Jeudi 6 décembre 2018
- Présidence de M. Bruno Sido, sénateur -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Examen d'une note scientifique sur l'exploration de la planète Mars
M. Bruno Sido, sénateur. - Je vous prie d'excuser l'absence de Gérard Longuet, retenu dans sa circonscription. Notre premier vice-président, Cédric Villani, nous rejoindra dans un instant. Trois points sont inscrits à notre ordre du jour : la présentation de la note scientifique relative à l'exploration de la planète Mars, l'examen des conclusions de l'audition publique sur les perspectives technologiques ouvertes par la 5G, puis un échange avec les membres de du Conseil scientifique.
L'expertise de notre collègue Catherine Procaccia en matière spatiale n'est plus à prouver. Nous avions réalisé ensemble, pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport sur la politique spatiale européenne, publié en 2012 et actualisé en 2015 à travers une audition publique.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l'Office, rapporteur. - Ce rapport avait participé à convaincre nos partenaires allemands de s'engager dans le programme Ariane 6. Nos recommandations en matière de gouvernance, de stabilisation des budgets et d'indépendance demeurent d'actualité.
L'exploration de la planète Mars a fait l'objet de nombreux films dont, récemment, le très réussi Seul sur Mars. Je vous propose, plus modestement, de visionner une vidéo sur l'atterrissage d'Insight après sept mois de voyage et une descente de six minutes.
(Une vidéo est diffusée)
L'enjeu de la présente note est d'établir un bilan de l'exploration de Mars et de tracer des perspectives pour l'avenir. Mars n'a jamais cessé de faire rêver le grand public et de fasciner les scientifiques. Elle tire son nom du dieu de la guerre, en raison de son mouvement apparemment erratique vu depuis la Terre, et de sa couleur rouge, due aux poussières riches en oxydes de fer qui couvrent sa surface.
En 1877, Schiaparelli établit une première carte de la planète, où il met en évidence des canaux artificiels, introduisant dans l'opinion, mais aussi chez certains scientifiques, l'idée qu'ils auraient pu être construits par une civilisation extraterrestre. De nombreux astronomes partageront son interprétation, comme l'Américain Percival Lowell ou le Français Camille Flammarion, qui pense Mars habitable. Ces thèses, à l'origine du mythe des Martiens, ont largement inspiré les auteurs de science-fiction. Elles ont été progressivement abandonnées par les scientifiques grâce au perfectionnement des télescopes, leur précision croissante ayant dévoilé que les canaux rectilignes n'étaient que des illusions d'optique.
Les quarante-trois missions en survol, par sondes et orbiteurs, ou sur place grâce à des atterrisseurs et des rovers, conduites depuis les années 1960, se sont traduites, pour moins de la moitié d'entre elles, par des succès, qui ont permis d'invalider définitivement la thèse des « canaux martiens ». Par ailleurs, sur les dix-sept atterrissages réussis, huit concluaient des missions réalisées par les États-Unis.
La France demeure la première puissance spatiale européenne. Elle mène des activités ambitieuses concernant Mars dans le cadre de coopérations internationales, à travers notamment la fourniture, par le Centre national d'études spatiales (CNES), d'instruments pour les programmes de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et de l'European Space Agency (ESA), à l'instar de ChemCam sur Curiosity, du sismomètre SEIS présent sur l'atterrisseur InSight - l'appareil étant le fruit d'une collaboration avec l'Institut de physique du globe de Paris et la société Sodern - et de SuperCam pour la future mission Mars 2020. Sont programmés à cette date l'envoi du rover ExoMars de l'ESA et la mission commune NASA/ESA Mars Sample Return, qui vise à rapporter des échantillons martiens sur la Terre.
Dans ce contexte, les autres puissances spatiales paraissent distancées, sans pour autant abandonner l'idée de retourner sur Mars, comme la Russie, en dépit de ses nombreux échecs, mais également le Japon et l'Inde, ou de s'y rendre pour la première fois, à l'instar de la Chine ou des Émirats arabes unis.
De l'eau se trouve sur la planète Mars sous forme de glace en surface et d'eau liquide dans le sous-sol, mais les explorations robotisées n'ont pas mis en évidence de traces de vie. Si cette dernière existe sur Mars, elle est repoussée en profondeur dans le sous-sol. Bien que la planète ne semble ni habitable ni habitée, cela a pu être le cas autrefois et cela ne veut pas dire qu'elle ne le sera plus jamais.
L'exploration humaine de Mars devient un projet crédible, bien que complexe et très coûteux. Elle demeure en effet un défi, y compris pour un simple vol orbital, en raison de difficultés techniques et logistiques et d'un risque élevé pour la vie et la santé des astronautes. Après le lancement et l'assemblage de divers équipements spatiaux, il faudra gérer une mission longue de 640 à 910 jours, dont six à neuf mois pour le seul trajet aller, avec de rares fenêtres de lancement et des besoins inédits en énergie, notamment en carburant, en oxygène, eau, nourriture et équipements divers, par exemple pour la gestion des déchets. En outre, la question du retour reste sensible, car le décollage sera plus délicat que celui qui est opéré depuis la Lune, en raison d'une gravité martienne plus importante. Cette contrainte aura notamment des conséquences sur les besoins en carburant. Un lanceur de grande taille, décollant dans une fenêtre de lancement précise et à partir d'un emplacement remplissant des conditions spécifiques, sera ainsi nécessaire. D'un point de vue sanitaire, se pose la question des effets de l'impesanteur sur une longue durée, des éruptions solaires et des rayonnements cosmiques. Sur le plan psychologique, l'équipage sera soumis à un stress intense dans un volume habitable restreint, sur un temps long et sans possibilité d'assistance en temps réel depuis la Terre, en raison de délais de communication qui pourront aller jusqu'à vingt minutes.
Le coût des missions sur Mars représente plusieurs dizaines de milliards d'euros en cas de vol habité, alors que les bénéfices pour la science, nos sociétés et nos économies ne semblent pas valoir un tel investissement. Les motivations symboliques ou politiques jouent un rôle déterminant par rapport aux objectifs scientifiques, que remplissent les robots pour un moindre coût. Je recommande donc de privilégier les missions robotisées sur Mars, de faire de l'exploration humaine un objectif de long terme et de conserver un équilibre entre l'exploration de Mars et celle du reste du système solaire. En outre, le CNES doit continuer à fournir, avec nos laboratoires spatiaux, des instruments essentiels à la pointe de la technologie. Le rôle de puissance spatiale de la France doit être conforté au travers de l'ESA ainsi que dans des accords de coopération équitables avec les autres puissances spatiales.
- Présidence de M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office -
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous vous remercions pour la production de cette note. Vous estimez que l'exploration humaine de Mars relève davantage du prestige que de l'intérêt scientifique. Si l'Office avait eu à se prononcer, dans les années 1960, sur l'opportunité d'envoyer des hommes sur la Lune, pensez-vous que notre analyse et nos préconisations auraient été identiques ?
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Je l'ignore. Nous savons comment aller sur Mars, bien que les conditions d'atterrissage demeurent incertaines et qu'aucun équipement ne soit prêt, mais pas encore à en revenir. Les techniques en cours d'élaboration ne visent à rapporter que 500 grammes de matière. Lors des auditions menées en 2012, certains scientifiques nous avaient assurés être prêts à partir sur Mars sans certitude de retour. Il faudrait, quoi qu'il en soit, envoyer plusieurs missions pour installer préalablement des bases de vie, comme le relate assez justement le film Seul sur Mars. Malgré ces difficultés, je reste convaincue que l'espace représente l'avenir de l'humanité.
M. Bruno Sido, sénateur. - Serait-il imaginable d'envoyer des hommes sur Mars sans perspective de retour ?
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Politiquement, ce serait impossible ! Mais de nombreux candidats se sont inscrits pour des projets privés qui ne garantissent nullement un retour sur Terre. Je n'imagine pas, en revanche, un État prendre une telle responsabilité, y compris avec un animal.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Le projet privé que vous évoquez relevait en réalité d'une fraude, me semble-t-il.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Il s'agissait d'une émission de téléréalité censée financer une expédition humaine sur Mars. D'autres projets plus sérieux de tourisme spatial posent des questions similaires. Nul ne croyait initialement réalisables les défis lancés par Space X. Voyez pourtant son projet de fusées réutilisables, qui fera prochainement l'objet d'une note scientifique de l'Opecst : ni le CNES ni aucun spécialiste ne l'envisageait, mais les premiers résultats semblent encourageants. J'estime néanmoins que l'exploration humaine de Mars ne peut être envisagée avant d'avoir réussi à rapporter des échantillons. Peut-être sera-t-elle possible à la fin de notre siècle.
M. Bruno Sido, sénateur. - Il ne me semble pas que Space X ait jamais réussi à réutiliser une fusée récupérée entière.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Mais cela est désormais faisable, alors que les scientifiques le contestaient !
M. Bruno Sido, sénateur. - Catherine Procaccia et moi-même, dans le cadre de notre rapport précité, nous sommes rendus dans les locaux de Space X à Los Angeles. Leur technique de construction de fusées, de l'ordre du « meccano », est très différente de celle qui est habituellement utilisée.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Nous avions effectivement été très surpris.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Jean-Yves Le Gall, président du CNES, m'a rapporté des propos tenus par Elon Musk lors d'un congrès spatial, très significatifs quant aux ambitions du personnage : « You, guys, are all dead. I'm coming, I'm Elon Musk. »
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - S'agissant de Mars, il est indispensable de redécoller en fusée. Or, nous en sommes seulement au stade de savoir s'il est possible de redécoller avec 500 grammes d'échantillon, donc très loin d'une exploration impliquant plusieurs spationautes.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Les enjeux scientifiques de l'exploration de la planète Mars sont doubles : elle doit nous permettre de comprendre le devenir de l'eau et les raisons de la disparition du champ magnétique.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Il s'agit de comprendre comment une planète, habitée ou habitable autrefois, peut ne plus l'être, afin d'en tirer des enseignements pour la Terre.
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - À qui appartiennent les échantillons prélevés sur Mars et, le cas échéant, les ressources de la planète ? La question de leur propriété pourrait constituer une difficulté.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Qu'un drapeau ait été ou non planté sur une planète, l'espace appartient à tous et nul ne peut se l'approprier. Les rares échantillons martiens seront examinés par des équipes internationales de chercheurs, dont certains appartiennent au CNES. Lors de nos auditions, un scientifique nous a apporté une pierre provenant de Mars, dont certains morceaux sont arrivés jusqu'à la Terre grâce à une météorite. Jean-Yves le Gall nous a indiqué qu'il serait plus aisé d'aller prélever des échantillons sur les satellites de Mars, originellement attachés à la planète, car l'atterrissage et le décollage y sont plus faciles. Une mission y sera d'ailleurs prochainement envoyée.
Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice. - Comment expliquer la disparition du champ magnétique de Mars ? Sur Terre, il ressort du déplacement des fluides sur la couche externe. Hubert Reeves avait développé une théorie relative à l'inversion du champ magnétique terrestre.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Les scientifiques en débattent encore, mais nous savons qu'il a autrefois existé un champ magnétique sur Mars.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Le champ magnétique est lié aux mouvements de convection, sans qu'il soit évident que de tels mouvements puissent générer un champ permanent. D'ailleurs, c'est un problème qui est longtemps demeuré irrésolu, et les théorèmes qui se succédaient ne faisaient qu'exclure la possibilité de l'apparition d'un champ magnétique. Il semble aussi que la disparition du champ magnétique ait entraîné celle de l'atmosphère. Mais ces sujets sont encore mal connus.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Mars est deux fois plus petite que la Terre. L'une des hypothèses est qu'elle n'aurait pas conservé sa chaleur interne en raison de la taille de son noyau.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - L'intérieur de notre Terre a été un mystère jusqu'aux années 1960, et les recherches sur la graine centrale ou les mécanismes exacts du refroidissement de notre planète se poursuivent. Récemment, le Collège de France a recruté un spécialiste de cette question. Nous connaissons beaucoup mieux l'extérieur de la Terre que son intérieur. Comprendre l'intérieur de Mars sera aussi un défi.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, rapporteur. - Il reste des interrogations, mais notre note a été validée par les nombreux scientifiques que nous avons auditionnés.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Vous avez travaillé avec une efficacité remarquable.
La publication de la note scientifique n° 8 sur Mars, nouvelle frontière de l'exploration spatiale, est autorisée.
Conclusions de l'audition publique sur les perspectives technologiques ouvertes par la 5G
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Le 8 novembre dernier, nous avons organisé une audition publique sur les enjeux et les perspectives technologiques ouvertes par la 5G, autour de trois chercheurs et de représentants des organismes publics concernés : l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), l'Agence nationale des fréquences (ANFR), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et la Fédération française des télécoms (FFT). Pierre Henriet, député, qui y était associé, va nous en présenter les conclusions.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - La cinquième génération de standards de téléphonie mobile, dite 5G, est annoncée comme une innovation de rupture. Face à un certain emballement, vos rapporteurs ont voulu identifier les enjeux technologiques réels derrière le concept quelque peu commercial de « révolution 5G ».
Les standards de téléphonie mobile ont pour origine le travail de normalisation effectué par l'Union internationale des télécommunications (UIT), agence des Nations unies spécialisée dans les technologies de l'information et de la communication. L'UIT s'appuie sur un groupe chargé des questions techniques et d'exploitation relatives aux radiocommunications. En 2013, ce groupe a commencé à préparer un nouveau standard IMT - International Mobile Telecommunications - appelé IMT-2020, comme il l'avait fait dans les années 2000 pour définir la 4G, qui porte le nom de standard IMT Advanced. L'UIT s'appuie sur un regroupement mondial d'organismes de standardisation en télécommunications, appelé le 3GPP - 3rd Generation Partnership Project.
La norme IMT-2020, ou 5G, répond à la question des limites de la 4G, tout en se situant dans le prolongement de celle-ci : elle ne correspond pas à un saut technologique de grande envergure. Il s'agit d'évoluer dans la continuité afin de relever les défis posés par les limites du standard actuel, qui sont l'engorgement des réseaux dans des zones à trafic ponctuel élevé, comme lors de grands rassemblements, l'incapacité à fournir un accès aux réseaux à une grande quantité d'objets connectés et l'existence de délais de latence.
Les technologies mobiles ont évolué au rythme des innovations technologiques et des demandes sociales : le déploiement de la 5G devrait ainsi accompagner l'ultra-connectivité de la société. La cinquième génération de standards de téléphonie mobile ira plus loin qu'une simple augmentation des débits. L'impact devrait être important non seulement en termes techniques, mais aussi pour l'économie et la société.
L'Office n'a pas souhaité aborder toutes les questions posées par la 5G. Les réseaux mobiles sont de plus en plus au coeur du quotidien de nos concitoyens, ce qui pose de nombreuses questions politiques, économiques, sociétales et de cohésion territoriale, notamment autour de leurs usages. Il incombera aux commissions des affaires économiques et du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et du Sénat d'étudier précisément ces enjeux.
La connexion 5G en ultra haut débit permettra plus qu'une simple amélioration de la qualité de diffusion des vidéos en ultra haute définition ; elle garantira la couverture de besoins spécifiques dans des secteurs variés ainsi que les usages liés à l'internet des objets. Les communications entre une grande quantité d'objets connectés devraient être facilitées, dans le cadre de réseaux plus fiables, avec une très faible latence. L'innovation introduite par la 5G se situe d'abord à ce niveau : permettre des communications massives, quasiment en temps réel, grâce à l'optimisation des bandes de fréquence par des modulations numériques plus complexes et un meilleur pointage des faisceaux. Ces avancées doivent conduire à assurer la couverture de besoins spécifiques dans des secteurs parfois critiques. Je pense à l'énergie, tant au niveau de la production, du stockage que du transport d'énergie lui-même ; à la santé, avec la question des diagnostics médicaux et des opérations à distance en temps réel ou téléchirurgie ; et aux transports, parce qu'ils demanderont, à l'heure des véhicules autonomes, des temps de réaction très courts, surtout en cas d'accident. D'autres secteurs, comme les médias ou l'industrie, tireront profit de la 5G. La réalité virtuelle comme la réalité augmentée seront, en outre, facilitées.
Les initiatives pour développer la 5G sont nombreuses. La France s'oriente vers l'adoption de ce nouveau standard. En juillet 2018, a été publiée la feuille de route 5G de la France et le programme de travail correspondant de l'Arcep. Des expérimentations sont en cours depuis cet automne et une consultation publique sur l'attribution des bandes de fréquence vient d'être ouverte. En 2019, l'appel à candidatures pour les attributions de fréquences sera lancé.
Les incertitudes sont nombreuses quant au choix des bandes de fréquences, dont le spectre est très congestionné. Trois bandes sont envisagées, toutes au-dessus de la limite supérieure de la très haute fréquence, qui est de 300 mégahertz : 700 mégahertz ; 3,5 gigahertz et 26 gigahertz. Chacune d'entre elles présente des spécificités : la première a l'avantage d'une latence réduite, mais présente une capacité limitée ; la seconde ne peut pas couvrir tout le territoire et imposera de recourir en complément à des bandes basses pour assurer une couverture plus complète ; la troisième est très directive et ne fonctionne donc qu'en l'absence d'obstacles entre l'émetteur et le récepteur, ce qui convient davantage à la structure géographique et à l'habitat des États-Unis qu'à ceux de la France.
Ces trois bandes de fréquences sont déjà occupées, notamment par des utilisateurs gouvernementaux qui travaillent sur l'espace, la météorologie ou dépendent du ministère de l'intérieur ou de celui de la défense. Il faudra donc faire cohabiter la 5G avec ces réseaux ou les exproprier, puis les faire déménager au sein du spectre. Les choix à opérer sont complexes, car il faudra maximiser la mobilisation de la bande passante disponible et harmoniser ces choix au niveau international, ou au moins européen. La 5G ne va pas faire disparaître la 4G : ces réseaux vont coexister et, dans un premier temps, la 5G servira surtout à désengorger les réseaux 4G, qui saturent dans les zones de densité importante et à haut niveau de trafic. Après cette amélioration des performances, des changements qualitatifs pourront intervenir dans un deuxième temps autour de nouvelles fonctionnalités pour nos sociétés. Elles concerneront, en particulier, les usages liés au temps réel et à la gestion des objets connectés.
Les investissements pour les réseaux d'infrastructures seront importants. Des travaux seront nécessaires pour évoluer d'une antenne 4G à une antenne 5G. Ils sont toutefois à relativiser parce que le même support pourra être utilisé simultanément au travers de cellules dites multitechnologiques et parce qu'une grande partie des progrès en la matière seront virtualisés, c'est-à-dire qu'ils passeront plus largement par des couches logicielles que par des couches physiques. Ces investissements, tout type de réseaux confondu, ont d'ailleurs représenté, pour les opérateurs de télécommunications, 10 milliards d'euros pour les services fixes et mobiles en 2017, dont trois milliards d'euros pour les seuls mobiles. Cette virtualisation impliquera une certaine vigilance en termes de sécurité des réseaux.
Les préoccupations associées à l'exposition des particuliers aux ondes électromagnétiques des radiofréquences seront de plus en plus grandes à mesure que se développeront ces technologies, d'autant que l'impact de ces dernières sur la santé continue de faire l'objet de débats scientifiques. Les études menées ont reconnu les radiofréquences comme cancérogènes possibles, mais les effets biologiques observés n'ont pas encore apporté la preuve d'un risque certain sur l'homme en matière de cancérogénicité. Il faut noter, de plus, que les fréquences hautes, dont certaines seront utilisées par la 5G, pénètrent moins le corps humain, ce qui peut sembler, a priori, rassurant. Ces préoccupations légitimes appellent une plus grande transparence, afin de permettre un déploiement dans un climat de confiance.
En conclusion, l'Office formule les recommandations suivantes.
En matière de santé publique, il faut que le monde de la recherche, et en particulier l'Anses, dispose de données précises émanant des opérateurs et des constructeurs d'antennes, tant sur l'exposition et la durée d'exposition que sur les technologies utilisées par les antennes. Il convient aussi de garantir le financement de l'appel à projets de recherche de l'Anses sur les risques liés à l'exposition aux radiofréquences ; de poursuivre les expérimentations 5G en cours et de lancer dès 2019 des pilotes 5G « grandeur nature » ; et, enfin, de conduire des travaux de concertation avec les collectivités territoriales et les entreprises pour favoriser la mutualisation des réseaux et des conditions d'accès spécifiques au réseau 5G pour certains usages ciblés.
M. Bruno Sido, sénateur. - C'est la première fois que j'entends dire que les radiofréquences sont reconnues comme cancérigènes possibles. Il me semble au contraire que toutes les études montrent qu'elles n'ont pas d'effet.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l'Office. - Notre Office a fait un rapport sur la question.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Il s'agit peut-être d'un reclassement de leurs résultats... À moins que la confusion ne résulte de la divergence entre les expériences menées en laboratoire et les données épidémiologiques.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - Cette expression est utilisée depuis quinze ans, mais on n'est jamais passé à l'idée d'un risque certain.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - On constate que les cellules exposées présentent des effets induits, mais, en termes d'épidémiologie, on n'a pas décelé d'indices d'une prévalence supérieure du cancer.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Nous en avons parlé le 31 mai dernier. Il semble que les expériences menées sur des rats ou des souris révèlent des effets cancérogènes, mais elles ne sont pas transposables à l'homme, et les intensités d'exposition sont bien supérieures à celles auxquelles nous sommes soumis. Le doute persiste, néanmoins, sur l'effet du téléphone, et a fortiori de la 5G. Mon amendement concernant le financement de l'appel à projets de recherche de l'Anses n'a hélas pas été retenu par la commission des finances, car le Gouvernement considère apparemment que la hausse de 18 % de la subvention est suffisante pour l'Anses.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a reconnu les champs électromagnétiques de radiofréquence comme pouvant être cancérogènes pour l'homme. Il se peut que l'utilisation d'un téléphone sans fil accroisse le risque de gliome, qui est un cancer malin du cerveau.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Le Circ a pris part à la controverse sur le glyphosate et considère aussi le café et le thé comme des cancérigènes possibles... La question est de savoir ce qu'il entend par « possible ». Cela ne signifie pas que la substance peut déclencher un cancer, mais il y a des indices suggérant qu'il peut exister un mécanisme la liant à un déclenchement de cancer.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - Peut-être pourrions-nous mentionner, en note, cette publication du Circ ?
M. Bruno Sido, sénateur. - Je vous posais la question parce que cette mention sera certainement remarquée et pourrait relancer une polémique embarrassante.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous pouvons aussi renvoyer au rapport sur l'effet des radiofréquences publié par l'Anses et salué par toutes les parties comme un modèle du genre.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Ou écrire que les études en question ont été faites sur des animaux.
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Ne faudrait-il pas préciser par qui les études mentionnées ont été menées ?
Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice. - Il serait tout de même bon d'écrire qu'il s'agit d'études conduites sur l'animal.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Cela laisserait penser qu'un mécanisme identique est possible chez l'homme. Tout est dans le sens de cet adjectif... Pour être précis, il faudrait renvoyer à l'étude de l'Anses.
Il en est ainsi décidé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - De mes discussions avec les opérateurs, j'ai retenu que, si la 5G est au point sur le plan technique, sa mise en oeuvre sera délicate. Il faudra d'abord s'assurer de sa compatibilité avec la 4G, car les premières applications 5G utiliseront le réseau 4G. La 5G pourra transmettre beaucoup plus d'informations, à condition toutefois que les équipements soient considérablement renforcés. En particulier, le nombre de points d'émission devra être augmenté, et chacun émettra moins. Cela demandera un effort très important à la puissance publique.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - Ces questions ont été soulevées pendant l'audition, et ce sont les commissions des affaires économiques de nos deux assemblées qui auront à y réfléchir.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Il ne faut pas laisser entendre que, là où la 4G ne passe pas, la 5G passera, car cela susciterait des espoirs qui seront déçus.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Tout dépendra des installations.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Dans les zones mal desservies, rien ne changera.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - En effet.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Dans certaines zones, la 5G coûtera très cher à installer par rapport au service qu'elle apportera.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Une rencontre sur la 5G a été récemment organisée à l'Assemblée nationale avec des représentants des opérateurs. Le débit sera entre dix et mille fois supérieur, selon les applications, à celui de la 4G. La directionnalité sera plus précise, ce qui permettra des intensités plus faibles. Mais le besoin de couverture sera bien plus fort, nous disent les opérateurs ; la puissance publique n'a pris aucun engagement chiffré pour le moment.
Les très hautes fréquences, à 26 gigahertz, ne pourront pas être mises en oeuvre sans de nouvelles antennes. L'enjeu est donc la quantification du niveau de prestation recherchée, ce qui nous renvoie aux problématiques de développement et de cohésion de nos territoires.
Mme Angèle Préville, sénatrice. - Cela concerne non seulement les commissions des affaires économiques, mais aussi les commissions du développement durable et de l'aménagement du territoire.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - En effet. D'ailleurs, au Gouvernement, ces sujets sont davantage portés par M. Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement, que par le ministère de l'économie.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Au Sénat, la commission des affaires économiques ne s'est pas encore saisie du sujet.
M. Pierre Henriet, député, rapporteur. - Tous les parlementaires sont intéressés par les territoires.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous pourrions ajouter une phrase de conclusion pour préciser qu'il convient de prendre en compte aussi bien les enjeux technologiques que ceux qui sont liés à l'aménagement et à la cohésion des territoires.
Il en est ainsi décidé, et la publication du rapport d'information présentant les conclusions de l'audition publique sur les perspectives technologiques ouvertes par la 5G est autorisée.
Réunion avec les membres du Conseil scientifique
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Mesdames, messieurs les membres du Conseil scientifique, je vous souhaite la bienvenue. Votre présence témoigne de votre implication dans nos travaux. J'ai été moi-même membre de ce conseil scientifique il y a quelques années...
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-président de l'Office. - Vous allez leur donner des idées...
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - J'ai plaisir à vous retrouver. Je regrette que ce Conseil ne se réunisse pas plus souvent, et plusieurs d'entre vous m'ont fait part de leur disponibilité. Nous tâcherons, avec le président Gérard Longuet, dont je vous prie d'excuser l'absence, de vous solliciter davantage : nous sommes toujours preneurs de bonnes volontés ! Déjà, chaque fois que nous nous saisissons d'un sujet pour rédiger un rapport ou une note, si un membre du Conseil est spécialement compétent sur ce sujet, nous l'en informons et l'associons à notre réflexion.
Nous avons enrichi le personnel de l'Office en y intégrant de jeunes conseillères scientifiques : une docteure en astrophysique, travaille maintenant à plein temps pour faciliter nos rapports avec la science dans le domaine de la physique ; et de même une ingénieure et docteure en neurosciences nous aidera dans le domaine des sciences de la vie. Nous prévoyons des recrutements supplémentaires pour nous aider pour ce qui concerne les sciences de l'information et les sciences humaines et sociales. Nos conseillères, dont l'aide nous est très précieuse, sont déjà impliquées dans plusieurs projets, qui vont de la politique de vaccination à la recherche sur l'énergie nucléaire, en passant par la question des grands collisionneurs de hadrons ou les projets d'accélérateurs linéaires électrons-positrons en cours de discussion.
Notre dernière réunion remonte au 27 septembre 2017 : un peu après les élections législatives et juste avant le renouvellement du Sénat.
Concernant la gouvernance de l'Office, conformément à la tradition, le Sénat assure la présidence pendant trois ans, sous l'autorité de Gérard Longuet, et je suis premier vice-président chargé de la coordination avec l'Assemblée nationale. Sur les trente-six membres que compte l'Office, seize des dix-huit députés et douze des dix-huit sénateurs sont nouveaux.
Permettez-moi de dresser le bilan des travaux conduits depuis un an.
Nous avons réalisé trois études longues. Le rapport d'information de Valéria Faure-Muntian, Claude de Ganay et Ronan Le Gleut portant sur le fonctionnement et les enjeux des blockchains a été publié en juin dernier ; le rapport d'information de nos collègues Annie Delmont-Koropoulis et Jean-François Eliaou, qui concerne l'évaluation de l'application de la loi de 2011 relative à la bioéthique, a été publié fin octobre ; enfin, à la suite du débat sur le glyphosate, Philippe Bolo, Anne Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias examinent actuellement les modalités de l'expertise des risques sanitaires et environnementaux, l'indépendance et l'objectivité des agences d'évaluation, l'analyse des risques sanitaires, une étude qui aboutira dans les semaines qui viennent.
Par ailleurs, nous avons organisé un certain nombre d'auditions publiques sur des sujets sensibles, afin d'éclairer, voire d'avertir, la puissance publique. Ainsi, l'une des auditions a porté sur les algorithmes au service de l'action publique, avec, en particulier le cas du portail Admission Post-Bac (APB), devenu Parcoursup. Gérard Berry a joué un rôle important en la matière : il n'était pas inutile d'alerter le ministère sur l'urgence à s'emparer de certains aspects algorithmiques dans la mise en oeuvre de Parcoursup. Nous avons d'ailleurs procédé à une nouvelle audition, il y a quelques jours, pour faire le bilan de cette plateforme, et nous nous félicitons que certaines de nos préconisations formulées l'année dernière aient été prises en compte par le Gouvernement, notamment la publication du code source, de l'algorithme et du cahier des charges des traitements automatisés correspondants.
Les enjeux des compteurs communicants, parfois appelés abusivement « compteurs intelligents », ont également fait l'objet d'une audition. Nous connaissons tous le dossier sensible et parfois douloureux du compteur Linky, avec son lot d'informations et de rumeurs mêlées. L'installation de ces compteurs a cruellement manqué de pédagogie, notamment auprès des consommateurs. Le manque de confiance qui en a résulté fait peser sur l'ensemble du programme un risque très supérieur aux risques purement technologiques et techniques.
Nous avons aussi organisé une audition sur le thème de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques : experts et associations ont pu exposer des points de vue contradictoires. Le travail de l'Anses a été particulièrement mis à l'honneur : cette agence a traité, pour la première fois, le sujet d'une manière à la fois rigoureuse, complète et reconnue comme légitime par tous les acteurs présents. Mais beaucoup reste à faire pour définir des protocoles de recherche adaptés à ce sujet sensible.
Une autre audition récente a porté sur les enjeux et perspectives technologiques de la 5G. Nous avons également étudié les nouvelles tendances de la recherche en matière d'énergie nucléaire, et une table ronde sur les tendances de la recherche dans le domaine des énergies renouvelables sera organisée au début de l'année 2019.
Enfin, avec les délégations aux droits des femmes de l'Assemblée nationale et du Sénat, nous avons organisé une audition publique sur les femmes et les sciences, un sujet important à l'heure où les clichés et les déterminismes en la matière ont tendance à se renforcer avec une intensité inattendue.
Ces auditions publiques sont désormais diffusées en direct, consultables sur les sites internet de l'Assemblée nationale et du Sénat, donnent lieu à une publicité sur les réseaux sociaux des deux assemblées et sont participatives : les internautes peuvent poser des questions en direct. Nous avons plus que jamais besoin d'impliquer nos concitoyens dans les grands débats de société.
Nous avons aussi procédé à des auditions simples, dont certaines en lien direct avec les grandes questions d'actualité de la recherche. Nous avons auditionné Olivier Le Gall, président de l'Office français de l'intégrité scientifique, dont les progrès seront soumis à une évaluation rigoureuse, dans un contexte nécessitant une action très énergique en la matière. Les scandales passés et à venir contribuent à remettre en question le lien de confiance que nous avons avec les citoyens. Anne Genetet, qui a participé à un certain nombre de réunions en la matière, aura à coeur, à l'instar d'autres membres de l'Office, de maintenir la veille et l'action sur ce sujet et d'épauler les organismes nationaux.
Michel Cosnard, président du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcérès), est intervenu pour parler de la position scientifique de la France dans le monde au travers d'un rapport de l'Observatoire des sciences et des techniques. La présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes a été auditionnée à propos du rapport sans concession de la Cour sur les outils du programme d'investissements d'avenir consacrés à la valorisation de la recherche publique, un thème également essentiel.
Je dirai maintenant quelques mots sur la préparation des nouvelles notes scientifiques de l'Office.
L'une des innovations de l'année écoulée, née de la volonté d'agir sur le temps court et de façon très opérationnelle pour les citoyens, les politiques et nos collègues chargés de ces sujets, consiste en la préparation de notes synthétiques de quatre pages sur des sujets d'actualité. Ces dernières ont porté sur les objets connectés, la fabrication additive dite « impression 3D », le stockage du carbone dans les sols, les enjeux techniques des blockchains, le transport à très grande vitesse sous vide dit « hyperloop », la politique de rénovation énergétique des bâtiments, les enjeux sanitaires et environnementaux de l'huile de palme et l'exploration de la planète Mars. Chacune de ces notes est accompagnée, sur nos sites, d'une courte vidéo de présentation de deux minutes par les membres de l'Office qui les ont rapportées.
D'autres notes sont en préparation : sur les lanceurs spatiaux réutilisables, sur les accélérateurs de particules et le grand projet dit ILC (pour International Linear Collider) au Japon, sur les technologies quantiques, une note qui sera déclinée en trois ou quatre parties selon que l'on parle d'ordinateurs quantiques, d'informatique quantique, de capteurs de données quantiques ou encore de cryptographie quantique.
Par ailleurs, une note sur ce que l'on appelle parfois la sixième extinction des espèces ou la tragique réduction actuelle de biodiversité est quasiment achevée. Une autre note sur le stockage de l'énergie est en cours et une note sur la politique de vaccination sera l'un des sujets d'action de notre nouvelle conseillère scientifique en sciences de la vie pour faire aboutir un sujet engagé voilà un an déjà et dans lequel notre collègue Jean-François Éliaou s'est impliqué. Nous avons bien sûr l'intention de faire appel à vous pour traiter ces nouveaux sujets.
Nous proposons d'instruire certains thèmes dans l'année à venir, en particulier la politique de publication scientifique, dont les enjeux sont non seulement scientifiques mais également économiques et politiques, ainsi que la diplomatie scientifique. Il s'agit là d'entrer dans les arcanes des politiques étrangères des grands organismes de recherche nationaux et internationaux et de considérer les initiatives engagées par les ministères des affaires étrangères en matière de diplomatie ou par l'intelligence économique. Au-delà des enjeux scientifiques et technologiques proprement dits, la mise en oeuvre de grandes innovations fait de plus en plus intervenir des éléments de sciences humaines et sociales, telles que l'économie, la psychologie, les actions liées à la cohésion.
Nous sommes preneurs de tous vos retours sur les travaux déjà engagés et de toutes vos suggestions sur ceux qui sont à venir. La parole se veut ici aussi libérée et franche que possible.
Avant de vous laisser la parole, permettez-moi d'évoquer deux études spéciales en cours, qui sont parfaitement alignées avec de grands enjeux politiques.
Il s'agit, d'une part, du travail sur l'élaboration de scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif de l'arrêt de la commercialisation de véhicules reposant sur des énergies fossiles à l'horizon 2040, objectif annoncé par le Gouvernement en juillet 2017. D'autres gouvernements étrangers affichent des objectifs plus ambitieux : 2035, voire 2025 en Norvège. Mais à quoi bon annoncer ces dates si l'on n'a pas de scénario technologique et économique pour mettre en oeuvre ces mesures, sauf à se contenter d'un wishful thinking, comme disent nos collègues anglo-saxons. Huguette Tiegna et Stéphane Piednoir sont aux manettes pour travailler sur ce sujet. Dans ce cadre, nous avons déjà organisé une audition publique sur la question des infrastructures de recharge. Pour la modélisation et les simulations de différentes projections, nous avons décidé de recourir à l'expertise de deux organismes extérieurs, l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui ont accepté de répondre sur commande à une étude en la matière.
Il s'agit, d'autre part, d'une étude sur la valorisation énergétique des terres agricoles. Nous n'en sommes qu'à l'étape de la saisine ; nous pourrons prochainement vous en dire plus.
Je vous remercie chaleureusement, au nom de l'Office, pour la contribution que vous nous apportez et sur laquelle nous savons pouvoir compter.
Mme Astrid Lambrecht, directrice de recherche au CNRS, laboratoire Kastler Brossel, directrice adjointe scientifique de l'Institut de physique du CNRS (INP/CNRS). - Mon intervention portera sur plusieurs sujets. Mais permettez-moi, au préalable, de formuler une remarque d'ordre général. J'aurais aimé intervenir sur certains sujets, comme l'Hyperloop ou touchant à la physique, mais je n'étais pas au courant des thèmes en cours d'examen. La note sur les technologies quantiques m'intéresse tout particulièrement ; ce sujet, très pertinent, est porteur pour la France.
Concernant les appels à projets européens, les activités scientifiques ont été coordonnées en France par le ministère, une initiative remarquable permettant de mettre autour de la table tous les établissements. Auparavant, dans le cadre des flagships européens, la France avançait en ordre dispersé. La communauté scientifique, dans son ensemble, ne pouvait pas alors profiter des appels à projets. Il en va différemment pour ce qui concerne le flagship sur les technologies quantiques, où l'action est coordonnée, sur l'initiative du CNRS.
Pour ce qui concerne ces dernières technologies, la France a la particularité d'avoir des équipes de chercheurs qui travaillent sur ses quatre piliers, en collaboration avec des industriels dans nombre de domaines.
Par ailleurs, la parité scientifique est un combat qu'il faut poursuivre, et il faut agir à plusieurs niveaux. Je suis prête à participer à vos travaux sur ce sujet.
J'évoquerai aussi la question du financement de la recherche en général. Dans différents pays, les crédits accordés à la recherche entre 2015 et 2016 ont augmenté de manière considérable, surtout en Chine, un peu moins aux États-Unis, alors qu'ils n'ont quasiment pas crû en France. Est-ce un choix politique ?
D'origine allemande, je connais bien le système allemand. Il n'est pas possible d'importer un système. D'ailleurs, il faut le dire, avec un budget moindre, le système français fonctionne très bien, notamment avec les unités mixtes de recherche - c'est remarquable. Quoi qu'il en soit, il convient de faire des efforts pour que la recherche se maintienne au niveau international. Comment se positionne la recherche française dans les différents domaines par rapport aux autres pays, qui prennent beaucoup d'avance ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci de vos propositions.
Concernant les questions relatives aux technologies quantiques, nous serons heureux que vous soyez co-référente, aux côtés d'Alain Aspect, au sein du Conseil scientifique.
Vous avez raison, on pourra fort opportunément traiter la question du financement de la recherche, en complément d'une réflexion en cours au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. La puissance publique aime considérer à la fois la recherche et le développement. Alors que l'Allemagne consacre 3 % du PIB en R&D, conformément à la stratégie de Lisbonne, la France se situe autour de 2,2 %, ce qui représente un différentiel de plusieurs dizaines de milliards d'euros par an. Même si la désindustrialisation française pèse sur les investissements en R&D, les investissements publics sont encore loin du niveau que nous devrions envisager pour tenir notre rang, dans un contexte de compétition internationale renforcée, notamment avec l'Asie. Il s'agit donc d'un sujet stratégique important.
Mme Hélène Bergès, directrice du Centre national de ressources génomiques végétales (CNRGV) de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). - Je m'intéresse plus particulièrement à la connaissance du génome des plantes dans toutes leurs dimensions, en tenant compte des grands enjeux auxquels doit faire face l'agriculture. À cet égard, de nombreux scientifiques sont préoccupés par la décision récente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'édition de génomes, alors que les nouvelles technologies révolutionnent la façon de développer de nouvelles approches pour innover dans le domaine de l'agriculture, et ce dans le respect de l'environnement.
La CJUE a décidé que la réglementation pour tous ces organismes devait être identique à celle qui est en vigueur pour les organismes génétiquement modifiés (OGM), ce qui constitue un frein pour développer un programme de recherche avec des partenaires socio-économiques. Or, d'un point de vue scientifique, dès lors que l'on n'intègre pas de gènes étrangers, ces nouvelles technologies ne présentent pas de contraintes particulières. Les grandes puissances économiques comme les États-Unis vont alimenter le marché, y compris celui de l'Europe, demain, si la réglementation ne change pas.
Cette décision contribue également à favoriser plus encore la défiance de la société à l'égard de ces technologies, qui sont toujours apparentées à des OGM, faisant un raccourci avec Monsanto. Je ne sais pas quel rôle peut jouer l'OPECST en la matière dans la mesure où un rapport a déjà été publié sur cette question. Mais j'aimerais voir engager une réflexion plus approfondie encore, notamment en lien avec l'éducation. Il faut éduquer pour mieux comprendre.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Jean-Yves Le Déaut et moi-même avons beaucoup travaillé sur ce sujet, et nous faisons régulièrement des interventions. La décision de la Cour de justice est ressentie partout comme une catastrophe, y compris chez les agriculteurs biologiques, également impactés par la décision sur la mutagenèse. Dans la continuité du rapport que nous avons remis en 2017, nous sommes intervenus récemment avec Jean-Yves Le Déaut à l'Académie d'agriculture de France, dans le cadre du Salon de l'agriculture ; nous avons publié une tribune dans Le Monde. Quelle sera l'interprétation de cette décision ? Que va faire la France ?
Nous partageons vos inquiétudes, mais je ne sais pas comment nous pouvons agir. Nous devons essayer de nous opposer à l'application trop stricte de cette décision en France. Jean-Yves Le Déaut et moi-même pensons qu'il faut faire du cas par cas, en fonction de l'application. Quel pourrait être notre poids ? Nous avons déjà mené une réflexion sur ce sujet, nous avons réagi. Comment pouvons-nous aller plus loin pour éviter que toutes les recherches en matière végétale, toutes les modifications du génome, y compris celles qui ont eu lieu, soient bloquées ? Je ne sais pas ce que compte faire le Gouvernement.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - L'affaire est complexe. Il y a un débat sur la définition et un autre sur la législation à appliquer.
Pour être transparent, concernant la définition, il n'y a pas unanimité au sein de cet Office. Certains sont d'avis que les différences qualitatives très importantes entre telle et telle technologie justifient que l'on différencie la dénomination, tandis que d'autres pensent le contraire, pour éviter que l'opinion ne croie que les scientifiques et les politiques sont en train de jouer sur les mots quand cela les arrange.
Il serait bienvenu que l'on se saisisse du sujet, notamment en allant au contact des agriculteurs pour connaître les impacts. Ce problème rappelle celui qui a porté sur les drones tueurs, un débat miné, car très mal défini. Personne ne sait exactement ce qu'est un drone tueur. Dans le sujet qui nous occupe, on arrivera à poser le débat dans des termes intelligents. Nous devrons non pas faire une recommandation au Gouvernement, mais lui proposer un choix, en exposant les décisions cohérentes à prendre.
Pour avoir travaillé sur ce sujet au sein du conseil scientifique de la Commission européenne, je me souviens avoir été sidéré par la complexité du débat sur ce que les nouvelles technologies permettent de faire ou pas, en fonction de quel organisme, pour quel usage, sans parler de la distinction entre les nouvelles technologies et les anciennes... J'en suis certain, Catherine Procaccia sera un référent politique extrêmement fiable et motivé sur cette question.
Mme Hélène Bergès. - Je n'en doute pas non plus.
J'ajoute que le protocole de Nagoya devient de plus en plus contraignant. On peut le comprendre à cause du pillage de la biodiversité dans certains pays, mais ce protocole va également s'appliquer aux données issues de la caractérisation des génomes notamment. Les publications mises à disposition dans des bases de données internationales seront soumises à des réglementations assez contraignantes. Que peut faire l'OPECST ?
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Les chercheurs qui sont déjà engagés risquent de se désespérer et d'aller ailleurs. La France qui accuse déjà un retard risque d'en avoir encore plus, la réglementation ne s'appliquant qu'en France et en Europe.
M. Jean-Luc Imler, directeur de l'unité de recherche « Réponse immunitaire et développement chez les insectes », chef de groupe « Réactions Antivirales », UPR 9022 à l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS. - Je travaille sur les thématiques d'infectiologie, en particulier chez les insectes, à savoir les maladies transmises par les moustiques - le paludisme et les virus comme la dengue, le zica ou le chikungunya.
Je rejoins les propos de Mme Bergès : l'un des points essentiels est le lien de confiance entre la société et les sciences. Monsieur Villani, vous avez mentionné la distinction entre les anciennes et les nouvelles technologies. Mais le problème est plus sérieux encore. Les vaccins existants n'entrent pas du tout dans le cadre d'innovations technologiques. Pourtant, ils sont remis en cause, ce qui a un impact considérable en termes de santé. Un des axes de réflexion doit concerner le lien de confiance entre les scientifiques et la société. Que peut faire le politique pour améliorer la situation ?
Concernant les maladies transmises par les moustiques, des polymorphismes sont associés à des souches de moustiques résistantes. Se pose bien entendu la question de manipuler ces populations pour se débarrasser des moustiques qui transmettent les maladies, car cela passe par le forçage génétique. Je crois qu'une réflexion sur le sujet est en cours.
Enfin, je partage les propos de Mme Lambrecht à propos de la politique de recherche. Notre pays dispose d'un certain nombre d'atouts. Toutefois, nous sommes passés à un système hybride, contrairement aux pays anglo-saxons où les financements se font sur appel d'offres. L'emploi des contrats à durée déterminée est très contraint chez nous, ce qui est contreproductif : on forme des personnes dans nos laboratoires, qui partent au bout d'un certain temps à cause de la loi Sauvadet.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Nous avons examiné la question du forçage génétique dans le cadre de notre rapport d'information sur les biotechnologies. Les choses ont dû progresser en deux ans, mais nous avions alors constaté une frilosité, même pour procéder à une sélection de moustiques en vue de les rendre « infertiles », si je puis dire, avec des difficultés pour trouver ne serait-ce qu'une île pour faire ces tests.
Comment peut-on mettre en balance le nombre de morts - 400 000 morts par an à cause du paludisme, et, dans la plupart des cas, des enfants - et des tests qui permettraient de combattre ces maladies, sans détruire l'espèce visée ? Le retrait est très inquiétant. Pourquoi n'a-t-on plus confiance en la science ? Comment rétablir ce lien de confiance entre la science et la société ? L'OPECST serait très fier de trouver une solution, et nous rendrions un grand service à l'humanité. Aujourd'hui, n'importe quelle avancée est ressentie comme un recul et un danger...
M. Jean-Luc Imler. - Un risque.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - La question de la modification du génome, qu'il soit humain, végétal ou animal, est un thème que nous suivons.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Absolument.
En tant que politique, la question du lien de confiance avec l'opinion publique, mais aussi avec l'expert, vous revient presque chaque jour à la figure. L'expert est considéré en haute estime tant que ses recherches et sa compétence ne se rapprochent pas des applications industrielles, mais sa cote de confiance décroît spectaculairement dès qu'il se rapproche du développement industriel.
Un petit-déjeuner sera bientôt organisé avec les Académies des sciences et de médecine sur le thème du CRISPR-Cas 9 ; les insectes seront l'un des thèmes abordés -Patrick Netter va peut-être en parler.
M. Patrick Netter, professeur des universités, praticien hospitalier (Université de Lorraine), membre de l'Académie nationale de médecine. - Dans le cadre des partenariats ciblés entre l'Académie des sciences, l'Académie nationale de médecine et l'Office parlementaire, ont été mises en place des sessions de travail d'une heure trente. La première, sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, s'est tenue le 24 octobre dernier à l'Académie des sciences. L'objectif est que les scientifiques compétents dans des domaines ciblés apportent des réponses aux parlementaires présents sur une thématique définie ; il s'agit d'une véritable interdisciplinarité.
Le 6 février prochain sera abordée la question de l'application des techniques d'ingénierie du génome et les conditions de mise en oeuvre, qui sera ciblée sur le CRISPR-Cas 9, avec l'intervention de Pierre Jouannet, pour le volet humain, Eric Marois, pour ce qui concerne le forçage génétique des insectes, Jean-Paul Renard, pour le volet animal, et Georges Pelletier, pour le volet végétal. Ces domaines sont d'actualité quand on voit ce qui s'est passé récemment en Chine.
Ces sessions font l'objet d'échanges très intéressants et montrent aux parlementaires présents qu'ils peuvent compter sur les Académies des sciences et de médecine.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Les membres du Conseil scientifique particulièrement impliqués dans le sujet du CRISPR-Cas 9 sont les bienvenus.
M. Jean-François Éliaou, député. - Nous ne pouvons pas contrôler les méfiances, mais nous pouvons contrôler la riposte. Une riposte nationale et internationale me semblerait de bon aloi pour bien montrer que la communauté scientifique se refuse à aller jusqu'au niveau atteint par la Chine. Ce serait une garantie pour nos concitoyens.
M. Patrick Netter. - Les académies ont essayé de publier un communiqué commun dans l'urgence. Mais il convient, il est vrai, vous avez raison, de prévoir une riposte forte et solide. Je transmettrai votre message.
M. Jean-François Éliaou, député. - Je ne sais pas si l'OPECST a riposté avec véhémence. Il aurait fallu réagir plus fortement encore, d'autant que nous travaillons aux lois de bioéthique, mais je prends ma part de responsabilité. Ce qui reste dans les médias - c'est malheureusement ce qui compte aujourd'hui -, c'est l'expérience menée en Chine et non pas la riposte.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Vous avez possiblement raison sur le fond. Cependant, il y avait encore un certain doute sur ce qui avait réellement été fait.
M. Jean-François Éliaou, député. - Un embryon a été manipulé avec succès et un autre était en situation de mosaïque pour neutraliser vraisemblablement la molécule CCR5, un gène impliqué dans la transmission du VIH, afin qu'il ne soit plus un corécepteur du virus, en vue de rendre la petite fille résistante. Ce qui est invraisemblable, c'est que le papa, porteur du virus, n'avait pas de raison de le transmettre, hormis dans des conditions particulièrement fallacieuses...
Aussi, il faut réagir bruyamment, même si nous ne connaissons pas le fin mot de l'histoire - je pense d'ailleurs que nous ne le connaîtrons jamais. Même l'université chinoise dans laquelle travaillait ce chercheur a émis un avis extrêmement défavorable.
Mme Sophie Ugolini, directrice de recherche de l'INSERM au Centre d'immunologie de Marseille-Luminy (CIML). - J'ai participé, l'année dernière, à la préparation d'une note de l'Office sur la vaccination et je ne sais pas où nous en sommes à ce sujet. Nous avions aussi étudié le sujet des publications scientifiques, pour ce qui touche à leurs aspects économiques et à l'évaluation des chercheurs - l'impact de la publication sur le financement des laboratoires. Si des réflexions sont menées sur ces sujets, je serais très intéressée d'y participer.
Je rejoins ce qu'ont dit mes collègues sur l'emploi des CDD dans la recherche académique : la situation y est dramatique. Beaucoup de chercheurs et d'ingénieurs ont des compétences dont les laboratoires ont besoin, mais à qui on ne peut plus proposer de poste. Ils doivent donc partir, et éventuellement se recycler, quitter l'univers de la science, et ce pour des raisons administratives liées à la loi Sauvadet. On perd ainsi beaucoup de personnes compétentes, et cela a un impact négatif sur nos recherches. On a évoqué à un moment la possibilité de recourir au CDI de mission. Où en est la réflexion ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous retenons votre souhait d'être associée à la poursuite de l'élaboration de la note sur la vaccination. Nous vous en remercions.
En ce qui concerne le recrutement des chercheurs, la loi Sauvadet est née de la volonté de faire progresser la condition des jeunes scientifiques. Sans doute aurait-il été intéressant d'entendre les universités et établissements de recherche sur ses potentiels effets pervers prévisibles, si je comprends bien, mais on voulait répondre en l'occurrence à la détresse sociale des jeunes chercheurs, qui occupent des emplois précaires.
Mme Sophie Ugolini. - Ce n'était pas forcément dans le domaine de la recherche.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je ne me souviens pas avoir entendu les établissements de recherche s'exprimer à l'époque fortement contre cette loi.
Mme Sophie Ugolini. - Cela fait longtemps que l'on se plaint de cette législation.
M. Jean-François Éliaou, député. - Peut-être pas immédiatement après la promulgation du texte, mais on s'est rapidement aperçu du problème qu'il y a à se séparer d'un chercheur après trois CDD.
Il est question de transformer des CDD non pas en CDI, mais en CDI de mission, des contrats de cinq ou six ans offrant une visibilité aux chercheurs, afin que ceux-ci puissent avoir le temps de publier pour être, éventuellement, recrutés ensuite dans les instituts de recherche. C'est très compliqué aujourd'hui. Il est effectivement impossible de renouveler plus de deux fois le CDD d'un chercheur, et je déplore aussi la situation que vous décrivez : on perd de la matière grise, de la motivation. Tant le jeune chercheur que son employeur sont coincés ; on perd tout l'investissement.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Certes, mais, après trois CDD successifs, pourquoi ne pas transformer le contrat en CDI ? Vous le comprenez bien, maintenir la précarité sans limite de durée est très difficile à expliquer politiquement ; six ans, cela fait tout de même une très longue période d'essai !
Mme Sophie Ugolini. - Si le chercheur ne réussit pas le concours pour avoir le statut de fonctionnaire - et le nombre de postes est extrêmement limité -, on ne peut pas lui proposer de contrats à plus long terme. La limite est de cinq ans et onze mois dans la fonction publique ; au-delà il ne peut plus y avoir de contrat.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - C'est un problème de droit du travail. Il se trouve que j'ai justement eu des discussions sur cette question très précisément - les CDI de mission ou de chantier offrent-ils une réponse adéquate ? Cela devait déboucher sur un travail entre le ministère du travail et celui de la recherche, mais ce problème n'est pas encore résolu.
Cela dit, vu de l'extérieur, on a plutôt l'impression que vous avez besoin de plus de postes permanents ; il est très difficile d'expliquer à quelqu'un qu'il n'a pas encore assez fait ses preuves après trois CDD, pour avoir un poste permanent. Si les postes de titulaires sont rares et inadaptés, c'est une autre question.
Toutefois, il s'agit là des règles du travail dans le public et, en comparaison avec le secteur privé, un statut très précaire renouvelé pendant si longtemps est difficile à assumer politiquement. De même, les comparaisons internationales sont complexes en la matière. Ainsi, aux États-Unis, le salaire des chercheurs confirmés est très supérieur à celui des nôtres, mais les laborantins sont rémunérés très en dessous des nôtres, et leur protection sociale est très inférieure. La distribution de l'inégalité n'est pas transposable.
Mme Marie-Anne Félix, professeur à l'Institut de biologie de l'École normale supérieure (IBENS). - Ma spécialité est la génétique évolutive. Nous n'avons pas été mis au courant de travaux de l'Office auxquels nous aurions aimé participer ; je le regrette. Par exemple, j'ai appris aujourd'hui qu'une étude longue avait été menée sur l'application de la loi de bioéthique.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pour le coup, la presse en a fait état.
Mme Marie-Anne Félix. - Par ailleurs, des discussions au Parlement sont en cours sur le fichage génétique. L'Office travaille-t-il sur ce sujet ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pas spécialement.
M. Jean-François Éliaou, député. - Vous voulez parler du fichage génétique dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, avec le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ?
Mme Marie-Anne Félix. - Oui.
M. Jean-François Éliaou, député. - Un amendement de la majorité visait à simplifier le texte. Le système proposé dans le projet de loi était très difficile à comprendre et à mettre en place. Le parquet utilise de plus en plus l'empreinte génétique pour enquêter ou inculper, y compris dans le cadre d'une recherche de filiation.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Nous sommes tous parlementaires, et c'est en tant que membres de l'Office que nous pouvons intervenir sur un projet de loi dans nos fonctions. Le rôle de l'Office n'est pas d'intervenir en aval sur un projet ; nous préparons, au contraire, la discussion avec le Gouvernement. M. Éliaou était au courant de ce texte et est intervenu comme parlementaire, lors de l'examen du texte.
Mme Marie-Anne Félix. - J'avais cru comprendre qu'il y avait eu des problèmes de définition de régions géniques, s'agissant d'un domaine technique.
M. Jean-François Éliaou, député. - En effet, scientifiquement, cela n'avait pas de sens. Nous avons nettoyé le texte.
Mme Marie-Anne Félix. - Par ailleurs, je m'étonne, eu égard à l'actualité, de la composition du Conseil scientifique : il n'y a pas de chercheur en écologie ni en chimie.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous avons un nombre limité de membres du Conseil, ce qui nous force à faire des choix. Il en va de même pour nos nouveaux conseillers scientifiques permanents. Par proximité scientifique, nous avons considéré que chimie et biologie pouvaient aller ensemble. Bien sûr, vu de près, ces domaines sont extrêmement différents, mais, vu de loin, on « taille à la hache » pour avoir tout le spectre des connaissances avec une poignée de conseillers. En outre, la conseillère recrutée a une formation en chimie. Cela dit, pour la composition du Conseil scientifique, nous pouvons progresser.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Certains membres du précédent Conseil scientifique ont voulu se retirer, après y avoir siégé plusieurs années, et des personnes que nous avons approchées ont décliné notre proposition, craignant de n'avoir pas assez de temps pour s'impliquer.
Mme Marie-Anne Félix. - Enfin, je veux appuyer les propos de mes collègues sur la loi Sauvadet. C'est une catastrophe pour l'emploi scientifique. On a des subventions pour recruter, mais nombre de jeunes chercheurs sont bloqués.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - On reparlera de la loi Sauvadet, mais je maintiens ce que j'ai dit : on doit pouvoir recruter plus de scientifiques, mais, pour l'attractivité de cette carrière, on ne peut pas laisser le scientifique être un éternel précaire. Il vous faudrait plus de postes permanents.
M. Guy Vallencien, ancien professeur d'urologie à l'université Paris-Descartes, membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie nationale de chirurgie. - Je suis membre de l'Académie nationale de médecine et je préside la Convention on Health Analysis and Management, qui réunit chaque année des décideurs et experts de premier plan dans le domaine de la santé - assureurs, responsables politiques, industriels ou autres.
Selon moi, l'Office doit être une courroie de transmission entre, d'une part, les parlementaires et les scientifiques, d'autre part, le grand public. Il faut donc être alimenté d'analyses de l'état de l'art par les scientifiques pour en être « imbibés ».
Premièrement, l'appellation « OPECST » est à bannir ; il faut l'appeler « OPS », Office parlementaire scientifique ! Si vous employez le sigle actuel ou si vous le développez dans les médias, vous êtes fichu. Il faut changer ce nom, avec un sigle de trois lettres maximum.
Deuxièmement, il faut des émissions grand public. Que France Télévisions fasse des émissions de vulgarisation scientifique populaire, sur la physiologie de l'homme, par exemple ! Pourquoi ne pas inviter Kylian Mbappé pour étudier les battements de son coeur, l'échauffement de ses muscles, ou que sais-je ? Il faut avoir une vision populaire, et faire passer des messages par la télévision. L'OPS doit promouvoir des émissions de vulgarisation pour redonner confiance dans la science, quitte à payer les gens. Il faut faire du Hanouna scientifique !
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Sur le premier point, vous serez sans doute à la fois heureux et déçus par ce que je vais vous dire. Personnellement, j'ai déjà mis en oeuvre votre recommandation : quand j'interviens à la radio, je me présente comme membre de l'Office parlementaire scientifique, afin d'éviter un sigle ou un nom trop long - peut-être à la suite d'une discussion que nous avions eue ensemble, d'ailleurs... Toutefois, le changement définitif ne dépend pas de nous ; il faut modifier la loi.
En outre, cela s'inscrirait dans le cadre d'un débat plus large et compliqué sur le statut de cet office. Comme mon prédécesseur, Jean-Yves Le Déaut, je milite pour une transformation en une paire de commissions permanentes coordonnées, à raison d'une dans chaque assemblée, comme cela se pratique dans bien des pays, car la coopération entre les deux chambres est très profitable : nous avons des ressources à partager - il serait inutile de constituer deux conseils scientifiques, par exemple. Cette simple modification permettrait à chaque membre d'avoir plus de temps pour se consacrer à ces sujets. Néanmoins, ce n'est pas chose aisée, car cela implique de modifier la Constitution. J'argumenterai dans l'hémicycle pour que l'on passe de huit à douze commissions permanentes ; le Gouvernement a accepté, après bien des négociations, de passer à dix.
Je note votre proposition pour ce qui concerne la question des relais de la science auprès du grand public, avec l'intervention de Mbappé.
M. Guy Vallencien. - Je lis le document de notre collègue Virginie Tournay, appelant à créer une haute autorité de la culture scientifique, un science media center, fondé sur l'éducation populaire. C'est un vrai sujet qui est traité dans cette note, mais ne créons pas un énième comité Théodule.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Les documents sont transmis sur l'initiative personnelle des uns et des autres pour susciter des débats constructifs.
M. Marcel Van de Voorde, professeur à l'Université technologique de Deft, Pays-Bas. - Je suis Belge, mais surtout européen. J'ai été directeur au CERN, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, puis directeur général de la direction générale Recherche de la Commission européenne, je suis directeur de l'Institut Max-Planck en Allemagne ; j'ai été professeur à Delft et je le suis toujours à Pékin et à Tokyo.
Monsieur le premier vice-président, les études de l'Office sous votre mandat sont excellentes - je pense à l'intelligence artificielle ou encore à l'énergie -, l'OPECST est très dynamique et efficace.
Je siège aussi dans les comités du Bundestag et du Parlement européen et au sein de la Commission. On traite des mêmes sujets en Allemagne qu'à la Commission ; les études de l'OPECST seraient très intéressantes pour l'Europe, et vos relations avec le panel Science and Technology Options Assessment (STOA) devraient être renforcées. J'espère que l'on pourra inviter des membres du STOA ou de l'Energy Technology Reference Indicator (ETRI) et que vous vous rendrez à Bruxelles pour présenter vos études.
Vos études n'ont pas d'équivalent au sein de la Commission européenne, et il faut trouver un moyen de valoriser vos résultats afin de les intégrer dans les programmes de la Commission. Par exemple, j'ai reçu un projet de note de l'Office sur les lanceurs spatiaux réutilisables ; il est dommage que ces domaines ne se retrouvent pas dans les programmes de la Commission - je l'ai déjà mentionné auprès du député Fugit.
Par ailleurs, j'ai beaucoup étudié les effets du Brexit. C'est un sujet majeur, dont les répercussions négatives se feront sentir en Europe et au Royaume-Uni sur la recherche.
Je veux aussi évoquer la réforme universitaire. Google était dernièrement à Genève pour recruter les meilleurs scientifiques, mais ils ont été très déçus. Sur les cent personnes recherchées, ils n'en ont recruté que trente. Les universités ne sont pas bien formées pour assurer l'avenir de l'industrie. De même, la direction de Thalès m'a dit éprouver des difficultés à recruter des profils intéressants. La quatrième révolution industrielle s'annonce. Aurons-nous, en Europe, les profils intéressants dans cinq ou dix ans ? Cette réforme de l'université est donc très importante. J'étais rapporteur pour le processus de Bologne et, quand j'étais à la direction générale Recherche, j'ai lancé le programme Erasmus. C'est certes du passé, mais il faut continuer à réfléchir à l'avenir.
En outre, j'évoquerai la question de la valeur de nos universités. Dans les classements internationaux, l'École polytechnique fédérale de Lausanne et les universités de Zurich, Oxford et Cambridge sont les seules à être bien placées, mais la Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne et le Royaume-Uni la quitte. Ne faut-il pas faire quelque chose ?
Enfin, il faut traiter la relation entre les sciences de l'avenir - la grande intelligence artificielle, la physique quantique ou autres - et la population, qui n'arrive plus à suivre. La population commence à vouloir freiner les progrès et donc les investissements en nanosciences, en nanotechnologie, en nanosciences de l'alimentation, en nanoélectronique, en nanomédecine, etc.
Permettez-moi, en conclusion, d'insister une nouvelle fois sur la nécessité de développer nos coopérations avec les organismes parlementaires scientifiques du Parlement européen et des autres pays.
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - La collaboration entre les pays et avec l'Union européenne n'est pas facile. Le rôle de l'Office est de préparer les décisions françaises et d'éclairer le Gouvernement. Le rapport rendu en 2012 sur la politique spatiale européenne a permis à notre ministre de convaincre l'Allemagne de se lancer dans Ariane 6.
Toutefois, nous n'avons pas les moyens en personnels ni le temps de faire beaucoup plus ; nous exerçons aussi nos fonctions de parlementaires. Notre Office est composé de politiques et non de scientifiques en tant que tels, même si je me réjouis que nous ayons plus de politiques scientifiques qu'auparavant.
Mme Claudie Haigneré, conseiller spécial du directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), membre de l'Académie des technologies. - Mon activité est aujourd'hui basée à l'ESA. J'interviens souvent auprès d'un public très large ou auprès de jeunes ou d'écosystèmes d'innovation.
Concernant la construction de la confiance dans la science, la lutte contre la défiance, nous sommes encore trop organisés en silos. On a parlé d'intégrité, d'éthique, de régulation des fake news, mais il serait intéressant d'articuler toutes ces facettes plutôt que de les traiter séparément. Cela implique de prendre de la distance.
Je rejoins aussi ce que vient de dire M. Van de Voorde sur le long terme. Les réactions à mes conférences m'incitent à penser que nous devons porter nos valeurs humanistes, c'est important pour les jeunes. On doit élargir notre langage sur les sciences ; on ne peut pas parler uniquement de démarche rationnelle, de méthode scientifique ; on doit aussi introduire les humanités et la réflexion sur l'intégrité dans la formation des scientifiques.
La communauté scientifique a des réflexions à l'international sur certains sujets, mais il faut engager une réflexion sur ce nouvel humanisme à l'échelon européen, sur les valeurs que l'on veut porter, par rapport à des cultures scientifiques différentes. L'Europe a un message à porter. On a peut-être trop découpé ces différentes facettes, alors qu'il faut les intégrer dans notre manière de parler aux jeunes pour les attirer dans cette carrière. J'aimerais entendre plus l'Europe sur ces sujets.
On parle aussi du geo-engineering, la transformation de notre environnement, de notre planète. C'est le bon moment pour s'emparer de ces sujets.
Le troisième point qui m'inquiète concerne la cybersécurité, mais Gérard Berry va en parler.
M. Gérard Berry, informaticien, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies. - Lorsque j'étais au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), je me suis insurgé contre le choix franchement malhonnête du titre d'un rapport, La Production scientifique en France, qui ne concernait que la publication scientifique en France. La production et la publication scientifiques ne sont plus reliées par une fonction simple aujourd'hui. Ce titre était mal choisi et traduisait mal la réalité.
Par ailleurs, je signale une initiative intéressante du ministère de la recherche sur Parcoursup - je suis vice-président du comité scientifique et d'éthique de ce programme. Il s'agit de faire une preuve mathématique des programmes qui implémentent les algorithmes. Les gens confondent généralement les algorithmes, qui sont des objets conceptuels de nature mathématique, et les programmes, qui sont des objets plus techniques, qui les traduisent en instructions à exécuter par des ordinateurs. Le ministère de la recherche a lancé ce projet, qui est une première mondiale. Il faudra le mettre en avant quand cela aboutira.
Sur la communication scientifique, la France accuse un retard important par rapport au Royaume-Uni : autant on a de bonnes émissions de radio, sur France Culture, France Inter, où les scientifiques peuvent vraiment s'exprimer, autant aucune émission n'est proposée à la télévision. C'est un vrai problème, car il y a des gens qui ne regardent que la télévision. La BBC est bien meilleure dans ce domaine. Il est dommage d'avoir des émissions radios de bonne qualité, mais pas de bonnes propositions scientifiques sur les chaînes de télévision.
En ce qui concerne la sécurité informatique, les attaques deviennent de plus en plus fortes et redoutables. Des légendes circulent - par exemple qu'il n'y aurait pas de virus, donc pas de problème de sécurité pour ce qui concerne les ordinateurs Apple, ce qui est faux. Il règne des fantasmes, et les particuliers comme les instituts sont vulnérables. Sans doute des rapports ont-ils été publiés sur le sujet, mais ils ne sont pas à la hauteur de ce sujet dangereux.
Ainsi, sur l'internet des objets, la sécurité est très insuffisante. On assiste à des prises de contrôle massives d'objets connectés - caméras de surveillance, machines à laver, voitures. Les fabricants n'ont aucune compétence en matière de sécurité informatique. Le nom d'utilisateur et le mot de passe par défaut sont toujours « admin », et personne ne les change. L'ignorance règne, et c'est dangereux. Ainsi, le réseau ukrainien d'électricité a sauté à cause d'une attaque sophistiquée venue d'on ne sait où.
Il en va de même en médecine, qui a deux liens avec l'informatique : l'apprentissage automatique, qui fait des choses puissantes, et la sécurité informatique, qui est complètement négligée. L'informatique est totalement inconnue des médecins ; quand je les vois en congrès, ils me disent des choses aberrantes, même s'ils commencent à reconnaître l'existence du problème.
Concernant la sécurité médicale, deux problèmes se posent. À Londres, un hôpital a été vidé de l'intégralité de ses patients à cause d'une attaque informatique de ses machines exploitées sous Windows XP - Microsoft déconseille très formellement depuis quinze ans au moins d'utiliser ces machines -, et ce n'était pas seulement l'informatique de gestion qui était attaquée, mais les instruments médicaux l'étaient aussi. Plus récemment, des études ont été réalisées sur les appareils médicaux - prothèses, pacemakers, pompes à insuline. Il en ressort que chacun de ces systèmes contient plusieurs milliers de trous de sécurité connus. Jamais aucune procédure n'a été appliquée. La semaine dernière, le ministère américain de la santé a adressé une communication très violente à la Food and Drug Administration, l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, qui ne produit aucune étude sur le sujet. Les fabricants ne sont soumis à aucune obligation. Il a d'ailleurs été répondu que ce n'était pas grave, car les pacemakers ne sont accessibles que par des machines spécifiques, présentes dans les hôpitaux et dans les cabinets des cardiologues. Or les chercheurs les avaient achetées en dix minutes sur internet.
Il faut que les gens se rendent compte de l'existence de ce risque. Les hôpitaux sont un lieu « intéressant » à attaquer. La situation est donc très difficile ; certains interlocuteurs la connaissent, comme le président de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui est très compétent, mais d'autres, comme les médecins, ignorent tout de ce sujet. C'est un point d'inquiétude majeur. Il faut faire quelque chose.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci pour vos commentaires.
Vous êtes plusieurs à avoir parlé de la communication avec l'ensemble des acteurs de la société. Vous rejoignez certaines des préoccupations de l'OPECST bien sûr. J'attire votre attention sur le fait qu'une offre est en train d'émerger via les réseaux sociaux, avec des YouTubers, dont certains de grande qualité en mathématiques ; je pense à Mickaël Launay.
Cette question s'inscrit dans le vaste chantier de l'offre culturelle. Mais nous avons un handicap bien connu : le ministère de la culture est bien moins pourvu en personnels scientifiques que littéraires, pour le dire de manière un peu brutale.
Concernant la question des coordinations internationales, il faut effectivement que nous soyons plus actifs en la matière. La difficulté est qu'il faut rencontrer de plus en plus d'acteurs, alors que nous avons, les uns et les autres, de moins en moins de disponibilités.
Avant-hier, très peu de parlementaires ont pu se libérer pour recevoir une délégation allemande de la commission sciences et technologies du Bundestag. Moi-même, j'assistais en Allemagne à la présentation officielle de la stratégie allemande en matière d'intelligence artificielle - j'étais d'ailleurs le seul étranger invité. J'ai bien compris que le volet international dans la stratégie allemande était plutôt une façade et qu'il allait falloir travailler beaucoup pour nouer une véritable coopération. Mais, a contrario, j'ai eu hier un très bon échange avec une autre délégation de parlementaires allemands intéressés spécifiquement par ce domaine. Les choses se construisent dans la durée.
La question des algorithmes a été bien portée dans les instances gouvernementales, en particulier grâce à Philippe Baptiste, directeur de cabinet de la ministre chargée de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui a réalisé, dans des conditions très difficiles, un excellent travail sur Parcoursup, en bonne coopération avec les universitaires et les politiques.
Les questions de sécurité constitueront un enjeu majeur : les acteurs publics et privés ne sont pas au niveau. M. Berry a évoqué la fameuse attaque en Ukraine, dont des sources fiables indiquent qu'elle proviendrait de la Russie, avec, comme dégâts collatéraux, la bagatelle de 400 millions d'euros de matériel perdus en France. Ce n'est qu'un avant-goût de ce qui va se produire.
Voilà quelques semaines, l'Anssi a fait une visite d'évangélisation, si je puis dire, à l'Académie nationale de médecine, pour sensibiliser ses membres aux enjeux de la cybersécurité et aux ravages que les attaques vont provoquer. Les équipements, au motif qu'ils sont estampillés CE, sont validés par une variété d'organismes, mais ne sont pas du tout soumis au même niveau de contrôle que les médicaments classiques. Le secteur du médicament est extrêmement réglementé, alors que celui des équipements l'est très peu, mais l'un et l'autre sont vitaux. Cette situation témoigne d'une incohérence des politiques publiques, à laquelle il faudra bien répondre un jour et, si possible, sans attendre un attentat mortel.
L'un de nos collègues de l'Académie de médecine avait suggéré que la cybersécurité soit l'un des indicateurs retenus pour l'évaluation des hôpitaux au regard des dotations versées par la puissance publique. Cette suggestion a été transmise au ministère de la santé. Il faut rappeler régulièrement ces propositions pour qu'elles soient mises en oeuvre.
En termes de cybersécurité, je rappelle l'étude réalisée par le Conseil scientifique,...
Mme Catherine Procaccia, sénateur. - Nous avons aussi fait une étude.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - ... de la Commission européenne. Les études montrent que la cybersécurité relève, certes, des sciences et de la technologie, mais qu'il s'agit aussi d'une question de sensibilisation des personnes et d'une question de processus. Très souvent, on a tendance à tout faire reposer sur le premier segment en négligeant les éléments humains. En termes de ressources humaines, nous ne sommes pas du tout à la hauteur des besoins qui s'annoncent dans les décennies à venir. Israël, par exemple, forme bien plus d'ingénieurs en cybersécurité que la France. Le défi à relever est considérable.
Quid de la distinction entre production et publication scientifique ? Certes, on peut définir la science comme étant l'ensemble des connaissances, mais l'histoire récente insiste sur les expérimentations. Aujourd'hui, l'expérimentation est devenue un art en soi ; elle n'est donc pas forcément réductible à la notion de publication.
Mme Angèle Préville, sénatrice. - J'ajouterai une autre problématique, celle du pillage des données. Je crois me souvenir d'une attaque en Norvège ayant conduit à la captation de données de la moitié des Norvégiens, me semble-t-il. Il faut donc examiner de près cette question.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Je prends ici la défense des médecins. Ceux qui travaillent en milieu hospitalier sont totalement déconnectés du système informatique. En revanche, en 1996, on a quasiment imposé aux médecins libéraux de s'informatiser : les logiciels d'aide à la prescription fonctionnent aujourd'hui très bien. Le secteur privé a plus joué le jeu que l'hôpital.
M. Gérard Berry. - Cela n'a rien à voir.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Il ne faut pas accabler la profession médicale ; le médecin membre de l'OPECST que je suis peut défendre sa profession : le médecin est un très bon vulgarisateur de la science pour ce qui concerne les sciences médicales et humaines. Concernant les vaccinations, j'ai convaincu mon groupe politique de ne pas s'opposer à l'obligation de vaccination en apportant des explications très simples. Ne négligeons pas la rigueur dont peut faire preuve le médecin.
L'informatique, ce sont des outils.
M. Gérard Berry. - Non, c'est justement la plus grande des confusions.
Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l'Office. - Je suis rapporteure, avec Stéphane Piednoir, de la mission relative aux scénarios technologiques à envisager pour atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040, dont les travaux doivent s'achever en février prochain pour être prêts lors de l'examen du projet de loi d'orientation sur les mobilités qui sera prochainement débattu à l'Assemblée nationale et au Sénat. Je veux dire aux membres du Conseil qu'ils peuvent donner leur avis sur cette mission.
Je reviendrai sur la question de la précarité, avec les contrats à durée déterminée, un sujet qui concerne le ministère du travail et celui de la recherche. Il faut peut-être trouver le moment de discuter de ce qui est faisable. Beaucoup de choses doivent être améliorées dans le domaine de la recherche ; cette année, on a parlé de l'embauche des docteurs et doctorants. Ce sujet mérite que l'on s'y attarde, en ayant une vision plus claire.
Sur le volet communication, nous avons beau essayé d'expliquer certaines choses avec précision de façon scientifique, j'ai l'impression que nous ne sommes pas audibles. Peut-être que les gens ne sont pas habitués à entendre de tels propos sur les plateaux de télévision. Il faudrait permettre aux scientifiques de s'exprimer ou que soient organisées des émissions scientifiques. Nous rencontrons effectivement cette problématique. Il importe de créer un lien entre la science et la population.
M. Patrick Netter. - Pour avoir été directeur des sciences de la vie au CNRS pendant cinq ans, je m'associe totalement aux propos de mes collègues : se posent des problèmes de précarité et d'attractivité. Il faut attirer les meilleurs chercheurs dans nos laboratoires. Je suis à votre disposition pour participer aux discussions sur ce sujet.
Permettez-moi de revenir sur un point, celui de sensibiliser nos collègues médecins aux nouvelles méthodes. L'Académie nationale de médecine va organiser une session d'une journée sur les algorithmes en médecine. L'intelligence artificielle et la santé, c'est une véritable révolution. Il faut changer le mode de pensée dès la formation des médecins. Il importe vraiment de faire des efforts en la matière ; il faut avancer. Les conclusions des travaux du groupe de travail sur les interfaces entre le cerveau et les machines sont assez étonnantes. Les avancées vont être incroyables. Il ne s'agit pas seulement de logiciels informatiques à la disposition des praticiens. Il faut aussi mettre en place une interaction étroite entre les mathématiciens, les informaticiens et les médecins. L'OPECST peut y contribuer par ses recommandations.
M. Gérard Berry. - Je suis tout à fait d'accord. En ce moment, il s'agit de changements mentaux et non pas techniques. Quand on est obligé de faire sortir les patients d'un hôpital, ce n'est pas parce qu'un outil n'a pas fonctionné. On est dans une autre dimension.
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Je suis dans mon rôle de médecin quand je vous réponds ; je faisais un peu de provocation.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je vous remercie de votre présence et de votre implication. Nous avons évoqué un bon nombre de sujets et formulé des recommandations.
La réunion est close à 12 h 40.