- Mercredi 17 octobre 2018
- Nomination d'un rapporteur
- Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution
- Proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information (nouvelle lecture) - Examen du rapport pour avis
- Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information (nouvelle lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
Mercredi 17 octobre 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Nomination d'un rapporteur
M. Vincent Segouin est nommé rapporteur sur la proposition de loi organique n° 744 (2017-2018) relative à l'élection des sénateurs, présentée par M. André Gattolin et plusieurs de ses collègues.
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France - Nomination d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution
M. Philippe Bas est nommé rapporteur sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le 9 octobre 2018, M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France. Comme président du groupe, il a demandé la création de cette commission d'enquête au titre du « droit de tirage » pour l'année 2018-2019, en vertu de l'article 6 bis du Règlement.
La Conférence des présidents, qui doit examiner cette demande, se réunit aujourd'hui même. La commission des lois doit préalablement, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 25 juin 2009 et au Règlement du Sénat, en apprécier la recevabilité - et non l'opportunité - au regard de notre Règlement et de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, lequel régit les commissions d'enquête.
Dans le prolongement de l'ancienne distinction entre les commissions d'enquête stricto sensu et les commissions de contrôle, la jurisprudence de la commission des lois distingue deux cas de figure. Il convient donc d'abord de déterminer sous lequel ranger la demande. S'agit-il d'enquêter sur des faits déterminés, auquel cas il faut interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de procédures judiciaires en cours, ou bien s'agit-il d'enquêter sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale ?
À la lecture du libellé de cette proposition de résolution, la question ne se pose pas longtemps.
Le terme de « traitement », cependant, m'a paru justifier une interrogation. La résolution vise en effet le traitement des abus sexuels sur mineurs. Vise-t-on des faits de non-dénonciation de faits de pédocriminalité ? Auquel cas nous nous trouvons dans le cadre de faits déterminés, avec des dossiers judiciaires déjà ouverts. Vise-t-on, au contraire, la manière dont l'Église catholique de France s'est organisée pour prévenir, détecter et dénoncer des abus sexuels ou des faits de pédocriminalité ? Auquel cas l'on vise l'organisation et le fonctionnement même de l'Église de France. Mais l'Église de France est-elle un service public ? Si celle d'Alsace-Moselle, sous régime concordataire, peut être considérée comme telle, en revanche, depuis que l'Église n'assure plus l'état civil, depuis le vote de la loi de séparation des Églises et de l'État, on ne peut plus considérer l'Église de France comme un service public.
Interpréter le terme de « traitement » comme désignant les procédures mises en place par l'Église de France pour prévenir, détecter et dénoncer des abus sexuels et des faits de pédocriminalité nous conduirait, par conséquent, à une impasse, car la proposition de résolution ne serait pas recevable, ne relevant d'aucun des deux champs permettant de créer une commission d'enquête. L'interprétation la plus conforme au texte de l'exposé des motifs, et qui ouvre une chance à la recevabilité, serait de considérer que cette commission d'enquête porterait sur des faits déterminés, c'est-à-dire sur la manière dont certains abus sexuels et crimes pédophiles ont pu être commis et ne pas être dénoncés au sein de l'Église de France.
Mme Esther Benbassa. - Ont été commis !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Si je ne me permets pas d'affirmer que de tels faits ont été commis, c'est qu'il n'y a pas eu, dans la période récente, de condamnation.
Dans le cadre d'une commission d'enquête portant sur des faits déterminés, nous nous trouvons dans l'obligation de demander si ces faits font l'objet de poursuites. J'ai donc écrit au Président du Sénat pour qu'il interroge la garde des sceaux, qui a répondu, hier soir, que « le périmètre de la commission d'enquête envisagée recouvrirait pour partie des informations judiciaires ouvertes notamment des chefs de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans, par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans, par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril ». Compte tenu de ces éléments, il me semble que je n'ai pas d'autre possibilité que de vous proposer de rendre un avis d'irrecevabilité, comme nous le faisons toujours dans de tels cas.
Pour mémoire, la commission des lois, en décembre 2017, n'a pas hésité à constater l'irrecevabilité d'une proposition de résolution présentée par Mme Sylvie Goy-Chavent tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie, et dont le groupe Union Centriste avait demandé la création au titre de son « droit de tirage » : en effet, la garde des sceaux avait indiqué que plusieurs enquêtes et informations judiciaires étaient en cours, diligentées sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne.
Si mon rôle n'est pas d'aborder le fond de la question, je ne mesure pas moins l'extrême gravité des faits visés, qui justifie pleinement la préoccupation de nos collègues du groupe socialiste et républicain, une préoccupation que je partage. Mais tel n'est pas ici le sujet. Je vous propose donc de constater l'irrecevabilité de la proposition de résolution, indépendamment du fond ou de la nature des faits concernés. Nous avons pour unique devoir de nous prononcer sur la recevabilité, en droit, de la proposition de résolution.
M. Patrick Kanner. - Mon intervention, au regard de l'importance et de la sensibilité du sujet, sera solennelle.
Le Parlement est le lieu où l'on parle : nous vous proposons d'agir. Témoignage chrétien a lancé, il y a une dizaine de jours, une pétition qui a reçu 30 000 signatures. Un quart des réponses ont été dépouillées, dont certaines comportent des témoignages. Je vous demande d'en écouter quelques-uns, par respect pour celles et ceux qui les ont écrits.
« Je signe cette pétition pour mon papa et toutes les autres victimes, parce que la résilience commence par la reconnaissance. »
« Je n'avais que douze ans et parce qu'alors, personne ne m'a cru, je ne peux que soutenir une telle initiative. »
« Ex-victime, j'ai été confronté au déni, à l'omerta, à la prescription, bref, au muselage familial, scolaire et institutionnel. »
« Pour celui qui a violé mon petit frère et s'est défroqué pour échapper à la justice et qui se trouve protégé parce que son frère est un haut-gradé de l'armée, je réclame justice. Toute action qui peut amener l'autorité sous toutes ses formes à regarder les choses en face est salutaire. »
« C'était à Tarbes, chez les assomptionnistes, j'avais douze ans, j'en ai soixante-douze. Il a fallu des dizaines d'années pour que je comprenne que c'était ça qui avait bousillé ma vie. »
Et je ne vous ai cité que quelques exemples.
Je me souviens des rapports présentés par notre collègue Marie Mercier, de l'émotion, de l'indignation qu'ils avaient soulevées, et nous avons agi.
Créer cette commission d'enquête, c'est avoir le soutien de 88 % des Français, afin, non pas contre l'Église, mais pour l'Église, de laver les soupçons qui pèsent sur elle. C'est le sens de l'appel de Témoignage chrétien, un appel au secours, ainsi que nous l'avons ressenti lorsque nous avons reçu ceux qui en ont pris l'initiative. Un appel dans le droit fil du message du pape du 20 août dernier et du travail mené en Australie, en Irlande, aux États-Unis ou en Allemagne par des commissions indépendantes, y compris d'initiative gouvernementale.
Indépendance, probité, recherche de l'intérêt général par-delà toute préoccupation partisane, telle est l'image du Sénat que nous avons donnée, notamment dans la récente affaire Benalla - et je tiens à saluer le travail de nos rapporteurs Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, sous l'autorité du président Bas. Nous avons bien travaillé pour le bicamérisme, et continuons à le faire.
Nous savons les questions qui se posent ; elles ont été en partie abordées par le président Bas. Le sujet entre-t-il bien dans le champ de compétence des commissions d'enquête ? Pourquoi se limiter à l'Église catholique ? Y a-t-il des risques d'interférence dans des procédures judiciaires en cours ? Y a-t-il remise en cause du principe de séparation de l'Église et de l'État ?
Je ne sais comment vous accueillerez nos réponses, mais je suis sûr d'une chose : l'Église n'a pas pu, n'a pas su, n'a pas voulu - et je ne hiérarchise pas ces constats - traiter les causes d'un immense drame humain. En créant cette commission d'enquête, nous prendrons notre part dans la manifestation de la vérité, de manière sans doute imparfaite et incomplète, mais en responsabilité et en transparence. Vous y opposer serait fermer les yeux et les oreilles et transformer les témoignages que je viens d'évoquer en réalité d'aujourd'hui et de demain pour les enfants menacés.
Tel est le sens de la démarche que nous avons engagée et je souhaite, monsieur le président, eu égard à la sensibilité de ce dossier, que nous puissions nous déterminer à bulletin secret sur la recevabilité.
M. Alain Richard. - Nous avons réfléchi, délibéré, et bien identifié les deux obstacles potentiels. D'une part, la possible interférence de l'objet de cette commission d'enquête avec de multiples investigations judiciaires, d'autre part, la capacité d'une institution de l'État à engager une enquête sur l'une des institutions religieuses de notre pays, soulevant la question de la compatibilité d'une telle démarche avec le principe de laïcité et la liberté des cultes.
Vous fondez votre avis d'irrecevabilité sur l'existence de poursuites judiciaires. Il nous semble que la difficulté pourrait être surmontée en faisant exception des cas individuels donnant lieu à poursuite.
Reste le principe de laïcité, qui représente pour quelques-uns d'entre nous, dont je suis, un obstacle sérieux. On y a eu recours en de multiples occasions pour protéger l'État de l'immixtion de différents groupes religieux. Il serait paradoxal de ne pas en tenir compte dans la situation inverse. Nous serions plus à l'aise si la commission d'enquête portait sur l'ensemble des institutions travaillant avec des groupes de jeunes, plutôt que sur une institution particulière en réaction à une pétition.
Cependant, parce que nous considérons que vous invoquez l'irrecevabilité de façon trop large, nous ne pourrons vous suivre.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir souligné que la commission doit se prononcer sur la recevabilité et pas en opportunité. Car sur ce dernier point, nous avons tous réagi, et moi la première en signant l'appel de Témoignage chrétien. Mais tel n'est pas l'objet de notre réunion d'aujourd'hui.
Vous avez rappelé les deux champs sur lesquels peut s'asseoir la recevabilité.
En premier lieu, le recueil d'informations portant sur des faits déterminés, auquel cas la chancellerie doit être interrogée, et il reste possible d'écarter, comme l'a rappelé Alain Richard, les affaires faisant l'objet de poursuites judiciaires. C'est d'ailleurs ce qu'avait plaidé la garde des sceaux dans un article publié dans Le Monde quelques jours avant l'audition de M. Benalla. Sur ce type de sujet, le Parlement, le Sénat n'ont pas trouvé de difficulté lorsqu'il s'est agi d'enquêter sur l'affaire d'Outreau, celle de l'Amoco Cadiz ou bien encore sur l'affaire dite des paillotes. Preuve que l'existence de poursuites judiciaires n'est pas fatalement un empêchement.
En second lieu, est recevable une commission d'enquête se donnant pour objet le recueil d'informations sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale. On voit qu'est visé là un champ public au sens large.
Vous vous êtes attardé à juste titre, monsieur le président, sur le terme de « traitement », qui recouvre la prise en compte, la détection, la prévention, le signalement à la justice - ou non - de faits qui se sont produits, notamment au sein de l'Église catholique. Si le Sénat et l'Assemblée nationale ont une jurisprudence différente effectivement sur la recevabilité des commissions d'enquête, la question n'a pas posé de difficulté lorsque le Sénat a accepté une commission d'enquête sur l'évasion des capitaux, sur l'immigration clandestine ou sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, autant de sujets à la frontière du service public et du fonctionnement de certaines institutions. On ne peut pas contester que l'Église catholique soit un collaborateur occasionnel du service public, notamment dans le domaine de l'éducation, où elle est subventionnée, à ce titre, par la puissance publique, tandis qu'en matière fiscale, elle bénéficie d'avantages particuliers pour les dons.
Nous sommes ici dans l'exercice du « droit de tirage », qui veut qu'un groupe politique puisse demander une fois par an une commission d'enquête. La décision du Conseil constitutionnel du 25 juin 2009, que vous avez mentionnée, impose de vérifier qu'une commission d'enquête ne porte pas sur des faits faisant l'objet de poursuites judiciaires - j'ai dit ce qu'il en était - ou sur un sujet déjà traité par une commission d'enquête tenue dans les douze mois précédents - il n'y a pas débat sur ce point. Il n'y a donc pas d'argument net contre la recevabilité.
Nous sommes en plein débat sur la réforme constitutionnelle. Nous sommes en plein débat sur le rôle du Sénat. S'opposer à la recevabilité, alors que la situation juridique ne justifie pas une position aussi tranchée, reviendrait à considérer que le Sénat peut s'opposer au « droit de tirage ». J'attire l'attention de nos collègues, membres aujourd'hui - mais pas forcément demain - qui de la majorité, qui de l'opposition, sur une possible transgression de ce droit, avancée issue de la réforme constitutionnelle de 2008, qui permet au Parlement d'exercer pleinement ses fonctions.
Vous l'aurez compris, monsieur le rapporteur, notre groupe est défavorable à vos conclusions tendant à l'irrecevabilité.
Mme Nathalie Delattre. - Au sein du groupe du RDSE, nous sommes choqués, comme vous tous, par les révélations sur les abus sexuels et la pédophilie au sein de l'Église catholique. Ces actes épouvantables heurtent nos consciences, et c'est un euphémisme. Je tiens à assurer les victimes et leurs familles de tout notre soutien et de notre solidarité. Je tiens aussi à saluer le courage de celles de ces victimes qui ont pu briser le silence assourdissant qui succède à chaque scandale dissimulé par des institutions cultuelles, quand tant d'autres n'en ont malheureusement pas eu la force.
Mais aussi légitime que soit notre émotion, je tiens à rappeler que nous agissons ce matin en tant que parlementaires, et ne pouvons, à ce titre, laisser nos émotions seules dicter nos actes ; l'intérêt général doit prévaloir. Si nous partageons l'objectif des auteurs de cette proposition de résolution, c'est-à-dire faire toute la lumière sur ces agissements moralement coupables et surtout pénalement répréhensibles, nous ne pouvons pas les suivre en l'état de cette proposition.
Nous regrettons, tout d'abord, le caractère trop restrictif de son objet, qui ne vise que les faits commis dans une relation d'autorité au sein de l'Église catholique. Nous ne sommes porte-parole ni de l'Église ni de quelque autre culte - vous connaissez l'histoire de notre groupe -, mais nous ne comprenons pas que l'on ne vise qu'une communauté pour des faits qui ne lui sont, hélas, pas propres. Cela nous semble stigmatisant, quand bien même une partie des chrétiens demande que des investigations soient menées. Il n'appartient pas à la représentation nationale d'oeuvrer à une quelconque réhabilitation ou stigmatisation de l'Église catholique ou de quelque organisation cultuelle que ce soit. Seule l'Église doit le faire, et elle a mis en place des mécanismes destinés à faire la lumière sur ces dysfonctionnements internes. Il eût été plus pertinent de faire porter nos investigations sur l'ensemble des institutions qui accueillent des enfants et des adolescents, dans lesquelles, malheureusement, des agressions ou des abus sexuels peuvent avoir eu lieu, ce qui suppose de modifier le champ de la commission d'enquête ou de choisir un autre outil.
Nos collègues socialistes, enfin, assignent à cette commission d'enquête la mission de comprendre pourquoi la loi et la justice n'ont pas été appliquées. Nous entendons, pour notre part, laisser travailler la justice sur ces questions sensibles, comme elle le fait déjà lorsqu'elle est saisie par des victimes. Ces victimes sont en droit de demander sanction et réparation. La foi s'occupera peut-être du péché, mais la justice de la République doit punir et punira les hommes criminels.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas en faveur de la création de cette commission d'enquête, tout en souhaitant qu'une solution soit recherchée ce matin pour ne pas balayer d'un vote cette problématique.
M. Pierre-Yves Collombat. - Mon groupe n'ayant pas tranché, je m'exprimerai à titre personnel, mais ma position rejoint celle de bien d'autres.
Le problème est à mon sens beaucoup plus large que ce que propose la résolution : il concerne les mineurs sous la coupe d'autorités qui en abusent. Il eut été plus judicieux de retenir l'ensemble de ce champ, qui englobe le cas de certains établissements catholiques privés.
Je ne comprends pas, en revanche, monsieur le président, votre position, qui revient à interdire une commission d'enquête proposée dans le cadre du « droit de tirage » des groupes, y compris minoritaires. N'oubliez pas les prises de position, pour le moins contestables, de Mme Belloubet sur l'affaire Benalla ; rappelez-vous aussi l'affaire des infirmières bulgares, sous la présidence Sarkozy...
Je ne voterai pas l'irrecevabilité, dans laquelle je vois une censure, sur des motifs juridiquement contestables, des possibilités d'investigation du Sénat. Et d'autant moins que sur l'affaire Benalla, vous avez su montrer que l'on peut éviter les chausse-trappes juridiques, grâce à un bon président... - cela se trouve !
M. François Grosdidier. - Vous avez de fait démontré, monsieur le président, lors de la commission d'enquête consécutive à l'affaire Benalla, que vous saviez mener les travaux d'une commission d'enquête en évitant rigoureusement que ses membres n'empiètent sur le champ d'instructions en cours. La garde des sceaux a été mal avisée de nous mettre en garde.
Le principe de laïcité ne s'oppose pas à ce que nous menions des investigations sur une confession.
Mme Esther Benbassa. - Il ne s'agit pas d'une confession !
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais d'une institution !
M. François Grosdidier. - Nous avons d'ailleurs créé une mission commune d'information sur le financement de l'islam de France, qui a réalisé, sous l'égide d'André Reichardt, son rapporteur, un travail remarquable, et qui a donné lieu à de nombreuses propositions dont la République ferait bien de s'inspirer pour assurer un exercice du culte dans le respect de la loi de 1905, tout en évitant les dérives intégristes.
Mais au cas présent, il ne me semble pas judicieux de limiter nos investigations à une seule confession, même s'il s'agit de celle qui a le plus défrayé la chronique. Ne rien faire, cependant, reviendrait à ne pas répondre à une demande de l'opinion publique et à une préoccupation des parents sur une question fondamentale, qui touche à la protection des enfants, en particulier face à ceux qui exercent sur eux une autorité publique ou morale. J'imagine fort mal le Sénat esquiver la question au motif que des considérations juridiques, qu'elles soient contestables ou fondées, l'en empêchent.
Je suis prêt à suivre vos conclusions, monsieur le rapporteur, à condition que nous travaillions immédiatement à mettre en place une commission d'enquête sur l'ensemble des institutions exerçant une autorité sur des enfants. Cela nous permettra d'inclure la question dont nos collègues nous saisissent, mais sans stigmatiser qui que ce soit, en l'élargissant, y compris à des institutions publiques comme l'Éducation nationale, qui a certes progressé en la matière, si bien qu'il serait intéressant de nous pencher sur les efforts entrepris.
M. Marc-Philippe Daubresse. - On voit se dessiner, à mesure des interventions, l'issue possible à la question qui nous occupe. Parlementaire depuis 1992, j'ai longuement siégé dans les commissions des lois des deux assemblées, et ce n'est pas la première fois que je vois se poser ce conflit de la forme juridique et du fond, lequel porte sur des faits extrêmement graves, auxquels personne n'est insensible. Il est clair qu'il faut éclairer ces faits, pour éviter que de tels crimes ne se reproduisent.
Mais notre rapporteur doit instruire en droit. La question qui nous est posée ce matin est celle de la recevabilité de la proposition de résolution. Ma réponse, en droit, est qu'elle n'est pas recevable, au motif qu'elle interfèrerait avec des procédures judiciaires en cours.
Je rejoins les propos d'Alain Richard sur la séparation de l'Église et de l'État et sur le principe de laïcité, qui doit jouer dans les deux sens. Il faudrait soit changer le libellé de la commission d'enquête, soit utiliser un autre outil, et restreindre le champ de nos investigations à ce qui ne fait pas l'objet de procédures judiciaires. J'estime également qu'il conviendrait d'étendre le champ de nos investigations à toutes les institutions où de tels faits sont susceptibles d'intervenir. Comme ministre de la jeunesse, on m'a bien souvent signalé de telles déviations dans des organismes qui n'ont rien de religieux, y compris dans des organismes de protection de l'enfance. Le Gouvernement, dans de tels cas, fait son office, mais il reste que si l'on veut non seulement rechercher la vérité, mais aussi prévenir, il faut évidemment élargir l'objet de cette commission d'enquête.
M. Patrick Kanner. - J'ai été, comme M. Daubresse, ministre de la jeunesse, et ministre des sports. Face à ce qui peut se passer dans des clubs de sport, des organismes de jeunesse ou des associations, le ministre dispose d'outils de prévention - depuis la vérification du parcours des animateurs jusqu'à un dispositif de sanction systématique. Bien sûr, le risque zéro n'existe jamais, mais on ne peut accuser le ministère d'une organisation qui viserait à dissimuler des faits de pédophilie. L'objectif du ministre et de ses services est de prévenir, de contrôler, de sanctionner en tant que de besoin. Or, l'Église n'a pas pu, pas su ou pas voulu traiter certains de ces faits.
Mme Françoise Gatel. - On voit bien que le sujet est complexe et mérite d'être traité au travers de plusieurs prismes. La question de la pédophilie est douloureuse, les travaux conduits par Marie Mercier l'ont montré. Chacun, ici, l'a dit : la société ne peut pas fermer les yeux sur de tels crimes.
Vous avez exposé, monsieur le président, la difficulté juridique. Mais je suis frappée que le Sénat soit sollicité pour une mission de transparence, sur le fondement de la confiance que l'opinion publique nous témoigne, une confiance renforcée par la qualité du travail très fin, très juste et très adroit mené dans le cadre de l'affaire Benalla.
Cela étant dit, devons-nous devenir une institution sollicitée par toutes sortes d'organismes, sur toutes sortes de sujets, au nom de la transparence et de la vérité ? On moque parfois la « sagesse » du Sénat, mal comprise, parce que nous ne succombons pas à la tentation...
M. Jean-Pierre Sueur. - Formule osée !
Mme Françoise Gatel. - Ne nous laissons pas entrer en tentation d'être guidés par les sollicitations versatiles de l'air du temps !
L'Église, quant à elle, ne peut pas se taire sur un tel sujet. Je ne suis pas sûre - le président Kanner me pardonnera - que l'Église dissimule délibérément, taise volontairement, pour nier. Je pense qu'il y a du non-dit pour un certain nombre de raisons qu'il ne m'appartient pas ici d'exposer, et qu'elle ne peut pas entreprendre en son sein, dans la transparence, un certain nombre d'enquêtes et s'assurer que des actes d'une telle nature ne soient plus possibles ni tus. Je crois que des démarches ont été entreprises par la Conférence des évêques de France, mais je ne me fais pas, vous l'aurez compris, l'avocate de l'Église.
Mme de la Gontrie nous a dit que l'Église serait le collaborateur occasionnel du service public, faisant référence aux écoles privées. Mais dès lors que l'on considère que l'école privée se rattache aux valeurs catholiques, il faut aussi intégrer dans la réflexion toutes les écoles privées hors contrat, qui ont aussi un rapport d'autorité aux enfants. Par où je rejoins les propositions d'élargissement qui se sont exprimées. Je rappelle que, dans la proposition de loi relative aux écoles privées hors contrat, nous avons justement, au nom de la protection de l'enfance, introduit des dispositions visant à sécuriser le recrutement des personnels.
Nous avons un devoir de protection de l'enfant au sens large. Dans bien des domaines, il existe une relation d'autorité entre adultes et enfants. Vous avez évoqué, monsieur Kanner, les procédures mises en place dans l'école publique. Mais on sait aussi qu'au sein de l'Éducation nationale, il y a eu, sinon dissimulation, de grands silences, et que des enseignants, des personnels, n'ont pas forcément été mutés aussi rapidement qu'ils auraient dû l'être et n'ont pas toujours été écartés de la fonction qui était la leur.
Ces motifs m'amènent, au nom du groupe Union Centriste, à considérer que cette proposition de résolution, au-delà des aspects juridiques, est difficilement acceptable. Le devoir de protection de l'enfance qui est le nôtre doit nous interdire d'écarter tous les lieux où existe une relation d'autorité à l'enfant - l'école, mais aussi les associations qui accueillent les enfants dans un cadre périscolaire. Nous sommes donc favorables à ce que notre champ d'investigation soit élargi.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le sujet, chacun en conviendra, est d'importance. Toutefois, notre débat ne doit pas porter sur l'opportunité, mais sur la recevabilité de la proposition de résolution. Nous devons également veiller au respect du « droit de tirage » de chaque groupe et de la liberté de proposer, dans ce cadre, un sujet d'étude qui ne recueillerait pas l'assentiment général.
Vous auriez pu, monsieur le président, invoquer d'autres arguments pour justifier votre position, mais vous n'avez évoqué que la lettre de la garde des sceaux faisant mention de procédures en cours. Cet argument, pourtant, n'a empêché ni la création, par le passé, d'autres commissions d'enquête, comme l'ont rappelé nos collègues Patrick Kanner et Marie-Pierre de la Gontrie, ni que nous nous penchions sur les événements entourant M. Benalla. Récemment d'ailleurs, pas moins de quatre ministres nous ont interpellés pour que notre commission n'interfère pas... Il ne s'agit pas d'interdire la création d'une commission d'enquête lorsqu'une procédure judiciaire est en cours, mais d'évaluer si cette dernière concerne directement le champ de ladite commission d'enquête. Nous avons, pour notre part, considéré qu'existait un devoir de vérité au-delà des procédures visant telle ou telle personne.
Le groupe socialiste et républicain, comme le groupe du RDSE ainsi que le rappelait Nathalie Delattre, porte un attachement sans faille à la laïcité. L'atteinte éventuelle à la laïcité n'a d'ailleurs pas été évoquée par notre président de commission. L'argument, de fait, n'aurait pas été recevable dans la mesure où la laïcité n'interdit nullement d'aborder les religions dans l'espace public ou de parler de faits religieux ; l'information diffère du prosélytisme. Il n'est que de penser aux cours d'histoire dispensés dans les écoles. Certes, la pédophilie existe dans de nombreuses institutions, mais certaines réalités, pour de multiples raisons, apparaissent propres à l'Église catholique. La laïcité n'a jamais empêché le Parlement de traiter, dans le champ législatif comme en matière de contrôle, diverses questions liées aux religions. Je pense, notamment, au port de signes distinctifs dans certains lieux.
Vous l'aurez compris : la création d'une telle commission d'enquête nous apparaît légitime. D'autres pays s'y sont prêtés. Des membres de l'Église, signataires de l'appel publié par Témoignage chrétien, soutiennent d'ailleurs notre démarche. Nous n'y traiterons pas de théologie, mais d'application de la loi. Des affaires sont été cachées à la justice ; le sujet est grave et concerne la société civile : les parlementaires sont fondés à s'en saisir.
M. Jean Louis Masson. - Une commission d'enquête est dotée d'importants pouvoirs. Elle ne doit donc pas porter sur des procédures judiciaires en cours. De nombreux précédents nous ont conduits, il est vrai, à la frontière de cette règle ; je le déplore. Cela ne signifie pas toutefois que nous devions poursuivre dans cette voie !
Il existe, en matière de pédophilie dans l'Église, de nombreuses procédures judiciaires. Je suis, en conséquence, hostile à la recevabilité de cette demande de création d'une commission d'enquête.
En outre, il apparaît inexact de circonscrire le phénomène de la pédophilie à l'Église catholique. L'Éducation nationale comme les fédérations sportives sont, hélas, également concernées. Combien d'affaires ont, d'ailleurs, été étouffées par l'institution scolaire ? Notre modèle laïc est actuellement menacé par ceux qui, à l'instar de M. Macron, prônent une laïcité à l'anglaise ou à l'américaine, où, par exemple, l'État se chargerait de la nomination des imams. Ne cibler que l'Église catholique dans le cadre d'une telle commission d'enquête participerait au dérapage que je dénonce. Faudra-t-il que nous nous intéressions ensuite aux affaires internes de chaque religion ?
M. Dany Wattebled. - Les faits de pédophilie qui ont conduit à la présente proposition de résolution sont gravissimes. Toutefois, si nous voulons oeuvrer efficacement en faveur des victimes, le champ de notre enquête devrait être élargi car, hélas, la loi du silence sévit en la matière dans bien d'autres institutions. Nos travaux permettraient alors de mieux comprendre, prévenir et sanctionner ce type d'actes.
M. Vincent Segouin. - J'ai entendu avec émotion les témoignages livrés par Patrick Kanner. La prise en charge des victimes est prioritaire, quel que soit le lieu où se sont déroulés les faits. Je crois donc utile d'étendre le champ d'une éventuelle commission d'enquête, surtout si nous avons ensuite l'ambition de légiférer.
Mme Catherine Troendlé. - Je me prononcerai, pour ma part, en faveur de l'irrecevabilité de la proposition de résolution pour les raisons de droit évoquées par notre président.
Notre collègue Patrick Kanner a mentionné l'exemple de l'Allemagne. Il est excellent ! La conférence épiscopale y a mandaté une commission indépendante, avec notamment des psychiatres et des criminologues, qui, pendant quatre ans, a travaillé pour mettre à jour des pratiques pédophiles à l'encontre de 3 600 enfants. Le rapport a ensuite été rendu public et des mesures prises. Il me semble, si la commission d'enquête n'était pas créée, qu'il y aurait du sens à ce que nous adressions un message à l'Église catholique pour qu'elle prenne en considération l'exemple allemand.
Mme Brigitte Lherbier. - Je voterai également pour l'irrecevabilité car je ne souhaite pas que nous stigmatisions l'Église catholique. Cela n'aiderait d'ailleurs nullement à résoudre les problèmes évoqués. N'oublions pas non plus que des faits de pédophilie existent malheureusement dans bien des institutions. Il revient au pouvoir judiciaire de traiter ces questions. Parallèlement, la proposition de Catherine Troendlé d'inciter l'Église à se saisir de l'exemple allemand me semble fort intéressante.
M. Alain Marc. - Certes, recevabilité et opportunité ne doivent pas être confondues. Pourtant, la question de la recevabilité interroge également notre conscience. Il suffit d'écouter les témoignages dont Patrick Kanner s'est fait l'écho. Mais quel serait l'objectif d'une telle commission d'enquête, si ce n'est lutter contre les comportements pédophiles, prôner des méthodes de prévention et rassurer les parents ? Dès lors, son champ devrait être bien plus large que celui de la seule Église catholique et étendu à toutes les institutions accueillant des enfants... À défaut, je me prononcerai contre la recevabilité. J'ai exercé au sein de l'Éducation nationale et je puis vous assurer que des affaires y ont également été étouffées par des inspecteurs d'académie...
Mme Esther Benbassa. - Vous nous avez fourni, monsieur le président, un bel exemple de casuistique, en jouant sur la différence entre opportunité et recevabilité !
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste est partagé sur la présente proposition de résolution, je m'exprimerai donc à titre personnel.
La commission d'enquête demandée par nos collègues ne porterait pas sur une confession, mais sur une institution. Il me semble indispensable de lever les tabous, de faire la lumière sur les faits de pédophilie et sur leur occultation, pour ensuite proposer des mesures. Cette démarche n'a nul rapport avec la laïcité ! Du reste, nous avons déjà travaillé sur l'islam, alors même qu'il ne s'agit pas d'une institution. Enfin, l'Église ne s'est pas gênée, comme institution, pour intervenir dans les travaux parlementaires lors du débat sur le mariage pour tous... Je voterai donc contre l'irrecevabilité.
M. François Pillet. - À titre personnel, je suis prêt à voter en faveur de la création d'une commission d'enquête qui serait élargie à l'ensemble des institutions accueillant des enfants ou, éventuellement, à toutes les institutions religieuses. Pourquoi ne viser que l'Église catholique, alors que des cas de pédophilie ont récemment été dénoncés dans la confession protestante et existent certainement dans d'autres religions ? Qui n'a jamais entendu parler du silence coupable de l'Éducation nationale ou des associations sportives ? Cette limitation du champ concerné affaiblit l'intérêt de la proposition de résolution. Je suis évidemment choqué par la multiplication des plaintes pour des faits relevant de l'Église catholique, mais n'oublions pas que le nombre de radiations pour pédophilie a largement crû dans l'Éducation nationale, passant de quinze en 2012 à trente en 2016. Mais il est plus rare d'en entendre parler... Françoise Gatel m'a convaincu de l'importance de nous montrer dignes de la confiance qui est faite au Sénat : je suis favorable à une commission d'enquête au champ élargi.
M. Jacques Bigot. - Je remercie nos collègues de la majorité sénatoriale, qui ont utilement prouvé à la Conférence des présidents qu'ils s'opposent en opportunité au « droit de tirage » de notre groupe, alors que notre rapporteur a bien dit que nous devions statuer sur la recevabilité ! Nos collègues Alain Richard et Marie-Pierre de la Gontrie ont démontré, s'il en était besoin, la recevabilité de la proposition de résolution. Votre attitude revient à remettre en cause le « droit de tirage » !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nul ne pourra nier la richesse et l'intérêt de notre débat. La question qui nous est posée se limite effectivement à la recevabilité. Toutefois, M. Kanner s'étant lui-même exprimé le premier en opportunité, il semble normal que certains collègues lui aient répondu sur le même terrain... Cela ne signifie toutefois pas qu'ils ne voteront pas sur la stricte question de la recevabilité de la proposition de résolution.
Quant à l'opportunité, j'ai également, croyez-moi, quelque expérience à faire valoir compte tenu de fonctions précédemment occupées, notamment au sein du Gouvernement lorsque je fis voter la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Je suis particulièrement sensible à cette question majeure, sur laquelle notre commission a récemment travaillé, à l'initiative d'ailleurs du groupe socialiste et républicain, dans le cadre du groupe de travail sur les violences sexuelles commises à l'encontre des mineurs, animé par notre collègue Marie Mercier. Le Gouvernement s'est largement inspiré de nos propositions. Notre commission n'a donc pas à se justifier de son intérêt pour la protection des mineurs.
Je ne crois pas que des précédents pourraient remettre en cause la position que je vous propose d'adopter, car il s'agit de faux précédents. L'exemple de la commission d'enquête sur l'Amoco Cadiz évoqué par Mme de la Gontrie à l'appui de son argumentation ne me semble pas pertinent, car le libellé ne faisait mention que de l'évaluation des mesures prises par le Gouvernement. Il en va de même des travaux que nous menons sur le fonctionnement de l'État postérieurement aux agissements de M. Benalla, qui ne couvrent pas, à la différence de ceux de l'Assemblée nationale, le champ des procédures judiciaires en cours. La proposition de résolution dont nous examinons la recevabilité ne peut donc être comparée à ces précédents.
Dès lors, soyons attentifs, mes chers collègues, à ne pas créer de commission d'enquête qui ne respecterait ni l'ordonnance du 17 novembre 1958 ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier a, depuis fort longtemps, traité la question juridiquement simple de la recevabilité. Certes, j'ai essayé d'envisager que le terme « traitement » figurant dans le libellé de la proposition de résolution puisse être envisagé comme les procédures mises en oeuvre pour assurer la prévention, la détection et le signalement des actes pédophiles, mais ma démarche fut vaine : en l'espèce, il s'agit davantage d'un étouffement, d'une complicité. Croyez bien que je n'ai pas abordé cette proposition de résolution avec une idée préconçue, mais, bien que partageant les objectifs des auteurs en matière de protection de l'enfance, je n'ai pu trouver de solution à l'obstacle juridique de sa recevabilité. À la différence de l'appel de Témoignage chrétien, notre rôle ne peut être de changer l'Église.
Le libellé de la proposition de résolution ne pouvant être amendé, il faudrait déposer un autre texte pour demander la création d'une commission d'enquête au champ élargi. La protection de chaque enfant contre les abus sexuels ressort en effet de notre responsabilité politique. Or, si la proposition de résolution était déclarée irrecevable, le problème des violences sexuelles à l'encontre des mineurs demeurerait pendant.
Je ne peux vous laisser dire que ma position s'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution nierait le « droit de tirage » des groupes politiques ! Il s'agit seulement de veiller à ce qu'il s'exerce dans le respect de la Constitution et des textes pris pour son application. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre avis se limite à l'examen de la recevabilité. Du reste, notre commission émet un avis, qu'elle rend à la seule Conférence des présidents, chargée d'examiner la demande. Je respecte profondément le « droit de tirage », mais il doit se conformer aux règles qui s'appliquent à son endroit, en vertu des exigences constitutionnelles.
Si j'étais suivi s'agissant de la recevabilité de la proposition de résolution, il me semble, en opportunité cette fois, que nous devrions nous rapprocher des commissions des affaires sociales et de la culture pour envisager la création d'une mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs, dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions. Elle intègrerait ainsi dans son champ les crimes et délits dont souhaite traiter la présente proposition de résolution. Je vous rappelle que l'outil de la mission commune d'information a déjà été utilisé, avec succès, sur des sujets d'importance ; je pense notamment à la réinsertion des mineurs enfermés, à l'organisation et au financement de l'islam de France, à l'avenir de l'organisation décentralisée de la République, au Mediator ou encore au naufrage de l'Erika. Il ne s'agit pas de la version dégradée d'une commission d'enquête. Les missions communes d'information peuvent, en outre, s'intéresser à des matières qui, pour les raisons de recevabilité précédemment évoquées, ne pourraient faire l'objet d'une commission d'enquête.
M. Patrick Kanner. - Vous ne m'avez pas convaincu s'agissant de la recevabilité de notre proposition de résolution. J'anticipe, hélas, que nous n'obtiendrons pas de majorité. J'ai bien entendu les demandes d'élargissement du champ de la commission d'enquête dont nous demandons la création. En revanche, je ne crois pas que quiconque ait évoqué l'idée d'une mission commune d'information.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous avions pourtant évoqué ensemble cette possibilité...
M. Patrick Kanner. - Certes, mais pourquoi ne pas réfléchir à un élargissement du champ de la commission d'enquête que nous proposons ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous devons nous montrer stricts en matière de procédure. Je ne crois pas qu'il soit prévu à l'ordre du jour des commissions des affaires sociales et de la culture de débattre ce matin de la demande de création d'une mission commune d'information. Je ne suis pas certain de l'opportunité de lancer ce contre-feu sans prévenir les commissaires concernés, même si les présidents de commission peuvent formuler seuls une telle demande auprès de la Conférence des présidents. Je préfère, dans ce cas, que nous laissions un groupe politique être à l'initiative d'une demande de création d'une commission d'enquête au champ élargi, qui recueillera ensuite un avis de la garde des sceaux puis de notre commission des lois.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Très attaché moi-même au respect des procédures, j'attache de l'importance à votre appréciation. S'il ressort effectivement des prérogatives des présidents de commission concernés de saisir la Conférence des présidents d'une demande de création d'une mission commune d'information, je préfère également que les commissions concernées aient préalablement eu un échange en leur sein.
Je crains en revanche que votre hypothèse d'une commission d'enquête au champ élargi ne se heurte au même problème de recevabilité que la présente demande...
Monsieur Kanner, vous m'avez demandé de procéder, pour ce vote, à bulletin secret. Je vous rappelle toutefois que notre Règlement ne prévoit qu'une hypothèse d'application de cette procédure : les nominations. Je me vois donc, avec regret, dans l'obligation de ne pas accéder à votre requête. En application de l'article 20, le vote s'effectue en commission à main levée, sauf demande d'un vote nominal. Assumons notre vote auprès de nos électeurs !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vois quelque contradiction dans votre propos. Dans l'hémicycle, bien sûr, le vote est public. Mais en l'absence de tribune et de captation vidéo, tel n'est pas le cas de nos travaux de commission. En outre, dans un vote à main levée, le compte rendu ne fait pas état du vote de chacun. Vous nous appelez à prendre nos responsabilités devant les électeurs : il faut donc un vote nominal. Quant à la demande initiale de Patrick Kanner, elle se justifiait par l'opinion, plus personnelle que politique, que chacun peut avoir sur le sujet.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Vous avez le goût du paradoxe ! Vous demandez à la fois un vote à bulletin secret et un vote nominal ! Je m'interroge donc sur la motivation véritable de votre demande initiale... Si vous souhaitez qu'il soit procédé à un vote nominal en lieu et place de la procédure de droit commun à main levée, en application de l'article 20 du Règlement, cinq sénateurs a minima doivent en faire la demande.
M. Patrick Kanner. - J'en fais donc la demande, avec mes collègues Jacques Bigot, Jean-Pierre Sueur, Marie-Pierre de la Gontrie et Laurence Harribey.
Mme Esther Benbassa. - Et moi aussi !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il y est donc fait droit. Nous allons procéder au vote nominal ; il s'agit de voter pour ou contre l'irrecevabilité proposée.
Ont voté pour l'irrecevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France : MM. Philippe Bas, François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, François-Noël Buffet, Mme Agnès Canayer, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, M. Yves Détraigne, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Christophe-André Frassa, Mme Françoise Gatel, M. François Grosdidier, Mmes Sophie Joissains, Muriel Jourda, M. Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. François Pillet, André Reichardt, Vincent Segouin, Mmes Lana Tetuani, Catherine Troendlé et M. Dany Wattebled.
Total : 27
Ont voté contre l'irrecevabilité : Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, Pierre-Yves Collombat, Jérôme Durain, Jean-Luc Fichet, Mmes Marie-Pierre de la Gontrie, Laurence Harribey, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Didier Marie, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Simon Sutour.
Total : 14
Se sont abstenus : Mmes Maryse Carrère, Josiane Costes, Nathalie Delattre et M. Loïc Hervé.
Total : 4
La commission estime la proposition de résolution irrecevable.
Mme Sophie Joissains. - Nous souhaitons aussi voter sur la demande de création d'une mission commune d'information portant sur l'ensemble des problématiques de pédophilie et les actes commis par toutes les personnes ayant autorité.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je ne suis pas d'accord avec notre collègue, pour une raison de procédure. Nous sommes réunis sur un ordre du jour déterminé et nous avons statué démocratiquement sur notre proposition de résolution. S'il est envisagé de créer une autre commission d'enquête ou une autre mission d'information, il faut l'inscrire à l'ordre du jour de notre prochaine réunion.
Mme Sophie Joissains. - Nous nous posons tous des questions sur ces problèmes qui touchent certes l'Église catholique, mais aussi les autres confessions ou l'Éducation nationale. À Aix-en-Provence s'est suicidé un directeur d'école accusé d'attouchements et qui avait été muté deux fois précédemment pour ces raisons. Si nous devions simplement décider l'irrecevabilité de la proposition de résolution du groupe socialiste et républicain, nous en serions réduits à une attitude qui ne correspondrait pas à ce que nous voulons. Nous devons donc nous prononcer sur le principe de cette mission commune d'information aujourd'hui même.
Mme Françoise Gatel. - Je soutiens la proposition de ma collègue, tout en entendant ce que dit Jean-Pierre Sueur. Nous ne sommes pas hors sujet par rapport à l'ordre du jour. Il existe parmi nous un consensus pour que ce sujet très important soit traité dans le champ élargi que nous avons évoqué. Je ne voudrais pas que notre vote sur l'irrecevabilité soit mal interprété et qu'on nous le reproche par la suite. J'assume mon vote, mais jusque dans sa phase finale, qui inclut la création de cette mission.
M. Pierre-Yves Collombat. - Tout à l'heure, j'ai dit que j'aurais préféré que cette proposition soit formulée autrement. Il y a été répondu d'une certaine façon, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Maintenant, si vous voulez une autre commission d'enquête ou une autre mission d'information, libre à vous. Mais passons à autre chose !
Mme Lana Tetuanui. - N'oublions pas les collectivités ultramarines, qui sont elles aussi confrontées à ces problèmes.
M. Jean Louis Masson. - En effet, il faut passer à autre chose. Compte tenu du sujet, la responsabilité de créer une mission d'information incombe à la commission des affaires sociales.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'article 6 bis du Règlement dispose que « la demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des présidents qui doit prendre acte de cette demande ». Or nous n'avons été saisis d'aucune demande. La demande que vous formulez est légitime, mais qu'elle nous soit soumise lors d'une prochaine réunion.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'article 6 bis du Règlement concerne uniquement le « droit de tirage » des groupes. Le VII du chapitre X de l'instruction générale du Bureau dispose que, « sans préjudice de l'application de l'article 6 bis, alinéa 3, du Règlement, une mission commune d'information peut être créée par la Conférence des présidents à la demande d'un président de groupe politique ou des présidents des commissions intéressées ». Je m'inscris dans ce cadre.
J'ai bien senti qu'un certain nombre de nos collègues ne voulaient pas, en se prononçant pour l'irrecevabilité, donner l'impression qu'ils ne voulaient pas avancer dans le traitement de ce fléau que sont les abus sexuels sur mineurs et la pédocriminalité. Nous prenons ainsi le relais du groupe socialiste et républicain, qui nous suggère la création d'une commission d'enquête, proposition irrecevable comme il résulte des informations communiquées par la garde des sceaux. Nous devons donc rebondir en menant des investigations approfondies. Je n'ai pas besoin d'un vote de la commission pour formuler cette demande puisque c'est un pouvoir propre que je détiens de l'instruction générale du Bureau. Néanmoins, pour permettre l'expression politique d'un accord éventuel de la commission, je ferai procéder au vote que réclame le groupe Union Centriste.
M. Hervé Marseille. - Vous pouvez en effet consulter la commission sur la proposition que vous ferez en Conférence des présidents.
M. François Bonhomme. - Je signale que les réseaux sociaux grouillent de messages sur les discussions que nous avons présentement...
M. Jean-Pierre Sueur. - J'interprète ces initiatives procédurales comme la volonté de certains qui ont voté l'irrecevabilité de notre proposition de sortir de cette affaire en allumant immédiatement un contre-feu. D'ailleurs, M. Bonhomme a évoqué les réactions que l'on observe déjà. Nous sommes attachés à la procédure : un vote a eu lieu sur notre proposition, avant que ne soit évoquée l'idée de solliciter deux autres commissions pour la création d'une mission commune d'information, ce qui n'était pas inscrit à notre ordre du jour. Mme Joissains demande ensuite un vote qui n'a aucune nécessité.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce qui n'est pas nécessaire peut être utile !
M. Jean-Pierre Sueur. - Notre groupe ne prendra pas part au vote, pour des raisons de forme.
M. Jean Louis Masson. - Monsieur le président, votre proposition est pertinente. Mais il n'est pas nécessaire de nous faire voter sur la demande de création de cette mission commune d'information. Si un vote doit avoir lieu, il faut le reporter à la semaine prochaine, car il n'y a aucune urgence, sinon médiatique. Je partage la position de notre collègue Jean-Pierre Sueur.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Il ne faut pas galvauder ce sujet très important et très sensible. Le groupe socialiste et républicain a eu la courtoisie de solliciter les différents groupes sur cette commission d'enquête. Aussi, j'aimerais avant toute chose que nous puissions discuter au sein de nos groupes de la création éventuelle de cette mission commune d'information. Le vote que demande le groupe Union Centriste est prématuré.
Mme Nathalie Delattre. - Nous avons dit que le libellé de cette commission d'enquête n'était pas opportun, mais que nous souhaitions trouver dès ce matin une solution en élargissant cette commission d'enquête à l'ensemble des structures accueillant des enfants ou des adolescents.
M. Jacques Bigot. - Si j'ai bien compris, monsieur le président, vous souhaitez savoir si votre proposition de création d'une mission commune d'information recueille l'avis favorable de la commission. En écoutant les uns et les autres, il apparaît que l'objet de cette mission commune d'information doit être affiné - et pourquoi pas une commission d'enquête ? Si vous souhaitez recueillir l'avis de la commission, il faut alors préciser le contour et l'objet de cette mission d'information ou de cette commission d'enquête. Ou bien vous formulez la demande directement en Conférence des présidents. À partir de ce qu'on dit les uns et les autres ce matin, il vous appartient, et à vous seul, de proposer la création de cette mission commune d'information.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il est plus démocratique que cette demande fasse l'objet d'une consultation, comme le réclament nos collègues du groupe Union Centriste, sachant que le vote sur la recevabilité de la proposition du groupe socialiste et républicain avait en toile de fond cette solution alternative. Nathalie Delattre souhaite plutôt une commission d'enquête, à l'objet identique, mais, en tant que président de commission, je ne dispose d'aucun droit d'initiative en la matière. À ce jour, la seule façon de mener à bien un travail pour faire émerger la vérité et formuler des propositions pour mieux protéger les enfants, c'est celle que nous proposons.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous ne pourrez éviter que cela n'apparaisse comme un nuage de fumée et une mesure dilatoire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - En aucun cas !
M. Pierre-Yves Collombat. - Pourquoi la commission des lois ne se constituerait-elle pas en commission d'enquête, comme elle l'a fait pour l'affaire Benalla, sur un sujet plus large que celui qui était prévu à l'origine ? Nous ne prendrons pas part au vote.
M. Dany Wattebled. - Procédons à un vote nominal !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je constate qu'au moins cinq membres de la commission formulent cette demande.
Ont voté en faveur de la demande de création d'une mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions : MM. Philippe Bas, François Bonhomme, François-Noël Buffet, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mmes Nathalie Delattre, Jacky Deromedi, M. Yves Détraigne, Mmes Catherine Di Folco, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Christophe-André Frassa, Mme Françoise Gatel, MM. François Grosdidier, Loïc Hervé, Mmes Sophie Joissains, Muriel Jourda, M. Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. François Pillet, André Reichardt, Vincent Segouin, Mmes Lana Tetuani, Catherine Troendlé et M. Dany Wattebled.
Total : 30
S'est abstenu : M. Jean Louis Masson.
Total : 1
N'ont pas pris part au vote : Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, Pierre-Yves Collombat, Jérôme Durain, Jean-Luc Fichet, Mmes Marie-Pierre de la Gontrie, Laurence Harribey, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Didier Marie, Thani Mohamed Soilihi, Jean-Pierre Sueur et Simon Sutour.
Total : 13
La commission approuve la demande de création d'une mission commune d'information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions.
Proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - La commission des lois est appelée aujourd'hui à se prononcer sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs, déposée par notre collègue Bruno Retailleau et plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains.
Cette proposition de loi repose sur un constat, partagé par tous : celui d'une radicalisation des actes de violence et de dégradation commis lors des manifestations se déroulant sur la voie publique. Aucun d'entre nous n'a oublié les scènes qui se sont déroulées à Paris en marge de la manifestation du 1er mai dernier.
Les débordements et la présence de « casseurs » dans les manifestations ne sont, certes, pas nouveaux, mais force est de constater que les pouvoirs publics sont aujourd'hui confrontés à la montée en puissance de groupuscules ultraviolents, notamment désignés sous le terme de black blocs, qui nuisent au libre exercice du droit de manifester sur notre territoire. Ces entités éphémères, qui se créent et disparaissent à l'occasion de chaque manifestation, ont en effet pour unique objectif de se fondre aux cortèges pacifiques en vue de commettre des dégradations et des violences.
Il serait erroné de dire que nous sommes, face à ces phénomènes de violence, complètement démunis. Au cours des vingt dernières années, le législateur a en effet renforcé le cadre juridique de maintien de l'ordre en créant de nouveaux outils destinés à prévenir, le plus en amont possible, les débordements dans les manifestations publiques : l'autorité administrative s'est ainsi vu doter de nouvelles prérogatives, parmi lesquelles la possibilité, lors des manifestations, de recourir à la vidéoprotection ou d'interdire le port et le transport d'objets pouvant constituer une arme ; le législateur a, d'autre part, renforcé l'arsenal répressif, en créant une série d'incriminations spécifiques destinées à sanctionner les faits troublant ou susceptibles de troubler l'ordre public commis à l'occasion d'une manifestation, notamment le délit de participation à un groupement violent créé par la loi du 2 mars 2010.
Nous sommes ainsi progressivement passés d'une logique de masse, qui se traduisait par un traitement global de la manifestation, à une logique plus « chirurgicale », qui vise à écarter de la foule les individus perturbateurs ou les « casseurs », tout en permettant aux cortèges pacifiques de continuer à manifester.
Force est toutefois de constater que la systématisation et la radicalisation des violences nous conduisent aujourd'hui à questionner l'efficacité de cet arsenal juridique.
La volonté de judiciariser le maintien de l'ordre et de mieux appréhender, sur le plan pénal, les débordements à l'occasion d'une manifestation se heurte en effet, dans la pratique, à des difficultés opérationnelles majeures. Les contraintes liées au maintien de l'ordre nuisent très souvent à la qualité des procédures diligentées ainsi qu'à la collecte des preuves qui permettraient d'imputer les infractions constatées aux personnes interpellées.
Qui plus est, la présentation en masse de personnes interpellées aux autorités de police judiciaire n'est généralement pas compatible avec le cadre juridique inhérent au placement en garde à vue.
Or, faute d'éléments de preuve ou de procédure solides, les parquets sont, bien trop souvent, contraints de prononcer des classements sans suite.
Les difficultés à engager des procédures judiciaires sont exacerbées lorsqu'il s'agit de black blocs, car ceux-ci recourent à des modes d'action spécifiques, conçus pour entraver l'intervention des pouvoirs publics. Il est ainsi particulièrement difficile d'interpeller les black blocs au cours d'une manifestation, en raison de leur capacité à se fondre rapidement parmi les manifestants pacifiques, après avoir abandonné voire brûlé leurs équipements. Il n'est pas plus aisé de les identifier a posteriori, via des images de vidéoprotection, car ils agissent masqués et vêtus de noir.
Sans avoir pour ambition de résoudre l'ensemble des difficultés soulevées, qui, pour partie, relèvent de l'organisationnel, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à y apporter une première série de réponses et à faciliter l'action des pouvoirs publics à l'égard de ces groupuscules ultraviolents.
Cette proposition de loi comporte trois volets.
Son premier volet, composé des trois premiers articles, est préventif : il vise à doter l'autorité administrative de nouveaux instruments destinés à prévenir, le plus en amont possible, l'infiltration des manifestations pacifiques par des individus violents.
En premier lieu, il confère au préfet la possibilité de diligenter, par arrêté, un contrôle des effets personnels des passants dans le périmètre ou aux abords d'une manifestation, lorsqu'il existe des risques de troubles graves à l'ordre public. Ces contrôles comprendraient des palpations de sécurité et des fouilles de sacs et ne pourraient s'effectuer qu'avec le consentement des personnes contrôlées. Il n'est en revanche pas prévu que des contrôles d'identité et des fouilles de véhicules puissent être réalisés. Il s'agit, à quelques différences près, d'une extension des périmètres de protection que nous avons créés dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
En deuxième lieu, la proposition de loi vise à autoriser les préfets à prononcer, à l'encontre de toute personne susceptible de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, une interdiction de participer à une manifestation, assortie, le cas échéant, d'une obligation de « pointage » auprès d'un représentant de l'autorité publique.
L'interdiction de manifester n'est pas inconnue de notre droit, mais elle n'existe, actuellement, qu'à titre de peine complémentaire, pour une durée de trois ans. Il s'agirait, ici, d'en faire une mesure administrative préventive, mais en limitant sa durée de validité à une seule manifestation. Il s'agit d'ailleurs d'une proposition qu'avait faite, en 2015, notre ancien collègue député Pascal Popelin dans son rapport au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative au maintien de l'ordre !
Enfin, les auteurs de la proposition de loi proposent la création de fichiers départementaux recensant l'ensemble des mesures d'interdiction de manifester, qu'elles soient prononcées dans un cadre judiciaire ou administratif, afin d'en faciliter le suivi, notamment à l'occasion des contrôles de police.
Ces mesures, j'en suis consciente, confèrent à l'autorité préfectorale de larges prérogatives. Mais elles ont le mérite de permettre d'écarter, avant même que la manifestation ne débute, les individus qui sont animés par la seule volonté de commettre des dégradations. Il ne s'agit en aucun cas de porter atteinte à la liberté de manifester, mais, au contraire, d'en garantir le libre exercice pour les manifestants pacifiques, en évitant qu'ils ne soient pris en otage par une poignée d'individus désireux de se livrer à une action violente !
La création de ces mesures présenterait également l'avantage de compléter l'arsenal juridique à disposition de l'autorité préfectorale et ainsi de permettre une réponse graduée en cas de menace à l'ordre public. Car il est préférable, j'en suis convaincue, d'empêcher quelques individus violents de manifester plutôt que d'interdire la tenue d'une manifestation !
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai d'adopter ces trois mesures, sous réserve de plusieurs garanties destinées à en assurer la proportionnalité. C'est l'objet des amendements que je présenterai.
Le deuxième volet de la proposition de loi comprend plusieurs dispositions pénales afin de sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations sur la voie publique.
Il vise tout d'abord à ériger en délit la dissimulation volontaire du visage dans une manifestation, qui est actuellement punie d'une contravention de 5e classe.
Il tend, par ailleurs, à élargir l'infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme, afin de viser non seulement le port d'armes, mais aussi le port d'armes par destination et de fusées et artifices.
Enfin, plusieurs dispositions renforcent notamment la peine complémentaire d'interdiction de manifester.
Comme pour le volet préventif, je vous proposerai d'adopter ces dispositions pénales, sous réserve de plusieurs amendements qui visent à préciser le texte, dans un souci de garantir le respect des principes de légalité des délits et des peines et d'intelligibilité et de clarté de la loi pénale.
Le dernier volet de la proposition de loi, qui correspond à l'article 7, tend à réformer le régime de la responsabilité civile applicable en cas de dommages causés dans le cadre d'une manifestation sur la voie publique.
Il instaure une présomption de responsabilité civile « collective » des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l'occasion d'une manifestation, y compris pour des dommages sans lien avec la faute commise par chacune de ces personnes.
Cette disposition est, sans aucun doute, celle qui soulève le plus de difficultés dans le texte. C'est pourquoi je me permets, avant même la discussion des amendements, d'insister sur ce point.
Cette disposition appelle, tout d'abord, de nombreuses réserves constitutionnelles, dans la mesure où elle permettrait de reconnaître la responsabilité d'un individu pour des dommages qu'il n'a pas causés.
Elle risquerait, ensuite, d'affaiblir la protection des victimes : en effet, il existe actuellement un régime de responsabilité sans faute de l'État pour tous les dommages commis lors des manifestations sur la voie publique, ce qui garantit un remboursement des victimes. En créant un régime concurrent de responsabilité, qui plus est à l'encontre de personnes dont il y a fort à penser qu'elles seraient insolvables, nous ne sommes pas certains des effets engendrés, surtout que les victimes se portent rarement partie civile : il convient de garder le principe d'une responsabilité sans faute de l'État.
C'est pourquoi je vous proposerai, dans mes amendements, de réécrire cet article 7, dans le but d'inscrire dans la loi la possibilité pour l'État de se retourner contre les auteurs des dommages. Il s'agit ainsi de s'assurer que les responsables, sur le plan pénal, de ces dommages participent effectivement à l'indemnisation des victimes.
Mme Esther Benbassa. - Félicitations à notre collègue pour son rapport très synthétique. L'aspect répressif de ce texte, superflu et inapplicable, m'inquiète. Je ne sais pas si M. Retailleau prend souvent part à des manifestations ; moi si ! Le pointage est très difficile. Il est question de fichiers de personnes interdites de manifestation : cessons d'avoir la mémoire si courte ! Et après ? Nous allons ficher les personnes aux yeux bleus ? Ce texte va à l'encontre des droits de l'homme. Nous voulons tous endiguer, canaliser, éradiquer ces violences dont tout le monde souffre. Mais faites des lois applicables et non de tels textes populistes destinés à conforter vos électeurs.
M. Pierre-Yves Collombat. - En lisant ce texte, qui succède à bien d'autres de la même veine, je me suis demandé quelle serait la différence entre un régime appliquant de telles lois et un régime d'extrême droite. Qu'est devenu le Sénat défenseur des libertés, réfractaire à la mode et aux émotions populaires ? Il s'agit de neutraliser quelques individus.
M. Philippe Bas, président. - Quelques dizaines !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Et très violents !
M. Pierre-Yves Collombat. - Faut-il à ce point, pour ce faire, violenter les libertés publiques ? Il existe une direction générale de la sécurité intérieure dans ce pays ! Ses agents savent peut-être comment les neutraliser ! Depuis le temps qu'on durcit le code pénal, qu'on invente des peines nouvelles ! La réaction de notre rapporteur sur l'article 7 a failli me soulager : prévoir une responsabilité collective, c'est un peu fort. On n'a pas vu cela depuis la condamnation de Courbet à faire reconstruire la colonne Vendôme à ses frais.
Il existe d'autres moyens pour parvenir à ce résultat. J'ai récemment fait un stage parmi les forces de gendarmerie en Guyane : ce sont des gendarmes républicains très efficaces et je peux vous dire qu'ils ont de quoi s'occuper. Il faudrait simplement renouveler leur matériel vieillissant. C'est plus urgent que de s'en prendre une nouvelle fois au code pénal. Je ne comprends pas qu'un groupe aussi honorable puisse proposer un tel texte.
M. Philippe Bas, président. - Donnez à la commission une chance de l'améliorer ! Notre rapporteur a fait des propositions.
M. Dany Wattebled. - Il n'est pas question de supprimer le droit de manifester, droit légitime. Il est question ici de groupuscules très violents, organisés, qui n'ont d'autre but que de casser. Leurs membres étant masqués, il n'y a aucun moyen de les identifier. Vous parlez de contrôle aux abords des manifestations : encore faut-il que les gens s'y soumettent ! Dorénavant, pour accéder aux stades, il faut se soumettre à une fouille systématique.
M. Jérôme Durain. - Notre groupe condamne fermement les violences qui ont lieu en marge des manifestations. Pour autant, nous nous abstiendrons ce matin sur ce texte, nous réservant pour le débat en séance. Il s'agit là d'un texte très politique qui soulève des questions sur son contexte, sur les principes qui le sous-tendent et sur ses aspects pratiques.
Sur son contexte : nous sommes sur une tendance longue de pacification de la rue, même si je ne minimise pas les violences qui ont lieu récemment lors de manifestations ni ne nie l'existence des black blocs.
Les principes : ce texte confronte les impératifs d'une nécessaire sauvegarde de l'ordre public et la protection des droits et des libertés ; nous estimons qu'il rogne sur les libertés publiques et la liberté de manifester. À cet égard, l'article 7 est quelque peu caricatural, avec cette présomption de responsabilité civile collective, qui embête notre rapporteur. Je ne parle même pas des autres mesures.
En séance nous adopterons une position critique.
M. François Grosdidier. - Le droit de manifester est restreint quand les pouvoirs publics interdisent une manifestation au motif qu'ils n'ont plus la capacité de contenir ses éventuels débordements. Pour garantir ce droit, il faut donc s'assurer que les manifestations ne donnent lieu à aucun débordement, ce que les organisateurs sont incapables d'assurer. Il faut donc empêcher ceux qui sont devenus de véritables professionnels du détournement de ce droit. Cette proposition répond à ce souci de façon très pragmatique en s'inspirant de mesures qui ont fait leurs preuves contre les hooligans dans le football professionnel et même dans le football amateur. Ce n'est nullement attentatoire aux libertés publiques ; au contraire c'est la meilleure façon de les protéger.
M. Jean Louis Masson. - Par le passé, il n'y avait pas de groupes aussi violents qu'actuellement. Il n'est donc pas aberrant que la loi puisse évoluer, car nous sommes confrontés à une situation nouvelle qui se dégrade. Prendre des mesures contre les auteurs de telles violences n'est pas attentatoire aux libertés, mais garantit à chacun la liberté de manifester paisiblement.
Mme Brigitte Lherbier. - Si l'on n'organise pas l'ordre public, on empêche les gens de s'exprimer. Je suis pour la liberté de manifester, mais on ne peut pas laisser tout faire, notamment lorsque des individus masqués empêchent les autres de s'exprimer. J'ai été adjointe à la sécurité de la ville de Tourcoing : je sais d'expérience qu'il est très difficile d'intervenir même quand on est prévenu à l'avance de la venue de casseurs.
M. Henri Leroy. - Pour rebondir sur les propos de notre collègue Pierre-Yves Collombat, il est vrai que nos forces de l'ordre disposent d'experts très bien formés à toutes les techniques de maintien de l'ordre. Le centre de Saint-Astier leur permet même de se préparer à affronter la guérilla urbaine. Mais les forces de sécurité, dans leur ensemble, ne sont pas formées pour faire face à des casseurs masqués. Cette proposition de loi répond donc aux attentes de nos forces de sécurité qui seront ainsi armées juridiquement pour accomplir leur mission.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je salue le travail réalisé par notre rapporteur, ainsi que l'initiative du président Retailleau et du groupe Les Républicains. Je me range toutefois du côté de ceux qui estiment que ce texte présente des risques pour les libertés individuelles. Les groupes qui sont visés font preuve d'ingéniosité : aussitôt repérés, ils inventent d'autres modalités d'intervention. Quand cette loi aura été adoptée, ils s'adapteront. Il vaut mieux faire porter l'effort sur le démantèlement de ces groupes. C'est un gros travail de renseignement, mais il ne faut pas tomber dans le piège de la division qui nous est tendu par ces groupes violents. Je suis donc très réservé sur cette proposition de loi, malgré la qualité du rapport.
M. François Pillet. - L'exposé des motifs est très clair : il s'agit de protéger une liberté, sans porter atteinte à l'exercice d'autres libertés. Le rôle du Sénat est de trouver un équilibre. Il faut reconnaître que certaines manifestations n'ont pas eu lieu parce que les organisateurs craignaient la venue d'éléments perturbateurs. Cette proposition de loi ne vise pas les manifestants, mais ceux qui pervertissent l'exercice de la liberté de manifester. Je rends hommage à l'objectivité de notre rapporteur qui, bien que la proposition de loi émane de son groupe, l'a amendée dans le sens que je viens d'indiquer. Elle a fait preuve de la même indépendance intellectuelle que notre collègue Josiane Costes lorsqu'elle était rapporteur d'une proposition de loi présentée par son groupe, relative à la prévention des conflits d'intérêts liée à la mobilité des hauts fonctionnaires.
Le texte, tel qu'il existe, n'est pas satisfaisant ; le texte, quand nous aurons adopté les amendements de notre rapporteur, sera conforme à l'éthique sénatoriale.
M. Philippe Bas, président. - Bien qu'il soit déjà intervenu, je donne exceptionnellement la parole à notre collègue Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. - Premièrement, on nous parle de protéger les libertés, mais on le fait en les réduisant, c'est un peu curieux ! J'entends aussi parler de violence inouïe ; nous ne sommes plus très nombreux à avoir connu Mai 68, mais il me semble que c'était autre chose. Je vous invite à relire les remarquables instructions que le préfet Grimaud avait données à ses troupes à l'époque.
Plutôt qu'un tel texte, les forces de l'ordre attendent des décisions politiques claires, contrairement à ce qui s'est passé à Notre-Dame-des-Landes, où on a laissé pourrir la situation.
Deuxièmement, les forces de l'ordre attendent des équipements nouveaux qui leur font défaut...
M. François Grosdidier. - Elles manquent aussi de moyens juridiques !
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais non ! On va adopter une loi qu'on n'aura pas les moyens d'appliquer ! Il faut neutraliser des groupes nuisibles, donnons-nous les moyens de les neutraliser préventivement.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Pour répondre à M. Durain, il se trouve que j'ai été prise dans une manifestation dans le quartier Montparnasse et que j'ai vu l'hôpital Necker-Enfants malades endommagé : les manifestants pacifiques étaient atterrés. Du coup, j'ai accepté de cosigner cette proposition de loi sans hésiter. Depuis, ayant été nommée rapporteur, j'ai pris du recul. L'important, c'est que des manifestations puissent se tenir et que le message militant puisse passer sans être brouillé. Mon objectif est de garantir à la fois la liberté de manifester et la liberté d'aller et venir.
Monsieur Wattebled, en ce qui concerne les fouilles, je pense effectivement qu'il faut s'inspirer du dispositif mis en oeuvre pour les stades. Si une personne refuse d'être fouillée, les forces de l'ordre l'excluront du périmètre défini.
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-5 assortit le dispositif prévu par l'article 1er de plusieurs garanties de nature à assurer une conciliation équilibrée entre les impératifs de sauvegarde de l'ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier de la liberté d'aller et venir et de la liberté de manifester.
L'amendement limite, en premier lieu, la possibilité pour le préfet de diligenter des contrôles aux abords d'une manifestation aux seules situations faisant craindre des troubles « d'une particulière gravité » à l'ordre public et exige qu'un arrêté motivé, plutôt qu'un arrêté simple, soit pris pour leur mise en oeuvre.
En deuxième lieu, il circonscrit mieux la durée et l'étendue des périmètres de contrôle, afin d'éviter toute atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir.
De manière à garantir le respect du droit de mener une vie familiale normale, l'amendement prévoit, en troisième lieu, que les mesures de contrôle diligentées tiennent compte des impératifs de vie privée, professionnelle et familiale des personnes contrôlées.
Enfin, l'amendement procède à plusieurs modifications d'amélioration rédactionnelle ainsi qu'à la rectification d'une erreur de coordination.
M. François Pillet, président. - Cet amendement est de nature à répondre aux inquiétudes exprimées par certains de nos collègues.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pour les raisons déjà indiquées par mon collègue Jérôme Durain, le groupe socialiste et républicain s'abstiendra sur les amendements présentés par notre rapporteur et sur l'ensemble de cette proposition de loi.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à réserver aux seuls agents appartenant aux forces de sécurité intérieure le soin de procéder aux mesures de contrôle diligentées par l'autorité préfectorale à l'occasion d'une manifestation.
En effet, la présence d'agents de sécurité privée et d'agents de police municipale sur les lieux d'une manifestation pourrait soulever des difficultés sur le plan opérationnel. Eu égard à l'évolution rapide des événements lors des manifestations, ces agents pourraient se trouver pris à partie dans des opérations de maintien de l'ordre, missions pour lesquelles ils ne sont ni formés ni autorisés à intervenir.
L'amendement COM-6 est adopté.
Les amendements COM-1, COM-2 et COM-3 deviennent sans objet.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-7 procède à plusieurs modifications au sein de l'article 2 afin d'assurer la proportionnalité de la mesure d'interdiction administrative individuelle de manifester.
Il tend, en premier lieu, à mieux caractériser les raisons pour lesquelles la participation d'une personne à une manifestation est susceptible de constituer une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il s'agit de s'assurer que seuls les individus constituant une réelle menace pour l'ordre public, en raison de leur appartenance à des groupuscules violents ou des actes délictuels commis à l'occasion de précédentes manifestations, puissent être visés par une interdiction de manifester.
En deuxième lieu, l'amendement prévoit que l'arrêté préfectoral précise, outre la manifestation objet de l'interdiction, les lieux concernés par cette interdiction.
Eu égard à la jurisprudence constitutionnelle relative aux interdictions de séjour mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence, l'amendement précise que les lieux faisant l'objet de l'interdiction ne pourront inclure ni le domicile ni le lieu de travail de la personne concernée, de manière à garantir le droit à une vie familiale normale.
Enfin, l'amendement fixe une obligation de notification à l'intéressé de l'arrêté d'interdiction, au maximum 48 heures avant la date prévue de la manifestation. Cette notification a pour objet, d'une part, de permettre à la personne concernée de saisir a priori le juge administratif et, ainsi, de garantir le droit au recours effectif, d'autre part, de s'assurer que l'infraction de participation à une manifestation en méconnaissance d'un arrêté d'interdiction soit constituée.
M. François Pillet, président. - Cet amendement prend en compte la jurisprudence du Conseil constitutionnel, afin d'éviter une censure.
L'amendement COM-7 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-8 procède à plusieurs modifications de l'article 3 de la proposition de loi, relatif à la création d'un fichier recensant les personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester.
Il restreint tout d'abord les finalités du fichier, de manière à en assurer la proportionnalité.
Il prévoit, par ailleurs, la création d'un fichier national, plutôt que d'un fichier départemental, dont la mise en place serait assurée par un arrêté du ministre de la justice et du ministre de l'intérieur. En effet, la coexistence de plusieurs fichiers départementaux pourrait se révéler contre-productive sur le plan opérationnel.
De manière à se conformer au régime prévu par l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui concerne les fichiers mis en oeuvre pour le compte de l'État, l'amendement précise que le décret en Conseil d'État prévu pour l'application de l'article sera pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
M. François Pillet, président. - Notre rapporteur a pris la précaution d'établir une rédaction qui tienne compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des pouvoirs de la CNIL. Je rappelle qu'en 2012, lors de l'examen d'une proposition de loi relative à la protection de l'identité, le Sénat avait rejeté la création d'un fichier que j'avais appelé le « fichier des gens honnêtes » et le Conseil constitutionnel avait repris une partie de nos arguments dans la décision de censure de ce fichier.
L'amendement COM-8 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'article 4 de la proposition de loi transforme en délit la contravention de dissimulation du visage dans une manifestation ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique.
Afin de préciser la définition de l'infraction, il paraît utile d'introduire la mention, qui figure aujourd'hui à l'article R. 645-14 du code pénal, selon laquelle la dissimulation a pour but d'éviter l'identification du manifestant dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public. Tel est l'objet de l'amendement COM-9.
M. François Pillet, président. - Cet amendement nous renvoie au débat plus général sur les tenues vestimentaires empêchant de reconnaître une personne dans l'espace public.
M. Pierre-Yves Collombat. - On peut constater le fait qu'une personne est masquée. Dès que l'on s'aventure sur le terrain de l'intention, la chose est beaucoup plus délicate : on peut se masquer le visage pour se protéger des gaz lacrymogènes.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Le texte de la proposition de loi répond à cette objection en réservant la possibilité que la dissimulation du visage réponde à un « motif légitime ».
M. Pierre-Yves Collombat. - Motif légitime ! M. Benalla a dit, hors de son audition, qu'il était intervenu pour protéger ses camarades.
M. François Pillet, président. - Il reviendra au juge d'apprécier.
L'amendement COM-9 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-10 a pour objet d'harmoniser la définition des infractions prévues par les auteurs de la proposition de loi.
L'amendement COM-10 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-4 prévoit pour les tentatives un quantum de peine inférieur à celui applicable aux délits correspondants. Avis défavorable : la règle en droit pénal est de sanctionner pareillement les tentatives et les délits eux-mêmes. Je ne souhaite pas y déroger ici.
M. François Pillet, président. - C'est un rappel pertinent... La tentative échoue souvent pour des raisons extérieures à la volonté de l'auteur !
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'amendement de coordination COM-11 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'article 6 vise à étendre le champ d'application de la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique et à ajouter éventuellement une obligation de « pointage ». L'amendement COM-12 tend à transférer les dispositions relatives la peine complémentaire d'interdiction de manifester sur la voie publique du code de la sécurité intérieure vers le code pénal et à déplacer les sanctions applicables à cette peine complémentaire dans la section du code pénal idoine. Ces peines sont rarement prononcées, notamment par manque de lisibilité de ces dispositions.
Nous clarifions ainsi la rédaction de l'obligation de « pointage » devant toute autorité publique désignée par la juridiction de jugement, par exemple un officier de police judiciaire dans un commissariat, et maintenons l'obligation pour la juridiction de fixer les lieux concernés par l'interdiction de manifester.
L'amendement COM-12 est adopté.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-13 vise à garantir la proportionnalité et l'efficacité du régime de responsabilité civile en matière de dommages causés à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique. Tout en maintenant la responsabilité de l'État, nous nous assurons que les responsables de dommages participent effectivement à l'indemnisation des victimes, en prévoyant une faculté d'action récursoire de l'État à l'encontre des manifestants à l'origine des dommages. C'est un dispositif plus efficace...
M. Pierre-Yves Collombat. - L'intention est excellente. Mais toute personne prise sur le fait en train de dégrader du matériel peut déjà être sanctionnée. Pourquoi ajouter une infraction ? S'il s'agit de sévir contre des agressions sur les personnes, nous abordons un tout autre domaine...
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Il s'agit ici non pas d'infraction mais d'indemnisation. L'État est responsable : s'il est condamné, il peut alors se retourner contre les auteurs.
M. Pierre-Yves Collombat. - On change de système... Celui qui existe aujourd'hui a ses avantages et ses inconvénients.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'État est responsable de tout aujourd'hui !
M. Pierre-Yves Collombat. - Oui, parce qu'il y a trouble à l'ordre public !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - Mais il est causé par des individus... On pourrait presque dire : qui casse, paye.
M. Pierre-Yves Collombat. - Il y a là un problème de principe : la notion de trouble à l'ordre public disparaît. L'État doit rétablir l'ordre public, et en cas de défaillance, il engage sa responsabilité. On ne parle pas ici de vendetta, ni de simple dégradation, celle-ci ne peut être détachée du trouble profond à l'ordre public.
M. François Pillet, président. - Une lecture attentive de l'amendement vous rassurera : l'auteur - s'il est reconnu comme tel pénalement - est appelé à indemniser l'État qui est banquier du préjudice.
M. Thani Mohamed Soilihi. - L'action n'existe-t-elle pas déjà ? L'amendement n'est-il pas satisfait ? Il faudrait le réécrire, au moins, car la rédaction mentionne auparavant l'action pénale, or cette action récursoire vise bien des actions civiles - il serait bon de le préciser.
M. François Pillet, président. - Mme le rapporteur m'indique qu'elle va prendre en compte cette remarque et examiner la question.
L'amendement COM-13 est adopté.
Article additionnel après l'article 7
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. - L'amendement COM-14 concerne l'application de la proposition de loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
L'amendement COM-14 est adopté.
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
M. François Pillet, président. - J'indique que l'examen du rapport d'information consacré au vote électronique est reporté à la semaine prochaine.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information (nouvelle lecture) - Examen du rapport pour avis
Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l'information (nouvelle lecture) - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - La présentation de mon rapport pour avis sur la proposition de loi et de mon rapport au fond sur la proposition de loi organique sera brève. Après l'échec sans surprise des commissions mixtes paritaires, l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, n'a pas changé grand-chose à ses rédactions de première lecture. Je rappelle que nous avions rejeté les deux textes en adoptant des questions préalables, à l'initiative respectivement de la commission de la culture et de notre commission.
Le texte des députés nous revient presque intact. Deux points seulement ont été modifiés. D'abord pour donner, de l'aveu même de la rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée, « une portée plus opérationnelle » (sic) à la définition des fausses informations susceptibles de donner lieu à une procédure de référé. Celle-ci peut être engagée lorsque « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d'un service de télécommunication publique en ligne ». Ensuite, pour créer une voie d'appel dans le cadre de la procédure de référé ad hoc instituée pour lutter contre les fausses informations : la cour d'appel se prononcerait dans les 48 heures suivant sa saisine.
Ce sont les deux seules novations. Je propose un rejet des textes, puisque les objections demeurent : risque d'atteintes aux droits et libertés constitutionnellement garantis et inefficacité du dispositif contre les vraies manipulations. Contrairement à ce que pense l'Assemblée nationale, je n'ignore pas l'existence des « usines à trolls » et des « fermes à clics » ; je sais que la désinformation numérique peut avoir des effets dommageables. Mais la précipitation et l'amateurisme ne sont pas de bonnes méthodes face à ces phénomènes. Nos collègues députés n'ont songé qu'en nouvelle lecture, et en séance publique, à créer une voie d'appel spécifique dans le cadre de la procédure de référé ad hoc qu'ils ont imaginée !
Je vous proposerai une fois encore d'adopter une question préalable sur la proposition de loi organique, car le Sénat est attaché aux libertés fondamentales.
Un nouveau ministre de la culture sera au banc du Gouvernement : il aura l'occasion de nous dire son sentiment, puisque comme député, il n'avait pas pris part au vote sur ces textes, et avait déclaré en substance à la radio en juin 2018 qu'ils n'étaient pas le moyen le plus approprié pour lutter contre les fake news.
Telle députée ne voit plus la différence entre des comptes twitter parodiques et la réalité des faits : elle en appelle à la censure des premiers au nom de la lutte contre les fausses informations. Je lui opposerai la pensée de Saint-Augustin : « Humanum fuit errare, diabolicum est per animositatem in errore manere. » Se tromper est humain, mais persévérer dans l'erreur par arrogance est diabolique.
M. Jérôme Durain. - Mon groupe partage l'essentiel de ce qui a été dit par le rapporteur, tant sur le fond que sur la méthode. Il s'associe donc à la motion présentée.
EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
Article 1er (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 1er.
Article 2 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 2.
Article 3 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 3.
Article 3 bis (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 3 bis.
Article 10 (délégué)
La commission proposera à la commission de la culture de ne pas adopter l'article 10.
EXAMEN DE LA MOTION SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
La motion COM-1 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi organique.
La réunion est close à 12 h 45.