Jeudi 15 novembre 2018
- Présidence de Mme Maryvonne Blondin, présidente d'âge -
La réunion est ouverte à 9 h 20.
Réunion constitutive
Mme Maryvonne Blondin, présidente. - Il me revient - je n'insiste pas sur les raisons... - d'ouvrir la réunion constitutive de notre mission commune d'information qui porte sur « les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions ».
Je vous rappelle que cette mission a été créée en application du chapitre X de l'instruction générale du Bureau qui dispose qu'une mission commune d'information peut être créée par la Conférence des présidents à la demande des présidents des commissions intéressées. Le président du groupe Socialiste et républicain a demandé au président du Sénat une commission d'enquête mais cette démarche n'a pas abouti ; plus exactement, le président de la commission des Lois, notre collègue Philippe Bas, a alors pris l'initiative de proposer à la présidente de la commission de la Culture, Catherine Morin-Desailly, et au président de la commission des Affaires sociales, Alain Milon, de constituer une mission commune d'information.
Une commission animée par le vice-président honoraire du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé, est parallèlement chargée par les évêques de France de faire la lumière sur les abus sexuels commis par des prêtres : elle aura plus de temps que nous pour développer sa réflexion.
La Conférence des présidents a approuvé la constitution d'une mission commune d'information lors de sa réunion du 17 octobre dernier et les 28 membres de la mission ont été nommés en séance publique, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, le 31 octobre.
Nous devons aujourd'hui désigner le président de la mission. J'ai reçu la candidature de Catherine Deroche. Il n'y a pas d'autres candidatures.
La mission commune d'information procède à la désignation de sa présidente, Mme Catherine Deroche.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie de la confiance que vous m'accordez pour présider notre mission commune d'information. Il nous faut à présent procéder à la désignation des autres membres du bureau. La composition de celui-ci doit refléter les équilibres politiques du Sénat, tout en associant pleinement l'opposition aux travaux à mener. Aussi, après en avoir discuté avec les différents groupes politiques, je vous propose de désigner trois co-rapporteurs : l'un issu du groupe Les Républicains, un autre du groupe Socialiste et républicain et le troisième, du groupe Union centriste. Ce travail en équipe nous permettra d'arriver à une compréhension plus fine de notre sujet d'étude, enrichie de nos expériences respectives.
J'ai reçu les candidatures de Mme Marie Mercier, membre du groupe Les Républicains et qui siège à la commission des lois ; de Mme Michelle Meunier, membre du groupe Socialiste, qui siège à la commission des affaires sociales ; et de Mme Dominique Vérien, membre du groupe Centriste, qui siège à la commission de la culture et de l'éducation.
La mission commune d'information procède à la désignation de ses rapporteurs, Mmes Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Afin de compléter le bureau, il nous faut maintenant désigner les vice-présidents et les secrétaires. La répartition des postes pourrait être la suivante : un vice-président pour le groupe Socialiste et républicain ; un vice-président pour le groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE) ; un vice-président pour le groupe La République en Marche ; un vice-président pour le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) ; un vice-président pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires ; enfin, les deux postes de secrétaires pourraient revenir aux groupes Les Républicains et Union centriste.
La mission commune d'information procède à la désignation des vice-présidents : Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Françoise Laborde, M. André Gattolin, Mme Esther Benbassa, M. Dany Wattebled ; et des secrétaires : MM. Stéphane Piednoir et Olivier Henno.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Voici quelques informations pratiques sur l'organisation de nos travaux. La Conférence des présidents a fixé leur durée à six mois, nous devrions donc adopter nos conclusions en avril 2019. Ce délai nous incite à procéder aux auditions et aux déplacements selon un rythme assez soutenu.
Les auditions auront lieu les mardis et mercredis après-midis, voire certains jeudis. Nous privilégierons les lundis et les vendredis pour nos déplacements. Un calendrier prévisionnel vous sera adressé prochainement.
Je réunirai mercredi prochain à 16 h 30 les membres du bureau pour affiner nos pistes de travail, ainsi que notre liste d'auditions et les déplacements envisagés.
Nous avons cependant d'ores et déjà pris contact avec M. Jean-Marie Delarue qui a accepté d'être auditionné dès mercredi prochain, à 17 heures. La commission qu'il présidait a rendu en juin dernier un excellent rapport sur la prévention, l'évaluation et la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. Cette première audition nous apportera des informations précieuses sur un aspect important de notre sujet.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je suis ravie que la mission soit installée, et honorée d'en être nommée rapporteur. Le groupe Socialiste a de fortes attentes et entend prendre toute sa place dans ces travaux. La thématique ne sera pas uniquement centrée sur les religions, mais elle comprendra aussi ce domaine. Les trois candidates aux postes de rapporteur et la présidente pressentie se sont réunies. Nous avons échangé dans un bon climat d'écoute et je me réjouis de notre convergence de vue sur la méthode : nous ne voulons pas recommencer le travail déjà accompli, mais nous pencher sur les systèmes d'organisation qui en France ont conduit à une omerta, un éteignoir qui a étouffé la révélation des violences sexuelles sur les enfants. Il est grand temps de faire bouger les choses, dans les diverses institutions laïques ou religieuses.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Je suis la petite dernière parmi les sénateurs, je siège dans cette assemblée depuis décembre dernier, et ce sera mon premier rapport. J'aurais pu imaginer sujet moins lourd que la pédocriminalité pour débuter, mais le travail à la Délégation aux droits des femmes m'a montré combien il était nécessaire de lutter contre ce phénomène. Je me réjouis que notre champ d'étude ait été élargi au-delà de l'Église catholique. Car partout où il y a des enfants, il y a des prédateurs. L'Éducation nationale n'a pas toujours eu une réponse vertueuse, préférant déplacer le problème... donc le recréer ailleurs. C'est ce que l'on reproche aussi à l'Église catholique aujourd'hui.
Merci de votre confiance, je mettrai toute mon énergie à en être digne.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Pendant plusieurs mois j'ai avec un groupe de travail de sept collègues préparé un rapport d'information sur les violences sexuelles sur mineurs. Un certain engagement est indispensable sur un sujet aussi grave, et l'on ne sort pas indemne de ce travail.
C'est pour moi une évidence qu'il convient d'élargir notre réflexion à toutes les institutions accueillant des enfants, et à tous les cultes. Nous ne referons pas les auditions du groupe de travail, nous en organiserons d'autres, en nous intéressant en particulier au monde du sport, à celui de l'éducation. La détection, la prévention sont essentielles, et exigent une sensibilisation, une éducation même, de tous.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Plusieurs d'entre nous ont été membres du groupe de travail de la commission des lois sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Vu les temps contraints de notre mission, essayons de trouver les meilleures voies possible en termes d'efficacité. Des rapports existent déjà. Peut-on nous communiquer toute la base documentaire déjà disponible ? Peut-on aussi avoir quelques informations sur les travaux de Jean-Marie Delarue, dont vous avez d'ores et déjà prévu l'audition la semaine prochaine ? À l'avenir, nous avons besoin d'un calendrier prévisionnel plus en amont.
Réunirez-vous le bureau fourni, pour ne pas dire pléthorique, pour que nous pilotions de manière efficace ce groupe de travail afin d'atteindre l'objectif qui est le nôtre : comment faire pour lever l'omerta et mettre en place des process ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le bureau fixera des éléments de cadrage. Nous allons effectivement vous fournir un lien pour accéder au rapport de M. Delarue publié en juin dernier. La base documentaire est importante : outre la mission présidée par Marie Mercier, des travaux ont été publiés en Pennsylvanie, en Australie, en Irlande, en Allemagne. Peut-être pourrions-nous rendre accessibles tous les travaux via l'application Demeter.
Il nous faut cibler les auditions. Je suis favorable à l'idée d'organiser des tables rondes et des auditions publiques en fonction de la thématique ou à huis clos, en cas de besoin. Nous aimerions aussi créer un espace participatif pour avoir des contributions complémentaires.
Mme Laurence Rossignol. - Dès lors que la commission des lois a fait le choix de ne pas demander la constitution d'une commission d'enquête sur la pédocriminalité au sein de l'Église catholique, nous devons être rigoureux sur l'objet de notre mission. Il n'est pas question de faire l'histoire de la pédocriminalité de l'Antiquité à l'époque contemporaine en redisant tout ce que l'on sait déjà. Le sujet est bien identifié : les abus sexuels des adultes sur les enfants, les effets des abus sexuels sur la construction des individus, la difficulté du recueil et de l'écoute de la parole de l'enfant. Nous devons reprendre à notre compte tous les travaux qui ont déjà été publiés sur ce sujet pour nous attacher à l'objet de notre mission : comment des institutions ayant pour mission d'accueillir des enfants ont-elles été incapables de les protéger ? Quels mécanismes ont été mis en place pour étouffer - ou non - la parole des victimes, pour protéger - ou non - les auteurs, pour accompagner les victimes et engager des actions de prévention ? Comment les auteurs de ces infractions ont-ils été traités ? Par la voie judiciaire ? Sinon, comment ont-ils été mis hors d'état de réitérer leurs actes ?
On le sait, 80 % à 90 % des violences sexuelles sur mineurs sont commises dans le cadre familial, mais elles n'entrent pas dans notre champ de recherche. Je suggère que nous commencions par un travail documentaire, pour identifier les faits portés à la connaissance du public. Concernant l'Église catholique, nous allons devoir auditionner assez rapidement M. Christnacht, qui est chargé d'une mission. L'affaire de pédophilie à Villefontaine a mis en évidence des insuffisances dans la transmission des fichiers. Identifions les institutions en cause et voyons comment elles ont réagi.
Enfin, comment pouvons-nous organiser nos travaux pour permettre à ceux qui n'auraient pas encore trouvé le lieu adéquat pour dire ce qu'ils ont vécu de s'exprimer ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous sommes en phase avec vous : ce sont vraiment ces questions que la mission veut traiter.
M. André Gattolin. - Je rejoins les propos de Laurence Rossignol, je suis très attaché à la définition de l'objet de notre mission. L'intitulé de notre mission, qui est très long, est ambigu. Quid du professeur qui harcèle une collègue, dans la mesure où il est en contact avec des enfants ? Le titre mentionne des « politiques publiques de prévention », mais on oublie les mécanismes internes d'organisations indépendantes. Concernant l'Église catholique, que fait-on, par exemple, quand le droit canon considère que la période de prescription est de vingt ans, contre trente en droit français ? Il faut que nous parlions des mécanismes et des fonctionnements internes des institutions. Optons pour un intitulé synthétique ou trouvons un acronyme !
Mme Catherine Deroche, présidente. - Si nous ne voulons pas que les médias requalifient notre mission, il nous faut en effet opter pour un intitulé plus court.
M. Jean-Pierre Sueur. - Une remarque pratique tout d'abord. J'attire votre attention sur le fait que, outre la séance publique, des réunions de commission ont lieu les mardis, mercredis et jeudis. Il n'est donc pas pratique de nous réunir dans ces créneaux.
Il faut fuir l'hypocrisie. Un problème s'est posé dans l'actualité de manière claire : l'omerta. Dans l'Église catholique, les pratiques ont privilégié la défense de l'institution par rapport à celle des victimes, quitte à soustraire les crimes à la justice de la République française - je le dis avec force, car telle est ma conviction. L'élargissement du champ de notre mission, avec un intitulé très long, ne doit pas aboutir à nier cette question centrale. Je demande que le bureau décide de consacrer un temps suffisant à l'examen de ce sujet. Ne donnons pas l'impression de vouloir éviter je ne sais quoi - le choix de la commission des lois, à laquelle je suis puissamment attaché, a déjà donné cette impression. Il y a là un véritable problème.
Aussi, il me paraît essentiel de rendre publiques nos réunions et nos auditions, surtout celles des membres d'institutions, sauf demande expresse d'une victime. Après le choc des affaires, qui a conduit l'Église catholique, apostolique et romaine, pour laquelle j'ai un grand respect, à créer une commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé, le Sénat n'apparaîtra pas comme étant à la pointe si nos auditions sont secrètes et discrètes.
Mme Françoise Gatel. - Je crois comprendre que la mission porte sur les infractions sexuelles commises à l'encontre d'enfants par des personnes exerçant une autorité sur eux dans un cadre institutionnel. Je partage la nécessité de prendre en compte toute la documentation disponible, notamment le travail réalisé par la commission des lois, sous la responsabilité de Marie Mercier, concernant le recueil et la libération de la parole pour nous concentrer sur notre sujet. Évitons les redondances !
Ces derniers temps, les médias se sont fait l'écho d'affaires intervenues au sein de l'Église catholique. L'omerta ou le silence règne dans beaucoup d'univers institutionnels ; je pense au milieu du sport - où l'omerta est très forte - et à l'éducation nationale, où l'on note malgré tout des progrès. Je me félicite de la mise en place d'un outil participatif, mais nous aurons à gérer la difficulté - je n'ose pas employer le mot, mais c'est un peu de cela qu'il s'agit - de la vérité de la parole : les sujets sont douloureux, l'émotion intense. Il sera intéressant de voir comment ces institutions ont mis en place ou non des procédures susceptibles de protéger, de détecter, de prévenir, d'accompagner, de sanctionner. Notre rapport d'information pourra servir à les contraindre à instaurer des procédures permettant de prononcer des sanctions quand cela est nécessaire.
Mme Florence Lassarade. - Pédiatre pendant trente ans, j'ai été confrontée à ce genre de situation. Ce qui m'intéresse dans cette mission, c'est la prévention. On ne mesure pas combien l'enfant est souvent dans une position de séduction. Il faut absolument que chaque adulte en contact avec les enfants en soit prévenu. Je ne dis pas que cela peut arriver à n'importe qui, mais, dans l'exercice de notre profession, nous sommes tous parfois surpris par la façon dont l'enfant peut nous séduire.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous demande de renoncer au terme de « séduction » ! On ne peut pas parler de séduction.
Mme Florence Lassarade. - Je veux que les adultes soient prévenus du comportement de l'enfant. Il faut faire une véritable éducation sur ce point.
Lors de mes études de médecine, on m'avait prévenue contre cela. Et dans le domaine sportif, certains adultes ne sont pas préparés.
Mme Laurence Rossignol. - Combien de signalements avez-vous fait dans votre vie ?
Mme Florence Lassarade. - De nombreux signalements, même si parfois je n'ai pas vu certaines choses.
Mme Annick Billon. - Je partage vos avis sur la longueur du titre. Nous aurons des difficultés à nous exprimer dans les médias si nous devons indiquer le titre intégral de notre mission ! Je suis heureuse de faire partie de cette mission, à la fois comme sénatrice et comme présidente de la Délégation aux droits des femmes. Protéger les femmes, c'est bien souvent protéger les enfants. La délégation a travaillé sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et l'excellent rapport de Marie Mercier.
Je suis d'accord sur la méthode, appuyons-nous sur les travaux déjà réalisés et recensons tous les éléments potentiels entrant dans la définition du titre. Ensuite, nous pourrons pointer les organisations qui sont plus ou moins efficaces pour écouter les victimes, et qui dénoncent les faits, sans omerta.
J'entends les remarques sur l'omerta de l'Église, qui repose à la fois sur le secret de la confession et son organisation. Dans d'autres organisations, des processus aboutissent parfois à une omerta plus ou moins importante, qu'il convient aussi de dénoncer.
Nous sommes animés par le même objectif, et j'espère que tout se passera pour le mieux. Merci de bien vouloir organiser le plus en amont possible les réunions, et de ne pas les prévoir le jeudi matin, moment dévolu aux délégations.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous nous réunirons les mardis, mercredis et jeudis, mais sans empiéter sur les réunions de groupe, ni celles des commissions permanentes et ni sur les obligations de présence en séance publique. Il y aura parfois des réunions durant des séances publiques : nos contraintes sont les mêmes que pour toutes les structures temporaires.
Sur le fond, notre objectif n'est pas de masquer les cas dans l'Église catholique ou les autres cultes, mais de traiter l'ensemble des institutions concernées. Nous avons commencé à les lister : institutions sportives, culturelles, éducatives et cultuelles. Nous ne masquerons ni ne nous focaliserons sur l'Église, que les choses soient claires. Nous examinerons toutes ces institutions pour lever le couvercle, et tout le monde travaillera dans cet état d'esprit.
Que chacun s'exprime librement. Si nous ne sommes pas capables de le faire entre nous, comment ces enfants pourraient-ils se confier ? L'essentiel sera de ne pas faire un énième rapport sur le sujet...
M. Jean-Pierre Sueur. - Qu'en sera-t-il de la publicité de nos réunions ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je ne vois aucun obstacle à ce qu'elles soient publiques, hormis si c'est une source de souffrance pour la personne entendue.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est clair, je vous remercie de cette précision.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous proposerons rapidement un calendrier jusqu'à fin décembre. La mission sera appuyée par des fonctionnaires du Sénat issu de trois commissions différentes et de la Délégation aux droits des femmes.
La réunion est close à 10 h 05.