- Mercredi 12 décembre 2018
- Jeudi 13 décembre 2018
- Impact de l'éventuelle instauration d'un bonus-malus sur les contributions patronales à l'assurance chômage - Présentation par l'Observatoire français des conjonctures économiques de l'étude demandée par la délégation aux entreprises
- Proposition de loi visant à sécuriser l'exercice des praticiens diplômés hors Union européenne - Examen du rapport et du texte de la commission
- Nomination d'un rapporteur
Mercredi 12 décembre 2018
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Rôle des centres hospitaliers universitaires dans l'offre de soins - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir ce matin la sixième chambre de la Cour des comptes en la personne de son président, M. Denis Morin, de M. Christophe Strassel, conseiller maître, et de M. Noël Diricq, conseiller maître, président de section, pour la présentation du second volet de l'enquête demandée à la Cour, en application de l'article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières, sur le rôle des centres hospitaliers universitaires (CHU) dans l'offre de soins.
Le premier volet, consacré à l'activité de recherche et de formation des CHU, a été présenté à la commission en janvier dernier. Ce second volet est consacré à l'activité de soins.
À l'approche du soixantième anniversaire de la création des CHU par les ordonnances Debré, cette demande d'enquête est née d'observations de terrain et d'une intuition : si la création des CHU a permis une réelle mutation de l'hôpital en France, le faisant passer, pour le dire un peu rapidement, de l'hospice à un véritable lieu de soins à la pointe des techniques, il me semblait que ces établissements glissaient de plus en plus sur le segment des centres hospitaliers, c'est-à-dire sur celui des activités de proximité.
De fait, les situations et les modèles sont très divers.
Quoi de commun, en effet, quant à la taille et à l'organisation, entre l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont nous avons entendu le directeur général la semaine dernière, et le CHU de Pointe-à-Pitre, même relevé de l'incendie qui l'a dévasté, que nous avons visité lors de notre dernière mission ?
Les CHU, cependant, partagent au moins une exigence : celle de rechercher la qualité et l'excellence que nous devons à nos concitoyens.
Alors qu'une loi devrait prochainement se pencher sur les études universitaires et sur l'organisation territoriale de la santé, je ne doute pas que l'enquête demandée à la Cour constituera une contribution précieuse à la réflexion et à l'action des membres de notre commission. J'ai lu ce rapport avec attention ; il m'a un peu bousculé.
M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Je suis accompagné de M. Noël Diricq, président de la troisième section de la sixième chambre, qui traite notamment des établissements de santé et des établissements médico-sociaux, et de Christophe Strassel, conseiller maître, qui a piloté ce deuxième volet de l'enquête.
Il était particulièrement opportun de nous demander de réfléchir au rôle des CHU, sujet essentiel dans l'organisation du système de santé ; le Gouvernement, parallèlement, a demandé à l'ensemble des conférences compétentes de fournir un rapport sur ce thème à l'occasion du soixantième anniversaire des ordonnances Debré. Je vais donner quelques éléments de synthèse sur nos réflexions relatives à l'offre de soins, puis, monsieur le président, je répondrai aux questions que vous m'avez adressées.
J'irai d'emblée à l'essentiel : que proposons-nous ?
Nous ne proposons pas de supprimer des CHU. L'esprit de géométrie aurait pu nous dicter le raisonnement suivant : les CHU devraient coïncider avec les nouvelles grandes régions de la réforme territoriale. Mais cette voie nous a semblé totalement sans issue : quel établissement pilote choisir, par exemple, dans le Grand Est ? Dans certaines régions, Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, chaque CHU a sa spécificité - et je ne suis pas certain que la suppression du plus petit des établissements de cette région, celui de Saint-Etienne, rendrait beaucoup service à l'organisation du système de santé dans le département de la Loire, qui présente un certain nombre de faiblesses que le CHU contribue à compenser. Il n'est pas utile, donc, de se lancer dans des débats de ce type.
En revanche, nous proposons de structurer l'ensemble des 41 structures juridiques concernées, hors AP-HP, en 8 à 10 grands réseaux, un peu à l'image des coopérations qui existent déjà aujourd'hui dans le cadre de GCS (groupements de coopération sanitaire) - je pense notamment au réseau Hugo, qui regroupe un certain nombre de CHU de la partie occidentale du pays. Cette proposition est le point de convergence permettant de traiter les difficultés discernées dans le fonctionnement des CHU en matière tant de formation et de recherche que d'accès aux soins. Il s'agit donc du moyen de réunir les deux volets distincts qui ont été étudiés par la Cour.
Quelles sont les principaux constats qui nous conduisent à formuler cette proposition ? Le premier constat est celui de l'hétérogénéité des CHU en matière d'offre de soins. Vous l'avez dit, monsieur le président : quoi de commun entre l'AP-HP, dont les ressources totales s'élèvent à un peu plus de 7 milliards d'euros, les CHU intermédiaires, à commencer par les HCL (hospices civils de Lyon) et l'AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), et de très petits CHU, dont les budgets sont beaucoup plus faibles - Pointe-à-Pitre, 300 millions d'euros, ou Nîmes, 450 millions d'euros ? En même temps, hétérogénéité ne veut pas forcément dire difficultés.
Si l'on entre dans le détail de ce que font ces organismes, des prises en charge qu'ils assurent, l'hétérogénéité est encore plus frappante, entre des établissements qui couvrent tout le spectre des GHM (groupes homogènes de malades) et d'autres qui n'en couvrent qu'une partie, entre des établissements qui sont impliqués dans les activités d'expertise et de recours - c'est ce qu'on attend d'un CHU : l'excellence et la prise en charge de pathologies rares et d'actes difficiles - et d'autres, une très grande majorité, dont le « case-mix » les rapproche des gros CH (centres hospitaliers). Quand on compare par exemple le CHU de Grenoble et les CH de Chambéry et d'Annecy, il n'y a pas photo : en termes de rôle dans l'organisation du système de santé et même de qualité de la prise en charge, les deux CH sont nettement supérieurs au CHU.
Dans cet ensemble de CHU, on trouve donc des choses extrêmement disparates. Ce constat de l'hétérogénéité du système CHU avait déjà été mis en évidence, dans le premier volet qui vous a été remis l'an dernier, en matière de recherche : hétérogénéité, donc dispersion des moyens, donc, s'agissant de la recherche, absence de visibilité internationale, ce handicap étant le résultat direct de l'hétérogénéité.
Le premier chapitre de notre rapport contient un ensemble d'éléments extrêmement précis et documentés, qu'on retrouve dans peu de productions. On entend souvent, par exemple, que les CHU prendraient en charge des pathologies beaucoup plus sévères, ce qui serait facteur de surcoûts. C'est inexact : quand on compare les malades pris en charge, on constate que les taux de sévérité sont tout à fait comparables dans les CHU et dans les CH. Ce n'est donc pas un élément discriminant.
S'agissant de ce qui constitue aujourd'hui l'une des difficultés majeures de notre système de soins, la prise en charge des personnes âgées polypathologiques - elle ne se fait ni dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), qui sont insuffisamment médicalisés, ni en ville, naturellement -, nous avons établi que les CHU avaient un comportement d'éviction des personnes âgées : peu de personnes âgées de plus de 85 ans y sont prises en charge ; ce sont les CH qui assument cette fonction de façon massive. À l'inverse, compte tenu du régime des autorisations, on observe une surprésence des jeunes enfants dans les CHU, ce qui tient notamment au fait que les services de pointe en néonatologie se trouvent avant tout dans ces établissements.
Nous avons visité sept CHU, hors AP-HP ; nous avons procédé à des auditions systématiques avec des responsables de CHU et de CH ; nous avons travaillé sur l'ensemble des bases de données de santé pour offrir une information précise et documentée. Le premier de nos constats, donc, est celui de l'hétérogénéité des CHU, dont beaucoup se rapprochent en réalité des CH. Ce constat, parmi d'autres, nous permet de dire que le modèle CHU s'essouffle - c'est le mot que nous avons retenu après de longues discussions : « crise » eût pu faire l'affaire, mais ce terme est un peu galvaudé ; « difficulté » eût été un peu faible ; nous avons donc parlé d' « essoufflement », sachant que nous ne proposons absolument pas de remettre en cause la trilogie des missions exercées par les CHU : soin, formation, recherche. Le lien fait entre ces trois missions nous semble extrêmement puissant ; c'est une marque de fabrique de notre système de santé, et un point fort, et non faible. Nos propositions visent donc à le conforter.
Deuxième chapitre du rapport, et deuxième élément d'essoufflement : la situation financière de ces établissements. Cette situation est caractérisée par des déficits récurrents, permanents depuis 2011, et qui se sont très fortement aggravés en 2017, comme d'ailleurs s'est aggravée la situation financière de l'ensemble des CH. Nous n'avons pas d'explication - et je crains que le ministère n'en ait pas non plus - à ce trou d'air dans l'évolution de l'activité du secteur public hospitalier, après des années de dynamisme où ledit secteur reprenait des parts de marché dans le domaine de l'hospitalisation. En particulier, le déficit de l'AP-HP, presque 200 millions d'euros en 2017, s'explique par l'attrition de l'activité, alors que, par exemple, et pour une raison que nous n'expliquons pas bien, les Espic (établissements de santé privés d'intérêt public), en région parisienne, sont extrêmement dynamiques - Saint-Joseph a vu son activité progresser de 6 %.
Je rappelle le déficit considérable observé en 2017 sur le segment des CHU : plus de 400 millions d'euros. Qui dit déficit durable dit lourd endettement, et incapacité à faire face aux investissements. Autant beaucoup a été fait, à l'occasion des plans de 2007 et de 2012, pour moderniser le parc des CH, autant les CHU n'ont pas beaucoup émargé à cette manne. Aujourd'hui, quand les malades se déplacent dans les CHU, ils disent tous que le compte n'y est pas.
Quelle est selon nous l'explication de ce déficit récurrent des CHU ? De notre point de vue, l'explication n'est pas à rechercher du côté de la T2A, la tarification à l'activité. En dépit de données fragiles, nous avons tenté de comparer les tarifs et les coûts moyens, pathologie par pathologie, sur un groupe de pathologies représentatif du case-mix des CHU. Nous avons observé que les CHU n'étaient pas pénalisés par la T2A, en tout cas pas plus que les CH : l'explication du déficit récurrent des premiers n'est donc pas à rechercher dans le fonctionnement de la T2A, dont le poids dans la tarification des CHU est de 55 %.
Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement, au titre des mesures « Ma Santé 2022 », a annoncé son intention de faire converger le financement de l'ensemble des segments de notre système de santé, y compris la médecine libérale, vers une structure dans laquelle l'acte représenterait 50 % des ressources, le reste étant constitué de contributions forfaitaires. Dans le secteur hospitalier, on a l'habitude de ce mix : à la tarification à l'activité répondent des dotations d'intérêt général, notamment les dotations de financement des Migac (missions d'intérêt général d'aide à la contractualisation), et en particulier des Merri (missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation).
Pour ce qui est du fonctionnement des dotations forfaitaires, la masse des concours publics a globalement augmenté sur la période 2011-2017, étant entendu qu'une partie de ces dotations a été orientée, en 2014, vers le FIR (fonds d'intervention régional), cet instrument original - notre système administratif est plutôt connu pour ses cloisonnements - à disposition des ARS (agences régionales de santé) qui couvre l'ensemble de leurs compétences et permet une fongibilité, dans des limites posées par le législateur, entre les différents segments de notre système de santé. Cette masse, donc, n'a cessé de croître.
Nous nous interrogeons en revanche sur le fonctionnement des dotations Merri, qui financent la recherche dans les CHU, mais aussi, désormais, dans les CH et dans certains établissements privés. L'extension du champ des établissements éligibles aux Merri, à enveloppe constante, réduit mécaniquement le droit de tirage de chacun : dans ce nouveau schéma, les CHU se sont vus privés d'un certain nombre de ressources.
Deux approches sont possibles : on peut arguer de l'existence de critères d'attribution des Merri pour dire qu'il ne tient qu'aux CHU de s'améliorer, l'extension de ces dotations hors du champ des CHU révélant que la recherche n'y est pas nécessairement plus efficace que dans d'autres structures. À l'inverse, on peut plaider pour le retour à une vision moins dispersée, plus centrée sur les CHU, car c'est là qu'est l'excellence de la recherche. Nous ne tranchons pas nettement entre ces deux approches, mais nous appelons à une révision des critères d'attribution des Merri - à vrai dire, ce message n'est pas particulièrement original.
Ce n'est donc pas dans la façon dont le ministère a géré les dotations d'intérêt général qu'il faut rechercher la cause principale des difficultés financières des CHU, mais plutôt dans l'évolution de leurs charges : de 2011 à 2017, les charges ont augmenté plus rapidement que les produits, sans que la sévérité des affections des patients pris en charge ne le justifie - or, les lois de l'arithmétique résistant encore et toujours à la mise en doute généralisée de tout, on peut affirmer, de manière à la fois consensuelle et solennelle, que des déficits s'ensuivent nécessairement d'une telle asymétrie. Nous avons y compris observé que, s'agissant des dépenses hors soins, la dynamique d'augmentation des charges a été beaucoup plus forte dans les CHU que dans les CH, sans raison particulière.
Nous avons également noté que la productivité était globalement plus faible dans les CHU que dans les CH. Les CHU sont loin d'être les plus performants, et, encore une fois, nous n'avons pu trouver de raisons pour le justifier. En particulier, la productivité n'est pas bonne aux deux extrémités du segment, dans les plus petits et dans les plus grands CHU. Elle est notamment très médiocre à l'AP-HP.
Bien entendu, certaines choses échappent à la maîtrise des gestionnaires : les grands plans catégoriels décidés par l'État - je pense notamment au plan PPCR (« Parcours professionnels, carrières et rémunérations ») -, auxquels s'ajoutent des plans catégoriels spécifiques au monde de la santé, impactent la dynamique des charges, y compris médicales. Ces charges sont automatiques, contraintes ; dans une certaine mesure, elles traduisent soit l'amélioration de la situation catégorielle des personnels, qui peut être considérée comme souhaitable, soit la mise à disposition des patients de traitements innovants, particulièrement coûteux - je pense notamment au traitement de l'hépatite C.
Une partie des charges sont donc automatiques, à l'image de ce qui se passe pour les budgets locaux : quand l'État prend des décisions qui impactent l'ensemble des fonctions publiques, y compris la fonction territoriale, ces décisions s'imposent à l'ensemble des exécutifs locaux.
Voici pour le deuxième chapitre : un déficit préoccupant, élément de fragilité et facteur d'essoufflement. Conclusion : il faut renforcer la capacité à maîtriser les charges. Martin Hirsch nous a par exemple annoncé que, vu la situation financière où se trouve l'AP-HP, le taux d'évolution de la masse salariale serait nul au cours des quatre prochaines années. Un magistrat verra sans doute dans un tel engagement la promesse d'une amélioration de la productivité ; mais cette annonce veut dire aussi qu'on supprime de l'emploi, ce qui pose d'autres questions.
Ceci dit, certains établissements, les HCL par exemple, ont vu pendant plusieurs années leur masse salariale gelée, et ont fini par sortir d'une situation financière qui était, en 2010, extrêmement fragile. Ils ont ainsi pu recouvrer leur capacité à investir, donc à se développer et à embaucher. Des mesures d'urgence sont donc parfois nécessaires, mais en même temps porteuses d'un développement ultérieur.
Je passerai rapidement sur le troisième chapitre, qui a trait à la qualité. Nous avons été frappés des faibles performances des CHU en matière de certification. La certification ne porte pas sur la qualité médicale des établissements, mais sur la qualité et la sécurité de la prise en charge au sens large, la traçabilité des informations par exemple, le lien entre hôpital et ville, qui est très perfectible. Il y a quelques années, quand la Haute Autorité de santé (HAS) portait ses pas dans les CHU et menaçait d'une mauvaise note, c'était considéré comme attentatoire ; aujourd'hui, beaucoup de CHU qui étaient mal classés en termes de certification ont engagé des efforts pour améliorer leur notation. Globalement, donc, les choses ont tendance à s'améliorer, mais on part d'assez loin. Je note d'ailleurs que, dans de nombreux territoires, le CHU est loin d'être le mieux classé - les CH, eux, sont souvent certifiés sans réserve.
Dernier point : le rôle territorial des CHU. Je rappelle notre proposition : constituer des réseaux de CHU. Les CHU, dans beaucoup de régions, vivent dans une sorte de splendide isolement ; ils se conçoivent comme le lieu de l'excellence, jugement qui doit être nuancé, et ils ont beaucoup de difficultés à nouer des partenariats avec les autres acteurs du système de santé. Or de tels partenariats nous semblent absolument indispensables. Notre idée n'est donc pas de faire une croix sur les établissements les plus petits et les plus fragiles, mais d'amener ceux-ci à travailler en coopération les uns avec les autres, dans le cadre de huit réseaux. Tel est le moyen, selon nous, de trouver des complémentarités, sources d'efficacité, en matière de formation et de recherche, et d'entrer dans une vraie logique de gradation des soins - l'adressage des patients, aujourd'hui, se fait indépendamment de cette logique de gradation, à laquelle réfléchissent pourtant les régulateurs des systèmes de santé de la plupart de nos voisins.
Il s'agit également de regrouper un certain nombre de moyens de recherche pour leur donner une plus grande visibilité internationale. Dans les classements internationaux, année après année, nous perdons des places. Que la Chine nous passe devant, c'est dans l'ordre des choses ; que l'un de nos voisins européens nous devance, c'est moins acceptable.
Je précise qu'il nous a semblé que cette idée de réseaux de CHU n'était pas révolutionnaire, et qu'elle était au contraire susceptible de faire converger un certain nombre d'acteurs.
Il faut aussi revoir la façon dont les CHU tissent des liens avec d'autres établissements de santé, publics ou privés - le secteur privé n'est nulle part dans le viseur du régulateur, ce qui est dommage. À l'occasion notamment des réflexions sur les projets de santé en région, le rôle des CHU doit être davantage affirmé. Les ARS doivent davantage s'appuyer sur eux ; et, là encore, selon la logique d'une gradation des soins, des coopérations entre CHU et CH, et en particulier entre CHU et GHT (groupements hospitaliers de territoire), doivent être tissées. Il y a des conventions à signer, des partenariats à organiser ; ce travail est pour l'instant assez balbutiant.
Mme Catherine Deroche. - Je partage l'avis d'Alain Milon : ce rapport nous donne des indications tout à fait intéressantes.
Pour ce qui concerne les difficultés financières et la baisse de l'activité en 2017, nous avons vu, en travaillant sur le PLFSS, que le distinguo entre l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de ville et Ondam hospitalier posait des difficultés, et que les sommes dues par l'assurance maladie n'étaient parfois jamais récupérées par les hôpitaux.
S'agissant de la productivité, la Cour des comptes a-t-elle étudié l'impact de la réduction du temps de travail dans les services hospitaliers, en termes d'organisation des ressources humaines notamment ? Par ailleurs, lors du débat sur le PLFSS, les fédérations hospitalières se sont plaintes de la désorganisation des transports inter-établissements.
Concernant les GHT, je n'ai pas senti les acteurs privés favorables à l'idée d'intégrer un réseau piloté par un établissement public : le privé a, sur le territoire, sa propre organisation.
Quant à la disparité d'un CHU à l'autre, elle est en effet étonnante. J'ai été surprise de constater que la productivité et même la qualité de recherche étaient moindres dans certains CHU que dans des CH.
En travaillant, avec Yves Daudigny et Véronique Guillotin, sur l'accès précoce à l'innovation en matière de médicament, nous avons vu les difficultés des CHU pour répondre au développement de l'innovation dans le traitement de certaines pathologies, en cancérologie notamment, par les systèmes de la « liste en sus », des tests « compagnons » ou du RIHN (référentiel des actes innovants hors nomenclature). Avez-vous travaillé sur ces spécificités de tarification et de financement dans le domaine de l'innovation ?
M. Denis Morin. - S'agissant de la régulation de l'Ondam, nous avons très clairement dit que la régulation par le gel des dotations forfaitaires destinées aux établissements hospitaliers n'était pas durable : elle crée trop de contraintes, alors que l'enveloppe des soins de ville, elle, dérape. Si un tel déplacement des financements était la traduction du virage ambulatoire, il serait acceptable, mais tel n'est pas du tout le cas.
Le respect de l'Ondam est une préoccupation majeure, absolue, de la Cour des comptes. Si l'on ne régule pas l'Ondam par le gel des dotations hospitalières, il faut donc trouver un autre moyen de le faire, c'est-à-dire ouvrir le dossier de la régulation de l'enveloppe des soins de ville, ce qui n'est pas un chantier facile. Sur les 80 milliards d'euros de dépenses de soins de ville, une vingtaine de milliards sont couverts par d'efficaces accords prix-volumes ; pour le reste, tout est à construire.
La réponse trouvée en matière de transports sanitaires, via leur internalisation dans les budgets hospitaliers, va dans le sens de la régulation. Mais ce n'est pas simple ! Il faut faire des économies, certes, mais les dépenses augmentent continuellement. Et, si régulation il y a, il faut la faire remonter jusqu'à l'activité du médecin généraliste de premier recours ; or, on le sait, la réforme de 1996 a buté sur la sanction constitutionnelle de tels dispositifs de régulation.
Je récapitule le point de vue de la Cour : premièrement, respect absolu de l'Ondam; deuxièmement, attention à la pression excessive et indifférenciée sur tous les établissements hospitaliers qu'exerce le gel des dotations forfaitaires ; troisièmement, il faut donc construire des dispositifs de régulation propres à la médecine de ville.
Quant à la RTT, ce sujet est derrière nous, même si le problème de l'organisation du travail dans les établissements hospitaliers se pose bel et bien dans le cadre du dialogue social.
Pour ce qui concerne les GHT, je précise que nous contrôlons les cliniques privées, le législateur nous ayant accordé, dans la loi de modernisation de notre système de santé, cette compétence intéressante et nouvelle pour nous.
Nous avons contrôlé, l'année dernière, seize cliniques privées. Nous avons été frappés par le fait qu'elles se vivent en situation de concurrence radicale par rapport au système public, et ne recherchent pas les complémentarités. L'idée de partenariats public-privé - on parle de « bloc partagé » -, quoique devenue tarte à la crème, est évidemment très bonne, mais elle n'a connu aucune espèce de commencement de réalisation. Je comprends que l'on pousse à l'intégration de cliniques privées dans des GHT ; nous avons pourtant constaté, en contrôlant par exemple la polyclinique de Limoges - bien que privée, elle remplit un rôle fondamental sur son territoire -, qu'y dominait une ambiance de concurrence dommageable, et contre-intuitive du point de vue du patient. Mais il y a, de toute façon, des coopérations possibles.
Je vais maintenant répondre aux questions qui m'ont été adressées par M. Milon. Les deux volets de l'enquête se recoupent-ils ? De notre point de vue, ils convergent vers l'idée de la mise en place progressive de réseaux de CHU. Nous avons laissé ouverte la question de savoir s'il était préférable de promouvoir des réseaux organisés autour d'un établissement pilote ou des réseaux où se noueraient des partenariats entre égaux. Si un réseau se constitue entre Lyon, Clermont, Saint-Étienne et Grenoble, un établissement pilote se dégagera naturellement - il s'agira évidemment des HCL, sans préjuger de la capacité de ce centre à jouer un rôle d'entraînement tout en étant capable de discuter d'égal à égal avec d'autres établissements plus petits. À l'inverse, Hugo fonctionne aujourd'hui sur une base beaucoup plus partenariale, entre des CHU comparables : un leader ne se dégage pas forcément. Nous avons donc voulu laisser ces options ouvertes, en fonction des nécessités des territoires.
Deuxième question : quels seraient les leviers d'une coopération efficace entre la ville et l'hôpital ? Le premier levier, c'est l'adressage des patients : si l'on est capable d'expliquer à une parturiente qu'il est inutile qu'elle accouche dans un CHU, parce qu'on a au préalable identifié, au fil de son suivi, qu'il n'y avait pas lieu d'attendre quoi que ce soit d'indésirable, alors cette logique d'adressage doit pouvoir être généralisée à d'autres types de prise en charge - dans certaines régions, les réseaux fonctionnent déjà de cette façon.
Quant aux liens entre ville et CHU, ils existent notamment à travers la formation initiale - les internes doivent accomplir en ville une partie de leur parcours. On peut aussi se poser la question de savoir quel rôle le CHU pourrait jouer en matière de formation médicale continue. C'est un sujet sensible, sur lequel les institutions dédiées ne remplissent pas vraiment leur office. Il existe, en la matière, une réticence des médecins eux-mêmes, mais on pourrait imaginer que les CHU s'impliquent dans ce dossier.
Quant au sujet des GHT, je ne pense pas que le CHU puisse être un élément de la structuration du « premier recours ». Si l'hôpital s'éloigne un peu - raisonnablement - des patients, il faut être capable d'ouvrir de nouvelles portes de proximité dans les territoires, correspondant à une prise en charge de qualité. Les instruments que sont les GHT et les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé), notamment, répondent bien à cette vision, y compris via la labellisation d'un certain nombre d'hôpitaux locaux ou de maisons de santé pluriprofessionnelles.
À travers le jeu de partenariats et de conventions, le CHU, lui, peut parfaitement innerver d'autres structures de soins dans les territoires. Nous défendons ainsi l'idée, qui n'est pas consensuelle, d'attribuer des valences universitaires à certains services qui, au sein de CH, sont particulièrement reconnus en matière de recherche. Ainsi, Annecy est pointu en neurochirurgie ; une valence universitaire pourrait très bien lui être accordée en partenariat avec le CHU de Grenoble.
Troisième point : le mode de financement. Je ne sais pas ce que le ministère proposera pour renforcer, dans le financement des établissements, la part des dotations forfaitaires répondant à des contraintes de qualité et de pertinence des soins ; quoi qu'il en soit, l'inflation d'un certain nombre d'actes dans un système où la T2A est majoritaire est un sujet de préoccupation légitime. De ce point de vue, les annonces de « Ma Santé 2022 » me paraissent aller dans le bon sens. Comment les CHU y sont-ils préparés ? Il faut promouvoir tout ce qui peut les inciter à améliorer la qualité - on a vu que des marges de progrès existaient.
Par ailleurs, on ne peut pas éluder la question de l'insuffisante attractivité du statut des personnels hospitalo-universitaires. Il y a une réflexion à mener là-dessus, cette compétence étant partagée entre la sixième chambre et la troisième chambre. Dans l'organisation actuelle de notre système de santé, l'idée qu'un professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) peut indistinctement remplir des missions de formation, de recherche, de soins, fonctionne difficilement. Les PU-PH que nous avons auditionnés nous disent d'ailleurs qu'eux-mêmes ne se vivent pas selon cette logique ternaire, sinon dans le temps. Ils s'investissent dans ces trois champs, mais de façon séquencée, et non simultanée.
Cette perte d'attractivité du statut se mesure par un indicateur, celui des démissions de PU-PH : elles augmentent. Certains PU-PH commencent leur carrière en CHU, y acquièrent une notoriété parfois étonnante, et, dans un second temps, vont exercer dans des cliniques privées, où la pratique du dépassement d'honoraires est un peu plus marquée - c'est le moins qu'on puisse dire. De tels parcours existent ; nous l'avons constaté au cours de nos contrôles.
Sans pour autant considérer le système privé comme un modèle, nous avons aussi noté la souplesse des règles de gestion du personnel dans les cliniques privées en regard des rigidités du statut, lesquelles sont aussi le reflet de garanties apportées aux personnels. Le modèle qui consiste à fonctionner avec des contrats de travail d'un jour est-il pertinent ? De tels contrats, évidemment, permettent de gérer les pointes d'activité et d'augmenter la profitabilité ; mais ils ne correspondent pas à ma vision de ce que doit être la gestion du social dans notre pays.
Cinquième question : quid de l'évolution des charges ? Il faut faire le départ entre les charges contraintes et celles qui ne le sont pas. Où est le décideur, en matière de charges ? Pour ce qui est des charges maîtrisables par les gestionnaires de ces établissements, le dialogue avec le régulateur régional me paraît le bon niveau. En la matière, des progrès peuvent être faits, et la mise en place des GHT, à travers les mutualisations qu'elle peut stimuler, est de nature à aider à mieux maîtriser les charges.
Enfin, les échanges que nous avons eus avec la mission sur le « CHU de demain » sont multiples. Loin de nous cantonner à notre tour d'ivoire, nous avons testé plusieurs de nos pistes et procédé à diverses auditions d'acteurs, y compris de terrain.
Mme Victoire Jasmin. - Certains surcoûts sont liés à la certification et à l'accréditation des hôpitaux : il faut répondre à des référentiels, respecter des normes ; beaucoup d'établissements n'obtiennent pas de certification parce que changer d'équipements est coûteux.
Votre comparaison entre les CHU et les autres établissements ne me paraît pas tenir compte du fait que la plupart des CHU doivent composer avec des surcoûts nécessaires à leur fonctionnement - je pense aux services d'imagerie ou aux laboratoires de biologie. Je mentionnerai également l'activité des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) et tout ce qui a trait aux examens systématiquement menés dans les CHU en matière de surveillance de l'environnement des patients.
Vous avez évoqué la sous-représentation des personnes âgées dans les CHU ; mais celle-ci relève parfois de choix pertinents destinés à protéger les patients contre les infections nosocomiales : il ne s'agit pas forcément d'évincer ce genre de malades.
Je fais observer, par ailleurs, que les contrats en matière d'équipements sont de plus en plus des contrats d'exclusivité ; cela génère également des surcoûts. Les CHU, qui doivent respecter certaines normes, n'ont pas forcément le choix.
Concernant l'accès à l'innovation thérapeutique, enfin, des efforts restent à faire, en matière par exemple de traitement du diabète.
M. Michel Amiel. - Votre constat est largement partagé : le déficit s'aggrave.
Je parlerai de ce que je connais le mieux, à savoir l'AP-HM, dont la situation est aujourd'hui assez catastrophique. En attendant la restructuration des réseaux, comment concevez-vous la période de transition ? Aujourd'hui, l'AP-HM ne peut plus investir ; il faut vraiment avoir envie d'accoucher à la maternité de la Conception ! Elle est insalubre - n'ayons pas peur du mot. Faute de moyens, il est impossible de la reconstruire. Et, de toute façon, on ne peut pas faire tabula rasa : pendant les travaux, le bal continue !
Le blocage semble donc complet. J'ai assisté, depuis quarante ans, à la dégradation considérable de l'hôpital public ; pendant mes dernières années d'exercice, j'envoyais mes patients vers le privé, faute d'un accueil convenable dans le public. Vous avez parlé d'une productivité médiocre en disant qu'elle n'était pas imputable à la T2A ; en même temps et par ailleurs, vous semblez plaider pour une tarification au parcours de soins. Que fait-on, dans les années qui viennent, en attendant le grand soir de la restructuration des CHU ?
M. Dominique Théophile. - Les CHU sont hétérogènes, en effet. Ne serait-il pas souhaitable de distinguer les deux CHU des Antilles ? En Martinique comme en Guadeloupe, le coefficient géographique, qui atteint 27 % - et 30 % à La Réunion - pose problème. Lorsque je présidais la fédération des hôpitaux de Guadeloupe, j'ai signalé les problèmes de financement. Depuis les années 1980, les CHU de Guadeloupe et de Martinique ont été des amortisseurs sociaux, ce qui a pu gonfler leurs effectifs et creuser leurs déficits. Pour construire un nouveau CHU, on a demandé au CHU de Pointe-à-Pitre de revenir à l'équilibre, ce qui imposerait au moins de ramener le déficit à zéro : impossible ! Votre rapport devrait expliquer que ces CHU ont un déficit structurel, que leur capacité d'autofinancement est négative, et détacher les dépenses structurelles de celles qui peuvent diminuer dans le cadre d'un plan de performance. Leur taux d'activité, aussi, est encore trop faible, et ne pas les traiter à part fausse la moyenne nationale. Le CHU de Pointe-à-Pitre est comparable à celui de Limoges. Pourtant, le décalage en termes de PUPH est immense. Même remarque pour les missions d'intérêt général. Les urgences non plus ne sont pas au même niveau - et nos CHU font parfois de la recherche sur des pathologies spécifiques, comme la drépanocytose. Votre rapport devrait énoncer pour eux des préconisations spécifiques.
Mme Laurence Cohen. - Je n'ai pas bien compris votre remarque sur les maternités. C'est la fermeture des maternités de proximité, dont la mission est d'accueillir les accouchements physiologiques, qui oblige à avoir recours aux maternités de niveau 3. À propos du levier entre CHU et médecine de ville évoqué par M. Milon, le plan santé 2022 prévoit de redessiner la carte hospitalière, avec des réseaux d'établissements hospitaliers de proximité, des CPTS et des centres ou des maisons de santé. Comment les CHU, qui attirent des professionnels de santé, pourront-ils tisser des liens de proximité, notamment avec ces dernières ? Enfin, la ministre supprime le numerus clausus. Quel sera l'impact de cette décision sur l'encadrement des étudiants, qui seront plus nombreux, dans les CHU ?
Mme Corinne Féret. - Avez-vous étudié cet impact ? L'accueil, la prise en charge et la formation - y compris les stages - devront être adaptés. Vous écrivez que la réforme ne va pas nécessairement conduire à la réduction du nombre de CHU. Qu'est-ce à dire ? Faudra-t-il fermer certains sites ? Quand vous écrivez que certains établissements n'ont pas tiré les conséquences de la nouvelle carte des régions ni de l'évolution de la carte universitaire, avez-vous pris en compte ce qui se passe en Normandie ? A la place d'une tour amiantée, on reconstruit un CHU et les collectivités territoriales se sont engagées dans la reconstruction d'une faculté de médecine, qui est un véritable pôle de santé, recherche et innovation, ce qui est un atout essentiel pour notre territoire, même si celui-ci comporte déjà deux CHU, à Rouen et à Caen.
M. René-Paul Savary. - Merci pour ce rapport de grande qualité, qui rend compte d'une réflexion pertinente, dont je ne partage pas les conclusions : la réorganisation des CHU en réseaux, que vous préconisez, va à l'encontre de la recherche de proximité. Les patients vont là où ils ont confiance, puisqu'ils sont de toute façon remboursés. Pour les soins, la proximité est indispensable. Pourquoi ne pas plutôt fédérer les GHT ? La formation, elle, s'organise autour des universités, et l'on ne peut pas imaginer que celles-ci se distinguent entre universités de premier rang et de second rang. S'il y a des réseaux de CHU, il y aura des têtes de réseaux, au détriment de la proximité. Quant à la recherche, des complémentarités peuvent être intéressantes mais, si les thématiques diffèrent, le rapprochement n'a aucun intérêt. Pour le coup, ce n'est pas la proximité mais les sujets de recherche qui doivent gouverner les associations. Il aurait été intéressant qu'en regard de vos propositions, vous présentiez des contre-propositions.
Mme Véronique Guillotin. - Le budget global des CHU est déficitaire, mais il faudrait une analyse plus fine des différents CHU, au cas par cas. Celui de Nancy, par exemple, est dans une situation difficile pour des raisons liées à son parc immobilier. À mesure que les travaux se spécialisaient, ses sites se sont dispersés, ce qui pose désormais des problèmes de transport et d'entretien. Pour arrêter de creuser le déficit, il faut investir, ce qui n'est pas toujours évident.
Vous insistez sur la nécessaire coopération entre CHU au sein des GHT, et entre ville et hôpital, mais l'instauration de réseaux dégagera des têtes de réseau. Mieux vaudrait s'en remettre aux régions pour faire coopérer les CHU : c'est ce que nous faisons dans le Grand Est, où nous incitons nos trois CHU à trouver des complémentarités, notamment dans la recherche, plutôt que de se concurrencer. Le fait que les financements soient en tuyau d'orgue complique parfois beaucoup la recherche d'efficacité, surtout avec le virage ambulatoire. Ainsi, un patient traité à domicile pour un cancer fera parfois un long trajet pour une chimiothérapie, puis un trajet à nouveau le surlendemain pour une radiothérapie dans un autre établissement, ce qui est fatiguant pour lui et coûteux en transports. De ce point de vue, il y a des marges de manoeuvre pour accroître la qualité des soins et l'optimisation de leur coût, pourvu qu'on sorte de cette logique de tuyaux d'orgue. Enfin, vous n'avez pas évoqué la question des médecins remplaçants.
Mme Martine Berthet. - Quel est l'impact sur le budget des hôpitaux du recours à des praticiens ayant obtenu leur diplôme hors de l'Union européenne ? Que pensez-vous de la distorsion de concurrence induite par le fait que les cliniques privées peuvent communiquer sur les soins qu'elles proposent - et le font parfois de manière outrancière -, ce qui est interdit au secteur public ? Son impact sur l'activité des hôpitaux n'est pas négligeable.
M. Daniel Chasseing. - Il est souvent difficile, à partir d'un certain âge, d'aller aux urgences pour être hospitalisé. Ceux qui n'ont pas confiance en les CH sont accueillis en clinique, où l'on obtient rendez-vous beaucoup plus facilement qu'au CHU. J'espère que le nombre de médecins en formation va croître. Il faudra mieux considérer les maîtres de stages. Pourquoi les cliniques ne feraient-elles pas partie des GHT pour accueillir des internes ? Elles pourraient avoir des médecins salariés détachés, comme les hôpitaux.
M. Jean Sol. - Vous constatez une baisse d'activité en 2017. Quelle part de cette baisse est due au virage ambulatoire ? Quelle part représente la prise en charge des personnes âgées ? Pourquoi n'évoquez-vous pas le coût de l'intérim, médical comme paramédical, ni les pistes relatives à la pertinence des actes.
M. Denis Morin. - Contrairement à vous, qui tenez - fort légitimement - à faire ressortir la situation spécifique de vos territoires, nous cherchons, à partir des données collectées, à fournir une information synthétique, une description moyenne - mais pas médiocre, espérons-le ! Nous savons bien, pour autant, que chaque territoire a sa logique propre, et qu'il faut se garder de plaquer, depuis Paris, des modèles préfabriqués. Nous recommandons de laisser, autant que possible, les acteurs de terrain s'organiser, en leur offrant de vrais degrés de liberté. Vos remarques et questions reflètent l'hétérogénéité des CHU et de notre système de santé. La Cour n'a pas encore procédé à l'analyse du plan santé 2022. Comme l'a dit devant vous notre Premier président, la Cour ne commente pas les annonces. Mais nous travaillerons sur leur mise en oeuvre. Nous évaluerons les GHT, les CPTS et les hôpitaux de proximité le moment venu.
Beaucoup des sujets évoqués par Mme Jasmin se retrouvent dans d'autres CHU et CH, voire dans des cliniques privées. Ainsi, du fait que les surcoûts occasionnés par un service déséquilibrent le budget de tout un CHU, qu'on observe aussi dans nombre de gros CH. Dans la qualité de la prise en charge du patient, le suivi de son dossier médical ou la lutte contre les maladies nosocomiales, il n'y a pas de spécificité des CHU, qui ne doivent pas être traités différemment des autres structures hospitalières : ils doivent se soumettre aux contraintes de la simplification, qui ont des coûts mais permettent aussi de dégager des économies.
Plus qu'aux grandes réformes, je crois aux vertus de la bonne gestion quotidienne, qui permet de dégager des ressources pour investir. Sinon, il faut avoir recours à l'argent du contribuable. Déjà, les deux plans de 2007 et 2012 ont représenté un investissement de 65 milliards d'euros d'argent public dans le secteur hospitalier. Résultat : nombre d'établissements de taille moyenne ont été modernisés et sont devenus exemplaires. Un tel investissement, que d'aucuns ont jugé excessif, était certainement nécessaire.
M. Christophe Strassel, conseiller maître. - Nous sommes allés à Marseille pendant plusieurs jours, et nous avons constaté une grande hétérogénéité entre l'hôpital Nord d'un côté et les pépites dans le monde de la recherche qu'on trouve au CHU. On ne peut pas réduire la situation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à la paupérisation - réelle - de certains services, dont les locaux ne sont plus au niveau. Les marges de manoeuvre existent : l'AP-HM n'est pas la mieux placée dans les indicateurs de productivité, ni dans ceux relatifs à la pertinence de la politique de sous-traitance et d'achats externes. La régulation des charges est possible même dans un environnement dégradé. Il faut utiliser les marges de manoeuvre pour retrouver la possibilité d'investir dans la rénovation des locaux.
M. Denis Morin. - Nous ne nous sommes pas rendus en outre-mer, mais vos propos reflètent aussi l'hétérogénéité que nous évoquions, et la spécificité des CHU ultramarins. Entre 2013 et 2017, le comité interministériel de la performance et de la modernisation des établissements hospitaliers (Copermo) a distribué 1,2 milliard d'euros d'aide publique, dont 869 millions d'euros pour les CHU. Sur cette dernière somme, 85 % sont allés dans les Antilles. Ce centrage spectaculaire montre bien que le ministère a conscience des difficultés spécifiques. Vous avez parlé des CHU comme d'amortisseurs sociaux - on pourrait en dire autant de nombreux services publics outre-mer...
Les questions de Mme Cohen étaient très pertinentes...
M. Alain Milon, président. - Comme toujours !
M. Denis Morin. - Je n'ai mentionné les maternités de niveau 3 que pour citer un exemple, à propos des réseaux de prise en charge de la périnatalité. La diversité des prises en charge de l'accouchement est une bonne chose, de la survie d'un bébé prématuré aux maisons de naissance prévues pour l'accouchement physiologique, mais en-deçà de 300 actes par an, un établissement devient dangereux et doit être fermé.
Nous nous sommes aussi interrogés sur les conséquences de la suppression du numerus clausus. Plusieurs doyens nous ont dit que des problèmes de capacité se posaient déjà, depuis les derniers relèvements de ce quota. Le rapport montre que le numerus clausus générait de fortes inégalités dans l'accès aux études médicales. Nous verrons si et comment sa suppression rétablira l'égalité d'accès.
M. Christophe Strassel. - Cette suppression ne règlera pas le problème d'un coup de baguette magique. Pour cela, il faudra des investissements. Actuellement, il y a 31 places pour 100 000 habitants en Limousin, contre 15,6 en Bretagne. Et il faudra aussi prendre en compte la capacité d'accueil des universités et des CHU, pour les internes. Quant à l'encadrement, il y a 5,29 étudiants par enseignant à Paris 5 contre 15 à Lille 2. La suppression du numerus clausus n'y changera rien.
M. Denis Morin. - Notre idée de départ était que l'instauration de réseaux de CHU dégagerait des têtes de réseaux et aboutirait à la suppression, par attrition progressive, de certains sites. Nous avons évolué et estimons désormais qu'il faudra laisser aux territoires la capacité de s'organiser. D'ailleurs, contrairement à ce que nous pensions, la coopération entre CHU devrait maintenir en activité les sites les plus fragilisés - comme ce fut le cas pour les CH au sein des GHT.
Je suis heureux que la tour de Caen soit enfin remplacée, et que vous construisiez aussi une nouvelle faculté - sans préjudice des coopérations entre Caen et Rouen.
Sans GHT, nous assisterons à la fermeture progressive des plateaux techniques de taille insuffisante. La coopération permet de maintenir une présence en faisant des GHT le lieu de la mutualisation et de l'organisation de consultations avancées dans les territoires. Même remarque sur les CHU : l'alternative à la mise en place de réseaux est l'attrition progressive de certains sites - telle qu'on la connaît déjà depuis vingt ans - et leur suppression.
L'approche fine de la gestion des établissements hospitaliers relève du Copermo, qu'il s'agisse de leur performance, de leur équilibre budgétaire ou des grands projets d'investissement, qui font l'objet, au-delà de 100 millions d'euros, d'une expertise et d'une contre-expertise.
Oui, les financements sont en tuyau d'orgue, ce qui freine les coopérations. La réforme annoncée dans le plan santé 2022 semble prometteuse, notamment le financement au parcours. Pour décloisonner, la signature de conventions précisant les relations financières entre les acteurs est aussi un outil utile. La réforme de la tarification devrait lever certains obstacles.
Le secteur privé représente près de 40 % de la prise en charge médicale, mais il est globalement méconnu par les ministères et les ARS. Le régulateur ne l'appréhende qu'à travers la discussion annuelle sur les tarifs, toujours conflictuelle, avec la fédération des cliniques et hôpitaux privés de France. Grâce à l'extension de compétences que le législateur nous a donnée, nous pourrons apporter des éléments d'information précis sur le fonctionnement de ce secteur. Nous avons prévu un référé pour donner à la ministre les premières conclusions des seize contrôles auxquels nous avons procédé. En tous cas, passer d'une situation concurrentielle à une situation de coopération n'est pas facile.
La prise en charge des personnes âgées dans les CHU souffre d'un effet d'éviction, qui ne résulte pas, toutefois, d'une politique d'adressage systématique. Les CHU évitent ces prises en charge pour ne pas alourdir leurs coûts, et laissent ces personnes aux CH, ce qui pose quelques problèmes. La médicalisation des Ehpad est encore devant nous...
Faire entrer les cliniques dans les GHT est possible. Déjà, certains blocs opératoires fonctionnent en partenariat public-privé, mais c'est encore rare.
Nous n'avons pas établi que l'évolution comparée des soins de villes et de ceux dispensés à l'hôpital traduise la mise en oeuvre du virage ambulatoire. La prise en charge ambulatoire à l'hôpital est plutôt une source de réduction des dépenses pour l'ensemble du système. Le virage ambulatoire a été bien pris en chirurgie, même dans les CHU. Carton rouge, en revanche, pour la médecine ambulatoire. Quant à la bascule de l'ensemble du système de l'hôpital vers la ville, elle tarde à se faire sentir, malgré quelques annonces. Un prochain rapport sur les urgences montrera même que le flux des entrées continue à s'y accroître.
M. Alain Milon, président. - Chez nous, la moyenne n'est pas synonyme de médiocrité mais de qualité ! Ce rapport est excellent, et je propose à la commission que nous le publiions - ce qui ne manquera pas de nous exposer à de nombreuses questions !
M. René-Paul Savary. - Je m'abstiendrai, car je suis très réservé. La mise en place de réseaux fera nécessairement émerger des têtes de réseau. On le voit bien dans les GHT, où c'est le directeur du CHU qui prend les commandes : il faut être prudent.
M. Didier Morin. - Je ne suis pas certain que les directeurs généraux de CHU prennent le pouvoir dans leurs GHT. On observe aussi l'inverse : le poids des CHU d'Annecy et de Chambéry est tel que Grenoble et Lyon trouvent qu'ils se prennent pour les rois !
La commission autorise la publication du second volet de l'enquête ainsi que le compte rendu de la présente réunion.
La réunion est close à 11 h 40.
Jeudi 13 décembre 2018
- Présidence conjointe de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Impact de l'éventuelle instauration d'un bonus-malus sur les contributions patronales à l'assurance chômage - Présentation par l'Observatoire français des conjonctures économiques de l'étude demandée par la délégation aux entreprises
Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises. - Le sujet qui nous réunit ce matin est commun à la délégation aux entreprises et à la commission des affaires sociales : il s'agit des contrats courts dans les entreprises.
Au cours des vingt dernières années, la structure des embauches s'est transformée en France : le nombre de contrats de travail conclus pour moins d'un mois s'est trouvé multiplié par 2,5. En outre, on observe que 80 % des embauches en contrats courts sont en fait des réembauches, laissant présumer des relations suivies entre un salarié et l'employeur. L'Unédic estime ainsi qu'environ 800 000 chômeurs sont dans cette situation, qualifiée de « permittence », depuis plus de cinq ans.
Ce phénomène est particulièrement frappant dans les services et, plus précisément, dans certains secteurs : l'hôtellerie-restauration, l'hébergement médico-social, mais aussi des activités plus techniques, comme celles dont relèvent les instituts de sondage. La possibilité de recourir à de tels contrats répond assurément au besoin qu'ont les entreprises soit d'ajuster leur production en fonction de la demande, soit d'assurer un service continu. Mais un tel phénomène contribue aussi à la précarité sociale et au déséquilibre du régime d'assurance chômage.
Cette situation a conduit le Gouvernement, dès 2017, à évoquer l'éventualité d'une taxation pour décourager le recours abusif aux contrats courts, malgré l'échec de plusieurs tentatives passées de régulation économique ou juridique du phénomène. La délégation aux entreprises, soucieuse d'optimiser l'articulation entre flexibilité et sécurité et de ne pas freiner la croissance des entreprises, prête à ces annonces une attention suivie.
Elle a ainsi décidé, au mois de juillet dernier, de proposer aux questeurs le lancement d'une étude sur la perspective d'une taxation des contrats courts. C'est en effet au cours de la lecture au Parlement, l'été dernier, du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel que cette perspective a fini par prendre corps. Sur le fondement de cette loi, promulguée le 5 septembre dernier, le Gouvernement a engagé les partenaires sociaux à renégocier la convention d'assurance chômage d'ici début 2019, se réservant, en cas d'échec, la possibilité d'introduire lui-même un système de bonus-malus des contributions patronales à l'assurance chômage pour réguler l'usage des contrats courts.
Sur décision du conseil de questure, c'est à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) que la délégation aux entreprises a donc confié le soin, début octobre, de réaliser une étude afin de déterminer pourquoi les contrats courts se développent tant et comment réguler leur usage sans porter préjudice aux entreprises, particulièrement aux PME, et donc à l'emploi.
Je remercie pour leur présence ici ce matin M. Bruno Coquet, chercheur affilié à l'OFCE, qui a rédigé cette étude avec M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, ainsi que MM. Bruno Ducoudré, économiste, et Xavier Timbeau, directeur principal de l'OFCE, qui l'accompagnent.
J'ai tenu à associer à cette démarche la commission des affaires sociales, compétente sur ces questions, et je vous remercie, monsieur le président Milon, d'avoir accueilli favorablement ma proposition de réunir nos deux instances aujourd'hui pour prendre connaissance des résultats de cette étude. J'espère qu'elle contribuera aux réflexions que nous menons en tant que parlementaires et qu'elle pourra utilement éclairer la négociation entre partenaires sociaux, dont la conclusion, prévue pour la fin du mois de janvier, vient d'être reportée d'un mois en raison des récents évènements.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. - Je remercie Élisabeth Lamure de nous avoir associés à la remise des conclusions de l'étude demandée par la délégation aux entreprises sur la régulation économique des contrats courts. Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande après la conférence de presse que la délégation aux entreprises organise la semaine prochaine - c'est Frédérique Puissat qui y représentera la commission des affaires sociales.
La régulation des contrats courts, au carrefour du droit du travail et de la protection sociale, a compté au nombre des débats importants lors de l'examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ; il était important, me semble-t-il, d'y mettre un peu de clarté.
Les termes de ce débat sont connus et posés avec précision dans le dossier de référence de la négociation sur l'assurance chômage.
Le développement des contrats courts est un phénomène observé dans de nombreux pays européens au cours des vingt dernières années ; il participe d'un brouillage plus général de la frontière entre salariat et travail indépendant : les aléas économiques sont supportés par le salarié lui-même ou, le cas échéant, par l'assurance chômage, alors que le fait de supporter le risque économique qu'on a soi-même pris et, éventuellement, d'en recueillir les fruits caractérise en principe le travail indépendant.
En France, le nombre d'embauches en CDD de moins d'un mois a cru de 157 % entre 2000 et 2016 ; il atteignait, à cette dernière date, près de 17 millions, sur les 24,5 millions de déclarations préalables à l'embauche.
Notre pays se caractérise par des contrats plus courts encore qu'ailleurs, dont la durée n'excède pas parfois quelques jours ou quelques heures, mais aussi - vous l'avez évoqué, madame la présidente - par la récurrence du phénomène de la relation suivie, situation dans laquelle un salarié fait l'objet de réembauches successives par le même employeur, qui représente deux tiers des CDD de moins d'un mois.
Ce phénomène est très concentré sur certains secteurs, notamment celui du médico-social, qui nous intéresse à plus d'un titre - le CDD d'usage, qu'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2015 invitait à réformer très largement, lui est consubstantiel.
L'enquête qualitative réalisée par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), à la demande de l'Unédic, sur le recours aux contrats courts montre qu'il s'agit également d'une question d'organisation interne des entreprises : selon que leur recrutement est plus ou moins segmenté, selon les compétences, selon qu'il est plus ou moins centralisé et anticipé, le recours aux contrats courts est plus ou moins important.
Sur la base de ce constat, quelle réponse apporter ?
Vos invités nous le diront, madame la présidente ; je leur laisse donc la parole.
M. Bruno Coquet, chercheur affilié à l'OFCE. - Réguler les contrats courts - on assiste à une explosion du recours à ce type de contrats - ; les réguler sans contraindre les entreprises - il s'agit de ne brider ni l'activité économique ni l'emploi - ; en préservant l'assurance chômage - ces pratiques coûtent assez cher, et ceci indûment, au régime d'assurance chômage - : le titre de l'étude que je vais vous présenter rassemble l'ensemble des éléments que nous avons tâché de prendre en compte dans nos propositions. Son sous-titre résume l'esprit du rapport : « Il ne s'agit pas de taxer, mais de fixer un prix, qui représente une tarification correcte du contrat d'assurance » - inciter, donc, et non punir.
Quelques éléments de contexte, d'abord.
Les contrats de travail de courte durée sont un outil indispensable au fonctionnement de l'économie. Ils contribuent à accroître la production potentielle, donc l'emploi. En effet, l'activité économique comporte une part d'incertitude ; de tels contrats permettent aux employeurs d'effectuer des prévisions à court terme et de s'adapter à une éventuelle contraction de la demande.
Ils permettent aussi aux employeurs de diversifier ce que j'appelle leurs choix technologiques, c'est-à-dire la gestion de leurs carnets de commande - et, dans une économie de services, ceux-ci ne se stockant pas, les contrats courts sont naturellement plus nombreux.
Il faut également mentionner, au titre de ce panorama, les « institutions du marché du travail » : la réglementation incite plus ou moins les employeurs à recourir aux contrats courts. Le plus souvent, l'employeur utilise des formes de contrats diversifiées. En général, l'activité économique est assez largement prévisible ; l'incertitude n'est jamais totale. Le CDI représente donc la forme la plus répandue : 85 % de l'emploi total.
Autre point de contexte : les contrats courts ne doivent pas permettre de s'affranchir d'un certain nombre de règles de bon fonctionnement d'une économie sociale de marché.
Première règle : l'agent qui prend un risque doit être rémunéré en conséquence - or, avec le contrat court, l'employeur peut transférer une partie de ce risque sur le salarié et sur l'assurance chômage.
Deuxième règle : les coûts de production doivent être répercutés sur les clients, et non sur des acteurs extérieurs, concurrents ou assurance chômage.
Enfin, troisième règle : la recherche de compétitivité ne doit pas s'appuyer sur la détérioration des conditions sociales, raison pour laquelle, historiquement, ont été créés des accords de branche, et pour laquelle, aussi, la France lutte contre le dumping social des pays à bas salaires.
Les contrats courts connaissent une croissance extrêmement vive et ininterrompue depuis quarante ans. Dans ce rapport, nous nous sommes concentrés sur les CDD de moins d'un mois et sur les missions d'intérim, dont la durée moyenne est d'une dizaine de jours. Le nombre de contrats signés chaque année a cru de manière explosive, passant de 20 millions à 40 millions, pour l'essentiel des contrats courts, pour l'essentiel dans le secteur tertiaire.
Au passage, on entend souvent dire que les chômeurs ne sortent pas du chômage ; mais ces contrats instables, souvent mal payés, sont bel et bien acceptés par des chômeurs. Ceux qui plaident pour inciter les chômeurs à reprendre un emploi ne tiennent pas compte du fait que beaucoup de chômeurs reprennent déjà des emplois.
Si le nombre de contrats augmente, le volume total d'heures travaillées, lui, augmente très peu, parce que ces contrats sont de plus en plus courts. S'agissant des CDD, depuis le début des années 2000, la durée moyenne des contrats est passée de 120 à 40 jours, soit une division par trois.
L'usage des contrats courts est et reste typé par secteur. Par exemple, le secteur du médico-social utilise énormément de contrats courts, comme celui des hôtels, cafés et restaurants. L'industrie a traditionnellement recours à l'intérim - c'est toujours vrai -, et le tertiaire à des CDD courts. En réalité, dans le cadre de ce rapport, nous ne nous sommes pas intéressés au statut, mais à l'effet sur l'assurance chômage. De ce point de vue, la distinction entre contrat d'intérim et CDD court paraît peu significative, ce qui permet de ne pas tenir deux discours, l'un pour l'industrie, l'autre pour le tertiaire.
Nous nous sommes demandé pourquoi le recours aux contrats courts augmentait ainsi. Lorsque la conjoncture est très bonne et qu'on crée beaucoup d'emplois, on a plutôt tendance à créer des CDI ou à convertir des CDD en CDI : la progression du taux de recours aux CDD courts se ralentit dans les périodes de croissance soutenue. Seule exception : le courant des années 2000 - le taux de recours aux contrats courts a alors augmenté massivement, malgré une conjoncture plutôt bonne. Ceci s'explique par l'incidence de mesures spécifiques.
Première variable significative : la réglementation des contrats courts, en particulier des CDD d'usage, explique en grande partie le développement de ces contrats - il est possible en effet d'y recourir facilement, sans risque juridique. Autre facteur déterminant : les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires. La réglementation ne dit pas que ceux-ci sont réservés aux contrats courts ; mais, les contrats courts étant principalement dédiés à des emplois peu qualifiés et à bas salaires, ils sont donc surexposés à cette politique d'allègement des cotisations sociales.
Depuis 2008, ces deux facteurs jouent néanmoins un rôle mineur : les allègements de cotisations sociales sont restés plutôt stables ; et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), principal dispositif actuel de baisse du coût du travail, concerne des salaires beaucoup plus élevés, donc généralement des contrats plus longs. Par ailleurs, on ne peut isoler un quelconque effet de la taxation des contrats courts mise en oeuvre entre 2013 et 2017 sur le taux de recours aux contrats courts.
De manière générale, les contrats courts ont modifié à la fois la physionomie de l'emploi et celle du chômage.
Les contrats courts ne correspondent pas forcément à des statuts courts : les CDI sont aujourd'hui assez souvent utilisés comme des contrats courts. L'Insee, en 2014, estimait que la moitié des CDI créés étaient rompus avant le premier mois. Quant au ministère du travail, il parvient à une conclusion analogue : un tiers des CDI durent moins d'un an. Il existe donc un usage court du CDI, car la période d'essai peut être rompue sans coût et sans préavis.
Je remarque, en outre, que les discussions sur les contrats courts oublient systématiquement le secteur public, où l'usage desdits contrats a pourtant été multiplié par trois - l'employeur n'y est pourtant pas soumis ni à la concurrence internationale ni à la saisonnalité de l'activité.
L'assurance chômage est surexposée à ces contrats courts. En effet, qui dit contrats courts dit beaucoup d'interruptions de contrats, et autant d'inscriptions, entre deux contrats, à Pôle emploi.
L'assurance chômage couvre bien ces risques, les partenaires sociaux ayant tenu compte du fait que le risque de chômage se déplaçait du salarié employé pendant 35 ans par exemple dans la sidérurgie, vers des actifs enchaînant des périodes d'emploi court et de chômage récurrent. Il est logique, légitime et rassurant que de nombreuses personnes issues de contrats courts soient couvertes par l'assurance chômage, puisqu'il s'agit de la forme que prend le risque aujourd'hui - une assurance doit assurer des risques effectifs. Il est naturel aussi que ces contrats courts nourrissent le déficit de l'assurance chômage ; c'est l'ampleur de ce déficit qui pose problème.
Pendant longtemps, l'assurance chômage a voulu trop bien faire ; ses règles étaient donc très « généreuses » pour les contrats courts, en particulier pour l'intérim. Depuis 2011, ces règles sont peu à peu revues. Il en reste deux qui incitent aux contrats courts, en ce sens qu'elles offrent des droits plutôt favorables : la règle de calcul du salaire de référence et le taux de remplacement. L'assurance chômage doit donc, avant toute chose, travailler sur ses propres règles.
Quant à la régulation du recours aux contrats courts, elle est déséquilibrée. Historiquement, la France fait du droit. On a donc privilégié la régulation juridique du marché du travail au détriment de la régulation économique, alors même que le motif du recours aux contrats courts n'est pas juridique : ce n'est pas parce que le code du travail l'autorise qu'on utilise de tels contrats, mais parce que c'est économiquement rentable.
Dès lors qu'on veut réformer le marché de l'emploi, il est toujours question de l'indicateur de protection de l'emploi de l'OCDE. En la matière, la France est au-dessus de la moyenne de l'OCDE, tant pour le CDD que pour le CDI ; mais, paradoxalement, l'écart de « rigidité » entre la France et les autres pays est important sur le CDD, pas sur le CDI. Ce qui apparaît dans le radar de l'OCDE, ce sont donc les régulations juridiques qui contraignent l'usage des CDD. Si la moyenne de l'OCDE a baissé très significativement depuis 1995, du fait des réformes du marché du travail, l'indicateur de protection de l'emploi relatif aux CDD est resté, en France, parfaitement stable. Tous les ministres qui se sont succédé depuis les années 1990 vous diront que des réformes très importantes ont été menées en matière de régulation du marché du travail ; c'est vrai : en la matière, on a voté une loi par trimestre. Mais ces réformes n'ont eu aucun effet sur l'indicateur OCDE.
La régulation a donc été juridique ; dans cette affaire, la régulation économique est le parent pauvre, si l'on excepte l'indemnité de fin de contrat et la petite expérience de taxation menée entre 2013 et 2017. C'est ce volet qu'il faut renforcer.
L'usage des contrats courts a de multiples causes ; il n'y a donc pas une solution unique, mais beaucoup de réponses à apporter. Ce constat s'applique en particulier à l'assurance chômage : la taxation des contrats courts, bien qu'indispensable, ne suffira pas à faire cesser leur utilisation. Elle doit donc prendre sa place au sein d'un panel de réformes au champ bien plus large que celui de la seule assurance chômage, et même plus large que celui du marché du travail.
L'assurance chômage, comme toute assurance, assure un risque ; elle ne doit pas assurer ce qui relève du choix des employeurs. À partir du moment où l'usage du contrat court, qui rend inévitable l'alternance avec des phases de chômage, répond à des problèmes d'organisation de la production et de réponse aux carnets de commande - j'ai parlé de choix « technologiques -, il s'agit d'un choix. On sort donc du domaine du risque, et l'assurance doit s'en prémunir : elle ne saurait prendre en charge ce qu'on appelle une « externalité », c'est-à-dire un coût qui devrait bien plutôt être intégré par l'employeur dans son coût de production et facturé au client. À défaut, l'entreprise fait peser sur ses concurrents ainsi que sur les autres secteurs d'activité, qui contribuent à la caisse commune de l'assurance chômage, le coût de ses choix.
On pourrait énoncer le problème comme suit : l'assurance chômage fait deux choses à la fois. Elle indemnise le chômage ordinaire, donc assure un risque lié aux fluctuations de l'activité économique, d'une part ; d'autre part, elle couvre aussi très bien le choix technologique de recourir au contrat court, créant une incitation au chômage temporaire et volontaire. Ce système, dans lequel les entreprises s'appuient sur l'assurance chômage - elles ont raison de le faire, de leur point de vue -, mène à la faillite.
La solution idéale consisterait à séparer ces deux risques : l'assurance chômage ordinaire et une assurance chômage temporaire, technologique, proche de ce qui existe aux États-Unis, qui ferait l'objet d'une caisse et d'un financement particuliers. Si l'on gagne, en effet, à mutualiser le financement de l'indemnisation du chômage ordinaire, le chômage temporaire, en revanche, doit être financé par ses seuls utilisateurs - la théorie économique est claire sur ce point.
Il est malheureusement impossible de procéder ainsi, tout simplement parce qu'une telle séparation exigerait de mettre « cul par-dessus tête » l'assurance chômage. À court terme, la seule solution est d'adapter cette dualité du régime d'assurance chômage aux pratiques des employeurs. Les journaux résumeraient : « on va taxer les contrats courts ».
Je serai plus nuancé. Certaines expériences de taxation ont manifestement échoué : les intermittents du spectacle paient une cotisation double de celle du droit commun ; pour autant, dans ce secteur, les contrats courts continuent de se multiplier. Autre exemple : les CDD en auto-assurance ; ils concernent le secteur public - près d'un tiers des salariés, en France, n'est pas affilié à l'assurance chômage, parce que leur employeur peut s'en exonérer ; le versement de l'allocation, dans les mêmes conditions que celles prévues par l'Unédic, est alors intégralement à sa charge. Pourtant, le recours aux CDD, dans le secteur public, a considérablement augmenté. Je citerai enfin l'expérience menée de 2013 à 2017 sur les contrats courts eux-mêmes ; la règle étant plus rare que les exceptions, la majorité d'entre eux échappaient à la taxation.
L'objectif doit être d'inciter les employeurs à adopter des comportements responsables en matière de recours aux contrats courts : les employeurs qui utilisent des contrats longs n'ont pas à subventionner ceux qui utilisent des contrats courts ; c'est pourtant ce qui se passe, via l'assurance chômage. Il s'agit donc d'empêcher un tel transfert, sans punir les employeurs - je l'ai dit : l'usage des contrats courts est normal ; il s'agit simplement de le contrôler.
Il ne faut pas viser un statut, mais un effet : taxer les CDD engendre des manoeuvres de contournement. Les employeurs utilisent d'autres statuts, par exemple le CDI. En définitive, il faut trouver une formule simple et applicable : il s'agit de taxer un comportement. Si le prix subi par l'employeur est indépendant de ce comportement, l'effet produit ne sera pas l'effet escompté.
Dans le cadre d'un tel réseau de contraintes, nous proposons une troïka d'instruments dont le coeur serait une tarification dégressive en fonction de la durée du contrat de travail. Cette tarification s'appliquerait à tous les contrats, quel que soit le statut. Le mois de l'embauche, le taux de cotisation serait le même pour tous ; il diminuerait ensuite, au fil des mois et de la durée du contrat. Deux contrats successifs d'un mois, en revanche, seraient chacun taxés au taux initial. On inciterait ainsi à recourir à des contrats longs.
Il ne s'agit pas de renflouer l'Unédic : les hausses de prélèvements sur les débuts de contrats seraient compensées par une baisse du taux « normal » de cotisation, qui passerait, dans l'exemple que nous donnons, de 4,05 à 3,75 %.
La principale critique adressée à ce type de formule consiste à y voir une taxe à l'embauche. Ce problème est très facile à traiter via une franchise minime destinée à exonérer les petites entreprises, jusqu'à vingt salariés permanents, les PME en forte croissance et les entreprises qui recourent faiblement aux contrats courts. Ne seraient ainsi taxées que celles qui abusent des contrats courts. Si tout cela ne suffit pas, nous proposons l'instauration d'un forfait dû dès lors qu'un contrat de travail est signé, permettant de dissuader les employeurs de recourir à des contrats extrêmement courts.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Notre attention a été récemment attirée sur des exemples précis : un salarié accumulant 4 mois de travail, même morcelés, pourrait aujourd'hui prétendre à 28 mois d'indemnisation au titre de l'assurance chômage. Cette formule encourage-t-elle les recours aux contrats courts ?
M. Bruno Coquet. - On dit parfois de l'assurance chômage qu'elle est « généreuse » - le terme est impropre, mais passons - en arguant d'exemples comme celui que vous venez de donner. Or, formellement, il est impossible de toucher 28 mois d'indemnisation en ayant travaillé 4 mois. Le système est parfaitement contributif : 4 mois de travail ouvrent 4 mois de droits potentiels. En moyenne, la durée d'emploi des chômeurs entrant dans le système est de 16 mois, donnant droit, donc, à 16 mois d'indemnisation potentielle, consommés à 60 % environ.
Vous avez raison sur un point : certaines règles font qu'on peut durablement alterner emploi et chômage, au-delà même, en théorie, de 28 mois. En pratique, nous ignorons qui se trouve dans cette situation : ce chômeur-là, nous ne l'avons jamais vu. Mais les deux règles que j'ai évoquées tout à l'heure, salaire de référence et taux de remplacement, rendent bel et bien possible le genre de cas que vous avez cité.
Le salaire de référence est calculé sur la base de la rémunération journalière, qui est multipliée par trente : l'assurance ne remplace donc pas les revenus effectivement touchés sur un mois. Autrement dit, il peut exister un bonus à l'entrée au chômage en cas d'interruptions de travail durant la période de référence. Par ailleurs, et pour des raisons historiques, le taux de remplacement est plus élevé pour les bas salaires que pour les hauts salaires. Le taux « normal » est de 57 % ; mais les chômeurs dont le salaire était inférieur à 1 000 euros bénéficient d'un taux de remplacement qui peut aller jusqu'à 75 %. Encore faut-il ajouter que, les cotisations n'étant pas de même niveau sur les allocations et sur les salaires, il faut faire le calcul sur le net, et non sur le brut. Conclusion : pour un salarié dont le salaire journalier de référence est à peu près au niveau du SMIC, le taux de remplacement net est de l'ordre de 80 % de l'ancien salaire.
A contrario, la suppression brutale de ces règles, qui engendrerait certes d'importantes économies, ferait beaucoup de dégâts : les personnes concernées deviendraient pauvres.
Il faut malgré tout définir une trajectoire permettant, progressivement, de défaire ces incitations à l'usage de contrats courts.
M. Philippe Mouiller. - Je suis élu dans une région de l'ouest de la France où le taux de chômage est relativement faible ; les entreprises y ont de vraies difficultés pour recruter, pour pourvoir notamment des emplois non qualifiés, et pour faire signer des CDI. Les demandeurs d'emploi demandent plutôt des contrats d'intérim ou des CDD de deux ou trois mois ; certains salariés refusent même la transformation en CDI. On est là, typiquement, au coeur du débat sur le taux de remplacement ; les employeurs sont aujourd'hui démunis face à cette difficulté.
Dans le secteur médico-social, il est juridiquement impossible, lorsqu'il s'agit par exemple de remplacer un arrêt de travail, de faire autrement que de cumuler des CDD de quelques jours, correspondant à la période d'arrêt. Les salariés concernés sont forcément en situation précaire ; nous n'avons ni les moyens ni le droit de les recruter. La seule possibilité est donc de recourir à une multiplicité de contrats courts, ce qui est une véritable aberration.
Par ailleurs, quid du lien entre cette explosion des contrats courts et les 35 heures ?
Autre remarque, sémantique : vous avez commencé par dire qu'il ne s'agissait pas de taxer, mais de fixer un prix. Mais, par la suite, vous n'avez parlé que de taxe. Dès lors qu'on fixe un prix, donc un coût supplémentaire, on augmente le coût du travail, quoi qu'on en dise.
La France est une grande spécialiste de la complexité ; certes, l'objectif que vous poursuivez est louable ; mais l'ajout d'une couche de complexité n'est pas ce qu'attendent les PME.
M. Bruno Coquet. - Une personne refusant un CDI au même salaire, déposé à Pôle Emploi, n'a pas droit à l'assurance chômage.
Le secteur médico-social recourt le plus aux contrats courts, soi-disant pour des contraintes de présence, selon les degrés de handicap ou de dépendance, souvent pour des raisons de tarification des services. Mais si ce secteur est particulièrement exposé à des maladies professionnelles, c'est à la caisse AT-MP d'y pallier et non à l'Assurance chômage. Dans une étude de l'Unédic est évoquée aussi une augmentation de la saisonnalité pour justifier ce recours. Or la demande est stable à court terme, et en augmentation constante depuis quelques décennies. L'argument de l'incertitude dans ce secteur ne tient pas pour justifier ce recours aux contrats courts. L'Unédic précise qu'ils ont aussi des groupements d'employeurs pour pourvoir aux remplacements - c'est la bonne solution.
Certes, on pourrait voir les contrats courts comme une réduction généralisée du temps de travail, mais la compensation salariale est assurée par l'assurance chômage et les transferts sociaux - et non par une exonération de charges. Son corollaire est donc une augmentation du taux de prélèvements obligatoires.
Le bonus-malus n'est pas une taxe - c'était une facilité de langage - mais une tarification de l'usage, sans volonté de punir, comme pour le bonus-malus automobile. C'est un choix d'organisation. S'appuyer sur l'assurance chômage pour en supporter les coûts n'est pas compatible avec une économie de marché. Dans l'hôtellerie-restauration, si tout le monde va au restaurant le vendredi soir, pourquoi les caissières de supermarché devraient-elles le payer par leur assurance chômage ? Cela doit être financé par le client. Comme l'assurance chômage n'a pas à le payer, elle peut l'interdire en n'autorisant pas l'entrée de chômeurs avec de faibles durées potentielles de droits - ce qui est plutôt bon pour l'économie, car cela crée un effet d'éligibilité. L'assurance chômage permet aux chômeurs d'accepter des emplois risqués, ce qu'ils n'auraient pas fait s'ils n'étaient pas bien sécurisés ; cela rend service aux entreprises innovantes. Comme il n'existe pas deux caisses d'assurance chômage, une pour l'organisation de la production et une pour le chômage, nous avons besoin d'une solution hybride de tarification à l'intérieur de la caisse « ordinaire ».
Mme Frédérique Puissat, rapporteure. - Je remercie la délégation aux entreprises d'avoir fait réaliser cette étude. En juillet 2018, lors du débat sur la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, nous avions rejeté ce projet de bonus-malus, en raison des incertitudes qui perduraient. Votre étude permet d'éclairer ce sujet.
Les déterminants du recours aux contrats courts sont la saisonnalité et la stratégie de l'entreprise. L'Unédic a-t-elle chiffré le poids des relations suivies dans sa dette ?
Quel regard portez-vous sur les CDD d'usage ? Ils sont taxés un peu depuis la loi de 2013, et cela prendra fin en 2019. Que pensez-vous de la réforme de 2013 ? Ces CDD d'usage peuvent se transformer en CDI intérimaires ; serait-ce une solution ?
Je n'ai pas compris ce que vous proposiez pour le secteur médico-social ni, par ailleurs, en quoi les allègements de cotisations, qui concernent aussi les CDI, favoriseraient le développement des contrats courts.
M. Claude Nougein. - Il y a deux critères importants pour les CDD : la durée et le motif - que vous avez totalement occultés. Dans une entreprise « normale » de commerce ou de services, lorsqu'un salarié est absent, il faut immédiatement le remplacer. Cela coûte très cher, car il faut le remplacer, selon le code du travail, par une personne touchant le même salaire - c'est stupide -, payer au salarié absent un complément de salaire, et la prime de précarité du CDD. Vous proposez donc une quatrième peine avec une taxation supplémentaire ; ne mettez-vous pas la barre un peu trop haut ? C'est bien de lutter contre les abus du système d'assurance chômage, mais ce ne sont pas seulement les contrats courts qui en sont à l'origine. Je connais des salariés qui travaillent pendant six mois puis se reposent six mois durant, depuis dix ans, et ils sont payés toute l'année ! Cela coûte plus cher que les contrats courts.
M. Bruno Coquet. - La saisonnalité a plutôt baissé, hormis en infra-mensuel. Le nombre d'embauches en contrats courts a doublé. La seule corrélation dans cette proportion est l'exonération de cotisations sociales, qui touche indifféremment CDI et CDD, même si ces derniers sont surexposés, car orientés vers les bas salaires et des postes peu qualifiés.
L'Unédic a calculé le coût d'une prise en charge des contrats courts dans le cadre des relations suivies et d'une caisse spécifique - sectorielle ou générale. L'Unédic a recensé 3,5 millions de relations suivies. Dix ans après avoir repéré ce lien entre les contrats courts et l'assurance chômage, l'Unédic ne sait toujours pas combien cela lui coûte. Selon un tableau de l'Unédic, le déficit dû aux contrats courts atteindrait 8 milliards d'euros par an - hors intermittents du spectacle - mais selon un autre, ce déficit est estimé à 2 milliards d'euros... On ne sait comment ils ont calculé ces chiffres.
Une telle explosion de contrats très courts dans le secteur médico-social n'est pas due à des raisons comme la maladie ou l'absentéisme des salariés, ce n'est pas possible dans ces proportions ; c'est juste moins cher. Examinons les coûts de production des employeurs : peut-être qu'ils ne sont pas suffisamment remboursés par l'État. Ils réduisent le coût du travail et le reportent sur quelqu'un d'autre, ce qui aboutit à des temps incomplets complétés par exemple par une prime d'activité. L'essentiel est donc en dehors de l'assurance chômage.
Notre proposition ne fait pas tout, c'est comme pour le bonus-malus automobile : l'État se charge du code de la route, les constructeurs respectent également certaines obligations. Il y a un équilibre d'obligations à maintenir. Ce n'est pas en reportant les règles sur les assureurs et les assurés qu'on obtiendra la suppression du code de la route ! Cela restera une assurance.
Sur les CDD d'usage, créés en 1982, je renvoie au rapport de l'IGAS, qui dresse un bilan très négatif. On ne sait d'où provient la liste des secteurs éligibles, qui concerne en théorie 30 conventions collectives, mais 271 en réalité. Le CDD d'usage, très flexible, se développe bien, hors de tout contrôle. Il n'y a que l'OCDE qui croit qu'il est réglementé... Avant tout, ces contrats sont utilisés parce qu'ils sont rentables.
Notre proposition de tarification s'applique à tous les contrats. L'assurance chômage n'a pas à choisir le type de contrat le plus adapté à l'employeur, même s'il reporte ses coûts sur d'autres clients. Cinq secteurs seulement expliquent 22 % de la valeur ajoutée et 50 % des contrats inférieurs à un mois. Les concurrents et les autres secteurs d'activité paient. C'est à la puissance publique de réguler la concurrence.
On ne peut pas penser que l'absentéisme a doublé depuis les années 2000 et expliquerait l'augmentation des contrats courts et la réduction de leur durée.
La tarification ne sera pas une quatrième peine, car elle n'augmente pas le coût du travail mais le répartit différemment, en fonction des comportements. Cette mesure réduirait le coût de tous les contrats en cours de 0,3 point. Le chômage ordinaire sera l'objet d'une moindre contribution.
Les saisonniers ont des règles particulières dans l'assurance chômage. Vous pointez l'aléa moral, selon lequel des chômeurs vivraient indûment de l'assurance chômage qui leur apporterait suffisamment de bien-être. Mais en France, selon les études, il y en a deux fois moins que dans les autres pays européens. Même si on en a vu certains, on ne sait pas repérer ces chômeurs...
Une expérimentation de Pôle emploi a eu lieu en Provence-Alpes-Côte d'Azur l'année dernière, ciblant les chômeurs à risque sur le non-respect de leurs obligations de recherche d'emploi. Les chômeurs indemnisés étaient sous-représentés. Lorsqu'on crée 40 millions d'emplois par an, cela veut dire que certains les acceptent ! Même si des cas marginaux existent, ce n'est pas la situation générale. La règle générale ne doit pas dépendre d'eux, sinon elle est sous-optimale. L'important est d'assurer des contrôles suffisants.
M. Jean-Louis Tourenne. - Merci de votre exposé qui bouscule quelques idées reçues. La présidente et le directeur général de l'Unédic ont rappelé que l'indemnisation du chômage par l'assurance chômage n'est qu'une partie de l'indemnisation, l'État apportant des compléments financés sur le budget de la Nation. En Allemagne, ces financements sont supérieurs à ceux que la France apporte. L'indemnisation du chômage n'est donc pas dissuasive pour reprendre un travail.
Que pensez-vous de l'amendement que j'avais déposé sur le projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel ? Je prévoyais une cotisation forfaitaire selon la durée du contrat : plus le contrat est long, moins elle pèse sur la rémunération.
Toutes ces propositions risquent de devenir obsolètes si les cotisations sont intégralement remplacées par la CSG - ce qui est actuellement le cas pour les cotisations salariales, et ce sera peut-être le cas demain pour les cotisations patronales. On ne pourrait alors plus intervenir sur les employeurs abusant des CDD.
M. René-Paul Savary. - Je ne partage pas vos analyses sur la caissière de supermarché. Si elle est malade un vendredi soir, elle ira se faire soigner, et il faudra trouver des soignants. À force de taxes, les gens vont finir par vivre de la solidarité. Les contrats courts permettent d'avoir une petite partie de ses ressources qui provient de revenus d'activités.
Dans le secteur médico-social, plus de 80 % du budget sont consacrés aux dépenses de personnel. Lorsqu'une collectivité a besoin de recruter, elle ne sait pas si elle pourra rémunérer à terme. C'est pourquoi elle calcule au plus juste. Tenez compte de l'embauche dans le secteur.
Les Français en ont assez de se voir imposer des systèmes complexes par rapport à leur comportement, sur le type de contrat, la taxe sur le sucre, les taxes écologiques... C'est la raison pour laquelle ils sont dans la rue ! Il n'y a plus de consentement à l'impôt de la part du contribuable, ni de consentement aux normes pour les entreprises. Ayons une vision plus globale. Vos arguments m'ont surpris.
M. Bruno Coquet. - Il s'agit de modifier la répartition entre l'assurance chômage de l'Unédic et l'État. La France est le seul pays au monde où l'État n'a pas mis un euro, entre 1958 et 2018, dans l'assurance chômage : seul le secteur privé est affilié obligatoirement par les cotisations des salariés et des employeurs. Les recettes des cotisations sont supérieures au coût des prestations, chaque année depuis 25 ans, y compris durant la crise de 2008. Cet excédent atteint 2 milliards d'euros. Pourquoi l'Unédic est-elle alors en déficit ? Un rapport de la Cour des comptes de 2007, juste avant la création de Pôle emploi, déplorait la somme des charges imposées par l'État à l'Unédic à partir de 1997 : celle-ci est obligée de recevoir tous les chômeurs, qu'ils soient indemnisés ou non, sans compensation. Le financement du service public de l'emploi repose pour les deux tiers sur l'Unédic, pour un tiers sur l'État. Or en économie, un service public doit être financé par l'impôt, sinon il doit être financé au coût marginal. Actuellement, l'Unédic devrait payer 450 millions d'euros par an à Pôle emploi au lieu de 3,5 milliards d'euros. À aucun moment une règle modifiant les droits à l'assurance ne pourrait régler ce différentiel. La politique culturelle vers les intermittents du spectacle a coûté 20 milliards d'euros sur 20 ans... Par un tel système, l'État fait d'importantes économies !
Les droits à l'assurance chômage sont-ils généreux ? Les droits allemands sont un peu supérieurs, mais leur composition est différente. En Allemagne, 40 % des revenus sont des transferts publics, contre 15 % en France, où l'assurance chômage se substitue en grande partie à l'État. Si on modifie les règles de calcul du salaire de référence, on augmentera les dépenses sociales de l'État. Les transferts de l'État vers l'assurance chômage sont un sujet important, mais pas dans le sens qu'on croit habituellement.
En 1979, l'assurance chômage était en faillite une première fois. La loi a alors prévu qu'à chaque fois que le salarié payait 2 euros, l'État devait payer 1 euro à l'assurance chômage - comme dans la plupart des pays. En effet, le chômage n'est pas seulement dû à des causes individuelles, mais peut être lié à des cycles économiques. La CSG a cette fonction.
L'assurance chômage fonctionne bien comme assurance. L'inclure dans la redistribution serait la mettre dans un pot commun où personne ne comprendrait plus qui paie quoi ni pourquoi... Ainsi, le Royaume-Uni prévoit une allocation forfaitaire pour tous, avec, en contrepartie, des contributions très faibles. Jamais personne n'a évalué positivement le système. En revanche, une économie qui a une assurance chômage fonctionne toujours mieux qu'une autre, car elle a une meilleure croissance potentielle, plus d'innovation.... Il est important de financer cette assurance avec des ressources publiques partielles tout en conservant un système assurantiel et non de redistribution.
Le secteur médico-social est très contraint. Notre rapport montre en quoi modifier les règles générales de l'assurance chômage est nécessaire, mais sa portée est modeste. Jamais un coût de production ne doit être reporté sur l'assurance chômage, or c'est ce qui se passe dans l'hôtellerie-restauration : c'est au consommateur de payer et non à l'assurance chômage. C'est en raison de cette mauvaise incitation que les contrats courts se développent. Avec une mauvaise incitation, le niveau de prélèvements obligatoires va augmenter. Si une tarification dégressive et comportementale n'est pas efficace, il faut interdire au secteur automobile de le faire, et au transport aérien de faire du yield management. Si un assureur privé gérait l'assurance chômage, cela se passerait ainsi ; il faudrait juste contrôler qu'elle n'en abuse pas pour augmenter ses profits, et reste un service public. Il ne s'agit pas de taxer mais bien de réguler un comportement. Le système sera en faillite si l'on ne fait rien.
M. René-Paul Savary. - Je comprends votre raisonnement, mais si rien ne remplace cette formule, on va réduire l'activité économique. De plus en plus de restaurants ferment certains soirs, notamment dans les zones rurales, pour ne pas avoir de charges de personnel trop importantes. À terme, cela fait moins d'activité, donc moins de cotisations, et crée moins de valeur ajoutée. Il faut trouver une solution de remplacement sur le long terme. Ne réduisons pas l'activité.
M. Bruno Coquet. - Les dysfonctionnements actuels réduisent l'activité. Dans une économie de marché, si des consommateurs n'achètent pas un produit, pourquoi serait-il subventionné ? Les gens qui ne vont pas au restaurant n'ont pas à payer l'organisation des restaurants pour ceux qui s'y rendent. Sinon, c'est une subvention à un secteur qui capte une ressource, qui ne bénéficie plus à un autre.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je vous remercie ; ces échanges visent à enrichir le débat public, pour mûrir la réforme de l'assurance chômage, afin qu'elle soit favorable à la fois aux salariés et aux employeurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 45.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 13 h 35.
Proposition de loi visant à sécuriser l'exercice des praticiens diplômés hors Union européenne - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de Mme Martine Berthet sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l'exercice des praticiens diplômés hors Union européenne.
Mme Martine Berthet, rapporteur. - Il est une catégorie de praticiens contractuels exerçant dans les hôpitaux que notre commission connaît bien, celle des médecins intérimaires, souvent dénommés - parfois à juste titre - médecins « mercenaires ». Ce sont d'autres contractuels qui font l'objet de nos travaux de ce jour, bien moins rémunérés, cantonnés à une précarité qu'ils n'ont pas choisie, mais essentiels au fonctionnement quotidien de nos hôpitaux : les médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens titulaires d'un diplôme d'un pays n'appartenant pas à l'Union européenne, les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).
Dans la mesure où ce sont en très grande majorité des médecins qui sont concernés par ces difficultés comme par le texte que nous examinons aujourd'hui, je parlerai essentiellement de cette profession dans ma présentation ; n'oublions pas cependant que d'autres professions médicales et hospitalières sont également concernées.
La situation des Padhue s'apparente, à divers titres, à un angle mort des politiques hospitalières, et elle est, plus généralement, un symptôme des dysfonctionnements de notre système de santé.
C'est un angle mort, tout d'abord, parce que ces praticiens ne correspondent pas à une catégorie ou à un statut spécifique de personnels hospitaliers. Ils sont recrutés de gré à gré par les établissements, où ils peuvent exercer pendant de nombreuses années sans plénitude d'exercice, sur le fondement d'un contrat précaire assorti d'une faible rémunération, en tant par exemple que stagiaires associés, ou que faisant fonction d'interne (FFI), pour une durée de six mois renouvelables une fois, et pour une rémunération de quelque 15 000 euros bruts annuels. Certains bénéficient toutefois d'un contrat de praticien attaché associé (PAA), qui peut, sous certaines conditions, devenir un CDI, avec une rémunération d'environ 36 000 à 39 000 euros bruts par an. En tout état de cause, ils ne sont pas inscrits à l'ordre des médecins.
Cette situation est très frustrante pour ces praticiens, qui, en pratique, n'ont pas le droit d'établir eux-mêmes leurs prescriptions, en dépit de leur qualité de médecin et d'une durée d'exercice parfois considérable au sein de nos hôpitaux. Cela ne signifie pas, en outre, que leur activité soit allégée ; il ne serait pas rare que ces praticiens assument davantage de contraintes que les autres, plus de tours de garde par exemple.
C'est un angle mort, ensuite, parce que leur situation n'a jamais été véritablement réglée par le législateur. Depuis 1972, pas moins de six lois se sont succédé sur ce thème, aboutissant à la mise en place d'une réglementation complexe, transitoire et dérogatoire, qui a fréquemment évolué depuis 1995. Je vous renvoie aux travaux de Victoire Cottereau, une universitaire qui a consacré sa thèse de doctorat en 2015 aux Padhue et qui a représenté cette législation complexe sous forme graphique.
La plupart des dispositifs législatifs successivement mis en place comportent deux volets : l'un vise à sécuriser, de manière transitoire, l'activité de fait des Padhue dans les hôpitaux, sous la responsabilité d'un autre praticien ; l'autre prévoit les conditions dans lesquelles ces Padhue peuvent accéder à une activité pérenne ou de plein exercice.
La dernière réforme d'ampleur date de 2006, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2007, qui a créé plusieurs voies d'accès au plein exercice pour les praticiens titulaires d'un diplôme étranger. La voie d'accès de droit commun, dite de la « liste A », consiste en un concours très sélectif - en 2017 par exemple, les 488 lauréats représentaient 8 % du nombre de candidats inscrits -, suivi d'une période probatoire de trois ans. Il existe également une liste B, réservée aux candidats réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire. Enfin, un dispositif spécifique, dit de la « liste C », a été prévu pour les Padhue déjà en activité dans les hôpitaux ; c'est sur celui-ci que portent nos travaux de ce jour.
En prenant en compte les modifications intervenues ensuite dans une nouvelle loi de 2012, ce mécanisme à double détente peut être résumé de la manière suivante. Il consiste tout d'abord en une autorisation temporaire d'exercice couvrant, jusqu'au 31 décembre 2018, les diplômés étrangers exerçant dans un établissement de santé public ou privé d'intérêt collectif, à condition qu'ils aient été recrutés avant le 3 août 2010 et qu'ils aient été en poste au 31 décembre 2016. Comme vous pouvez le constater, ce dispositif arrive à expiration, et la pratique des Padhue exerçant dans nos hôpitaux depuis 2010 au plus tard deviendra illégale au 1er janvier prochain.
Il comprend ensuite un examen d'autorisation de plein exercice sans quota (la liste C proprement dite), ouvert sous deux conditions : l'exercice de fonctions rémunérées pendant au moins deux mois continus entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011 ; une durée de trois ans d'exercice à temps plein à la date de clôture des inscriptions. Cet examen n'existe plus depuis 2016.
Au total, 5 418 médecins se sont vu reconnaître la plénitude d'exercice, depuis 2010, par le biais des différentes procédures d'autorisation ouvertes en 2006 - listes A, B ou C. Tous les Padhue actuellement présents sur notre territoire n'ont cependant pas pu en bénéficier, notamment parce qu'ils ne remplissaient pas les conditions d'éligibilité à la liste C. J'ai ainsi rencontré un cancérologue qui a suivi un parcours de surspécialisation aux États-Unis en 2010 et 2011, et qui, en dépit de sa compétence manifeste, n'a pu s'inscrire à cet examen, puisqu'il n'a pas travaillé pendant deux mois continus entre le 3 août 2010 et le 31 décembre 2011.
En raison du faible nombre de places ouvertes par spécialité, le concours de la liste A n'est pas plus accessible : certains praticiens ont été recalés avec d'excellentes moyennes ; d'autres n'ont pu s'y inscrire parce que leur spécialité n'y était pas représentée. Dans l'attente d'une solution pérenne, ils continuent d'exercer sans plénitude d'exercice, sur les contrats plus ou moins précaires que j'ai mentionnés tout à l'heure.
Vous le constatez comme moi, si le règlement du sort des Padhue n'est pas simple, c'est qu'il recouvre une myriade de situations et de parcours individuels. Cela me conduit au troisième des angles morts que j'évoquais en introduction : le Gouvernement comme l'ordre des médecins sont dans l'incapacité d'évaluer le nombre de Padhue actuellement en activité sans plénitude d'exercice. Cela résulte à la fois de l'autonomie de gestion des hôpitaux, qui n'ont pas à rendre compte des recrutements qu'ils effectuent par voie contractuelle, et du fait que les Padhue ne sont pas inscrits à l'ordre.
Selon les syndicats de praticiens, 4 000 à 5 000 professionnels seraient aujourd'hui en difficulté ; 3 000 à 4 000 d'entre eux auraient été recrutés après 2012, et ne sont donc pas éligibles à la liste C. Ces recrutements sont intervenus en toute illégalité, puisque chacune des lois ayant successivement réglé le sort des Padhue a réaffirmé l'interdiction pour les hôpitaux de recruter de nouveaux professionnels. Le fait que ces recrutements aient cependant eu lieu n'atteste pas seulement de la complexité de la législation applicable aux Padhue, dont il résulte que certains hôpitaux la contournent sans le savoir ; il témoigne plus généralement du dysfonctionnement de notre système de santé face à la pénurie de professionnels médicaux, dont les Padhue sont une variable d'ajustement.
Nous le savons tous : dans de nombreux hôpitaux situés en zone sous-dotée, nécessité fait loi ; un poste pourvu par un Padhue sans plénitude d'exercice est un poste qui, sans lui, resterait vacant. Ces praticiens, qui ont pu à juste titre être qualifiés d'invisibles, sont ainsi devenus, au fil des années, indispensables au fonctionnement des hôpitaux français, principalement dans les zones sous-dotées.
Cette situation est très largement insatisfaisante. Elle l'est, en premier lieu, pour ces praticiens. Sans revenir sur les éléments que je vous ai déjà indiqués, il ne me paraît pas acceptable que des praticiens médicaux puissent exercer pendant plusieurs années au sein de nos hôpitaux dans des conditions matérielles dégradées, sans visibilité aucune sur leur avenir et sans inscription ordinale.
C'est insatisfaisant pour le fonctionnement de l'hôpital et la qualité des soins, en second lieu. Je ne remets pas en cause la compétence des Padhue - ceux que j'ai rencontrés m'ont semblé présenter toutes les garanties de compétence et d'implication dans leur activité -, mais cela ne préjuge pas des qualifications professionnelles de l'ensemble d'entre eux, ni d'ailleurs de leur niveau de maîtrise de la langue française. L'ordre des médecins m'a indiqué sur ce point que des abus avaient été constatés dans les territoires les plus touchés par les pénuries de professionnels, notamment outre-mer. Il n'est pas acceptable que le même niveau de prise en charge ne soit pas garanti à l'ensemble de nos concitoyens en tout point du territoire.
C'est insatisfaisant pour les patients, en troisième lieu. Il me paraît difficilement justifiable, pour des raisons de bonne information et de transparence, que ceux-ci puissent avoir affaire à des praticiens ne disposant pas de la plénitude d'exercice sans en être parfaitement informés.
Face à cette situation, l'ambition de la proposition de loi est très modeste. Il s'agit simplement de prolonger de deux ans, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2020, l'autorisation d'exercice dérogatoire mise en place par la LFSS pour 2007. Cette disposition figurait initialement à l'article 42 de la loi du 10 septembre 2018 sur l'immigration, mais elle a été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.
Cette prolongation du dispositif mis en place en 2006 serait la troisième, après celles qui sont intervenues dans la loi dédiée de 2012 et dans la loi dite « Montagne » de 2016. Il s'agit donc d'une mesure d'urgence, qui vise à éviter que les quelque 300 praticiens concernés, selon les estimations approximatives qui m'ont été transmises par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS), se retrouvent hors-la-loi le 1er janvier prochain.
C'est bien évidemment très insuffisant, ne serait-ce que parce que la plupart des Padhue exerçant actuellement à titre dérogatoire ne relèvent pas de ce dispositif, puisqu'ils ont été recrutés après 2010. Une réforme d'ampleur permettant d'assurer le plein contrôle des connaissances des diplômés étrangers et de mettre fin aux recrutements abusifs doit donc impérativement entrer en vigueur le plus rapidement possible.
Au terme des auditions que j'ai conduites, il apparaît que la DGOS a assez largement avancé sur une proposition de réforme, qui sera présentée dans le cadre de la prochaine loi de santé ; les syndicats de Padhue, associés à son élaboration, approuvent son architecture générale. L'esprit en sera le suivant : une procédure d'autorisation de plein exercice dérogatoire et temporaire sera mise en place pour assurer l'intégration du plus large nombre de Padhue actuellement en activité ; une fois résorbée la situation actuelle, il ne demeurerait plus qu'une seule voie d'accès à l'exercice des médecins en France, celle de la liste A. Les hôpitaux n'auront plus la possibilité de recruter ces professionnels par voie contractuelle.
Si ces lignes générales me paraissent satisfaisantes, nous devrons cependant être attentifs à plusieurs éléments lors de l'examen de ce texte. Le périmètre du dispositif d'intégration devra être suffisamment large pour couvrir l'ensemble des Padhue aujourd'hui en activité ou en recherche d'activité - certains, du fait de la précarité de leurs contrats, pourraient ne pas être couverts par la condition d'activité qui sera proposée pour y accéder. Il semble par ailleurs que rien ne soit prévu pour régler l'épineuse situation des binationaux titulaires d'un diplôme étranger, qui sont très peu nombreux mais se trouvent dans une impasse, car ils ne satisfont aux critères d'aucun régime d'exercice.
Ces observations étant faites, il me paraît difficile dans l'immédiat de s'opposer à la mesure d'urgence qui nous est proposée, quoique l'on puisse regretter que le dernier report de deux ans, voté dans la loi « Montagne » de 2016, n'ait pas été mis à profit pour définir une solution plus pérenne. Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi, tout en préparant dès aujourd'hui l'examen de la réforme qui nous arrivera dans le cadre de la loi Santé.
M. Yves Daudigny. - Je remercie Mme la rapporteure, dont l'exposé précis éclaire une situation complexe. Nous partageons largement vos observations. Nous voterons la proposition de loi, sans quoi plusieurs centaines de praticiens se trouveraient en situation d'illégalité au 1er janvier, ce qui serait dommageable pour eux mais aussi pour l'hôpital.
Ce cas particulier met en évidence les contradictions de notre système de santé. Le numerus clausus bloque l'accès à la carrière médicale pour des étudiants français, mais on fait venir des médecins de l'Union européenne ou de l'extérieur de l'Union pour occuper des postes. Ce n'est pas le fait d'être étranger qui pose problème, c'est la nature du diplôme.
Ce texte ne prend en compte que les quelques centaines de praticiens ayant un diplôme hors Union européenne engagés avant le 3 août 2010, date d'un décret qui modifie la formation des praticiens. Les praticiens concernés sont ceux qui n'ont pas pu suivre une procédure les menant au plein exercice, mais il y a aussi tous ceux qui ont été embauchés après le 3 août 2010 - on ne sait pas exactement combien ils sont, sans doute plusieurs milliers, 3 000 ou 4 000. Ces médecins exercent dans des conditions honteuses de précarité, tant du point de vue des conditions de travail que du salaire. On m'a fait part d'un salaire mensuel de 1 258 euros contre 3 815 euros pour un équivalent français.
Le Gouvernement s'est engagé à apporter une solution pérenne au travers de la loi de santé. Une double vigilance sera à observer : sur l'intégration des praticiens dans le système de santé et sur l'effectivité du contrôle de leurs compétences.
Mme Florence Lassarade. - Merci de ce rapport sur ce sujet touffu. Ces médecins sont-ils autorisés à faire de l'intérim ? Par ailleurs, ces diplômes concernent des médecins mais aussi des infirmières, diplômées dans leur pays et qui pourraient apporter leur contribution. Sont-elles concernées par la proposition de loi ?
Mme Laurence Cohen. - Le rapport très étayé ; il n'omet aucune des questions, pointe les contradictions et les manques, et souligne le besoin de vigilance. Notre groupe votera cette proposition de loi, qui est positive pour les 300 praticiens concernés et pour les patients et les établissements de santé, mais il faut mener une réflexion plus approfondie.
Je veux profiter de cette proposition de loi pour poser une question à la commission. Nous avons été alertés, en Guadeloupe, sur l'impossibilité d'embaucher des médecins cubains, dont la qualité de formation est reconnue, alors que c'est possible en Guyane. Y a-t-il donc différentes catégories de Padhue? Les médecins cubains font-ils l'objet d'un traitement particulier ? Pour quelles raisons ? Est-ce lié au blocus ?
M. Bernard Bonne. - Le rapport est très intéressant. Je regrette qu'il faille encore deux ans pour réfléchir à une question que l'on aurait dû traiter dès 2016. La situation de nos hôpitaux est déplorable. Il y a un problème de langue, certains médecins ne connaissent pas assez la langue française, et ils sont nombreux dans certains établissements de zones périphériques. Dans l'hôpital où je vais régulièrement - pourtant je ne suis pas dans une région sous-dotée -, il y a beaucoup de médecins étrangers, qui ont du mal à comprendre le français et à s'exprimer dans notre langue.
Par ailleurs, je m'étonne que le Conseil de l'ordre ne puisse donner son avis.
Enfin, une difficulté se présentera aux hôpitaux qui emploient beaucoup de médecins étrangers, recrutés à un coût faible : le jour où il faudra régulariser ces médecins, cela entraînera un coût élevé. En outre, ces médecins sont moins attractifs, ce qui entraîne une moindre activité de l'hôpital et donc des difficultés financières.
Par conséquent, il faut traiter vite ce problème, peut-être pour les 300 médecins concernés mais aussi pour les médecins à venir ; comment accepter ces Padhue?
M. Martin Lévrier. - Merci de cet excellent rapport ; nous voterons pour cette proposition de loi. Vous avez mentionné, madame la rapporteure, des recrutements illégaux ayant eu lieu sans que les hôpitaux le sachent ; cela est-il toujours d'actualité ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Ce rapport est excellent et éclairant. C'est un sujet que l'on rencontre tous les jours dans les hôpitaux. Je m'étonne que l'on en soit toujours là, dix ou quinze plus tard.
Nous voterons pour ce texte, qui ne règle qu'une petite partie du problème. C'est une question de fond. Comment accélérer la procédure de sorte à ne pas avoir à traiter dans deux ans la même question ? C'est un problème double : le numerus clausus et le fonctionnement et les moyens de l'hôpital.
Il faut essayer d'en faire un élément moteur de toute réforme, notamment dans la prochaine loi de santé. On doit relier cela aux lois sur l'immigration. On prône l'immigration choisie ; on y est : ces médecins sont diplômés et on en a besoin.
M. Alain Milon, président. - La récurrence de ces lois permet de ne jamais prendre de décision...
Mme Martine Berthet, rapporteur. - Madame Lassarade, il n'y a pas d'intérim des Padhue, car cela n'est pas autorisé - ils n'ont pas la plénitude d'exercice -, mais c'est tout de même un intérim de fait. Par ailleurs, les lois qui se sont succédé sur le sujet concernent les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes et pharmaciens, mais pas les infirmières.
Il y a effectivement un régime spécifique en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui a été très assoupli, mais ce régime n'est vraiment pas à envier car il y a beaucoup d'abus. Ce n'est pas plus satisfaisant... Les autres outre-mer s'inscrivent dans le droit commun.
J'en arrive au problème de la langue, monsieur Bonne. Le recrutement est fait par les hôpitaux, qui n'exigent pas de diplôme de niveau B2 pour la maîtrise de la langue française. Cela est exigé en revanche pour titularisation. Il faudra se soucier de cette question lors de l'examen de la loi de santé. Nous devons y être vigilants.
Pour que l'on ne poursuive pas le processus de recrutement de Padhue, les agences régionales de santé (ARS) doivent faire passer des messages dans les hôpitaux. La loi interdit de nouveaux recrutements ; on va déjà se retrouver avec un stock de praticiens à régulariser. Les recrutements continuent aujourd'hui et l'interdiction doit être appliquée. La régularisation ne se fera que pour les listes C ; les personnes recrutées depuis 2010 ne seront pas régularisées.
Monsieur Vanlerenberghe, vous avez raison, il faudra suivre ce sujet de près dans la prochaine loi de santé. Il ne faut pas permettre d'embauche supplémentaire, sinon, on ne s'en sortira jamais...
La proposition de loi est adoptée sans modification.
M. Alain Milon, président. - Je salue notre unanimité ! Ce texte sera examiné en séance publique le 18 décembre prochain, à 14 h 30, avant les questions d'actualité au Gouvernement.
Nomination d'un rapporteur
M. Alain Milon, président. - Le groupe Union Centriste a souhaité l'inscription à l'ordre du jour de son espace réservé du 23 janvier 2019 de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie. Ce texte sera examiné selon la procédure de la législation en commission le 16 janvier prochain à 8 h 30.
La commission désigne Mme Élisabeth Doineau en qualité de rapporteur pour la proposition de loi n° 185 (2018-2019) visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie.
La réunion est close à 14 h 15.