- Mardi 18 décembre 2018
- Mercredi 19 décembre 2018
- Vendredi 21 décembre 2018
- Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nomination de rapporteurs
- Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité
- Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen des amendements de séance
Mardi 18 décembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Nomination d'un rapporteur
M. Jean-Marie Vanlerenberghe est désigné rapporteur sur le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales.
La réunion est close à 14 h 05.
Mercredi 19 décembre 2018
- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Audition de Mmes Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et Muriel Pénicaud, ministre du travail
M. René-Paul Savary, président. - Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence du président Milon, qui a dû regagner son département et m'a demandé de le remplacer pour présider notre réunion.
La commission des affaires sociales reçoit cet après-midi les ministres chargées de soutenir la discussion du projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales, déposé ce matin et qui sera examiné en commission vendredi matin, à 11 heures, et en séance publique vendredi après-midi, à 16 heures. Je souhaite la bienvenue à Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et à Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, que je remercie d'avoir accepté notre invitation, formulée dans une certaine urgence.
Je ne reviendrai pas longuement sur la genèse de ce texte, ni sur les circonstances qui conduisent le Parlement, alors que les textes financiers ne sont pas encore promulgués, ni même pour ce qui concerne le projet de loi de finances (PLF), encore votés définitivement, à adopter dans l'urgence, sans grande marge de manoeuvre, un train de mesures peu claires, réparties sur plusieurs textes et pour le moins évolutives si l'on en croit la journée d'hier.
Nous attendons donc, mesdames les ministres, que vous apportiez des précisions sur le détail de ces mesures ainsi que sur leur impact sur les ménages et sur les finances publiques, en particulier les finances sociales.
Concernant la prime d'activité, dont le paramétrage relève très largement du pouvoir règlementaire, l'Assemblée nationale a prévu 2 milliards d'euros supplémentaires dans le PLF pour 2019 en plus des 600 millions d'euros déjà adoptés par le Sénat en deuxième délibération. La prime d'activité n'est présente dans le texte que sous la forme d'un rapport au Parlement ; nous souhaiterions que vous puissiez détailler les intentions du Gouvernement sur l'impact que vous en attendez. Quels sont les objectifs que vous assignez désormais à cet outil ? Quelle articulation avec la lutte contre la pauvreté ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. - Mme Agnès Buzyn et moi-même tenons tout d'abord à vous remercier d'avoir organisé, dans des délais contraints par l'urgence de la situation, cette audition sur le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales. Cette audition a lieu quelques heures après l'adoption de ce texte en conseil des ministres. Les mesures qu'il contient ont été annoncées par le Président de la République le 10 décembre ; elles ont été précisées par le Premier ministre à la tribune de l'Assemblée nationale, jeudi dernier ; elles ont aussi été travaillées avec les deux chambres en amont de la discussion parlementaire que nous engageons à présent, grâce notamment à un échange constant entre les rapporteurs Olivier Véran et Jean-Marie Vanlerenberghe, que je remercie. Nous tenons à saluer cette démarche parlementaire car elle participe de notre capacité collective, au Gouvernement et au Parlement, à apporter des réponses rapides, fortes et concrètes à nos concitoyens, afin que chacun puisse vivre décemment de son travail et choisir sa vie professionnelle, dans un contexte de crise et d'urgence, mais aussi afin de concrétiser une société de l'émancipation sociale par le travail et l'éducation qui rompt avec les droits formels et le déterminisme de naissance ou géographique qui est questionné aujourd'hui. Les réformes structurelles que nous avons engagées depuis dix-huit mois vont profondément dans le sens de la transformation de notre modèle économique et social vers l'émancipation, conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Français : réformes du code du travail, de l'apprentissage, de la formation. Mais face à l'urgence de la situation, il faut accélérer, amplifier notre action pour que les bénéfices soient perceptibles, visibles et concrets plus rapidement pour nos concitoyens, notamment les travailleurs les plus modestes.
Notre cap, c'est de stimuler la croissance pour la rendre riche en emplois et inclusive pour que chacun puisse non pas subir mais plutôt choisir son chemin dans un monde en profonde mutation.
Ces transformations, parce qu'elles sont d'une ampleur inédite et pluridimensionnelle, nécessitent du temps pour donner leur plein effet, or nos concitoyens n'en ont pas tous. Certains, qui travaillent ou ont travaillé toute leur vie, ont un horizon bien plus proche parce que leur pouvoir d'achat est limité et les empêche de boucler les fins de mois avec sérénité. Leur inquiétude est encore plus grande pour leurs enfants et leurs petits-enfants.
Si la situation ne date pas d'aujourd'hui, ce désespoir des vies empêchées s'est clairement exprimé depuis plus d'un mois par une colère puissante, une souffrance matérialisée par le mouvement des Gilets jaunes, largement soutenu par la population.
Apporter des réponses rapides, c'est la condition d'un apaisement et c'est l'objet de ce projet de loi. Cet apaisement sera consolidé en régénérant notre bien commun le plus précieux, la démocratie, grâce au grand débat national qui démarre début janvier. Ce sera un deuxième temps essentiel. Mais à cette heure-ci, il s'agit d'apporter les premières réponses rapides, concrètes, visibles, à ceux qui en ont le plus besoin et ce, dès le début de l'année 2019.
Le projet de loi comporte quatre mesures. La première mesure concerne la possibilité donnée aux entreprises de verser une prime exceptionnelle allant jusqu'à 1 000 euros nets, exonérés de toute charge sociale et d'impôt sur le revenu pour les salariés rémunérés jusqu'à trois Smic bruts par mois, avant le 31 mars 2019. L'incitation est puissante puisque c'est la première fois qu'il n'y a ni charge patronale ni charge salariale ni impôt, y compris la CSG et CRDS, pour une prime exceptionnelle. En clair, si une entreprise donne une prime de 500 euros, celle-ci coûte 500 euros à l'entreprise et le salarié reçoit 500 euros nets.
La deuxième mesure permet à tous les salariés et fonctionnaires qui effectuent des heures supplémentaires de ne plus payer ni cotisation salariale ni impôt sur le revenu à concurrence de 5 000 euros de rémunération annuelle nette des heures supplémentaires, dès le 1er janvier 2019. Une mesure en ce sens était déjà prévue dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019, mais elle est avancée dans le temps et son périmètre est élargi puisqu'elle ne concerne plus simplement les cotisations salariales mais également l'impôt sur le revenu. Le gain de pouvoir d'achat dépend de la rémunération et du niveau d'imposition des salariés. À titre d'exemple, un salarié qui réalise en moyenne deux heures supplémentaires par semaine et est rémunéré 1 500 euros nets - deux heures étant la moyenne constatée - aura un gain de pouvoir d'achat d'environ 500 euros, dont 235 pour le volet social et 265 pour le volet fiscal.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. - La troisième mesure concerne la hausse de la CSG pour les pensionnés. Celle-ci, intervenue en janvier 2018, a été perçue comme injuste et souvent difficile à supporter pour les personnes retraitées, même s'il faut rappeler que 40 % des retraités les plus modestes étaient déjà épargnés par cette hausse. Dans ce projet de loi, nous proposons de rétablir, dès le 1er janvier 2019, le taux de CSG à 6,6 % pour la moitié des retraités qui avaient supporté la hausse de la CSG de 1,7 point l'année dernière. Cette disposition bénéficiera à 3,8 millions de foyers, soit 5 millions de retraités. À titre d'exemple, un retraité qui perçoit une retraite de 1 600 euros avant cotisations sociales et n'a pas d'autre revenu par ailleurs, aura un gain de pouvoir d'achat de 325 euros sur un an. Désormais, seuls 30 % des foyers comptant au moins un retraité auront un taux de CSG de 8,3 % tandis que 70 % ne seront plus touchés par la hausse de la CSG. Compte tenu des délais nécessaires pour modifier les systèmes d'information, la baisse du taux de CSG ne pourra pas être appliquée dès le 1er janvier mais le trop-prélevé donnera lieu à un remboursement dès la mise en place de la réforme, sans doute au mois de mai prochain - le projet de loi mentionne la date butoir du 1er juillet mais nous mettons tout en oeuvre pour un remboursement plus tôt.
La quatrième mesure concerne la prime d'activité. Même si le projet de loi n'en traite qu'indirectement à l'article 4 via un rapport que le Gouvernement remettra au Parlement, je souhaite vous expliquer notre choix pour que les personnes qui gagnent le Smic puissent voir leurs revenus augmenter de 100 euros. La prime d'activité existe depuis le 1er janvier 2016. Elle est bien connue et a fait ses preuves. Son taux de recours actuel est de 80 %, ce qui est assez remarquable pour une prestation quérable - notamment grâce au fait que 90 % des demandes se font en ligne. Beaucoup de jeunes, de femmes en situation de monoparentalité en bénéficient. Elle a fait reculer le taux de pauvreté et les trappes à inactivité. Elle est ciblée sur les foyers modestes qui gagnent entre 0,5 et 1,2 Smic.
Nous avons décidé d'élargir l'assiette des bénéficiaires au-delà de 1,2 Smic ainsi que le plafond de ressources du foyer, pour toucher davantage de personnes. Nous avons choisi de nous appuyer sur le bonus individuel de la prime d'activité qui sera augmenté de 90 euros - je vous rappelle que dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019, nous avions acté une augmentation de 30 euros. Cette mesure concernera tous les travailleurs rémunérés au Smic ou un peu plus, qui vivent au sein de foyers modestes. Nous avons évidemment sciemment décidé de ne pas verser 100 euros du budget de l'État à des salariés au Smic qui vivent dans des foyers appartenant aux trois derniers déciles, c'est-à-dire touchant plus de 5 000 euros de revenus par mois, ce qui représente près de 1,2 millions de salariés au Smic aujourd'hui dont 300 000 qui vivent dans des foyers touchant au-delà de 10 000 euros par mois. Ce n'aurait pas été une mesure de justice sociale. L'un des intérêts de la prime d'activité est qu'elle concerne également les travailleurs indépendants, les agriculteurs et les agents publics, contrairement à d'autres outils.
Avec l'augmentation légale du Smic prévue le 1er janvier 2019 et les 90 euros de prime d'activité, ce seront au total 100 euros de revenus supplémentaires perçus dès le 5 février prochain pour ceux qui perçoivent déjà la prime d'activité, soit 5,6 millions de personnes dans 2,8 millions de foyers et ce, sans aucune formalité supplémentaire.
Concrètement, la mesure d'élargissement de l'assiette et du plafond sera prise par décret.
Deux millions de personnes supplémentaires bénéficieront de cette nouvelle prime d'activité élargie, qui est le dispositif le plus facile à mettre en oeuvre et le plus juste parce qu'il tient compte de la situation familiale et des revenus du foyer. Les personnes qui remplissent leur dossier avant le 25 janvier pourront bénéficier de la prime d'activité dès le 5 février prochain. Comptez sur moi pour mobiliser le réseau des caisses d'allocations familiales afin de mettre en oeuvre cette réforme dans les délais impartis.
La totalité de ces mesures représente, qu'il s'agisse d'allègements de cotisations ou d'impôts ou bien de dépenses, un montant global de 10 milliards d'euros supplémentaires pour offrir un gain de pouvoir d'achat aux salariés les plus modestes.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Merci, mesdames les ministres, pour ces explications, qui répondent dans les grandes lignes à nos interrogations sur le projet de loi. Je vous poserai néanmoins plusieurs questions complémentaires, accompagnées de quelques remarques et suggestions.
La politique étant un art d'exécution, mes questions porteront autant sur la manière d'appliquer les mesures que sur le contenu de celles-ci. En effet, il est indispensable que les Français comprennent bien ce qui est en jeu et ne se sentent pas trompés.
S'agissant d'abord de l'exonération d'impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires, je souhaite savoir à quoi correspond le plafond de 5 000 euros et quelle proportion des salariés il concernera. S'il est vraiment utile, pourquoi ne pas l'avoir instauré en matière de cotisations sociales ? Nous savons que des abus ont été commis par le passé, certaines entreprises transformant des primes en heures supplémentaires.
Ensuite, le Président de la République a déclaré : « Pour les retraités qui touchent moins de 2 000 euros par mois, nous annulerons en 2019 la hausse de CSG subie cette année ». Tous les mots ont leur importance, surtout dans la bouche du chef de l'État. L'article 3 du projet de loi instaure une nouvelle tranche de CSG à 6,6 % sur les pensions, mais avec un plafond défini selon le revenu fiscal de référence du foyer, ce qui n'est pas très lisible : à quel montant mensuel de revenu net ce plafond correspond-il pour une personne seule et pour un couple, en deçà et au-delà de 65 ans ?
Par ailleurs, l'annonce du Président de la République selon laquelle le salaire d'un travailleur au Smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu'il en coûte un euro à l'employeur se traduira par une revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Je comprends le sens de cette mesure, même si je ne suis pas sûr que tout le monde s'en satisfasse. Ce qui est certain, c'est qu'elle ne concernera pas toutes les personnes au Smic : quelle proportion d'entre elles bénéficieront de cette augmentation ?
D'autre part, comment améliorer très vite le taux de recours à cette prestation, actuellement de l'ordre de 75 à 80 %, pour que toutes les personnes qui y ont droit en bénéficient effectivement ? L'idéal serait d'aller vers l'automaticité : peut-être est-ce un peu compliqué, mais les caisses d'allocations familiales disposent de toutes les données pour alerter les familles éligibles. Les maires, à travers les centres communaux d'action sociale, et les départements, à travers leurs travailleurs sociaux, ont également un rôle à jouer en la matière : ce travail est en général fait, mais il sera bon d'informer les collectivités territoriales des nouvelles modalités.
Enfin, toutes ces mesures entraîneront pour les administrations de sécurité sociale une perte de recettes d'environ 3 milliards d'euros. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre et nous garantir que ces pertes seront bien compensées par l'État, conformément à la loi Veil de 1994 ? J'espère que nous ne verrons pas dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale de nouvelles mesures de non-compensation, après celles figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019...
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Je parlerai uniquement de la CSG et de la prime d'activité ; Muriel Pénicaud répondra sur les deux autres mesures.
Le plafond fixé selon le revenu fiscal de référence pour l'application du taux intermédiaire de 6,6 % correspond à 22 580 euros pour un célibataire et 34 636 euros pour un couple. Ces chiffres sont identiques avant et après 65 ans.
Vous avez expliqué, monsieur le rapporteur général, que la prime d'activité ne bénéficierait pas à 100 % des personnes percevant un revenu autour du Smic. Je précise que, au-delà de salariés du privé, nous parlons d'indépendants, d'agriculteurs et de fonctionnaires, voire d'étudiants : bref, de tous ceux qui vivent autour du Smic. En tenant compte du revenu du foyer et du nombre d'enfants, 55 % de ces personnes seront concernées.
Nous élargissons l'assiette des bénéficiaires bien au-delà du Smic, jusqu'à 1,9 Smic pour les familles monoparentales. Ainsi, un célibataire percevra 90 euros de prime d'activité en plus de la revalorisation de son salaire horaire jusqu'à 1 560 euros de revenus ; pour une femme célibataire avec un enfant, ce plafond sera de 2 000 euros. Nous avons donc tiré vers le haut le point de sortie du dispositif bien au-delà de 1,2 Smic.
S'agissant du non-recours, un vrai sujet d'inquiétude, nous allons mobiliser les caisses d'allocations familiales, dont les sites comporteront une page entièrement consacrée à cette revalorisation, avec un simulateur pour les familles. Cet outil sera prêt au plus tard au retour des vacances, le 7 janvier, mais nous faisons tout pour qu'il le soit dès le 1er ou le 2 janvier. Il faut mobiliser aussi, comme M. le rapporteur général l'a souligné à juste titre, les mairies, leurs CCAS et les services sociaux des départements, pour faire circuler les informations.
Nous pourrions aussi suggérer aux personnes par courrier de faire une simulation, sur la base des données de la direction générale des finances publiques sur le revenu fiscal des foyers ; nous avons commencé à en discuter avec Gérald Darmanin.
S'agissant de personnes salariées, en général de moins de 65 ans, la plupart d'entre elles manient bien le numérique. Aujourd'hui, 90 % des personnes touchent la prime d'activité par ce canal ; cela restera probablement le cas, mais, bien entendu, les caisses d'allocations familiales se préparent à un afflux de personnes qui se présenteraient d'ici à la fin du mois de janvier.
Quant à la compensation, elle a déjà fait l'objet d'un débat lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. À l'aune des pertes de recettes pour la sécurité sociale, nous allons être obligés de revoir les règles en la matière. Nous vous présenterons probablement un projet de loi de finances rectificative au début de l'année prochaine, ce qui nous donnera l'occasion d'en discuter.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Il me reste à poser une question sur la prime d'activité. Selon le dernier alinéa de l'article 4 du projet de loi, le rapport proposera, le cas échéant, des pistes de réforme pour améliorer le recours à la prestation. Je m'interroge sur l'expression « le cas échéant », très restrictive. Y aurait-il une raison cachée ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Cette expression ménage l'éventualité d'un versement automatique, qui nécessiterait de connaître la composition et le revenu global des familles. Nous travaillons sur un croisement des bases ressources, que la Caisse nationale des allocations familiales essaie de rendre plus contemporaines, et des bases de la DGFIP. Ces pistes sont ouvertes. Le rapport informera les parlementaires sur les moyens de faciliter le recours à la prime d'activité d'ici à 2020.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Lorsque l'exonération de charges sociales et d'impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires a été supprimée, on critiquait notamment le détournement de cette mesure à des niveaux de salaire élevés. De fait, dans certaines entreprises, des cadres moyens ou supérieurs étaient passés du forfait jours au forfait heures, pour que leurs primes soient en partie exonérées.
Or, clairement, cette exonération vise avant tout les ouvriers, les employés et les premiers niveaux de cadres. Dans le cadre d'un effort de solidarité nationale et de justice sociale, la fixation d'un plafond permet de prévenir les effets d'aubaine.
Remarquez que ce plafond est assez élevé : 5 000 euros d'heures supplémentaires. Ainsi, nous sommes sûrs que les ouvriers, les employés et les premiers niveaux de cadres ne seront jamais pénalisés. Au-delà, nous envoyons un signal clair : contrôles et requalifications seront possibles.
Nous estimons à 9 millions le nombre de personnes susceptibles de faire des heures supplémentaires dans le secteur privé, soit la moitié des salariés. C'est dire la portée de cette mesure en termes de pouvoir d'achat.
M. René-Paul Savary, président. - Avec le prélèvement à la source, cette prime de 1 000 euros versée par l'employeur en franchise de charges et d'impôt ne sera-t-elle pas soumise au taux de référence du bénéficiaire, de sorte qu'il faudra, comme pour la CSG, procéder à des remboursements à partir de mai ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - A priori, non : dès lors que la loi est votée avant la mise en oeuvre des paies de janvier, les primes n'entreront pas dans la base imposable. Pour celles versées en décembre, un rectificatif sera peut-être nécessaire. Les entreprises peuvent verser la prime du 10 décembre, date des annonces du Président de la République, au 31 mars, mais l'essentiel des sommes seront versées en janvier, février ou mars - sans, donc, que se pose le même problème d'avance que pour la CSG.
Mme Pascale Gruny. - Tant mieux pour ceux qui toucheront une prime, mais le choix fait par le Gouvernement sera source d'inégalités supplémentaires entre les salariés des petites et des grandes entreprises, des entreprises qui se portent bien et des autres. Cette mesure ne répond pas véritablement à ce qui était demandé.
Au demeurant, je me demande pourquoi elle prendra fin le 31 mars. Pourquoi ne pas laisser aux entreprises la liberté de verser une prime jusqu'à la fin de 2019 ? Compte tenu de la crise que beaucoup d'entre elles subissent depuis le 17 novembre, de nombreux salariés, notamment des entreprises commerciales, seront pénalisés. Ce n'est évidemment pas en trois mois que les pertes subies seront rattrapées.
La défiscalisation des heures supplémentaires, nous y souscrivons d'autant plus que nous la réclamions.
Ces nouvelles mesures compliqueront encore plus l'établissement et la lecture des bulletins de paie, qu'on prétend pourtant simplifier. Si vous n'avez pas vu un bulletin de paie récemment, mesdames les ministres, je peux vous en montrer : c'est épouvantable !
S'agissant des retraités, le message n'est pas clair, entre ce que le Président de la République a annoncé et ce qui est réellement prévu, avec prise en compte du revenu fiscal de référence. Comme pour le Smic, certaines personnes penseront bénéficier d'une mesure dont elles ne profiteront finalement pas. C'est qui arrive quand on monte des usines à gaz...
Madame la ministre de la santé, j'ai beau avoir l'habitude de faire des calculs sur des paies, je n'ai toujours pas bien compris votre système... Si, demain, quelqu'un me demande s'il bénéficiera de la prime d'activité, je devrai lui demander un grand nombre de documents !
J'ajoute, à propos du croisement d'informations, qu'un outil a été mis en place dans les entreprises qui simplifie beaucoup les choses : la déclaration sociale nominative (DSN). Pour une partie des personnes, vous y trouvez directement les rémunérations perçues.
M. Martin Lévrier. - La prime exceptionnelle devra-t-elle être négociée ou discutée avec les instances représentatives du personnel, et si oui à partir de quel seuil ? Si l'on veut la verser rapidement, il sera difficile de réunir l'ensemble des instances...
S'agissant du risque de voir des cadres toucher des heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées, j'ai vu, dans mon ancienne vie, des agrégés gagner plus de 50 000 euros d'heures supplémentaires exonérées. L'instauration d'un plafond ne me choque donc pas. Je me demande, en revanche, si les 5 000 euros correspondent à du brut ou à du net.
En ce qui concerne la prime d'activité, je pense à un autre exemple dans mon ancienne vie : des épouses d'officier supérieur accomplissaient quelques heures de surveillance dans mon établissement. Si nous jouions sur le Smic et non sur la prime d'activité, elles percevraient les 100 euros d'augmentation, alors que le revenu fiscal de leur famille est élevé.
Enfin, pouvez-vous nous confirmer que les apprentis seront concernés par ce dispositif ?
M. Michel Amiel. - Une revalorisation globale de la prime d'activité de 3,9 milliards d'euros a été annoncée sur le quinquennat. La revalorisation de 90 euros est-elle incluse dans cette enveloppe ou s'agit-il d'une mesure nouvelle ?
D'autre part, pouvons-nous connaître le coût global de cette augmentation et celui du changement de plancher de la CSG ?
Enfin, dans un contexte de croissance plus basse que prévu cette année, le Gouvernement a-t-il déjà des pistes en matière de recettes ?
Mme Monique Lubin. - Entre les annonces du Président de la République et ce qui est finalement proposé, l'écart est considérable. Tous les salariés ont entendu le chef de l'État dire très solennellement que le Smic augmenterait - certes sans qu'il en coûte rien aux employeurs, ce qui révélait déjà la présence d'un loup... Une augmentation du Smic, c'est très différent d'une augmentation de la prime d'activité : le salaire progresse, ainsi que la protection sociale et les droits à pension !
Tous ceux qui ont écouté M. Macron ont entendu que l'augmentation de CSG serait supprimée pour les pensions de moins de 2 000 euros. Et voilà qu'on parle de revenu fiscal de référence ! On cite les cas de ménages percevant plus de 5 000, voire 10 000 euros par mois. Je trouve, moi, qu'il s'agit de droits acquis à des salariés qui ont travaillé.
Qui sera pénalisé ? Une fois de plus, les femmes. Parce que leur conjoint gagne souvent plus qu'elles, ce sont elles qui feront les frais des modalités prévues.
Monsieur Lévrier, l'exemple que vous avez cité existe, bien sûr, mais il est un peu caricatural : c'est le cas d'une femme qui prend quelques heures pour simplement s'occuper, parce que son mari a un revenu élevé.
En France les femmes demeurent beaucoup moins payées que les hommes, même si notre pays n'est pas le plus mal placé à cet égard. Si vous voulez soutenir le pouvoir d'achat autrement qu'en augmentant les salaires, je vous invite à vous intéresser à la proposition de loi qui sera examinée en janvier prochain à l'Assemblée nationale, car elle vise à expérimenter un revenu de base.
Mme Corinne Féret. - La prime exceptionnelle est versée aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à trois Smic. Pourrait-elle être accordée aux agents publics ? C'est le souhait de plusieurs organisations syndicales, car les agents sont nombreux, particulièrement dans la catégorie C, à percevoir 1 200 ou 1 300 euros... L'État employeur appliquera-t-il ce qu'il préconise pour le secteur privé ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - La majoration ne concerne pas toutes les personnes ayant un revenu autour du Smic (salariées ou indépendantes) : si tel était le cas, on inclurait 1,2 million de personnes dont le foyer perçoit des revenus importants - 300 000 personnes dont le foyer fiscal est à plus de 10 000 euros mensuels. Il s'agit typiquement de femmes qui travaillent un jour par semaine, mais qui n'ont pas un besoin vital de ce salaire.
Nous avons fait le choix de cibler les familles modestes. Si nous avions retenu 100 % des personnes percevant un revenu au Smic, la base aurait été plus étroite autour de ce seuil, et nous aurions écarté par exemple les couples qui vivent avec deux Smic, soit 2 400 euros par mois, sans toucher aucune aide, alors que le couple qui touche 10 000 euros mensuels aurait perçu 100 euros de plus. Une application à la lettre de la mesure annoncée par le Président de la République ne serait pas conforme à son esprit. Nous entendons aider les personnes modestes qui ne bouclent pas leur fin de mois, celles qui sont sur les ronds-points... Grâce aux contours que nous avons retenus, nous avons pu élargir la base, toucher par exemple les familles monoparentales jusqu'à 2 000 euros par mois.
Les indépendants, les agriculteurs, les fonctionnaires sont concernés. La prime est ouverte aux étudiants salariés, stagiaires, apprentis, s'ils ont plus de 18 ans et s'ils ont perçu au moins 78 % du Smic sur chacun des trois derniers mois pris en compte pour le calcul de la prime. Nous avons fixé un seuil un peu supérieur à 0,5 Smic pour éviter de détourner les jeunes de leur formation, en ne ciblant que ceux dont le statut de travailleur l'emporte sur celui d'étudiant.
Une augmentation du coût du Smic horaire aurait aggravé le chômage : l'État s'est donc engagé à prendre en charge ce complément de rémunération. Le coût pour 2019 en sera de 2,8 milliards d'euros, ce qui représente une accélération et une amplification des promesses du président de la République. Une revalorisation de la prime d'activité de 80 euros sur la période avait été annoncée. Nous avions commencé l'an dernier, avec 20 euros de plus ; nous prévoyions 30 euros de plus cette année, soit 0,7 milliard d'euros supplémentaires. Ce sera 90 euros d'un coup, et nous élargissons la mesure à 2 millions de personnes en plus. La prime d'activité représente dès lors 6 milliards d'euros dans mon budget, en intégrant les 30 euros, et 2,1 milliards supplémentaires pour le différentiel de montant et le changement de périmètre.
Quant au changement de plancher pour la CSG, il coûtera 1,5 milliard d'euros.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Si la prime exceptionnelle fait l'objet d'une négociation et d'un accord dans l'entreprise, le délai est porté au 31 mars ; s'il s'agit d'une décision unilatérale, elle devra être prise avant fin janvier. Nous préférons toujours la voie contractuelle...
La prime exceptionnelle a été demandée par les PME, pour rendre plus attrayant le partage de la valeur, avant que la loi Pacte permette de supprimer le forfait social pour l'intéressement et la participation dans les petites entreprises. Elles ont demandé le délai du 31 mars afin de pouvoir décider une redistribution si la situation, notamment de trésorerie, est bonne en début d'année.
Un mot des inégalités de salaires. En économie administrée, les salaires sont fixés, comme dans la fonction publique. Mais dans une économie de liberté, encadrée par les branches professionnelle, tout le monde n'a pas le même salaire : les minima sont définis branche par branche, et les entreprises négocient contractuellement... Changer cela, ce serait changer complètement de logique de négociation.
La prime n'est pas corrélée à la taille mais à la santé des entreprises. Certaines PME entendent verser, peut-être pas 1 000 euros mais 200, 300 voire 500 euros.
J'ai lancé un appel pressant aux branches afin qu'elles accélèrent les discussions sur les minima conventionnels en 2019, en particuliers lorsque ceux-ci sont inférieurs au Smic - les salariés plafonnent alors au Smic même lorsqu'ils ont des classifications plus élevées que celles de premier niveau.
Le président du Medef s'est engagé auprès du Président de la République à ce que toutes les branches concernées concluent des accords en 2019 - nous serons vigilants, particulièrement dans les branches qui comptent beaucoup d'emplois peu qualifiés, souvent féminins - nous ferons ainsi d'une pierre deux coups.
Éviter une inflation de pop up sur les bulletins de salaire, bien sûr : mais il faut signaler les choses ! Nous continuerons à simplifier, rassurez-vous... La déclaration sociale nominative va beaucoup faciliter les choses.
La loi relative à l'égalité professionnelle traite structurellement et massivement de l'égalité homme-femme. Elle a été votée cet été, promulguée en septembre, et en novembre, nous avons mené avec les partenaires sociaux une concertation qui a été très constructive. Nous avons convergé sur un index pour mesurer dès le début 2019 la performance de chaque entreprise. Les données figurent dans la DSN, ce qui rend l'indice applicable y compris dans des entreprises de 100 salariés. Une ministre qui fut très impliquée sur le sujet saluera je n'en doute pas cette évolution...
L'index comprend cinq paramètres : degré d'égalité des salaires à travail égal (la différence est encore de 9 %) ; degré d'égalité des chances de promotion ; degré d'égalité d'augmentation des rémunérations ; respect intégral ou non des augmentations de rémunération au retour d'un congé de maternité ; et part des femmes dans les dix plus hautes rémunérations. Chaque entreprise devra publier les résultats sur son site et les transmettre à la Dirrecte. Dans trois ans, puisque c'est le délai de plein exercice, je ne doute pas que des progrès spectaculaires auront été accomplis grâce à cet instrument puissant.
Comment sont financées les mesures ? Le taux de l'impôt sur les sociétés devait descendre de 33 à 31 % pour toutes les entreprises en 2019. Décision a été prise de retarder à 2020 la baisse de l'IS pour les 1 000 plus grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires dépasse 250 millions d'euros. Cela rapportera 1,8 milliard d'euros.
Le ministre Bruno Le Maire a obtenu des résultats dans sa bataille, au plan européen, pour la taxation des GAFA. Il a obtenu une régulation, mais sans attendre les dispositions européennes, nous prendrons des mesures fiscales nationales, qui rapporteront 500 millions d'euros. La révision de la « niche Copé » fournira 200 millions.
Le déficit s'établira ainsi à 3,2 % en 2019 ; mais avec la fin du CICE, qui représente 20 milliards par an, nous repasserons en deçà des 3 %. Il ne s'agit pas d'un déficit structurel. J'ajoute qu'il ne nous a pas semblé pertinent que toutes les mesures d'économies soient prises dans l'urgence, sans débat parlementaire : nous y reviendrons dans le projet de loi de finances rectificative au printemps.
M. René-Paul Savary, président. - Et les agents publics ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Dans le cadre des « parcours professionnels, carrières et rémunérations », les partenaires sociaux ont déjà signé une revalorisation importante des rémunérations des agents publics à partir de 2019. Mais je précise que la mesure concernant les heures supplémentaires s'applique dans les trois fonctions publiques.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Pour les fonctionnaires de catégorie C, il y aura la PPRC en 2019, les heures supplémentaires et la prime d'activité, en fonction des revenus du foyer.
Ce qui est transmis automatiquement aux caisses d'allocations familiales dans le cadre de la DSN, c'est le revenu professionnel et le revenu de remplacement, comme les allocations chômage. Manquent les revenus du capital et les pensions alimentaires pour affiner encore la mesure et la cibler sur ceux qui en ont le plus besoin.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - En heures supplémentaires, le plafond est de 5 000 euros de gain supplémentaire - on parle bien ici de net imposable.
M. René-Paul Savary, président. - La cotisation patronale demeure, ce qui est moins incitatif que la mesure prise il y a quelques années...
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Il y a aujourd'hui, concomitamment, une baisse drastique de charges patronales, avec la suppression au 1er janvier prochain des cotisations sur le Smic, avec une dégressivité jusqu'à 1,6 Smic. Vous voyez, c'est déjà fait !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - S'agissant de la prime exceptionnelle, allez-vous accepter l'amendement en préparation à l'Assemblée nationale, concernant les femmes en congé de maternité ? Cela concerne les salariées : la précision est-elle nécessaire ?
Mme Lubin a évoqué la transformation du RFR en équivalent-pension net : vos services indiquent que le plafond pour une personne seule de moins de 65 ans est à 2 000 euros par mois, et à 3 060 euros pour un couple de moins de 65 ans. Cela pour traduire le revenu fiscal de référence en un chiffre de revenu net...
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Dans sa rédaction actuelle, le texte de loi prévoit le versement de la prime exceptionnelle aux salariés présents dans l'entreprise, ce qui suscite une ambigüité. Les congés de paternité et de maternité sont de courte durée et ne doivent jamais pénaliser la rémunération. Nous sommes donc favorables à l'amendement évoqué.
Mme Laurence Rossignol. - Pour les CAF, la nouvelle prime d'activité, c'est environ 1 million d'entrants dans le dispositif, des paramètres à changer et l'obligation de réviser les conditions d'accès tous les trois mois. Vous admettez, et c'est le bon sens, que tout cela sera lourd en termes de gestion. Or la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) doit supprimer 2 100 postes dans les cinq ans à venir. Envisagez-vous de revoir cet objectif à la baisse, pour faciliter la mise en oeuvre du dispositif annoncé ?
Je n'ai pas vu l'étude d'impact qui devrait être jointe au projet de loi. Peut-être aurai-je trouvé, dans ce document, les réponses aux questions qui vont suivre...
Premièrement, pouvez-vous préciser les différents plafonds de ressources selon les structures familiales et les éléments concourant à l'établissement de ces plafonds ?
Deuxièmement, les pensions alimentaires seront-elles prises en compte dans le revenu fiscal de référence des femmes seules ?
Troisièmement, je n'adhère pas à l'idée que le salaire des femmes doive s'appréhender dans le revenu fiscal de référence. Certes, cette idée est cohérente avec votre choix de privilégier l'octroi d'une allocation sociale, financée par la solidarité nationale, plutôt qu'une augmentation des salaires - dès lors que vous choisissez l'allocation, il est normal que celle-ci soit soumise à un plafond de ressources -, mais vous ne pouvez pas vanter une mesure portant sur le Smic pour, ensuite, appliquer des règles propres aux allocations sociales. D'où cette troisième question : avez-vous, aujourd'hui, une idée du nombre d'entreprises qui verseront la prime exceptionnelle ?
En effet, si la prime d'activité n'est pas versée aux femmes percevant le Smic dont le conjoint gagne plus, sachant que seuls deux tiers des couples fusionnent leurs revenus, si l'on sait que 58 % des travailleurs au Smic sont des femmes et que plus les entreprises sont petites, plus elles emploient des salariés au Smic, si, enfin, il est à craindre que les petites entreprises distribuent moins de prime exceptionnelle que les grandes, alors les femmes pourraient se trouver doublement pénalisées. Une étude d'impact aurait pu nous renseigner sur le point de savoir si cette prime exceptionnelle sera plutôt versée aux hommes qu'aux femmes.
Je salue les mesures que vous avez prises pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, madame Pénicaud, mais elles ne répondent pas aux problématiques évoquées ici : dans une entreprise employant un grand nombre de femmes, il n'y a pas forcement inégalité salariale, mais il peut y avoir concentration de bas salaires !
M. Yves Daudigny. - J'imagine que, dans votre esprit comme dans le mien, ces mesures, qui aggraveraient le déficit de 6 milliards d'euros en 2019, ont vocation à être pérennisées, voire amplifiées. Elles ne pourront continuer à peser sur les équilibres budgétaires. Ne voyez-vous pas une contradiction fondamentale entre la nécessité de répondre à une urgence sociale et l'entêtement du Gouvernement à ne pas vouloir mettre à contribution les rémunérations les plus élevées ?
Le terme « kafkaïen » a été utilisé hier, à plusieurs reprises, pour qualifier les propositions qui nous sont faites. C'est 100 euros qui deviennent 90 euros, une défiscalisation des heures supplémentaires qui ne profitera pas à tous, une prime exceptionnelle laissée au bon vouloir des entreprises, une exemption de la hausse de CSG, qui impliquera néanmoins que les retraités avancent les sommes concernées avant d'être remboursés, on l'espère, au mois de mai. C'est, enfin, la séquence invraisemblable d'hier après-midi, où le Gouvernement annonce l'annulation d'une mesure ancienne pour se contredire deux heures plus tard. Comment expliquer ce flou, ces contradictions ? Ce contexte ne nuit-il pas à la crédibilité et la visibilité des mesures envisagées ?
Mme Laurence Cohen. - Sans vouloir anticiper le débat que nous aurons en séance, je m'étonne, mesdames les ministres, de vous entendre dire que vous avez été sensibles aux revendications exprimées dans la rue. Je regrette que vous n'ayez pas entendu cette même expression dans l'hémicycle !
Lors de l'examen du PLF et du PLFSS, le groupe CRCE a attiré votre attention, en vain, sur certains risques encourus - par exemple, en termes de fongibilité des budgets de l'État et de la sécurité sociale, madame Buzyn - et des évolutions qui n'étaient alors pas possibles le sont aujourd'hui. Il faut être plus attentives aux propos des parlementaires, ou ne pas avoir une oreille sélective, qui n'entendrait que ceux des députés de votre majorité !
Ces mesures ne sont que de la poudre aux yeux. Si, comme le Président de la République l'a dit très solennellement, la hausse de la CSG pour les retraités était une mesure profondément injuste, pourquoi revenir dessus pour un an seulement ? Il faut la supprimer !
Par ailleurs, peut-on dresser un état des lieux des mesures d'exonération de cotisations sociales et de défiscalisation des heures supplémentaires ? Vous avancez que le dispositif est profitable aux entreprises, madame Pénicaud, mais nous savons que de telles mesures ne profitent pas à l'emploi. Pourquoi les maintenir à l'article 2, en les élargissant ?
Vous faites preuve, en outre, d'une vision à court terme - une exonération de cotisations patronales et salariales, c'est un manque à gagner pour la sécurité sociale et, donc, une fuite en avant -, tout en essayant de contourner le débat. En fait, il est vital d'augmenter les salaires, faisant ainsi reposer la charge sur les entreprises, et non sur l'État.
Des réponses ont été apportées sur la question des fonctionnaires. Je dirai ce que nous pensons de la prime exceptionnelle dans l'hémicycle, mais, s'il doit y en avoir une, elle doit aussi concerner les fonctionnaires ! D'ailleurs, cinq organisations syndicales seront prochainement reçues à Bercy, ce qui laisse présager de possibles évolutions. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Enfin, madame Pénicaud, nous nous sommes retrouvés sur la question de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au moment de l'examen de la loi Travail. Je tiens, pour être complète, à saluer certaines mesures très positives qui ont été proposées depuis, notamment l'introduction de la notion « d'âge égal ».
Mme Michelle Meunier. - À la longue liste de questions et de réponses déjà formulées, je voudrais ajouter une interrogation : quel est l'impact réel et concret de ces mesures sur les travailleurs du secteur médico-social, souvent des femmes, qui peinent à boucler leurs fins de mois ?
M. Jean-Marie Morisset. - Dans un communiqué paru hier, les PME s'inquiétaient de ne pas être exonérées de charges patronales sur la prime exceptionnelle. Qu'en est-il ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - La prime exceptionnelle ne sera soumise à aucune charge, salariale ou patronale, ni à l'impôt.
M. Jean-Marie Morisset. - Vous auriez pu fixer une échéance un peu plus lointaine que celle du 31 mars pour le versement de la prime exceptionnelle. Envisagez-vous d'établir un bilan de cette disposition, à l'image du rapport, prévu à l'article 4, sur la prime d'activité ?
La réduction de charges pour les heures supplémentaires devrait être fixée par décret. À combien s'élèvera-t-elle ?
Les mesures concernant la CSG suscitent de nombreuses questions sur le terrain. Les retraités agricoles se verront-ils rembourser leurs versements de 2018, comme ils ont cru l'entendre ? Pourquoi le remboursement ne pourra pas être effectué dès le mois de janvier ou février ?
Si l'exercice que vous avez à faire aujourd'hui n'est pas simple, mesdames les ministres, sachez que le nôtre sera tout aussi complexe quand il faudra expliquer, au niveau local, pourquoi les 100 euros se sont transformés en 90 euros, et ce alors même que se mettra en place le prélèvement de l'impôt à la source. Nous aurions pu nous éviter ce genre de difficultés !
Mme Catherine Fournier. - Oui, mesdames les ministres, les problèmes ne datent pas d'aujourd'hui ! Mais, après les élections, nos concitoyens s'attendaient à un changement de politique fondamental et à un recours peut-être un peu moins brutal à la pression fiscale et sociale.
Je reconnais le bienfondé des mesures actuellement prises, mais la démarche, malheureusement, est tardive. Je rappelle à mon tour que le Sénat avait essayé, à travers des amendements déposés sur différents textes, de transmettre dans le débat parlementaire l'anxiété que nous ressentions sur le territoire.
Le texte prévoit-il que la prime exceptionnelle puisse s'appliquer aux salariés à domicile - ce sont souvent des femmes - qui ont plusieurs employeurs ?
Vous présentez aujourd'hui des mesures « spot ». L'annonce de mesures valables pour plus d'un an constituerait pourtant un atout considérable dans un contexte de perte de confiance, surtout compte tenu du caractère tardif de la réaction. Avez-vous, en conséquence, l'intention de pérenniser certaines de ces dispositions ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. - S'agissant des CAF, au regard de l'afflux de foyers bénéficiaires, nous examinons effectivement les besoins de redéploiement et une inflexion de la tendance à la réduction des emplois avec le directeur général de la Cnaf. La question sera éclaircie en début d'année.
L'étude d'impact du projet de loi est accessible, en ligne, sur le site de l'Assemblée nationale. Il y a dû avoir un loupé dans sa transmission au Sénat, et je vous prie de m'en excuser.
La question du plafond de ressources pour la prime d'activité paraît simple ; elle exige pourtant que l'on y consacre un peu de temps. Ce plafond tiendra compte des salaires des deux conjoints et du nombre de personnes dans la famille. À l'heure actuelle, pour un couple sans enfant, si l'un des membres du couple est au Smic, l'autre ne doit pas toucher plus de 1 264 euros pour que la prime soit versée. Cette limite sera portée à 1 716 euros. Par ailleurs, un célibataire sans enfant touchera 90 euros jusqu'à 1 565 euros de salaire, puis la prime ira décroissant jusqu'à 1 806 euros. Pour une femme célibataire avec un enfant, le taux plein vaudra jusque 2 000 euros de salaire, avec une décroissance jusqu'à, environ, 2 250 euros. Il importe donc que les familles aient recours au simulateur.
Voici quelques cas concrets d'application de la réforme. Un célibataire sans enfant touchera la prime d'activité à taux plein, c'est-à-dire 90 euros, plus les 10 euros d'augmentation jusqu'à 1 565 euros aujourd'hui, puis cela sera décroissant jusqu'à 1 806 euros ; une femme célibataire avec un enfant touchera à taux plein 90 euros, plus les 10 euros jusqu'à 2 000 euros de salaire et ce sera décroissant jusqu'à 2 250 euros. Cela dépendra aussi, évidemment, de l'équilibre salarial entre les deux membres du couple qui vont toucher plus ou moins une partie de la prime d'activité.
Nous avons prévu une prime d'activité importante pour les familles monoparentales, et donc le plus souvent pour des mères célibataires. Avec les nouveaux paramètres, nous redistribuerons 500 millions d'euros aux familles monoparentales. Cela fait rentrer dans le mécanisme de la prime d'activité 150 000 familles monoparentales supplémentaires.
Actuellement, pour toucher la prime d'activité, sont pris en compte tous les revenus du foyer, donc les pensions alimentaires. La question vient de nous être posée à l'Assemblée nationale. Ce serait peut-être injuste que des familles qui ont une pension alimentaire pour leur enfant touchent exactement la même chose que des familles qui n'en ont pas, puisque la prime d'activité cherche à compenser des revenus insuffisants pour vivre. Si l'on n'incluait pas les pensions alimentaires dans le revenu de référence de la famille, ce serait injuste vis-à-vis des femmes célibataires qui ne touchent pas de pension et qui, de fait, recevraient exactement la même somme qu'une femme célibataire touchant une pension alimentaire plus ou moins importante. Je propose qu'une évaluation de l'impact des pensions alimentaires sur les entrées ou sorties potentielles de la prime d'activité figurent dans le rapport qui sera remis au Parlement ; mais à ce stade, prenons en compte l'ensemble des revenus du foyer, par mesure de justice sociale.
Pourquoi des femmes touchant le Smic et qui sont dans un foyer avec d'importants revenus ne pourraient pas bénéficier de la prime d'activité ? En réalité, cela concerne non pas des femmes salariées au Smic, mais des femmes dont les revenus mensuels sont autour du Smic. Le dispositif ne revalorise pas le Smic horaire mais compense un revenu mensuel. Certaines femmes ayant un revenu autour de 1 200 euros par mois peuvent travailler un jour par semaine, avec par exemple un revenu artistique. Or nous souhaitons toucher les personnes vivant exclusivement du Smic ; c'est pourquoi la prime d'activité est beaucoup plus juste que tout autre dispositif qui compenserait un revenu mensuel de 1 200 euros.
Soyons prudents lorsqu'on dit que la mesure touche un peu plus d'une personne sur deux autour du Smic ; dans ce cas, il ne s'agit pas de « Smicards » mais de personnes dont le revenu mensuel est autour de 1 200 euros par mois.
M. René-Paul Savary, président. - C'est vrai, il y a une confusion.
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Notre mesure touche des foyers modestes ayant des difficultés à vivre de leur travail.
Monsieur Daudigny, il n'y a pas de contradiction du pouvoir exécutif. Nos mesures répondent à des besoins clairs des Français, exprimés pour certains par les sénateurs. Nous sommes allés insuffisamment vite sur la prime d'activité ; son étalement sur cinq ans était trop long, nous accélérons donc et prenons d'autres mesures, notamment sur la CSG.
Le débat sur la fongibilité entre le budget de l'État et celui de la Sécurité sociale est de nouveau d'actualité, puisque les recettes de la Sécurité sociale seront considérablement impactées par les mesures de dé-socialisation. Mais il reste très technocratique : les Français s'intéressent à ce qu'il leur reste dans leur poche après avoir payé les cotisations sociales et les impôts, ils ne font pas la différence entre le budget de la Sécurité sociale et celui de l'État : ils paient des prélèvements obligatoires.
Mme Laurence Cohen. - Il s'agit de solidarité, et non d'une histoire concernant la poche des Français !
Mme Agnès Buzyn, ministre. - Madame Meunier, le salaire moyen des personnes dans le secteur des services à la personne est de 1 400 euros net par mois. Si une aide-soignante est célibataire, elle touche la prime d'activité, sinon cela dépend de sa composition familiale. En début de carrière, quand elle touche moins, elle va forcément être impactée, puisque la prime d'activité démarre à 0,5 Smic. Les femmes célibataires avec enfant touchent en plus une allocation pour soutien de famille et la partie de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) qui les concerne.
Actuellement, 8 % des fonctionnaires touchent la prime d'activité, soit 400 000 personnes ; après la réforme, ce sera 12 % des fonctionnaires, soit 600 000 d'entre eux ; 15 % des indépendants, soit 300 000 personnes, touchent la prime d'activité ; ils seront 18 %, soit 400 000 personnes après la réforme. Plus de 20 000 agriculteurs supplémentaires toucheront également la prime d'activité.
Il n'y aura pas de remboursement de la CSG en 2018, car le dispositif prendra du temps à être instauré : nous créons un troisième taux de 6,6 %, difficile à paramétrer. Or la CSG dépend du revenu fiscal de référence, qui sera donné par la Direction générale des finances publiques à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) en mars. Il est donc très difficile de mettre en oeuvre cette mesure avant avril 2019.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Madame Fournier, les employeurs à domicile pourront verser une prime exceptionnelle, qui bénéficiera notamment à énormément de femmes qui travaillent de cette sorte. Nous souhaitions au départ un calendrier serré pour garder le caractère exceptionnel de la prime, mais les petites et moyennes entreprises nous ont demandé d'aller jusqu'au 31 mars. Nous n'avons pas ouvert davantage cette période car nous aurions risqué des répercussions sur la négociation annuelle obligatoire (NAO) des salaires et un transfert de la NAO vers la prime exceptionnelle. Cela risque également de se répercuter sur la mise en oeuvre de l'intéressement. Or une prime exceptionnelle de plus d'un an ne serait plus exceptionnelle, et une partie des salaires échapperait alors à l'impôt, alors que cet effort de solidarité est nécessaire dans notre République sociale à laquelle nous croyons tous. Cette mesure de trois mois permet aux entreprises de s'organiser, mais évite les effets de bord négatifs, soit sur la hausse des salaires, soit sur l'intéressement.
Près de 58 % des personnes au Smic sont des femmes, alors qu'elles représentent 45 % des personnes qui travaillent. Elles sont moins payées à salaire égal, ont des carrières plus hachées, et sont davantage sanctionnées. Il faut s'attaquer à tous les sujets. Merci d'avoir salué nos efforts, lorsque nous avons tenu compte de l'âge, des capacités et de l'égalité de promotion. Les femmes restent souvent en bas de l'échelle.
Ce sujet reste éminemment sectoriel : dans les petites entreprises du secteur industriel, il y a peu d'écarts entre les femmes et les hommes. Mais quelle que soit la taille de l'entreprise, le secteur médico-social et de l'action sociale est l'un des plus concernés. On ne peut avancer sans l'appui du secteur. Nous avons regardé les classifications de branches ; certaines, qui emploient traditionnellement beaucoup de femmes, offrent moins de paliers. Les partenaires sociaux eux-mêmes le reconnaissent. Pour faire du structurel, nous devons nous attaquer aux classifications de branche - nous en débattrons l'année prochaine. La loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes prévoit que dans trois ans, les entreprises n'ayant pas assumé leurs responsabilités seront pénalisées à hauteur de 1 % de la masse salariale. Plutôt que de donner cet argent au Trésor public, que les entreprises le donnent aux femmes !
Un tiers des femmes travaille à temps partiel, et 80 % des temps partiels sont assurés par des femmes. Ce temps partiel est parfois choisi, souvent subi, et parfois haché.
Mme Laurence Rossignol. - Quelles sont vos prévisions relatives au versement de la prime exceptionnelle en fonction de la taille de l'entreprise ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. - Nous avons réalisé un sondage : 70 % des entreprises sont prêtes à faire un geste. Les fois précédentes, 4 à 5 millions de salariés étaient concernés. Je le rappelle, la mesure vaut jusqu'à 3 Smic, tous les salariés ne sont donc pas compris dans son champ. Une assez forte pression pèse sur les entreprises en raison des premières annonces faites par certaines. Nous mesurerons ces efforts.
Les personnes travaillant au Smic appartiennent pour un tiers d'entre elles à un ménage qui gagne plus de 5 000 euros de revenus. Certes, on peut débattre de l'autonomie à l'intérieur du couple et de l'ingérence de la puissance publique à l'intérieur d'un couple, mais il s'agit là d'un financement de solidarité... Quelle est la priorité ? Avec la règle actuelle, si chacun des membres du couple gagne 1,2 Smic, ils ne reçoivent rien. C'est un choix politique. Le déclencheur, c'est bien le revenu des travailleurs modestes puisqu'il faut qu'au moins un des deux membres du couple ait un salaire modeste. Mais ne pas tenir compte des revenus du couple serait aussi injuste.
J'ai signé ce matin le décret d'augmentation du Smic de 1,5 %, un niveau supérieur aux années précédentes - mais également logique, en raison d'une plus forte inflation. En deux ans, le Smic est passé de 1 153 euros nets par mois à 1 174 euros en janvier 2018. Il était de 1 188 euros en décembre grâce à la suppression des cotisations d'assurance maladie et là, il passera à 1 204 euros net, soit 1 521 euros brut. Cette augmentation concernera 1,6 million de salariés, et aura un effet de diffusion sur 11 millions de personnes. Aller plus loin est une question de responsabilité. Nous devons en permanence lutter contre le chômage de masse et pour le pouvoir d'achat. Nous n'avons pas fait le choix des travailleurs pauvres ou des mini-jobs et avons le Smic le plus élevé d'Europe. Mais, compte tenu des dépenses contraintes, nous savons qu'il est difficile de ne vivre que du Smic si l'on n'a pas d'autres revenus. Or 95 % des entreprises sont des petites entreprises, et la moitié des salariés sont dans des PME. Si l'on augmente les salaires, votre petit commerce ou votre artisan, qui a déjà de faibles bénéfices, soit licenciera, soit augmentera ses tarifs... Il faut raisonner à la fois de façon micro et macro tant dans le secteur social qu'économique...
Il faut travailler à la fois sur les salaires au sens strict, sur les revenus des ménages et sur les dépenses contraintes : certains prix doivent être régulés.
Le pouvoir d'achat global a augmenté, mais le pouvoir d'achat par ménage a diminué, donc le ressenti de nos concitoyens et réel. Cela est dû à la diminution de la taille des ménages en raison des séparations et des divorces. Le nombre de familles monoparentales est beaucoup plus important, et elles doivent se loger... Nous essayons de prendre en compte cet aspect pour plus de justice sociale.
Les personnes touchant la prime d'activité sont pour la moitié d'entre elles des personnes seules - on compte dans les bénéficiaires 22 % de familles monoparentales. Notre réforme a donc un effet direct sur ceux que nous voulons toucher, et nous encourageons les personnes qui travaillent, sans détruire l'emploi.
Actuellement, la prime d'activité ne bénéficie pas aux personnes qui sont juste au-dessus du Smic et qui n'ont que cela comme revenu et ont du mal à vivre. Pour 100 % des personnes qui n'ont que leur salaire comme revenu, ils toucheront jusqu'à 1 500 euros pour une personne seule, 2 000 euros pour une personne seule avec enfant, 2 400 euros pour un couple et jusqu'à 3 000 euros pour un couple avec enfant. Et ils auront en plus les 100 euros.
Nous voulons relier la valorisation du travail, le fait de vivre dignement de son travail et la justice sociale.
Trois mesures ne sont pas ponctuelles par nature : la prime d'activité, les heures supplémentaires et la CSG. Seule la prime exceptionnelle est par vocation exceptionnelle.
M. René-Paul Savary, président. - Certes, mais ce sera payé par la dette publique et ne correspond pas tout à fait au discours du Président de la République. Voilà le problème - mais au Sénat, nous avons l'habitude... Nous avions émis des propositions qui auraient pu éviter certains soucis et retards. Écoutez les élus locaux quand ils font remonter la pression du terrain et avertissent des difficultés : nous pouvons plus facilement trouver des solutions ensemble. Merci pour la qualité de ces échanges et ces précisions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18h35.
Vendredi 21 décembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 11 h 05.
Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous examinons le rapport et le texte de la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant mesures d'urgence économiques et sociales. Le délai de dépôt des amendements a expiré, aucun n'a été déposé.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Ce projet de loi porte, comme son intitulé l'indique, des mesures d'urgence économiques et sociales. Le calendrier imposé au Parlement illustre tout particulièrement ce caractère d'urgence, puisque nous examinons ce texte deux jours seulement après son adoption par le conseil des ministres et le jour même de sa transmission au Sénat par l'Assemblée nationale - qui l'a adopté à 4 h 30 du matin... Il s'agit de conditions de travail que nous nous accorderons à trouver peu confortables.
Heureusement, ce projet de loi est court : il ne compte que quatre articles, relativement brefs. Je tiens à souligner la bonne collaboration des services du Gouvernement, qui ont répondu avec rapidité et précisions à mes questions. Le dialogue a également été nourri, ces derniers jours, avec le rapporteur général à l'Assemblée nationale, Olivier Véran. Je m'en réjouis, et espère que cette bonne collaboration perdurera pour l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et les lois rectificatives à venir, et permettra au Parlement de peser davantage.
Venons-en au fond des mesures de ce projet de loi, qui traduit en droit les mesures annoncées par le Président de la République lors de son discours télévisé à la Nation du 10 décembre dernier, dans le contexte social très particulier de cette fin d'automne.
L'article 1er prévoit que les employeurs pourront verser, entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019, une prime exceptionnelle à leurs employés de 1 000 euros maximum, exonérée de toute imposition, cotisation ou contribution sociale. Précisons qu'il s'agit des employeurs soumis à l'obligation de contribuer à l'assurance chômage et de certains autres employeurs à statut particulier, non des fonctions publiques.
L'article 2 vise, d'une part, à avancer au 1er janvier 2019 - au lieu du 1er septembre comme adopté en loi de financement pour 2019 - l'exonération de cotisations salariales sur les rémunérations liées aux heures supplémentaires, d'autre part, à exonérer d'impôt sur le revenu ces mêmes rémunérations, dans la limite de 5 000 euros nets imposables par an. M. Roger Karoutchi, auteur de ces propositions lors du débat du PLFSS, doit être satisfait. Il regrettait beaucoup de ne voir aucun de ses amendements retenus. Il faut savoir être patient !
M. Alain Milon, président. - Ne le provoquez pas trop !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - En revanche, à l'inverse du régime mis en place par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA) de 2007, les cotisations patronales ne seront pas exonérées. Il n'y a donc pas d'incitation pour les employeurs à privilégier les heures supplémentaires plutôt que l'embauche de nouveaux salariés, mais simplement une mesure de pouvoir d'achat renforcé pour les salariés.
L'article 3 rétablit un taux de CSG de 6,6 %, c'est-à-dire le taux applicable jusqu'en 2017, sur les pensions de retraite, d'invalidité ou les allocations chômage, pour les foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à un certain seuil. Même s'il peut y avoir des nuances en fonction de la nature des revenus du foyer, ce seuil correspond à un revenu net mensuel de 2 000 euros pour une personne seule ou de 3 060 euros pour un couple. L'abaissement du taux de CSG concernera 3,8 millions de foyers et 5 millions de retraités, soit la moitié des retraités ayant acquitté une CSG au taux de 8,3 % en 2018. Il resterait ainsi 30 % des retraités soumis au taux de CSG de 8,3 %. Le gain moyen par foyer est estimé à 448 euros par an.
Enfin, l'article 4 propose la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement six mois après la promulgation de cette loi afin de dresser le bilan de la revalorisation exceptionnelle de la prime d'activité. Une fois n'est pas coutume, ce rapport est opportun : il introduit le sujet de la prime d'activité dans nos débats, et pour cette mesure peut-être plus encore que pour les autres, l'exécution concrète de la loi sera capitale pour atteindre l'objectif fixé par le Président. En particulier, le taux de recours à la prime d'activité ainsi renforcée devra être élevé, peut-être en allant vers l'automaticité du versement de cette prestation aux personnes qui y ont droit. Près de 75 % des personnes qui y sont éligibles ont recours à la prime d'activité ; essayons d'atteindre le plus vite possible 100 %. Le rapport du Gouvernement devra être précis et présenter des pistes pour améliorer le taux de recours si cela se révélait nécessaire.
L'Assemblée nationale a adopté quelques amendements à ce texte, essentiellement de précision ; aucun d'entre eux n'a modifié l'économie générale du texte déposé par le Gouvernement.
Les mesures sont donc substantielles. De plus, elles s'inscrivent dans un plan plus vaste comprenant, en particulier, l'abandon des augmentations des taxes énergétiques prévues à compter du 1er janvier 2019 - et que le Sénat avait inscrit en première lecture au sein du projet de loi de finances pour 2019.
Comme le rapport écrit le détaille, ce plan coûtera 10,3 milliards d'euros pour les finances publiques en 2019.
En face, à ce stade, une seule mesure a été introduite au sein du PLF 2019 : l'abandon de l'assouplissement de la « niche Copé », pour un gain de l'ordre de 200 millions d'euros. Le Gouvernement annonce, certes, diverses autres mesures, qui devraient être examinées dans le cadre du collectif budgétaire prévu pour la fin du premier trimestre. Mais, même si toutes ces mesures étaient adoptées et exécutées, il resterait un « trou » de 6,4 milliards d'euros. En conséquence, l'article liminaire du PLF 2019 a été corrigé afin de prévoir désormais un déficit public de 3,2 % du PIB en 2019, au lieu des 2,8 % initialement prévus.
Seule une loi de financement de la sécurité sociale peut diminuer les ressources de la sécurité sociale. Or le projet de loi que nous examinons n'est pas un PLFSS. Par conséquent, juridiquement, tout ce que le Parlement votera devra être compensé à la sécurité sociale - sauf à ce qu'une loi de financement future prévoie le contraire. La ministre ne nous a donné qu'une réponse évasive, M. Darmanin n'étant pas là... Nous devrons y veiller. Cela rejoint le débat plus large sur les relations entre l'État et la sécurité sociale. La loi de 1994 prévoit une compensation intégrale, même s'il peut y avoir des dérogations. Selon la Cour des comptes, l'État a compensé la sécurité sociale plus que prévu ces deux dernières années, des moindres recettes de 3 milliards d'euros sont acceptables, mais on ne peut pas sortir de ce cadre.
À titre informatif, vous trouverez néanmoins dans le rapport écrit les tableaux d'équilibre pour 2019 rectifiés si d'aventure le Gouvernement était tenté d'appliquer les principes qu'il a définis dans son rapport de juillet 2018 sur la rénovation des relations financières entre l'État et la sécurité sociale - et qu'on peut résumer par la formule : « que chacun finance ses pertes ». Les régimes obligatoires de base et le fonds de solidarité vieillesse (FSV) afficheraient un déficit consolidé de 2,8 milliards d'euros - ou 2,5 milliards d'euros pour l'ensemble régime général et le FSV.
Nous serions donc assez loin du retour à l'équilibre annoncé au début de l'automne. Comment mieux illustrer la pertinence de nos réserves sur les coupes prévues dans le flux de TVA à destination de la sécurité sociale et sur le fait qu'on ne saurait lui « faire les poches » avant qu'elles ne soient pleines ?
M. Alain Milon, président. - Et même lorsqu'elles sont pleines...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Sous le bénéfice de ces observations, nous pouvons convenir que l'économie générale de ce projet de loi répond, au moins en partie, à plusieurs préoccupations soulevées par le Sénat et par notre commission, notamment lors de l'examen des deux derniers PLFSS.
Les gains de pouvoir d'achat qu'entraîneront ces mesures, en particulier pour les travailleurs et les retraités aux revenus modestes, seront substantiels.
De plus, le climat politique actuel invite toutes les institutions à la mesure et à un sens des responsabilités particuliers. Le Sénat doit contribuer à ce que les annonces faites par le Président de la République puissent rapidement se traduire concrètement.
C'est pourquoi je préconise l'adoption, sans modification, de l'ensemble des articles de ce projet de loi par notre commission, puis par le Sénat.
M. Yves Daudigny. - Le Gouvernement, avec précipitation et beaucoup de couacs et de confusion, répond à une situation d'urgence créée par une révolte sociale, dont il n'est certes pas le seul responsable mais à laquelle il a gravement contribué depuis les élections. Ces mesures ne sont pas des « miettes pour les poules » comme l'affirment certains, puisqu'elles engagent 10 milliards d'euros ; elles contribuent à augmenter le pouvoir d'achat de certains de nos concitoyens. Certaines mesures mériteraient un débat approfondi. La prime exceptionnelle est un fusil à un coup, et n'est pas une mesure égalitaire car elle dépend du bon vouloir des entreprises. Le débat sur les heures supplémentaires défiscalisées et désocialisées n'est pas nouveau. Il n'y aura pas d'exonération des cotisations sociales patronales, ce qui pourrait ne pas contribuer à l'amélioration de la situation sociale du chômage. Plus de 6 milliards d'euros ne seront pas financés, et risquent d'augmenter le déficit budgétaire en 2019. Parmi les dispositions importantes contre lesquelles nous nous étions élevés, la fin de l'indexation des retraites et des prestations familiales n'a pas été remise en cause.
En responsabilité, et en fidélité à son rôle d'opposition, le groupe socialiste, républicain et citoyen s'abstiendra lors du vote du rapport et du projet de loi.
Mme Pascale Gruny. - Je partage les propos de M. Daudigny. Nous allons créer des différences notoires entre Français, selon que l'entreprise est une PME ou un grand groupe, en bonne ou mauvaise santé financière. Et les montants vont être différents.
Il en est de même pour les retraités, qui réclamaient la réindexation par rapport à l'inflation, que nous avions votée au Sénat. Et pour donner des heures supplémentaires, l'entreprise doit avoir des carnets de commande bien remplis... Il y a beaucoup d'attentes, il y aura beaucoup de déçus. Je ne suis pas très optimiste. Malgré la trêve des fêtes, je crains que nous ne retrouvions des citoyens dans la rue, au mois de janvier, lorsque débutera le prélèvement à la source... Qu'en est-il de la CSG-CRDS sur les heures supplémentaires ? Il resterait beaucoup à dire sur le financement de cette loi d'urgence.
Mme Laurence Cohen. - Sur le fond, il y a une pseudo prise en compte de la mobilisation très large dans le pays, avec des mesures apportant un petit plus, mais ne faisant pas le compte. Le Gouvernement ne prend pas les événements à leur juste valeur. Les citoyens revendiquent une augmentation de salaires, qui n'aura pas lieu, et plus de justice sociale. Les cadeaux vont toujours vers les plus fortunés.
Le Gouvernement annonce des mesures déjà prévues, c'est un peu de l'enfumage... Il bouge un peu, en raison de la mobilisation. Par conséquent, il y en aura d'autres.
Sur la forme, je suis extrêmement choquée que le Gouvernement, ainsi que le Président du Sénat, demandent aux parlementaires de voter le texte conforme pour qu'il soit adopté le plus vite possible. On ne ferait pas autre chose pour prouver que le Parlement ne sert à rien ou suit aveuglément l'exécutif... Nous avons travaillé pour déposer des amendements, ils seront tous retoqués. À quoi cela sert-il ? La politique d'Emmanuel Macron n'améliore pas l'image de l'Assemblée nationale ; et voilà que le Sénat se couche ! C'est très grave.
M. Michel Amiel. - Il y a une urgence économique et une urgence sociale. Médecin, je distingue l'urgence du traitement de fond. Nous ne ferons pas l'économie d'une vraie prise en charge. C'est davantage la question d'inégalités que celle du pouvoir d'achat qui est posée - et pas seulement les salaires. Les inégalités proviennent aussi du patrimoine, de nombreuses études économiques, comme celles de Thomas Piketty, le montrent. Lors du débat entre CSG et TVA, j'étais plus favorable à la CSG et prônais un plancher à 1 500 euros ; il est ici établi à 1 200 euros. Nous voilà dans l'autoflagellation... Si nous avions pu anticiper cette vague de fond, peut-être n'aurait-elle pas été aussi brutale.
Mme Catherine Fournier. - Le mouvement des gilets jaunes a exprimé une plainte contre trop de pression fiscale et sociale. La hausse des salaires serait une mesure trop simpliste, il faut penser pouvoir d'achat.
Le Gouvernement a agi dans la précipitation - le réveil fut tardif - et nous avons le sentiment de ne pas pouvoir débattre suffisamment. Cependant, ces mesures ont déjà été proposées et votées par les sénateurs. Le Gouvernement a totalement oublié l'indexation des pensions des retraités, et l'indexation des bases fiscales demeure inchangée...
Le groupe de l'Union centriste votera en faveur de ce projet de loi.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je rejoins Mme Cohen sur la précipitation avec laquelle nous devons nous prononcer. Les gilets jaunes ne sont pas dans la rue depuis quelques jours, mais depuis plusieurs semaines ! Le Gouvernement aurait pu prendre ces mesures plus tôt au lieu d'attendre la veille de Noël. Il n'a pas su écouter, et le travail des parlementaires s'en trouve bousculé : l'Assemblée nationale a fini l'examen du texte à 4 h 30... Nous défendrons cet après-midi des arguments plus politiques. Les Français sont dans la rue pour obtenir du pouvoir d'achat, ce qui passe par la revalorisation des retraites, des salaires et des prestations sociales. Ceux qui sont sur les ronds-points sont des retraités, des femmes seules... Il faut leur répondre. Les mesures ne sont pas à la hauteur de la colère : certains gilets jaunes passeront Noël sur les ronds-points...
Mme Catherine Deroche. - Des usines à gaz comme l'exonération limitée aux primes exceptionnelles versées après le 11 décembre vont, comme l'a souligné Pascale Gruny, créer de nouvelles injustices. Catherine Di Folco m'a signalé le cas d'une association d'accueil pour autistes ayant versé une prime de fin d'année en novembre : les salariés ont l'impression d'être les dindons de la farce !
Voilà que tout le monde salue le revirement de l'exécutif et le chemin parcouru ; mais celui-ci est jalonné de neuf morts, sans parler des blessés, des magasins vandalisés et des pertes économiques majeures. On est passé de l'arrogance, des certitudes et d'une forme de mépris à une comédie compassionnelle et larmoyante du Président de la République. C'est du très mauvais théâtre !
M. Martin Lévrier. - Cette crise ne date pas d'hier, comme à peu près tous les groupes l'ont reconnu ; elle est le produit des trente ou trente-cinq dernières années. Aujourd'hui, il est urgent de réagir, mais, pendant trente-cinq ans, il n'y a pas eu de réaction, en tout cas de cette ampleur !
En très peu de temps, des mesures ont été prises, la plupart sociales, pour aider, notamment, les classes moyennes les plus défavorisées. Elles ne répondent pas à tout, mais notre responsabilité d'élus est à présent d'essayer de progresser.
Le problème, nous l'avons compris, tous ensemble - pas uniquement la droite, la gauche, le centre, La République En Marche ou qui que ce soit. Quand on voit le nombre d'amendements que déposent les députés de la majorité, on ne peut parler de godillots ! Pour redonner du sens au Parlement et au travail parlementaire, il nous faut aussi nous respecter les uns les autres.
Mme Laurence Rossignol. - J'appuie le propos de Mme Cohen sur la place réservée au Parlement. Ce matin, un député de la majorité nous a enjoints de voter le texte conforme. Je dois dire que j'ai été émue de voir un député La République En Marche s'intéresser au travail du Sénat... Reste que de telles injonctions sont assez désagréables.
De cette affaire, le Parlement ne sort pas grandi : l'Assemblée nationale est la chambre d'enregistrement du Gouvernement... et le Sénat devient la chambre d'enregistrement de l'Assemblée nationale. Tout cela n'est pas sain.
Depuis plusieurs jours, on entend dire : la crise ne date pas d'aujourd'hui, elle est là depuis trente ans. Dans son allocution de la semaine dernière, le Président de la République, que les circonstances auraient dû porter à la mesure, n'a pu s'empêcher de donner des coups de griffe à ses prédécesseurs. Mais, dans ce cas, ce ne sont pas trente ans de politiques publiques qui sont en cause : ce sont trente ans d'économie financiarisée. Or, l'économie financiarisée, M. Macron l'adore et veut y convertir la France à marche forcée !
Si le Président de la République se heurte à un mur, c'est parce que notre pays n'est pas prêt à se convertir au modèle néolibéral anglo-saxon. Sous Sarkozy comme sous Hollande, et même si, les uns et les autres, nous n'avons pas tout bien fait, nous avons tout de même un peu résisté à la vague libérale. Aujourd'hui, le Gouvernement essaie de détruire le modèle social français !
Non, la situation n'est pas due seulement au temps accumulé : elle est la conséquence des nombreuses provocations des dix-huit derniers mois.
Mme Catherine Deroche. - Très bien !
Mme Martine Berthet. - Des mesures auraient pu être prises plus tôt. À cause du manque de réactivité du Gouvernement, je crains que celles proposées aujourd'hui ne règlent rien ; les revendications s'accumulent de jour en jour.
Dans les conseils départementaux, nous sommes régulièrement confrontés à la question de l'information des populations sur leurs droits sociaux. Comme M. le rapporteur l'a souligné, nous devrons être très attentifs au taux de recours à la prime d'activité.
Mme Monique Lubin. - Monsieur Lévrier, je sais bien que c'est votre leitmotiv du moment : la situation actuelle est la conséquence des trente-cinq à quarante dernières années. Je ne supporte plus ce discours : au cours des quarante dernières années, des avancées se sont produites, du RSA à la prime d'activité, sans compter les augmentations de salaires !
Pendant sa campagne déjà, le Président de la République a expliqué que tous les partis, tous les politiques étaient les mêmes : les élus n'ayant pas la cote, ce discours a imprégné les esprits. Aujourd'hui, prétendre que l'on paierait quarante ans d'inaction est intolérable. Ce que l'on paie, c'est dix-huit mois de mépris !
M. Jean-Marie Morisset. - Monsieur le rapporteur, vous a-t-on expliqué pourquoi les retraités devront attendre le 1er mai, voire le 1er juillet, pour que leur CSG baisse ? Je m'étonne qu'il faille plusieurs mois pour appliquer un taux à une pension connue. Cette méthode n'est guère opportune, d'autant qu'il faudra déjà expliquer aux retraités que, contrairement à ce qu'ils ont compris à la télévision, on ne leur remboursera pas la CSG de cette année...
Quant à l'augmentation de la prime d'activité - de quatre-vingt-dix euros, si j'ai bien compris -, elle ne se retrouvera pas sur la feuille de paie de janvier, puisque cette prime est versée par les caisses d'allocations familiales.
Entre le message entendu du Président de la République et son application sur le terrain, il y a donc de nombreuses discordances...
Mme Michelle Meunier. - Avant-hier, j'ai été frappée par l'impréparation des deux ministres et le flou de certaines de leurs réponses, s'agissant en particulier des moyens alloués à la CNAF, qui, il faut le souligner, subit une diminution de postes. On nous dit : nous nous occupons d'abord de la mesure, nous verrons ensuite comment l'ajuster. Étonnante méthode... Ce n'est vraiment pas à la hauteur des circonstances !
M. René-Paul Savary. - Ce matin, j'ai entendu à la radio que le Parlement avait définitivement adopté le projet de loi... C'est dire le respect que l'on porte aux chambres !
Ce qui me choque, c'est qu'on choisisse des mesures financées par la dette, donc par l'impôt, déjà considéré comme trop lourd. Faire payer l'amélioration du niveau de vie d'aujourd'hui par les générations futures n'est pas digne d'un banquier. Ce banquier-là, je ne lui confierais pas ma bourse !
Le déficit va atteindre 100 milliards d'euros, tandis que la dette tutoie les 100 % du PIB : est-ce cela que les Français attendent de nous ?
De surcroît, les mesures annoncées ne calmeront rien, parce qu'elles ne traduisent pas les annonces du Président de la République. C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je suis en désaccord avec l'une des dernières phrases de votre rapport, qui devrait être atténuée : « Pour dire les choses clairement, je considère que le Sénat doit contribuer à ce que les annonces faites par le Président de la République puissent rapidement se traduire de façon concrète. »
Dans un esprit de responsabilité, nous pouvons contribuer à ce que s'appliquent les mesures proposées par le Gouvernement, mais en lui laissant la responsabilité de savoir si elles correspondent aux annonces. Je considère que ce n'est pas entièrement le cas, et que nous allons au-devant de lendemains douloureux.
M. Alain Milon, président. - Chacun a sa part de vérité, mais je tiens à rectifier ce qui a été dit sur la position du président du Sénat.
Dans une interview, le président Larcher a annoncé que le Sénat soutiendrait les propositions du Gouvernement, à la suite de l'Assemblée nationale. Celle-ci, d'ailleurs, s'est d'une certaine façon déjugée, puisque le projet de loi est plus proche de la version du projet de loi de financement de la sécurité sociale adoptée par le Sénat que de la sienne...
M. Gérard Dériot. - Tout à fait !
M. Alain Milon, président. - Que les députés rejoignent nos positions est une bonne chose pour le Sénat.
Si le président du Sénat a pris cette position, c'est parce qu'il a conscience de l'urgence actuelle et des difficultés du pays. Je puis vous assurer que M. le rapporteur et moi-même, avec de nombreux autres collègues, en particulier présidents de groupe, avons intensément travaillé avec lui sur ce sujet pendant toute une semaine, pour conclure que, malgré toutes nos réserves, il fallait obtenir un résultat immédiat pour essayer - je dis bien essayer - d'éteindre l'incendie, afin que l'activité économique redémarre. Telle est la position du président du Sénat.
Comme M. Savary, je pense qu'il est trop tard pour céder. Peut-être aurait-il fallu le faire au début de la crise. Le faire maintenant, c'est ouvrir la voie à de nouvelles revendications de la part de professions qui se considèrent comme défavorisées, notamment dans le secteur médical.
Mme Michelle Meunier. - C'est certain !
M. Alain Milon, président. - Malheureusement pour nous, il va falloir répondre à toutes ces demandes, au risque d'aggraver la dette et d'entamer sérieusement l'avenir de notre pays.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Ces mesures risquent, en effet, de ne pas suffire, d'autant que les revendications sont variées. Fallait-il pour autant ne rien faire ? Non : il fallait apporter une réponse, et rapidement.
On peut tout de même considérer que des satisfecit, certes partiels, peuvent être adressés au Gouvernement, même s'il est exact, monsieur Savary, qu'il y a certains décalages entre les mesures prises et les formulations du Président de la République, s'agissant notamment du SMIC.
J'ai entendu le terme « injustice ». Évidemment, le salarié moyen préférerait toucher 100 euros payés par l'entreprise... Mais toutes les entreprises ne seraient pas en mesure de les verser, notamment dans le secteur des aides à la personne.
Il est vrai, monsieur Daudigny, madame Gruny, que certaines mesures aggraveront les injustices entre salariés d'entreprises différentes. Peut-être y aura-t-il des déçus, mais ce n'est pas une raison pour ne rien faire.
S'agissant de la prime exceptionnelle, je précise que son exonération sera totale. En revanche, les heures supplémentaires seront seulement défiscalisées et exonérées de cotisations sociales ; elles resteront soumises à la CRDS.
Madame Cohen, les gilets jaunes revendiquent, en effet, plus de justice sociale, mais il est faux de dire qu'on distribuerait des cadeaux aux plus fortunés.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Et le CICE ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Le Sénat ne se couche pas : au contraire, il y a eu, pour une fois, un dialogue entre l'Assemblée nationale, le Gouvernement et notre assemblée, ne serait-ce que pour le choix du véhicule législatif. Prime d'activité ou hausse du SMIC ? Là aussi, il y a eu débat.
Cette prime étant un peu une usine à gaz, il ne serait pas inintéressant que nous nous penchions de manière plus approfondie sur son fonctionnement.
On aurait pu aller plus vite et mieux anticiper : vous l'avez tous signalé, et c'est incontestable. Le risque est de ne pas arriver à éteindre l'incendie, parce qu'on s'y prend trop tard. Oui, madame Apourceau-Poly, le Gouvernement aurait pu écouter plus tôt. Mais, aujourd'hui, faisons preuve de responsabilité pour ne pas prolonger encore les délais de réaction.
Madame Fournier, vous avez raison : certaines des mesures de ce projet de loi ont déjà été votées par le Sénat. Sur la CSG, nous proposions même d'aller beaucoup plus loin.
S'agissant de la prime exceptionnelle, madame Deroche, elle ne sera pas exonérée dans le cas dont vous parlez.
Madame Rossignol, c'est l'Assemblée nationale qui doit aujourd'hui se mordre les doigts de ne pas avoir su écouter ce que, tous, nous avons entendu. Aujourd'hui, elle se déjuge en quelque sorte. Va-t-on vers un modèle anglo-saxon ? Nous sommes là pour en discuter.
M. Alain Milon, président. - Je pense que oui, et je suis contre.
M. Yves Daudigny. - Nous sommes d'accord sur ce point.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - La France n'est ni un pays anglo-saxon ni un pays latin. Elle a une originalité à défendre dans son modèle social : un équilibre entre l'État, qui s'occupe des plus fragiles, et la sécurité sociale, qui a une vocation assurancielle au bénéfice de l'ensemble des Français. Nous devons maintenir cet équilibre et ne pas laisser la dérive s'opérer sous nos yeux.
M. Alain Milon, président. - Cela suppose de contrôler Bercy...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Je suis bien d'accord.
M. Yves Daudigny. - C'est mal parti !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - S'agissant du recours à la prime d'activité, madame Berthet, nous avons demandé à Mmes Pénicaud et Buzyn d'agir le plus vite possible.
M. Martin Lévrier. - L'Assemblée nationale a adopté un amendement qui avance l'échéance du 1er juillet au 1er mai.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - C'est exact, et je l'ai approuvé quand on me l'a soumis. Je dois dire que, pour une fois, un dialogue très suivi s'est établi, heure par heure, entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Pourvu que ça dure...
Mme Catherine Deroche. - C'est vraiment qu'il y avait panique à bord...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Madame Lubin, on ne peut pas dire que rien n'a été fait par le passé, mais cela n'a pas suffi.
Monsieur Morisset, j'ai posé la même question que vous sur le délai de cinq mois pour la CSG. Je n'ai pas eu le sentiment d'obtenir une réponse satisfaisante. C'est technique, me dit-on...
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Quand il s'agit de prendre, ça va tout seul !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Je veux bien comprendre qu'il y ait des difficultés pratiques, mais pourquoi faut-il attendre cinq mois ? Nous poserons à nouveau la question.
M. René-Paul Savary. - Monsieur le rapporteur, si vous voulez modifier la phrase du rapport que j'ai citée, ne vous gênez pas...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur. - Je la modifie : il sera question des annonces faites non par le Président de la République, mais par le Gouvernement, en réponse au Président de la République.
M. René-Paul Savary. - Je vous remercie.
M. Alain Milon, président. - La commission n'a été saisie d'aucun amendement.
Le projet de loi est adopté sans modification.
M. Alain Milon, président. - Si des amendements sont déposés en vue de la séance publique, notre commission les examinera à l'issue de la discussion générale.
Mme Laurence Cohen. - L'article 48 alinéa 3 du règlement du Sénat dispose que « les amendements sont recevables s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou, en première lecture, s'ils présentent un lien, même indirect, avec le texte en discussion ». Les nôtres ont justement trait au financement des mesures d'urgence.
M. Alain Milon, président. - C'est avec le texte lui-même que les amendements doivent être liés, non avec son intitulé.
Mme Laurence Cohen. - Cela se discute...
M. Alain Milon, président. - J'appliquerai quoi qu'il en soit le règlement du Sénat à la lettre.
Nomination de rapporteurs
Mme Pascale Gruny et M. Stéphane Artano sont nommés rapporteurs de la mission d'information relative à la santé au travail.
La réunion est close à 12 h 05.
Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 25.
La commission donne un avis défavorable à la motion n°15, déposée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
La réunion est close à 16 h 30
Projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales - Examen des amendements de séance
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La séance est ouverte à 18 heures.
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 18 h 20.