Mardi 9 octobre 2018
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui pour une audition budgétaire sur les moyens de votre ministère pour 2019.
Les crédits sont en hausse de 3,19 %, ce qui pourrait laisser croire que tout va bien... Malheureusement, ce chiffre recouvre deux réalités opposées : l'augmentation importante, de 16 %, des moyens de l'aide publique au développement et la réduction des moyens de l'action extérieure de l'État, qui ne laisse pas de nous inquiéter.
Pour l'aide publique au développement, nous avons des questionnements sur la réalité du pilotage politique de l'opérateur AFD, compte tenu de sa croissance, de l'éclatement de ses tutelles, et de la disproportion croissante de leurs moyens respectifs. C'est à se demander si la grenouille AFD ne devient pas en quelque sorte plus grosse que le boeuf...
Pour les moyens du réseau diplomatique, nous sommes très inquiets de l'annonce du Premier ministre à la Conférence des ambassadeurs. Est-ce opportun, alors que le multilatéralisme est remis en cause, comme l'a montré la récente assemblée générale des Nations-Unies, et que nous avons besoin de mobiliser notre réseau diplomatique ?
Le Premier ministre a en effet annoncé une baisse de 10 % de la masse salariale des réseaux à l'étranger d'ici à 2022, pilotée par le Quai d'Orsay, après transfert des personnels des autres ministères concernés, ce qui pourrait correspondre, selon certains calculs contestés par l'Élysée, à une baisse de 20 % du nombre d'ETP. La commission connaît mieux que personne la tension que les réductions de moyens successives ont fait porter sur le réseau. Je rappelle que les effectifs du Quai d'Orsay ont déjà fondu comme neige au soleil, passant en dix ans de 16 500 à 13 500.
Bien sûr, vous ne touchez pas au totem de l'universalité du réseau, mais si c'est pour généraliser une forme de paupérisation, est-ce vraiment une bonne chose ? Faut-il mettre en péril toute notre influence à l'étranger pour dégager de si faibles montants, au regard des dépenses publiques, dans des domaines régaliens par excellence ? En effet, l'effort financier, soit 110 millions d'euros d'économies, équivaut à quatre heures d'assurance-maladie : c'est difficilement compréhensible. C'est un choc majeur pour le réseau diplomatique français, réseau universel que nous a légué notre histoire, précieux atout pour notre influence dans le monde.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Je n'aborderai pas les thèmes qui nous occupent généralement - crises de sécurité, facteurs de déstabilisation, projet européen -, me contentant de souligner que l'année 2019 sera essentielle au regard de ces enjeux : crises syrienne et libyenne, montée en puissance de la force conjointe au Sahel, sans parler de la situation iranienne. 2019 sera également une année de vérité pour l'avenir du multilatéralisme dont les fondements sont attaqués, et enfin une année cruciale pour l'Europe. Pour relever ces défis, le budget que je m'apprête à présenter est essentiel et je ne partage pas votre regard pessimiste.
Vous l'avez rappelé, ce budget est de 4,89 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse de 3,19 % par rapport à la loi de finances initiale, recouvrant une baisse de 128 millions d'euros pour la mission « Action extérieure de l'État » et une hausse de 179 millions d'euros pour la mission « Aide publique au développement ». Les chiffres de la première mission ne tiennent pas compte d'évolutions de périmètre ; quant à notre aide publique au développement, elle entame une hausse significative en autorisations d'engagements comme en crédits de paiement.
L'ensemble des dotations de la mission « Action extérieure de l'État » est reconduit à périmètre constant à l'exception de deux postes. D'abord, l'enveloppe de l'organisation des événements internationaux est en hausse car les crédits du programme temporaire 347 consacré à la présidence française du G7 augmentent de 12 millions d'euros pour attendre 24 millions, tandis que l'enveloppe « Protocole » du programme 105 augmente de 8 millions d'euros pour la préparation du sommet Afrique-France et la présidence française du Conseil de l'Europe en 2019. À l'inverse, le coût des contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix est en diminution de 10 %, ce qui s'explique par une réduction du volume de ces opérations, par une baisse de la quote-part française, et enfin une gestion améliorée du risque de change car, pour la première fois, le ministère a pu budgéter au coût réel la contrepartie en euros de 80 % de ses prévisions de dépenses en devises.
J'attire votre attention sur certaines modifications liées à des changements dans les modalités de gestion. Ainsi les dépenses immobilières imputées sur le programme 105 sont en baisse de 92 millions d'euros à cause de l'abandon du mécanisme des loyers budgétaires, ce qui est indolore pour le budget du ministère car ces crédits virtuels étaient inscrits sur celui-ci pour être aussitôt repris. En revanche, les dépenses d'investissement relatives la sécurisation de nos emprises à l'étranger diminuent de 30 millions sur le programme 105, mais c'est une baisse principalement optique : elles sont en réalité disponibles pour un montant au moins équivalent sur le programme 723. Il en va de même pour les crédits de sécurisation des établissements scolaires à l'étranger : en apparence, la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) diminue de 14,7 millions d'euros sur le programme 185, mais une somme au moins équivalente se retrouve sur le programme 723.
Les moyens de nos postes diplomatiques sont maintenus, tout comme ceux de notre politique d'influence. Je vous confirme ainsi la préservation des moyens de l'AEFE. Nous engagerons les évolutions nécessaires à un développement plus ambitieux de l'enseignement français à l'étranger, ce qui répond au souhait formulé par le Président de la République devant l'Académie française de porter, d'ici à 2030, de 350 000 à 700 000 le nombre d'élèves scolarisés dans les établissements français. Le rapprochement de l'Institut français et de la Fondation Alliance française va dans le même sens : l'Institut français sera renforcé dans son rôle d'appui à ces deux réseaux, et sa co-localisation avec la Fondation Alliance française à Paris créera des synergies tout en préservant l'indépendance des Alliances françaises à l'étranger.
Je vous confirme également que l'enveloppe des bourses scolaires sera maintenue : le passage de 110 à 105 millions d'euros en loi de finances tient compte de la sous-consommation, chaque année, de cette enveloppe. La soulte accumulée par l'AEFE au cours des années précédentes grâce à cette sous-consommation permettra de répondre aux besoins qui dépasseraient ces 105 millions.
Le plan de sécurisation de nos ambassades et des lycées français sera poursuivi, voire accéléré : 100 millions d'euros, arrachés de haute lutte, seront disponibles en 2019 et en 2020 à cette fin. Cette somme sera disponible sur le Compte d'affectation spéciale (CAS) « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'Etat », indépendamment des lignes budgétaires antérieures. Je m'assurerai personnellement de la mobilisation effective de ces crédits au cours des deux prochaines années.
Les moyens du réseau de coopération et d'action culturelle seront sanctuarisés, pour promouvoir l'enseignement de notre langue, porter notre vision de la culture et défendre nos industries culturelles et créatives, nouer des partenariats dans tous les domaines scientifiques et renforcer notre attractivité universitaire. Cette stabilité est nouvelle, après un renforcement de 2 % obtenu l'année dernière qui suivait plusieurs diminutions successives.
Enfin, l'enveloppe des bourses destinées aux étudiants étrangers sera maintenue.
Stabilisé en 2019, le budget de l'action extérieure de l'État portera la marque de la réforme de l'État engagée par le Premier ministre. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères sera conforté dans le pilotage interministériel de cette action, en assumant seul la gestion des fonctions support et des crédits de fonctionnement des réseaux internationaux, ce qui mettra fin à l'effet silo dans la gestion des personnels de l'État à l'étranger. En contrepartie, le Premier ministre a fixé un objectif de réduction de 10 % de la masse salariale à l'étranger sur quatre ans, à partir de 2019, soit un effort, tous opérateurs confondus, de 110 millions d'euros d'ici à 2022. Pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, cela représente 13 millions d'euros sur le budget 2019. L'effort est donc très relatif, ce qui devrait contribuer à lever vos inquiétudes. Les ambassadeurs auront davantage de responsabilités, et il y aura une véritable unité d'action de gestion de l'ensemble des services de la France, y compris Atout France et Business France.
Les dépenses de personnel, qui représentent 23 % du budget du ministère, augmentent de 36,6 millions d'euros, soit 3,3 %, pour s'établir à 1,12 milliard d'euros tous programmes confondus. Cette masse salariale, comme nous l'avons constaté au cours de l'année 2018, était sous-budgétisée. De plus, nous sommes dépendants de l'inflation à l'étranger, qui s'élève en moyenne à 4 % par an.
Le ministère doit rendre l'an prochain 130 ETP sur ces effectifs ; le plafond d'emploi s'élèvera à 13 598 ETP travaillés, ce qui se traduit, budgétairement, par le transfert de 387 emplois des autres ministères vers le programme 105, et 11 millions d'euros de dépenses de personnel et 15 millions d'euros de crédits de fonctionnement associés. De plus, dans le prolongement de la réorganisation que j'ai évoquée, le ministère devient l'affectataire de l'ensemble du patrimoine immobilier de l'État à l'étranger, à l'exception des biens spécifiques comme les bases et cimetières militaires. 215 biens lui sont ainsi transférés.
Seconde mission budgétaire dont mon ministère est responsable, l'aide publique au développement se compose de deux programmes. Le programme 110 « Aide économique et financière au développement », géré par le ministère de l'économie et des finances, représente dans le projet de loi 1,31 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,08 milliard en crédits de paiement, en augmentation. Il vise surtout les organisations internationales et les prêts bonifiés.
Le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui représente 2,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2 milliards en crédits de paiement, est sous ma responsabilité. Hors dépenses de personnel, les crédits de paiement s'établissent à 1,86 milliard d'euros, soit une augmentation de 290 millions d'euros ; pour les autorisations d'engagement, cette augmentation est de 1,37 milliard d'euros. Cette hausse nous place ainsi sur la trajectoire de l'engagement du Président de la République : passer de 0,42 % à 0,55 % de la richesse nationale consacrée à l'aide publique au développement d'ici à 2022. Selon les hypothèses de croissance actuelles, cette aide passera ainsi de 8,6 milliards d'euros en 2016 à plus de 15 milliards en 2022, alors qu'elle n'a jamais dépassé les 10 milliards au cours de notre histoire. Pour cela, il faut augmenter les autorisations d'engagement dès 2019 pour être en mesure de les décaisser en 2022.
L'augmentation de la dotation du programme résulte d'un apport de 100 millions d'euros en crédits de paiement, mais aussi de la budgétisation d'une partie des crédits extra-budgétaires de la taxe sur les transactions financières, à hauteur de 190 millions d'euros. Je connais les interrogations qu'a suscitées cette décision, et nous nous en sommes expliqués avec les ONG dans le bureau du Président de la République. Je suis très attaché à cette décision : si nous ne faisons pas passer par le processus budgétaire ces 190 millions qui devaient aller directement à l'AFD, nous serons dans l'impossibilité de mobiliser les autorisations d'engagement que nous avons prévues pour 2019 et de financer la hausse d'un milliard d'euros de l'aide-projet. Je crois que les ONG sont conscientes de cet enjeu.
La répartition de ces crédits suit les priorités détaillées par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) du 8 février 2018 : éducation et jeunesse, santé, fragilités et crises, climats, égalité entre les femmes et les hommes. Les choix géographiques sont assumés, avec 19 pays prioritaires dont Haïti et 18 pays africains.
L'action menée à travers le programme 209 répond à une triple logique. D'abord, le renforcement de l'action bilatérale, sur lequel je m'étais engagé devant vous. Notre action bilatérale nous permet de projeter dans le monde nos priorités géographiques et sectorielles et de peser sur les décisions de nos partenaires et des instances multilatérales. Ainsi, la forte augmentation des crédits de l'aide publique au développement ira, pour les deux tiers, à la coopération bilatérale et pour le tiers restant à la coopération multilatérale.
L'AFD devra donc rehausser sa trajectoire de croissance en augmentant son activité de 72 % en cinq ans pour la porter à 17,9 milliards d'euros en 2022, tous instruments confondus. Une application mécanique des règles actuelles augmenterait de 187 % la rémunération de l'AFD pour la porter à 99 millions. Ces règles ne sont pas adaptées ; il faut trouver un autre mode de calcul à long terme. J'ai déjà indiqué à l'AFD que sa rémunération serait inférieure à ce montant, et la différence sera entièrement reversée au Fonds de solidarité pour les partenariats innovants (FSPI) grâce auquel les ambassadeurs peuvent financer des projets de terrain d'un montant modeste, mais dans des délais très ramassés.
Deuxième choix, celui d'augmenter la part de notre engagement sous forme de dons.
M. Christian Cambon, président. - C'est une demande ancienne de notre commission.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Cette part s'était considérablement réduite ; or les prêts ne permettent pas de contribuer au développement des pays les plus pauvres, qui ne sont pas solvables. Cet engagement très significatif s'élève à 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 280 millions d'euros en crédits de paiements, pour lever ce paradoxe de la politique de développement française.
Autre engagement que je crois avoir pris devant vous, nous allons doubler les fonds transitant par les organisations de la société civile d'ici à 2022. Dès 2019, la subvention en dons-ONG mise en oeuvre par l'AFD augmentera de 18 millions d'euros pour atteindre 85 millions, et le soutien aux dispositifs de volontariat sera porté à 20 millions d'euros.
Nous allons enfin augmenter de 5 % les crédits de coopération décentralisée pour les porter à 9,3 millions d'euros, dans la perspective d'un doublement à l'horizon 2022. C'est un relais d'influence majeur pour notre image dans le monde et un canal important d'intervention pour notre aide au développement, et pour la promotion et l'attractivité de nos territoires. Je compte en particulier sur les collectivités pour la mobilisation en faveur du développement de la zone Sahel et la préparation du sommet Afrique-France de 2020 consacré à la ville durable.
Au titre des leviers bilatéraux, Expertise France bénéficiera d'un soutien renouvelé de l'État, avec 36,6 millions d'euros incluant le transfert de la gestion des experts techniques internationaux. Canal France International, de son côté, recevra 8,2 millions d'euros.
Notre aide bilatérale inclut aussi les crédits humanitaires et dédiés à la gestion de crise qui augmenteront de 16 % pour atteindre 100 millions d'euros en 2019. Là encore, c'est un engagement que j'avais pris devant vous, qui s'inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie humanitaire française 2018-2022 et répond aux conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de février 2018 préconisant un accroissement significatif de l'aide d'urgence d'ici à 2022.
Dans le domaine de l'aide aux réfugiés, le Centre de crise et de soutien (CDCS) financera des projets portés par des ONG, notamment dans les domaines de l'aide médicale d'urgence, de l'accès aux services sanitaires de base et de l'amélioration des conditions d'hygiène. Les réfugiés syriens continueront à être une priorité de l'action du CDCS.
Notre action en matière de développement répond aussi à une logique multilatérale. Le Président de la République a rappelé à l'assemblée générale des Nations-Unies la détermination de la France à promouvoir un multilatéralisme efficace et responsable. Cela implique un soutien politique et financier important au système de développement et d'aide humanitaire des Nations-Unies. Notre appui en faveur des organisations internationales atteindra ainsi 194 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 29 % en un an. Nous renforcerons en particulier notre aide aux agences impliquées dans l'action humanitaire, que ce soit le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR), l'Organisation internationale des migrations (OIM) ou l'Office de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (en anglais UNRWA). J'ai ainsi annoncé la semaine dernière à New York que nous allions doubler notre aide en faveur de l'UNRWA pour compenser le retrait des États-Unis. Enfin, nous augmentons de 26 millions d'euros en 2019 notre contribution au Programme mondial pour l'éducation, conformément aux annonces du Président de la République à Dakar.
Notre politique de développement se déploie selon une logique européenne : la moitié des crédits du programme, c'est-à-dire 878 millions d'euros, soit 28 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'an dernier, alimente le Fonds européen de développement, dont les objectifs sont d'éradiquer la pauvreté, de promouvoir le développement durable et d'intégrer dans l'économie mondiale les pays signataires de la Convention de Lomé et de l'accord de Cotonou. C'est de loin le plus gros poste budgétaire du ministère. Vous noterez la forte adéquation entre ces priorités et celles que j'évoquais tout à l'heure.
Pour fixer la trajectoire à long terme de cette augmentation de notre aide publique au développement, une nouvelle loi d'orientation et de programmation verra le jour. Elle vous sera présentée au cours du premier trimestre 2019, sur la base d'une consultation des parties prenantes et du rapport remis en août dernier par le député Hervé Berville, qui souligne notamment la nécessité de mettre en place une politique d'évaluation exigeante.
Simultanément, le président de la République a souhaité organiser autour de lui un conseil de développement, et j'ai pour ma part réactivé le conseil d'orientation stratégique de l'AFD, que j'ai réuni deux fois en moins d'un an alors qu'il ne s'était pas réuni depuis plusieurs années.
Deux rendez-vous majeurs auront lieu en 2019. D'abord, la présidence française du G7, qui comprendra un important volet développement. Dans la continuité de Charlevoix, nous porterons d'abord une vision engagée sur les enjeux liés à l'éducation, en promouvant le rôle de Paris comme hub mondial de l'éducation, ainsi que de la santé. Nous aurons aussi l'occasion durant cette présidence d'évoquer les enjeux de sécurité alimentaire ; une réunion ministérielle conjointe éducation-développement est envisagée, et les questions environnementales et climatiques ne seront pas oubliées. Nous nous plaçons dans la continuité de la présidence canadienne, mais en insistant avec détermination sur la lutte contre les inégalités, ainsi que l'a annoncé le président de la République dans son discours à l'assemblée générale des Nations unies.
L'autre rendez-vous majeur, c'est la tenue à Lyon, le 10 octobre 2019, de la prochaine conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les financements que nous y récolteront permettront d'assurer la mise en oeuvre de la seconde partie de la stratégie du Fonds mondial pour 2017-2022.
M. Christian Cambon, président. - Merci, Monsieur le ministre, pour ces éclairages, qui contiennent un certain nombre de bonnes nouvelles. Voyons s'ils ont convaincu nos collègues, tous soucieux de soutenir l'action de l'État visant à la présence et au rayonnement de la France à l'extérieur...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde ». - Je voudrais d'abord remercier vos collaborateurs, Monsieur le ministre, qui ont répondu en amont à un grand nombre de mes questions, ajoutant des éléments à ceux fournis la semaine dernière par le secrétaire général du ministère.
Dans votre budget, il y a des gagnants et des perdants. L'aide au développement ou les missions de maintien de la paix sont incontestablement gagnantes. Le vrai sujet réside toutefois dans la diminution de 10 % de la masse salariale, qui nous inquiète ici au Sénat, et qui inquiète aussi dans votre maison, Monsieur le ministre. Depuis que le Premier ministre l'a annoncé à l'occasion de la conférence des ambassadeurs, l'inquiétude n'a cessé de monter. Nous avons vu des ambassadeurs inquiets, d'autres furieux, d'autres encore quasiment humiliés. À chacun vous demandez de faire des efforts. Vous analyserez leurs propositions, mais qu'allez-vous en faire ? Qu'elles portent sur 2019, 2020 ou 2021, le compte n'y sera pas, et tous vous diront qu'ils n'arrivent pas à faire leur boulot correctement ! Et après ? Vous avez été un ministre de la défense sachant défendre ses soldats, saurez-vous défendre vos diplomates ? Et vous retournerez-vous vers le Premier ministre pour lui dire « monsieur le Premier ministre, je n'y arrive pas... » ?
Quel réseau international voulez-vous pour notre pays ? Diminuer la masse salariale de 10 %, c'est diminuer les effectifs, donc notre poids dans le monde, alors que les budgets des affaires étrangères de l'Angleterre et de l'Allemagne, ainsi que leur nombre d'ambassades et leurs effectifs, augmentent ! Si la taille de notre réseau international nous place depuis l'an dernier au troisième rang mondial - car après les Américains, les Chinois nous sont passés devant -, nous arrivons à rester devant l'Angleterre grâce à nos consulats. L'Angleterre et l'Allemagne ont cependant plus d'agents dans leurs ambassades et leurs consulats que nous ! Qu'allez-vous faire pour maintenir notre rang ?
Vous avez évoqué le plan de sécurisation : 100 millions d'euros sur deux ans, soit 50 millions d'euros par an. Mais pour sécuriser nos ambassades et nos lycées, il faut des recettes. Celle que vous mettez en face, c'est la vente de vos biens immobiliers. Le secrétaire général du ministère nous l'a dit : en 2019, elles ne rapporteront que 30 millions d'euros. Comment financer 50 millions avec 30 millions, et comment financer ainsi 100 millions en deux ans ? J'exprimerai dans mon rapport des inquiétudes sur ce plan de financement.
M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». - Merci, Monsieur le ministre, pour vos réponses aux questions que M. Vallini et moi-même, rapporteurs pour avis du programme 185, allions poser...
Ainsi, les Alliances garderont leur indépendance : vous nous rassurez. Mais le budget de l'Institut n'augmentant pas, le niveau de service ne sera pas amélioré et la mise en place du plan en faveur de la langue française et du plurilinguisme sera fragilisée.
Le président de la République a souhaité que l'on passe de 350 000 à 700 000 élèves dans les lycées français à l'étranger, soit. Les élèves supplémentaires seront majoritairement étrangers, ce qui est très bien, mais il y aura tout de même des élèves français de familles à revenus modestes, éligibles à des bourses. Pour répondre à cette demande, les 105 millions d'euros, même augmentés à 110 millions grâce à la soulte, ne suffiront pas.
On nous dit que la mobilité des chercheurs de haut niveau est freinée par des problèmes d'obtention de visas, en dépit des souhaits du président. Est-il en outre toujours pertinent de rattacher la coopération scientifique à la coopération culturelle ? La science et l'innovation sont des enjeux d'abord économiques...
Quelles perspectives, enfin, pour la diplomatie économique, qui est devenue une mission à part entière du Quai d'Orsay ? Le rôle des ambassades sera-t-il réduit par la mise en place des guichets uniques dont parlait l'ambassadeur Lecourtier ? Est-ce un retour en arrière par rapport à l'élan donné à notre diplomatie économique en 2014 ?
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Ma première question portait sur l'aide à la scolarité, mais les services du ministère nous ont dit qu'elle serait garantie par la soulte.
Une autre question a surgi lors de nos travaux. Le Brexit rendra peut-être nécessaires des visas ou de nouveaux documents. Pour exécuter cette lourde tâche, il faudra peut-être des agents, aussi nombreux que tous ceux mis à disposition des consulats dans l'ensemble des pays... Nous aimerions, comme les nombreux Français qui se rendent à Londres tous les jours, être rassurés sur ce point.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ». - Quelles conséquences la réduction de la masse salariale aura-t-elle à terme sur notre réseau et notre stratégie d'influence ? Implique-t-elle un recours accru aux contrats locaux ? Bref, faut-il s'inquiéter pour le statut d'expatrié ?
Le président de la République a dit vouloir doubler le nombre d'élèves des lycées français. C'est une bonne chose, mais cela pose la question du nombre de bourses, de leur montant, et du barème, surtout si c'est la soulte qui les finance. Se garder une poire pour la soif, pourquoi pas, mais ce n'est pas une solution pérenne.
Je m'interroge également sur les aides sociales - leur enveloppe, leur barème - ainsi que sur le soutien au tissu associatif français à l'étranger (Stafe) depuis la suppression de la réserve parlementaire...
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteur pour avis des programmes 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement ». - Je me félicite de la volonté de rééquilibrer le budget de l'APD en faveur des dons : c'était une demande récurrente de notre commission.
Le triplement des autorisations d'engagement pour l'aide bilatérale permettra notamment à l'AFD de passer de 10,3 milliards d'engagement en 2017 à 14 milliards d'euros à l'horizon 2020, conformément à la feuille de route fixée par le gouvernement. Mais l'AFD est dans une situation complexe. D'abord, le risque pays se dégrade dans certaines zones géographiques prioritaires, comme la Turquie. Ensuite, l'agence atteint sa limite prudentielle « grands risques » pour certains de ses gros emprunteurs, tels les pays du Maghreb. Enfin, plusieurs pays africains emprunteurs s'approchent ou ont atteint le niveau de surendettement. Pour sortir de cette situation, l'AFD réclame qu'on étende son mandat à de nouveaux pays ; elle a obtenu satisfaction récemment pour les Balkans et elle multiplie ses efforts de prospection pour trouver des contreparties non souveraines. N'est-il pas préférable de ne financer que des projets nécessaires dont les pays en développement sont demandeurs ?
Vous avez dit vouloir faire évoluer la culture de l'évaluation, et nous partageons votre analyse. Ces nouveaux projets ne doivent-ils pas d'autant plus bénéficier d'une évaluation ? Nous savons que nous avons un retard en la matière, sur le Royaume-Uni en particulier.
Monsieur le ministre, vous êtes mieux placé que quiconque, compte tenu de votre parcours ministériel, pour connaître l'importance du continuum sécurité-développement. Une de ses composantes fortes était la mise en oeuvre de projets d'expertise par Expertise France. Vous connaissez les turbulences de cet été. Much ado about nothing, beaucoup de bruit pour rien, comme aurait dit Shakespeare. Ou plutôt : beaucoup de bruit pour beaucoup de temps perdu et un grand gâchis d'énergie. Le continuum sécurité-développement est impératif et Expertise France a fait preuve en quatre ans de sa capacité de gestion, notamment au Sahel. Nous serons attentifs à ce que vous pourrez faire, Monsieur le ministre, pour que les soubresauts de l'été dernier ne se reproduisent pas et que cette agence continue à jouir d'une certaine autonomie, car son action, complémentaire de celle de l'AFD, ne saurait se dissoudre dans celle-ci.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Merci d'avoir rappelé que j'avais défendu le budget de la défense à une époque antérieure. Merci aussi de constater que jamais le budget de l'aide au développement n'a été aussi élevé. Qui d'entre vous l'année dernière me prenait au sérieux lorsque j'annonçais des chiffres aussi élevés ? Ils sont pourtant au rendez-vous. J'avais annoncé une loi, vous l'aurez ; j'avais annoncé le rééquilibrage des dons par rapport aux prêts : c'est fait ; j'avais annoncé qu'on doublerait la part donnée aux ONG et qu'on atteindrait le chiffre de 10 % en fin d'exercice : c'est encore le cas. À chaque jour suffit sa peine. Constatons ensemble les progrès et laissez-moi un peu de travail pour la suite - si suite il doit y avoir.
La diminution de la masse salariale du ministère représente 13 millions d'euros, sur un budget de personnel d'1 milliard d'euros. Relativisons donc les choses. Certaines formations politiques promettaient lors des dernières élections présidentielles des baisses bien plus radicales des dépenses publiques. Nous sommes, pour notre part, dans une logique de maîtrise des dépenses publiques à laquelle le ministère participe, à son niveau. Ce n'est pas toujours simple, mais cette démarche de réorganisation nous permet de donner aux ambassadeurs un rôle nouveau, qu'ils devront assumer. Ils le réclamaient depuis longtemps : ils viennent de l'avoir.
C'est une manière de répondre à votre interrogation sur la sécurité. Nous allons hériter de 215 implantations physiques. Visitez les lieux : vous verrez que certains bâtiments, abritant des services qui ne dépendaient naguère pas du ministère des affaires étrangères pour des raisons historiques ou par volonté d'autonomie, sont devenus redondants. Nous allons gérer autrement ces bâtiments. Ce sont effectivement leur vente qui permettra, entre 2021 et 2025, de rembourser les 100 millions d'euros dont j'ai parlé. Nous sommes parvenus à ce résultat grâce à une relation assez tonique avec le ministère du budget. Mon souci principal est de dépenser ces 100 millions d'euros en réalisant les travaux de sécurité nécessaires. J'ai visité le site qui a subi un attentat à Ouagadougou l'an dernier : si les travaux n'avaient pas été faits, nous aurions eu des morts dans l'ambassade. C'est donc une nécessité absolue.
J'apprécierai la situation une fois que les ambassadeurs m'auront remis leurs rapports, mais je n'ai en toute hypothèse pas l'intention de toucher aux fondamentaux de notre présence dans le monde. Vous avez raison de dire qu'il faut être vigilant à ne pas passer derrière la Grande-Bretagne, qui remonte, c'est vrai, mais après avoir beaucoup baissé. Nous, nous avons gardé l'universalité de notre réseau, et il n'est pas question de revenir dessus, car c'est un atout majeur, notamment aux Nations unies. Je pense que nous pouvons relever en 2019 ce challenge de 13 millions d'euros : il est somme toute modeste, compte tenu des fonctions support que nous récupérons.
Oui monsieur Del Picchia, l'autonomie des Alliances est maintenue. Il y avait des risques, mais j'y ai mis bon ordre. Il y a 834 Alliances françaises dans le monde. Toutes ne sont pas homologuées pour certaines missions, mais il faut respecter les initiatives prises par les différents acteurs là où ils sont, qui participent de la présence de la France. L'Institut bénéficie de 2 millions d'euros supplémentaires pour renforcer son action de diffusion de la langue.
L'an dernier, nous avons dépensé 105 millions d'euros pour les bourses à destination des élèves français. Nous n'avons pas besoin de budgéter 110 millions d'euros si 105 seulement sont dépensés. Toutefois, si d'aventure nous avions besoin de plus, le complément serait apporté. Les critères d'attribution des bourses sont fixés pays par pays, car on ne saurait fixer de règle au niveau national.
La coopération culturelle inclut la coopération universitaire. Il y a donc lieu, dans un souci de rationalisation et de cohérence, de maintenir ensemble les coopérations scientifique et culturelle.
S'agissant du rôle des ambassadeurs dans la diplomatie économique, il n'y a pas retour en arrière, mais marche en avant ! Pour améliorer la lisibilité du dispositif, qui est la préoccupation principale, nous confions aux régions la responsabilité du soutien des entreprises à l'international. Nous avons déjà signé cinq ou six accords dont un encore, récemment, avec la région Normandie. Ce qui manque en France, c'est la culture à l'exportation des ETI et des PME, car les grands groupes, eux, ont une logistique propre, qui facilite l'intervention directe du politique, le cas échéant. Des membres de Business France seront délégués auprès des présidents de régions, qui sont les mieux placés pour aider les petites entreprises. En aval, l'ambassade coordonnera l'ensemble, et désignera un acteur - qui pourra être Business France, une Chambre de commerce internationale, ou un autre acteur - pour accueillir nos entreprises sur place. Ancien président de région et désormais ministre fréquemment en visite sur le terrain, je sais bien que trop d'acteurs s'occupent de la même chose. C'est un travail de longue durée, que je mets en oeuvre avec beaucoup de détermination car il est essentiel : je vous rappelle que notre déficit commercial est de 60 milliards d'euros.
Le Brexit nous préoccupe beaucoup. En cas de Brexit dur, une vingtaine de postes seront affectés dans les consulats si nécessaire. Nous souhaitons qu'un accord soit signé, mais en toute hypothèse, notre relation avec le Royaume-Uni va changer, ce qui nous oblige à nous adapter.
Monsieur Temal, l'action sociale reste inchangée. On ne peut définir des barèmes de bourses nationalement, car les situations locales sont trop disparates. Quant au statut des expatriés, il n'est pas remis en cause. La proportion entre expatriés et contrats locaux pourra varier, mais ces derniers restent nécessaires pour assurer notre permanence partout.
Comme l'a dit Mme Perol-Dumont, l'AFD doit évoluer et doit être plus vigilante à l'égard des pays à qui elle accorde des dons-projets. La priorité est donnée aux 18 pays d'Afrique et à Tahiti. Mais l'AFD n'est pas indépendante, et j'y veillerai.
Je regrette la situation qu'a connue Expertise France qui, à l'avenir, devra travailler en étroite collaboration avec l'AFD. Cela dit, sa création ne remonte qu'à 2014.
M. Christian Cambon, président. - C'est le Sénat - j'en parle en connaissance de cause, j'étais rapporteur ! - qui avait alors souhaité rassembler différents services pour créer Expertise France. Malheureusement, la résistance de certains a mis en échec cette entreprise, même si on peut imaginer que ce rapprochement avec l'AFD gomme, à terme, ces différences.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - L'idée était bonne. Effectivement, des résistances se sont exprimées. Mais nous devons davantage associer les ministères de l'agriculture, de l'intérieur, de la justice à Expertise France. En outre, le rapprochement entre Expertise France et l'AFD sera réalisé en 2019. Ainsi nous pourrons assurer un continuum entre les actions militaires et l'aide apportée ensuite aux pays. Nous sommes en train de contractualiser sur ce point avec le ministère de l'intérieur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous n'avez pas parlé de l'audiovisuel extérieur, sous-financé, alors qu'il est essentiel à notre politique d'influence à l'étranger. Ne pourrait-on utiliser une partie du budget de l'AFD ? L'audiovisuel extérieur concoure en effet à l'enseignement primaire, en Afrique notamment. De même, il permet de prévenir le terrorisme et d'oeuvrer en faveur du développement durable.
La suppression des journées de défense et citoyenneté à l'étranger a été annoncée la semaine dernière. C'est totalement aberrant. À l'étranger, plus qu'ailleurs, il est nécessaire de tisser un lien entre le pays et nos jeunes, ce qui permet, par exemple, de prévenir le radicalisme. L'exécutif veut nous imposer un service national universel très onéreux alors que ces JDC ne coûtent quasiment rien. C'est une erreur fondamentale.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous avez annoncé la hausse globale de votre budget et notamment celle de l'APD. Mais à y regarder de près, tout n'est pas si rose. N'y a-t-il pas danger à dire que tout va mieux ? Bercy ne risque-t-il pas de continuer à vous demander des économies, d'autant qu'il vous impose de réduire votre masse salariale de 10 % ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Cette diminution ne sera complète qu'en 2022.
Mme Hélène Conway-Mouret. - C'est quand même une annonce inédite. Les ambassadeurs vont procéder à des coupes drastiques, ce qui va affecter la qualité du service public.
En outre, le ministère du budget a décidé qu'il ne garantirait plus les prêts de l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger (Anefe). Huit établissements scolaires vont être affectés, dont ceux de Panama, de Varsovie et de Mascate. Votre ministère entend-il demander au Trésor d'accorder à nouveau cette garantie afin que les travaux indispensables puissent avoir lieu ?
Mme Christine Prunaud. - Nous sommes nombreux à nous inquiéter de l'avenir des Alliances françaises et de l'Institut français. Avec le président du groupe d'amitié France-Palestine, Gilbert Roger, nous revenons de Palestine et nous avons appris que l'Institut français de Naplouse était fermé. Le consul de France nous a accompagnés à l'Institut de Ramallah dont le budget est financé aux trois-quarts par l'Allemagne, la France se contentant d'en verser 25 %. Il est important de préserver ces instituts. Envisagez-vous de rouvrir celui de Naplouse ?
M. Yannick Vaugrenard. - Vous avez dit, monsieur le ministre, qu'en 2019, nous assisterions à des crises régionales à répétition et à la fin du multilatéralisme. Les quatre autres membres permanents du conseil de sécurité vont-ils accroître leurs contributions à l'ONU en 2019 ? Ces chiffres nous permettraient de nous comparer aux autres grandes puissances, alors que nous avons prévu une augmentation de 3,19 %. Nous demanderons également à Mme Parly de nous fournir ces données.
M. François Patriat. - Le budget dédié à la mission « APD » est conforme aux engagements du président de la République de faire de cette aide une priorité budgétaire du quinquennat et de passer à 0,55 % du PIB d'ici 2022. Cette augmentation est également conforme aux orientations du comité interministériel de la coopération internationale et du développement qui a lancé une réforme d'ampleur de notre APD. Ce message volontariste, envoyé à nos partenaires internationaux, conforte nos engagements en faveur du développement durable pris lors du Sommet des Nations-Unies en 2015 à New-York et du programme d'action d'Addis-Abeba sur le financement du développement.
Le changement climatique a de multiples effets sur tous les continents : c'est un défi de taille pour notre APD : 1,5 milliard sont destinés à l'adaptation au changement climatique, notamment en Afrique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Richard Yung. - Nous nous réjouissons tous de l'augmentation des crédits APD.
Il est prévu d'affecter en deux ans 100 millions aux travaux de sécurité. Mais cette avance étant remboursable, il va falloir vendre davantage de biens immobiliers pour alimenter le CAS.
Je suis favorable au fait qu'Expertise France travaille en étroite collaboration avec l'AFD, car elle pourra étudier au mieux les appels d'offre. Quelles sont les évolutions à venir ?
M. Olivier Cadic. - Lors de mon intervention l'an passé, j'avais rappelé qu'il existait 495 écoles françaises à l'étranger. Or, il se créé environ 700 écoles anglaises et américaines par an. Je vous avais proposé de doubler le nombre d'écoles françaises en cinq ans et de le doubler encore en dix ans. Je me réjouis que le président de la République ait annoncé à l'Institut français le doublement du nombre d'écoles d'ici 2025 ou 2030, ce qui signifierait 40 nouvelles écoles par an. Combien d'écoles seront-elles créées en 2019 et en 2020 ?
M. Hugues Saury. - Mme Perol-Dumont a posé la question que je souhaitais poser et la réponse du ministre me donne satisfaction.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - France Multimédia s'inquiète de la réduction de 1,6 million de son budget. Nous réfléchissons à la manière de l'aider, mais je ne voudrais pas que l'augmentation de notre budget serve à compenser des baisses ponctuelles ici ou là. La vocation de l'AFD doit être respectée.
Je n'ai pas d'informations particulières concernant les journées citoyennes.
Il existe 500 écoles françaises à l'étranger et nous travaillons à en augmenter le nombre, conformément aux souhaits du président de la République. Nous voulons faire émerger de nouvelles écoles, y compris privées, mais toutes devront être homologuées pour faire valoir la qualité de l'enseignement dispensé. D'ici la fin de l'année, nous présenterons les orientations retenues.
Je ne dispose pas des chiffres que m'a demandés M. Vaugrenard, mais je constate l'importance que prend la Chine au sein du Conseil de sécurité et, de façon plus générale, au niveau diplomatique. Nous sommes très vigilants sur notre représentation à New-York car nous devons jouer tout notre rôle au sein du Conseil de sécurité.
L'Institut de Naplouse était peu fréquenté et les risques sécuritaires étaient majeurs, d'où notre décision de fermeture temporaire. Nous avons 27 agents du ministère des affaires étrangères dans les écoles françaises des territoires palestiniens.
Les engagements à venir de l'AFD seront 100 % compatibles avec les accords de Paris, monsieur Patriat. Le principe d'affectation spécifique dépend des accords avec les différents pays. Je pense notamment au projet emblématique de Saint-Louis du Sénégal.
Les lycées doivent pouvoir continuer à emprunter, madame Conway-Mouret. Nous ne partageons pas les conclusions de l'audit mené par Bercy : nous essayons donc de trouver rapidement une solution.
Le remboursement des travaux de sécurité se fera par la vente d'immeubles, monsieur Yung mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons bénéficié de 215 immeubles supplémentaires. Il nous faut surtout régler les questions de Bagdad et de Kaboul. Je crois que nous sommes parvenus à un bon compromis.
M. Christian Cambon, président. - En matière d'aide au développement, les engagements sont tenus. Nous sommes sensibles à la priorité donnée aux dons pour les dix-neuf pays.
Nous voulons vous mettre en garde contre l'importance grandissante de l'AFD. Le plan stratégique pour les cinq années à venir va nous être présenté : nous en reparlerons donc. Mme Perol-Dumont nous a quand même rappelé que l'Agence est à la recherche de nouveaux pays pour dépenser ses crédits, alors que votre ministère est contraint de faire des économies ridicules qui menacent le rayonnement de la France. Les documents qui nous ont été transmis sont muets sur l'indispensable évaluation. Comme l'a dit le président de la République, chaque euro dépensé doit être utile. Nous allons y veiller.
Notre inquiétude sur les moyens alloués à l'action extérieure de l'État est bienveillante. Nous voulons vous aider, comme nous l'avons fait lorsque vous étiez ministre de la défense. Dans une ambassade, la suppression d'un ou deux postes peut déstabiliser tout un service. Nous comptons sur votre ténacité pour faire en sorte que les moyens affectés au rayonnement de la France soient renforcés dès l'année prochaine. Rien ne sert de renforcer nos forces armées si notre diplomatie n'est pas à la hauteur. Nos contributions aux grands organismes internationaux ne sont pas dignes de la France et nous sommes montrés du doigt, notamment à l'ONU.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nos participations augmentent à nouveau dans différentes agences des Nations Unies : je pense à l'éducation, aux réfugiés et au fonds pour le Sida.
M. Ladislas Poniatowski. - Pour d'autres, ce n'est pas le cas.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Certes, mais nous remontons la pente.
M. Christian Cambon, président. - Nous devons faire rayonner la France.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18h30.
Mercredi 10 octobre 2018
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 09 h 45.
Projet de loi de finances pour 2019 - Audition de l'Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine
M. Christian Cambon, président. - Amiral, nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi de finances pour 2019.
Nous vous avions entendu en avril, avec grand intérêt, sur la LPM. Celle-ci n'a pas tout résolu, mais elle est allée dans le bon sens, celui d'une remontée en puissance des moyens des armées. L'heure de l'exécution a maintenant sonné.
La LPM a permis de maintenir le calendrier des grands programmes structurants pour la marine : FREMM, FTI, rénovation des Atlantique2, SNA Barracuda... Une FREMM et 2 NH90 doivent être livrés cette année, 4 SNA d'ici à 2025, malgré le retard que l'on connaît. La LPM prévoit également le lancement d'études en vue d'un nouveau porte-avions, afin de préparer la succession du Charles de Gaulle. Nous avons cru comprendre que les crédits d'étude amont ont été débloqués de façon satisfaisante pour le prochain porte-avions, vous confirmez ? De même, disposez-vous de moyens suffisants pour faire avancer le programme de drones tactiques de la marine (programme SDAM), qui arrivera bien tardivement à notre goût...
En dehors de ces grands programmes d'équipements, ce PLF 2019 est-il, pour la marine, conforme aux trajectoires prévues pour les ressources humaines, les infrastructures et le soutien, notamment le maintien en condition opérationnelle ?
La Marine est la première à basculer sur Source Solde en 2019 : quel est votre degré de confiance ?
Pour mettre en oeuvre les orientations de la LPM au cours des prochaines années, vous avez mis en place un plan stratégique pour la marine, le plan Mercator.
Nous sommes particulièrement attentifs à la situation des marins, dans le contexte actuel de suremploi des forces. Ce budget vous permettra-t-il, notamment, de doubler les équipages de FREMM, comme vous le souhaitez, pour améliorer la condition des personnels, actuellement marquée par une forte imprévisibilité ?
Dans le contexte stratégique actuel, disposer d'une marine moderne, bien équipée, réactive, est indispensable, alors que de nombreuses puissances mondiales et régionales développent leurs capacités maritimes, à commencer par la Chine et la Russie. Les espaces maritimes du monde entier sont au coeur de stratégies d'appropriation, de la Méditerranée à la mer de Chine, et de l'Arctique à l'Océan indien.
Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine.- Bonjour à tous, quelques mots d'abord sur les faits opérationnels marquants depuis que nous nous sommes vus cet été :
Comme je l'avais évoqué avec vous il y a quelques mois, nous avons depuis 2015, en permanence, une frégate de combat en Méditerranée Orientale, au large de la Syrie. Elle remplit deux rôles principaux :
- Un rôle de suivi de situation (tenue à jour de la situation tactique en mer, veille radio et radar au-dessus de la terre) qui contribue à notre autonomie d'appréciation de situation. Ce n'est pas le seul senseur sur le théâtre mais c'est une source indépendante précieuse pour reconstituer l'image complète du théâtre ;
- Un rôle de « pied dans la porte » : rester intégrés aux réseaux alliés (réseaux de commandement, liaisons de données tactiques, renseignement...) pour être capables à tout moment d'y intégrer une force navale de plus grande ampleur.
Cette permanence nous a permis de constater, en 3 ans, le changement d'environnement tactique : d'abord, quantitatif (25 bâtiments russes en Méditerranée début septembre) ; ensuite, en terme de posture (avec un marquage régulier de nos unités).
Actuellement c'est l'Auvergne qui patrouille en Méditerranée orientale. Vous avez tous suivi il y a quelques semaines l'engagement par méprise d'un Iliouchine 20 russe par la défense antiaérienne syrienne. Les missiles sont passés à quelques nautiques de l'Auvergne.
Je crois profondément que la conjonction de la présence de forces navales nombreuses de postures déclaratoires agressives et d'une image tactique extrêmement complexe et imbriquée rend la zone réellement dangereuse, et que le risque qu'une de nos unités soit, à l'avenir, la cible, volontaire ou non, d'un tir de missile, est bien réel.
Et ce n'est pas la seule partie du monde où ce risque existe. Dans le détroit de Bab-el-Mandeb, au sud de la mer Rouge, par exemple, une dizaine de bâtiments militaires et de commerce ont été attaqués. Nous devons nous réapproprier la réalité de cette menace ; ça veut dire que nous devons recompléter nos stocks de munitions, j'y reviendrai ; ça veut dire que nous devons changer notre politique d'entraînement au tir, c'est l'une des mesures du plan Mercator dont je vous dirai quelques mots à la fin.
Deuxième fait opérationnel marquant, c'est la saisie de 7,5 tonnes de haschich par la frégate Floréal il y a trois semaines dans le nord de l'océan Indien. Il s'agit d'une frégate basée à la Réunion, travaillant en tandem avec les Australiens, sous commandement interallié du CTF 150, comprenant 33 pays. La drogue vient probablement d'Afghanistan, elle atterrit en Afrique de l'Est, elle retraverse l'Afrique du sud au nord et une grande partie revient en Europe, en contribuant à entretenir, comme vous le savez, la criminalité armée tout au long de sa route.
Même si ça demande des savoir-faire très élaborés, avec du renseignement en amont, des commandos, des tireurs d'élite et tout un équipage bien entraîné, c'est quand même plus facile d'intercepter 7,5 tonnes en une fois que des millions de « barrettes » dans les rues.
Quand je dis « notre défense commence au large », c'est exactement ça. Quand je dis « une marine d'emploi » (j'y reviendrai), c'est exactement ça. Une marine d'emploi, c'est une frégate française, habituée de ces zones, habituée à travailler avec les Australiens et la coalition dans la TF 150, parce que toute l'année, depuis fin 2001, il y a en permanence un bâtiment français déployé dans cette zone du nord de l'Océan indien.
Une marine d'emploi c'est ça : c'est une frégate qui a l'endurance, le carburant, les appuis logistiques, les pièces de rechange, les munitions et les vivres pour passer 4 à 5 mois à des milliers de kilomètres de son port-base. C'est un défi de tous les jours. Nous avons connu des marines qui étaient des marines d'emploi il y a dix ans et qui ne le sont plus.
Troisième fait opérationnel marquant : le record absolu battu le 18 août dernier par un hélicoptère Dauphin de la marine nationale en Polynésie, pour porter secours à un homme signalé dans un état critique aux Tuamotu, qui a été ramené et soigné à Tahiti. L'hélicoptère a parcouru un total de 3 246 km en quatorze heures.
Cet exploit illustre d'une part les distances considérables que recouvre notre zone maritime, notamment dans le Pacifique Sud, et d'autre part le fait que, aux Tuamotu comme dans beaucoup d'autres endroits dans le monde, les moyens de la Marine nationale, et notamment les aéronefs, sont souvent les premiers et parfois les seuls à pouvoir mener ce type de mission d'assistance et de sauvetage.
Quatrième et dernier fait opérationnel marquant que je voulais vous présenter, c'est le retour, il y a quelques jours, de la 500e patrouille de SNLE. 500e patrouille depuis le Redoutable en janvier 1972. C'est une prouesse à plusieurs égards : opérationnelle, technique et humaine bien entendu. Je voudrais revenir sur l'aspect technique. C'est en réalité une double prouesse technique :
- d'abord, avoir construit successivement deux générations de SNLE, des programmes qui courent sur plusieurs décennies, leurs missiles, leurs infrastructures, sans aucune interruption, sans aucune baisse de performance opérationnelle, en toute autonomie ;
- ensuite, les avoir entretenus pendant 47 ans, sans faire aucun écart, aucun compromis, parce qu'à plusieurs centaines de mètres de profondeur il n'y a pas d'assistance, pas de hotline ;
- pendant 47 ans, ce sont des parlementaires comme vous qui ont soutenu la Force Océanique Stratégique, voté 47 lois de finances, 47 annuités de crédits d'équipements et de crédits d'entretien. Pendant 47 ans, ce sont des générations de parlementaires qui, dans 47 lois de finance successives, ont fait le choix du long terme et de l'indépendance nationale.
Venons-en maintenant à ce projet de loi de finances 2019. Première chose, il est conforme, à la virgule près, à la loi de programmation militaire.
Deuxième chose, il va nous permettre, très concrètement, dès l'an prochain, de combler des ruptures capacitaires : par exemple, un nouveau patrouilleur aux Antilles, la Combattante : c'était notre plus ancienne RTC, depuis 2010, Troisième chose, le renouvellement de nos moyens de combat, j'y ai déjà fait référence tout à l'heure, se poursuit : livraison de la FREMM n°6, la Normandie, et des deux premiers Atlantique 2 rénovés. J'ai choisi ces deux exemples parmi d'autres parce que le renouvellement de nos moyens de lutte sous la mer est aujourd'hui un enjeu absolument fondamental. En face, nos adversaires potentiels, eux aussi, renouvellent leurs capacités de lutte sous la mer à un rythme inédit depuis la guerre froide.
Quatrièmement, la préparation de l'avenir. Dès 2019, nous allons lancer les études pour un nouveau porte-avions. La construction du Charles de Gaulle a été lancée en conseil de Défense en 1980 ; il a été admis au service actif en 2001, 21 ans après : vous avez en moyenne une chance tous les 39 ans de voter le lancement d'un nouveau programme de porte-avions...
Bien sûr, nous allons continuer à mettre en oeuvre pendant plusieurs années des unités anciennes, dont l'entretien coûte plus cher et qui sont plus sujettes aux pannes et aux aléas. Bien sûr, nous allons continuer à faire des choix, comme celui de prolonger certains SNA de type Rubis ou certains patrouilleurs, parce que nous en avons besoin pour mener nos opérations.
Mais pour l'année à venir, je voudrais insister plus particulièrement sur deux points de vigilance.
Un, les munitions. Pendant plusieurs années, je dirais environ deux décennies, notre investissement dans les munitions, notamment les munitions complexes comme les missiles ou les torpilles, a reflété l'environnement stratégique dans lequel nous opérions : suprématie aérienne, absence de menace sous-marine.
Cet environnement a brutalement changé, je vous en ai parlé tout à l'heure : menace missiles, menace sous-marine, zones contestées comme au large de la Syrie.
Il va falloir des années pour remonter la pente, des années pour recompléter nos stocks, des années pour avoir en soute suffisamment de missiles pour que nos frégates puissent en tirer régulièrement, pour s'entraîner, s'aguerrir, se familiariser avec le tir. Pour vous donner un ordre de grandeur, aux Malouines, les frégates britanniques ont tiré en 100 jours 33 Sea Dart (l'équivalent de nos Aster 30 d'aujourd'hui) et une centaine de Sea Cat (l'équivalent de nos Aster 15).
Deux, les ressources humaines. C'est, je pense, notre plus grande vulnérabilité aujourd'hui. Je l'ai dit et répété ici, nos marines voisines sont en train d'être sérieusement fragilisées par le manque de marins. Mon premier chantier pour l'année 2019, c'est la fidélisation des marins. La fidélisation de ces marins que nous nous donnons tant de mal pour recruter et que nous formons si bien.
J'espère pouvoir attribuer dès 2019 une prime de lien au service, qui nous permettra de donner une prime compétitive pour fidéliser des spécialistes qui voudraient quitter la marine trop tôt.
Dès 2019, nous allons passer à deux équipages pour une frégate à Brest, l'Aquitaine, une frégate à Toulon, le Languedoc, et un patrouilleur à Cherbourg, le Flamant.
C'est une mesure indispensable pour retrouver l'attractivité de l'embarquement. Lorsqu'on me demande si cette mesure était indispensable, je réponds : j'avais deux choix : deux équipages ou zéro.
Une marine qui veille précieusement sur ses RH, une marine déployée sur toutes les mers du monde, une marine qui se prépare au combat de haute intensité, une marine qui prépare l'avenir à long terme. Voilà mes priorités. Maintenant que la loi de programmation militaire est lancée, voilà les quatre axes du plan stratégique qui va guider l'action de la marine pour les années à venir, le plan Mercator : une marine d'emploi / une marine de combat / une marine en pointe / une marine qui compte sur chaque marin.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis du programme 146 « Equipement des forces ».- Amiral, pourriez-vous nous dresser un état du parc d'hélicoptère de la Marine en 2019 ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quelles conséquences éventuelles aura le Brexit sur la coopération entre notre Marine et la Royal Navy ? Enfin, pouvez-vous nous parler de l'avancement du programme Artémis ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis du programme 146 « Equipement des forces ».- Amiral, pourriez-vous nous faire part de votre appréciation sur le niveau technique des nombreux bâtiments produits par les chantiers navals chinois pour la marine chinoise. Par ailleurs, quel est votre appréciation sur le paysage du naval de défense en Europe ?
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis du programme 178 « Préparation et emploi des forces ».- Alors que le MCO aéronautique fait tant parler de lui, le MCO naval paraît satisfaisant. Le PLF 2019 consacre un renforcement des moyens financiers alloués au maintien en condition opérationnelle des équipements +1% pour la marine, +7% pour les aéronefs et +17% pour les matériels terrestres. Pouvez-vous nous confirmer que vous serez ainsi en état de tenir vos contrats opérationnels ?
La disponibilité technique opérationnelle est préoccupante en outre-mer. La livraison de six nouveaux patrouilleurs d'Outre-mer (POM), que vous avez annoncée, devrait améliorer la situation. Pour autant, nous savons que les matériels neufs sont de gros consommateurs de MCO lors des mises en service. Prévoyez-vous finalement une amélioration de la DTO en outre-mer ?
Mme Christine Prunaud, rapporteur pour avis du programme 178 « Préparation et emploi des forces ».- Au cours des deux dernières LPM, le temps de formation a été réduit de l'ordre de 20% et il y a des domaines dans lesquels les effets ont été durement ressentis. Vous nous annonciez lors du débat de la LPM vouloir réinvestir dans la formation, en agissant au stade des écoles mais aussi en réorganisant l'ensemble de la marine. Le remplacement de vieux bâtiments aux équipages nombreux par de nouveaux bâtiments aux équipages plus réduits devait vous permettre de dégager des marges de manoeuvre. Pouvez-vous détailler ces avancées ? Le plan stratégique que vous nous avez présenté permettra-t-il une meilleure formation des marins, et une augmentation du nombre de jours en mer par bâtiment ?
M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».- Amiral, sur le plan des Ressources Humaines, le plan Mercator fait ressortir plusieurs objectifs, dont deux qui me paraissent essentiels, celui du double équipage : vous avez évoqué que dès l'année prochaine vous mettriez trois bâtiments dans cette perspective.
Qu'est-ce qui vous paraît être la meilleure des projections ? Combien de bâtiments devraient ainsi fonctionner ? Est que c'est trop tôt pour le dire ou est-ce qu'aujourd'hui vous avez déjà des ambitions à plus long-terme que 2019 qui permettraient de généraliser davantage et sur quel type de bâtiment ?
La deuxième question concerne un autre objectif qui est affiché dans le plan Mercator, la féminisation, où vous fixez comme objectif d'atteindre une augmentation de 50% des effectifs féminins en 2030 par rapport à la situation actuelle.
Comment y parvenir ? Est-ce qu'il y a des métiers nouveaux ? Est-ce qu'il y a des situations qui répondraient mieux aux difficultés que peut traverser le personnel féminin dans un engagement auprès de la marine nationale ?
Je voudrais revenir sur un point, le point chinois, puisque vous avez fait référence aux expansions chinoises et russes.
À votre avis, qu'est-ce qui pourrait permettre à la marine nationale de contenir cette politique d'expansion qui depuis quelques années ne cesse pas de s'accélérer, je pense, en particulier, aux fameux récifs de Fiery Cross et à d'autres affaires de cette nature qui permettraient à la Chine de continuer son expansion ?
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».- Amiral, j'aurais souhaité pour préparer notre rapport qu'on ait une note un peu plus détaillée sur la montée en puissance de l'organisation du double équipage, telle que vous la voyez sur cette année budgétaire, bien évidemment, et, peut-être, l'année suivante. C'était une innovation qui paraissait extrêmement intéressante. Comment vous la ressentez auprès de vos marins et peut-être aussi auprès du recrutement à venir ? Vous aviez évoquez le souci permanent d'avoir des recrutements sous le coude, si j'osais m'exprimer ainsi, de quelle façon cela peut se traduire ?
S'agissant de la mise en place de Source Solde, nous avons compris qu'elle était retardée de septembre 2018 à septembre 2019. Nous souhaitons que cela fonctionne, tout comme vous, je le suppose. Mais à ce changement de logiciel s'ajoute le prélèvement à la source des impôts. Pensez-vous possible de mener ces deux changements de front sans risque ?
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Quel regard portez-vous sur la difficile consolidation du naval de défense européen, aussi bien du point de vue du projet de rapprochement entre Naval Group et Fincantieri, que de la concurrence avec TKMS ? Par ailleurs, quel successeur imaginez-vous pour le Rafale Marine ? Quel regard portez-vous sur la création de l'Agence de l'innovation de défense ? Enfin, pouvez-vous nous parler des enjeux liés aux câbles sous-marins ?
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». - Le Gouvernement viendrait, selon certaines informations, de valider le programme d'études pour un nouveau porte-avions. Pouvez-vous nous préciser le calendrier de ce programme d'études, ainsi que les principaux points que ces études devront éclairer ? Par ailleurs, dans quelle mesure la Marine profite-t-elle de la progression des crédits d'études amont ?
Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine.- Pour ce qui est des hélicoptères, dans le PLF 2019 il est prévu que nous louions une flotte intermédiaire pour remplacer les Alouette III et les les Lynx. Le coût de cette location correspond approximativement au coût du MCO de ces hélicoptères d'ancienne génération : Ces hélicoptères remplaceront à la fois les Alouette III et les NH90 sur les plots de service public. Nous gagnerons ainsi en disponibilité et donc en heures de vol. Il s'agit d'une disposition qui me satisfait.
S'agissant du Brexit, les relations militaires entre la France et le Royaume-Uni sont cadrées par les accords de Lancaster House. J'ai déjà exprimé combien je me sentais proche de la marine britannique qui est à la fois dans sa tradition, dans l'emploi de ses bateaux, dans sa corpulence, très similaire à la marine française. Paris et Londres ont, à cet égard, plusieurs projets en commun : le programme MMCM, en matière de guerre des mines ; le programme FMAN/FMC de remplacement des missiles de croisière et des missiles antinavires ; aujourd'hui, la frégate britannique « Duncan » est présente aux côtés de l' « Auvergne », dans le canal de Syrie ; en mer de Chine Méridionale, des frégates britanniques sont également présentes. Les Britanniques sont déployés sur les mêmes théâtres d'opération et agissent de manière coordonnée avec nous. Dans les faits, le Brexit aura une influence sur l'opération maritime européenne ATALANTA, qui est commandée depuis Northwood au Royaume-Uni. À l'issue de la décision de retrait de l'UE, il a été décidé que cet état-major de commandement européen serait transféré de la Grande-Bretagne vers le Continent : le centre de commandement sera à Rota, en Espagne, et le centre de renseignement à Brest, en France.
Nombre d'entre vous ont fait référence au Big Data et à ARTEMIS. Il est évident que les opérations maritimes produisent des millions de données, non seulement des données satellites, mais aussi des données de transpondeur. Analyser celles-ci de manière automatique par recours à l'intelligence artificielle et aux technologies du Big Data est une de nos ambitions, un de nos objectifs. Il y a plusieurs strates de données : des données que tout le monde peut trouver sur internet - comme la position des bateaux - et des données qui sont plus protégées, pas échangeables. Cette hétérogénéité demande donc d'être capable de conduire une analyse à chaque niveau, de l'enrichir avec des données des niveaux différents et in fine d'avoir, pour les besoins militaires, l'analyse la plus fine possible. À travers nos partenariats avec l'école 42 (des jeunes programmeurs) et avec Thales, nous avons ébauché des solutions à ces défis. D'autres types d'applications des technologies de l'IA sont aussi possibles, je pense à la maintenance prédictive sur laquelle la marine collabore avec Naval Group : la maintenance prédictive permettra à un véhicule d'envoyer en permanence tous les paramètres au personnel responsable de l'assistance.
J'aborderai maintenant la question de la marine chinoise et de son niveau technique. Il me semble que la marine chinoise n'a pas encore le niveau technique de la marine américaine ou des marines occidentales. Ils y travaillent, toutefois, avec beaucoup de détermination. Je constate par exemple que, sur les porte-avions, elle n'a que des avions d'interception aérienne, des J-15, qui n'ont pas une variété de missions comparable à celle des Rafale du Charles de Gaulle ou des F-18 des porte-avions américains. Mais je pense qu'ils rattraperont rapidement leur retard, compte tenu de leur dynamisme.
Que faisons-nous aujourd'hui ? Les bâtiments français ont été, pendant plusieurs années, les seuls bâtiments militaires européens à transiter en mer de Chine Méridionale. Cette année, nous avons été rejoints par les Britanniques. L'objectif d'une présence régulière est de montrer notre attachement au droit maritime international, qui est pour nous essentiel. Nous continuerons de marquer cet attachement, en poursuivant nos déploiements en mer de Chine Méridionale.
Concernant Euronaval et le rapprochement entre les industries, il y a de mon point de vue de Chef d'état-major, un objet essentiel pour l'autonomie de notre pays : le sous-marin nucléaire. Savoir construire un sous-marin nucléaire ne se partage pas. Ce savoir-faire constitue le diamant de la couronne. Ensuite, les systèmes de combat pour la mise en oeuvre des sous-marins, également très importants. Au-delà de ce domaine « réservé », nous pouvons coopérer en international dans un grand nombre de domaines, en conservant notre autonomie de façon sélective. Ainsi, par exemple, le système de guerre électronique des FREMM a été développé par l'Italien Leonardo, mais la base de données est nationale. Il en va de même s'agissant des armes : en ce qui concerne celles qui sont dites défensives, la coopération peut aller de soi. À cet égard, remarquons que les missiles Aster sont réalisés par le développeur franco-britannique MBDA. En revanche, quand on parle d'armes offensives, il me semble que la question de l'autonomie stratégique se pose différemment.
Vous m'avez également interrogé sur la disponibilité et les contrats opérationnels de la marine. Alors que les crédits consacrés à l'entretien programmé du matériel naval sont en augmentation, la marine va néanmoins devoir diminuer le nombre de jours de mer afin de pouvoir financer la régénération du Rubis, dont l'utilisation sera prolongée en attendant l'arrivée du Barracuda, prévue en 2020, et des chasseurs de mines tripartites, prolongés en raison du décalage du programme SLAMF.
Sur la disponibilité en outre-mer, vous avez formulé la crainte que la modernité des nouveaux bateaux que nous y enverrons renchérisse leur coût de MCO. Il se trouve qu'outre-mer nous envoyons des bateaux peu complexes, construits aux normes civiles. Nous n'avons pas besoin d'un porte-avions en Nouvelle Calédonie, nous n'avons pas besoin d'un sous-marin nucléaire à Papeete, nous avons besoin d'un bateau résistant, construit aux normes civiles, qui arbore le pavillon. Des bateaux qui sont souvent construits chez Piriou à Concarneau, ou par « Kership », la « joint-venture » entre Naval Group et Piriou. Ce sont des bateaux rustiques et j'attends d'eux qu'ils aient une excellente disponibilité. C'est le cas aujourd'hui des B2M, c'est le cas des patrouilleurs légers guyanais, construits par Socarenam dans ses chantiers de Saint-Malo et de Boulogne-sur-mer. Puisqu'ils sont rustiques, je ne crains pas une explosion du coût du MCO sur ces bateaux en outre-mer.
Quant à la question de la formation : Il existe plusieurs niveaux d'entrée dans la marine : on peut y accéder comme officier ou directement en tant qu'officier marinier, c'est-à-dire l'équivalent de sous-officier, à l'école de maistrance. La marine va ouvrir une nouvelle école de maistrance à Toulon où on recrutera au niveau BTS. Il est vrai que les chiffres des temps de formation continuent de diminuer. Ils ont diminué de 20% et, à cet égard, je constate régulièrement une certaine la frustration des officiers et des officiers mariniers dans les rapports sur le moral. Ils estiment que certains de leurs subordonnés sont insuffisamment formés.
La réduction excessive du nombre de jours de formation concerne principalement les matelots, qui sont recrutés au niveau BAC/BAC Pro. Une des solutions sur lesquelles nous travaillons, notamment pour les bateaux à double équipage, est de conduire une partie de la formation, sur des simulateurs. Aujourd'hui, les sous-mariniers apprennent les fondements théoriques de leur métier à l'école atomique à Cherbourg, puis, sur le plan pratique, s'entraînent en grande partie sur des simulateurs. Ainsi, le futur équipage du premier sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda, s'entraine, depuis maintenant deux ans, sur un simulateur. Nous vous avons présenté aux Universités d'été de la Défense un projet de simulateur en développement : il s'agit d'un masque qui permet grâce à des scenarios de réalité virtuelle, de s'immerger à bord du sous-marin, en le visitant entièrement ; grâce au masque, l'instructeur peut désigner des objets et interroger l'élève à leur sujet. Je mise sur ces outils qui sont aujourd'hui largement répandus, en particulier dans les domaines des jeux, mais qui sont applicables dans la marine. Si l'on réussit à lier la technique des jeux et la technique de la conception assistée par ordinateur, on peut arriver assez aisément à concevoir ce type de simulateurs grâce auquel je compte renforcer la formation des marins.
Le désarmement de certains bâtiments permet de doter d'autres bâtiments d'un deuxième équipage. Cela ne va pas sans difficultés car tous les postes de ne sont pas transférables, comme celui de commandant par exemple. Il faut également développer les compétences spécifiques au nouveau type de bâtiment. Il y a donc une transition à organiser.
Le double équipage n'est pas un objectif généralisable. Il ne concernera ni le porte-avions, ni les BPC, ni les frégates de lutte anti-aérienne car leurs équipages sont nombreux et cela aurait un coût trop élevé. En revanche, la priorité sera de doter les navires les plus sollicités, ceux qui subissent en ce moment la plus forte pression opérationnelle comme les FREMM et les patrouilleurs de Cherbourg. La transition sera progressive. L'instauration des doubles équipages nécessitera également d'adapter les infrastructures car les équipages à terre devront pouvoir s'entraîner sur des simulateurs et préparer leurs prochaines missions.
La féminisation est un objectif important. Vous avez vu que de nouveaux métiers ont été rendus accessibles aux femmes, notamment au sein des équipages des SNLE. Je souhaite faire progresser le taux de féminisation de la Marine qui stagne depuis plusieurs années à 14,5%, alors qu'il est plus important dans l'Armée de l'air (22%) ou dans l'US Navy. La féminisation va nous permettre de diversifier nos viviers de recrutement et de remporter la bataille des compétences. Il s'agit aussi de placer la Marine en phase avec les évolutions de notre société. Nous devrons nous tourner davantage vers les établissements d'enseignement général et pas seulement vers les établissements professionnels.
S'agissant du prélèvement à la source, l'intégration de cette modification dans les logiciels de paie, qu'il s'agisse de Source Solde ou de LOUVOIS, mérite une grande vigilance compte tenu de nos difficultés antérieures. Ce sont des systèmes complexes. LOUVOIS montre des fragilités particulières lorsqu'il s'agit d'effectuer des rappels de solde de mois précédents ou d'attribuer des indemnités spécifiques, ce qui arrive fréquemment en raison de la mobilité géographique inhérente à la nature de nos missions.
En matière de coopération européenne, nous avons déjà travaillé avec les Italiens sur plusieurs modèles de frégates et nous allons produire un nouveau pétrolier ravitailleur dont les commandes sont inscrites dans le PLF 2019. Avec les Allemands, nous sommes concurrents mais nos spécialités ne sont pas les mêmes : les Allemands produisent des sous-marins à vocation côtière, alors que notre spécialité est la conception et la réalisation de sous-marins océaniques opérant loin de leurs bases. S'agissant du système de combat aérien futur, il est attendu que les aéronefs puissent être catapultés depuis un porte-avions.
Les études lancées pour la conception d'un nouveau porte-avions sont actuellement des études à « grosses mailles ». Il s'agit de déterminer le type, le nombre, l'encombrement des aéronefs embarqués pour ensuite établir les modalités de catapultage, de production d'énergie et de propulsion du bateau. Il faut également engager des études prospectives pour savoir ce que sera le « capital ship » d'une Marine à l'horizon 2050.
M. Robert del Picchia. - Je constate que la marine française parvient à être présente dans toutes les mers du monde alors qu'il existe de plus en plus de « zones de non-droit » sur la planète. Avez-vous les moyens de les faire reculer ?
M. Ladislas Poniatowski. - Lors des dernières universités d'été de la défense, l'attitude de nos voisins allemands m'a interrogée. Si la coopération franco-allemande sur le système de combat aérien du futur fonctionne bien, leur position sur la question des sous-marins soulève de nombreuses interrogations. Les Allemands semblent rencontrer des difficultés dans le fonctionnement de leur marine : problème de recrutement, bâtiments qui restent à quai, etc. En revanche, leur industrie dans ce secteur est particulièrement dynamique et nous dame le pion. Quelles sont nos chances de rester présents sur ce marché concurrentiel ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - La marine chinoise ne cache plus ses velléités expansionnistes en voulant mettre la main sur de nombreux ports étrangers (le fameux « collier de perles ») ; une mission de notre commission, à laquelle j'ai participé, a d'ailleurs pu l'observer à Djibouti. À cet égard, ses effectifs passeront de 10 000 à 30 000 marins d'ici 2020. Pour reprendre vos propos, Amiral, « ce qui n'est pas protégé est pillé, et ce qui est pillé est contesté ». Notre marine pourra-t-elle assurer la protection de nos eaux territoriales dans les années à venir malgré un engagement des forces supérieur à son contrat opérationnel ?
M. Philippe Paul. - Cet été, j'ai lu l'entretien que vous avez accordé à la revue de la fédération nationale des officiers mariniers, dans laquelle vous annonciez l'acquisition de 170 hélicoptères H-160M au cours des années 2020. Lors des dernières universités d'été de la défense, une acquisition en 2028 a été évoquée, alors que Jean-Yves Le Drian souhaitait qu'elle ait lieu en 2024. Or, cet investissement n'est pas prévu dans la loi de programmation militaire 2019-2025... Compte tenu de l'augmentation rapide du maintien en condition opérationnelle, ne faudrait-il acheter le plus rapidement possible ces hélicoptères dont toutes nos armées profiteront ?
M. Olivier Cigolotti. - Amiral, on ne peut que souscrire à votre souhait de disposer d'une marine d'emploi. Cela nécessitera un maintien en condition opérationnelle (MCO) important des matériels pour une disponibilité optimale. Les crédits prévus par le projet de loi de finances pour le MCO sont élevés : 17 % pour le matériel terrestre, 7 % pour les aéronefs et seulement de 1 % pour la marine. N'avez-vous pas l'impression d'être le parent pauvre des arbitrages budgétaires ?
Mme Gisèle Jourda. - Ma question porte sur les ressources humaines, et plus particulièrement sur les réservistes opérationnels. Le souhait initial était d'en augmenter les effectifs au travers de la garde nationale - j'ai d'ailleurs vu sur votre site internet la campagne de recrutement que vous avez lancée. Quelle est la part des réservistes au sein de la marine ? Dans notre rapport sur la garde nationale publié en 2016, Jean-Marie Bockel et moi nous interrogions sur le suivi et l'accompagnement des réservistes tout au long de leur carrière professionnelle ; qu'en est-il aujourd'hui ? Le budget prévu pour 2019 permettra-t-il une évolution favorable des effectifs de la réserve opérationnelle conformément à nos ambitions ?
M. Yannick Vaugrenard. - Le réchauffement climatique n'est pas sans conséquence sur le commerce international. Des navires parviennent aujourd'hui à traverser l'Arctique et la mer du Nord et ce, presque tout au long de l'année. Cela a-t-il une incidence sur la présence de notre marine dans l'Arctique et dans l'Atlantique Nord ? Le cas échéant, quelles sont les conséquences financières de la réorganisation de votre déploiement ?
Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine.- Vous m'interrogez sur notre présence dans le monde et en particulier dans les zones de non-droit.
Nous exerçons nos droits souverains sur nos eaux territoriales, qui s'étendent à 12 milles marins des côtes, soit environ 20 kms, et sur nos zones économiques exclusives jusqu'à 200 milles marins des côtes, soit environ 370 kms. Nous pouvons y intervenir librement, par exemple contre la pêche illégale. Au-delà de ces zones, le droit international de la mer, complété dans certains domaines par des conventions spécifiques comme la Convention de Vienne, nous donne certains pouvoirs limités, par exemple, pour y lutter contre le trafic des êtres humains ou le trafic de drogues. Pour le reste, la règle générale est la liberté de la navigation et la juridiction exclusive de l'Etat du pavillon.
Il existe des zones comme la mer de Chine méridionale, où cet ordre juridique est contesté. Nous patrouillons régulièrement dans ces zones pour manifester notre attachement au droit, comme je l'ai évoqué précédemment.
Je veux également vous indiquer que nous avons commencé à détecter des trafics de drogues entre l'Amérique du Sud et l'Australie. Je crains que ce type d'activité illégale ne se développe sur cet axe et en particulier entre les îlots les plus isolés. Même si la drogue n'est pas seulement destinée aux populations polynésiennes, ce nouveau trafic peut avoir pour conséquences le développement de nouvelles zones de criminalité.
Pour répondre à la question de monsieur Poniatowski, nous avons une sous-marinade particulièrement performante même si elle est vieille. Elle a fait 1 000 jours de mer il y a deux ans. Elle est très présente en mer de Norvège et auprès de nos alliés. Son niveau tactique dans ces opérations est équivalent à celui des Britanniques. S'agissant de la Pologne, j'ai rencontré mes homologues polonais il y a trois semaines. Nous avons parlé de leurs projets, des coopérations que nous devons relancer, en particulier, en matière de guerre des mines et d'entraînement. Les commandants des flottilles polonaises se sont rendus à Brest pour renouer des liens qui se sont distendus. En septembre dernier, les cendres du vice-amiral Unrug, héros de la marine polonaise, ont été remises à un bâtiment polonais en présence du ministre de la Défense polonais et de mon homologue. Ce fut l'occasion d'organiser une visite de l'île Longue pour leur montrer ce que sont nos sous-marins, la qualité de nos ingénieurs et de nos équipages. La concurrence est acharnée mais je peux vous assurer que tout est fait pour mettre en avant la qualité de nos savoir-faire industriels et opérationnels.
S'agissant des hélicoptères interarmées légers (HIL), mon objectif pour 2030 est d'avoir une flotte d'hélicoptères exclusivement composée d'hélicoptères NH 90 et d'HIL, ce qui permettra de rationaliser le maintien en condition opérationnelle (MCO). En attendant pour remplacer les Alouette III, nous avons adopté une mesure intermédiaire de location sans option d'achat. Elle nous donnera notamment l'occasion de tester en grandeur nature l'hélicoptère H160 d'Airbus qui servira de base de développement au HIL.
Pour le MCO l'entretien programmé du matériel pour les bateaux et les sous-marins est en progression de 3% et l'entretien programmé pour l'aéronautique, de 7 %. Il y a donc une augmentation. Le MCO naval présente la particularité de suivre un cycle d'une dizaine d'années organisé autour des arrêts techniques décennaux du porte-avions. Ainsi, l'arrêt technique majeur du Charles-de-Gaulle a pesé très lourd sur le budget consacré au MCO naval en 2017 et 2018 ; il pèsera ensuite beaucoup moins lourd pour peser à nouveau en 2027. Sur la question des réservistes, il y a environ 6 000 réservistes dans la marine. Nous avons atteint ce maximum autorisé l'an dernier et je le reconduis cette année. J'ai absolument besoin des réservistes, y compris bien évidemment des femmes, pour que la marine ne s'arrête pas de fonctionner. Ces réservistes accomplissent des missions opérationnelles absolument partout, sur les bateaux, dans les bases ainsi qu'en état-major central.
Enfin s'agissant de l'Arctique, le 1er septembre dernier, le Rhône, un nouveau bateau logistique, a traversé tout l'océan Arctique sans l'assistance de brise-glaces. Entré par le cap nord, il est sorti quinze jours plus tard par le détroit de Bering pour aller ensuite rejoindre les îles Aléoutiennes. Il y a croisé un porte-conteneurs de la compagnie Maersk, celui-ci escorté par un brise-glaces. Par la voie classique, cela aurait pris au moins deux mois et demi. Toutefois ce n'est pas un sport de masse ! Le changement climatique aura des conséquences en termes de cyclones et de catastrophes naturelles avant d'en avoir sur le raccourcissement des routes maritimes entre l'Europe et la Chine. Par ailleurs, j'observe que les porte-conteneurs ont besoin de hubs pour décharger une partie de leurs conteneurs qui est ensuite transportée par des bateaux plus petits ; or il n'en existe aucun dans l'Arctique.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour la précision de vos réponses et de l'accueil que vous réserverez à notre commission sur le Charles de Gaulle à la fin novembre.
Projet de loi de finances pour 2019 - Audition du Général François Lecointre, chef d'état-major des armées
M. Christian Cambon, président. - Nous sommes heureux d'accueillir le général Lecointre, chef d'état-major des armées, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, qui revêt un caractère tout à fait particulier, puisqu'il s'agit de la première étape de la nouvelle programmation militaire (LPM) que nous avons adoptée cette année.
Mon général, vous savez toute l'attention que le Sénat a apportée à ce texte et son souhait de l'améliorer, à travers des amendements. Vous avez bien voulu en faire mention à plusieurs reprises. Je vous en suis reconnaissant au nom de la commission.
Le projet de loi de finances pour 2019, d'après les premières constatations de nos rapporteurs, est tout à fait conforme à la trajectoire de la LPM. Les crédits de nos armées sont marqués par une hausse significative dont nous nous réjouissons. Vous connaissez la position de notre commission : nous avons pointé, au cours de la discussion concernant la LPM, ses faiblesses et en particulier le fait que sa trajectoire reportait une grosse partie de l'effort après 2021 - mais nous n'y reviendrons pas. L'importance est que ce premier exercice budgétaire se déroule conformément aux engagements qui ont été pris.
Avant de vous laisser la parole, mon général, je voudrais vous interroger sur le coût réel des opérations extérieures (OPEX), qui détermine la véracité des engagements budgétaires.
En effet, cet été, le ministère évaluait ce coût à 1,2 milliard d'euros. Il y a quelques jours, la ministre des armées a indiqué que ce chiffre serait de 1,3 milliard d'euros. Ceci pose deux questions : comment financer ce surcoût de plus de 600 millions d'euros qui risque d'impacter la fin de l'exercice budgétaire 2018 ? Par ailleurs, quel est le montant de la part qui va peser sur les crédits de la défense, et où ces crédits vont-ils être prélevés ?
En second lieu, que va-t-il en être des OPEX en 2019 ? Certes, la provision a été relevée à 850 millions d'euros mais, comme on l'avait évoqué lors de la discussion de la LPM, on sera sans doute encore loin de leur coût réel.
Vous avez estimé, la victoire sur Daech étant en voie d'être consommée, que ceci allait avoir des conséquences sur l'engagement de nos forces et pouvait nous permettre de redéployer une partie de celles présentes dans cette région du monde, générant ainsi des économies, ne serait-ce que sur les munitions utilisées. Est-ce bien le cas ?
A contrario, les événements qui se déroulent en ce moment au Burkina Faso nous inquiètent. Alors que nous achevons une opération extérieure, ne risque-t-on pas d'en étendre une autre ? N'y a-t-il pas là une menace pour les crédits des armées ?
Général François Lecointre. - Mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier et saluer le travail que vous avez collectivement conduit pour aboutir à la loi de programmation 2019-2025, telle qu'elle a été promulguée le 13 juillet dernier.
Je suis admiratif de votre qualité d'écoute et de la grande attention avec laquelle vous avez soutenu et proposé des orientations courageuses, qui permettront à nos armées de relever les défis d'un contexte sécuritaire qui se durcit.
C'est certainement grâce à votre travail et à votre précision que nous disposons aujourd'hui d'une LPM qui permettra l'effort de régénération et de modernisation dont nos armées ont besoin.
Traiter du projet de loi de finances soumis à votre examen est un exercice classique en cette période, d'autant plus important cette année que le PLF va donner le ton de l'exécution de cette LPM, qui constituera une indication forte pour la suite.
Je considère que cette première marche de la LPM traduit fidèlement l'ambition pour la défense et les armées portée par le Président de la République.
L'objectif que nous nous étions fixé était clair : mettre un terme à la contradiction manifeste entre la multiplication des défis sécuritaires à laquelle la France et l'Europe sont confrontées d'une part et la situation réelle de nos armées après des décennies de réduction de formats et de moyens d'autre part.
Pour atteindre cet objectif, il fallait évidemment réaliser un effort financier conséquent, dans un contexte budgétaire qui demeure contraint. Je ne peux que constater que l'effort est là. La mise en cohérence qui en découle doit être saluée sans retenue.
Dans les travaux de préparation de ce projet de loi de finances, nous avons veillé, derrière la ministre des armées, que chaque euro investi contribue directement à l'excellence opérationnelle de nos armées. Nous ferons preuve de la même vigilance dans l'exécution.
Je dirais, pour commencer, que le PLF 2019 est selon moi en étroite cohérence avec l'esprit et la lettre de la LPM. Il s'agit bien d'une LPM de renouveau, fruit d'une prise de conscience du déclassement qui guettait nos armées à court terme si nous avions continué à observer la position d'attentisme qui était la nôtre.
Le choix de conserver à la France un modèle complet d'armée et la volonté affichée de le moderniser éloignent ce risque de déclassement et vont conforter l'autonomie stratégique du pays. Ils permettent également d'envisager une autonomie stratégique plus large, à l'échelle européenne. Ce sujet est sensible et, je pense, suscitera débat ainsi que de très nombreux commentaires dans les mois et les années qui viennent. C'est une belle ambition en effet que cette autonomie stratégique européenne qui, aujourd'hui, me paraît indispensable.
L'espace européen est à la poignée de l'éventail de tous les risques sécuritaires : menaces étatiques à l'est, pression migratoire au sud, terrorisme dans notre proche zone d'influence et sur son propre sol...
Dans un contexte de remise en cause du multilatéralisme, de fragilisation des alliances et de bascule, par les États-Unis, du centre de gravité de la conflictualité vers la zone indopacifique, le continent européen devra sans doute affronter par lui-même tous les types de menaces que je viens d'évoquer.
Face à ces défis, l'attitude de la France est observée. Notre pays a fait le choix de la responsabilité. C'est en soi un signal fort.
Cette LPM a également su tirer les enseignements de la LPM 2014-2019. En effet, ses lacunes avaient conduit à une double correction, d'abord une actualisation en juillet 2015, puis la reconnaissance de besoins supplémentaires en avril 2016.
La LPM 2019-2025, en construction, a corrigé ces aspects. J'en donnerai quelques illustrations...
Tout d'abord une sincérisation de la ressource : les ressources de la LPM 2019-2025 reposent intégralement sur les crédits budgétaires, et non sur l'hypothèse de recettes exceptionnelles qui constituaient une part importante de la LPM précédente.
D'autre part, la sincérisation de la ressource découle également de la provision OPEX-MISSINT, qui a été réévaluée pour « coller » davantage au coût réel de nos engagements extérieurs. Ce « soclage » est de 650 millions d'euros en 2018. Il sera de 850 millions d'euros en 2019 et 1,1 milliard d'euros à partir de 2020. À cela s'ajoute une provision spécifique pour la masse salariale des MISSINT de 100 millions d'euros.
Les lacunes qui avaient caractérisé la LPM précédente en matière d'infrastructures sont aujourd'hui corrigées. Ce domaine a un impact sur la sécurité tout autant que sur la préparation opérationnelle ou la condition du personnel. Le budget relatif aux infrastructures fait l'objet d'un effort particulier : il sera porté à 1,4 milliard d'euros par an en moyenne entre 2019 et 2022 ce qui, par rapport à la précédente LPM, représente un effort de 25 % sur la période. Cela me paraît constituer une véritable prise en compte des insuffisances précédentes.
Cette nouvelle LPM de modernisation va permettre de réduire les impasses capacitaires que nous avions consenties précédemment. Elle fait le choix d'une modernisation accélérée d'un certain nombre d'équipements structurants de nos armées. Elle prend également en compte la nécessité d'une amélioration de notre préparation opérationnelle : un effort marqué a été consenti au profit de la disponibilité des matériels et de l'activité des armées. C'est un facteur de crédibilité et d'efficacité de nos forces. Au cours de la LPM 2019-2025, le niveau d'activité devrait amorcer une progression visant à atteindre les normes qualitatives communément prescrites :
- 90 journées de préparation opérationnelle (JPO) pour l'armée de terre, contre 81 aujourd'hui et 72 en 2016, avec une augmentation nette des jours d'entraînement sur matériel majeur. On passera de 54 % en 2018 à 59 % en 2020. Cette augmentation est nécessairement lente, mais sera continue. Ceci est directement lié aux progrès que nous ferons en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) ;
- 110 jours de mer par bâtiment hauturier ;
- 180 HDV par pilote de chasse de l'armée de l'air.
Cette dynamique permet d'envisager une recapitalisation de l'ensemble des savoir-faire des armées à compter de 2023.
Aujourd'hui, la première annuité respecte la trajectoire financière fixée, avec une hausse de ressources de 1,7 milliard d'euros pour la mission « Défense ». Je pense que nous allons aborder ce travail de régénération programmé dans la loi dans de bonnes conditions.
Hors ressources exceptionnelles, les ressources de la mission « Défense » s'élèvent à 35,9 milliards d'euros, à comparer aux 34,2 milliards d'euros de la loi de finances 2018, soit une augmentation de 5 %, et avec la précédente « première marche » de la LPM précédente, pour laquelle nous étions à 31,4 milliards d'euros, dont 1,77 milliard d'euros de ressources exceptionnelles.
En 2019, les éventuelles recettes issues de cessions viendront, en complément des 35,9 milliards d'euros, abonder la politique d'investissement, notamment en matière d'infrastructures.
Cette première annuité reflète clairement les choix qui ont été posés par la LPM, qui comporte quatre volets. Le premier volet concerne la prise en compte du facteur humain. L'objectif est de garantir aux personnels de la défense les moyens de remplir leurs missions et leur donner les moyens de bien vivre leur engagement.
Ce travail s'inscrit dans une démarche pluriannuelle. Il va falloir de la patience avant d'atteindre l'objectif fixé, mais certains effets se feront néanmoins sentir dès cette année dans différents domaines. Le fait de pouvoir donner dès cette année des signes concrets de l'amélioration des conditions de vie de nos hommes et d'exercice du métier est en effet essentiel. Je me suis exprimé à plusieurs reprises à ce sujet. Nous avons créé de l'impatience en annonçant l'effort budgétaire qui est consenti par la Nation. Nos soldats comprennent que la situation ne peut cependant pas être immédiatement résolue. Pour autant, il faut que nous montrions très concrètement que les premiers effets ont déjà eu lieu.
Sur le plan des ressources humaines, le PLF 2019 prévoit la création nette de 450 emplois au sein du ministère, dont 242 dans mon périmètre. Ces emplois seront principalement dédiés au renseignement, à la cyberdéfense et à l'action dans l'espace numérique de manière générale.
Par ailleurs, la hausse du titre II de 1,3 % est certainement, au-delà de la montée en puissance des effectifs, liée aux mesures catégorielles relatives à l'attractivité et à la fidélisation du personnel militaire et civil. Des queues de mesures ont déjà été décidées au préalable.
La préparation opérationnelle constitue le deuxième volet pris en compte dans le PLF 2019. Les crédits alloués à l'entretien programmé des matériels (EPM) augmentent de 7 % par rapport à la LFI 2018. On devrait ainsi obtenir un accroissement à court terme de la disponibilité des matériels.
L'infrastructure, qui a un impact direct sur les conditions de travail et de vie du personnel, va faire l'objet d'un effort particulier. 550 millions d'euros seront dédiés à l'entretien et à la rénovation du parc immobilier, avec une incidence directe en matière de conditions de vie du personnel.
Je suis très attentif à une plus grande implication des chefs d'état-major dans l'effort que nous allons produire et à sa définition, dans une logique de subsidiarité et de proximité qui me tient particulièrement à coeur, sur laquelle nous devons réorienter le fonctionnement de nos armées.
Je veillerai également que des moyens accrus soient délégués aux commandants de base de défense, avec le souci de « coller » au plus près des besoins de terrain.
En 2019, 57 millions d'euros seront investis dans le cadre du « Plan famille », lancé il y a un an. A ce jour, 70 % des mesures sont mises en oeuvre, au moins partiellement.
Ces mesures sont concrètes. Il faut que nous donnions des signes précis et réels des progrès réalisés :
- Wi-Fi gratuit : en six mois, 100 000 lits d'hébergement et des dizaines de lieux de convivialité en enceinte militaire en bénéficient. L'extension de cette mesure à l'outre-mer est à l'étude ;
- 130 places de crèche supplémentaires ont été ouvertes à la rentrée 2018. L'objectif est d'augmenter ces places de 20 % en quatre ans. Cela paraît dérisoire, mais c'est néanmoins important, 55 % des militaires ayant des enfants et 3 % constituant des familles monoparentales ;
- l'hébergement en Île-de-France fait l'objet d'un effort particulier avec, en 2019, la création de 150 places supplémentaires pour célibataires et célibataires géographiques ;
- l'aide aux parents exerçant un droit de visite : cette mesure permet d'apporter une aide ponctuelle par le financement d'un hébergement qui autorise l'exercice du droit de visite dans de bonnes conditions. Depuis février 2018, 239 prestations ont été délivrées ;
- l'aide à l'emploi du conjoint : fin septembre 2018, 1 500 conjoints étaient inscrits à « Défense Mobilité » en vue d'un reclassement. Ce chiffre est à mettre en rapport avec les 1 000 conjoints inscrits à la même date l'an dernier, soit une augmentation de 50 %.
Ce Plan famille est vivant. Il continuera d'évoluer. Il s'enrichira de nouvelles mesures proposées par la base. Je tiens à saluer ici la très grande implication du commandement de proximité, qui s'est employé à décliner les mesures à son niveau, et qui continuera d'en proposer de nouvelles.
Un deuxième volet est constitué par l'effort de modernisation. Il s'agit de compenser le vieillissement accéléré des matériels militaires. Nous avons réalisé une avancée sensible en matière de modernisation des équipements. Les crédits sont en augmentation de 7 % par rapport à 2018, s'établissant à 19,56 milliards d'euros.
La montée en puissance de certaines capacités va se poursuivre avec, notamment, la livraison de nouveaux équipements :
- pour l'armée de terre : 89 véhicules blindés Griffon, 4 Tigre rétrofités HAD, 8 NH90 Caïman et 8 000 HK416 ;
- pour la marine nationale : 1 FREMM, 2 NH90 et 2 ATL2 rénovés ;
- pour l'armée de l'air : 1 A400M, 1 MRTT, 2 KC-130J et 2 systèmes de drones Reaper.
Parallèlement, dans le cadre de la préparation de l'avenir, les programmes CUGE de guerre électronique et FLOTLOG entreront en phase de réalisation.
Enfin, l'effort en matière de dissuasion se poursuit. Sur 19,5 milliards d'euros de crédits d'équipement, 4,5 milliards d'euros y seront consacrés, pour atteindre 6,2 milliards d'euros en 2025.
L'enjeu est de garantir le maintien de la crédibilité de la dissuasion à l'horizon 2035 au travers de la modernisation de ses composantes océanique et aéroportée, et des moyens de liaison qui y sont associés.
Troisième volet : l'effort d'exploration. Il s'agit de créer les conditions internes pour penser et agir autrement, afin de rester à l'avant-garde de la créativité à finalité opérationnelle.
Les crédits alloués à la recherche et à l'innovation au PLF 2019 répondent à cette exigence. Les études amont s'élèvent à 758 millions d'euros, soit une augmentation de 6 % destinée à financer notamment les travaux relatifs au futur porte-avions, au char de combat de demain ou au système combat aérien futur (SCAF).
Vous noterez le décalage qui existe entre les appellations de ces trois grands programmes structurants qui prépareront nos armées de demain et garantiront nos capacités opérationnelles : char de combat de demain, porte-avions du futur et système de combat aérien futur. Il faut que nous demeurions, au stade amont, très ouverts aux pistes que nous pouvons explorer.
Le quatrième volet est constitué par un effort en matière de coopération. Je vous l'ai dit : la construction d'une autonomie stratégique européenne est aujourd'hui indispensable. C'est tout le sens de l'Initiative européenne d'intervention (IEI) portée par la France. Huit pays européens y ont souscrit, dont la Grande-Bretagne. La Finlande est sur le point de nous rejoindre. L'objectif est de faire émerger une vision stratégique commune.
Cette vision partagée est une condition essentielle pour faire vivre des opérations souples de la façon la plus pragmatique possible, en utilisant au mieux les outils européens en cours de création, comme le Fonds européen de défense (FED), dont la France propose un usage principalement orienté vers les opérations et l'innovation.
De même, la Coopération structurée permanente (CSP) représente l'opportunité de réaliser à plusieurs ce que nous aurions eu les plus grandes difficultés à porter seuls. La France promeut dans ce cadre des projets visionnaires d'envergure stratégique, de nature à soutenir la compétitivité industrielle de l'Europe.
Quelques exemples :
- le projet de Tigre standard 3 ;
- le projet FLOTLOG, navire de soutien logistique de nouvelle génération que nous nous proposons de construire en coopération avec l'Italie ;
- le projet de missile antichar de cinquième génération.
À terme, nous souhaitons, dans ce cadre de la CSP, promouvoir des projets plus emblématiques, comme le SCAF ou le blindé futur.
Cette annuité bénéficie de la dynamique initiée par la loi de finances 2018. Il y a un an, je vous disais que le PLF 2018 créait les conditions d'une entrée réussie dans la LPM. Je le confirme aujourd'hui : avec des crédits en augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2017, et un effort très significatif en matière d'entretien programmé des matériels et de protection des forces, 2018 a été une annuité essentielle à la consolidation de nos forces.
La hausse de la provision OPEX de 650 millions d'euros et l'effort porté sur la maîtrise du report de charges, ainsi que la reprogrammation de la quasi-totalité des annulations de 2017 devraient contribuer à assainir la situation.
La fin de gestion 2018 déterminera le véritable point d'entrée de la LPM. À ce titre, il est important d'obtenir rapidement la levée de la réserve de précaution afin de ne pas pénaliser l'activité des armées sur ces derniers mois.
Vous évoquiez également, monsieur le président, la question du financement des surcoûts OPEX et MISSINT. Je vous confirme qu'ils devraient se situer cette année à hauteur de 1,35 milliard d'euros. Le surcoût net restant à financer devrait être de l'ordre de 550 millions d'euros, déduction faite des provisions et des remboursements ONU à hauteur de 40 millions d'euros.
Je rappelle que les surcoûts, l'année dernière, s'élevaient à 1,54 milliard d'euros pour une provision de 491 millions d'euros. L'équation est donc moins difficile à résoudre cette année, les surcouts nets restant à financer ayant diminué de 44 %.
Je sais que la ministre des armées reste extrêmement attentive à ce sujet. Les modalités de financement des surcoûts sont en cours de discussion avec Bercy. Je fais toute confiance à la ministre pour faire preuve, comme elle a su le faire l'an dernier, lors de la fin de l'exécution budgétaire, d'une très grande pugnacité. Nous aurons, fin octobre, les réponses aux questions que nous nous posons aujourd'hui.
En tout état de cause, le plus important pour moi est d'obtenir la levée de la réserve de précaution.
Nous sommes désormais dans le temps de l'action. J'ai voulu l'orienter en concevant une vision stratégique, que j'ai distribuée aux armées, directions et services. J'ai demandé qu'elle vous soit également transmise à titre d'information.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais vous en dire quelques mots très succinctement.
Tout part de la finalité des armées, tout entière contenue dans l'obligation de protéger et de défendre la France et les Français par la mise en oeuvre délibérée de la force légitime. J'ai le sentiment d'enfoncer des portes ouvertes, mais j'observe tous les jours, en discutant avec mes subordonnés de différents niveaux, que cette notion essentielle est trop souvent oubliée, ou confondue avec une mise en oeuvre qui ne serait pas délibérée, qui est le fait des forces de sécurité intérieure.
Cette obligation exorbitante fonde la singularité des armées, qui s'exprime à travers certains principes méritant d'être rappelés, comme la stricte subordination à l'autorité politique, la stricte discipline et la neutralité induites par le caractère exorbitant de l'usage de la force armée, ou la disponibilité et l'autonomie qui permettent aux armées de réagir sans délai, y compris en situation de chaos.
L'expression de cette singularité, à travers les quelques principes que je viens d'énoncer, en particulier celui de disponibilité ou d'autonomie, est parfois mise à mal par les évolutions que nous avons connues sous la pression budgétaire ou des réformes très brutales et très denses qui ont touché les armées ces dernières années.
De ces principes, je retire quelques orientations principales, qui structurent ma vision pour les armées. J'en citerai trois...
La première consiste à durcir les armées. C'est pour moi un impératif face au durcissement de la conflictualité. La résilience des armées concourt très directement à celle de l'État. Elle repose sur la disposition en interne de compétences qui permettent de continuer à fonctionner en situation de crise ou de chaos. L'augmentation de 6 000 ETP sur la durée de la LPM répond à l'impératif de disposer en propre de compétences rares ou critiques.
À cet égard, le processus d'audit en organisation (PAO), en cours, doit permettre de tirer le meilleur parti de cette augmentation progressive des effectifs. L'enjeu est en effet de satisfaire les besoins des secteurs émergents de notre défense par la réallocation de ressources humaines dégagées, grâce à la révision de nos modes d'organisation et au développement de la numérisation.
La deuxième orientation vise selon moi à unifier en rassemblant l'ensemble des armées, directions et services autour d'un projet commun, en luttant en particulier contre les excès du travail en tuyaux d'orgue, qui résulte malheureusement des très nombreuses réformes que nous avons connues. Pour une part importante, elles permettaient de rationaliser nos modes de fonctionnement et nos processus. De ce point de vue, ces réformes ont été utiles et nécessaires. Il s'agit de les consolider en revenant sur les rigidités induites par un cloisonnement excessif.
Je sais que les rapporteurs du programme 178, le sénateur Jean-Marie Bockel et la sénatrice Christine Prunaud vont entendre le major général des armées sur ce sujet cet après-midi. C'est un sujet absolument central pour moi.
Troisième orientation : l'attractivité. Il s'agit d'attirer et de fidéliser nos hommes et nos femmes. Ceci repose sur la combinaison d'une identité militaire assumée et la garantie d'une vie professionnelle et personnelle décente. Vous voyez à quel point le Plan famille répond à cette double exigence. Elle devra naturellement être poursuivie à travers les réformes des rémunérations, ainsi que celle des retraites, qui doivent reconnaître l'exceptionnalité du fait militaire par des mesures positives, dans le respect de l'unicité du statut. Je sais pouvoir compter sur votre vigilance et votre soutien dans ce travail essentiel.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai le privilège d'entamer ma deuxième année de chef d'état-major des armées sous les auspices d'une volonté politique forte et pérenne en faveur des armées.
Cette dynamique nous oblige. Notre responsabilité est de faire en sorte que les moyens mis à notre disposition soient employés avec le souci d'élever notre niveau de protection à la hauteur des défis sécuritaires qui sont les nôtres.
Je vous remercie, et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Christian Cambon, président. - Merci, mon général, d'avoir donné une perspective à cette première année budgétaire de la LPM.
Je profite de votre présence pour vous redire, au nom de la commission, la confiance que nous vous portons dans les hautes responsabilités qui sont les vôtres, ainsi qu'aux armées qui vous entourent.
Je veux également saluer l'équipe de collaborateurs présents à vos côtés : l'amiral Xavier Baudouard, le colonel Frédéric Gout, à qui la commission est très reconnaissante pour l'expertise qu'il nous apporte constamment, le capitaine de frégate Schaar et le colonel Faurichon de la Bardonnie.
Je donne à présent la parole à nos rapporteurs puis aux commissaires...
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis (mission « Défense », programme 146, mission « Équipement des forces »). - Mon général, merci pour les mots que vous avez prononcés à l'endroit de notre commission. Ceci démontre que, derrière notre président, Christian Cambon, nous sommes tous là pour soutenir les armées.
Le PLF prévoit la livraison d'un certain nombre de matériels. Nous avons une inquiétude concernant la livraison des 89 Griffon. Arquus et Nexter seront-ils en mesure de les livrer, alors qu'on sait que seuls trois d'entre eux sont pour l'instant sortis des chaînes ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser les livraisons attendues en 2019 de petits équipements dont la ministre a souligné l'importance dans la perspective d'une LPM à hauteur d'homme ?
Enfin, tout le monde s'accorde à souligner la nécessité de soutenir l'innovation en matière de défense. Mais les déclarations seront-elles suivies d'effets tangibles et n'y a-t-il pas un risque de créer une certaine déception si on ne voit pas rapidement de changements en ce domaine ? Par ailleurs, pour concilier les cycles courts et les cycles longs d'innovation, ne faut-il pas une expression des besoins plus souple et moins dogmatique ? La nouvelle instruction générale sur les opérations d'armement, qui doit remplacer l'instruction n°125/ 1516, permettra-t-elle de mieux capter l'innovation au profit des équipements de défense ?
M. Christian Cambon, président. - Je vous indique que je serai présent, avec quelques collègues, pour accueillir le premier MRTT sur la base d'Istres. Nous multiplierons les visites au fur à mesure des livraisons des nouveaux équipements, car c'est un point qui nous intéresse beaucoup.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis (mission « Défense », programme 146, « Équipement des forces »). - Je voudrais revenir sur le report de charges. La LPM avait fixé pour objectif, à terme, de faire descendre le niveau de celui-ci à un point incompressible. Concernant le programme 146, on observe, pour 2019, une augmentation du montant de report de charges, qui passerait de 1,7 milliard d'euros, à la fin 2017, à 2,1 milliards à la fin 2018. Cette augmentation ne va-t-elle pas gêner le début de l'exécution budgétaire de 2019 ?
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis (mission « Défense », programme 178, « Préparation et emploi des forces »). - Je reviens sur la réforme des soutiens enfin annoncée en des termes qui semblent aller dans le bon sens - je cite : « C'est aux soutenants de s'adapter aux soutenus et non l'inverse ». On parle aussi de responsabilisation des commandements. S'agit-il bien dans votre esprit de réparer les dégâts causés par l'organisation en base de défense, qui ont certes économisé 10 000 emplois, mais qui ont fortement complexifié la vie des régiments ? Il fallait obtenir pas moins de 7 signatures pour organiser un simple exercice de tir et prévenir les services concernés...
La résolution de ces aberrations est une évolution que nous appelons de nos voeux, mais qui soulève de réelles questions pour les services de soutien, comme le commissariat des armées, en pleine mutation.
Comment allez-vous combiner les impératifs de mutualisation et d'interopérabilité des services de soutien et des bases de défense et la possibilité de redonner des marges de décisions au commandement ?
Mme Christine Prunaud, rapporteure pour avis (mission « Défense », programme 178, « Préparation et emploi des forces »). - La loi de finances pour 2019 prévoit une augmentation de 8 % pour le programme 178. Le budget d'entretien des matériels atteindra ainsi 4,2 milliards d'euros, pouvez-vous nous donner des précisions sur les axes d'amélioration de la disponibilité des matériels ?
Une fois encore, à notre sens, la préparation opérationnelle de nos militaires semble demeurer le parent pauvre. Vous avez, dans votre intervention, annoncé une nette remontée des niveaux d'activité opérationnelle vers les objectifs fixés pour garantir la sécurité de nos soldats. Pouvez-vous nous les préciser ?
À ce sujet, la sécurité peut-elle être optimale avec des services de soutien presque exsangues ? L'arrêt de la déflation des personnels du service de santé des armées (SSA) et du service du commissariat général est-il selon vous garanti dans le PLF 2019 ?
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis (mission « Défense », programme 212, « Soutien de la politique de défense »). - Mon général, vous avez décerné un satisfecit à la LPM. Celle-ci prévoit 6 000 équivalents temps plein supplémentaires (ETP) sur la programmation, mais seulement 450 ETP supplémentaires sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2019. Ne s'agit-il pas d'un report de l'effort sur les années à venir, alors que les forces armées connaissent encore des besoins criants ? Par ailleurs, la perspective de la réforme des retraites suscite des inquiétudes dans la communauté militaire. Il faudra être suivre avec beaucoup d'attention et de vigilance le déroulement de cette réforme complexe et lourde d'enjeux pour nos militaires.
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis (mission « Défense », programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense »). - Mon général, comment le militaire « de base » perçoit-il la LPM ? Avez-vous des remontées à ce sujet ?
Par ailleurs, comment nous situons-nous par rapport aux standards de l'OTAN en matière de formation et de préparation opérationnelle ?
Vous avez par ailleurs évoqué les recrutements qui vont avoir lieu en matière de renseignement et de cyberdéfense. On entend cependant parler de niveaux de salaires extrêmement différents entre services par rapport au privé. Existe-t-il des déplafonnements ou un système de prime incitative à ce sujet ?
Enfin, la mise en place de l'Agence de l'innovation de défense constitue une évolution dans l'organisation. Comment les armées y sont-elles associées pour participer concrètement à l'innovation dans les programmes d'armement ? Ma question est la même au sujet de l'action de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS)... du ministère de la défense.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis (mission « Défense », programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense »). - Mon général, le programme 144 est sous la responsabilité de la DGRIS. Comment le chef d'état-major des armées participe-t-il à la définition des besoins opérationnels de long terme et des besoins militaires prévisibles qui sont évoqués dans le projet annuel de performances ?
M. Ladislas Poniatowski. - Mon général, quel est votre avis sur la décision de Donald Trump de créer une armée de l'espace ? Il s'agirait d'une sixième arme. On disait au début qu'il s'agissait d'un coup médiatique et politique, et que le Congrès ne suivrait pas Donald Trump.
Comme d'habitude, il y parvient ! Il a inscrit à cette fin une somme de 7 milliards dans le budget militaire, qui est de l'ordre de 630 milliards. C'est un début. Certes, il s'agit de montrer que les Américains sont capables de faire beaucoup plus en matière de sécurisation des satellites par rapport aux Russes et aux Chinois, qui ne peuvent les suivre pour le moment, mais je crains que cela ne crée une tension au niveau mondial. Qu'en pensez-vous ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Mon général, j'aurais souhaité vous interroger sur les conséquences du Brexit sur notre coopération industrielle et notre projet d'autonomie stratégique mais, ne disposant que d'une minute, je me contenterai de vous exhorter à nous soutenir concernant un point qui me paraît extrêmement important.
La semaine dernière, on a annoncé la suppression des journées défense et citoyenneté (JDC) pour les Français de l'étranger, alors que l'on va introduire le service national universel (SNU). Or ces journées sont primordiales en matière de prévention contre le terrorisme, et pour passer un message de citoyenneté et de laïcité face à des étrangers et des binationaux qui n'en comprennent pas toujours ces enjeux.
Quand les JAPD ont été créées, on avait complètement oublié les Français de l'étranger, alors que c'est un sujet très important. Elles ne sont peut-être pas très adaptées, mais il faut cependant les réformer. C'est un message fort qu'il est important de faire passer aux binationaux, qui ne parlent parfois même plus le français !
M. Christian Cambon, président. - Mon général, pouvez-vous faire un point sur le SNU ? Avons-nous des assurances sur le cantonnement de la participation des armées à la seule formation des formateurs ? Vous connaissez la position de la commission, que nous avons exprimée au cours des mois qui précèdent... Nous sommes en ce qui nous concerne pour une étanchéité de ce financement par rapport à la LPM et favorable à ce sujet à une mission budgétaire différenciée de la mission « Défense ».
Général François Lecointre. - Nexter sera-t-il capable de livrer 89 Griffon en 2019 ? Oui, je l'espère bien ! Je ne peux toutefois pas répondre à la place de l'industriel. Je l'espère d'autant plus que le premier régiment à être doté en Griffon sera le 3ème régiment d'infanterie de marine de Vannes, auquel vous le savez, je suis particulièrement attaché. J'y veillerai donc.
En ce qui concerne la livraison des petits équipements, nous bénéficions en 2018 de 10 % d'autorisations d'engagements supplémentaires, soit 301 millions d'euros, avec des infrastructures déployables en OPEX, du matériel de manutention et de l'outillage de maintenance de blindés, des équipements de forces spéciales, des véhicules spécialisés - protection incendie, cynotechnie -, du matériel de génie, dont des engins de travaux publics. J'y ajoute les livraisons de HK416. Il est prévu d'en livrer 8 000 en 2018, ainsi que des gilets pare-balles, qui sont des équipements individuels. Ils concrétisent très visiblement les premiers effets de la LPM.
La ministre et les armées ont la volonté de favoriser l'innovation. La LPM a prévu de faire monter cette ressource jusqu'à 1,1 milliard d'euros, en partant de 730 millions d'euros. L'effort est donc réel. Il va sans doute satisfaire les bureaux d'études et tous ceux qui sont en charge de préparer l'avenir, mais surtout, c'est une nécessité. Nous avons choisi à la fois d'augmenter le format des armées, mais aussi de les moderniser. Ce n'est qu'à travers ces deux dimensions que nous pourrons répondre à hauteur de ce que les armées ont effectué au cours des dix ou quinze dernières années. L'augmentation du format est limitée aux capacités les plus sollicitées et qui nous paraissent les plus structurantes, comme la composante blindée médiane.
Certes, avec cette LPM, nous avons choisi d'augmenter le format des armées pour répondre à un contrat opérationnel bien plus important, à hauteur de ce que les armées ont effectué au cours des dix ou quinze dernières années. Cette augmentation du format est cependant limitée aux capacités les plus sollicitées et qui nous paraissent les plus structurantes, comme la composante blindée médiane.
Car il s'agit bien, en parallèle, de conduire l'important effort d'innovation qui nous paraît essentiel pour garantir la modernisation de nos armées et préparer ainsi la prochaine génération de grands équipements. Nous sommes aujourd'hui lancés dans un renouvellement majeur de ceux-ci, qui constituera la deuxième grande phase depuis la fin de la guerre d'Algérie. Pour prendre l'exemple du char, nous avons eu l'AMX30, puis le Leclerc. Il s'agit de préparer la troisième génération, et c'est maintenant que cela se fait.
L'effort d'innovation est donc réel et indispensable. D'ailleurs, cette innovation n'est pas seulement liée à la prise en compte des nouvelles technologies, mais également à l'usage. J'aime citer l'exemple de Sentinelle et du système Auxylium, qui constitue une grande réussite, à laquelle la section technique de l'armée de terre et la DGA ont su s'adapter, suivant la proposition spontanée de nos jeunes soldats.
Les armées voient ce que cela produit. On a des exemples concrets d'équipements nouveaux assez remarquables. Cet effet va encore s'accentuer, et nous y sommes particulièrement attentifs.
Pour le reste, je demeure prudent : l'innovation et l'évolution permanente de nos équipements ne doivent pas faire l'impasse sur les règles de sécurité, la validation par les chefs d'état-major, la capacité de ces équipements à être soutenus dans la durée et à bénéficier d'un soutien par l'industriel en pièces détachées. Il faut être à la fois très agile - et les textes vont le permettre - et capable d'assurer une durée de vie de parfois 60 ans.
L'expression du besoin, pour moi, par le biais de l'instruction 1516 et de l'Agence de l'innovation, va être de plus en plus souple. Nous y veillons.
Mme Conway-Mouret a évoqué le report de charges : pour moi, il est exactement comme nous l'avions prévu. Nous étions, fin 2017, à 3,1 milliards d'euros pour la mission « Défense ». Nous serons, à la fin de 2018, à 3,4 milliards d'euros et à 3,8 milliards d'euros à la fin de 2019.
Ces augmentations seront liées à l'augmentation de la ressource globale du ministère des armées. En 2019, le report de charges serait à 16 % des crédits de la loi de finances hors titre II, l'idée étant d'arriver, fin 2025, à 10 % de la ressource, ce qui nous semble être le seuil incompressible de report de charges, principalement du fait de nos engagements sur le programme 146. Cette trajectoire a été négociée avec Bercy, et nous sommes sur le trait de celle-ci. Je ne pense pas qu'il y ait d'inquiétudes à avoir à ce stade.
M. Bockel a posé la question de la réforme des soutiens, sujet sur lequel vous allez pouvoir interroger le major général cet après-midi. Je suis prudent lorsque je m'exprime sur ce sujet. Je rends malgré tout hommage à ce qui a été fait dans le cadre de la RGPP, en reconnaissant qu'une rationalisation de processus et une grande professionnalisation étaient nécessaires. Nous n'avons de toute manière pas eu le choix et avons gagné en effectifs de façon considérable.
Pour autant, je considère que le processus de réforme du soutien a conduit, par création de tuyaux d'orgue, aux difficultés que vous avez évoquées, qui sont très durement ressenties par nos soldats, officiers et sous-officiers. Les processus sont abracadabrantesques : il faut ainsi sept signatures pour se rendre à une séance de tir !
Ceci a fini - et c'est ce qui me paraît être le plus grave - par aboutir à une véritable déresponsabilisation du commandement. Je vous ai dit à quel point j'estime important de durcir nos armées et de remettre en avant le principe d'autonomie qui doit présider à l'organisation des armées. L'autonomie signifie qu'un chef a les moyens de faire face à ses responsabilités.
Imaginer qu'un chef de corps d'un régiment puisse n'être que celui qui est en charge de la préparation opérationnelle et de son engagement au combat, et non du reste est une faute grave ! Le chef de corps est aussi responsable du bien-être de ses soldats, du moral des familles, et c'est cette responsabilité globale qu'il doit assumer qui fait qu'il sera apprécié et suivi au combat et en opération par ses hommes.
C'est une vision paternaliste du commandement militaire qui nous est parfois reprochée. L'exceptionnalité du fait militaire, qui consiste à engager des hommes à la mort ou de les conduire au combat au risque de leur propre vie, justifie pleinement cette responsabilité singulière que doit assumer le commandement.
Mon souhait est de redonner de la subsidiarité en renforçant les pouvoirs des patrons des bases de défense, qui auront une faculté d'arbitrage plus forte, en rapprochant le soutien des formations elles-mêmes. J'ai donné un certain nombre d'ordres pour que les commandants de formation opérationnelle aient un pouvoir de prescriptions plus important vis-à-vis d'antennes de soutien qui seront plus directement attachées à leurs unités.
Je souhaite également que l'on puisse donner des moyens aux commandants de zones de défense et aux commandants d'arrondissements maritimes pour faciliter les arbitrages sans que tout ne remonte à Paris.
Enfin, je souhaite que les chefs d'état-major d'armées puissent davantage qu'aujourd'hui avoir leur mot à dire sur un certain nombre de grands choix structurants : effectifs, infrastructures, systèmes d'information....
C'est donc une fusée à plusieurs étages. L'impulsion est donnée. La ministre s'est appropriée cette volonté. Elle l'a clairement dit lors des Universités d'été de la défense. Je m'en réjouis. Ceci va nécessiter des aménagements assez importants au sein du ministère. J'ai le plein appui de la ministre et j'y travaille avec les unités et les services qui me sont directement subordonnés, mais également avec le secrétaire général pour l'administration, qui partage ce souci. J'attends beaucoup de vos échanges avec l'amiral Casabianca à ce sujet.
Mme Prunaud, vous m'avez interrogé sur l'évolution du niveau d'activité opérationnelle. Quels sont les objectifs pour 2019 ? Il s'agit de faire remonter ceux-ci, pour assurer, comme vous le soulignez, la sécurité de nos soldats. Pour cela, nous avons fait le choix de commencer par régénérer le matériel fortement sollicité par les engagements.
Cela va nous redonner de la disponibilité, et donc permettre plus d'entraînements sur matériels majeurs. Cela me paraît essentiel, même si ce n'est pas seulement l'augmentation de la ressource qui va permettre d'améliorer la disponibilité opérationnelle de nos équipements, mais également la réforme du MCO. Nous avons par exemple engagé une réforme important du MCO aérien avec la création de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). J'attends de voir les premiers résultats.
J'ai reçu Mme Legrand-Laroche il y a dix jours. Nous en avons parlé. Elle a profondément restructuré l'ancienne SIMMAD. Elle est en train de renégocier et de repenser la verticalisation des contrats d'entretien des matériels majeurs des armées. Ce travail est en cours.
Nous n'avons pas le droit de ne pas réussir ce pari ni de ne pas relever ce défi, à la fois pour que nos hommes puissent se préparer dans de bonnes conditions et pour que nous puissions engager tous les équipements dans les opérations lorsque le Président de la République l'exige.
Le principal souci de sécurité nécessite aujourd'hui - le général Lavigne vous en parlera - que l'on étudie de très près quelques accidents ou incidents qui se sont produits dans l'armée de l'air, qui montrent que le niveau d'entraînement et de préparation opérationnelle de nos pilotes a atteint un seuil bas. Nous y sommes extrêmement attentifs. Le chef d'état-major de l'armée de l'air précédent, le général Lanata, y prêtait déjà attention avant le général Lavigne. Un plan d'action est en cours sur cette question.
Quant au Service de Santé des Armées, il n'est pas exsangue, pas plus que le Service du Commissariat des Armées. Effectivement, la dernière annuité de la LPM précédente prévoyait une déflation de 330 postes. En prenant mes fonctions, j'ai décidé d'accorder au SSA un moratoire pour encaisser la réforme hospitalière, et ces déflations ont donc été reportées sur l'armée de terre. Finalement, ces déflations n'ont pas eu lieu du tout, et sur la prochaine LPM, le SSA est prévu de gagner 126 postes : lentement entre 2019 et 2022 (+11), puis de façon plus significative de 2023 à 2025 (+115). Si l'impression d'une baisse des effectifs peut éventuellement perdurer, c'est que, dans le même temps, nous avons effectué une manoeuvre croisée en baissant les effectifs de la fonction hospitalière pour augmenter ceux de la médecine des forces. Nous avons décidé cette revue à la hausse des effectifs du SSA pour lui permettre de conduire sa réforme dans de bonnes conditions.
En parallèle, nous devons porter notre effort sur l'attractivité générale du service de santé, et mener une réflexion sur le niveau de rémunération de nos soignants, de nos médecins et de nos infirmiers, qui sont dans un secteur fortement concurrentiel.
Un certain nombre de mesures concernant la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) vont être prises. Des primes pour les médecins généralistes sont en particulier d'ores et déjà programmées pour le PLF 2019, ainsi qu'un certain nombre d'autres mesures urgentes. Il ne s'agit toutefois pas de prendre des mesures indiciaires importantes, qui viendraient télescoper ce que nous allons faire dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui doit être un tout global et cohérent. Je n'ai pas d'inquiétude majeure, même si nous sommes attentifs aux évolutions du SSA. Je pense que Mme Gygax-Généro est à la manoeuvre avec efficacité.
M. Roger m'a interrogé à propos des effectifs. Nous avons fait un choix, je l'ai dit, entre modernisation et augmentation du format des armées. En 2025, nous aurons une armée consolidée, modernisée, dont le format de certaines capacités clés engagées dans les OPEX aura été augmenté, mais celle-ci ne sera pas capable de faire face à un conflit majeur tel une guerre interétatique massive. Cela me paraît évident.
En revanche, nous serons en situation de faire face aux besoins d'une montée en puissance importante si celle-ci devait s'imposer à nous. Je pense donc que les effectifs consentis aujourd'hui sont suffisants dans le cadre de la LPM.
Vous me dites qu'ils arrivent trop tardivement. Je souhaite parvenir à réaliser l'augmentation de 450 personnes prévues dans des spécialités rares, sur lesquelles il existe une concurrence forte. C'est là la difficulté. Les effectifs que nous voulons conquérir sont des effectifs que tout le monde recherche, notamment dans le domaine cybernétique.
Il nous faut déjà réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés. Je suis confiant à cet égard. Il nous faudra réussir les adaptations nécessaires en matière de primes de fidélisation ou d'attractivité. Faisons-le pas à pas. Je pense que ce sera suffisant.
Par ailleurs, nous avons lancé un processus d'audit de l'organisation qui doit permettre de redéployer des effectifs. L'évolution du combat et des processus liés à la numérisation doivent permettre de les diminuer à certains endroits pour les réaffecter ailleurs. Ce travail est essentiel.
Pour une fois, nous ne demandons pas aux chefs d'état-major et aux différents responsables militaires où ils vont couper des têtes, mais où ils souhaitent affecter prioritairement des effectifs, en en économisant ailleurs. La démarche est très différente. J'ai plutôt bon espoir.
J'ai évoqué la réforme des retraites dans mon propos liminaire. Je n'ai pas d'inquiétude à ce stade. Je tiens à ce que l'on conserve ce qui est structurant pour les armées, c'est-à-dire une retraite à jouissance immédiate, permettant de garantir la jeunesse de nos forces. Cette retraite doit être évidemment d'un niveau décent, cumulable avec un revenu d'activité. Il nous faut aussi prendre en compte les contraintes propres aux métiers militaires qui permettent d'accorder des annuités supplémentaires aux soldats, marins, aviateurs, qui partent en opérations.
D'après ce que je comprends de la lettre de Mme Buzyn et du haut-commissaire aux retraites, je n'ai pas d'inquiétude, mais nous demeurons extrêmement vigilants.
M. Allizard m'a posé la question de la perception de la LPM par la base. Je n'en sais rien ! Je veille d'abord à ne pas créer une impatience à laquelle nous ne saurions répondre. Or tous, ici, nous avons eu une communication très positive sur cette LPM. Objectivement, les engagements sont forts, La volonté présidentielle, celle du Gouvernement et l'implication de votre propre commission ont été extrêmement importantes.
Nous créons évidemment beaucoup d'attente. L'objectif est de prendre quelques précautions oratoires, en donnant très vite des signes immédiats d'amélioration. La perception devrait être bonne.
Ce qui m'inquiète, c'est l'effet « poisson rouge ». Il n'y a sans doute pas que dans les armées que cela se passe mais, pour ce que je peux en juger, une fois un avantage acquis, on oublie ce qu'il en était avant. Soyons donc capables de mettre en perspective les progrès accomplis. Certains se plaignent d'être obligés de se payer leurs équipements de protection, ce qui est rigoureusement faux. Lorsque j'observe la qualité de l'équipement individuel, qui progresse depuis quinze ans, je me dis qu'on oublie un peu vite les progrès réalisés !
J'ai demandé à l'ensemble des commandements des armées de réaliser cette mise en perspective afin que chacun sache mesurer les progrès accomplis. C'est ainsi : nos soldats sont impatients de pouvoir mieux combattre pour leur pays. Ils ont tendance à oublier que les choses ne cessent de s'améliorer.
Le 3ème régiment d'infanterie de marine, cher à mon coeur, va recevoir le Griffon à partir de 2019. Quand j'étais chef de corps de ce régiment, j'ai perçu en arrivant le dernier véhicule de l'avant blindé revalorisé. J'en avais 70 tout neufs, remotorisés et mieux blindés. Certains se sont néanmoins plaint de la vétusté de leurs équipements, alors que celui-ci était neuf et qu'on y avait apporté les modernisations qu'ils avaient eux-mêmes réclamées pendant dix ans ! Il faut écouter la base, mais aussi faire de la pédagogie. Nous travaillons tous en ce sens.
Nous atteignons les standards OTAN. Je n'ai pas d'inquiétude de ce point de vue. J'ai cité les chiffres de JPO et d'heures de vol. Nous y sommes. Je rentre de Varsovie, où se tenait le Comité des chefs d'état-major des armées de l'OTAN : tous les généraux de l'OTAN que j'ai rencontrés m'ont fait savoir que nos officiers, nos sous-officiers et nos soldats sont remarquables. Ce sont les mieux entraînés et les plus compétents de tous. Tout le monde se les arrache !
Nous travaillons sur les niveaux de salaire et de primes, que ce soit pour nos médecins ou pour les spécialités rares que nous sommes obligés de recruter. Je suis également attentif à l'unicité du statut et au fait que la nécessaire attractivité qui doit être garantie pour des métiers qui font l'objet d'une forte concurrence avec le secteur civil n'entraîne pas d'inégalité flagrante entre militaires de même grade.
Année après année, selon les rapports du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire, les plus maltraités sont les têtes de pyramide des armées. Aujourd'hui, à niveau de qualification et de responsabilité identique, c'est parmi les cadres militaires, par rapport à la haute fonction publique, et non parmi les sous-officiers ou les militaires du rang, que l'on observe le plus fort décalage.
C'est un sujet difficile à porter, car il n'est pas populaire, mais je pense qu'il faut y être attentif. Je veille que nous conservions pour les armées un haut commandement de grande qualité.
Oui, les armées sont associées directement à l'Agence de l'Innovation de la Défense. Nous serons par ailleurs représentés au sein du Conseil de surveillance et d'orientation des travaux.
M. Boutant a évoqué la définition du besoin militaire prévisible. C'est nous qui le définissons. Nous bénéficions d'outils comme le Groupe d'anticipation stratégique (GAS) pour établir le besoin militaire prévisible (BMP). Il s'agit d'un document d'une trentaine de pages, mis à jour chaque année. C'est une responsabilité directe de l'état-major des armées. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir à ce propos.
De manière générale, même si cela n'a pas toujours été le cas, et même si la création de la DGRIS, au moment où elle a été décidée, a pu être de nature conflictuelle, parce qu'on prenait une partie des moyens de l'état-major des armées pour la renforcer, les relations sont aujourd'hui extrêmement fructueuses.
Nous sommes très complémentaires, et la DGRIS n'est jamais en concurrence avec les armées. Je pense que nous avons su préserver la place de la parole des armées dans le système français. J'ai la garantie que l'avis militaire reste prépondérant au sein du ministère.
Cet avis militaire participe de la définition globale d'un avis politique qui va bien entendu prendre en compte la vision diplomatique, technologique et scientifique, mais il reste toujours au centre de la parole portée par la ministre. Je pense que notre système le garantit, ce qui n'est pas toujours le cas ailleurs en Europe, où d'autres considérations peuvent parfois primer. Cela me semble dommage, tout ministère de la Défense devant d'abord se soucier de l'avis militaire. En France, le positionnement du Président de la République est également déterminant dans ce domaine.
M. Poniatowski a parlé de l'armée de l'espace. Vous avez suivi le discours de la ministre, il y a quelques semaines, à Toulouse. Il existe évidemment un risque de tension du fait des déclarations du Président Trump. Ce n'est sans doute pas le seul domaine, étant donné les prises de position du président américain.
On ne peut cependant pas éluder la question de l'espace et de ce que nous souhaitons y faire, tout en essayant à tout prix d'éviter son arsenalisation et sa militarisation.
Néanmoins, l'espace est aujourd'hui essentiel pour les armées, avec un investissement dans le satellitaire dans le PLF 2019. C'est important pour l'observation, les transmissions, le renseignement, et pour nos systèmes de guidage et de positionnement. Aujourd'hui, je ne vois pas de solution qui puisse faire abstraction de notre présence dans l'espace.
Nous continuons d'y être et sommes en train de réfléchir, sous l'impulsion de la ministre, à une évolution de la gouvernance au sein du ministère, qui permettrait, sans créer une armée de l'espace, de garantir notre capacité à conduire nos opérations dans l'espace et à observer ce qui s'y passe.
Nous avons un commandement interarmées de l'espace. Nous travaillons de la façon plus harmonieuse possible avec la DGA, le CNES et l'armée de l'air qui, de façon assez naturelle, doit avoir un rôle prépondérant dans cette dimension nouvelle.
L'inquiétude existe. La France est attentive à ce qu'il n'y ait pas d'arsenalisation de l'espace. Malgré tout, elle sera attentive à pouvoir utiliser au mieux l'espace au profit des armées. Nous sommes une grande puissance spatiale, et je pense que nous le demeurons, y compris dans les projets de développement en coopération en l'Europe.
Mme Garriaud-Maylam a posé la question de la suppression de la JDC pour les Français de l'étranger : je n'étais pas au courant !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je m'en doute. Je pense qu'il est important que vous en soyez informé et que vous nous aidiez. Cela ne coûte quasiment rien, mais on l'a supprimé pour raisons budgétaires, alors que l'animation est réalisée par les attachés de défense !
Nous aurions vraiment besoin de votre aide. Je sais qu'Hélène Conway-Mouret est de mon avis. Nous allons essayer de faire revenir le Quai d'Orsay sur cette question vraiment très importante.
Général François Lecointre. - J'ai bien entendu votre exhortation, madame.
La question sur le SNU posée par le président me paraît importante. Je l'ai abordée hier, et je vais à nouveau l'évoquer cet après-midi, par le biais du Conseil de gestion du secrétariat général de la garde nationale.
La garde nationale a été créée sous l'impulsion du Président Hollande et visait à répondre à une sorte d'élan patriotique de nos jeunes qui voulaient s'engager. Ceci nous a fait très peur, craignant que les fantasmes des uns et des autres ne conduisent à essayer de créer l'équivalent de la garde nationale américaine, ce qui est une folie. En fait, nous avons réussi à le faire en préservant l'apport des réserves pour chaque armée.
Tout cela pour dire qu'il existe un lien direct entre les réserves et le SNU. Les armées ne seront-elles en charge que de la formation des formateurs ? Rien n'est décidé, bien qu'un certain nombre de sujets soient à l'étude. La partie obligatoire comporterait deux phases, dont une d'engagement qui peut être choisie par l'intéressé. Celle-ci pourrait-elle avoir lieu dans le cadre des préparations militaires réalisées par les différentes armées ? On doit former annuellement 20 000 jeunes. S'il fallait répondre à une demande beaucoup plus importante...
M. Christian Cambon, président. - Le Premier ministre a fait une déclaration évoquant une expérimentation à la Toussaint 2019. Or il n'y a rien dans le budget 2019. C'est pourquoi nous posons la question avec inquiétude.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - On parle d'un secrétaire d'État au SNU dans le prochain Gouvernement !
Général François Lecointre. - Si nous devons mener une expérimentation à la Toussaint 2019, nous devons au préalable étudier comment nous pouvons encaisser les flux de formation induits dans nos écoles sans augmenter notre encadrement. C'est cependant lorsque l'on passera à la phase « industrielle » qu'il faudra que l'on ait précisément vu ce que l'on est capables de faire.
Encore une fois, je pense qu'il y aura forcément une implication très forte de la réserve dans cette deuxième partie de la première phase obligatoire du SNU.
M. Christian Cambon, président. - Je déplore le manque d'information du Parlement... Beaucoup de concertations ont soi-disant lieu, mais on n'entend pas parler de grand-chose, alors que chaque famille est directement concernée par cette réforme !
Général, merci infiniment.
Nomination de rapporteurs
La commission nomme rapporteurs :
M. Olivier Cadic sur le projet de loi n° 611 (2017-2018) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l'Autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français, en remplacement de M. Olivier Cigolotti ;
M. Jean-Paul Emorine sur la proposition de résolution européenne n° 18 (2018-2019), en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l'extraterritorialité des sanctions américaines.
La réunion est close à 12 h 40.