Jeudi 6 décembre 2018
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -Audition de M. Serge Morvan, commissaire général à l'égalité des territoires, sur la mise en oeuvre de l'Agence nationale des territoires
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je suis heureux, au nom de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, de vous accueillir. Je veux également vous remercier d'avoir accepté le report de l'horaire de cette audition parce que je sais que vous êtes par ailleurs sollicité pour une réunion.
M. Serge Morvan, commissaire général à l'Égalité des Territoires. - La réunion qui se tient en ce moment est effectivement très liée à l'actualité.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Plutôt que de reporter cette audition, nous avons fait le choix de la maintenir car nous avons pensé qu'il était important de comprendre comment des dispositifs tels que la future Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) fonctionnent au mieux. Ce n'est certainement pas Jacques Mézard, qui a été impliqué dans la genèse de ce projet, qui me contredira. Je suppose qu'il aura l'occasion de nous le dire à l'issue de l'intervention de Serge Morvan, avec qui j'ai, non pas une certaine forme de familiarité, mais une certaine forme de connivence. Comme beaucoup d'entre nous, j'ai eu l'occasion de vous connaître à un moment de votre carrière. C'était, en l'occurrence, en Alsace. Par la suite, je vous ai retrouvé lorsque vous étiez Secrétaire général aux Affaires européennes et aux Affaires régionales en Alsace. J'étais alors maire de Mulhouse et j'ai beaucoup apprécié de travailler avec vous, non seulement pour votre intelligence et votre très bonne connaissance des dossiers - cela est fort heureusement courant chez la plupart des hauts fonctionnaires - mais surtout pour votre écoute et votre capacité à comprendre les situations, à ne pas situer par rapport à la lettre mais surtout par rapport à l'esprit. Je me suis senti d'emblée en sympathie avec votre façon de représenter l'État et de travailler. Je note, qu'à chaque fois que vous êtes en responsabilité, vous appliquez exactement les mêmes recettes et les mêmes méthodes.
Vous avez écrit un rapport « France Territoires » en juin dernier. Nous avons eu, lors de l'examen du projet de loi « ELAN », un amendement relatif à la création de l'Agence par voie d'ordonnance. Celui-ci a été rejeté par le Sénat. Une proposition de loi est intervenue entre temps. Elle a in fine été adoptée le 8 novembre dernier. Nous avons apporté quelques modifications à ce texte. Comme vous le savez, le projet de loi « ELAN » était relativement controversé pour les sénateurs. Je le dis sous le contrôle de Rémy Pointereau, qui a réalisé un travail tout à fait considérable sur la revitalisation des centres-villes et des bourgs-centres. Je ne vais pas rappeler les termes de ce projet de loi, auquel des modifications ont donc été apportées. Il reste deux critiques : l'insuffisante coordination de l'action de l'État et l'absence de moyens supplémentaires permettant de faire émerger cette agence au meilleur niveau. Vous allez nous en parler et nous dire ce qu'il en est exactement. Certains craignent que la nouvelle structure accouche d'une souris. Il y a tellement d'agences nationales. D'autres pensent a contrario que ce projet est une avancée et qu'un contenu doit y être donné.
Monsieur le préfet, Monsieur le directeur, cher ami, nous vous écoutons.
M. Serge Morvan, commissaire général à l'Égalité des Territoires. - Merci, Monsieur le président, de ces mots à mon endroit.
Vous me voyez sourire franchement après avoir entendu le président de la Délégation. Si je souris, ce n'est pas seulement pour les mots qu'il a eus, mais parce que c'est toujours un plaisir pour moi de venir au Sénat - je le dis très sincèrement -, à chaque fois que l'occasion s'est présentée à moi, comme directeur général d'une collectivité locale durant trois ans et quelques mois, à la tête de la Direction générale des collectivités locales, ou comme Commissaire général à l'Égalité des Territoires (CGET).
Ce Commissariat général est la préfiguration de la future Agence nationale des Territoires, que je vais donc vous présenter. Le Sénat est un peu ma maison. Je sais que c'est la vôtre, mais elle est aussi la mienne. Durant de longues années, les relations avec les collectivités locales ont été ma mission. J'y ai beaucoup d'intérêt.
Vous connaissez déjà bien le sujet sur lequel je vais intervenir, je vais donc partir de la genèse de ma mission. Lorsque je me suis vu proposer cette mission de préfiguration de l'Agence nationale des Territoires, je devais remettre un rapport au Premier ministre le 18 juin - rapport dont il avait signé la lettre de mission. Pour l'élaborer, je m'étais posé quatre questions : pourquoi créer une Agence ? Pourquoi créer une Agence à caractère national ? Qu'est-ce que la cohésion ? Que sont les territoires ?
Au-delà de ces quatre questions, j'avais dit au ministre de la Cohésion des Territoires que, si j'avais estimé qu'il n'était pas nécessaire de créer une telle agence, je l'aurais écrit dans mon rapport. Je reste persuadé qu'il s'agit d'une bonne idée, d'une bonne intuition et que cela répond à un besoin. Pourquoi sa création est-elle nécessaire ? Dans une France décentralisée, quelle est la légitimité de l'intervention de l'État ? Jusqu'où cette intervention de l'État peut-elle aller ? La décentralisation et le transfert de compétences pouvaient nous faire croire que les collectivités territoriales se débrouillent elles-mêmes sans que l'État ne s'en mêle. Les questions que je pose sont une réalité. Je ne les ai donc pas abordées sous l'angle théorique, mais sous l'angle pratique. Existe-t-il aujourd'hui, dans les territoires de la République, une adéquation entre les besoins des territoires qui nourrissent des projets et qui essaient de les mettre en oeuvre et les ressources qui peuvent être mobilisées ? Dans les territoires de la République, existe-t-il une assurance que cette adéquation existe bien et qu'elle est optimale ? La réponse est négative, pour deux raisons.
- la première est le manque de moyens et leur manque de coordination, voire le manque d'ingénierie. Le passage d'un projet politique à une stratégie territoriale reste, dans de trop nombreux endroits, trop compliqué. Dès lors, il convient de trouver une solution à cette difficulté ;
- ensuite, cela ne se passe pas bien parce que l'État a institué au fil des années un « maquis » de règles et de normes dont il est impossible de se dépêtrer, y compris pour les meilleurs spécialistes des pouvoirs publics. Elles constituent une forêt incroyablement dense avec des interlocuteurs multiples, qui ne coordonnent pas toujours leur action malgré les efforts des représentants de l'État sur le territoire. De nombreux élus territoriaux en viennent donc à se décourager. Ils se font l'aveu de leur impuissance. Ce constat douloureux, je l'ai opéré au cours de ma carrière. Moi aussi j'ai ajouté des normes aux normes.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous pouvons nous aussi avouer que nous avons ajouté des normes aux normes en tant que parlementaires !
M. Serge Morvan, commissaire général à l'Égalité des Territoires. - Je ne peux que regretter un certain nombre de circulaires que j'ai signées par le passé ou que j'ai contribué à rédiger.
Revenons donc au rapport « France Territoires ». J'y ai effectivement affirmé qu'il était nécessaire de mettre en oeuvre un projet d'agence pour que les territoires puissent mettre en oeuvre leurs projets. Je me suis interrogé sur le meilleur moyen d'y parvenir. Pouvait-on le faire au travers d'une direction d'une administration centrale dont la mission serait celle-ci ? Force est de constater que ce n'est pas la solution optimale. Je ne critique certes pas les personnes qui travaillent au sein du CGET et qui remplissent leur mission, mais force est de constater qu'elles ne parviennent pas bien à la remplir. Si elles n'y arrivent pas, c'est parce que des missions se sont ajoutées les unes aux autres. Le CGET rencontre notamment des difficultés à coordonner le travail effectué par les opérateurs de l'État. Ces derniers travaillent certainement bien, mais leur travail demeure très insuffisamment coordonné avec celui du CGET. Ils ne se coordonnent d'ailleurs même pas bien entre eux. Peut-être est-ce un constat d'échec pour le CGET, mais cela nous permet de savoir que, pour coordonner le travail des opérateurs, on peut donner des instructions sous l'autorité des ministres, quand on est une direction centrale. On peut même, comme c'est le cas du CGET, assurer un rôle de tutelle sur l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et de cotutelle sur l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH). En revanche, on n'est pas un opérateur. Pour coordonner ce travail et pour permettre aux élus de disposer d'interlocuteurs de poids, il semble toujours préférable de créer une structure ad hoc. C'est le choix qui a donc été fait. Ce choix a été d'instituer une agence nationale. Beaucoup d'opérateurs sont des opérateurs nationaux (ANRU, ANAH, ADEME, Agence du Numérique, etc.). Il était nécessaire de coordonner leur action. C'est ce que nous avons fait au travers de cette agence nationale, qui vise à mobiliser des projets portés par ces territoires, qu'ils soient régionaux ou départementaux. Il s'agit donc de se mettre autour de la table à partir d'un projet de territoire pour en définir les besoins et les attentes. Il est nécessaire d'aller vite et d'agir efficacement. Cette agence est nationale, mais elle est déconcentrée et relève localement de l'autorité des préfets parce que ce sont les représentants de l'État au sein des départements. Les relations entre les élus locaux et les préfets, voire les sous-préfets, me semblent toujours meilleures que celles qu'ils peuvent tenter d'entretenir avec des directeurs d'administrations centrales les recevant dans leur bureau du sixième étage du 20 avenue de Ségur. Ces derniers, quoi qu'ils en disent, connaissent beaucoup moins les territoires et les populations qui y vivent.
Il ne s'agit pas d'opposer territoires urbains et territoires ruraux, territoires ultramarins et métropolitains, villes moyennes et métropoles, métropoles et petites cités. Il s'agit tout simplement de constater que tous les territoires nourrissent des projets. Les populations qui y vivent ont souvent le sentiment que ces projets ne sont jamais mis en oeuvre. Il fallait donc créer un « opérateur d'opérateurs » qui puisse se mettre au service des projets des territoires et, en conséquence, des élus qui les portent. Se mettre au service des territoires suppose qu'un opérateur de l'État ou un service de l'État est moins bien placé qu'un élu pour savoir ce qui est pertinent pour un territoire. Un élu est choisi sur la base d'un programme ou d'un projet. Le plus important est qu'il le mette effectivement en oeuvre. Se mettre au service de ces territoires revient donc à considérer que les mieux placés pour savoir ce qu'il convient de faire sur un territoire sont les élus, mais sûrement pas les services de l'État. Toutefois, cela n'interdit pas aux services de l'État, aux préfets, de nourrir un dialogue fructueux avec les élus. La loi doit s'appliquer partout, mais pas sur la base de critères technocratiques ex abrupto. Cette future agence sera donc au service des territoires et devra les accompagner. Elle devra faciliter leur vie et leur permettre de disposer d'interlocuteurs et de conventions englobantes. C'est le cas du projet « Action Coeur de Ville ». La future agence doit s'appuyer sur deux éléments importants :
- d'une part, l'agence doit pouvoir contribuer à la simplification du système actuel et délivrer un atout. C'est la raison pour laquelle il a été proposé de fusionner les structures existantes ;
- d'autre part, il convient qu'elle accompagne les territoires dans les projets qu'ils conduisent et sur les sujets qui leur semblent être des projets majeurs. Parmi ces sujets majeurs, évoquons-en deux : la couverture numérique du territoire et l'accès aux soins. Il s'agit là de deux sujets d'envergure qui constituent de vrais sujets pour les élus locaux, notamment ceux appartenant à des collectivités territoriales reculées. La future ANT doit donc contribuer à améliorer la compréhension des sujets que portent ces territoires. Citons la transition numérique, la transition démographique, la transition écologique, la transition spatiale et territoriale. Le texte qui a été voté au Sénat a directement renvoyé à ces différentes problématiques en matière de transport, d'accès aux soins et de numérique. Ce n'était originellement pas prévu, mais c'est le choix qui a été fait et je ne peux que m'en féliciter. Il convient d'agir rapidement. Ce sentiment de relégation, de n'être jamais écouté, ce sentiment d'enlisement des projets existent réellement sur les territoires. Pour ma part, je partage cette conviction.
Il faut toutefois s'appuyer sur une vision « souple » de ce qu'est un territoire. Un territoire ne saurait se confondre ni avec une collectivité territoriale, ni avec un groupement de collectivités territoriales. L'action de notre future Agence devra donc être transversale et devra concerner autant les communes que les départements, les regroupements de communes et les pôles territoriaux. J'en appelle à une mobilisation générale. Cette mobilisation générale doit partir de l'échelon régional, en relation avec l'État. Le niveau départemental reste fondamental pour être au plus près des territoires. Cet intérêt au partenariat avec les régions doit être mieux traduit, pour qu'il soit effectivement mis en oeuvre et qu'il constitue un atout. C'est l'ambition de l'Agence nationale des Territoires.
Je vous remercie de votre attention.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie, Monsieur le Commissaire général, de votre exposé fort intéressant. Nous avons déjà quelques collègues qui souhaitent vous interroger.
M. Mathieu Darnaud. - Monsieur le Commissaire général, je vous remercie tout d'abord de votre présence ce matin, car je sais que votre emploi du temps est particulièrement chargé en ce moment. J'ai plutôt un a priori favorable sur ce projet. Votre agence fonctionnera à partir de l'instant où elle va respecter quelques ingrédients essentiels qui sont pour moi des ingrédients de base. Le premier de ces ingrédients est la souplesse. Si nous adoptons une approche conceptuelle, rigide et dogmatique des territoires, alors nous mettrons en échec cette belle initiative.
Par ailleurs, je réaffirme la nécessité de parvenir à du « cousu main » avec les territoires. Cela illustre le besoin de privilégier le pragmatisme dans notre approche territoriale. Je crois que cela doit être une absolue nécessité et une priorité. J'ai cependant dit hier à la ministre - et je sais que certains d'entre nous étaient alors présents - combien je redoutais en revanche que l'on prenne trop de temps pour effectuer des états des lieux département par département alors que les élus sont la force vive, la mémoire et l'intelligence pratique des territoires. La meilleure façon de les mobiliser sur ce projet est de leur donner une place. Il en résulte le besoin de donner une place importante aux élus, bien que le leadership reste entre les mains du préfet. La concertation doit être étroite et la place des élus doit être prépondérante dans la gouvernance et dans l'opérationnalité de cette agence comme des autres structures.
La dernière question concerne celle des moyens. Je souhaite vous faire part d'une réelle inquiétude des élus locaux sur les moyens. Il convient que les moyens déployés en faveur de cette agence ne soient pas pris ailleurs. Cela a été très clairement réaffirmé lors du débat que nous avons eu au Sénat. L'engagement y a été pris que la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ne serait, notamment, pas impactée. Des moyens doivent aussi être mobilisés de façon très réactive. Quant à la capacité à avoir une lecture objectivée des normes, c'est un vrai sujet de découragement. Des problématiques peuvent se poser sur certains territoires. Si nous adoptons une lecture totalement uniforme et rigide, nous ne réussirons pas à comprendre les problèmes auxquels sont confrontés les territoires, problèmes qui sont souvent structurels.
Mme Sonia de La Provôté. - Merci beaucoup, Monsieur le Commissaire général, de votre intervention. Nous avons déjà eu l'occasion d'avoir quelques échanges depuis le mois de septembre, notamment à l'occasion d'une rencontre à la Fédération nationale des agences de l'urbanisme. Il y a des réponses qui nous ont été apportées depuis lors, mais il est quelques éléments de votre rapport que nous ne retrouvons pas. Ce rapport prévoyait une forme de contractualisation, avec pour cellule de base territoriale les EPCI. Manifestement, au cours des échanges que nous avons eus en séance, il apparaît que c'est l'Agence nationale des Territoires - et elle-seule - qui pourra intervenir. Je souhaiterais vous entendre car cela pourrait s'avérer très compliqué à gérer à l'échelon départemental, notamment pour les autorités préfectorales : nous pourrions arriver à une remontée de dossiers particulièrement importante. Dès lors, il y a lieu de se demander si l'Agence pourra assurer son rôle d'accompagnant.
D'autre part, toujours concernant cette Agence, vous avez posé quatre questions. En ma qualité d'élue locale, je souhaite vous faire part des interrogations de nombre de mes collègues de terrain quant à l'opportunité de disposer d'une ingénierie de territoire sur nos territoires. Qu'attend-on de l'État ? On attend de lui la norme et le rappel à la loi. On attend de lui davantage un accompagnement que des coups de règle sur les doigts. Si l'État joue pleinement son rôle d'accompagnement et de conseil, ce qui a été parfois le cas et ce qui l'est parfois mais pas toujours, alors une relation de confiance s'établira entre lui et le territoire. Nous attendons de lui qu'il soit capable de nous apporter une expertise et une ingénierie sur des sujets très compliqués. Nous avons, à titre d'exemple, évoqué les sols pollués. Nous avons besoin sur ce sujet de connaissances très précises de la part de l'État. Nous attendons aussi de l'État une vision « cousue main », et que l'accompagnement de l'État réponde à cette fameuse équité du territoire, laquelle s'entend à grande échelle. Cette Agence nationale des Territoires peut aussi nous aider, en tant qu'élus, à adopter une vision de nos territoires et à nous enrichir de ce qui se fait ailleurs. Quant à l'Agence elle-même, des questions se posent. Vous l'avez rappelé : elle s'appuiera sur une ingénierie très performante. Je note que l'État va mettre en oeuvre des fonds, des financements, des personnels et des compétences à disposition de certains de nos territoires. D'autres n'en bénéficieront pas. Quelle est donc la valeur ajoutée de cette Agence pour les bons élèves qui ont bien rempli leur mission et ont agi de façon vertueuse sur les sujets qui nous intéressent ? Nous estimons qu'il y a une forme d'injustice vis-à-vis de certains territoires. Elle pourrait être réparée à cette occasion et permettre d'encourager les ingénieries locales.
M. Raymond Vall. - Vous avez évoqué, Monsieur le Commissaire général, l'urgence d'agir. Il y a urgence mais nous ne pouvons pas inventer, dans le laps de temps dont nous disposons, des outils et des textes de loi nouveaux. Nous devons donc utiliser les outils dont nous disposons. Nous ne pouvons pas ne pas faire aujourd'hui le constat du fait métropolitain. Les élus n'élaborent jamais seuls un projet. Ils élaborent un projet territorial qui les concerne en premier lieu. Ce projet territorial va-t-il s'inscrire dans une démarche beaucoup plus importante avec la vision nécessaire que l'on doit avoir et qui permet de corriger le projet ? La modernisation de l'économie fait que les périmètres institutionnels ne servent plus à rien. Vous le savez, j'ai apprécié ce texte. L'urgence fait que nous devons favoriser l'élaboration des projets sur les territoires. Si l'on n'ouvre pas la fabrique du projet à la société civile, on ne réconciliera pas les citoyens avec la politique. Il en résulte que l'élaboration d'un projet suppose de le faire partager puis, à partir des premiers éléments et des atouts de chaque territoire, des hommes et des femmes de bonne volonté qui les peuplent, de savoir comment on les inscrit dans une vision qui soit davantage stratégique. C'est là que nous manquons, dans les territoires péri-urbains et ruraux, d'ingénierie. Je propose donc, à partir de l'initiative relative aux pactes d'innovation des territoires et des métropoles qui prévoit que les 8 à 12 millions d'euros octroyés aux métropoles pour réfléchir à l'avenir et l'innovation intègrent cette notion de coopération. Je rappelle que nous sommes interdépendants. La responsabilité de ces métropoles à partir d'un protocole de coopération avec les territoires est d'échanger des compétences. C'est de cette façon que nous pourrons trouver des solutions et envoyer un signal à la ruralité. Il faut que les métropoles ne fassent plus preuve du mépris qui est, pour les territoires ruraux et péri-urbains, une vraie source de désespoir. Ce pacte qui a été signé devrait, en quelque sorte, faciliter la mise à disposition de savoirs et d'informations indispensables et permettre aux territoires d'élaborer des projets qui aient du sens.
Je veux enfin évoquer la simplification. Je me bats depuis dix ans pour la création d'une voie ferrée sur le territoire dont je suis élu. Exceptionnellement, deux régions ont décidé de la prendre en compte, de la gérer et d'en assumer le déficit. Il a fallu trois ans pour opérer le transfert du foncier qui permette l'exploitation de cette voie ferrée. La simplification constitue aussi, dans ce climat d'urgence, une nécessité absolue.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous demande de synthétiser vos questions, sinon le commissaire général ne sera pas en mesure de nous répondre. Je cède à présent la parole à Jacques Mézard, qui a été à sa manière quelque peu à la genèse de ce projet.
M. Jacques Mézard. - Avec cette Agence, nous avons voulu créer un instrument facilitateur qui soit au service de nos collectivités locales. Libre ensuite aux collectivités territoriales de travailler avec des acteurs de la société civile sur le plan local. Mais pour être facilitateur, il faut être connu. La plupart de nos collègues élus locaux ne connaissait pas le CGET, voire la DATAR ! Il convient donc de se doter d'un instrument efficace sur le territoire. Si cette structure n'est qu'une agence de plus, alors nous aurons échoué. Si j'ai souhaité qu'il y ait fusion de cette structure avec l'Agence du Numérique, c'est parce qu'il fallait gagner en efficacité. Je sais que nous devons à chaque fois faire face à des résistances. Le niveau d'action de l'État doit être clairement identifié. Il doit exister un étage d'action de l'État. J'estime donc que le périmètre opérationnel le plus approprié à l'action de l'État pour ses services déconcentrés est le département. Le préfet est facilitateur et permet de mettre en oeuvre une action directe vis-à-vis de structures d'État. Il doit exister une coordination de ces structures et que l'on puisse s'adresser aux élus locaux pour actionner les moyens ad hoc. Les appels à projet sont parfaits pour ceux qui ont les moyens de les mettre en oeuvre. Le débat doit être celui de la facilitation sur les territoires. Je ne saurais passer sous silence la question des moyens : cette agence doit disposer des moyens lui permettant d'agir efficacement. Il lui faudra disposer des moyens lui permettant d'agir là où d'autres n'agissent pas et pour coordonner les initiatives mises en oeuvre.
M. Bernard Delcros. - Je souhaite m'associer aux remerciements que mes collègues ont formulés pour votre travail sur des sujets que nous considérons comme étant extrêmement importants. Nous avons tous des parcours d'élus locaux qui nous permettent de parler de ces sujets en toute légitimité et en toute connaissance de cause.
Vous avez, en particulier, posé la question de l'ingénierie, c'est-à-dire de la capacité des territoires à faire face à des procédures qui sont de plus en plus complexes et qui créent des disparités entre les territoires dans leur capacité à faire face à ces procédures et à accéder à des financements. Je pense qu'il faut vraiment rendre opérationnelle rapidement l'Agence à l'échelon départemental, parce que les élus locaux l'attendent. Le rôle de l'État est d'être un facilitateur. Très souvent, on assiste même sur les territoires à une interprétation excessive des réglementations et des normes. Il convient de modifier cet état d'esprit. L'État doit, par conséquent, pleinement jouer son rôle de facilitateur. Il faut assouplir les procédures, voire - comme vous l'avez vous-même dit - envisager des dérogations aux normes en vigueur. Je pense que cela est important. Au-delà de l'aide qu'elle apportera aux territoires, rien ne pourra remplacer un besoin d'ingénierie en interne. Il faut aider les collectivités territoriales, en particulier les plus rurales, à se doter d'une ingénierie interne. Nous avons besoin, elles ont besoin d'ingénierie interne. L'un n'empêche pas l'autre. L'assistance de l'État ne pourra jamais remplacer le besoin d'ingénierie interne des collectivités. Il existe à l'heure actuelle des dispositifs contractuels que vous connaissez parfaitement. Vous avez le souhait de favoriser un contrat unique de cohésion territoriale. Ce contrat a-t-il vocation à remplacer les dispositifs actuellement en vigueur (contrat de plan État-région, contrat de ville, etc.) ? Quant à la ruralité, envisagez-vous des contrats qui seraient dédiés à la ruralité ? Envisagez-vous, à travers ces contrats, que l'on puisse financer de l'ingénierie interne aux collectivités rurales ?
M. Marc Daunis. - Nous avons réalisé un travail, dans le cadre de la Délégation, qui nous a amenés à prôner une certaine forme de simplification. Parmi les constats, nous avons découvert que le fonctionnement en silo de l'État était une catastrophe sur les territoires, à tel point que nous avons préconisé la désignation d'un interlocuteur unique qui accompagne l'évolution vers l'urbanisme de projet, ceci afin que l'État s'adapte à cette nouvelle culture, laquelle est octogonale, en termes de répartition, entre l'échelon régional, l'échelon départemental et l'échelon local, ceci sous l'autorité préfectorale.
Je fais partie des personnes qui désirent la création de cette Agence. Elle doit cependant s'appuyer sur un État facilitateur, qui tienne un discours unifié, cohérent et mis en perspective. Ce discours ne doit pas être éclaté. Cet État ne doit pas être donneur de leçons. Si l'on part du principe qu'il doit y avoir de la vitesse, cela se traduit sur les territoires par de la complexification. Je laisse de côté la question du recours. Restons sur l'Agence. Je nourris deux craintes :
- quand on recherche la rapidité, la fusion est-elle le meilleur moyen d'agir ? Je partage évidemment l'idée qu'il faut fusionner les opérateurs, mais n'aurait-il pas été opportun de mettre en place initialement une coordination qui, à terme, accouche d'une fusion ? Je crains que nous ne perdions du temps ;
- la deuxième crainte est liée à la nécessité de partir d'une notion d'urgence et d'efficacité et de donner une priorité aux les territoires les plus en difficulté. Partons déjà des contrats actuels en y intégrant les contrats de territoire existants là où les territoires sont le plus en difficulté et en veillant à intégrer les communes.
M. Michel Dagbert. - Je tiens, Monsieur le commissaire général, à vous faire part de ma satisfaction quant à votre vision et au choix de l'échelon départemental. J'y suis très sensible et je vous parle en tant qu'ancien président de département.
Nous avons, dans mon département, une très grande variété de situations : nous disposons d'un tissu très urbain ainsi que de grandes espaces ruraux, où l'on trouve 740 communes de moins de 2 000 habitants. Nous comptons trois agences d'urbanisme sur le territoire du département, et nous avons pu expertiser le fait que la carence en ingénierie était sans doute le frein le plus important pour faire émerger les projets des élus qui répondent aux besoins des citoyens. Nous avons un certain nombre de contrats spécifiques dans notre département. Je souhaite vous entendre sur ce point : comment l'Agence va-t-elle articuler son travail et reprendre tout ou partie de ces contrats spécifiques ? Je pense notamment au contrat territorial que nous avons signé le 13 novembre 2016 avec le territoire du Calaisis. Comment ce contrat trouve-t-il une place ? Comment l'Agence l'abordera-t-elle ? Quelle aide l'Agence peut-elle apporter permettant la parfaite réalisation de ces contrats et de ces engagements ?
M. Charles Guené. - Je souhaite vous interroger, Monsieur le commissaire général, sur la gestion de la demande. Comment s'opérera la priorisation ? Je me pose également des questions sur le positionnement de l'Agence face au besoin d'ingénierie qui s'exprime localement. Sur ces besoins, je souhaite distinguer l'ingénierie d'application et de suivi de l'ingénierie créatrice.
M. Serge Morvan, commissaire général à l'Égalité des Territoires. - Je vais répondre aussi bien que possible à vos questions, sachant que l'Agence n'est pas encore formellement créée. Évidemment, il faut donner une place importante aux élus et à l'opérationnalité. Le niveau qui a été choisi est donc celui du département. Il a déjà la vertu d'avoir obtenu l'adhésion de tous les protagonistes du projet.
La question qui se pose est celle de la gouvernance de l'Agence proprement dite. Il s'agit d'une question difficile : en la matière, je considère qu'il est nécessaire d'assurer une place très importante aux élus. Il pourrait d'ailleurs être envisagé une égalité entre les élus et les représentants de l'État. S'il est un sujet sur lequel je veux insister, c'est que le CGET ne bénéficie pas de cette égalité puisqu'elle est une administration. Le fait que les élus puissent donner leur accord, leur avis, et puissent débattre des orientations est important. Ce débat est important. Il se poursuivra.
Bien évidemment, comme vous l'avez dit, les moyens qui seront déployés pour cette Agence ne devront pas être pris à d'autres structures. Cette question est majeure. Cette question des moyens est importante. Ce qui me semble manquer parfois est l'intégration de la dimension territoriale dans la définition d'une action publique de l'État. Il convient de mettre en amont la question du territoire, pas uniquement en aval. Mes propos peuvent sembler abscons à certains, mais sachez que je rencontre parfois de vraies difficultés, au sein des services de l'État. Les fonds doivent être mobilisés, vous l'avez donc compris, et ces fonds ne sauraient être pris ailleurs. Peut-être doit-on aller encore plus loin sur certaines dérogations ?
Il s'agit également de changer de posture : il ne faut désormais plus se poser la question des raisons pour lesquelles on ne parvient pas à mettre en place une action, mais plutôt de se poser la question comment elle peut l'être. Cela changerait très certainement la nature des relations entre les élus locaux et les services de l'État. J'ai été préfet des Yvelines : je sais donc de quoi je parle ! La lecture des normes et des lois ne doit plus être littérale. Elle doit aussi inclure une dimension adaptatrice. J'espère vivement que l'Agence y contribuera. Nous allons créer un nouvel objet et nous allons lui donner une place suffisante, ce qui ne sera peut-être pas toujours simple. Cela permettra de redonner un souffle à cette lecture nouvelle que l'on doit faire de l'État.
Quant aux territoires, j'ai écrit dans mon rapport que la brique de base était l'EPCI et que l'on doit aller jusqu'au département. Quinze ou vingt départements méritent de notre part une action prioritaire de mobilisation générale à laquelle l'Agence doit contribuer et à laquelle elle donnera tout son sens. Cela n'empêche pas que des discussions surviennent avec l'AMRF ou l'AMF sur le rôle de la commune. La plupart du temps, les communes ont fait le choix de transférer une partie de leurs compétences à ces EPCI sur les sujets qui nous occupent. En revanche, s'il est une chose que le préfet ne doit surtout pas faire, c'est accepter que la commune et le groupement de communes portent un projet commun si l'une et l'autre ne le partagent pas vraiment. En d'autres termes, la commune et le groupement de communes doivent très scrupuleusement porter ce projet commun, sauf à ce que le service de l'État arbitre entre les deux parties. Il ne faut donc surtout pas faire naître des espoirs que l'on ne saurait pas satisfaire. Il convient d'être honnête. L'Agence aura des missions à entreprendre, mais elle ne pourra pas tout faire. Elle devra donc opérer des choix. Pour autant, l'Agence n'entend pas favoriser la « prime au mauvais élève ». Il convient de faire le constat qu'il est certains territoires qui ont prioritairement besoin des actions de la future agence. J'ignore pour quel motif ils n'en ont pas bénéficié auparavant. De bonnes raisons l'expliquent. Il convient de s'attacher à la situation existante. L'action de l'Agence s'exercera prioritairement sur tous les territoires en difficulté, notamment les territoires ruraux. On y trouve aussi des territoires urbains. N'oublions pas l'importance des politiques innovantes que certains élus peuvent initier sur leurs territoires. L'Agence doit les accompagner dans leur déploiement. Il est important de savoir ce que l'on veut faire. Il est également important de savoir que chaque territoire peut avoir sa propre trajectoire et qu'elle peut être différente de celle du territoire voisin, mais qu'il convient d'accompagner ces trajectoires différentes, à la seule condition que l'on s'inscrive dans un avenir commun au sein de la République française. J'affirme ici que l'Agence veillera à toujours soutenir les trajectoires différentes, mais certainement pas les trajectoires divergentes.
Une ingénierie de l'État peut parfois être utile. Elle peut ne pas toujours l'être. C'est la raison pour laquelle elle peut et doit s'appuyer sur des ingénieries locales. Nous essayons de travailler à la constitution de plates-formes de recensement et de recueil de ces moyens d'ingénierie existant sur place. Cela permet de savoir sur qui on peut s'appuyer. Il convient que cette ingénierie locale et que cette ingénierie de l'État s'appuie aussi sur l'ingénierie privée.
Je voudrais aussi évoquer la question de la vision planificatrice à court, à moyen et à long terme. Ce sujet reste compliqué parce qu'il suppose de demeurer sur un chemin de crête. L'État peut développer et doit parfois développer une vision globale de cohésion du territoire, qui n'est cependant pas celle de la DATAR en son temps ! Il est important, sans favoriser une politique d'aménagement du territoire imposée ex abrupto et d'en haut, que s'engage une réflexion stratégique et qu'elle puisse s'engager. Nous avons au CGET - et demain à l'ANCT - des publications qui sont de qualité, même si elles se focalisent surtout sur les connaissances. Le CGET s'est en quelque sorte transformé en CNRS ! Il nous faut développer la notion d'analyse de la décision publique et de l'État.
La question de l'interdépendance a été citée tout à l'heure. Des pactes ont été signés entre les agglomérations et leurs périphéries. Je pense que les métropoles souhaitent apporter leur aide aux territoires les plus excentrés en considérant que ces métropoles ont tout à y gagner. C'est un point de vue qu'il convient de faire évoluer. Quant aux appels à projets, j'y suis fermement opposé, du moins dans leur forme actuelle. Certains d'entre eux sont utiles. Il convient d'y mettre un terme. Ces appels à projet servent souvent à projeter la politique de l'État sur les territoires car pour remporter ces appels à projet, il convient d'être conforme à la politique que l'État entend mener. Cela n'est pas très décentralisateur. Pour autant, l'État doit veiller à répondre aux besoins que peuvent exprimer les territoires. Sur la question du besoin d'ingénierie à long terme, je partage le point de vue qui a été exprimé : l'Agence doit jouer un rôle de passeur. Nous avons commencé ce travail. Sur les contrats entre État et collectivités territoriales, ils sont nécessaires, mais très divers. On en recense à cette date 1 235. Nous devons clarifier la forme que prennent ces contrats. Je préfère que l'on parle en la matière de « contrat global ». Reste la question du choix entre fusion et coordination. Le choix est difficile. J'estime que l'équilibre qui est défini par la proposition de loi, intégrant deux services, est équilibré. Ces intégrations demeurent, je le crois, indispensables. La question de l'Agence du Numérique est importante : en effet, nous avons besoin de mettre en place, plus encore qu'aujourd'hui, même si le travail que cette Agence réalise, une dimension territoriale par l'approche de ces questions. L'Agence du Numérique favorise les discussions conceptuelles, notamment sur le déploiement de la 5G ou l'économie du numérique. L'intégration de cette structure au sein de la future Agence va permettre de favoriser la dimension territoriale comme une dimension première.
En conclusion, j'affirme que la notion de territoire est une notion souple et que la notion d'urgence est très importante. Nous reprendrons les contrats spécifiques existant sur le territoire, notamment ceux signés sur des bassins miniers.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie, Monsieur le commissaire général, de votre intervention. Elle a été à la fois très claire et très intéressante. Je vous remercie d'avoir veillé à répondre à chacun de ceux qui vous interrogé.