver la bonne formule pour inscrire ce principe dans le texte.

Cette disposition figure d'ailleurs dans le projet de directive, et constitue une revendication constante de la France depuis le début de la négociation. Il est en effet normal que les auteurs bénéficient d'un complément de revenus, dont les modalités seront arrêtées par la négociation collective au sein des entreprises.

Dans quel cadre cette proposition de loi s'inscrit-elle ?

Elle a été conçue, s'agissant notamment des amendements que je m'apprête à vous proposer, en parfait accord avec toutes les parties prenantes - journalistes, éditeurs, agences de presse, grands patrons de presse. Les auditions que j'ai menées, loin d'être seulement formelles, ont ressemblé à des négociations. Même les acteurs de l'internet se sont, si je puis dire, « résignés » à ce que cette réforme soit mise en oeuvre. Les représentants de Google, tout en réitérant leur opposition « philosophique » à celle-ci, ont bien indiqué qu'ils tenaient désormais pour acquise la création d'un tel droit voisin.

Cette proposition de loi a été l'occasion d'un dialogue approfondi avec le ministère. Notre texte se rapproche le plus possible d'une transposition de la directive qui pourrait être adoptée. Je sais aussi que tous les groupes de notre assemblée oeuvrent de concert pour le succès de cette proposition.

L'adoption de ce texte par notre commission, puis par le Sénat, présenterait trois avantages.

Premier avantage : notre débat intervient alors que la discussion s'achève à Bruxelles. La rédaction que je propose concorde donc avec celle de la directive telle qu'elle est en train d'être négociée, à quelques détails près - c'est la navette qui fera du texte une véritable transposition. Le timing est donc bon.

Deuxième avantage : j'ai veillé à ce que notre travail n'interfère en rien avec les négociations européennes en cours, sinon pour conforter la position française. J'ai demandé au négociateur, c'est-à-dire au Gouvernement, où se situaient les lignes rouges susceptibles de faire « capoter » ces négociations, afin de faire de cette proposition de loi un avantage plutôt qu'un handicap. Par ailleurs, si un accord était trouvé, ce texte pourrait constituer la base d'une transposition rapide de la directive.

J'ai laissé de côté plusieurs points. Dans la loi figurera en particulier une définition du snippet, un nombre de signes, c'est-à-dire un seuil de déclenchement des droits voisins, étant notamment fixé. Pour ne pas nuire à la négociation européenne, nous n'avons pas pris position sur ce sujet.

Troisième avantage : si aucun accord n'était trouvé, ce texte pourrait servir de point de départ à une législation française. Les élections européennes approchant, de deux choses l'une : soit un accord est rapidement conclu au niveau communautaire, soit, en cas d'échec reportant la perspective d'une solution commune de plusieurs années, la France ne pourra pas attendre, et nous légiférerons.

Voilà les grandes orientations de cette proposition de loi, qui devrait tous nous rassembler tant les mesures qu'elle contient correspondent aux positions maintes fois exprimées par notre commission.

M. Michel Laugier. - On peut se réjouir de cette proposition de loi pour trois raisons.

Premièrement, ce texte va dans le sens du rapport pour avis que j'ai présenté lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019. On l'a dit et répété, la presse est dans une situation très difficile, voire dramatique. Les journaux ont perdu une grande partie de leurs lecteurs. Les recettes supplémentaires créées par leur présence sur internet ou sur les kiosques numériques sont très loin de compenser la perte de revenus. Deuxièmement, il arrive à point nommé. Les négociations touchent à leur fin, et j'espère que ce texte renforcera la position française. Il nous prépare à une transposition rapide et efficace de la directive. Troisièmement enfin, il s'inscrit dans la réflexion plus large engagée par la présidente de notre commission sur la place des plateformes en ligne. Il est indispensable de responsabiliser les acteurs du Net.

M. Jean-Pierre Leleux. - Il s'agit là d'un texte consensuel, qui anticipe la transposition de l'article 11, relatif à l'établissement d'un droit voisin pour les éditeurs de presse sur le modèle de ce qui existe déjà pour la musique et le cinéma.

Je tiens à souligner le travail exhaustif de David Assouline sur ce sujet. Lors de l'examen de la loi LCAP, nous avions adopté des dispositions concernant les photographes et les arts plastiques, que la commission mixte paritaire avait rejetées, craignant une inconstitutionnalité au titre de la règle de l'entonnoir.

J'ai beaucoup regretté l'acceptation du chèque de 60 millions d'euros versé par Google à la presse française pour la faire taire : une humiliation. Je ne connais pas les termes exacts de l'accord passé alors, mais il va falloir sortir de cette situation. L'adoption prochaine de la directive est de nature à apaiser les menaces de Google quant au déréférencement des articles de presse. Il convient de veiller à ce que les termes de ce texte soient proches de ceux de la directive concernant notamment la durée des droits - n'allons pas trop loin pour éviter de gêner nos négociateurs - et la définition des snippets, une question très délicate.

Le Sénat s'honorerait d'être à l'origine de cette législation.

Mme Sylvie Robert. - Merci au rapporteur pour cette proposition de loi qui arrive effectivement à point nommé. Ce texte s'inscrit dans la continuité des réflexions engagées par le Sénat ; c'est une question de justice, une question symbolique et politique. La France a toujours été en avance pour ce qui concerne la défense des droits d'auteur - Beaumarchais est encore là. En anticipant la directive, ce texte nous permet de nous positionner en amont, ce qui est une fierté.

Une question de principe : le financement de la création est au coeur du débat. Les auditions auxquelles nous avons assisté étaient très intéressantes.

Une exigence et un point de vigilance : avec l'augmentation des moyens, on est en droit d'attendre une information de qualité. Dans le contexte actuel, il convient de réaffirmer cette exigence, d'autant que des dérives ou des contournements concernant les snippets sont possibles.

Concernant le regroupement facultatif ou obligatoire au sein de sociétés de gestion collective, j'espère que le maximum d'acteurs joueront le jeu. Là encore, les contournements sont possibles, et le rapporteur a parlé de rapport de force. Cette proposition de loi peut donc être un symbole très fort politiquement.

M. André Gattolin. - Félicitations à l'auteur de ce texte. Les droits d'auteur pour la presse et les photographes ont été les grands oubliés. Voilà quelques années, j'ai été rapporteur d'un texte sur la copie privée : le mode de calcul de cet autre droit voisin donne la part belle à l'audiovisuel et à la musique, au détriment de la presse écrite.

Je me méfie toujours des textes élaborés en parallèle ou en synchronie d'une directive européenne, mais il faut reconnaître que les amendements du rapporteur sont de nature à apporter la plus grande cohérence possible avec le futur texte de la directive.

Deux interrogations néanmoins. La Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins avait été auditionnée voilà quelques années, et nous avons quelques doutes sur le bon fonctionnement des sociétés de gestion des droits d'auteur. À voir le niveau des frais de fonctionnement de la Sacem et de la SACD, on peut se demander si l'argent va essentiellement aux auteurs. Aussi, je serai favorable à ce que l'on envisage d'auditionner sinon annuellement, du moins régulièrement, cette institution, qui réalise un travail remarquable.

Au cours des deux dernières années, les grands moteurs de recherche que sont Google, Yahoo ! ont eu tendance à réduire leurs services Google Actualités ou Yahoo ! Actualités pour la bonne raison que ceux-ci ne sont pas très rentables faute de publicité. Ce n'est pas parce qu'un résumé apparaît sur une page de recherche que les internautes s'en contentent et ne cliquent pas. Ne soyons pas trop rigoristes dans la définition du snippet, car il s'agit là d'une facilité d'utilisation. Il faut trouver un équilibre entre la juste rémunération et l'information. D'ailleurs, la presse en ligne et les moteurs de recherche ne sont pas les seuls à se nourrir de l'information produite par les quotidiens ou les magazines d'information. La radio, avec les revues de presse, ne s'en prive pas.

Mon groupe votera ce texte sous réserve de l'adoption des excellents amendements proposés par notre rapporteur.

Mme Françoise Laborde. - Je félicite l'auteur de cette proposition de loi. Comme cela a été souligné, le moment est bien choisi pour proposer ce texte.

Nous avions défendu avec force, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, l'article visant à mieux contraindre les plateformes à assumer leurs responsabilités. Mon groupe ne peut qu'être favorable à l'article 11 du projet de directive, qui crée un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse. Cela permettra de filtrer les contenus illégaux, même si la question de la définition des snippets demeure. De même, il convient de s'interroger sur le côté obligatoire ou facultatif du regroupement. Veillons à ne pas réduire dès le départ la portée de ce texte ! Nous soutiendrons cette proposition de loi.

Mme Céline Brulin. - Notre groupe est favorable à cette proposition de loi consensuelle. L'actualité justifie pleinement ce texte : la presse connaît des difficultés et des groupes comme Google parviennent à échapper à l'impôt au moyen de montages légaux.

J'adhère totalement à l'argument selon lequel l'augmentation des moyens devra permettre d'assurer la qualité et le pluralisme de l'information.

Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, les grands acteurs d'internet font leur deuil et commencent à se préparer à la mise en oeuvre de ces dispositions. On voit déjà poindre quelques écueils. Soyons vigilants, il ne faut pas qu'ils contraignent d'une manière ou d'une autre les sites des journaux à être hébergés sur leurs propres plateformes.

Mme Catherine Dumas. - Je remercie David Assouline de son travail. À l'ère du numérique, il est plus que temps de moderniser le droit d'auteur. Je souligne le parfait accord avec toutes les parties prenantes, la coconstruction du texte pour être proche de la directive ainsi que la concordance dans le temps.

Concernant la taille du snippet, penchez-vous, monsieur le rapporteur, pour la version du Parlement européen ou celle du Conseil ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la phase de trilogue en cours ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je souscris volontiers moi aussi à cette proposition de loi. Sans vouloir lancer une polémique, je sais l'aversion de notre collègue et ami André Gattolin pour les sociétés de répartition,...

M. André Gattolin. - Pas une aversion !

M. Jean-Raymond Hugonet. - ... mais je veux l'inviter à faire preuve de plus de discernement quand on connaît la responsabilité historique de notre pays dans la création de ces organes pour le bien des créateurs. Qui plus est, j'aimerais bien que le Gouvernement s'inspire du mode de gestion de la Sacem, par exemple pour conduire les finances de l'État.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Il me semble utile que nous réalisions le travail de contrôle de tous ces organismes.

M. Jean-Raymond Hugonet. - La confiance n'exclut pas le contrôle.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souscris volontiers à la proposition de M. Gattolin d'auditionner les personnes responsables de la Commission de contrôle des organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins.

M. Claude Malhuret. - Je salue également l'opportunité de cette proposition de loi. Il s'agit non pas d'un aboutissement, mais du début de nouvelles négociations, qui seront longues et difficiles. J'espère que ce texte et la nouvelle directive feront reculer les GAFAM face aux éditeurs de presse. Il faudra discuter de la structure qui assurera la collecte et la redistribution, en espérant que ce soit moins coûteux et plus transparent que celle qui existe dans le domaine de la musique. Comment s'opéreront les reversements ? Au forfait ? À l'article ? On va se retrouver dans un rapport de force identique à celui de la grande distribution avec les fournisseurs. Par ailleurs, la durée doit être différente de celle des droits d'auteurs artistiques.

Nous serons sans doute appelés à faire des propositions au fur et à mesure de l'évolution du dossier.

Mme Sonia de la Provôté. - Je souscris tout à fait à cette proposition qui traite d'un sujet majeur.

Concernant la question du pluralisme et celle de la liberté, il faut à la fois prévoir des éléments de régulation - on arrive à la fin d'un système - et préserver la liberté - on est sur la ligne de crête. Eu égard aux rapports de force entre les diffuseurs et les créateurs, comment créer les conditions d'une régulation et du maintien a maxima de la liberté ? Par ailleurs, même si notre vertu législative est grande et reconnue, veillons à ne pas créer d'usines à gaz pour les snippets ou la durée des droits. Ne nous tirons pas une balle dans le pied à vouloir être trop vertueux.

M. David Assouline, rapporteur. - Je remercie l'ensemble des intervenants et des groupes pour leur soutien absolu, ce qui est rare. Dans un domaine où le Sénat a besoin de continuer à être valorisé, cette unanimité va donner de la force au texte et va concourir à son prestige. Ce sujet est d'une modernité absolue et concerne un enjeu important, et pas seulement pour la France.

La mise en application des dispositions constitue un enjeu énorme pour les acteurs, qui devront se mettre d'accord - une agence de presse n'a pas les mêmes intérêts qu'un journal. Les journalistes ne veulent pas être les oubliés, car ce sont les créateurs premiers de la valeur. Comment assurer la redistribution aux auteurs ? Les détracteurs de cette loi commencent à relever les difficultés d'application. L'unité des acteurs est fondamentale. Toute la presse quotidienne nationale et régionale a noué une alliance pour éviter que l'un d'entre eux ne fasse cavalier seul.

D'autres enjeux résident dans la finalisation de la transposition de la directive. Avec un mauvais système de captation des droits et de répartition, l'information de mauvaise qualité pourrait être encouragée. Si la clé de répartition est le « clic », l'information peut être réduite à son strict minimum. Même s'il s'agit des modalités d'application de la loi, nous devons dire qu'il faudra tenir compte d'autres paramètres - certains parlent du nombre de cartes de presse de l'éditeur.

Pour ce qui concerne la loi elle-même, deux sujets restent en suspens, afin que nous puissions nous ajuster au cours de la navette avec les conclusions de la directive. Je rappelle que le trilogue doit se réunir lundi.

La tradition française veut que la durée des droits voisins soit de cinquante ans. Peut-on modifier cette tradition considérant que la directive optera vraisemblablement pour une durée plus courte ? La durée des droits fixée dans la directive ne nous laisse qu'une faible latitude. Les Allemands ont voté un texte la fixant à six mois... Les autorités françaises ont arrêté leur position sur une durée de cinq ans. J'ai fait le choix de vingt ans dans mon amendement COM-4, pour que l'écart ne soit pas trop grand avec nos partenaires.

Concernant la longueur du texte cité à partir de laquelle le droit se déclenche, il est important d'être très précis, faute de quoi les contentieux se multiplieront. Le seuil peut être défini par un nombre de signes ou de mots ; il convient en tout cas de le fixer aussi bas que possible dès lors que la citation dépasse le titre. Le projet de directive précise que le versement de droits « ne s'applique pas aux simples hyperliens accompagnés de mots isolés ». La rédaction finale sera plus précise. Fixer un nombre minimal de mots pose problème, puisque le seuil jugé le plus approprié peut varier suivant les langues.

L'adhésion aux sociétés chargées de recouvrer les droits doit-elle être obligatoire ? Cela empêcherait certains acteurs de négocier directement avec Google, mais ce n'est pas l'option retenue actuellement. Il est difficile, dans notre monde, d'imposer des obligations. J'ai également renoncé à mettre en jeu l'agrément du ministère, car, aux yeux des autorités européennes, cela pourrait être assimilé à une obligation.

La proposition de loi n'est pas une surtransposition, bien au contraire. Le dernier mot, en la matière, reviendra à l'Assemblée nationale. C'est l'avantage du bicamérisme...

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. David Assouline, rapporteur. - Mon amendement COM-3 aligne, dans une rédaction plus précise, le régime des exceptions des droits voisins des éditeurs et des agences de presse sur le droit commun, c'est-à-dire en prévoyant des exceptions pour les personnes souffrant de handicap et les bibliothèques. Cela relève du lissage technique.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. David Assouline, rapporteur. - La durée des droits patrimoniaux des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des producteurs de vidéogrammes, autres titulaires des droits voisins, est fixée à cinquante ans par l'article L. 211-4 du code de la propriété intellectuelle. Le texte initial prévoyait une durée équivalente pour les éditeurs de presse et les agences de presse.

Or une telle durée pourrait paraître excessive dans un secteur où l'investissement économique est plus faible. Le projet de directive du Parlement européen retient une durée de cinq années, ce qui est aussi la position du Gouvernement français. L'essentiel du trafic sur internet porte sur l'actualité immédiate. C'est pourquoi il n'est pas choquant de réduire la durée de ces droits. Cependant, les articles de fond, moins liés à l'actualité, en pâtiraient.

Pour nous rapprocher de la position du Gouvernement, mon amendement COM-4 ramène la durée des droits à vingt ans.

M. Claude Malhuret. - Mon amendement COM-1 rectifié porte également sur la durée des droits patrimoniaux. On ne peut traiter l'information, surtout sur internet, comme les oeuvres des artistes-interprètes et producteurs audiovisuels. Au bout de quelques mois, il n'y a plus d'enjeu. Comme vous l'avez rappelé, le texte voté par l'Allemagne prévoyait une durée de six mois. Au niveau européen, la Commission prévoyait initialement une durée de cinq ans, contre un an par le Parlement. Dans ce contexte, il me semble inutile de nous singulariser en restant sur une durée de vingt ans. Rapprochons-nous plutôt des positions du Parlement européen, d'autant que nous travaillons en parallèle sur ce texte. Mon amendement ramène la durée des droits à un an, mais je suis ouvert à d'autres propositions.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je partage la position de Claude Malhuret. L'obsolescence des articles de presse est beaucoup plus rapide sur internet. Il serait préférable de se rapprocher de la durée proposée dans la directive, soit cinq ans. Ainsi, nous accompagnerions mieux la position de la France dans la négociation européenne.

M. David Assouline, rapporteur. - En visitant une exposition de photojournalisme à Arles, j'ai rencontré de jeunes talents dans cette profession qu'internet a tuée. Les photographies n'ont pas le caractère éphémère de l'actualité ; or elles sont pillées par les GAFAM. C'est ce qui m'a incité à rapporter ce texte. Ne sacrifions pas cette profession même si, naturellement, je me rallierai à l'accord qui sera trouvé en séance et dans les discussions avec l'Assemblée nationale. Proposer une durée d'un an, c'est baisser pavillon dès le début de la négociation et affaiblir la position française. Par conséquent, retrait ou avis défavorable à l'amendement COM-1 rectifié.

Monsieur Leleux, je vous invite, si vous le souhaitez, à déposer un amendement en séance ramenant la durée des droits à cinq ans.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je vais y réfléchir. Je suis sensible à vos arguments sur le photojournalisme.

M. David Assouline, rapporteur. - Je souhaitais initialement prévoir une durée de droits plus longue pour les photographies, mais la directive ne mentionne que des éléments d'information sans distinguer l'écrit de l'image.

M. Claude Malhuret. - Mon amendement COM-2 rectifié précise que les droits visés ne sont pas rétroactifs. Certes, la loi ne l'est jamais, mais les articles déjà en ligne pourraient faire l'objet de contestations très nombreuses. Il m'a donc semblé utile de le souligner dans le texte.

M. David Assouline, rapporteur. - D'après les experts que j'ai consultés, votre amendement est satisfait. Il est impossible d'interpréter le texte dans un sens rétroactif. Je vous invite donc à le retirer.

M. Claude Malhuret. - Je retire mes deux amendements. Cependant, je suis étonné que le Gouvernement ne s'oppose pas à une durée de vingt ans, qui nous décrédibilise en nous singularisant au niveau européen. Cinq ans, cela me semble être une position crédible de début de négociation.

M. Michel Laugier. - Je partage cette position. Déposons un amendement en ce sens, une fois connus les résultats du dernier trilogue sur la directive, lundi 21 janvier.

Mme Françoise Laborde. - Je suis moi aussi favorable à une durée de cinq ans. Il serait préférable de se mettre d'accord dès maintenant, si nous voulons éviter que les débats ne durent trop en séance.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je le déposerai après avoir arrêté une position sur les droits des photojournalistes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous rediscuterons donc de ce sujet pour présenter une position commune en séance.

Les amendements COM-1 rectifié et COM-2 rectifié sont retirés.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. David Assouline, rapporteur. - Nous arrivons au coeur du dispositif. Sans dénaturer l'esprit de l'article 3, mon amendement COM-5 en précise la rédaction.

D'abord, il définit mieux la notion de publication de presse en l'alignant sur le texte de la directive européenne. Ensuite, il élargit à l'ensemble des moteurs de recherche et des réseaux sociaux la liste des redevables au titre des droits voisins, en utilisant la notion de « service de communication au public en ligne » introduite par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

Le nouvel article L. 218-5 inséré dans ce chapitre constitue la traduction d'un engagement fort en faveur des journalistes et des photographes porté par la France durant toute la négociation. Cet amendement prévoit explicitement l'obligation d'une négociation au niveau de l'entreprise de presse pour faire bénéficier les journalistes eux-mêmes des versements au titre des droits voisins.

Mon amendement introduit enfin une simplification formelle en réunissant dans un même chapitre les droits des éditeurs et des agences de presse, et en alignant le statut et les conditions d'exercice des sociétés de gestion sur le droit commun.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles additionnels après l'article 3

M. David Assouline, rapporteur. - Je vous propose une série d'amendements - de pure coordination - destinés à aligner le régime des droits voisins des éditeurs et des agences de presse sur le droit commun des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes, tel que prévu dans le code de la propriété intellectuelle.

Les amendements COM-6, COM-7, COM-8, COM-9, COM-10, COM-11, COM-12, COM-13 et COM-14 sont adoptés et deviennent articles additionnels.

Article 4

M. David Assouline, rapporteur. - Mon amendement COM-15 tire d'abord les conséquences de l'avis rendu par l'avocat général près la Cour de justice de l'Union européenne, qui a estimé, le 12 décembre 2018, que la loi allemande de 2013 aurait dû faire l'objet d'une notification auprès de la Commission européenne. Dès lors, dans le cas d'un échec des négociations européennes, il faut prévoir que la législation nationale qui serait alors adoptée sera bien conforme au droit européen. Si la directive est publiée avant la fin de la navette parlementaire, cette disposition ne sera plus nécessaire. C'est un simple garde-fou.

L'amendement tient également compte des modifications introduites à l'article 3, qui mettent fin à l'agrément obligatoire des sociétés de gestion, et donc au décret en Conseil d'État qui devait servir de point de départ à la mise en oeuvre de la loi. Je propose un délai de trois mois entre la promulgation et l'entrée en vigueur pour laisser le temps aux acteurs d'entamer les négociations. Il est en effet indispensable de constituer une société pour la perception des droits.

L'amendement COM-15 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 4

M. David Assouline, rapporteur. - Mon amendement COM-16 est relatif à l'application de la loi à Wallis-et-Futuna.

L'amendement COM-16 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

3

Ajustement technique sur les exceptions aux droits voisins

Adopté

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

4

Abaissement de la durée des droits voisins à vingt ans

Adopté

M. MALHURET

1

Abaissement de la durée des droits voisins à un an

Retiré

M. MALHURET

2

Non rétroactivité

Retiré

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

5

Réécriture du dispositif, avec une meilleure définition des redevables et association des journalistes et photographes aux revenus générés par les droits voisins

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

6

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

7

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

8

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

9

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

10

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

11

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

12

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

13

Mesure de coordination

Adopté

M. ASSOULINE, rapporteur

14

Mesure de coordination

Adopté

Article 4

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

15

Date d'entrée en vigueur

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 4

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ASSOULINE, rapporteur

16

Application de la loi à Wallis-et-Futuna

Adopté

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie de cette unanimité.

Communications diverses

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous informe, avant de clore la réunion, que le rapport au Parlement du Comité scientifique et éthique de Parcoursup vient de nous être transmis et vous sera adressé par mail d'ici quelques instants.

La réunion est close à 10 h 55.

Jeudi 17 janvier 2019

- Présidence commune de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et de M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture

M. Michel Magras, président. - Je voudrais en tout premier lieu dire ma satisfaction que la présente audition soit menée en réunion conjointe avec nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, dont certains sont également membres de notre délégation sénatoriale aux outre-mer, et je tiens à remercier très vivement sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly d'avoir accepté cette démarche commune.

La question de la représentation et de la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public est un enjeu fort pour nos territoires ultramarins et leurs populations, dont la diversité des cultures et l'implantation dans tous les océans sont une richesse et une chance pour notre pays qui n'en a pas toujours une conscience aiguisée. La valorisation de la dimension ultramarine est largement tributaire d'une connaissance plus effective de cette réalité et cela passe inéluctablement par une meilleure prise en compte dans les médias, une prise en compte dépassant la vision catastrophiste et les clichés vivaces de carte postale : il y a là un enjeu de cohésion républicaine et la « mission du lien » incombe en premier lieu au service public.

À l'heure bientôt sonnée de la réforme de l'audiovisuel public et alors que la décision a été prise par le Gouvernement, au début de l'été dernier, de supprimer la chaîne France Ô de la TNT au profit d'une plateforme exclusivement numérique assortie d'une meilleure intégration des sujets traitant des outre-mer dans la programmation des chaînes publiques, notre délégation a considéré nécessaire de se saisir de ce sujet majeur. Elle l'a fait sur la base d'auditions menées le 5 juillet consécutives à l'émoi suscité par l'annonce gouvernementale ; elles ont révélé de fortes inquiétudes, beaucoup d'incompréhension et la nécessité d'un éclairage étayé. Il est apparu nécessaire de dresser un état des lieux et de procéder à une rétrospective pour asseoir un éventuel nouveau schéma, et en tous cas forger de réelles garanties qui ne soient pas que de bonnes paroles.

Tel est le sens de notre démarche, Monsieur le ministre, une démarche constructive et sans concession comme pour chacune des études menées par la délégation. Nous sommes heureux de vous accueillir pour ouvrir nos travaux dont la conduite a été confiée à nos deux collègues, Maurice Antiste, sénateur de la Martinique, et Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, qui vous interrogeront tout à l'heure. Avant que vous ne nous présentiez la vision du Gouvernement, je cède la parole à Mme la présidente Catherine Morin-Desailly dont la commission sera amenée à examiner la réforme de l'audiovisuel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je suis heureuse d'accueillir Franck Riester, ministre de la culture, à l'initiative de la délégation aux outre-mer, qui mène un travail de fond sur l'audiovisuel ultramarin tout à fait nécessaire.

Je confirme que les sénateurs ultramarins de la commission de la culture - Maurice Antiste, Abdallah Hassani et Antoine Karam - sont très vigilants s'agissant de l'avenir de l'audiovisuel public et sur la nécessité absolue d'améliorer l'offre de programmes pour nos concitoyens ultramarins.

Au printemps dernier, la commission de la culture s'est émue de l'annonce de la suppression de la diffusion hertzienne de France Ô, sans que soit en réalité présentée en contrepartie une amélioration de l'offre. Cette suppression a pu laisser penser à une forme de désengagement vis-à-vis de nos concitoyens ultramarins.

Nous aurons l'occasion d'évoquer la situation de France Ô au cours de cette audition. Je crois utile de rappeler que la chaîne est sur la sellette. Peut-être n'a-t-elle pu trouver son public du fait d'un déficit de ligne éditoriale, qui a été sujette à débat. De nombreux rapports de notre collègue Jean-Pierre Leleux en ont d'ailleurs fait état. On peut dire que ses rares performances ont été obtenues grâce à la rediffusion de séries de France 2 et de France 3 sans véritable lien avec l'outre-mer.

Il s'agit donc de savoir comment réellement améliorer cette offre. Les économies réalisées à la suite de l'arrêt de la diffusion hertzienne de France Ô pourront-elles le permettre ? La solution doit être sans doute trouvée dans une offre numérique, ce qui pose aussi la question des projets de plateforme de France Télévisions.

Voici la réalité devant laquelle nous nous trouvons. Nous exigerons en tout cas une équité de traitement de l'ensemble de nos concitoyens, où qu'ils résident. C'est le sens de notre travail, qui est destiné à alimenter notre réflexion dans la perspective de la réforme de l'audiovisuel.

M. Michel Magras, président. - Je laisse à présent les rapporteurs se présenter à vous.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, je suis très heureux que vous participiez à nos réflexions. Vous allez pouvoir nous éclairer sur bien des points.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, sénatrice de l'Essonne, née d'une mère métropolitaine et d'un père martiniquais, je suis attachée à la commune du Diamant, en Martinique, où je possède un pied-à-terre. De par mes origines, je connais bien le sujet que nous allons traiter aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel. - Monsieur le ministre, comme vous le savez, le Sénat et la commission de la culture travaillent depuis de nombreuses années sur l'audiovisuel dans toutes ses composantes, qu'elles soient privées ou publiques.

Lors des annonces de votre prédécesseure, nous avions exprimé quelques réserves à propos de la suppression de France 4 mais nous avions différé notre avis concernant France Ô, cette question méritant un approfondissement. Nous allons pouvoir avancer dans la clarification. Je me réjouis de ces travaux menés par la délégation aux outre-mer qui nous éclaireront et nous aideront à la rédaction de notre rapport sur la réforme de l'audiovisuel.

M. Franck Riester, ministre. - Madame la présidente, monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un plaisir pour moi d'être présent devant vous ce matin, dans cette salle magnifique pour échanger avec vous sur l'audiovisuel.

Nous sommes dans un moment un peu particulier, une réforme de l'audiovisuel public ayant été annoncée par ma prédécesseure. Parallèlement, Françoise Nyssen a travaillé et je travaille aujourd'hui sur une réforme plus globale de l'audiovisuel, qui comportera nécessairement une partie relative à l'audiovisuel public. Il est donc d'autant plus utile que nous puissions échanger, et je suis à votre écoute.

Qu'elles soient de fiction ou d'information, les images ont un impact considérable sur nos imaginaires : on a tendance à s'y projeter et à apprécier davantage les films et les séries dans lesquelles on s'identifie à un personnage. Mais, pour certains, il est difficile de s'identifier à une image, à une situation ou à un personnage car, trop souvent, les écrans ne montrent qu'une partie de notre société, occultant tout un pan de la société française. En omettant de les représenter, on donne le sentiment à certains territoires et à certains Français d'être invisibles, délaissés, de n'être pas suffisamment considérés.

Ce sentiment, nous l'avons trop longtemps laissé prospérer, et je suis vraiment convaincu que cela ne peut pas durer plus longtemps. Cette insatisfaisante représentation à l'écran, les outre-mer sont les premiers à en souffrir. Leur diversité, leur jeunesse, la richesse de leurs langues et de leur patrimoine, leur vie culturelle foisonnante, leur francophonie vibrante..., nous ne les montrons pas assez, nous ne leur donnons pas suffisamment de visibilité.

Il n'est pas normal de ne pas avoir d'acteurs ou de personnages ultramarins dans les séries françaises. Il n'est pas normal que les journaux télévisés évoquent Mayotte, la Nouvelle-Calédonie ou La Réunion par exemple uniquement lorsque ces territoires vont mal.

Pour que l'audiovisuel public parle à tous, il faut qu'il parle de tous, et ce sur des chaînes regardées par tous. L'existence d'une chaîne dédiée dans l'hexagone n'était pas une réponse à la hauteur de l'enjeu. Je suis convaincu que France Ô a servi d'alibi à l'absence de programmes dédiés aux outre-mer et à leurs habitants sur les autres chaînes du service public. Elle a cantonné « l'archipel de France » à la périphérie, au lieu de le placer au centre des programmes que les Français regardent.

Les choses doivent changer, et, croyez-moi, les choses vont changer ! La transformation de l'audiovisuel public va nous y aider. Elle doit permettre de montrer la France telle qu'elle est, de donner une image fidèle de notre pays et à notre pays. Elle doit refléter la vitalité de celui-ci. Notre objectif, c'est de placer l'outre-mer au centre et non plus à la périphérie de l'audiovisuel public, c'est de parler de l'outre-mer comme on parle de l'hexagone. Cela signifie, par exemple, intégrer au journal télévisé de France 2 des sujets à propos du prochain lancement de l'expérimentation du pass culture en Guyane ou à propos de l'actualité culturelle de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il s'agit de rendre ces sujets plus visibles à la télévision, mais aussi dans l'univers numérique. Un portail dédié sera développé, comportant beaucoup plus de programmes consacrés aux outre-mer, avec un meilleur accès aux chaînes Outre-mer 1ère et à leurs contenus, qui sont pour moi un modèle exceptionnel de média global.

À l'horizon 2020, lorsque France Ô cessera d'émettre, tous les Français verront sur les écrans du service public des programmes produits en outre-mer, qui parlent de l'outre-mer, avec des ultramarins.

Afin d'y parvenir, des engagements ont été pris par le Président de la République, mais aussi, lors des Assises des outre-mer, en juin, par le Gouvernement tout entier, par la voix de la ministre des outre-mer, ma collègue Annick Girardin, et celle de ma prédécesseure, Françoise Nyssen, le 19 juillet, lors de la restitution de la mission de concertation, ainsi que par France Télévisions - et je remercie Delphine Ernotte de son engagement très fort et à travers elle, l'engagement de toutes les équipes de France Télévisions.

Pour obtenir des résultats visibles à l'antenne dans les meilleurs délais et pour que les choses changent vraiment, nous avons besoin de travailler avec les premiers concernés. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de donner la parole aux outre-mer. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de votre voix. C'est la raison pour laquelle un groupe de travail composé de parlementaires travaille avec France Télévisions afin d'étudier la façon dont les engagements pris seront tenus.

Il est de la responsabilité du Gouvernement - et nous l'assumons - de demander clairement à France Télévisions un certain nombre de propositions pour respecter les engagements qui seront pris et seront inscrits dans les documents contractualisant notre relation avec France Télévisions - par exemple, le cahier des charges, le contrat d'objectifs et de moyens (COM) ou encore la future loi audiovisuelle.

Si nous voulons la diversité à l'écran, nous devons avoir la diversité dans nos rangs. Il faut continuer le travail avec France Télévisions. Nous avons besoin de rentrer précisément dans le concret, avec des indicateurs et des idées pour réinventer les programmes des chaînes et le déroulé des journaux télévisés, de recruter de nouveaux animateurs, de réfléchir collectivement aux moyens d'améliorer la visibilité des territoires ultramarins dans l'ensemble du pays.

Il faut également associer à cette démarche Arte, France Médias Monde, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Médiamétrie. Catherine Morin-Desailly a justement rappelé que l'audience de France Ô était très faible : elle était en 2007 de 0,6 point, soit 2,2 % des audiences totales de France Télévisions. Il y avait un problème d'audience. Il faut en revanche s'assurer que les programmes ultramarins, qui contiennent des personnalités ultramarines ou qui portent sur des sujets ultramarins, soient diffusés à un moment où l'audience est forte. Ce qui compte, c'est de toucher le plus grand nombre de Français, dans l'hexagone ou en outre-mer. Il faut aussi travailler avec les syndicats de la production audiovisuelle et avec le collectif « Sauvons France Ô », car nous devons échanger, travailler et être à l'écoute de tous.

L'État souhaite travailler avec le groupe de travail, les commissions des affaires culturelles du Sénat et de l'Assemblée nationale, les deux délégations parlementaires. Nous devons mobiliser nos moyens, sans confusion entre le législatif et l'exécutif, mais avec la même volonté que l'audiovisuel public et France Télévisions changent dans l'approche des outre-mer.

Avant de répondre à vos questions, je tiens à rappeler que France Télévisions continuera à engager des personnels et des moyens au niveau central pour les offres ultramarines. La question de l'avenir des personnels de France Ô sera traitée avec sérieux et responsabilité : nous devons faire les choses comme il se doit.

10 millions d'euros sont actuellement alloués par France Télévisions aux coproductions ultramarines. Cette enveloppe budgétaire sera non seulement maintenue mais elle doit être augmentée.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous avons toutes les cartes en main pour mieux représenter l'outre-mer. Nous avons les moyens d'en parler comme on parle de l'hexagone : c'est ce que nous allons faire. Sur ce sujet, je n'aurai de cesse de travailler en étroite collaboration avec la ministre des outre-mer, ma collègue Annick Girardin, et de coopérer avec le Parlement et l'ensemble des collectivités territoriales ultramarines.

Je suis élu depuis 1995, j'ai été maire durant dix ans et suis toujours conseiller municipal de Coulommiers : je suis très attaché au fait d'entretenir les meilleures relations avec les élus, en particulier les élus locaux. Les relations avec les collectivités territoriales ultramarines sont donc pour moi essentielles. Vous pouvez compter sur ma détermination et mon écoute totale. Je vous remercie.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre. J'apprécie la concision et la précision de votre propos. Nous faisons tous le même diagnostic concernant l'insatisfaisante représentation à l'écran des outre-mer et leur insuffisante visibilité.

Je note votre volonté de changer. Notre délégation est fidèle à sa manière de travailler : nous n'avons pas d'idée préconçue. Le rapport et les préconisations que nous fournirons seront à la disposition du Gouvernement comme du Parlement et de l'ensemble des acteurs concernés.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, votre intervention pourrait presque constituer une excellente conclusion à nos travaux, tant vous êtes largement allé dans les détails.

Les cahiers des charges et les contrats d'objectifs et de moyens (COM) successifs de France Télévisions prévoient, décret après décret et COM après COM, une visibilité des outre-mer sur l'ensemble des chaînes, notamment France 2 et France 3.

Je vais vous citer - et ce n'est qu'un exemple - le COM 2011-2015 : « France Télévisions renforcera les liens entre les rédactions de France 2, France 3 et celles de RFO, de façon à amplifier la diffusion en métropole d'images et de reportages en provenance de l'outre-mer ».

Je cherche, monsieur le ministre, les raisons impérieuses qui ont pu empêcher France Télévisions de respecter la mission inscrite dans son contrat. Si les cahiers des charges et les contrats d'objectifs et de moyens ne sont que des manifestes, autant gagner du temps et s'exonérer de leur rédaction.

En outre, les outre-mer représentent 11 collectivités et des millions de Français, dans les territoires comme dans l'hexagone. Mais quelle visibilité sur les grandes chaînes ? Peau de chagrin. Si les chaînes publiques font toujours mieux que le privé, elles sont loin, très loin de briller dans ce domaine, et ce alors même que leur cahier des charges les y invite explicitement.

Ma question est simple, Monsieur le ministre, faut-il Irma pour que l'hexagone découvre que Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont des îles françaises ? Faut-il qu'un célèbre chanteur décide de se faire inhumer dans les Antilles pour que nous en voyions une carte dans un journal télévisé ? Faut-il que Mayotte subisse des troubles importants durant des semaines pour avoir 30 secondes au 20h ?

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure- Monsieur le ministre, nous parlions des critiques que subit souvent France Ô. Cette chaîne ne serait pas à la hauteur.

Je me permets de vous lire un extrait du COM 2011-2015 « France Ô s'efforce de raconter de "belles histoires", fait appel à l'empathie, à l'émotion, aux impulsions créatrices et à l'intelligence humaine ». De qui se moque-t-on ? Surtout, de qui se moquaient les rédacteurs de ce COM, qui est de la responsabilité de votre ministère et de France Télévisions ?

Quelle a été la réelle ambition des gouvernements successifs pour cette chaîne ? Et si, monsieur le ministre, le problème ce n'était pas France Ô mais le manque d'ambition qu'on lui porte ?

Considérons que cette chaîne est une fenêtre dans l'hexagone sur les outre-mer, mais elle est aussi et surtout une passerelle, entre les outre-mer et l'hexagone et entre les territoires eux-mêmes. C'est une symbolique forte et je mesure le gâchis qui est en train de se produire.

Monsieur le ministre, France Ô est souvent pointée du doigt pour ses audiences, vous les avez évoquées. On avance régulièrement le chiffre de 0,6 % de part d'audience. Nous avons eu des bilans de Médiamétrie sur cet aspect. Je vous avoue que j'ai été assez interloquée : on omet de préciser que 0,6 %, c'est l'audience mesurée... dans l'hexagone seulement !

C'est assez révélateur que, pour évaluer une chaîne « des outre-mer », on ne s'intéresse qu'à son résultat dans l'hexagone.

Si l'on regarde les audiences outre-mer, on constate des chiffres toujours supérieurs, et de loin : le double voire le triple dans les Antilles, 3,4 % en Polynésie, 3,8 % en Guyane et 4,6 % à Mayotte. Ces audiences sont-elles à vos yeux négligeables et « confidentielles » ?

M. Franck Riester, ministre. - En effet, l'audience est un peu plus forte en outre-mer, d'abord parce qu'il y a moins de chaînes. Elle atteint 3 points : on pourrait néanmoins attendre beaucoup mieux d'une chaîne dite d'outre-mer en outre-mer, avec une mission de service public d'atteindre des publics importants ! On voit bien que les publics ultramarins eux-mêmes considèrent que les programmes de France Ô ne correspondent pas forcément suffisamment à leur attente.

Pour autant, certains contenus étaient très intéressants. Je ne remets pas en cause la totalité de la programmation de France Ô : je dis simplement que, globalement, on ne touche pas suffisamment de public dans l'hexagone et en outre-mer. Il faut plutôt investir des moyens pour développer les contenus et renforcer la présence de l'outre-mer dans l'audiovisuel public. L'ambition doit être beaucoup plus forte.

Je suis convaincu que l'on peut faire beaucoup mieux. France Ô souffre aussi, il faut le dire, de la modification assez récente de son cahier des charges. Elle était auparavant la « chaîne de la diversité » et pas simplement celle de l'outre-mer, il faut s'en souvenir. Il y a encore des intitulés qui ne correspondent pas vraiment à ce que l'on pourrait attendre d'une chaîne de l'outre-mer. Il faut que l'audiovisuel public ait clairement pour mission de représenter l'outre-mer, de diffuser des programmes qui touchent des sujets d'outre-mer, réalisés par des producteurs, des acteurs et des journalistes ultramarins. C'est notre objectif et cela doit constituer une belle ambition de l'audiovisuel public.

Le texte sur l'audiovisuel, les cahiers des charges et le futur COM seront l'occasion de le faire figurer noir sur blanc. Ce travail, qui consiste à trouver collectivement les bons indicateurs et intitulés que l'on pourra y inscrire, nous permettra de vérifier ensuite qu'ils sont respectés. Il faudra savoir ce que l'on attend et il faudra également que le CSA s'assure que le cahier des charges et le COM sont respectés par France Télévisions. Cela n'a pas toujours été suffisamment le cas, on ne peut que le regretter. Nous comptons bien insister sur ce point dans nos discussions futures avec le CSA.

Je l'ai dit dans mon propos liminaire, il n'est absolument pas normal, et vos exemples étaient très bons, qu'on ne cite que très ponctuellement les différents territoires ou départements d'outre-mer. J'ai beaucoup regardé la télévision entre Noël et le Jour de l'An, durant la trêve des confiseurs : il est formidable, lors de la diffusion du bulletin météo de France 2, de pouvoir avoir la météo des outre-mer et savoir le temps qu'il fait en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion ou en Polynésie française même si c'est parfois dur quand nous avons de la pluie en Île-de-France ! Il y a une véritable appétence de nos compatriotes dans ce domaine, nos compatriotes de l'hexagone aiment l'outre-mer. Il faut que l'on assure donc davantage la présence de l'outre-mer dans l'audiovisuel public.

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, vous annoncez une « plateforme numérique » qui proposerait des contenus en ligne et une création renforcée. Mais à quels publics vous adressez-vous ? On nous parle de « l'évolution des usages », et de la « consommation croissante de contenus en ligne ». Mais la télévision reste le média de masse, accessible à tous. Alors que les audiences de France Ô en Guyane et à Mayotte sont par exemple plus qu'honorables, faut-il vous rappeler le faible accès à internet dans ces territoires ?

Cesser la diffusion en linéaire, sur la TNT, de cette chaîne, pour beaucoup de ses publics ce n'est pas une bascule sur le numérique, c'est la coupure du signal.

Je voudrais par ailleurs vous interroger, monsieur le ministre, sur ce que signifie aujourd'hui pour vous la notion de « service public ». Le service public est-il soumis aux chiffres d'audience comme les autres chaînes ? Si oui, allons jusqu'au bout de la logique : que ferez-vous si le programme mensuel que l'on nous annonce dédié aux outre-mer sur France 2 et France 3 réalise de faibles audiences ?

Nous entendons également les critiques portées à France Ô : « pas assez d'outre-mer », « trop de fictions étrangères ». Mais quels sont les moyens de cette chaîne ? 25 millions d'euros, c'est 1,16 % du coût de la grille du groupe France Télévisions.

La commission de concertation que votre prédécesseure avait mise en place parle pour France Ô d'une chaîne « pleine d'énergie, qui produit à coûts raisonnés et qui apporte un vrai soutien à la création ». Avant de fermer France Ô, ne faut-il pas tenter de lui donner les moyens adéquats et d'en évaluer les résultats ? Et ce alors que le COM 2016-2020 précisait que « dès septembre 2016, France Ô sera consacrée exclusivement aux outre-mer afin de mieux les faire connaître à un large public, de l'hexagone et des outre-mer eux-mêmes, et de favoriser le maintien des liens entre les originaires des outre-mer vivant dans l'hexagone et leurs collectivités d'origine ».

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, vouloir renforcer la place des outre-mer sur les grandes chaînes est louable et c'est même une nécessité. Encore une fois, ce n'est que vouloir le respect des missions assignées au service public en la matière.

Mais je voudrais que nous posions vraiment la question de ce canal dédié qu'est le canal 19 avec France Ô. Les heures de programmes quotidiens dédiés aux outre-mer ne seront pas toutes reprises sur les autres chaînes. Cette disparition n'est pas un transfert, c'est une perte sèche. On nous parle d'un programme de début de soirée par mois, de bulletins météo... Est-ce cela, l'avenir des outre-mer sur les chaînes publiques, « cocher la case outre-mer une fois par mois » ?

Je voudrais enfin vous interroger sur les orientations retenues concernant France Ô. Le candidat Emmanuel Macron déclarait, en avril 2017 : « France Ô sera maintenue. Il n'y aura pas de suppression, je l'ai dit. Je pense qu'il y a une multiplication de chaînes qui, parfois ne se justifie pas, mais France Ô a un programme et une justification pleine et entière ». En juin 2018, Emmanuel Macron, devenu Président de la République, s'est à nouveau exprimé sur l'avenir de cette chaîne, déclarant que le doublon était ridicule aujourd'hui et qu'il fallait faire un choix, considérant le débat sur le maintien de France Ô comme hypocrite. Que s'est-il passé en un an pour que la même chaîne passe aux yeux du Président de la République d'un statut de légitimité reconnue à celui de coquetterie inutile ?

M. Maurice Antiste, rapporteur. - Monsieur le ministre, quelles exigences avez-vous formulées auprès de France Télévisions pour la mise en oeuvre du calendrier de la réforme ? Je pense particulièrement aux équipes et aux personnels du pôle outre-mer et de France Ô. Les échos que nous pouvons avoir sur le traitement de leur situation et l'incertitude de leur avenir professionnel sont inquiétants. Je tiens d'ailleurs à saluer leur travail au service de l'information et de la production de contenus sur notre territoire.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Monsieur le ministre, les formules se sont succédé dans les lois et cahiers des charges pour que les grandes chaînes publiques puissent mettre en oeuvre un aspect de leur mission de service public, la visibilité de ces territoires de la République que sont les outre-mer.

Pourtant, nous savons tous que très peu de programmes ultramarins sont présents sur les grandes chaînes, encore plus aux heures de grande écoute. Quant au journal de l'outre-mer, il a même disparu des antennes de France 3 depuis 2016, je crois !

Ce constat, monsieur le ministre, aboutit à une conclusion pessimiste : comment peut-on avoir confiance dans des exigences qui, en plus de vingt ans, n'ont jamais été satisfaites ? Comment croire en d'éventuels indicateurs, qui apparaissent comme autant de totems, dont les garanties sont plus qu'incertaines ?

Aussi ma question est-elle simple : que faut-il que nous écrivions dans la loi, que faut-il que vous écriviez dans les cahiers des charges, pour que les chaînes publiques s'astreignent enfin à respecter cette mission fondamentale de représentation de la société française et de l'ensemble des territoires ?

Enfin, le communiqué de presse du 19 juillet 2018 évoquait le maintien des moyens de production à l'heure de la nouvelle plateforme numérique. Pouvez-vous nous assurer que l'enveloppe dédiée aux productions ultramarines sera au moins sanctuarisée ?

M. Michel Magras, président. - Vous l'avez vu, monsieur le ministre, les inquiétudes sont nombreuses et grandes. Je vous laisse le soin de les lever toutes.

M. Franck Riester, ministre. - Je me suis engagé en politique, comme vous j'en suis sûr, madame la sénatrice, parce que je crois que l'on peut changer les choses. Je crois qu'en prenant des décisions, en s'engageant, avec des difficultés évidemment, on peut y arriver. Je ne me satisfais pas du manque de résultat du passé. Je ne suis pas fataliste. Je vais essayer, avec vous, d'y parvenir. C'est cela, la politique : on a des idées, on veut les mettre en oeuvre pour que la situation s'améliore, que les gens vivent mieux, et que ce que l'on considère comme pertinent devienne réalité.

Je suis convaincu qu'on peut faire mieux en travaillant sur le cahier des charges, sur le COM, en partenariat avec les équipes de France Télévisions et de l'audiovisuel public au sens large : Radio France, Arte, France Médias Monde, TV5 Monde, les chaînes Outre-mer 1ère.

France Ô a constitué une sorte d'alibi pour ne pas être volontariste sur les autres antennes de France Télévisions. Soyons volontaristes, précis, concrets ! Il le faut. On peut faire évoluer les choses. Nous allons nous y atteler. Cela passe par un travail en commun, par la définition de points très précis et par la vérification par le CSA, mais aussi par le Gouvernement et le Parlement, que les engagements mentionnés dans le cahier des charges et le COM sont tenus.

Je suis persuadé qu'il faut aller bien plus loin et s'assurer que la politique de l'audiovisuel public est tournée vers le public. Il faut que l'on sache à quels publics on s'adresse et on veut proposer des programmes d'audiovisuel public, c'est fondamental. Tout un travail de fond reste à faire.

Il faut que nous ne soyons pas seulement en train de produire des programmes par canal de diffusion mais bien de réfléchir et répondre aux besoins et attentes des publics en correspondance avec les missions de service public, et ensuite, de concevoir et diffuser sur différents supports - radio, tv, internet. C'est cela l'audiovisuel, la télé et la radio d'aujourd'hui et de demain.

Pour ce qui concerne l'outre-mer, il faut travailler avec les équipes de France Télévisions pour préciser ce qu'on attend d'elles. C'est tout le travail que l'on aura à mener dans l'année qui vient.

Comment vérifier que l'audiovisuel public est à la hauteur de nos attentes ? C'est un grand débat. Cela fait des années que le Parlement, le Gouvernement et tous les observateurs s'interrogent sur cette question. Doit-on uniquement tenir compte de l'audience, comme le font essentiellement les chaînes privées ? Est-ce la qualité des programmes ? Et qui la juge alors ? Est-ce la perception et la satisfaction des téléspectateurs devant ces programmes ? La performance de l'audiovisuel public est à mon sens une combinaison de tout cela. L'audience est nécessaire car il faut toucher un public - pas seulement confidentiel - mais elle ne suffit pas. Cela ne doit pas nous empêcher d'être exigeants en matière de qualité et de nous assurer que les programmes proposés correspondent à ce qu'on attend du service public, ce qui est notamment précisé dans le cahier des charges.

L'exécutif et le législatif doivent veiller à ce que l'évaluation de la performance de l'audiovisuel public soit adaptée aux évolutions des usages. De plus en plus de nos compatriotes ont accès aux contenus audiovisuels sur internet. J'aime à dire qu'on regarde de plus en plus la radio et qu'on écoute de plus en plus la télévision : ce n'est pas scandaleux, c'est une évolution dont il faut tirer les conséquences.

Les questions de la couverture hertzienne et de la couverture en très haut débit sont deux priorités du Gouvernement. Tous les territoires de la République doivent avoir accès au très haut débit. L'État y consacre des moyens considérables, les collectivités territoriales jouent le jeu. Cela soulève aussi des questions de régulation, car l'accès aux contenus hertziens et le très haut débit nécessitent une réflexion de plus en plus transversale. Nous devons être exigeants sur la qualité et la conformité des contenus par rapport au cahier des charges mais nous savons que nos compatriotes regardent de plus en plus de contenus de l'audiovisuel public sur internet via smartphone, ordinateur ou tablette. Il faudra donc étudier comment, au-delà de la télévision linéaire, France Télévisions éditorialise ses différents dispositifs internet pour pouvoir mettre à disposition les contenus ultramarins de la manière la plus large possible.

Cette présence ne doit pas être anecdotique et ne concerner que la météo ou un programme une fois par mois, bien évidemment. C'est cela qu'il faut concrètement regarder avec France Télévisions. Nous avons l'engagement des équipes, le CSA est là pour s'assurer que les engagements sont tenus et nous sommes là, exécutif et législatif, en vigies. En ce qui concerne le Président de la République et le Gouvernement, un travail a été accompli par ma prédécesseure et ses équipes. Elles en ont conclu qu'une réforme de l'audiovisuel public passait par l'arrêt de France 4 et de France Ô en linéaire. Dont acte. Il faut maintenant envisager l'avenir avec détermination et ambition.

Concernant le pôle outre-mer, les équipes sont forcément dans l'incertitude et dans l'inquiétude quand il y a de telles réformes. J'ai encore échangé avec Delphine Ernotte sur cette question assez récemment. Elle est très mobilisée pour faire en sorte que les choses se passent au mieux.

Je souhaite que les équipes de France Télévisions restent mobilisées pour traiter un certain nombre de contenus ultramarins dans l'hexagone. Chaque cas particulier sera suivi par la présidente de France Télévisions et ses équipes de ressources humaines afin que la transition se passe au mieux.

M. Michel Magras, président. - Nous devons entendre la présidente de France Télévisions, aller à Malakoff au siège du pôle outre-mer et échanger en visioconférence avec différentes chaînes Outre-mer 1ère avant d'entendre les directions des chaînes à Paris pour nourrir nos travaux.

M. Georges Patient. - Monsieur le ministre, France Ô aurait été victime de l'audimat. S'il fallait en instaurer un au Sénat, je crois qu'il n'y aurait plus de parlementaires ultramarins depuis pas mal de temps, tant l'intérêt qu'on peut susciter est le même que celui que suscite France Ô ! Tenir compte, dans l'audiovisuel public, du critère d'audience ne permettra jamais d'arriver à l'équité pour les outre-mer.

Vous avez évoqué un certain nombre de moyens d'évaluation : je reste persuadé que le seul moyen de faire connaître les outre-mer dans l'audiovisuel public est de pratiquer - je vais peut-être heurter certains - la discrimination positive, comme l'ont fait les Américains. Les outre-mer représentent 5 % de la population française : appliquons ce pourcentage à tous les niveaux - direction de l'audiovisuel public, production - et cessons de tenir compte du seul audimat.

N'ayons donc pas peur de faire de la discrimination positive. Si j'utilise ce terme, c'est parce que je considère que nous sommes actuellement discriminés.

M. Antoine Karam. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué la météo et c'est vrai que le soleil et la chaleur de nos territoires sont un peu exotiques quand nous sommes ici dans le froid.

Je tiens à souligner que ce sont les outre-mer qui confèrent à la France et à l'Europe sa dimension universelle, avec un espace maritime conséquent. Toutefois, l'audience que vous évoquez en permanence démontre que nous sommes toujours exclus, même sur les chaînes nationales. Lorsqu'on écrase un chien en région parisienne, on en parle, mais lorsque quinze maisons brûlent à Saint-Laurent-du-Maroni, ville de 60 000 habitants, à la frontière du Suriname, en Amérique du Sud, et qu'il y a une centaine de personnes dans la rue, personne n'en dit mot, on ne sait même pas que nous existons !

Vous avez évoqué internet : c'est de chez nous que sont lancés les meilleurs satellites du monde qui lui permettent de fonctionner, sauf que 35 % de la population en Guyane n'a pas accès à l'électricité ou à l'eau potable ; je vous laisse aller voir l'accès à internet. Voilà les décalages.

Même si l'audimat de France Ô est ridicule, les images qui passent par cette chaîne permettent à des millions de personnes de s'intéresser à nos problèmes. Je ne sais quelle décision sera prise, mais vous avez observé que les ultramarins, mais aussi les collègues de cette commission, sont vent debout contre cette décision. On ne peut pas faire disparaître une chaîne de télévision qui a une histoire et un passé. Il faut simplement la transformer, lui donner une autre dimension, y mettre les moyens, faire le ménage s'il le faut. Mettre 5 ou 10 minutes par ici ou par là ne va pas améliorer, je crois, la situation et réduire le décalage qui existe entre les outre-mer et la France hexagonale.

Mme Catherine Dumas. - Je suis une amie des outre-mer. Je suis sénatrice de Paris mais j'ai un fort lien avec les outre-mer et je veux démontrer, par ma présence, l'intérêt que je porte à ce sujet. Nous sommes nombreux au Sénat dans ce cas.

Je voudrais attirer votre attention sur les contenus. Je pense que la visibilité de l'outre-mer passe par la mise en valeur des talents, des savoir-faire, des hommes et des femmes qui font les outre-mer - et il y en a beaucoup. C'est ce qu'on attend de l'audiovisuel public : montrer ce qu'est le territoire, même aussi loin.

J'attire votre attention sur le contenu des programmes, notamment sur France 2 : pourquoi ne nous parle-t-on pas des savoir-faire de l'outre-mer, de l'artisanat, de la gastronomie - c'est un sujet très porteur sur le plan culturel, patrimonial, économique, ainsi qu'en termes de formation ?

Il faut faire passer certaines informations qui seront appréciées par tout type de public. Elles permettront également de renforcer cette cohésion des territoires sur laquelle nous travaillons et qui est vraiment nécessaire à notre pays, encore plus maintenant. Cela peut également constituer un levier pour le tourisme et répondre à la question de l'audience et de la satisfaction des téléspectateurs, ce que vous appelez la performance de l'audiovisuel public.

M. David Assouline. - Monsieur le ministre, il est difficile de discuter avec vous d'une décision que vous n'avez pas prise et que, peut-être, vous n'auriez pas prônée à ce moment-là et dans ces conditions. Le premier malentendu réside probablement - et ce n'est pas à vous d'en rendre compte - dans le fait qu'on ait annoncé une grande réforme de l'audiovisuel public et, avant même qu'on ait commencé à en étudier les propositions, il ait été décidé de réduire le périmètre de l'audiovisuel public de deux chaînes : c'est gigantesque.

Il fut une époque, et vous la connaissez, au moment de la réforme de l'audiovisuel de 2009, où l'idée d'une réduction du périmètre aurait fait grand scandale. Cela avait déjà été évoqué. Une décision aussi lourde, prise sans vrai débat, suscite probablement les malentendus auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui, je parle ici de la forme. Il vous appartient ainsi qu'au Gouvernement d'envisager de rectifier la décision. Le maintien d'une chaîne dédiée à l'outre-mer remaniée, enrichie, peut-il être encore envisagé ?

Sur le fond, s'agissant de l'audience, beaucoup a été dit. J'ai souvenir que certains plaidaient à une certaine époque pour l'arrêt d'Arte. Nous avons pensé qu'il y avait une particularité d'Arte qu'il fallait plutôt renforcer, trouver son public, l'enrichir. C'était indispensable, tout comme pour France Culture à Radio France. Personne ne vient aujourd'hui plus le remettre en cause, le public a été trouvé.

Les citoyens d'outre-mer sont des personnes comme les autres : sur l'ensemble de l'offre, il doit y avoir une visibilité. Ce n'était pas fait : il faut le faire mieux et plus fort, même si des efforts ont été réalisés. Cela n'épuise cependant pas le sujet de la spécificité territoriale et culturelle, car il y en a une, d'une chaîne des outre-mer : l'un n'efface pas l'autre. À une autre époque, on aurait dit qu'il s'agissait d'un cadeau fait à la concurrence privée.

Dans un autre domaine, nous pouvons également évoquer la suppression de France 4. Cette chaîne, qui avait certes des problèmes d'audience, aurait pu être améliorée alors que la BBC dispose de deux chaînes enfance et que le secteur de l'animation pourrait être affecté. Il aurait probablement nécessité que l'on puisse en discuter au moment de la réforme à venir. Je redoute que tout soit parti d'une injonction budgétaire, et non d'une vision. Certes, le fait de supprimer deux chaînes indique une cible d'économies à l'horizon 2022, que l'on habille en parlant d'audience et de changement culturel. Peut-être aurait-il fallu faire l'inverse : acter le nécessaire maintien en réformant pour proposer une offre de meilleure qualité n'aurait pas produit d'économies par la suppression de cette chaîne.

Mme Céline Brulin. - Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur les audiences de France Ô, même s'il a été justement rappelé qu'elles ne sont pas les mêmes en métropole et outre-mer et que l'on ne peut pas examiner le service public seulement à l'aune de l'audimat. Pourquoi, à partir de ce diagnostic, ne pas travailler la piste d'une modification de la ligne éditoriale de la chaîne et de moyens supplémentaires pour qu'elle puisse conquérir des parts d'audience supplémentaires ? Cette solution n'a pas été explorée.

Je ne vais peut-être pas être comprise de mes collègues ultramarins et j'entends la volonté de faire « France ensemble » : que la visibilité de l'outre-mer passe par les chaînes généralistes paraît séduisant. Malheureusement, la proximité du service public audiovisuel recule, même en métropole, où certaines éditions locales sont aussi sur la sellette. Ceci n'est pas fait pour rassurer nos concitoyens d'outre-mer sur le fait que l'on accordera toute l'importance à leurs territoires.

Enfin, même si les usages numériques se développent considérablement, ils ne constituent pas la solution à tout. La suppression de France Ô est prévue pour 2020, c'est demain et malgré les efforts énormes que réalisent les collectivités pour équiper nos territoires en accès numérique, on sera encore très loin d'une couverture totale à cette échéance.

Vous parlez du travail mené avec des parlementaires mais, dans le délai imparti, autant d'imprécisions m'inquiètent : je ne vois pas de solution qui permette de nous rassurer. Je sais que vous n'êtes pas à l'origine de cette décision ; on comprend parfaitement que cela puisse expliquer un certain nombre d'approximations.

M. Michel Magras, président. - Monsieur le ministre, dans le droit fil de l'intervention du président Assouline, je souhaiterais ajouter quelques éléments sur la forme.

Reprenons l'agenda de cette réforme : le 5 Juin 2018, annonce du « scénario de l'anticipation » et mise en place d'une commission de concertation ; le 28 juin 2018, propos du Président Macron, laissant penser à une suppression à venir de France Ô ; le 5 juillet 2018, devant la délégation, la commission de concertation indique pourtant que rien n'est tranché ; le 19 juillet 2018, communiqué de presse du Premier ministre et de votre prédecesseure scellant la disparition de la chaîne.

Un mois. À peine un mois où on nous a dit « ne vous inquiétez pas » puis « cette chaîne n'est pas utile » avant de la fermer, sans autre forme de concertation et consultation.

Que faites-vous ensuite ? Vous créez un groupe de travail pour établir des indicateurs, en demandant donc implicitement aux parlementaires d'acter votre décision. Mais, monsieur le ministre, c'était avant cette décision qu'il fallait convoquer France Télévisions devant les parlementaires, c'était avant cette décision qu'il fallait mettre tout le monde autour de la table pour vraiment examiner les forces et faiblesses de l'offre actuelle et réfléchir ensemble aux meilleures options à retenir.

Je ne peux adhérer à votre méthode, et c'est en ce sens que la délégation entend au Sénat repositionner ce débat, le dépassionner et apporter de réels éléments objectifs de réflexion.

M. Franck Riester, ministre. - Je vais commencer par répondre à MM. Patient et Karam. Je me rendrai en Guyane durant le premier trimestre au sujet du pass culture, ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure. C'est un symbole de notre volonté de prendre en compte toutes les spécificités des territoires ultramarins. Le pass culture, qui est une application internet, doit être confronté à la réalité de la situation d'un certain nombre de territoires. C'est pour cela que je veux aller sur place : pour examiner la manière dont on prend en compte les spécificités qui sont les vôtres. J'irai également en Martinique et en Guadeloupe rendre compte des différentes problématiques audiovisuelles, patrimoniales et du pass culture.

Nous avons intérêt à bien faire comprendre et partager à tous nos compatriotes, quels qu'ils soient, que la France est diverse et riche de cette diversité. Les outre-mer constituent une richesse formidable pour notre pays, cela doit être perçu par l'ensemble de nos compatriotes. C'est pour cela que je parle d'audience, non pour dire « c'est trop cher et il n'y a pas d'audience, on supprime » : l'objectif n'est pas simplement économique mais il s'agit de s'assurer qu'on touche le plus de personnes possible avec la visibilité des talents ultramarins.

Les Outre-mer 1ère sont de formidables chaînes de média global public de proximité en outre-mer. Elles touchent un large public et sont à mon avis très modernes. Je pense que l'on doit s'en inspirer dans l'hexagone, notamment dans la réflexion autour de la réorganisation de France 3 et France Bleu. Je suis convaincu que l'une des missions essentielles de l'audiovisuel public est de s'assurer de contenus, d'informations culturelles, d'éducation, de proximité. L'audiovisuel public doit relever ce défi. France Bleu et France 3 réalisent déjà des choses formidables, mais il faut aller beaucoup plus loin. Il existe une attente en matière d'information et de contenus de proximité.

Catherine Dumas a raison : les Français aiment en effet leur terroir, leur territoire, leur culture, qu'elle soit régionale, locale ou nationale. Il faut que l'on mette ceci davantage en avant, il ne faut pas en avoir peur. Il y a un gros travail à fournir et tout changement soulève des interrogations, des inquiétudes. Il faut savoir rassurer et donner des gages, mais je suis convaincu qu'il faut s'inspirer de ce qui est fait outre-mer par les Outre-mer 1ère et capitaliser sur cette force, qui permet d'avoir une spécificité ultramarine - car il y en a une - en s'assurant également d'une plus grande présence dans tous les contenus audiovisuels publics.

Concernant le nombre de chaînes qu'évoquait David Assouline, la somme est de « +1, -2 » avec la création de la chaîne gratuite France Info, par rapport à la situation d'il y a 10 ans. Avec quatre antennes linéaires gratuites sur la TNT, plus internet, plus les antennes radio publiques et les antennes spécifiques des Outre-mer 1ère, ne dispose-t-on pas d'un panel suffisamment important pour remplir les missions de l'audiovisuel public ? Je pense que oui. La priorité doit porter sur les missions de l'audiovisuel public et la réflexion sur leur actualisation, non sur la question du nombre de chaînes qui serait une perte de temps. Même si cela ne remplace pas toute l'offre linéaire, loin s'en faut, il faut se rendre compte que de plus en plus de nos compatriotes ont accès aux contenus audiovisuels, publics en particulier, via les différents supports numériques. C'est évident, il faut en tenir compte, il ne s'agit pas de supprimer tout le reste pour autant.

Quant à l'animation, il y a avec la décision de supprimer France 4 des interrogations. Il s'agit d'un sujet important, notamment pour les jeunes téléspectateurs. C'est un secteur économiquement important, la France est en pointe en matière de fabrication et de production de contenus d'animation. Ce n'est pas parce qu'on supprime France 4 et qu'on mobilise davantage d'énergie sur les supports et les contenus numériques qu'on se prive de diffuser des contenus d'animation sur le linéaire de l'audiovisuel public. Il existe trois antennes - quatre avec France Info - sur lesquelles on doit aussi trouver de l'animation et non seulement sur un canal qui est aujourd'hui France 4. On ne renonce pas à diffuser de l'animation en linéaire sur l'audiovisuel public. Pour autant, on voit bien que particulièrement les jeunes - mais pas seulement - ont accès aux contenus audiovisuels à partir des nouveaux supports. Il faut leur apporter des contenus de l'audiovisuel public là où ils sont, et se mobiliser pour cela.

Dans l'absolu, on pourrait peut-être avoir plus de chaînes, mais il existe des limites financières, je n'ai pas peur de le dire. Ce sont nos compatriotes qui payent l'audiovisuel public avec la contribution à l'audiovisuel public ; on doit donc demeurer vigilant en matière de gestion de l'argent public et se fixer des limites aux moyens qu'on mobilise, même si l'on doit être ambitieux et s'assurer de bénéficier de moyens importants pour satisfaire de la meilleure façon possible les missions importantes de l'audiovisuel public.

Je suis totalement d'accord avec Catherine Morin-Desailly, il faut proposer des contenus pertinents qui touchent un public, de qualité, qui créent une satisfaction : c'est la force des créateurs. C'est ainsi que l'on donnera davantage envie d'audiovisuel public à nos compatriotes.

Mme Sylvie Robert. - Je ne vais pas revenir sur la méthode, mon collègue David Assouline en a parlé. Le sujet aurait pu être travaillé bien en amont, et nos travaux en cohérence avec l'ensemble de la réflexion sur la réforme de l'audiovisuel public. Ces questions de méthode nous poussent parfois à réfléchir de façon un peu biaisée.

Qu'entendez-vous, monsieur le ministre, par le terme de visibilité ? Quelles sont les facteurs ? Les conditions de réussite ? S'agit-il de la régularité, d'un montant plus important dans la production ? On peut commencer par s'interroger sur le thème même.

Nous n'avons pas non plus abordé la question importante de la mémoire et du patrimoine immatériel que constituent les outre-mer. Je pense que la disparition de France Ô pose cette question de la sauvegarde de cette mémoire pour l'INA. Qu'entendez-vous par là ?

Enfin, un collègue le disait, le COM n'a pas été respecté : comment allez-vous faire demain pour que la mesure prise afin de garantir à tous les citoyens cette visibilité soit respectée ?

M. Stéphane Artano. - Monsieur le ministre, je vous invite à venir à Saint-Pierre-et-Miquelon même si ce n'est pas les mêmes températures que là où vous avez prévu de vous rendre.

Je vous accorde le bénéfice du doute, mais nous ne sommes pas des « perdreaux de l'année » ! En décembre 2017, la ministre des outre-mer m'annonçait que France Ô ne disparaîtrait pas. J'avais interrogé Françoise Nyssen dans la foulée à ce sujet, début 2018, elle était également pétrie de bonnes intentions. En juillet, tout ce petit monde nous a annoncé la disparition de la chaîne !

La décision a pour moi été arrêtée, j'en prends acte, même si je peux la regretter pour les raisons que j'avais évoquées. David Assouline a raison de rappeler qu'il s'agit d'un alibi pour justifier un choix budgétaire. C'est tellement vrai qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, on vient de modifier l'heure du journal local d'une demi-heure. Pour reprendre une crainte exprimée par ma collègue, je pense que les stations locales sont également en difficultés financières et que les restrictions budgétaires vont inévitablement être répercutées.

Cela m'inquiète pour le devenir des chaînes locales, peut-être des groupes de travail seront-ils mis en place - je souhaite évidemment y contribuer. Mais j'ai une inquiétude à propos de cette injonction budgétaire qui a amené la disparition de France Ô.

Une question m'inquiète aujourd'hui : que veut-on faire de l'audiovisuel public français ? J'ai le sentiment que mettre une case outre-mer au niveau national constitue encore un alibi. Cela me gêne profondément. Que voulez-vous quand on parle de mettre l'outre-mer au niveau national ? Désirez-vous que l'on parle de citoyenneté, de culture, voulez-vous éduquer, divertir ? Sur la ligne éditoriale de France Ô, il y a aujourd'hui un sujet. La visibilité est aujourd'hui théorique ; elle peut prendre corps si on lui donne un contenu et si l'on s'est accordé sur celui-ci, reste ensuite la déclinaison des moyens. La difficulté de France Ô - mais ce n'est pas la seule chaîne à la connaître - c'est son positionnement et de savoir ce qu'on attend de l'audiovisuel public. C'est pour ces raisons que ce débat me gêne lorsque l'on nous dit que l'on supprime deux chaînes et que l'on va faire de la visibilité avec une case outre-mer au niveau national. Qu'est-ce que cela va apporter de plus ? Qu'attend-on de cette case ? De la culture ? Des paysages ? On peut apporter autre chose que les paysages outre-mer ! Par exemple, des regards croisés entre l'outre-mer et l'hexagone au sujet des valeurs citoyennes, du mélange des cultures. Il y a des choses qui ne sont pas abordées avant de parler des moyens, même si la visibilité dépend de ces derniers.

La ministre des outre-mer pourrait nous dire que non, France Ô ne disparaît pas, mais bascule sur le numérique. Certes, mais il n'existera plus de productions documentaires. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) n'intervenant que sur les chaînes hertziennes, vous arrêtez la production ultramarine en termes de documentaires - sauf à ce que vous me disiez que les règles d'intervention du CNC pourraient être modifiées à l'avenir pour les chaînes numériques. Mais il existe un chapelet de chaînes numériques audiovisuelles qui pourraient être intéressées par ce dispositif. Cela m'inquiète en termes de production audiovisuelle.

Tout ceci pose la question de la place de l'outre-mer au niveau national et de l'audiovisuel dans la société française d'aujourd'hui. Elle n'a pas encore été tranchée ; il est difficile de parler des moyens et de visibilité sans l'avoir traitée.

M. André Gattolin. - Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé et il faut le dire, quand on parle de France Ô, on ne parle pas de tout l'audiovisuel ultramarin ; les chaînes et les stations Outre-mer 1ère sont fondamentales. On trouve deux grandes notions dans les missions fondamentales du service public. Il y a l'universalité de l'accès et il est normal que les territoires ultramarins disposent de l'accès au service public à travers les stations pour avoir l'information sur leurs territoires en même temps que l'information nationale. Il y a aussi un élément constitutif de tous les services audiovisuels publics dans le monde qui est d'assurer la cohérence et la cohésion nationales. C'est peut-être en ce sens qu'il faut considérer l'existence de France Ô.

Nous parlions tout à l'heure des audiences. Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, dont je suis l'élu, accueille le pôle outre-mer qui comprend France Ô. Lorsque j'ai été sollicité par les salariés, je me suis rendu compte qu'il y avait plus de 400 salariés au niveau central. On parlait plus tôt des audiences et de la performance d'Arte - qui n'a d'ailleurs jamais été remise en cause puisque créée par un traité franco-allemand. Peut-être cette chaîne a-t-elle été critiquée pour de faibles audiences, mais comparons avec le nombre de personnes qui travaillent à Arte France.

Quand il s'agit de poser la question du service public, faut-il analyser une entité de chaîne ou ses contenus ? Quand on regarde l'offre globale, à travers tous les canaux, quels sont les éléments qui relèvent des missions de service public ? La diffusion des telenovelas sur France Ô en fait-elle partie ? Ne fait-on pas, là aussi, du remplissage ?

J'aimerais également comprendre la cohérence globale de l'offre. Si France 3 a -et c'est une orientation forte - vocation à devenir la chaîne des régions et des territoires, je serais assez favorable à ce que des programmes nationaux concernant les territoires ultramarins aient toute leur place sur cette chaîne qui est navire amiral avec une forte audience.

Je voudrais donner un exemple : l'un des produits phares de la création audiovisuelle pour enfants, Les Zouzous, a été créé pour France 5. On a décidé de les transférer sur France 4 quand on a décidé que cette chaîne serait celle de la jeunesse. On a assisté à une dégringolade de plus de la moitié de l'audience ! Ne vaut-il pas mieux être sur une grande chaîne généraliste, dans des créneaux adaptés pour assurer la visibilité et la reconnaissance de la cohésion nationale vis-à-vis des populations ultramarines plutôt que dans le ghetto qu'est aujourd'hui France Ô s'agissant de l'audience nationale ?

Mme Laure Darcos. - Monsieur le ministre, notre commission de la culture est aussi celle du sport. Je voudrais rappeler que Paris accueillera les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Les champions ultramarins sont légion ! Je pense que l'absence de France Ô ou équivalent va susciter une grande frustration. Je vous conjure de mettre en évidence tous nos champions des territoires ultramarins. C'est aussi un moment où l'on parle d'eux et de cette culture du sport, où ils sont mis en lumière. Il faut pouvoir les mettre à l'honneur !

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir soulevé cette question. La délégation sénatoriale aux outre-mer vient de rendre un rapport sur le sport en outre-mer, que je vous invite à le consulter. Celui-ci formule un certain nombre de propositions qui méritent d'être prises en considération à tous les niveaux de décision.

M. Franck Riester, ministre. - S'agissant de la méthode, vous avez toutes et tous fait des remarques. J'échange avec la présidente Morin-Desailly - le président Magras pourra être concerné - sur la façon d'associer le Sénat à la préparation de la réforme de l'audiovisuel afin de travailler plus en amont. C'est au Gouvernement de fixer les grandes lignes de ce qu'il souhaite en matière de réforme audiovisuelle, mais nous avons également besoin de discuter avec vous : c'est ce que je m'engage à faire.

Concernant la visibilité, la réponse était bien souvent dans vos questions. Tout doit être pris en compte, qu'il s'agisse des personnes à l'écran - en matière d'information de journalistes, je sensibilise France Télévisions sur ce point, d'acteurs dans les séries - des émissions ou des contenus qui parlent de l'outre-mer et, je vous rejoins, pas seulement de paysages, mais aussi de contenus produits par des comédiens et acteurs ultramarins. L'outre-mer contribue grandement au rayonnement de notre pays et à sa présence partout dans le monde. Pourquoi faire parfois venir des journalistes de l'hexagone pour couvrir des événements à l'autre bout du monde, alors que les journalistes ultramarins pourraient faire ce travail avec une grande proximité ? Vous êtes nos têtes de pont partout dans le monde.

Le patrimoine, la mémoire font bien évidemment partie des contenus et des missions de l'audiovisuel. Je vous propose d'y travailler. C'est ce qui doit constituer notre objectif commun : réfléchissons ensemble à ce que doivent être les missions de service public actualisées à l'ère du numérique et du XXIe siècle. Inscrivons-le dans le marbre des cahiers des charges et des COM, et assurons-nous que ceux-ci sont satisfaits.

Vous êtes un certain nombre à suivre les questions audiovisuelles depuis des années. De manière collective, nous n'avons pas été bons. On reparle des mêmes choses chaque année, on met la pression sur les salariés de l'audiovisuel public et sur ses dirigeants pour des questions budgétaires. On se demande à chaque fois ce que l'on va décider en matière budgétaire, chaque gouvernement remet systématiquement tout sur la table, parfois en cours d'exécution.

Nous allons en parler ensemble durant les prochains mois : ma volonté est de définir une gouvernance de l'audiovisuel public modernisée, de fixer un cap en termes de missions, d'objectifs et de moyens de façon pluriannuelle, et d'évaluer les choses progressivement, et j'insiste sur ce point. De grâce, sortons de cette gouvernance du passé et essayons de nous mettre d'accord. On doit pouvoir collectivement trouver les grandes missions de service public, la bonne gouvernance et les enveloppes budgétaires définies. Laissons ensuite travailler les équipes. Puis, prenons le temps de réfléchir à l'avenir, au futur cahier des charges et aux futurs engagements budgétaires pour les redéfinir, les revoter et retravailler de manière pluriannuelle. C'est ce que nous devons arriver à faire ensemble : faire évoluer cette gouvernance de l'audiovisuel public qui n'est objectivement pas à la hauteur de l'engagement des personnels et de tous les acteurs qui rayonnent autour de lui.

Arte, qui fait un travail remarquable, est bien évidemment une entreprise audiovisuelle publique, même si c'est un traité avec l'Allemagne qui est à l'origine de sa création. Cette chaîne bénéficie de moyens publics importants et doit aussi être regardée comme une entreprise qui doit satisfaire aux missions de service public, comme France Médias Monde, TV5 Monde, chacune avec ses spécificités.

Pour ce qui est des Jeux olympiques et paralympiques, l'enjeu de service public est grand. C'est une vraie question, notamment sur le plan financier - le comité d'organisation a besoin de financements, c'est un sujet que je suis de très près. Il y a également la question, mais je sais que David Assouline et Catherine Morin-Desailly y sont très attachés, de la présence en clair d'un certain nombre de contenus de sports : il faudra qu'on en reparle.

Je souhaite également dire qu'aujourd'hui France Télévisions réfléchit à faire en sorte de s'assurer que France Info est davantage présente dans les territoires ultramarins. Peut-être pourrait-il y avoir une substitution à France Médias Monde, ce qui permettrait de renforcer l'information en continu du service public. Une réflexion est engagée dans ce domaine, nous pourrons en reparler.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Monsieur le ministre, au terme de cette audition, ce que l'on voit émaner de l'ensemble des membres de la délégation et de la commission de la culture, c'est une volonté de reprendre ce sujet et d'y mettre un peu de méthode.

Vous venez de prendre vos fonctions. Nous avons déploré ces deux dernières années que la réforme de l'audiovisuel public n'apparaisse que comme étant traitée sous le seul prisme budgétaire. Le Gouvernement a annoncé que l'audiovisuel public devrait réaliser des économies. Nous ne nions pas les réalités budgétaires, mais nous avons déploré que cette réforme ne soit envisagée que sous ce seul prisme.

C'est la raison pour laquelle, le 12 juillet dernier, nous avons organisé au Sénat un colloque « Comment ré enchanter l'audiovisuel public ? », qui a réuni des présidents d'entreprises de l'audiovisuel public européen qui avaient mené des réformes. Il est ressorti de cette journée quelques principes incontournables qui doivent guider notre réflexion dans le cadre de cette réforme, dont l'universalité, évoquée par André Gattolin.

C'est pourquoi nous nous sommes émus de cette annonce de la suppression de France Ô et de France 4, déconnectée peut-être d'une vision de ce que sera le bouquet de chaînes par la suite. Vous le savez, nous avons eu l'occasion d'échanger à ce sujet. Peut-être faut-il d'ailleurs relativiser la question budgétaire concernant ces deux chaînes. Je note en effet que, sur un budget 2,85 milliards d'euros, France Ô bénéficie de quelque 30 millions d'euros et France 4 de 25 millions d'euros. Le ratio est assez faible !

Nous pensons que ce principe d'universalité doit être intangible. Or, quand nous mesurons que la couverture numérique n'est pas au rendez-vous dans nos territoires, pas plus dans l'hexagone qu'outre-mer, nous ne pouvons supprimer des chaînes tant que l'offre n'est pas assurée. Le basculement vers le tout numérique aura bien lieu. Nous avons le devoir de le préparer de même que l'adaptation aux nouveaux usages et je suis convaincue que, d'ici quelques années, la notion de chaîne ne sera plus la même et nous serons davantage dans des contenus et des offres. Mais c'est la réalité qu'exprimaient les collègues ici présents.

Nous avons parlé du contenu : je me demande s'il ne faut pas que France Télévisions change de logiciel, comme France 3. Selon un sondage que nous avions réalisé lors de notre colloque, 75 % des Français souhaitent que France 3 soit beaucoup plus régionalisée et offre davantage de contenus qui correspondent à la visibilité de leur territoire ; il en va de même pour l'outre-mer. France Télévisions doit donc engager des réflexions à ce sujet.

Je relève que Canal Plus a lancé une production intitulée « Guyane ». Ne faudrait-il pas, sur les 420 millions d'euros dédiés à la production à France Télévisions, sanctuariser une ligne pour la production audiovisuelle outre-mer et en régions ? Ne faut-il pas en passer par là pour une prise de conscience ?

Nous sommes dans un état d'esprit constructif, la réforme de l'audiovisuel doit être globale. Vous avez évoqué France Médias Monde qui doit naturellement être dans la boucle. C'est une offre globale à laquelle il convient de travailler : nous souhaitons qu'intervienne une réforme systémique que vous avez d'ailleurs évoquée en conclusion, vous avez parlé du mode de gouvernance, du modèle économique, de la mission et des contenus. Nous voulons faire avancer les curseurs ensemble, afin que la réforme ne soit pas incompréhensible pour nos concitoyens.

M. Michel Magras, président. - Monsieur le ministre, à mon tour de vous remercier pour la qualité de l'échange que nous avons eu, vos réponses et votre écoute.

Les inquiétudes ne sont pas toutes levées. Notre délégation veillera à réaliser le travail de manière rigoureuse. Nous ne sommes qu'au début du vaste programme de réforme de l'audiovisuel. La délégation, qui n'interviendra pas sur le champ de compétence de la commission, apportera son éclairage et le fruit des travaux de la délégation sera à votre disposition quand il vous reviendra de piloter le débat.

Je voudrais pour finir remercier l'audiovisuel français, toutes catégories confondues, d'avoir accompagné Saint-Barthélemy et Saint-Martin au lendemain du cyclone Irma.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 50.