- Jeudi 8 novembre 2018
- Questions sociales et santé - Agence européenne de sécurité des aliments : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Laurence Harribey et M. Pierre Médevielle
- Économie, finances et fiscalité - Régime européen de TVA et filière équine : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Anne-Catherine Loisier
- Nomination de rapporteur
- Création d'un groupe de travail
Jeudi 8 novembre 2018
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Questions sociales et santé - Agence européenne de sécurité des aliments : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Laurence Harribey et M. Pierre Médevielle
M. André Reichardt, président. - Je vous prie d'excuser l'absence du président Jean Bizet, retenu par un déplacement à l'étranger.
Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport d'information et de la proposition de résolution européenne de nos collègues Laurence Harribey et Pierre Médevielle sur l'agence européenne de sécurité des aliments.
Le sujet est important ; il pose tout à la fois la question de l'indépendance de l'agence et celle de ses moyens de fonctionnement. On ne peut pas non plus éluder l'enjeu d'une bonne coordination entre les différentes structures, nationales ou européennes, chargées de procéder à de telles évaluations. Les avis contradictoires ne peuvent que semer le trouble dans l'opinion publique et compliquer la prise de décision politique. Nous avions abordé cet enjeu avec le commissaire européen en charge de la santé et de la sécurité alimentaire lors de sa visite au Sénat.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - L'Autorité européenne de sécurité des aliments, communément appelée EFSA, a été créée en 2002, à la suite du scandale de la « vache folle ». L'objectif était de disposer d'une agence indépendante, capable de fournir une évaluation purement scientifique des risques en matière alimentaire pour ensuite laisser les autorités politiques décider souverainement, sur le fondement de cet avis et dans le cadre d'une procédure de comitologie, des conditions de mise sur le marché.
Cette procédure, distinguant évaluation et gestion du risque, s'applique à l'ensemble des substances et produits en lien avec la chaîne alimentaire - notamment les OGM, les additifs alimentaires ou les substances présentes dans les produits pharmaceutiques.
L'EFSA travaille principalement sur la base d'études fournies par les exploitants. Pour la Commission européenne, il revient effectivement à ces derniers de les financer, dès lors qu'ils tirent profit de la mise sur le marché des substances ou produits. Néanmoins, ces études sont réalisées selon les lignes directrices définies par la Commission européenne, dans des laboratoires respectant les standards de l'OCDE.
Une fois achevées, elles sont analysées par les experts de l'EFSA. Répartis en dix groupes thématiques, ces derniers ne sont pas salariés de l'agence. Ils sont généralement mis à disposition par les agences nationales, contre un défraiement forfaitaire.
Aujourd'hui, le budget de l'EFSA, fixé à 80 millions d'euros et financé en totalité par l'Union européenne, est clairement insuffisant pour refaire certaines études et ne permet pas à l'agence d'employer ses propres experts.
L'EFSA fait l'objet de nombreuses critiques concernant son indépendance vis-à-vis des exploitants, mais c'est le problème du glyphosate qui a conduit à l'élaboration d'une proposition de règlement destinée à réformer le fonctionnement de l'agence.
Pour rappel, la Commission européenne a proposé, en décembre 2015, un renouvellement pour quinze ans de l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate, qui expirait en juin 2016. Or, en mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, une instance émanant de l'Organisation mondiale de la santé, a publié une étude concluant au caractère « probablement cancérigène » de la substance. La Commission européenne avait alors demandé à l'EFSA, qui avait toujours affirmé le contraire, de prendre en compte cette étude. Dans son avis rendu en novembre 2015, celle-ci a, de nouveau, considéré que « le potentiel cancérigène du glyphosate [était] improbable ».
Ces avis contradictoires ont relancé le débat sur la qualité des évaluations de l'EFSA, avec trois critiques formulées.
S'agissant de la politique de lutte contre les conflits d'intérêts, les ONG et le Parlement européen reprochent que les règles soient appréciées au regard de la mission de l'expert au sein du groupe de travail, et non du domaine de compétences de l'EFSA dans son ensemble. De plus, l'agence autorise les experts à bénéficier de fonds privés pour leurs recherches, dans la limite de 25 % du budget total.
On lui reproche également une prise en compte insuffisante des études académiques, ces dernières ne respectant pas forcément les protocoles imposés par les lignes directrices de la Commission européenne.
Enfin, on lui reproche son manque de transparence. Les ONG ont notamment dénoncé un accès très difficile aux études dans le cas du glyphosate et, en l'absence de format de données standard pour la communication, les études sont de toute manière compliquées à exploiter.
Face à ces critiques, l'EFSA répond généralement qu'elle travaille dans un cadre réglementaire précis. Pour le glyphosate, elle explique avoir évalué la substance seule, conformément au règlement européen balisant sa mission, alors que l'étude du CIRC l'évaluait en association avec d'autres co-formulants. Mais le climat actuel de défiance ne satisfait personne et la Commission européenne a besoin de s'appuyer sur un avis reconnu scientifiquement pour justifier ses décisions. La qualité de ces avis doit garantir à chaque État membre que les substances mises sur le marché ne présentent aucun danger, afin d'éviter la prise de dispositions unilatérales qui pourraient engendrer des distorsions de concurrence.
Pour répondre à la polémique, la Commission a donc présenté une proposition de règlement pour réformer l'EFSA.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Dans le but de retrouver la confiance des consommateurs dans les avis rendus par l'EFSA, la Commission européenne propose une modification des procédures de nomination, des mesures de renforcement de la transparence et des moyens de contrôle, ainsi qu'une augmentation budgétaire.
Le texte vise à renforcer la participation des États membres dans la gouvernance de l'EFSA, en prévoyant que chacun d'entre eux désigne un membre titulaire et un membre suppléant au conseil d'administration, et, au moins, 12 experts scientifiques, qui ne sont pas nécessairement des ressortissants nationaux. Sur cette base, le directeur exécutif établit, pour chaque groupe scientifique, une liste d'experts comportant un nombre de candidats plus élevé que le nombre de membres à nommer, charge au conseil d'administration de procéder à ces nominations.
Si la procédure de désignation des membres du conseil d'administration ne pose pas question, celle des experts appelle deux remarques. Il faut encadrer la possibilité de nommer un scientifique d'une autre nationalité pour éviter qu'un trop grand nombre d'entre eux soit issu d'un même pays ou d'une même institution. Parallèlement à cette désignation par les États membres, l'EFSA devrait pouvoir constituer une liste de candidats à la fonction d'experts à partir d'un appel à manifestation d'intérêt publié dans le Journal officiel de l'Union européenne.
La Commission européenne propose également que les études fournies par les industriels puissent être publiées dès que l'EFSA aura accepté d'étudier la demande de mise sur le marché et déclaré ces études recevables. Cette publication sera faite dans un format de données standard permettant leur exploitation. Les demandes concernant la confidentialité des études devront être justifiées, sachant qu'il est proposé de définir les sujets pour lesquels celle-ci pourra être demandée, et l'EFSA décidera de leur recevabilité. En cas de désaccord, soit l'exploitant retirera sa demande d'autorisation, soit il se pourvoira devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Deux points méritent une attention particulière. L'idée de publier les études au moment où la demande d'autorisation est déclarée recevable, plutôt qu'au moment où l'EFSA rend son avis, suscite des inquiétudes chez les exploitants du secteur des produits phytopharmaceutiques, notamment pour des questions de propriété intellectuelle. Il est en outre nécessaire de prévoir un comité d'appel pour trancher les litiges sur le caractère confidentiel de certaines études, afin d'offrir une alternative à la solution judiciaire proposée par la Commission européenne.
S'ajoutent, à ces différentes propositions, la mise en place de contrôles renforcés des études réalisées par les exploitants et des laboratoires, ainsi que la possibilité, pour la Commission européenne, de commander de nouvelles études.
Enfin, le budget de l'EFSA sera augmenté de 62 millions d'euros pour renforcer l'attractivité de l'agence et financer les études de vérification.
En résumé, cette proposition de règlement, plutôt consensuelle, va dans le bon sens. Toutefois, elle n'aborde pas la question de la lutte contre les conflits d'intérêt, qui reste du ressort du conseil d'administration de l'EFSA, ainsi que celle des conditions de recevabilité des études académiques dans le cadre du processus d'évaluation. Les experts ne peuvent se contenter de vérifier que les études fournies respectent certaines normes ; ils doivent pouvoir utiliser pleinement toute la littérature scientifique disponible pour réaliser une véritable évaluation des risques. La question de la coordination des agences reste aussi à traiter.
Pour les produits phytopharmaceutiques, selon la réglementation européenne, la procédure d'examen des substances actives est du ressort de l'Union européenne et la décision de mise sur le marché de celui de l'État membre. Cela crée des distorsions de concurrence, souvent au détriment de nos agriculteurs. Il faudrait donc, à l'échelle de l'Europe, harmoniser les procédures d'évaluation et d'attribution des autorisations de mise sur le marché.
Il faut s'attendre à une profonde refonte du financement des dispositifs d'évaluation. Le public est de plus en plus exigeant - c'est bien normal - mais, aujourd'hui, comme le dit un célèbre économiste de la santé, « la peur est au-dessus de nos moyens ». La rationalisation s'impose, justifiant que certaines pistes soient explorées, comme la création, proposée par l'ANSES, d'un fonds européen pour financer des études conjointes ou la mise en place de partenariats public-privé pour procéder à ces évaluations.
M. Pierre Ouzoulias. - Mon groupe votera en faveur de cette proposition de résolution, tout à fait équilibrée.
Nous travaillons sur ces problématiques au sein de l'OPECST et le rapport que nous sommes en train d'élaborer recoupe très largement les points évoqués ici.
Dans cette matière, nous ne devons pas reporter la totalité de la charge de la décision politique sur l'organisme scientifique. Il nous revient de décider à quel niveau nous voulons placer la sécurité des aliments et, en fonction, attribuer à l'EFSA les moyens lui permettant de répondre aux attentes. Ses représentants nous ont expliqué qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient avec leur petit budget, ridicule à l'échelle européenne.
S'agissant de la qualité des études, on se réfère aux « études académiques validées par les pairs ». Pourtant celles-ci ont de moins en moins de valeur car, aujourd'hui, l'intérêt d'une revue pour une étude scientifique peut dépendre du nombre de zéros alignés sur un chèque en échange de cette publication.
Enfin, les chercheurs financent désormais une bonne partie de leurs travaux sur fonds privés. D'après l'EFSA, si l'on veut améliorer la fiabilité de ses avis, il faut consacrer plus d'argent à une recherche publique indépendante, notamment à l'échelle nationale. Or, en France, la toxicologie est une discipline complètement délaissée.
M. Pierre Cuypers. - Merci à nos deux rapporteurs. Une molécule, avant sa mise sur le marché, est étudiée par les services d'agrément compétents de chaque pays. Relancer des études, n'est-ce pas remettre en cause l'agrément qui a été donné ? Cela ne revient-il pas à dire que les budgets consacrés à la délivrance de ces agréments ne servent à rien ? N'y a-t-il pas là un gâchis de moyens ?
Mme Gisèle Jourda. - Je veux d'abord saluer la qualité de ce rapport. Je rejoins Pierre Ouzoulias sur le fond. L'EFSA a été instituée après la crise de la « vache folle » pour être une source impartiale d'expertise scientifique, mais les collusions et les conflits d'intérêts restent nombreux. Vous dites dans le rapport que ce motif conduirait aujourd'hui à écarter un quart des experts déjà recrutés : c'est énorme ! À ce propos, sont-ils renouvelés dans leur intégralité ou seulement partiellement ? Quels garde-fous pouvons-nous mettre en place pour éviter les scandales et restaurer la confiance du consommateur dans la chaîne alimentaire ? Il y a quelques années, le rapport de l'EFSA sur le glyphosate faisait un copier-coller des analyses de Monsanto sur le sujet... Bref, je salue la qualité de la résolution, même si les propositions auraient pu être plus ambitieuses sur la prévention des conflits d'intérêts.
M. André Gattolin. - Merci pour ce beau document. Les plus gros lobbies en la matière ne sont pas les ONG ou l'opinion publique, mais les industriels, qui brassent des intérêts colossaux. En 2012, la présidente de l'EFSA elle-même, Mme Banati, a été obligée de démissionner pour avoir dissimulé des liens d'intérêt ! C'est tout de même récurrent, au niveau national comme européen, et cela pose un véritable problème d'autorité de ces organes de régulation. Renvoyer le règlement de ces questions au conseil d'administration ne suffit pas, il faut un regard extérieur systématique. Le Parlement européen joue fréquemment ce rôle, mais il n'a pas de pouvoirs d'investigation.
Demander à chaque pays de présenter douze experts me semble totalement surréel. Chypre ou Malte ne sont pas la France ou l'Allemagne ! D'autant qu'on peut très bien acheter la citoyenneté européenne en achetant la maltaise... Les avis qui seront rendus concerneront plusieurs centaines de millions de consommateurs : pourquoi faudrait-il attribuer un vingt-septième des voix à un État de 300 000 habitants ? Au Parlement européen, c'est une proportionnalité dégressive qui s'applique.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Il y a un effet mécanique à prendre en compte : à mesure que la part des financements privés s'accroît, le nombre de chercheurs totalement indépendants diminue. Mais soyons raisonnables : le partenariat public-privé est incontournable, compte tenu du coût des recherches, et il n'exclut pas la transparence. Enseignante-chercheure dans une autre vie, j'ai beaucoup travaillé sur la politique de l'eau. Suez avait jadis monté un laboratoire avec des universitaires sur le bassin Adour-Garonne : l'indépendance des recherches a peut-être fait l'objet de débats, mais il faut reconnaître que les chercheurs prédominaient dans sa gouvernance et que jamais un laboratoire exclusivement universitaire aurait pu accomplir le même travail. Il faut donc savoir ce que l'on veut, et garder à l'esprit que la vérité n'existe pas.
Il est évident que la recherche académique change de nature dès lors que les chercheurs sont notés selon le nombre de leurs publications et que s'ouvre un véritable marché de la recherche. Même dans les structures purement académiques se pose parfois la question des conflits d'intérêts. La solution est dans un nouveau modèle de recherche. Gardons cependant à l'esprit que chaque système a ses dérives et que la remise en cause doit être permanente.
Un renouvellement intégral des experts a eu lieu en 2018 : c'est à cette occasion que l'on s'est rendu compte que 25 % des experts ne pouvaient plus le rester. Cela veut bien dire que des progrès sont possibles. Notre résolution demande un audit externe des règles relatives à la prévention des conflits d'intérêts.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Les inquiétudes de M. Cuypers sont légitimes. En matière de produits phytopharmaceutiques ou d'additifs alimentaires, nous avons parfois des surprises, rarement bonnes : des effets secondaires peuvent apparaître au bout de nombreuses années, parfois vingt ou trente. Cela rend nécessaire l'évaluation continue de ces produits. Mais non, l'argent public dépensé n'est pas jeté par les fenêtres. Une étude d'autorisation de mise sur le marché coûte très cher, souvent des centaines de millions d'euros, et l'étude parfaite n'existe pas : il faut faire preuve d'humilité. Même avec des moyens illimités, le risque zéro n'existerait pas. Il faut donc faire au mieux, et étudier des nouvelles pistes de financement. L'Anses est ainsi financée par des redevances versées lors de la délivrance des autorisations de mise sur le marché, qui lui rapportent chacune 30 000 ou 40 000 euros : cela peut aussi poser des problèmes d'éthique. On peut probablement trouver des conflits à tous les niveaux, et se pose en outre un problème de chronologie : un expert sans tache peut être approché le lendemain de sa nomination par un lobby ou un laboratoire !
M. André Gattolin. - Certes, et les responsables politiques tout autant. Je dis simplement qu'une décision politique doit reposer sur un minimum d'objectivité. Et l'EFSA n'en est pas à son premier problème depuis sa création.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Il y en a partout, et il y en aura toujours ; la nature humaine est ainsi faite...
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Deux principes me semblent fondamentaux. D'une part, la séparation de l'évaluation scientifique et de la responsabilité politique. La reddition de comptes, la responsiveness, est du ressort du politique. D'autre part, le renversement de la charge de la preuve, introduit dans le droit de l'Union par le règlement REACH en matière de traçabilité des produits chimiques : c'est à l'industriel de prouver que le produit est bon, et non à la victime de prouver qu'il est mauvais. Si les études ont été biaisées, la responsabilité de l'industriel sera mise en cause. L'évolution de la jurisprudence nationale et européenne va dans ce sens.
M. Benoît Huré. - Ce mouvement est intéressant, mais il a ses limites, car on juge un produit selon des connaissances scientifiques qui n'étaient pas disponibles à l'époque de son lancement. Cela renvoie aux débats que nous avons eus sur le principe de précaution. L'humilité, la conscience que le risque zéro n'existe pas, n'excluent pas la vigilance. Autrement dit, il faut bien prendre des risques. Les catastrophes sanitaires n'ont heureusement plus l'ampleur qu'elles ont pu avoir dans le passé. Je me satisfais en tout cas de ce rapport très accessible, y compris pour les non-scientifiques comme moi.
M. André Gattolin. - Ce qui importe, c'est en réalité la transparence : il faut savoir d'où les gens parlent. Ce que j'appelle conflit d'intérêts dès lors, ce n'est pas le fait pour un expert d'avoir travaillé pour tel laboratoire, mais de le cacher ! C'est le vrai problème des instances européennes. L'ancienne présidente de l'EFSA a démissionné pour aller présider le conseil d'administration de l'organisme auquel elle avait caché son appartenance ! Nous sommes sans doute tous dépendants d'une institution, en fonction de notre parcours : il faut simplement que le degré de proximité avec chacune soit connu.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - C'est pourquoi nous demandons, dans le rapport, une évaluation externe des conflits d'intérêts.
M. Pierre Médevielle, rapporteur. - Les dissimuler procède en effet d'une démarche malhonnête.
M. André Reichardt, président. - Monsieur Gattolin, la proposition de résolution ne vous donne-t-elle pas satisfaction sur la nomination des experts nationaux en demandant que l'EFSA puisse publier un appel à manifestation d'intérêt de manière à constituer une liste d'experts qui pourront être nommés en parallèle des listes fournies par les États membres, ainsi qu'en souhaitant l'encadrement de la possibilité pour un État membre de proposer des scientifiques d'une autre nationalité ?
M. André Gattolin. - Ma remarque concernait plus généralement la mauvaise gouvernance européenne, qui exige l'égalité entre les États dans l'attribution des postes - de commissaires européens par exemple - au détriment de l'équité. Les élargissements successifs ont rendu cette logique particulièrement dommageable.
À l'issue du débat, la commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Économie, finances et fiscalité - Régime européen de TVA et filière équine : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mme Anne-Catherine Loisier
M. André Reichardt, président. - Nous examinons à présent le rapport d'information de Mme Anne-Catherine Loisier sur le lancinant sujet du régime européen de TVA pour la filière équine, dont les entreprises et les emplois sont fragilisés. Nous nous prononcerons ensuite sur la proposition de résolution européenne qu'elle a préparée.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - C'est un sujet d'actualité : Jean Arthuis vient également de publier un gros rapport sur la filière équine.
La Commission européenne envisage de modifier la « directive TVA » de 2006 en ce qui concerne les taux réduits. Cette initiative s'inscrit dans le cadre plus vaste de la réforme de la TVA telle qu'elle a été conçue sous la présidence Juncker.
Selon ce projet, en matière de taux réduits, coexisteraient deux taux réduits d'au moins 5 % et un autre taux réduit entre 0 et 5 %. Au lieu d'étendre la liste déjà longue des biens et services pouvant faire l'objet des taux réduits, l'Annexe III de 2006 serait remplacée par une liste négative de biens et services ne pouvant en aucun cas bénéficier d'un taux réduit.
À cette liberté, la proposition de directive apporte toutefois un cadre contraignant puisque les États membres seront tenus de veiller à ce que les taux réduits soient avantageux pour le consommateur final et poursuivent un objectif d'intérêt général. En outre, les États membres devront veiller à ce que le taux moyen pondéré de TVA soit toujours supérieur à 12 %. En France, le taux moyen pondéré varie aujourd'hui autour de 14 %, ce qui semble offrir au Gouvernement une certaine marge.
Je me suis interrogée sur l'application de ce nouveau régime à la filière équine. Celle-ci est en effet lourdement pénalisée depuis que la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France en 2012 à appliquer à ses activités non plus un taux réduit de 5,5 % mais un taux normal de TVA.
En 2016, ces recettes représentaient pour le volet équestre un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros et engendraient 151 millions d'euros de recettes de TVA pour l'État, et les 9,2 milliards d'euros d'enjeux des courses hippiques génèrent quant à eux seuls 862 millions d'euros de prélèvements en faveur de l'État. Le secteur emploie 180 000 personnes dont 114 000 exercent des activités commerciales, d'élevage, d'entraînement ou d'enseignement de l'équitation ; 32 800 personnes sont salariées. Malheureusement, la filière connaît un recul historique de ses activités, avec la baisse de près d'un milliard d'euros des paris hippiques, la réduction de la clientèle du secteur « courses », la diminution des activités sportives et de loisir, et, plus grave sans doute, la chute du nombre de chevaux élevés en France - de 16 % depuis 2012.
La perte annuelle de chiffre d'affaires depuis 2012 est estimée à plus de 75 millions d'euros, et 6 600 emplois, dont 1 500 emplois salariés, ont été détruits à la suite du changement de taux de la TVA.
Dans ces conditions, la proposition de directive est apparue comme la promesse d'une solution qui permettrait d'enrayer le déclin déjà très avancé de la filière équine en France. Cependant la négociation de la proposition de directive sur les taux réduits n'est une priorité ni pour la présidence autrichienne, ni pour la Commission européenne, ni même pour le Gouvernement français.
En outre, la Commission actuelle est en fin de mandat et les élections européennes approchent. Deux facteurs qui amputeront gravement le temps disponible pour la négociation en 2019. Aussi n'espère-t-on pas à Bruxelles que cette proposition de directive puisse entrer en vigueur avant 2022. À cette date, la filière équine française aura enregistré de nouvelles pertes d'emplois, de savoirs, de traditions et de capitaux, au profit de l'Irlande, de l'Allemagne et du Royaume-Uni...
Le Gouvernement ne cache pas sa préférence pour l'harmonisation fiscale à l'échelle de l'Union, et redoute que la réforme des taux réduits le contraigne à faire de difficiles arbitrages entre les secteurs pouvant légitimement en bénéficier.
Deux solutions restent à la disposition du Gouvernement s'il souhaite sauver la filière équine : le recours aux mesures compensatoires peu probable en cette conjoncture de difficultés budgétaires, ou une révision de l'interprétation de l'actuelle « directive TVA », qui s'appuierait sur une analyse plus fine de ce qui relève de l'activité sportive et sociale et de l'activité agricole dans la filière équine et qui à ce titre mériterait de bénéficier à nouveau du taux réduit. J'approfondirai cette seconde hypothèse.
En attendant l'entrée en vigueur de la nouvelle directive sur les taux réduits de TVA, il conviendrait de réinterpréter le droit européen existant à la lumière de ce que font d'autres États membres comme l'Irlande en particulier. C'est le sens du message que je souhaite adresser au Gouvernement au moyen de cette proposition de résolution. En effet, il devrait être possible dans le cas des activités des centres équestres de revenir à un taux réduit en s'appuyant sur les points 15 et 14 de l'Annexe III de la directive « TVA ». Il s'agit d'activités économiques éligibles au taux réduit dont on peut comprendre aisément qu'elles recouvrent celles des centres équestres puisque il y est question de la « livraison de biens et la prestation de services par des organismes reconnus comme ayant un caractère social par les États membres et engagés dans les oeuvres d'aide et de sécurité sociales et du « droit d'utilisation des installations sportives ».
Reconnaître que l'équitation a un caractère social demande de mettre en lumière les activités des centres équestres. Le taux réduit est bien appliqué à la filière cheval sur le fondement du point 15 mais uniquement aux prestations d'animation, de découverte et de familiarisation avec l'environnement du cheval, et pour les prestations d'équitation offertes à des publics particuliers comme les scolaires, les handicapés ou les jeunes en réinsertion.
La France pourrait reconnaître plus généralement les centres équestres comme des organismes ayant un caractère social et mettre en valeur leur rôle dans l'aménagement du territoire et l'insertion sociale. L'Irlande semble avoir déjà tranché la question en appliquant un taux de 9 % sur l'ensemble des activités des centres équestres, qu'elle considère à juste titre comme des centres sportifs. Il conviendrait donc que la France s'inspire de cet exemple vertueux et, au moins, revienne sur la situation actuelle en matière de fiscalité : l'utilisation des installations est taxée à 5,5 % quand l'enseignement de l'équitation l'est à 20 %. C'est un vrai casse-tête pour les dirigeants des centres équestres, qui doivent appliquer deux taux de TVA sur une même heure d'équitation.
Il faut mettre un terme à cette insécurité fiscale et reconnaître la singularité du modèle français : chez l'ensemble de nos voisins, les cavaliers possèdent leur monture et utilisent simplement les installations des centres équestres. Chez nous, le modèle du cheval partagé - on loue le cheval en même temps que le centre équestre - a rendu l'équitation accessible au plus grand nombre. Mais l'interprétation de la directive européenne s'est alignée sur le modèle dominant en Europe. Le Gouvernement dispose de tous les arguments nécessaires pour justifier un taux moyen pondéré, autour de 10 %, pour la leçon d'équitation.
Il faut aussi prendre davantage en compte le caractère agricole de la filière équine. Or les ventes de chevaux de course, de sports et de loisirs sont taxées à taux plein. Nous ne le contestons pas, mais pourquoi le taux réduit se pratique-t-il uniquement dans la phase d'élevage, pour le reproducteur mâle ou femelle - l'étalon ou la jument - alors que le poulain, dès qu'il est sorti du ventre de la jument, est assujetti au taux plein ? La plupart des propriétaires refusent d'envoyer leurs chevaux en fin de vie à l'abattoir. L'entretien et la pension de ces chevaux, s'il bénéficiait de nouveau d'un taux de TVA réduit, serait facilité.
Il y a urgence à agir. Je vous propose de demander au gouvernement de réinterpréter cette directive TVA à la lumière de ce que pratiquent d'autres pays européens, afin que le l'élevage soit considéré comme une activité agricole jusqu'à la phase d'entraînement du cheval et bénéficie à ce titre d'un taux réduit. Le taux plein redeviendrait applicable au moment où le cheval entre en compétition. Cela correspondrait mieux à la réalité de cette filière, qui, en raison d'un malentendu, est toujours présentée comme une activité de gens aisés, alors que ses acteurs sont en grande majorité des personnes passionnées et résilientes, qui font des marges très ténues et ont absolument besoin d'un retour à une TVA à taux réduit pour continuer développer leur activité.
M. Simon Sutour. - Vous maîtrisez le sujet ! Et la filière équine ne concerne pas que les courses. Dans mon département, on élève une race rustique de petits chevaux façonnés par les siècles et magnifiés par Crin-Blanc, et ceux qui l'élèvent ne gagnent guère d'argent. Ce sujet est un exemple typique de ce qui creuse le fossé entre citoyens et institutions européennes, et de l'hypocrisie de nos gouvernements, qui se défaussent sur ces dernières. Or, là où il y a une volonté, il y a un chemin. Et vous nous avez tracé les voies. Peut-être pourriez-vous demander à rencontrer le ministre de l'agriculture ?
M. Benoît Huré. - Merci pour ce rapport, qui touche un problème important auquel nous sommes confrontés sur nos territoires - car les éleveurs de chevaux de course ne sont pas si nombreux, finalement, même si on a tendance à résumer la filière à leur activité. La semaine dernière, nous avons débattu de la tendance à sur-transposer les directives : voilà un cas où nous pourrions faire l'inverse ! Votre approche est responsable, et ce serait l'occasion de communiquer davantage sur l'Europe - car, en somme, on a pris prétexte d'une norme européenne pour accroître nos recettes...
M. Franck Menonville. - Bravo pour ce rapport. Le cheval est une passion française et la filière économique qui structure cette culture est portée par la conviction de ses acteurs, mais son modèle est de plus en plus fragile. Je vous soutiendrai donc avec détermination.
Mme Colette Mélot. - Je tiens à vous féliciter pour ce rapport. Vous avez longtemps présidé la section « Cheval » du groupe d'études « Élevage » du Sénat, et ce sujet nous préoccupe depuis des années. Dans mon département, il y a de grands centres équestres, à Fontainebleau ou Bois-le-Roi, d'où sortent des champions olympiques, mais aussi de plus petits, qui ont du mal à vivre depuis la hausse du taux de TVA. Or, le caractère sportif et social des centres équestres est réel, comme le montre bien le rapport de M. Arthuis. Je voterai donc cette proposition.
Mme Nicole Duranton. - Bravo pour ce travail remarquable. La Normandie aussi est concernée par ce problème, car ses centres équestres sont frappés par la hausse de la TVA. Je voterai aussi cette proposition.
M. Didier Marie. - Derrière cette filière, il y a aussi de nombreux emplois, souvent à faible qualification, et sa dimension éducative et sociale a pris de l'ampleur. Votre rapport soulève la question de la relation entre Union européenne et États-membres : quel degré de souveraineté et d'autonomie ceux-ci doivent-ils conserver ? Est-ce bien à l'Union européenne de déterminer le champ d'application du taux réduit de TVA ? De plus, ce sujet renvoie à la responsabilité de Bercy, qui impose parfois ses choix, fût-ce au détriment de certains secteurs économiques.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Justement, l'Union européenne est devenue force de proposition : la nouvelle directive se contente de publier une liste négative, laissant les États, dans le respect du principe de subsidiarité, prendre leurs responsabilités - ce qui ne les arrange pas forcément ! J'ai d'ailleurs été surprise de constater qu'au-delà des difficultés causées par le calendrier européen, il y avait aussi un blocage français : la philosophie de cette directive laisse le gouvernement français dubitatif. On nous a annoncé un taux moyen pondéré alors que le taux est de 14 % en France. C'est dire qu'il y a de la marge... Bref, les positions ne sont pas très claires, d'où l'intérêt que le Sénat interpelle le Gouvernement.
La filière équine a un formidable potentiel chez nous. C'est, à bien des égards, une spécificité française, car tous les pays ne disposent pas d'une filière si prestigieuse. Du Cadre noir de Saumur aux paris mutualisés, en passant par le système du cheval partagé, nous avons développé un modèle qui préserve un patrimoine historique et des savoir-faire tout en s'autofinançant, qui est souvent imité à l'étranger et dont nous devons préserver l'harmonie et la complémentarité. Rappelons que, contrairement aux terrains de football ou de tennis, les centres équestres sont construits par des acteurs privés. Et, avec 800 000 adhérents, cette filière a une forte dimension sociale et sportive. L'Irlande pratique un taux de 9 %. Pourquoi serions-nous à 20 % ?
Nous devons valoriser la vocation sociale de cette filière en allant vers un taux de 10 % sur les centres équestres, et desserrer l'étau sur les éleveurs, si nous ne voulons pas que leur nombre diminue, que les investissements cessent et que les courses s'arrêtent : il faut trois ans pour élever un cheval de course, et encore n'est-on pas sûr de gagner ensuite !
M. André Reichardt, président. - Merci pour ce rapport de grande qualité.
À l'issue du débat, la commission, à l'unanimité, autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Nomination de rapporteur
M. André Reichardt, président. - La Conférence des présidents a demandé à la commission des affaires européennes de présenter des observations sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Cette demande s'inscrit dans le cadre de la mission que la Conférence des présidents nous a confiée, à titre expérimental, sur la transposition des textes européens en droit interne, et que nous avons exercée à trois reprises, respectivement sur le secret des affaires, les services de paiement et sur le règlement général sur la protection des données personnelles. Je vous propose de désigner Jean-François Rapin comme rapporteur pour préparer nos observations sur ce texte.
Il en est ainsi décidé.
Création d'un groupe de travail
M. André Reichardt, président. - Lors de sa réunion du 4 octobre, le Bureau de la commission a décidé de mettre en place un groupe de travail sur les biocarburants, conjointement avec la commission des affaires économiques. Il s'agira d'identifier les enjeux économiques attachés aux grandes cultures et de définir les moyens d'y répondre. Ce groupe sera composé de dix membres - cinq pour chacune des deux commissions - désignés à la proportionnelle des groupes politiques. Je vous propose de désigner pour notre commission MM. Jean Bizet, Benoît Huré, Yannick Botrel, Franck Ménonville et Claude Haut.
M. Benoît Huré. - Pourquoi ne pas élargir le champ aux intérêts économiques et environnementaux ?
M. André Reichardt, président. - Nous pourrons suggérer au groupe de travail d'y réfléchir aussi.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 10 h.