- Lundi 30 juillet 2018
- Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de MM. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord, et Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental de la sécurité publique du Nord
- Audition de M. Jean-Marie Girier, chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle
- Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
- Audition de M. Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône
- Audition du Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la Présidence de la République
- Mardi 31 juillet 2018
- Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Christophe Castaner, délégué général du Mouvement La République en Marche
- Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes - Examen d'un amendement au texte de la commission mixte paritaire
- Projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
- Questions diverses
- Dépouillement simultané, au sein des commissions des lois des deux assemblées, des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Raphaël Alventosa aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques
- Mercredi 1er août 2018
Lundi 30 juillet 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 10 h 35.
Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de MM. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord, et Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental de la sécurité publique du Nord
M. Philippe Bas, président. - Lorsque la question m'a été posée de savoir s'il convenait d'auditionner M. Benalla, j'ai considéré qu'à l'évidence cette audition pourrait être utile pour éclairer les conditions d'organisation et de fonctionnement de la sécurité du Président de la République et le rôle particulier que M. Benalla y a tenu. Elle pourrait également être utile pour apprécier l'adéquation des moyens dont il disposait pour exercer ses missions et pour mieux comprendre si, au-delà de sa participation à la protection rapprochée du Président de la République - fonction qu'il revendique comme ayant été une de ses attributions - M. Benalla prenait aussi place dans la hiérarchie des services de sécurité de la présidence de la République et jouait plus largement un rôle d'interface avec les services de sécurité du ministère de l'intérieur.
Cependant, il m'est apparu que deux principes rendaient cette audition difficile, au premier rang desquels celui de la séparation des pouvoirs, exigence fondamentale que nous passons nos journées à rappeler depuis le début de ces auditions, et dont nous sommes les gardiens en tant que membres de la commission des lois exerçant les pouvoirs d'une commission d'enquête. Nous ne pouvons pas prendre à la légère ce principe et nous ne devons pas enquêter sur des faits qui font l'objet de poursuites ou bien d'une information judiciaires.
Il faut pourtant préciser, pour être parfaitement exact, que cet obstacle a déjà été levé dans le passé, par exemple en 1999, lorsque la commission d'enquête du Sénat sur les paillotes corses a auditionné le préfet Bonnet et plusieurs autres protagonistes. Elle avait toutefois pris de très grandes précautions, en auditionnant les intéressés à huis clos, en écartant toute question relative à des faits dont la justice était saisie et en ne rendant pas publics dans son rapport les éléments susceptibles d'intéresser la justice.
L'autre principe qui rend difficile l'audition de M. Benalla est celui du respect des droits de la défense. Il ne faudrait pas qu'une personne auditionnée s'exprimant sous serment devant la commission puisse être conduite à témoigner contre elle-même. Ce principe fondamental des droits de la défense est reconnu par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l'homme. D'où ma décision initiale d'écarter cette audition, la semaine dernière.
À l'occasion d'un entretien dans un journal, après avoir livré sa propre version de ses fonctions, M. Benalla a fait savoir son « envie » - ce sont ses termes - d'être auditionné par notre commission, ajoutant qu'il avait « de quoi nous donner des explications ». Dès lors, dans le respect des principes essentiels que je viens de rappeler, auxquels nous ne devons jamais déroger, je m'entretiendrai de nouveau avec nos rapporteurs, et nous aurons une discussion interne à la commission, puis nous verrons à la rentrée ce qu'il convient de faire.
Nous entendons à présent M. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France et préfet du Nord, et M. Luc-Didier Mazoyer, inspecteur général de la police nationale et directeur départemental de la sécurité publique du Nord. Pourquoi avons-nous décidé de les entendre ? Tout simplement, parce qu'au vu de leur grande expérience de l'organisation des déplacements présidentiels, ils pourront nous expliquer très factuellement comment se sont déroulés les deux déplacements présidentiels qui ont eu lieu dans le département du Nord, l'an dernier. Même si M. le préfet n'a peut-être pas été directement en contact avec M. Benalla, car il oeuvre au sommet de la pyramide de l'État dans son département, il a sans doute pu recueillir quelques informations sur le rôle que celui-ci jouait lors des déplacements présidentiels. Il pourra nous dire comment M. Benalla s'est inscrit dans l'organisation de ces déplacements, ce qui correspond à la fonction officielle qui lui était attribuée selon ce qu'a rappelé le directeur de cabinet du Président de la République. Il pourra aussi nous éclairer sur la manière dont M. Benalla a oeuvré à la protection rapprochée du chef de l'État, fonction de fait qu'il revendique et que nous avons pu constater.
Nous aurons une audition de même nature, cet après-midi, avec M. le préfet de police des Bouches-du-Rhône.
Notre commission ayant été dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Michel Lalande et Luc-Didier Mazoyer prêtent serment.
M. Michel Lalande, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord. - Le Président de la République a fait deux déplacements dans le département du Nord, l'un en novembre dernier, sur un itinéraire qui l'a conduit à Lille, Tourcoing et Roubaix durant deux jours, l'autre en janvier dernier, à Onnaing, à côté de Valenciennes, où il est resté quatre heures, à la faveur de l'annonce par un constructeur automobile d'un investissement extrêmement important. Pour des déplacements de durée aussi différentes, les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes, en termes de préparation et de mobilisation. M. Benalla était présent lors du premier déplacement à Lille, Roubaix et Tourcoing, absent lors du second.
J'organise les déplacements présidentiels depuis des années - cela remonte au Président Mitterrand. La logique de cette organisation repose sur un socle de quatre acteurs qui a peu évolué : le chef de cabinet du Président de la République, le service du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), et au niveau territorial le préfet et le directeur départemental de la sécurité publique ou le colonel de gendarmerie si le déplacement a lieu en zone gendarmerie. Ce socle est exactement le même lorsque le Premier ministre se déplace.
Son action se déploie d'abord dans la phase amont de préparation, période de loin la plus importante, puis pendant le temps du déplacement, plus apaisé dès lors qu'une bonne préparation a aplani les difficultés. La première étape relève d'un choix éminemment politique qui consiste à déterminer le thème du déplacement, qu'il s'agisse de la politique de la ville ou du soutien industriel à une entreprise automobile dans le Nord. Il reste ensuite à décliner ces thèmes de manière à leur donner une expression et une force politiques singulières. C'est alors que nous séquençons le déplacement sur le territoire en coordination avec le chef de cabinet et les conseillers du Président de la République, voire avec les conseillers d'autres cabinets ministériels. Une fois l'itinérance stabilisée, vient le temps de la reconnaissance de toutes les séquences, qu'il s'agisse de l'itinéraire emprunté par le convoi, du repérage de chaque site, de la détermination des personnes ressources sur chacun d'eux.
Plus le déplacement est long, plus la préparation dure et plus les personnes engagées sont nombreuses. La préparation du déplacement à Onnaing, le 22 janvier dernier, n'a rien à voir en intensité avec celle du déplacement qui a eu lieu au mois de novembre. Le nombre de personnes embarquées n'a pas été le même. M. Benalla était présent lors du déplacement de novembre, il ne l'était pas au mois de janvier. Pour tout vous dire, je n'ai gardé aucun souvenir de sa présence, et les archives montrent qu'il n'a joué aucun rôle en matière de sécurité. Il intervient en réalité la veille du déplacement du Président pour préciser les conditions de son installation, notamment à Roubaix, ce qui correspond, à mon avis, pleinement au rôle d'un membre d'une chefferie de cabinet qui s'assure que son patron est bien installé, que le plan de table est correct, et que l'image dégagée sera positive.
Juste avant le déplacement, le directeur départemental de la sécurité publique prépare le plan de sécurité qu'il finalise avec le GSPR et moi-même. Puis, il le met en oeuvre avec les renforts et les moyens que je négocie auprès du ministère de l'intérieur, à savoir des compagnies de CRS ou des escadrons de gendarmerie mobile.
Enfin, vient le temps du déplacement qui, au mois de novembre, a duré une fin d'après-midi, une soirée, une nuit à l'hôtel, car les chambres de la préfecture étaient en travaux, et une grosse demi-journée, le lendemain. Tout cela s'est passé sans incident majeur, d'après ce qu'a pu relayer la presse, en tout cas sans rien qui ait pu attirer notre attention, de sorte que ce déplacement dans le Nord peut être considéré comme un déplacement réussi. Cela était également le cas pour celui de Valenciennes. Encore une fois, M. Benalla n'était pas là en janvier, et en novembre son rôle ne concernait pas la sécurité.
M. Luc-Didier Mazoyer, directeur départemental de la sécurité publique du Nord. - Le socle qu'a décrit M. le préfet n'intervient pas seulement dans la phase de préparation, mais aussi pendant toute la durée de la visite. Les interlocuteurs du directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) sont le préfet, le chef du GSPR, son adjoint et le chef de cabinet. Le DDSP doit prendre en compte trois grands axes : l'état de la menace, qui peut être notamment terroriste ; le risque de contestation sociale, car une visite du chef de l'État offre une caisse de résonance puissante de sorte que des manifestations interviennent quasi-systématiquement lors de ces déplacements ; le cortège circulation enfin, axe important que je délègue régulièrement à mon directeur adjoint, car je dois me tenir au contact du préfet pour adapter le dispositif en fonction de son évolution.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous venez de nous indiquer que M. Benalla n'avait pas de rôle à jouer en matière de sécurité, lorsqu'il a accompagné le déplacement du Président de la République. Savez-vous s'il a participé à la préparation en amont ? Pourriez-vous nous indiquer plus précisément les réunions auxquelles il était présent ?
M. Michel Lalande. - Il n'a participé à aucune réunion organisée autour de la sécurité. Il n'a jamais été impliqué ni de près ni de loin dans la sécurité du Président de la République. Les documents que je pourrai vous transmettre l'attestent. Un document, daté du 13 novembre, fac-similé du cortège présidentiel, le mentionne à sa place, c'est-à-dire avec les conseillers techniques du Président de la République, très loin du GSPR et de la voiture présidentielle. En aucune façon, du moins pour ce déplacement dans le Nord dont j'ai assuré la supervision et la direction, M. Benalla n'a été présent. Quant aux réunions techniques qui ont pu avoir lieu sous mon autorité ou celle de mon directeur de cabinet, il n'a pas non plus interféré de quelque manière que ce soit.
M. Luc-Didier Mazoyer. - Je n'ai aucun souvenir de la présence de M. Benalla lors du déplacement du Président de la République dans le Nord. Je ne le connaissais pas, et, même après l'avoir vu dans les médias, aucune image ne m'est revenue de sa présence. Je rappelle que j'ai participé, non pas à ce qu'on appelle le couvert, c'est-à-dire la visite à l'intérieur des locaux, mais à toutes les autres séquences, notamment l'arrivée du Président en préfecture, alors même que des manifestants se trouvaient devant le bâtiment, le déplacement sur le site de la Bourgogne, où nous avons dû contenir quelques manifestants isolés, le bain de foule pris par le Président au milieu de quelques centaines de personnes, et enfin, dernier épisode, celui du secteur dit de la Plaine images à Roubaix, à savoir la visite d'une start-up, durant laquelle les forces de CRS ont retenu des manifestants. À aucun moment M. Benalla n'a interféré ni n'est intervenu dans le dispositif.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - À vous en croire, M. Benalla n'a jamais été à proximité du Président de la République durant ce déplacement. Ce rôle protocolaire que vous lui prêtez - organisation du plan de table, réservation de l'hôtel... - est-il compatible avec le fait qu'on le voit assez souvent à proximité du Président de la République ?
M. Michel Lalande. - Je n'ai pas dit qu'il n'avait pas été à proximité du Président de la République. J'ai simplement dit que je n'avais aucun souvenir de l'y avoir vu. Les photos de presse ne le font apparaître nulle part. Pour autant, il reste possible qu'il ait été dans l'entourage du Président. Dans le cadre de sa fonction de conseiller, il a pu, comme bien d'autres conseillers le font, s'approcher du Président pour lui faire passer des messages, à tel ou tel moment. Je n'ai aucun commentaire à faire là-dessus.
On a retrouvé trace de la valeur ajoutée de M. Benalla dans l'organisation précise de deux séquences qui ont eu lieu à la Condition publique à Roubaix, ce site magnifique où s'est tenue une rencontre avec des jeunes autour de l'exposition « Toi, président », puis un dîner où étaient conviées une trentaine de personnes. M. Benalla est alors intervenu pour faire son métier, en gérant le plan de table, l'organisation du dîner, le filtrage des invités, ou encore en prévoyant les interventions du Président de la République. Il était dans son rôle, comme d'autres conseillers l'ont été en intervenant sur le fond du dossier dans tel ou tel domaine de la politique de la ville.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Connaissant depuis longtemps votre action au service de l'État et de la République, je voulais simplement vous demander si vous aviez eu connaissance d'insuffisances ou de dysfonctionnements dans la sécurité du chef de l'État, au cours de voyages que vous auriez organisés.
Je risquerais bien une autre question, mais à laquelle vous pourriez très bien ne pas répondre, car vous êtes un préfet de la République, solidaire du ministre de l'intérieur et du Président de la République. Il a été question d'une réorganisation de la sécurité du Président de la République impliquant la fusion du GSPR et du commandement militaire, de sorte que l'entité ainsi constituée serait autonome par rapport au ministère de l'intérieur. Ce sujet appelle-t-il des commentaires de votre part ? Je comprendrais très bien qu'il n'en appelle pas.
M. Michel Lalande. - Vous avez parfaitement compris que je ne vous répondrai pas et je vous en remercie. Peut-être que j'ouvrirai un jour une société de consulting. J'ai un peu d'expérience, mes cheveux blancs en témoignent. Cependant, pour ma part, je n'ai jamais vu d'insuffisances dans la sécurité du Président de la République. J'ai plutôt vu des présidents réclamer davantage d'espace pour respirer et se déplacer plus librement, aller voir les élus, les habitants, entrer dans les maisons, toucher la réalité la plus concrète. Cette envie de respirer était commune aux quatre présidents que j'ai servis. Je les ai plutôt entendus nous demander, à moins que les membres de leur cabinet ne le fassent, d'éloigner les forces de sécurité, bien sûr ni au vu ni au su de possibles agresseurs.
Le GSPR assure la protection rapprochée du Président de la République, mais cette protection rapprochée n'épuise pas la question de la sécurité d'un déplacement présidentiel, car il faut prendre en compte les deux autres composantes que sont les accompagnants du Président, qui sont parfois des ministres exposés à une insécurité réelle, et le public que nous devons sécuriser. C'est un sujet majeur. Nous déployons une stratégie d'organisation de nos forces pour prévenir, anticiper et repérer les anomalies dans les comportements de tel ou tel individu. Nous assurons aussi une sécurité de proximité, qui est la plus difficile à tenir, car elle doit s'exercer sans être visible, mais en étant suffisamment efficace pour empêcher un Ravaillac, ou maîtriser tout individu avide d'exister à tout prix dans une image éphémère sur une chaîne de télévision.
Est-ce que les Présidents de la République sont plus défendus en France qu'à l'étranger ? J'ai supervisé l'organisation du soixante-dixième anniversaire du débarquement en Normandie, où 22 chefs d'État étaient présents. Certaines puissances étrangères ont des exigences nettement plus élevées, à tous égards.
M. Philippe Bas, président. - Merci, monsieur le préfet. Vous exprimez très bien la tension intérieure que doit ressentir un préfet qui organise un déplacement du Président de la République. Si des manifestants arrivent à proximité du Président, il est arrivé dans le passé que le préfet en fasse les frais et soit relevé de ses fonctions deux jours après le déplacement présidentiel, alors même qu'il avait alerté la présidence sur les précautions à prendre, en se voyant opposer un refus. Diriez-vous que le cabinet du Président de la République vous a laissé les coudées franches pour assurer ce déplacement et trouver le bon équilibre entre la sécurité et la respiration du Président de la République ?
M. Michel Lalande. - Oui, sans aucune réserve. D'autant que le second déplacement était extrêmement facile, sans autre problème que celui du brouillard qui risquait de gêner l'atterrissage de l'avion. Les enjeux étaient autrement plus conséquents au mois de novembre, et nous n'avons eu aucune difficulté pour obtenir les moyens dont nous avions besoin. Dans un déplacement présidentiel, nous commençons par mobiliser les moyens territoriaux, car ce sont les territoriaux qui connaissent le mieux le terrain. Les unités de forces mobiles ne le connaissent pas, à moins qu'elles ne viennent du secteur, ce qui est assez rare. Il ne faut surtout pas leur confier une mission de proximité. L'important n'est pas tant le nombre, mais la qualité de ceux que vous engagez. D'où la nécessité de faire monter en première ligne des agents de proximité issus des commissariats et de la direction départementale de la sécurité publique. Dans le nord, cette direction est une grosse machine capable de fournir des milliers d'agents. On peut avoir recours à des moyens complémentaires pour sécuriser les arrières, les carrefours stratégiques et faire du maintien de l'ordre en cas de rassemblements inamicaux.
Nous avons bénéficié de tous les moyens techniques, humains et automobiles dont nous avions besoin. Je n'ai d'ailleurs organisé aucun déplacement présidentiel sans obtenir ces moyens.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Lors des réunions avec la chefferie de cabinet de l'Élysée et le GSPR en phase amont, quels sont la fonction et le grade de vos interlocuteurs ?
M. Luc-Didier Mazoyer. - La préparation d'un événement en « couvert » concerne essentiellement le cabinet de M. le préfet, qu'il s'agisse du déroulé, du protocole et de ce qui peut se passer à l'intérieur de certains sites. Quant au pilotage des déplacements en extérieur, sur la voie publique, il relève du chef du GSPR, intuitu personae, le colonel Lavergne, et en l'occurrence, pour ce déplacement particulier, de son chef de mission précurseur. C'est avec ces deux officiers que j'ai eu des contacts et avec personne d'autre. Bien sûr, un déplacement présidentiel peut aussi impliquer qu'on ait des interactions avec des chargés de communication et d'autres personnes en civil. Cependant, mon interlocuteur principal sur le déplacement du 22 janvier a été le commissaire divisionnaire Perroudon, en l'absence du colonel Lavergne. Le socle des acteurs qui interviennent est très réduit, nous l'avons dit.
Mme Brigitte Lherbier. - En tant que nordiste, je peux témoigner de la minutie dont vous faites preuve dans la préparation de telles visites. Je sais combien la sécurité est votre priorité pour avoir travaillé avec vous. Nous sommes à la frontière belge, où la menace terroriste reste très élevée et votre vigilance est plus que nécessaire.
J'ai participé à la visite du Président sur le site de la Bourgogne, dans la ZUP de Tourcoing. Je n'ai aucun souvenir de la présence de M. Benalla, mais je me rappelle parfaitement les gens qui s'agglutinaient autour de nous. Et je me suis posé la question de savoir si M. le préfet avait connaissance de tous les points vidéos qui nous entouraient, en me disant que c'était très certainement le cas, car cela devait faire partie de la préparation d'une telle visite.
Toujours ce même jour, je me suis également demandé si M. le préfet et M. le directeur départemental de la sécurité publique - vous veniez d'arriver, monsieur Mazoyer - avaient connaissance de toutes les personnes qui possédaient une arme sur les lieux. On sortait d'une période de terrorisme et on sentait une certaine insécurité - moi-même, je ne me sentais pas en sécurité avec tous ces gens agglutinés.
M. Philippe Bas, président. - Mme Lherbier avait-elle raison de se sentir en danger ?
M. Michel Lalande. - Nous étions là pour vous protéger et tout s'est bien passé.
Oui, nous avions connaissance de tous les points vidéo, qu'il s'agisse des caméras publiques ou privées. Des policiers étaient présents en temps réel dans la salle de captation d'images de la mairie. D'autres hommes étaient présents que vous n'avez pas forcément vus, car ils étaient sur les toits avec des jumelles, prêts à intervenir, ou bien étaient grimés. Ces mesures sont classiques dans tous les déplacements depuis aussi longtemps que la République existe.
Mme Brigitte Lherbier. - Si qui que ce soit avait pu se procurer des vidéos sur le site de Tourcoing, l'auriez-vous su ?
M. Luc-Didier Mazoyer. - On ne peut pas anticiper le fait que quelqu'un capte une vidéo de manière illégale, mais la traçabilité permet de remonter rapidement la piste. Pour ce qui est des armes, M. le préfet donne les instructions nécessaires pour que le service de renseignement territorial et la DGSE assurent un filtrage, ce qu'on appelle un criblage des personnes qui pourraient avoir un contact avec l'autorité présidentielle. Le fichier Agrippa renseigne sur les personnes titulaires d'une autorisation de port d'arme.
M. Philippe Bas, président. - Si M. Benalla avait porté son arme lors de ce déplacement, cela aurait-il dû vous être signalé ?
M. Luc-Didier Mazoyer. - Non. Une personne bénéficiant d'une autorisation de port d'arme n'a pas à nous être signalée.
Mme Éliane Assassi. - Je vous remercie pour ces éléments précis qui démontrent votre rigueur et votre professionnalisme. Vous nous avez fait part de mouvements sociaux et de rassemblements lors des déplacements du Président de la République. Rencontrez-vous les organisations syndicales et les associations en amont ? Ont-elles des liens avec la chefferie ?
M. Michel Lalande. - Il n'y a pas de déplacement présidentiel sans cahier de doléances. La chefferie présidentielle, les maires et les parlementaires reçoivent abondance de courriers sollicitant une audience. Il revient à la chefferie de cabinet de l'Élysée d'organiser la rencontre avec ceux qui le souhaitent. C'est la préparation en amont qui permet de détecter les présences susceptibles de poser problème.
Le cas est plus difficile lorsque les personnes ne manifestent pas l'envie d'être reçues. En novembre dernier, comme dans beaucoup d'autres déplacements, nous avons été confrontés à des groupuscules qui ont tenté de s'exprimer auprès du Président de la République. Notre tâche est de veiller à ce qu'il n'y ait pas de violence particulière.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre expertise.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Jean-Marie Girier, chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle
M. Philippe Bas, président. - Nous entendons M. Jean-Marie Girier, dans sa double qualité d'ancien directeur de campagne d'Emmanuel Macron et d'actuel chef de cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marie Girier prête serment.
M. Jean-Marie Girier, chef de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, et ancien directeur de la campagne de M. Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle. - Mon propos liminaire sera concis, tout en étant le plus précis possible pour contribuer à vos travaux.
Je commencerai par la chronologie des faits tels que je les ai vécus, sans revenir sur ce que le ministre d'État, M. Gérard Collomb, vous a exposé sur le climat de violence du printemps dernier.
Le 1er mai, je travaillais place Beauvau - comme une grande partie du cabinet ministériel - afin de suivre le déroulement d'une journée qui s'annonçait délicate et s'est avérée d'une grande brutalité.
À 19 h 45, j'ai accompagné le ministre d'État à la préfecture de police ; il s'est d'abord entretenu avec le préfet dans le bureau de ce dernier, avant de tenir un point presse dans la cour de la préfecture. La délégation s'est ensuite rendue dans la salle de commandement afin de saluer l'ensemble des fonctionnaires de police. Le préfet a présenté les images de vidéoprotection, illustrant la tension encore palpable en fin de journée. Alors que nous étions présents depuis cinq minutes environ, une tape sur l'épaule m'a fait découvrir la présence de M. Benalla ainsi que celle de M. Crase, que je connais tous deux. J'ai été étonné de les voir en ces lieux, de surcroît dans une tenue qui m'a semblé inappropriée parce que trop décontractée. Le ministre d'État se tenait au centre de la salle de commandement, à environ une dizaine de mètres de nous. Je précise que le ministre d'État n'a pas fait d'accolade à M. Benalla, il l'a salué comme toutes les personnes présentes ; le ministre, que je connais de longue date - comme nombre d'entre vous - n'est pas familier des accolades, et salue de manière très courtoise, tant les personnes qu'il connaît que celles qu'il ne connaît pas.
À 23 heures, j'accompagnais le ministre d'État sur le parvis du commissariat du treizième arrondissement. Il était présent aux côtés du Premier ministre venu saluer et remercier les forces de sécurité durement éprouvées.
Le lendemain matin, mercredi 2 mai, précisément à 8 h 02, j'ai reçu un message d'un chargé de mission de l'Élysée, qui comportait un lien vers un réseau social où était présentée la fameuse vidéo sur laquelle apparaissait MM. Benalla et Crase. Je les reconnaissais : ils portaient une tenue identique à celle portée la veille en salle de commandement. Les faits m'ont semblé suffisamment graves pour que je transmette immédiatement le lien vers cette vidéo à mon directeur de cabinet, à 8 h 12 très exactement.
Vers 10 heures, à l'issue de la réunion d'état-major qu'il présidait, nous avons visionné tous les deux cette vidéo. Dès lors, le directeur de cabinet du ministre d'État a pris l'attache du directeur de cabinet du Président de la République. Il a été contacté par le préfet de police de Paris. Il m'a confirmé s'être assuré que l'autorité hiérarchique comme l'autorité préfectorale étaient alertées.
Concernant l'information du ministre d'État de ces faits, je ne reviens pas sur son agenda, qu'il vous a présenté lors de son audition, mais vous confirme que dès son retour de déjeuner, le directeur de cabinet et moi-même lui avons expliqué l'événement et montré la vidéo - qu'il a immédiatement qualifié d'inacceptable. Nous lui avons exposé les démarches entreprises par son directeur de cabinet auprès du directeur de cabinet de la Présidence. Aux alentours de 23 heures, mon directeur de cabinet et moi-même avons fait un point. Il m'a fait part de l'échange qu'il venait d'avoir avec le directeur de cabinet du Président. Celui-ci lui a indiqué que M. Benalla s'était rendu sur place avec son autorisation, mais sans être missionné par l'Élysée ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection ; que les actes de violence étaient inacceptables, et qu'ils donneraient lieu à des sanctions. Nous avons dès lors considéré que la situation était prise en compte, et avons informé le ministre d'État dès le lendemain matin.
S'agissant des 18 et 19 juillet, j'ai été informé le 18 juillet à 13 h 30 par le service presse de la Présidence qu'un journaliste allait publier un article relatif à la vidéo. J'ai immédiatement transmis cette information à mon directeur de cabinet, puis nous avons évoqué ce sujet ensemble, avec le ministre, aux alentours de 15 heures. La parution de l'article révèlera de nouvelles informations, en particulier le port d'un brassard de police et l'équipement radio. Le ministre d'État vous a exposé les conséquences de celles-ci, à savoir une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) le 19 juillet, dont le rapport vous a été transmis vendredi dernier.
Venons-en à mes relations avec les deux protagonistes, que je connais, à des degrés différents, mais tous deux depuis la campagne du candidat Emmanuel Macron, dont j'ai assuré la direction à partir de janvier 2017.
J'ai fait la connaissance de M. Benalla dans ce cadre. Il
assurait, à titre salarié, les fonctions de directeur de la
sûreté et de la sécurité. J'ai appris à le
connaître au cours de cette campagne. Notre relation est tout à
fait cordiale, et je n'ai eu aucune remarque négative à formuler,
ni sur son engagement, ni sur son comportement, ni sur la qualité de son
travail. Depuis son entrée en fonctions au palais de
l'Élysée, j'ai eu des contacts réguliers avec
lui
- même si mon interlocuteur quotidien reste le chef de
cabinet. M. Benalla a aussi été l'un des interlocuteurs entre les
deux chefs de cabinet, selon les dossiers qu'il suivait. Il était donc
parfois présent lors de réunions ou de visites
préparatoires aux déplacements du Président auxquels
participait mon ministre.
J'ai croisé M. Crase à de nombreuses reprises durant la campagne présidentielle, puisqu'il occupait les fonctions de veilleur de nuit pour la surveillance du siège et de sécurisation de certains meetings. Depuis, je l'ai rencontré lors d'événements politiques dont il assurait la sécurité, dans le cadre de son emploi à La République en Marche.
Les différentes auditions ou la presse ont laissé sous-entendre que M. Benalla aurait pu bénéficier de passe-droits auprès du ministère de l'intérieur, et notamment à la faveur de notre relation. Je le rappelle, M. Benalla n'a bénéficié d'aucun traitement privilégié par mon intermédiaire ; je respecte profondément mes fonctions et l'institution que je sers. J'affirme donc simplement, mais très catégoriquement, que M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour un équipement de police, ni pour un appui pour un poste de sous-préfet au tour extérieur, ni pour l'obtention d'un grade de lieutenant-colonel en qualité de gendarme réserviste. S'il m'a effectivement parlé d'une demande de port d'arme qu'il avait formulée auprès du ministre de l'intérieur, je n'ai donné aucune suite à cette demande - à laquelle le ministère n'a pas réservé de suite favorable. Enfin, M. Benalla ne m'a jamais sollicité pour faciliter l'obtention d'un permis de port d'arme auprès de la préfecture de police de Paris, autorisation qu'il obtiendra ultérieurement - ce dont ni le ministre, ni son cabinet, ni moi-même n'avons eu connaissance avant la semaine dernière. Voici les quelques éléments qu'il me semblait nécessaire de porter à votre connaissance, afin de concourir à l'indispensable établissement de la vérité sur cette affaire, dont tout le monde se serait bien passé...
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie.
Vous avez pris soin, au début de votre intervention, de souligner « le climat de violence » du printemps dernier à l'occasion des manifestations du 1er mai et « la grande brutalité » - ce sont vos mots - des actions qui se sont déroulées en marge des manifestations. Suggérez-vous, en insistant sur ce contexte, que les effectifs de police présents sur place étaient en difficulté ? De votre point de vue, si tel était le cas, serait-ce de nature à atténuer la faute reprochée à M. Benalla, observateur, qui a prêté main forte aux effectifs de police présents ?
M. Jean-Marie Girier. - Ce n'est pas le cas. J'ai souligné ce climat pour montrer l'attention du ministre et de son entourage à ces événements. Cette manifestation du 1er mai revêtait une tonalité particulière, avec des risques importants : les organisations syndicales souhaitaient centrer leur manifestation autour des projets de réforme du Gouvernement, l'ultra-gauche voulait faire de cette journée un point d'orgue de la manifestation, et c'était aussi, symboliquement, le cinquantième anniversaire de mai 68 - nous avions reçu, par nos services de renseignement, une alerte sur un certain nombre d'activistes violents. Mais en aucun cas, les éléments relatifs à ce contexte ne doivent être rapprochés de l'intervention de M. Benalla place de la Contrescarpe.
M. Philippe Bas, président. - Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant...
Le port d'arme est l'objet d'une situation assez singulière. Vous avez rappelé qu'une demande, et même deux je crois, ont été adressées au ministre de l'intérieur. Ces demandes n'ont pas obtenu de réponse favorable, mais le préfet de police a délivré le permis de port d'arme. Est-il réellement possible que la préfecture de police n'ait pas informé ni le cabinet, ni les services centraux du ministère de l'intérieur de la délivrance d'un permis de port d'arme pour un collaborateur du Président de la République, dont on a suffisamment souligné ces derniers temps, que sa seule qualité de collaborateur du Président de la République faisait impression sur des agents de la police nationale ? Je suppose donc qu'elle pouvait faire impression aussi sur les services centraux de la préfecture de police comme du ministère ? Il y a une discordance entre l'affirmation selon laquelle la préfecture de police aurait agi seule, et le contexte général qu'on a souvent décrit devant cette commission...
M. Jean-Marie Girier. - Comme j'ai pu l'évoquer dans mon propos liminaire, je n'ai pas été au courant, comme le ministre a pu vous le dire, de la délivrance, le 13 octobre 2017, d'une autorisation de port d'arme pour M. Benalla.
M. Philippe Bas, président. - Si l'on fait un peu d'archéologie, certaines informations attestent que M. Benalla avait déjà demandé un permis de port d'arme pendant la campagne présidentielle. Est-ce qu'en tant que directeur de campagne du candidat Emmanuel Macron, vous pouvez confirmer cette information ?
M. Jean-Marie Girier. - Je peux vous confirmer que M. Benalla disposait d'un permis de port d'arme dans le cadre de la campagne présidentielle, uniquement dans les locaux du siège de campagne.
M. Philippe Bas, président. - Savez-vous s'il a porté cette arme en dehors des locaux du siège de campagne ?
M. Jean-Marie Girier. - Pas à ma connaissance.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. le chef de cabinet, le journal Libération a publié un article et une vidéo faisant état d'événements survenus trois heures avant ceux de la Contrescarpe, et mettant en cause M. Benalla et M. Crase. Avez-vous eu connaissance de ces événements : si oui, quand, et si vous n'en avez pas eu connaissance, comment l'expliquez-vous ?
M. Jean-Marie Girier. - Je n'ai pas eu connaissance de ces éléments avant de lire, tout comme vous, l'article de Libération et de découvrir les quelques secondes de vidéo qui témoigneraient de l'intervention de M. Benalla et de M. Crase. Il y apparaît un élément nouveau, à savoir le port d'un brassard par M. Crase - je ne disposais pas de cette information, et au regard des précédentes auditions qui ont pu avoir lieu, les autorités de la préfecture de police n'ont pas semblé avoir eu connaissance d'une intervention préalable à celle de la Contrescarpe.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. Benalla a obtenu, dans les conditions que l'on sait, une vidéo présentant les événements qui ont précédé son intervention. Cette vidéo aurait été transmise à un conseiller du Président de la République. Avez-vous eu connaissance de cette vidéo, si oui, quand, en possédez-vous une copie, ou quelqu'un du cabinet du ministre de l'intérieur en possède-t-il une copie, à votre connaissance ?
M. Jean-Marie Girier. - Vous connaissez les conditions dans laquelle la vidéo a été obtenue. Personne, au sein du cabinet du ministre d'État, n'a eu connaissance de cette vidéo, ni n'a vu, ni n'a possédé ni transmis cette vidéo, sous une quelconque forme. Au-delà, ces informations sont désormais couvertes par le secret de l'instruction, et il appartiendra à la justice de faire toute la lumière sur ces faits.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Interrogé le 24 juillet par notre commission, M. le ministre d'État, Gérard Collomb, a déclaré vous concernant, et concernant le recrutement de M. Benalla lors de la campagne présidentielle : « Je ne pense pas qu'il ait » - c'est-à-dire vous-même - « recruté M. Benalla, sinon il y aurait un problème de confiance. »
M. Jean-Marie Girier. - C'est véridique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Pouvez-vous confirmer que vous n'avez pas recruté M. Benalla, alors que nous avions cru comprendre le contraire ? Dans ces conditions, comment s'est effectué exactement son recrutement ? Avez-vous joué un rôle dans son recrutement ultérieur à la présidence de la République ?
M. Jean-Marie Girier. - Je n'ai pas recruté M. Benalla à La République en Marche pour une raison bien simple : les recrutements étaient effectués par le trésorier de la campagne et les différents chefs de pôle - Affaires générales, Communication et Opérations événementielles. La sécurité dépendait du pôle Opérations événementielles. M. Benalla a été recruté en décembre 2016 ; or, à ce moment-là, je n'avais pas aptitude à recruter quiconque seul. M. Benalla a été recruté en décembre et j'ai pris mes fonctions de directeur de campagne au 1er janvier. Comme je tiens à être parfaitement précis, je confirme avoir été avisé de son embauche, car j'étais alors le chef de cabinet de la campagne, comme cela apparaît d'ailleurs dans un courriel publié à la suite des piratages des boîtes e-mail de la campagne présidentielle, où est portée la mention « vu avec JMG ».
Votre deuxième question porte sur la confiance. Vous connaissez les relations entre un élu ou un ministre et son collaborateur ; elles sont fondées sur un lien de confiance. J'ai transmis cette information au ministre d'État ; dès lors, il considère que nous sommes en confiance. Je travaille auprès de lui depuis bientôt une dizaine d'années, et je ne doute pas du lien de confiance qui est le nôtre, eu égard à mon engagement et à ma loyauté.
Je n'ai pas été saisi - et je n'avais pas mon mot à dire - du recrutement de M. Benalla à l'Élysée. J'étais alors place Beauvau en qualité de chef de cabinet, et je n'ai pas à porter un quelconque jugement, ni un quelconque regard, sur les recrutements effectués à la Présidence de la République.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez indiqué avoir revu M. Benalla lors de réunions ou de visites préparatoires. Quel était son rôle ?
M. Jean-Marie Girier. - J'ai revu M. Benalla à l'issue de la période durant laquelle il a fait l'objet d'une suspension. Par exemple, j'ai ainsi récemment traité avec lui des questions de pur protocole : le placement dans les tribunes officielles pour le défilé du 14 juillet, l'accès à l'Élysée et l'organisation de la venue de l'équipe de France de football. Je n'ai eu, dans ce cadre-là, que des relations liées au nouveau périmètre qui était le sien - la gestion d'événements relevant du palais de l'Élysée.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous n'avez jamais eu l'occasion de travailler avec lui avant sa rétrogradation ?
M. Jean-Marie Girier. - Dès son arrivée, j'ai bien évidemment eu l'occasion de travailler à de multiples reprises avec lui, pour les nombreux déplacements qu'a pu effectuer le ministre d'État avec le Président de la République.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quel était son rôle ?
M. Jean-Marie Girier. - C'était un rôle de chefferie de cabinet assez classique : organisation, gestion des espaces, gestion des flux, gestion du protocole, relations avec la préfecture, relations avec les interlocuteurs institutionnels territoriaux. Lors d'une visite préparatoire, dirigée par un membre de la chefferie de cabinet, nous sommes assez nombreux : l'ensemble des services y concourant sont présents - le ministère concerné, mais aussi le service de presse, la communication, la sécurité ou l'intendance.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Son rôle était-il, selon vous, en lien avec la sécurité ?
M. Jean-Marie Girier. - Non, son rôle n'avait rien à voir avec l'organisation du dispositif de sécurité, mais avec l'organisation globale du déplacement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quelle est, à votre sens, la nécessité d'un port d'arme pour ce genre de fonctions ?
M. Jean-Marie Girier. - Comme je l'ai dit, je n'ai pas eu connaissance de l'information de l'autorisation de port d'arme délivrée par le préfet de police ; dès lors, je ne connais ni l'objet de la formulation de sa demande, et au-delà, l'utilisation qui en est faite. Je ne suis pas à même de vous dire l'utilisation que M. Benalla a faite de cette autorisation de port d'arme. Il m'est difficile d'émettre un jugement sur un élément relevant de l'organisation interne du palais de l'Élysée.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Sur l'autorisation de port d'arme de M. Benalla, il est indiqué « mission de police ». Cela est-il compatible avec son rôle ?
M. Jean-Marie Girier. - Je vous ai fait part de l'investissement de M. Benalla sur ses missions organisationnelles que j'ai pu voir, mais je n'ai pas pu voir l'ensemble du champ de ses missions.
M. Philippe Bas, président. - Comprenez - même si vous n'êtes pas à même de répondre personnellement, en raison des attributions qui sont les vôtres, à ces questions - qu'il est assez troublant d'avoir d'un côté une définition de fonctions qui ne semble pas avoir de rapport avec la sécurité, et de l'autre un permis de port d'arme qui est motivé, par le préfet de police, par les attributions de police et de sécurité de M. Benalla. Cela n'exclut pas d'ailleurs que M. Benalla ait d'autres missions que celles de police mais atteste que la présidence de la République a transmis des éléments nécessaires pour que le préfet de police puisse se prononcer sur une demande d'autorisation de port d'arme. Peut-être que ce permis de port d'arme a trait non pas aux fonctions que M. Benalla exerçait auprès du chef de cabinet pour la préparation des déplacements publics du chef de l'État mais - comme il nous a été indiqué - au fait qu'il était responsable de l'organisation des déplacements privés du chef de l'État, et que c'est là que ses compétences en matière de sécurité donnaient toute leur mesure.
Nous avons vu, par ailleurs, M. Benalla accompagner le Président de la République dans un certain nombre de déplacements, et faire barrage de son corps lorsque la foule était un peu trop pressante. Nous constatons qu'il avait, de fait, une responsabilité de protection rapprochée du chef de l'État - mais sans doute ne l'avez-vous pas perçue directement malgré la publicité qui a pu lui être donnée...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Lorsque vous avez eu connaissance des faits, le 2 mai, avez-vous conseillé au ministre d'État de diligenter une enquête administrative, de saisir l'IGPN ou de saisir la justice eu égard au fait que les événements étaient particulièrement troublants et que des dysfonctionnements lourds sont avérés au sein de la préfecture de police dépendant du ministère de l'intérieur, personne dans la chaîne de commandement de la police n'ayant fait le moindre rapport au préfet de police ou au ministère de l'intérieur sur les événements, alors qu'il y avait un responsable de la police sur la place de la Contrescarpe ?
M. Jean-Marie Girier. - Au regard de cette vidéo, je ne méconnais pas la gravité des faits mais je souhaite, comme vous, que toute la vérité soit faite là-dessus ; la justice en est saisie.
Le plus grave, pour moi, eût été que l'Élysée n'ait aucune réaction ni ne prenne aucune sanction - ce qui n'a pas été le cas. Il ne m'appartenait pas, personnellement, de transmettre ces informations au procureur de la République en vertu de l'article 40 du code de procédure pénale. Dès que j'ai eu connaissance de la vidéo, j'ai transmis immédiatement tous les éléments à mon autorité hiérarchique, qui elle-même a procédé aux diligences nécessaires avec l'Élysée et avec la préfecture de police. Comme l'a rappelé le ministre, lors de son audition, il appartenait à l'autorité hiérarchique - la plus à même de le faire - d'apprécier cela. Dans toute la chaîne décisionnelle, personne n'a estimé opportun de transmettre ces informations au procureur.
Le ministre vous a rappelé que dans la pratique, les ministres de l'intérieur ne saisissent le procureur en vertu de l'article 40 que quasiment uniquement pour des faits qui constituent des délits de presse. Le ministre n'a pas vocation à se substituer à ceux qui sont en responsabilité au plus près du terrain pour recueillir les éléments, et le cas échéant, des signalements.
Un signalement avait été fait sur la plateforme de l'IGPN, laquelle n'a pas jugé devoir donner suite. En l'occurrence, les auteurs des violences n'étaient pas des policiers. Or le rôle de l'IGPN est d'assumer et d'assurer le suivi des fonctionnaires de la police nationale dans de telles situations.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons eu l'occasion, à plusieurs reprises, de répéter que cet article 40 ne comporte aucune espèce de restrictions sur la nature des autorités publiques qui doivent l'utiliser. Si le ministre de l'intérieur s'est fait pour lui-même sa propre doctrine - à supposer qu'elle corresponde à celle de ses prédécesseurs - cela n'est qu'une doctrine ; en réalité, l'obligation pèse sur lui comme sur toute autre autorité publique... Les faits justifient-ils vraiment de déclencher l'article 40 ? Nous avons interrogé plusieurs personnalités qui auraient pu le décider elles-mêmes, notamment certaines autorités préfectorales, qui nous ont confortés dans notre idée.
À cet égard, un seul point est absolument certain : le procureur de la République, lui, quand il a eu connaissance des faits, n'a pas estimé qu'ils étaient en deçà du niveau permettant l'ouverture d'une enquête préliminaire, puis d'une instruction.
D'une certaine manière, l'appréciation faite par les différentes autorités hiérarchiques, jusqu'au ministre de l'intérieur et au directeur de cabinet du Président de la République, diverge de celle du procureur de la République de Paris quant à la gravité du délit. Notre commission des lois, investie des pouvoirs d'une commission d'enquête, aura à se prononcer sur ce sujet.
En outre, il importe de savoir si le cabinet du ministre de l'intérieur a demandé, dès les premiers jours qui ont suivi le dysfonctionnement du 1er mai 2018, à accéder aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris, afin de faire la lumière sur les circonstances de l'intervention de M. Benalla place de la Contrescarpe. Le cabinet du ministre s'est-il interrogé sur ce point ? À votre connaissance, la demande a-t-elle été faite, par le cabinet du ministre de l'intérieur ou par une autre autorité ? Il a fallu attendre qu'un grand quotidien rende l'affaire publique pour qu'une enquête de l'IGPN soit ouverte.
Au fond, le 2 mai, s'est-on contenté de savoir, premièrement, que la présidence de la République, qui emploie M. Benalla, a été dûment informée de ce qui s'est passé et, deuxièmement, que celle-ci a décidé d'une sanction ? Cette dernière semble avoir épuisé toute autre réaction des pouvoirs publics face au dysfonctionnement dont il s'agit.
M. Jean-Marie Girier. - Personne, au sein du cabinet du ministre d'État, n'a demandé à avoir accès ni n'a eu accès aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris. Nous disposions de la vidéo rendue publique sur les réseaux sociaux par un militant politique, mais d'aucun autre document. Je ne sais pas si une autre autorité a sollicité l'accès aux images de vidéoprotection de la Ville de Paris.
Mme Jacky Deromedi. - Vous avez dit que vous n'étiez pas à l'origine des demandes relatives à l'équipement de police et à la voiture ; que le permis de port d'arme vous avait été demandé, mais qu'il n'avait pas été accordé par votre intermédiaire ; que l'attribution du grade de lieutenant-colonel dans la réserve de la gendarmerie ne relevait pas de vous non plus. Étant donné votre position au ministère de l'intérieur, comment se fait-il que votre avis ne soit jamais pris en compte, pour ce qui concerne une personne appelée à être si proche du Président de la République ?
M. Jean-Marie Girier. - Il faut savoir faire la part des choses. J'ai pu côtoyer Emmanuel Macron et travailler avec lui alors qu'il était candidat. Mais, depuis qu'il a été élu Président de la République, je me suis fixé une règle à son égard : ne jamais aborder avec lui les sujets relatifs au ministère de l'intérieur. C'est, pour moi, un impératif fondamental, une question de loyauté vis-à-vis de mon ministre ; je ne saurais le court-circuiter.
De plus, au regard de ces éléments, je veille à éviter toute ingérence dans les demandes techniques, par exemple dans l'attribution d'un port d'arme, formulées par des agents de la présidence de la République. J'insiste : en aucun cas, et à aucun moment, je n'ai servi pour de quelconques passe-droits entre M. Benalla et le ministre de l'intérieur.
M. Philippe Bas, président. - Savez-vous au moins si, lorsqu'il a rendu sa décision, le préfet de police était informé du refus que les services centraux du ministère de l'intérieur avaient opposé à la même demande ?
M. Jean-Marie Girier. - Je n'ai pas connaissance de cette information.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous l'avez compris, nous sommes préoccupés de la sécurité et de la protection du Président de la République. Vous nous dites que vous n'avez pas procédé vous-même au recrutement d'Alexandre Benalla, effectué en décembre 2016 par le mouvement En Marche. Le trésorier d'un mouvement politique signe les contrats d'embauche, mais ce n'est pas lui qui décide de recruter telle ou telle personne dans l'équipe de campagne. Nous ne savons pas qui a décidé de recruter M. Benalla ; cela étant, là n'est pas l'objet de ma question.
En décembre 2016, lors du recrutement du responsable de la sécurité, un certain nombre de vérifications ont dû être menées. Or il a été fait état d'au moins deux incidents graves ayant concerné M. Benalla au cours du mois précédent, au centre de formation d'apprentis (CFA) de Bobigny, le jour de la déclaration de candidature d'Emmanuel Macron, puis dans les locaux d'En Marche, le 24 novembre 2016.
Contestez-vous l'existence de ces incidents ? Avez-vous fait vérifier si M. Benalla était quelqu'un de fiable, s'il correspondait au poste que vous vous apprêtiez à lui confier ? Ce qui nous préoccupe, c'est l'adéquation entre le comportement de l'intéressé et les responsabilités qui lui ont été attribuées, tout d'abord par un mouvement politique, ensuite par la présidence de la République.
M. Jean-Marie Girier. - J'ai été avisé du recrutement de M. Benalla, mais, je le répète, je n'y ai pas procédé. Je ne connaissais pas l'antériorité de son parcours, excepté quelques éléments, notamment son engagement au sein du service d'ordre du parti socialiste pendant de nombreuses années. En particulier, je savais qu'il avait déjà agi dans le cadre d'une campagne présidentielle et que, de ce fait, il disposait d'une certaine expérience. Il s'agissait là d'une forme de plus-value dans la mise en place du dispositif de sécurité d'En Marche. Je savais en outre qu'il avait travaillé comme garde du corps à l'Office européen des brevets et qu'il était alors employé auprès du délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer.
Pour ce qui concerne les faits, je laisse le terme de « gravité » à votre appréciation.
Beaucoup d'entre vous savent ce qu'est une campagne présidentielle et quel est, dans ce cadre, le rôle d'un service d'ordre. Lorsqu'un militant politique vient perturber un événement de la campagne, le service d'ordre reçoit pour mission de l'extraire de la pièce. En général, cela ne se fait pas dans la plus grande cordialité... Il faut savoir répondre à la tension qui se manifeste : tel était le cas à Bobigny, le jour à M. Macron a annoncé sa candidature.
J'ai bien entendu parler du second point que vous mentionnez. Selon moi, il s'agissait de conflits de voisinage, de conflits d'usage, en aucun cas d'éléments de nature à rompre la confiance que nous pouvions alors placer en M. Benalla pour l'accomplissement des fonctions qui lui étaient confiées. Je le rappelle, le périmètre de ces missions était assez large : il s'agissait d'assurer la sûreté des bâtiments, d'organiser la sécurisation et les dispositifs de sécurisation des meetings, de diriger l'animation et la mobilisation de l'ensemble des bénévoles du service d'ordre de la campagne. Lorsque les meetings réunissaient 15 000, voire 25 000 personnes, ce service d'ordre pouvait atteindre 300 à 400 personnes.
Mme Catherine Troendlé. - Vous étiez un homme de confiance du candidat Emmanuel Macron, une pièce maîtresse de sa campagne présidentielle. J'ai moi-même suivi, en d'autres temps, quelques-unes des campagnes précédentes : il me semble qu'un directeur de campagne connaît parfaitement, non seulement le candidat, mais toutes les personnes qui gravitent au plus près de lui. Je m'étonne donc que vous n'ayez pas connu plus précisément le parcours de M. Benalla et que vous n'ayez pas vous-même assuré ce recrutement. Lorsque M. Benalla a été recruté à la présidence de la République, n'avez-vous donc été consulté à aucun moment ?
M. Jean-Marie Girier. - La question de la proximité doit être graduée. À mon sens, les personnes les plus proches d'Emmanuel Macron lors de la campagne étaient ses conseillers en communication, ses conseillers sur le fond, ses conseillers organisant les déplacements, ses conseillers organisant les finances et les ressources humaines, plutôt que les responsables de la sécurité. En l'occurrence, Emmanuel Macron n'avait affaire à M. Benalla que lorsqu'il était à l'extérieur du siège de la campagne, dans ses déplacements ou lors des meetings.
Je vous adresserai donc la même réponse qu'à M. le président de la commission ; une fois devenu Président de la République, M. Macron n'avait pas à me solliciter en quoi que ce soit au sujet de M. Benalla.
M. Philippe Bas, président. - Certes, il n'avait pas à le faire, mais peut-être l'a-t-il fait tout de même : en tout cas, c'est la question de Mme Troendlé.
M. Jean-Marie Girier. - Je vous confirme qu'il ne l'a pas fait. Le Président de la République s'est entouré de collaborateurs, il a mis en oeuvre leur recrutement. Pour ma part, avec mon directeur de cabinet, j'étais bien affairé à organiser l'équipe qui s'installait à l'hôtel de Beauvau.
M. Philippe Bas, président. - D'autres membres de l'équipe de sécurité de la campagne présidentielle se sont-ils vu, ensuite, confier des fonctions au sein de l'exécutif, que ce soit dans les ministères ou à l'Élysée ?
M. Jean-Marie Girier. - En qualité de gendarme réserviste attaché à la garde républicaine, M. Crase a été affecté auprès du commandement militaire de la présidence de la République. Mis à part ce cas, je n'ai connaissance que d'une personne, chargée de la sécurité du candidat Macron au début de la campagne, qui, en tant que membre du GIGN, a ensuite été réintégrée dans la gendarmerie nationale. Cette personne est aujourd'hui au GSPR.
M. François Pillet. - Ma question est dans la droite ligne de celle qui vient d'être posée. Imaginons qu'un certain nombre d'autres contractuels soient chargés, de manière directe ou indirecte, de la sécurité du Président de la République. Serait-il concevable que vous ne les connaissiez pas ?
M. Jean-Marie Girier. - Pour ce qui concerne la sécurité de la présidence, la situation est assez claire. Le GSPR, commandé par le colonel Lavergne, est chargé de la protection personnelle, individuelle du Président de la République, notamment lors de ses déplacements. Le commandement militaire, dirigé par le général Bio-Farina, assure la sécurisation du palais. Enfin, la préfecture de police est responsable de la sécurité périmétrique. Il est évident que, si d'autres personnes interagissaient, nous en serions informés, mais tel n'est pas le cas.
À ma connaissance, il n'y a pas eu d'incident majeur mettant en cause la sécurité du Président de la République lors de ses déplacements : une telle information serait, je l'espère, remontée au ministère de l'intérieur.
M. Alain Richard. - Mes questions s'adressent d'abord à nos rapporteurs ; en effet, je souhaiterais savoir comment progressent nos travaux.
Tout d'abord, avons-nous demandé copie du formulaire de demande d'autorisation de port d'arme ? Le considérant qui figure dans la décision se prononce sur les arguments de la demande. Cette dernière émane, je le présume, du cabinet du Président de la République. Elle a bien été établie par quelqu'un. Avons-nous identifié le chaînage entre la demande et la décision individuelle du préfet de police ?
M. Philippe Bas, président. - Nous avons bien demandé ce document au ministère de l'intérieur ; nous attendons la réponse.
M. Alain Richard. - Ensuite, sauf erreur de ma part, c'est la préfecture de police qui, pour toutes les questions d'ordre public et de circulation, exploite le réseau de vidéoprotection de Paris. Possédons-nous les dispositions contractuelles qui organisent la consultation permanente, par la préfecture de police, de ce réseau de vidéoprotection ? Compte tenu de la réglementation spécifique à la police administrative et à la police municipale à Paris, je suppose que, en la matière, c'est le droit commun qui s'applique.
Enfin - c'est une simple observation, quant aux étapes qui ont conduit au recrutement de M. Benalla -, j'ai quelque expérience du fonctionnement du service d'ordre du parti socialiste ; c'est, à vrai dire, le seul que je connaisse. Ce service d'ordre faisait référence depuis longtemps : le fait d'y avoir longtemps servi était en soi un argument de recrutement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - On pourrait tout à fait demander le document contractuel relatif à la vidéoprotection, ce qui n'a pas encore été fait.
Monsieur Girier, vous estimez que M. Benalla n'a pas « interagi » avec l'ensemble du dispositif de sécurité du Président de la République, bien qu'il ait disposé d'une autorisation de port d'arme en raison d'une « mission de police » et d'une voiture de police ; on ne sait d'ailleurs pas précisément qui a décidé de mettre ce véhicule à sa disposition.
De plus, j'insiste sur la relative opacité qui apparaît, bizarrement, entre le ministère de l'intérieur et la préfecture de police. Comment expliquer qu'un personnage se présente à une réunion de commandement, où il n'avait rien à faire, qui plus est dans un accoutrement qui vous a vous-même étonné, sans qu'aucune explication soit demandée, sans que le ministère de l'intérieur manifeste la moindre réaction ?
Il y avait bien un responsable de la police place de la Contrescarpe : il a constaté les agissements des deux personnes concernées, et, à tout le moins, il aurait dû faire état de ces actes. Étant donné la qualité de ces personnes, le préfet de police aurait dû en rendre compte au ministère de l'intérieur. Tel n'a pas été le cas : pourquoi ? Quelles conséquences en tirez-vous ?
M. Jean-Marie Girier. - À ma connaissance, M. Benalla n'a pas interagi avec les services de sécurité.
Ensuite, à propos de la voiture, une réponse a pu être apportée par le général dirigeant le commandement militaire : il s'agissait d'un véhicule de la présidence de la République, équipé par la présidence de la République.
Vous parlez d'« opacité » entre le ministère de l'intérieur et cette grande maison qu'est la préfecture de police, laquelle compte plus de 40 000 agents. M. le préfet de police lui-même n'était pas informé de la venue de M. Benalla dans la salle de commandement ce 1er mai 2018. De son côté, le ministre de l'intérieur voit remonter vers lui un grand nombre d'informations ; il est à la tête d'un ministère de près de 300 000 personnes. Vous avez pu le lire dans le rapport de l'IGPN, qui vous a été remis vendredi dernier : le major accompagnant MM. Benalla et Crase ne s'est pas jugé fondé à faire remonter l'information. Peut-être a-t-il été impressionné par la qualité de M. Benalla, comme le suggère M. le président de la commission. La question dont il s'agit sera éclairée par l'instruction judiciaire en cours.
M. Philippe Bas, président. - La question de M. le rapporteur ne portait pas sur le major. Ce dernier est sans doute un agent de grande valeur, mais, compte tenu de son grade, il n'a pas estimé pouvoir s'interposer, ou même être en position d'établir un rapport. Cela étant, un commissaire de police était bien présent place de la Contrescarpe ; nous avons d'ailleurs entendu parler de lui dès le 19 juillet dernier. Comment se fait-il qu'il n'ait pas produit de rapport ? Pourquoi a-t-il fallu attendre qu'une vidéo circule pour que le ministère de l'intérieur déclare avoir été informé de ce qui s'était produit, de même que l'Élysée ?
Vous avez rappelé les échanges d'informations menés, le 2 mai, entre l'Élysée et le cabinet du ministre de l'intérieur. Mais, quand on vous demande si un rapport aurait dû être établi par le commissaire de police présent place de la Contrescarpe, vous ne nous répondez pas. Selon vous, ce rapport aurait-il dû être rédigé, compte tenu de la gravité des faits ? Au regard de la vidéo, vous avez vous-même reconnu l'importance de la situation, au point d'engager un dialogue avec la présidence de la République.
M. Jean-Marie Girier. - Je n'émettrai pas de jugement sur l'appréciation qui a pu être portée tant par le commissaire présent sur place que par le commandant de la compagnie de CRS. Ce dernier l'a indiqué, ses effectifs étaient persuadés d'avoir affaire à des fonctionnaires de police en civil.
Je vous le confirme : à ma connaissance, aucune note n'est remontée au ministre. Désormais, l'enquête judiciaire pourra établir d'éventuelles responsabilités parmi les fonctionnaires de police présents sur place.
M. Philippe Bas, président. - Vous savez combien nous sommes respectueux des attributions de la justice et soucieux de la séparation des pouvoirs : c'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont justifié la constitution de cette mission d'information, dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête. Cela étant, tout ce qui concerne, non les faits délictueux reprochés à M. Benalla, mais le fonctionnement de la hiérarchie administrative est au coeur de nos interrogations. Il n'est pas du tout certain que le juge ait à se prononcer sur l'opportunité des réactions administratives qui ont eu lieu, ou plutôt qui n'ont pas eu lieu, après la constatation des faits.
Dès lors, nous nous sentons pleinement investis de cette compétence, pour tenter de mettre au jour d'éventuels dysfonctionnements de la part de l'administration. En l'occurrence, il ne me paraît pas tout à fait pertinent de renvoyer à l'instruction judiciaire ; mais nous prenons acte de votre réponse.
Mme Brigitte Lherbier. - Je reviens à la période de la campagne. M. Benalla a été recruté du fait de son expérience, mais cette dernière restait limitée ; il n'avait alors que vingt-cinq ans. Avait-il des diplômes ? Il devait gérer des flux et des personnes, il bénéficiait d'une autorisation de port d'arme au sein du siège du parti : ce n'est pas rien. Certes, la communication est essentielle, mais la sécurité l'est encore plus, d'autant qu'en cette période le plan Vigipirate était encore au niveau le plus élevé du fait de la menace terroriste.
Qui a pu vérifier les diplômes de M. Benalla ? On mesure l'enjeu dont il s'agit quand on sait toutes les obligations administratives incombant aux élus locaux pour recruter un policier municipal. Il me semble aberrant que les compétences d'une personne si proche de M. Macron n'aient pas été examinées plus attentivement.
De plus, M. le préfet Lalande nous a affirmé que, pour préparer la sécurisation d'un site, l'on commence par répertorier l'ensemble des points d'enregistrement. Comment se fait-il que le ministère de l'intérieur n'ait pas demandé tout de suite l'ensemble des points de vidéo qui existaient, pour constater les actes auxquels M. Benalla avait pu se livrer ?
M. Jean-Marie Girier. - M. Benalla était-il trop jeune ? J'ai tendance à croire que la valeur n'attend pas le nombre des années... Moi-même, à l'époque où j'étais directeur de la campagne présidentielle de M. Macron, j'étais âgé de trente-deux ans.
En tant que directeur de la sûreté et de la sécurité, Alexandre Benalla s'occupait de la gestion du parc automobile, de la sécurisation du QG de campagne, de la gestion de l'ensemble du volet « sécurité » de l'organisation des meetings, de l'animation des nombreux bénévoles du service d'ordre et de la sécurité des déplacements.
M. Philippe Bas, président. - Tous les mots comptent : cela veut-il dire que M. Benalla n'avait pas de fonctions de protection rapprochée, autrement dit qu'il n'était pas garde du corps du candidat Macron pendant cette période ?
M. Jean-Marie Girier. - Il s'agit là d'une question intéressante, pour ce qui concerne déroulement de la campagne.
Du jour où Emmanuel Macron a démissionné de ses fonctions de ministre de l'économie, il n'a plus bénéficié d'aucune protection de la part de l'État.
M. Philippe Bas, président. - C'est normal ! Moi-même, lorsque j'ai quitté mes fonctions ministérielles, je n'ai plus bénéficié d'une telle protection.
M. Jean-Marie Girier. - Certes, monsieur le président. Cela étant, jusqu'au mois de janvier 2017, Emmanuel Macron a dû mener sa campagne électorale sans protection de l'État. Le mouvement En Marche a donc dû mettre en place un service de sécurité privée.
Je rappelle que M. Macron, personnalité en vue, a effectué alors de très nombreux déplacements ; qu'il pouvait réunir, lors de ses meetings, plus de 25 000 personnes.
Dès que la sécurité du candidat Emmanuel Macron a été assurée par les agents et les fonctionnaires de police du SDLP, le mouvement En Marche ne s'est plus chargé de la protection physique, de la bulle individuelle du candidat, jusqu'à la fin de la campagne. L'État a repris cette mission de manière progressive.
M. Philippe Bas, président. - Mais M. Macron n'a été candidat que le 16 novembre 2016...
M. Jean-Marie Girier. - La protection de M. Macron a été assurée par l'État à compter du mois de janvier 2017.
Je ne reviendrai pas sur les diplômes de M. Benalla. Je relève simplement que sa situation administrative doit être examinée au regard de la réglementation applicable aux activités privées de sécurité. Tels sont les éléments fournis, à ce titre, par le Conseil national des activités privées de sécurité, le Cnaps. Sa carte professionnelle d'agent de sécurité lui a été délivrée en février 2014 ; elle fait suite à une précédente carte, datée de 2011, et elle est valable jusqu'en février 2019. Cette carte comporte les mentions suivantes : protection physique des personnes, surveillance humaine ou surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou de gardiennage, transports de fonds, sûreté aéroportuaire, opérateur de vidéoprotection. M. Benalla est également titulaire, depuis juillet 2018, d'un agrément de dirigeant de société de sécurité privée. L'ensemble de ces autorisations lui ont été délivrées conformément aux procédures en vigueur, et les enquêtes de moralité menées dans ce cadre semblent ne pas avoir fait apparaître d'élément s'opposant à la délivrance de ces agréments.
Enfin, au sujet des enregistrements, je tiens également à rappeler la chronologie. Le 2 mai 2018 au matin, le cabinet du ministre a disposé de l'information selon laquelle M. Benalla serait intervenu dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre. L'autorité hiérarchique a été dûment avisée, comme l'autorité préfectorale. Dès lors, ce n'était pas au ministre ou à son cabinet d'aller demander, puis visionner les vidéos, mais à l'autorité au plus près du terrain de s'en enquérir. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelles suites ont été données.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À votre connaissance, M. Benalla a-t-il créé une société de sécurité privée, ou avait-il pris des dispositions à cette fin ?
M. Jean-Marie Girier. - Pas à ma connaissance.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dans ces conditions, quelle était l'utilité de l'agrément de dirigeant de société de sécurité privée ?
M. Jean-Marie Girier. - J'ai fait mention des éléments fournis par le Cnaps.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Alain Richard s'interroge quant au fondement de l'existence des vidéos. Le système de vidéosurveillance existant à Paris est appliqué dans le cadre du plan zonal de vidéoprotection d'Île-de-France ; je renvoie à la délibération du conseil de Paris de 2009 et à la convention du 24 février 2010. En vertu de ce texte, les vidéos dont il s'agit sont la propriété de l'État, qui est chargé du déploiement, du fonctionnement et de la maintenance. La Ville de Paris n'a été sollicitée que pour ce qui concerne l'autorisation d'implantation sur la voirie municipale, l'exonération de la redevance d'occupation du domaine public et les subventions de fonctionnement.
Monsieur Girier, ma question est très simple. Vous insistez sur l'exclusivité de la compétence du GSPR. Dans ce cas, comment expliquez-vous ce que M. Benalla a révélé au journal télévisé de TF1, à savoir qu'il était armé lorsqu'il accompagnait le Président de la République dans ses déplacements privés ?
M. Jean-Marie Girier. - Les images de vidéosurveillance relèvent d'un cadre de conservation et d'exploitation extrêmement strict, défini aux articles L. 252-1 et suivants du code de la sécurité intérieure. L'installation des systèmes de vidéoprotection est soumise à l'autorisation de la CNIL. L'accès en est limité aux agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales, ainsi que des douanes et des services d'incendie et de secours. En outre, la durée de conservation des images est limitée à un mois, sauf nécessité de les conserver pour les besoins d'une procédure pénale. Surtout, passé ce délai, le code de la sécurité intérieure prévoit expressément que les enregistrements doivent être détruits.
Quant aux propos tenus ces derniers jours dans les médias par M. Benalla, je n'ai pas à les commenter : je n'ai pas connaissance des faits dont il s'agit, n'ayant pas été présent au cours de ces événements.
Mme Catherine Di Folco. - M. Benalla était présent, lors de la manifestation du 1er mai, en qualité d'observateur. Or le statut des observateurs me semble un peu flou. Vous paraît-il normal que ces derniers assistent à des réunions de préparation ou à des réunions de débriefing internes au ministère de l'intérieur, pour ce qui concerne des opérations de maintien de l'ordre ? M. Benalla était accompagné de M. Crase. D'autres observateurs peuvent-ils être admis à des réunions de cette nature ?
M. Jean-Marie Girier. - Le rapport de l'IGPN, rendu public vendredi, apporte des éclairages sur l'ensemble de ces points. Il fournit également quelques perspectives.
Tout d'abord, il est nécessaire de confirmer et d'amplifier la présence d'observateurs au sein de la police et de la gendarmerie : cette pratique permet une meilleure connaissance de l'action des forces de l'ordre et resserre le lien de confiance entre les forces de sécurité intérieure et la population. Il est bon qu'un certain nombre de chercheurs, d'élus, de magistrats ou de journalistes puissent partager, ne serait-ce que l'espace d'une journée, ce qu'est la vie de nos forces de sécurité.
Toutefois, en la matière, le rapport de l'IGPN constate que la pratique n'est pas uniforme, faute d'un cadre fixant systématiquement les conditions d'autorisation et d'accueil des observateurs et régissant leur présence lors d'opérations de police. De surcroît, ces observateurs ne font pas l'objet d'une identification spécifique, à l'exception, parfois, des journalistes.
Aussi, vos remarques rejoignent en partie les conclusions de l'IGPN : il faut assurer un meilleur encadrement à l'aide de briefings, que ce soit en amont, pour détailler la conduite à tenir et la bonne distance à observer, ou en aval, pour expliquer le travail des forces de sécurité.
L'IGPN suggère ainsi l'établissement d'une charte-type rappelant les grands principes qui doivent présider à l'accueil des observateurs, leurs droits, leurs devoirs et le positionnement hiérarchique suffisant du référent. Elle invite à la signature systématique d'une convention avec l'observateur. Enfin, elle préconise le port d'un signe distinctif permettant d'identifier l'observateur sans ambiguïté.
Le ministre d'État saura, dans les tout prochains jours, se saisir de ce rapport, pour que, dans un cadre mieux organisé et de manière mieux régulée, la présence des observateurs soit assurée à l'avenir.
M. Jacques Bigot. - Monsieur Girier, nous vous auditionnons, non seulement comme chef de cabinet du ministre de l'intérieur, mais aussi comme ancien directeur de campagne de M. Macron. En cette seconde qualité, pouvez-vous nous dire quelle était, durant la campagne, la place, à ma connaissance éminente, de M. Gérard Collomb ? Est-il vraisemblable que le ministre de l'intérieur n'ait pas su qui était M. Benalla lorsqu'il l'a rencontré avec vous, comme vous l'avez dit à plusieurs reprises ?
M. Jean-Marie Girier. - M. Collomb, alors maire de Lyon et président de la métropole de Lyon, occupait, lors de la campagne de M. Macron, la place d'un élu engagé et investi pour un projet, auprès d'un candidat à l'élection présidentielle.
M. Collomb rencontrait régulièrement M. Macron ; ils abordaient divers sujets, et leurs discussions portaient tant sur le fond que sur la forme. Mais - je vous l'atteste -, lors de ces réunions, M. Benalla n'était pas présent. Si M. Collomb a pu le rencontrer au cours de la campagne, il n'a fait que le croiser, dans des circulations, devant une porte ou à proximité d'un véhicule, lors d'un départ de cortège. À aucun moment il ne s'est trouvé en sa présence lors de telle ou telle réunion de travail. Il ne le connaissait que de vue. Il ne savait ni son nom, ni son prénom, ni ses fonctions.
Mme Agnès Canayer. - Vous nous dites avoir été parmi les premières personnes informées des agissements de M. Benalla le 1er mai 2018. Vous affirmez, de plus, avoir pris toutes les mesures qui s'imposaient, en saisissant votre hiérarchie. À quel moment avez-vous connu la nature de la sanction prononcée à l'encontre de M. Benalla ? Avez-vous été informé de la présence de M. Benalla lors d'événements postérieurs à la mise en oeuvre de cette sanction ? A fortiori, avez-vous pu constater, de la part de M. Benalla, des comportements dépassant les nouvelles fonctions, plus protocolaires, qui lui avaient été attribuées après sa rétrogradation ?
M. Jean-Marie Girier. - Je n'ai pas été informé le 1er mai, mais le 2 mai au matin. Puis, le 2 mai au soir, mon directeur de cabinet et moi-même avons appris, de la part du directeur de cabinet de la présidence, qu'une sanction allait être prise. Toutefois, nous n'en avons pas connu la nature, et je n'ai pas eu d'échange à ce sujet.
Pendant peut-être un mois, je n'ai pas eu affaire à M. Benalla ; au cours de ce mois de juillet, j'ai eu un certain nombre d'échanges avec lui, au sujet d'événements se déroulant au palais.
Le 2 mai au matin, lorsque j'ai découvert la vidéo, j'ai dû visionner les images plusieurs fois pour y croire : la personne que j'ai connue pendant la campagne électorale n'était en aucun cas violente. Au contraire, dans des climats de forte tension, tels que l'on peut les connaître lors d'une campagne présidentielle, c'était quelqu'un qui savait gérer son stress et garder son calme. Je vous l'avoue, j'ai été particulièrement surpris de le voir agir de cette manière.
M. Éric Kerrouche. - Le général Bio-Farina a déclaré que Vincent Crase était présent le 1er mai dernier, non pas comme réserviste, mais comme simple citoyen. Le ministère de l'intérieur s'est-il enquis du statut exact de M. Crase ce jour-là, alors même que, à ma connaissance, il a été suspendu de la réserve opérationnelle de la présidence le 3 mai ? Le ministère de l'intérieur va-t-il prendre une décision à son sujet ? Pourquoi cette dernière n'a-t-elle pas encore été prise ?
M. Jean-Marie Girier. - Au sujet de la présence de M. Crase le 1er mai 2018, je me permets de vous renvoyer à la page 13 du rapport de l'IGPN. « Alexandre Benalla est accompagné, pour la circonstance - à son arrivée à la préfecture de police -, d'une seconde personne, qu'il présente comme un collaborateur, en l'occurrence M. Vincent Crase. Le major Mizerski ne connaît pas M. Crase, mais ne demande pas d'explication, compte tenu du « statut » de M. Benalla, représentant affiché, et reconnu comme tel par sa hiérarchie, de la présidence de la République. »
Pour ce qui concerne le statut de réserviste dont dispose M. Crase, la gendarmerie nationale s'est exprimée à la fin de la semaine dernière. Une période de suspension a été prononcée. La gendarmerie nationale et le ministère de l'intérieur s'exprimeront après l'instruction judiciaire quant aux suites à donner aux contrats de réserviste de M. Crase et de M. Benalla.
M. Philippe Bas, président. - Je reviens sur l'agrément de dirigeant d'entreprise de sécurité privée, accordé le 9 juillet dernier, qui a interpellé un grand nombre de nos concitoyens. Comment expliquer qu'un tel agrément ait pu être délivré, à cette date, à M. Benalla, compte tenu des fonctions qu'il occupait encore à l'Élysée ? Au titre de la procédure d'instruction par le Cnaps, une enquête de moralité a-t-elle été conduite à cette occasion ? Si oui, comment expliquer que l'agrément lui ait été donné, alors même qu'il avait fait l'objet d'une sanction ?
M. Jean-Marie Girier. - Vous venez de l'indiquer, l'agrément a été délivré par le Cnaps. Je n'en connais pas les motivations. Sur ce point, seul l'intéressé pourrait vous répondre.
M. Philippe Bas, président. - Cet organisme est pourtant sous la tutelle du ministère de l'intérieur.
M. Jean-Marie Girier. - En effet.
M. Philippe Bas, président. - Peut-être votre directeur de cabinet, que nous auditionnerons à quatorze heures trente, pourra-t-il nous en dire davantage... Veuillez poursuivre.
M. Jean-Marie Girier. - Je vous confirme que les enquêtes de moralité, qu'il s'agisse des antécédents judiciaires ou des fiches de police, sont toujours menées, dans ce cadre, par le Cnaps.
M. Christian Cambon. - Je reviens sur le permis de port d'arme accordé à M. Benalla. Mme Lherbier l'a relevé : pour solliciter un tel permis en faveur d'un policier municipal, n'importe quel maire de France suit les règles imposées, à très juste titre, par le ministère de l'intérieur. Il faut mener une enquête approfondie au sujet de l'intéressé. Celui-ci doit suivre une formation et un entraînement, pouvant déboucher sur une double autorisation, et du préfet du département, et du procureur de la République. Cette procédure peut demander plusieurs mois : à son terme, un policier municipal, qui a passé un concours, peut, en vertu de sa profession, bénéficier d'un permis de port d'arme.
Ma question est simple : quelle formation M. Benalla a-t-il reçue pour bénéficier d'un permis de port d'arme ? Avez-vous des renseignements précis à propos des séances d'entraînement qu'il a pu suivre ? D'autres personnes, bénéficiant d'un permis de port d'arme, ont-elles été dispensées d'une manière ou d'une autre de cette séquence extrêmement longue et difficile ?
M. Jean-Marie Girier. - Il ne m'appartient pas de porter une appréciation quelconque sur la période élyséenne. Je vous répondrai donc à propos de la période de campagne.
Je vous confirme que, au sein du ministère de l'intérieur, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, la DLPAJ, assure une instruction et que plusieurs services donnent leur avis, qu'il s'agisse du renseignement territorial ou de l'unité de coordination de lutte antiterroriste, sans oublier le directeur général de la police nationale, le DGPN.
M. Benalla s'est vu délivrer une autorisation de port d'arme en octobre 2017 sur un fondement différent, en vertu du code de la sécurité intérieure, sans que le cabinet du ministre ou le ministre lui-même en aient été informés. Durant la campagne présidentielle, M. Benalla bénéficiait d'un permis de port d'arme. À titre personnel, il était tireur sportif. Mais je ne saurais vous apporter d'éléments précis quant aux exercices, quant au nombre de tirs réglementaires et réguliers qu'il a pu effectuer.
M. Pierre Cuypers. - À mesure que la commission mène ses auditions, j'ai le sentiment, peut-être par trop personnel, que M. Benalla est un électron libre. À propos des manifestations du 1er mai dernier, il a déclaré avoir fait un acte citoyen, pour épauler les forces de police. Ces dernières étaient-elles insuffisantes ce jour-là ? En outre, de qui M. Benalla dépend-il hiérarchiquement ?
M. Jean-Marie Girier. - M. Benalla était chargé de mission auprès du chef de cabinet du Président de la République. Son supérieur direct était donc le chef de cabinet du Président de la République, au-dessus duquel se trouve le directeur de cabinet du Président de la République.
Les forces de police présentes place de la Contrescarpe étaient-elles suffisantes ? Il reviendra à la justice de l'établir. Je ne me permettrai pas de qualifier les faits.
M. Éric Bocquet. - Dans votre propos liminaire, au sujet d'éventuels passe-droits, vous avez déclaré : « M. Benalla n'a bénéficié d'aucun traitement privilégié par mon intermédiaire. » M. le président de la commission l'a rappelé, chaque mot compte. Faut-il comprendre que M. Benalla aurait pu bénéficier de certaines faveurs de la part d'autres intermédiaires, en dehors du ministère de l'intérieur ?
M. Jean-Marie Girier. - Je ne suis pas fondé à porter d'appréciation sur d'autres interventions que les miennes.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Certaines photographies circulent, qui font état de la présence de M. Benalla au côté du Président de la République le 12 mai dernier à Porquerolles. S'agit-il de faux grossiers ?
M. Jean-Marie Girier. - Je n'en ai aucune idée.
M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 12 h 55, est reprise à 14 h 30.
Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet de M. Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur
M. Philippe Bas, président. - Nous recevons M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet du ministre de l'intérieur. Un faux témoignage devant notre commission des lois dotée des prérogatives d'une commission d'enquête serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Fratacci prête serment.
M. Philippe Bas, président. - Je rappelle aussi que nos auditions ne sont pas des comparutions, et que notre commission n'est pas un tribunal : elle a pour mission d'établir la vérité des faits et surtout de s'intéresser aux dysfonctionnements dans l'appareil d'État et aux remèdes qui pourraient leur être apportés.
M. Stéphane Fratacci, directeur de cabinet de M. Gérard Colomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Je reviendrai rapidement sur la chronologie des 1er, 2 et 3 mai derniers ainsi que sur celle des 18 et 19 juillet, avant de formuler quelques considérations générales, liées notamment au rapport remis par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) au ministre ce vendredi 27 juillet.
Le 1er mai, j'ai consacré ma journée - avec une partie du cabinet du ministre - au suivi des différentes manifestations qui se déroulaient en France et à Paris, en relation régulière avec le préfet de police et les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales (DGPN et DGGN). S'il n'est pas dans les habitudes du directeur de cabinet de se déplacer sur le terrain, j'ai fait une exception à cette règle ce soir-là pour participer, vers 23 heures, à la visite du Premier ministre, avec le ministre de l'intérieur et le préfet de police, au commissariat du 13ème arrondissement, à la rencontre d'unités engagées ce jour-là dans des opérations de maintien de l'ordre spécialement difficiles.
Le 2 mai au matin, je me suis rendu à 8 h 30 à la réunion dite d'état-major, qui rassemble autour du ministre d'État, et de son directeur de cabinet, les directeurs des forces de sécurité intérieure et des représentants de la préfecture de police. Le ministre a ouvert cette réunion et s'est fait préciser le bilan des événements du 1re mai sur l'ensemble du territoire. Après cette réunion d'état-major, vers dix heures, je me suis rapproché du chef de cabinet du ministre pour visionner une vidéo qu'il m'avait signalée plus tôt ce matin-là. J'en ai pris connaissance et celui-ci m'a indiqué que l'auteur de l'interpellation violente qu'on y voyait était un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla. Il a ajouté qu'il avait eu connaissance de cette vidéo par un chargé de mission de la présidence de la République.
J'en profite pour préciser que je connaissais peu M. Benalla. J'avais eu l'occasion de le rencontrer à plusieurs reprises au cours de l'année, toujours courtoisement, essentiellement à l'Élysée, notamment à l'occasion de réceptions officielles. J'ai souvenir également de sa présence à l'occasion d'une réunion au ministère de l'intérieur, lorsque le Président de la République avait présidé une réunion de la cellule de crise après l'attentat de Trèbes. J'ai rencontré M. Benalla pour la dernière fois le 16 juillet dernier, devant la place Beauvau, en me rendant à la réception organisée dans les jardins de l'Élysée en l'honneur de l'équipe de France de football. Sur la base de ces rares contacts, je n'aurais pas été en mesure d'identifier spontanément M. Benalla sur la vidéo.
Après avoir regardé cette vidéo, je me suis mis en relation avec le directeur de cabinet du Président de la République pour m'assurer qu'il avait bien eu connaissance de cette information, ce qu'il m'a confirmé. C'est à ce moment-là, et alors que je m'apprêtais à appeler le préfet de police pour partager avec lui cette information, puisqu'il s'agissait d'un événement survenu à l'occasion d'une opération de maintien de l'ordre placée sous sa responsabilité, que celui-ci m'a contacté au sujet de cette vidéo. Dans mon échange avec lui, je me suis naturellement référé aux termes de ma conversation avec le directeur de cabinet du Président de la République. J'ai également fait part au préfet de police du souhait du ministre de se déplacer dès la fin de la matinée sur l'itinéraire de la manifestation de la veille, et lui ai indiqué la nécessité pour lui de se rendre à Beauvau pour accompagner le ministre.
Le ministre est parti pour ce déplacement sans que nous puissions faire un point d'actualité avec lui comme nous en avons l'habitude. Lorsqu'il est rentré au ministère en milieu d'après-midi, le chef de cabinet et moi-même avons immédiatement fait un point avec lui et lui avons présenté la vidéo, en la visionnant. Il a considéré lui-même que le comportement de l'intéressé était inacceptable, et nous lui avons indiqué qu'il s'agissait d'un collaborateur de la présidence de la République, M. Benalla, et que la présidence de la République était informée.
Plus tard dans la journée, ce 2 mai, ayant à nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République, je me suis assuré que l'autorité hiérarchique de M. Benalla était en mesure de donner toutes les suites appropriées. En toute fin de journée, j'ai de nouveau échangé avec le directeur de cabinet du Président de la République pour lui demander quelles étaient les suites envisagées au vu du comportement de l'intéressé. S'étant peu de temps auparavant entretenu avec M. Benalla, il m'a alors répondu que celui-ci s'était rendu dans cette opération de maintien de l'ordre avec son autorisation mais sans être missionné par la présidence ; qu'il avait été doté par la préfecture de police d'un équipement de protection, conformément à la pratique pour l'accompagnement des personnes admises comme observateurs ; que les actes de violence commis par M. Benalla étaient inacceptables ; et que des sanctions disciplinaires seraient prises. Estimant la situation prise en compte, j'en ai rendu compte au ministre le 3 mai au matin. Après cela, nous n'avons plus évoqué la situation de M. Benalla.
Le 18 juillet, j'ai été informé dans l'après-midi par la conseillère communication et par le chef de cabinet que le journal Le Monde allait publier un article sur le comportement de M. Benalla montré par la vidéo. Le ministre en a été également informé. Le jour même, à l'issue de la réunion dite de police, que je tiens trois fois par semaine vers 19 heures avec le préfet de police, le DGPN et le DGGN, j'ai signalé au préfet de police la prochaine publication de cet article.
Au vu de la parution de nouvelles images montrant M. Benalla pourvu d'un brassard de police et d'un équipement radio, le ministre nous a demandé de préparer une saisine de l'IGPN pour préciser les conditions dans lesquelles M. Benalla avait été autorisé par la préfecture de police à assister à des opérations de maintien de l'ordre, formuler toutes les recommandations nécessaires sur les conditions dans lesquelles des observateurs pouvaient être accueillis dans le cadre d'opérations de police et remédier aux éventuels dysfonctionnements. Le rapport a été remis au ministre ce vendredi 27 juillet et vous a été transmis le jour même.
Avant de conclure mon propos, je souhaiterais formuler trois remarques d'ordre général. Première remarque : le rôle du directeur de cabinet d'un ministre est de s'assurer de la meilleure consolidation possible des informations recueillies avant leur transmission au ministre. Par construction, le ministère de l'intérieur brasse une quantité considérable d'informations de toute nature, certaines anecdotiques, d'autres de grande ampleur, allant de la bulle d'informations médiatiques aux renseignements classifiés. Pour d'évidentes raisons de confidentialité, les informations les plus sensibles peuvent remonter directement au directeur adjoint ou au directeur du cabinet du ministre, auxquels il incombe fréquemment de les confirmer, de s'assurer de leur exactitude et de les mettre en perspective avant leur communication. Dans un ministère qui est celui de l'urgence et de l'action, ce rôle implique une priorisation de chaque instant, dans l'urgence mais sans précipitation.
Par ailleurs, le directeur de cabinet joue un rôle tout particulier d'interlocuteur des autres représentants de l'exécutif : il est l'interlocuteur habituel du directeur de cabinet du Président de la République, de celui du Premier ministre et des autres directeurs de cabinet des autres ministères. Il est évidemment un interlocuteur privilégié des préfets partout sur le territoire national et, bien sûr, du préfet de police. À ce titre, les échanges entre le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République sont naturels et fréquents compte tenu du rôle de la préfecture de police vis-à-vis des autorités gouvernementales et de la présidence de la République dans la capitale : la préfecture de police est en charge de l'organisation et du bon déroulement en matière de sécurité de toutes les grandes manifestations qui surviennent à Paris, mais aussi des déplacements du Chef de l'État à Paris et de la sécurité du périmètre de proximité de la présidence de la République. Les grands événements d'ordre public ayant le plus souvent lieu à Paris, il est normal que chacun de nous dispose d'une bonne information.
Ma seconde remarque portera sur les leçons à tirer de ces événements pour préciser et consolider les conditions d'accueil d'observateurs au sein des services de police et de gendarmerie. Le rapport remis par l'IGPN, dans le cadre de la mission que lui a confiée le ministre, énonce sur ce point des recommandations qui seront mises en oeuvre dès cette semaine. L'IGPN acte la nécessité de poursuivre et de développer l'accueil d'observateurs au sein de la police et de la gendarmerie ; elle souligne la variété des profils et centres d'intérêt des personnes accueillies, que ce soit dans le cadre de leurs études ou de leur formation professionnelle, au titre de leurs fonctions qui les conduisent à travailler avec les forces de sécurité intérieure, ou même dans le cas de missions générales d'information ou de contrôle. Cette pratique contribue à une meilleure connaissance de l'action des forces de l'ordre et au lien de confiance qui doit exister entre elles et la population.
Néanmoins, à la lumière des événements du 1er mai, l'IGPN recommande de mieux l'encadrer.
Elle invite tout d'abord à ce que l'autorisation d'accueil de l'observateur soit formalisée à un niveau hiérarchique élevé, même si elle doit rester déconcentrée, et à ce qu'une plus grande attention soit apportée au niveau hiérarchique du référent de l'observateur en cas de déplacement sur le terrain pour qu'il puisse s'assurer du respect du cadre de l'observation. Le responsable opérationnel de police devrait aussi pouvoir mettre un terme à tout moment à l'observation. Il est également conseillé la rédaction d'une charte rappelant les grands principes qui doivent présider à l'accueil des observateurs et les droits et devoirs de l'observateur ainsi que la place du référent. Cette charte devra être signée par l'observateur. L'IGPN recommande enfin le port d'un signe distinctif par l'observateur, qui soit différent de ceux des personnels directement engagés dans la mission sans faire pour autant de l'observateur une sorte de cible privilégiée au sein des forces de l'ordre.
Enfin, je souhaite insister sur ce qu'était le contexte et rendre solennellement hommage aux forces de sécurité intérieure, au regard de leur engagement des semaines passées, qu'il s'agisse d'opérations de maintien de l'ordre, d'évacuations complexes comme celles de la zone de Notre-Dame-des-Landes ou de Bure, ou encore d'opérations de prévention et de lutte contre le terrorisme. Ce contexte évident de tension, de violence, de forte mobilisation de l'ensemble du ministère est celui dans lequel l'urgence de notre journée du 2 mai fut d'établir le bilan des événements du 1er, d'assurer le contact avec les entrepreneurs victime de graves dégâts et, dans le même temps, de se plonger dans la préparation de journées d'action et de manifestations qui s'annonçaient dans les jours à venir : manifestation du 5 mai, préparation de la deuxième phase d'évacuation de Notre-Dame-des-Landes, évacuation projetée de sites universitaires, le tout alors que continuait et continue de peser sur la France une menace terroriste qu'on ne peut que qualifier d'intense.
Nous avions subi un attentat à Trèbes à la fin du mois de mars et, dix jours après cette manifestation du 1er mai, Paris était à nouveau victime d'un attentat, qui a de nouveau réclamé une réaction de l'ensemble des services de police. Nous étions donc, et nous sommes toujours, dans un contexte où l'attention du ministre et de ses proches collaborateurs sont tournées vers la protection des Français. C'est également le sens principal de la mobilisation des forces de l'ordre, dont je souhaite saluer le niveau d'engagement au moment où elles sont elles-mêmes éprouvées par les effets pour leur image du débat public de ces derniers jours.
M. Philippe Bas, président. - Merci, monsieur le directeur. Je veux moi aussi rendre hommage à nos forces de sécurité, qu'il s'agisse des forces rattachées à la police nationale ou de celles qui dépendent de la gendarmerie. En effet, le dysfonctionnement qui a été relevé le 1er mai dernier, avec la participation d'un collaborateur du Président de la République à une opération de maintien de l'ordre, ne doit en rien ternir l'action maîtrisée de la police et de la gendarmerie. Nombre d'agents des forces de sécurité sont rudement éprouvés par la confusion qui semble s'être créée dans les esprits de certains entre ce qui n'est qu'un dérapage individuel et délictueux d'un collaborateur du Président de la République et ce qui aurait pu être une bavure policière, si elle avait été commise par des membres de la police nationale ou de la gendarmerie, ce qui n'est absolument pas le cas. Qu'il soit donc bien clair pour toutes les forces de sécurité et tous leurs agents que ce qui est en cause, ce n'est pas leur comportement, en général irréprochable, mais bien un dysfonctionnement de l'État auquel elles n'ont pas pris part. Nous savons bien ici que les forces de police et de gendarmerie sont sous tension depuis plus de trois ans maintenant, depuis les premiers attentats terroristes. Elles sont très fortement sollicitées pour prévenir de nouveaux actes terroristes, mais aussi pour garantir la sécurité publique. Au Sénat, une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure a rendu récemment ses conclusions, sur le rapport de notre collègue François Grosdidier. C'est dire si nous partageons cette très vive préoccupation.
Est-il naturel que, le 2 mai, vous appreniez les choses parce que l'Élysée vous communique une vidéo alors que, place de la Contrescarpe, il y avait des cadres de la police nationale qui auraient pu et certainement dû faire remonter l'information ? Celle-ci aurait dû être jugée, à tous les étages, aussi sensible que vous l'avez jugée vous-même quand vous en avez été alerté - puisque vous vous êtes immédiatement mis en relation avec la présidence de la République et en avez rendu compte à votre ministre.
Les images de vidéoprotection de la Ville de Paris sont accessibles aux services de police. Avez-vous fait immédiatement une demande pour accéder à des images complémentaires à celles qui semblent vous être parvenues par les réseaux sociaux ? Je ne comprends pas, compte tenu de la gravité des faits, que le ministre de l'intérieur et son cabinet n'aient pas été immédiatement informés par un canal interne.
M. Stéphane Fratacci. - Les événements de la Contrescarpe étaient loin d'être au centre des préoccupations d'ordre public ce jour-là. L'attention se portait surtout sur ce qui s'était produit place Valhubert et sur le début du boulevard de l'Hôpital, avec la formation dans le cortège de tête d'un bloc de 1 200 Black blocs violents, cherchant manifestement à en découdre et à commettre des dégâts sur les commerces.
Les rapports qui nous parvinrent le soir du 1er ainsi que le 2 mai portaient essentiellement sur les dommages, l'identification du nombre de personnes qui avaient été interpellées et sur les suites à donner à ces interpellations. Le 2 mai, une polémique roulait sur la gestion de la manifestation du 1er mai. Dans ce contexte, les restitutions orales qui nous étaient faites étaient loin de se focaliser sur les événements de la place de la Contrescarpe.
Il n'est pas rare que l'information arrive par différents canaux, notamment par les réseaux sociaux. Et il est assez normal que l'on s'assure du partage d'une information avec les autorités en charge du maintien de l'ordre, ce que nous avons fait.
Les images issues de la vidéoprotection relèvent d'un cadre de conservation et d'exploitation extrêmement strict défini par le code de la sécurité intérieure en ses articles L. 252-1 et suivants : l'installation de ces systèmes est soumise à autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et l'accès en est réservé aux agents individuellement désignés et habilités des services de police et de gendarmerie, des douanes et des services d'incendie et de secours ; la durée de conservation des images est aussi encadrée par le législateur. Le 2 mai, je me suis assuré que l'employeur de M. Benalla avait aussi connaissance de cette vidéo et qu'il était en situation d'en apprécier toute la portée.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez évoqué la présence de M. Benalla à une réunion de crise tenue à la suite de l'attentat de Trèbes. Quel y était son rôle ?
M. Stéphane Fratacci. - Je l'ai croisé en me rendant à cette réunion, mais je n'ai pas le souvenir qu'il y ait assisté. Quand le Président de la République se rend à l'Hôtel de Beauvau, des précurseurs y viennent avant son arrivée et l'accompagnent dans ses cheminements à l'intérieur de la salle de crise. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu M. Benalla à la réunion de la salle de crise. Cela dit, comme le ministre de l'intérieur était lui-même en déplacement à Carcassonne et à Trèbes, il me revenait d'accueillir le Premier ministre et le Président de la République et je me suis focalisé sur leur accueil, leur présence et le déroulement de la réunion.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Lorsque vous prenez connaissance des faits du 1er mai, n'envisagez-vous pas de saisir l'IGPN, ou plutôt de conseiller au ministre de le faire ?
M. Stéphane Fratacci. - Lorsque nous avons eu connaissance de cette vidéo et de l'identité de la personne qu'on y voyait, je me suis assuré que son employeur était en situation d'y apporter des suites. Comme il ne s'agissait pas de personnel relevant des forces de sécurité intérieure, la question de la saisine de l'IGPN n'a pas du tout été évoquée.
M. Philippe Bas, président. - Vous-même, n'y avez-vous pas songé ?
M. Stéphane Fratacci. - Nous y avons songé le 19 juillet, au vu de nouvelles images montrant l'emploi d'un brassard et d'équipements de police. Le ministre a alors jugé nécessaire de demander à l'IGPN de regarder comment les observateurs ont été accueillis ce jour-là.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'essaie de comprendre. Le 1er mai, comme la personne qui commet ces faits ne relève pas du ministère de l'intérieur, vous ne saisissez pas l'IGPN, alors même qu'elle a commis des faits violents et a échappé à l'attention de la police nationale qui l'avait en charge. Au mois de juillet, le fait que cette même personne porte un brassard et une radio vous incite à saisir l'IGPN. N'y a-t-il pas une disproportion entre le fait de commettre des violences et d'échapper à la surveillance de la personne qui était en charge de l'observateur, et le fait de porter un brassard et d'avoir une radio ? Les premiers faits sont plus graves que les seconds...
M. Stéphane Fratacci. - Ce n'est pas une question de proportionnalité ou de gravité : il s'agit de la nature des investigations et des recommandations sollicitées auprès de l'IGPN. L'IGPN peut être saisie pour des actes commis par ou imputés à des policiers ou des gendarmes. En juillet, s'est posée la question des conditions d'accueil de l'observateur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La directrice de l'IGPN estimait pour sa part que si elle avait su qu'il s'agissait d'un observateur et non d'un policier, elle aurait déclenché une enquête administrative et demandé une enquête judiciaire immédiatement. L'article 40 du code de procédure pénale fait obligation à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire de signaler au parquet les délits ou les crimes. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Stéphane Fratacci. - Sur l'article 40 du code de procédure pénale, beaucoup a déjà été dit, y compris devant votre commission. Au sein du ministère de l'intérieur, j'ai occupé, avant celles-ci, des fonctions préfectorales et des fonctions en administration centrale. La doctrine a toujours été la suivante : il est de la responsabilité de l'autorité hiérarchique du fonctionnaire ou de l'agent public qui commet le manquement passible de sanctions pénales d'engager les procédures adéquates et de saisir, le cas échéant, l'autorité judiciaire, après avoir procédé aux investigations nécessaires pour établir les faits.
Pour des faits qui ne concernent pas les agents du ministère de l'intérieur, c'est habituellement l'autorité territorialement compétente qui prend l'initiative des signalements au procureur, sans qu'il soit besoin de l'aval du ministre ou de son cabinet. Enfin, les saisines à l'initiative du ministre se réfèrent essentiellement à la loi de 1881 sur la presse, ce qui s'explique par le fait que les dispositions de cette loi réservent au seul ministre la capacité d'agir pour défendre la police nationale en tant que corps.
Ce qui comptait à nos yeux, c'est que l'autorité en charge de l'emploi soit en mesure de réagir et de prendre toutes les mesures nécessaires. Quant à l'avis de la chef de l'IGPN, je n'ai pas à le commenter. Et le préfet de police a annoncé des mesures pour mieux encadrer la présence d'observateurs.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. Benalla a obtenu copie d'une vidéo issue des images de vidéoprotection qui restitue les événements antérieurs à ceux qui figurent sur la vidéo que tout le monde a pu voir à la télévision et sur les réseaux sociaux. Cette copie a été confiée par M. Benalla à un conseiller de la présidence de la République et est apparue ensuite sur un certain nombre de réseaux sociaux, avant d'en disparaître d'un coup. Avez-vous vu cette vidéo ? Quelqu'un l'a-t-il vue, à votre connaissance, au sein du cabinet du ministre de l'intérieur ? Existe-t-il une copie de cette vidéo qui subsisterait dans les services du ministère de l'intérieur ou de la préfecture de police ? Si oui, pouvez-vous nous la communiquer ?
M. Stéphane Fratacci. - Non, je n'ai pas vu cette copie, et je ne crois pas que quiconque l'ait vue au ministère. Le 18 juillet, nous sommes déjà au-delà du mois de conservation autorisé par le cadre légal. J'ai entendu dire que des images de vidéoprotection auraient été conservées au-delà de ce délai. Il appartient au préfet de police de formuler des propositions et des recommandations pour remédier à de telles conservation d'images au-delà du délai prévu. Pour le surplus, je ne peux que vous renvoyer à l'information judiciaire ouverte.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous veillons à ne pas empiéter sur ce qui relève de l'enquête judiciaire, mais avez-vous eu connaissance des nouveaux faits relatés dans le journal Libération ?
M. Stéphane Fratacci. - Je les ai découverts en lisant ce journal, et en regardant la courte vidéo correspondante. C'est au procureur de la République de décider des suites qu'il entend leur donner.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - J'avais le sentiment que le ministère de l'intérieur disposait de quelques capacités d'information... Un chargé de mission auprès du chef de cabinet du Président de la République devient observateur dans un contexte sensible : le préfet de police n'est pas au courant, le ministre de l'intérieur n'est pas au courant. Place de la Contrescarpe, des responsables de la police voient un membre du cabinet du Président de la République commettre certaines actions très concrètes : ils n'en rendent pas compte à leur supérieur hiérarchique, ni au préfet de police, ni au ministère de l'intérieur. L'intéressé se trouve dans une réunion de commandement, personne ne sait qui l'a convié, comment il est arrivé là et quelle remarque aurait été faite sur sa présence. En général, on va aux réunions auxquelles on est convié... Puis, personne ne sait vraiment dans quelles conditions a été délivré un permis de port d'arme à M. Benalla : on nous dit qu'il n'exerce pas de mission de police, or il est inscrit sur son permis de port d'arme qu'il en exerce ; mais personne ne sait dans quelles conditions, ni au ministère de l'intérieur, ni auprès du préfet de police. Enfin M. Benalla a bénéficié d'un agrément d'agent de sécurité privée puis de dirigeant de société privée de sécurité, et on ne sait pas pourquoi ni comment. Puisque l'intéressé est à la présidence de la République, en quoi est-il nécessaire qu'il soit de surcroît pourvu d'une autorisation de diriger une société de sécurité privée ? Comment réagissez-vous à tout cela ?
M. Stéphane Fratacci. - La plupart de ces informations apparaissent rétrospectivement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je reconnais que c'est plus facile...
M. Stéphane Fratacci. - Notre action est gouvernée par des priorités : la sécurité des Français, la sécurité du quotidien et son déploiement, la lutte contre le terrorisme... Le suivi des affaires individuelles n'est pas notre obsession - et tant mieux pour les libertés publiques !
En effet, le préfet de police n'était pas au courant de la participation de M. Benalla au service d'ordre du 1er mai, mais je note que le rapport de l'IGPN ne recommande pas de re-centraliser l'octroi d'autorisations.
M. Benalla est titulaire d'une autorisation d'exercice d'activités privées qui n'est pas sans rapport avec son activité professionnelle antérieure. Les règles d'habilitation et d'agrément sont fixées par le code de la sécurité intérieure et leur mise en oeuvre est placée sous la responsabilité d'un établissement public autonome, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS).
Le préfet de police a eu l'occasion de s'exprimer devant vous sur les conditions dans lesquelles a été instruite la demande de port d'arme délivrée en 2017. Il s'agit d'une décision préfectorale, qui n'a pas à remonter au cabinet du ministre.
L'agrément de dirigeant d'entreprise de sécurité a été attribué à M. Benalla le 9 juillet dernier.
M. Philippe Bas, président. - Est-ce à dire qu'il s'agit du résultat d'une procédure initiée avant son entrée à l'Élysée ?
M. Stéphane Fratacci. - Non. C'est l'étape qui suit celle d'agrément pour être agent de sécurité. La demande avait été formulée en juin. Le CNAPS vérifie les compétences, sanctionnées par un diplôme, et fait une enquête de moralité - sur la base de documents publics.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Donc, quelqu'un qui occupe un emploi public, comme M. Benalla, peut préparer tranquillement sa reconversion en demandant un agrément pour devenir dirigeant d'entreprise de sécurité privée... Les collaborateurs du Président de la République ont-ils été informés de cette demande ?
M. Stéphane Fratacci. - Je n'ai pas à porter de jugement sur ce projet professionnel mais il n'est pas anormal qu'un agent public qui avait déjà des qualifications de sécurité privée veuille s'assurer de leur maintien : il n'y a pas d'incompatibilité de principe. Il y a une différence entre obtenir une compétence ou une habilitation et exercer concomitamment des fonctions !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous avons demandé communication de sa demande d'autorisation de port d'arme. Nous espérons qu'elle nous sera rapidement transmise.
Pourquoi quelqu'un qui travaille à l'Élysée demande-t-il un port d'arme alors qu'il n'utilisera pas son arme lors des voyages officiels et qu'il n'exerce pas de mission de police ? Surtout lorsque cette personne se targue de sa capacité éventuelle à diriger une société de sécurité privée, alors qu'il ne dirige aucune société privée puisqu'il exerce à l'Élysée !
M. Stéphane Fratacci. - La décision d'octroi d'un permis de port d'arme par la préfecture de police s'est inscrite dans les conditions que le préfet de police a eu l'occasion de vous exposer. Il y a un régime de port d'arme qui relève à titre exclusif du ministre de l'intérieur, pour les personnes - en nombre limité - qui encourent un risque exceptionnel d'atteinte à leur vie. Et il y a un régime qui relève des préfets, pour les fonctionnaires et les agents publics dans l'exercice de leurs fonctions.
M. Philippe Bas, président. - Comment expliquer que le préfet de police ait eu une appréciation différente de celle du ministre de l'intérieur ?
M. Stéphane Fratacci. - C'est qu'il y a deux régimes différents. Le premier, prévu par l'article R. 315-5 du code de la sécurité intérieure, porte sur les risques exceptionnels d'atteinte à la vie. Pour M. Benalla, le préfet de police vous a expliqué qu'il s'était fondé sur l'autre régime, qui concerne les fonctionnaires et agents publics.
M. Philippe Bas, président. - De votre point de vue, il n'y a donc aucune contradiction entre le refus ministériel et l'acceptation préfectorale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Une réforme du dispositif de sécurité de la présidence de la République est envisagée, qui consisterait, nous dit-on, en une fusion entre le GSPR et le commandement militaire. Avez-vous été associé à cette réflexion ?
M. Stéphane Fratacci. - Le ministre et moi-même avons été informés de l'engagement de cette réflexion et nous avons dû échanger à deux ou trois reprises sur ce sujet, notamment avec le directeur de cabinet du Président de la République. Le GSPR et le commandement militaire réfléchissent à une meilleure articulation de leur action.
Le ministre et moi-même avons voulu garantir que la formation et la carrière des policiers et des gendarmes du GSPR soient garanties en cas de nouvelle organisation ; il devait en être de même pour les gendarmes de la garde républicaine. La réflexion sur cette nouvelle organisation étant menée par la présidence de la République, je n'ai pas de commentaires à faire.
Nous avons aussi voulu nous assurer que la protection du Président de la République lors de ses déplacements soit toujours parfaitement interopérable avec les autres forces de sécurité intérieure, comme les commandements de gendarmerie, ou quand d'autres unités du service de la protection (SDLP) ou de CRS sont requises pour compléter des dispositifs lorsque le Président de la République visite ou reçoit d'autres chefs d'État.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Avez-vous eu des liens avec M. Benalla ? Il a en effet déclaré hier au Journal du Dimanche : « Le GSPR, c'est l'enfant terrible de l'Élysée. Il y a des incohérences qui, pour moi, sont complètement incroyables. Si demain il y a une cohabitation, vous avez la sécurité qui est sous la main du ministre de l'intérieur... ». Cette interview fait preuve d'un curieux sens de la considération.
M. Stéphane Fratacci. - Je ne commenterai pas les propos reproduits par ce journal.
J'ai dit quelle était la préoccupation du ministère de l'intérieur : la parfaite interopérabilité des forces de sécurité intérieure pour assurer la sécurité du chef de l'État. C'est une ligne de conduite très ancienne du ministère de l'intérieur qui souhaite, par ailleurs, s'assurer que le haut niveau de professionnalisme, le grand engagement et l'excellence des formations de ces personnels, en particulier du GSPR, soit en continuum avec leurs collègues du SDLP. Ces deux préoccupations sont nécessaires pour garantir la sécurité du Président de la République. Je n'ai eu d'échange sur le sujet qu'avec le directeur de cabinet du Président de la République. Bien sûr, je n'en ai jamais parlé avec M. Benalla. À ma connaissance, aucun collaborateur du ministère de l'intérieur n'a non plus échangé avec lui.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Un comité de pilotage avait-il été mis en place pour piloter la réforme du dispositif de la sécurité de la présidence de la République ?
M. Stéphane Fratacci. - La responsabilité de la conduite de cette réflexion ressortait de la présidence de la République. Je n'avais pas vocation à participer à ces travaux et je n'ai pas eu connaissance des détails qui avaient pu être retenus pour conduire cette réflexion en interne.
M. Philippe Bas, président. - Votre réponse laisse postuler qu'il est normal qu'une telle réforme se fasse sans impliquer le ministère de l'intérieur.
M. Stéphane Fratacci. - Je n'ai pas exactement dit cela : j'ai eu des échanges avec le directeur de cabinet du Président de la République lors de la phase liminaire de l'engagement de la réflexion. J'ai fait valoir les préoccupations fortes du ministère de l'intérieur sur les deux aspects que j'ai rappelés. Le GSPR regroupe une partie de l'élite qui assure la protection du Président de la République, du Premier ministre, des membres du Gouvernement et des personnalités étrangères. Nous avons eu des réponses rassurantes sur la bonne intégration des policiers et des gendarmes dans le service de la protection.
M. François Pillet. - Le 2 mai, vous prenez connaissance de la vidéo.
Avez-vous rassemblé toutes les preuves possibles, dont celles qui allaient légalement disparaître dans un délai assez bref ? Je pense aux vidéos de la Ville de Paris, à certaines vidéos privées, aux éventuelles caméras individuelles portées par les services de police, aux échanges oraux entre les policiers accessibles par le réseau Acropol.
Mme Brigitte Lherbier. - Vous avez dit tout à l'heure que vous vouliez protéger l'image de la police et de la gendarmerie. C'est tout à votre honneur. Les policiers ont été affectés par la confusion qui a eu lieu.
Ce matin, le préfet Lalande a expliqué que lors
des réunions préparatoires, la préfecture de région
était bien au fait de tous les points de vidéos qui existaient.
Je m'étonne du peu de curiosité de vos services alors que des
violences étaient commises par un policier
- qui n'en
était pas un - et que les vidéos avaient une courte
durée de vie. Un maire aurait agi autrement.
M. Stéphane Fratacci. - Le 2 mai, ma priorité a été la suite de la manifestation de la veille. Je me suis assuré du devenir des interpellations, j'ai préparé des éléments de langage au sein du cabinet pour expliquer la réponse des forces de l'ordre aux Black blocs, préparé aussi le déplacement du ministre place Valhubert et boulevard de l'Hôpital.
Pour ce qui concerne la vidéo dont il est question, je me suis assuré que l'employeur de l'intéressé disposait de l'information, qu'il la prenait en compte, qu'il s'entretiendrait de manière contradictoire avec l'intéressé pour avoir sa version des faits et qu'il apporterait une réponse à ce comportement hors norme.
Le système d'exploitation de la vidéoprotection est une responsabilité du préfet de police. Demander l'accès à la vidéoprotection sort du cadre. La question du trafic radio entre les opérateurs ne s'est pas posée au moment des faits, car il s'agissait d'un évènement dans une série d'évènements. À ma connaissance, il n'a pas été procédé à l'extraction ni à la conservation de ces données. Mais je ne suis pas l'autorité qui gère la vidéoprotection.
M. Philippe Bas, président. - La commission n'est pas surprise d'apprendre que le 2 mai, des sujets plus importants vous accaparaient. Il n'en reste pas moins vrai que vous en percevez la sensibilité puisque vous avez trois échanges sur cette question avec le directeur de cabinet du Président de la République.
M. Jacques Bigot. - Lundi dernier, des policiers nous ont dit qu'ils avaient été sensibles au fait que cette vidéo montrait un policier dont l'attitude était peu admissible. Dès le 2 mai, vous saviez qu'il ne s'agissait pas d'un policier. À un moment donné, ne s'est-on pas dit qu'il ne fallait pas laisser cette vidéo continuer à circuler alors que la police n'était pas responsable ?
M. Stéphane Fratacci. - Vous me demandez si une action a été engagée pour interrompre la diffusion de cette vidéo ?
M. Jacques Bigot. - Jusqu'à l'article du 18 juillet, on a laissé croire à nos concitoyens que des policiers avaient mal agi.
M. Philippe Bas, président. - Il eût été plus protecteur pour la police nationale de dire dès le 2 mai qu'il ne s'agissait pas d'un policier.
M. Stéphane Fratacci. - Je comprends votre remarque, d'autant que cette vidéo ne correspond pas à la déontologie des policiers et des gendarmes.
Néanmoins, à la vue de cette vidéo, notre préoccupation a été que l'autorité d'emploi de M. Benalla soit en mesure de tirer les conséquences de son comportement. Spontanément, un signalement a été fait sur la plateforme de l'IGPN qui recense les violences policières. Ce signalement a été traité par les professionnels de cette plateforme et interprété comme n'étant pas de nature à justifier des suites disciplinaires. La lecture était bien évidemment tronquée, puisque ces responsables croyaient qu'il s'agissait d'une action de police.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ces faits ont-ils été une nouvelle fois évoqués devant vous après le 2 mai et avant le 18 juillet ? Si oui, vous en êtes-vous entretenu avec votre ministre ? Si non, comment l'expliquez-vous ?
Saviez-vous que M. Benalla était armé lorsqu'il accompagnait le Président de la République dans ses déplacements privés ? Si oui, qu'avez-vous fait puisque le cabinet de la présidence de la République nous a dit que seul le GSPR était compétent pour assurer cette protection ? Si vous ne l'avez pas su, quel enseignement tirez-vous de cette situation étonnante ?
M. Stéphane Fratacci. - J'ai su que l'intéressé disposait d'un port d'arme postérieurement à l'article du journal Le Monde. Je ne savais donc pas jusqu'alors qu'il portait une arme dans tel ou tel déplacement.
Le 2 mai, j'ai évoqué cette vidéo avec le directeur de cabinet du Président de la République. Le 3 mai, j'ai échangé avec le ministre pour lui dire que la présidence de la République entendait donner les suites que j'ai relatées dans mon propos liminaire. Nous n'avons plus évoqué cette situation par la suite. Dans les jours qui ont suivi, nous préparions la manifestation du 5 mai, mais aussi la deuxième phase de l'évacuation de Notre-Dame-des-Landes et l'évacuation de divers sites. Dix jours après, il y a eu l'attentat de Paris. Ces sujets étant essentiels, j'y ai beaucoup travaillé.
M. Philippe Bas, président. - Pourquoi la hiérarchie présente place de la Contrescarpe n'a-t-elle pas prévenu la direction générale de la police nationale qui aurait alors saisi le cabinet du ministre ?
Je suis surpris que vous n'ayez été informé de la délivrance de ce permis de port d'arme que si tardivement. J'ai du mal à imaginer qu'il n'y ait aucun échange entre les services du ministère de l'intérieur et les services de la préfecture de police sur la demande d'un permis de port d'arme qui s'était faite auprès du ministre sur un fondement différent que celui sur lequel il a été accordé par le préfet de police.
Notre commission met à jour des fonctionnements qui ne relèvent pas tous de dysfonctionnements mais qui méritent d'être perfectionnés dans la chaîne de commandement, y compris dans la manière dont est organisée la sécurité du Président de la République
M. Stéphane Fratacci. - Il n'est pas anormal que les services déconcentrés des préfectures instruisent des dossiers relevant de leurs compétences sans en référer à l'autorité nationale.
M. Philippe Bas, président. - Il s'agit de la préfecture de police de Paris !
M. Stéphane Fratacci. - Le rôle des services de l'administration centrale est évidemment d'apporter des éclairages en droit lorsqu'ils sont sollicités sur les questions des préfectures si elles ont des doutes. Or, la préfecture de police de Paris est particulièrement bien outillée en la matière. Dans ces conditions, elle doit estimer avoir une capacité d'analyse suffisante.
À la lumière de la délivrance de ce permis, que nous avons découverte ex post par rapport à des refus antérieurs, nous en déduisons que de réelles améliorations peuvent être apportées.
M. Philippe Bas, président. - Tout ceci est dit avec beaucoup d'élégance : nous convergeons.
M. Éric Kerrouche. - M. Crase n'était pas autorisé à être sur les lieux de la manifestation. Il y était de son propre chef et non pas en tant que réserviste. C'est attesté par le rapport de l'IGPN, les déclarations du général Bio-Farina ou encore les vôtres lors de votre audition devant l'Assemblée nationale. Ces déclarations contredisent les premières déclarations du porte-parole de l'Élysée le 19 juillet. Ce matin, j'ai posé ces questions à M. Girier qui ne m'a pas répondu. À quel moment le ministère de l'intérieur identifie-t-il M. Crase sur cette vidéo ? Le ministère de l'intérieur - ou vous-même - a-t-il engagé des démarches pour connaître les raisons de sa présence sur ces lieux ? Comment expliquer le décalage de sanctions tant dans la nature que dans les délais entre celles prises par le général Bio-Farina dès le 3 mai et celles de la direction générale de la gendarmerie... qui ne sont toujours pas prises ?
Si M. Crase était présent en tant que citoyen, n'est-il pas surprenant qu'aucune information judiciaire au titre de l'article 40 n'ait été lancée ?
M. Stéphane Fratacci. - Je n'ai pas d'appréciations à avoir sur le régime des sanctions. Les gendarmes réservistes sont liés à la gendarmerie par le contrat d'engagement spécial de réserve qui est une sorte de capacité d'appel pour des jours de réserve des gendarmes réservistes. Il ne s'agit pas d'un lien permanent. Le commandement militaire a mis un terme à la mobilisation de M. Crase.
En l'état, les deux personnes concernées ne sont plus mobilisées ni mobilisables pour la réserve. Les suites à donner sur leur contrat d'engagement spécial de réserve seront sans doute prises sur la base des constatations qui ressortiront de l'enquête judiciaire. La réponse est donc subordonnée à la matérialité et à la qualification des faits. Je ne doute pas que la gendarmerie tirera toutes les conséquences une fois les faits connus.
J'ai découvert plus tard que M. Crase était venu de lui-même, sans autorisation préalable. L'information judiciaire en cours précisera les conditions dans lesquelles il a accompagné M. Benalla.
M. Philippe Bas, président. - Peut-être eût-il été opportun de prévenir dès le 2 mai le directeur général de la gendarmerie nationale car, durant toute cette période qui s'étend du 2 mai au 18 juillet, il aurait pu convoquer l'un ou l'autre des deux hommes dans le cadre de la réserve sans avoir connaissance de ces difficultés.
M. Stéphane Fratacci. - Le 2 mai, je n'avais pas conscience, pas plus que M. le ministre d'ailleurs, de l'appartenance des intéressés à la réserve de la gendarmerie.
M. Alain Richard. - Depuis le début de cette commission d'enquête, on a le sentiment que M. Benalla a fréquemment débordé les fonctions qui lui étaient confiées à la présidence de la République. Il semble qu'il se rendait régulièrement à des réunions d'organisation d'ordre public alors qu'il n'avait pas à y être. À l'occasion d'autres réunions, le cabinet du ministre ou vous-même a-t-il trace de la présence de M. Benalla ?
M. Stéphane Fratacci. - Le préfet de police vous a répondu sur les réunions concernant les déplacements du Président de la République ou les manifestations parisiennes. Je ne suis pas en mesure de vous dire s'il assistait à ces réunions ou à quel titre il y participait.
S'agissant du ministère de l'intérieur, le chef de cabinet du ministre vous a exposé les cas où M. Benalla était associé à des réunions.
Pour les réunions que j'ai pu animer, M. Benalla n'y a jamais assisté. On ne m'a non plus jamais interrogé sur les raisons de sa présence dans telle ou telle réunion. Lorsque le Président de la République se rend au ministère de l'intérieur, il est accompagné d'un grand nombre de conseillers et d'officiers de sécurité, et M. Benalla pouvait être présent. Je n'ai qu'un seul souvenir de l'avoir croisé à l'occasion d'un tel déplacement. Je l'ai vu à diverses reprises à l'Élysée, mais pas à l'occasion de réunions.
M. Alain Richard. - Nous avons entendu lundi dernier certaines organisations syndicales de police qui rapportaient que M. Benalla portait des appréciations ou s'ingérait dans le fonctionnement des services de police et le ministre d'État a fait savoir par la suite qu'il n'avait jamais eu vent de tels griefs. J'ai cru comprendre que M. le ministre avait l'intention de recevoir les syndicats pour en savoir plus.
M. Philippe Bas, président. - D'après ces syndicats, des membres de leurs organisations s'étaient plaints auprès d'eux. Les syndicats vont compléter leurs informations pour mieux nous répondre.
M. Alain Richard. - Cette réunion est-elle programmée et si des données factuelles mettant en cause M. Benalla en ressortent, seront-elles portées à notre connaissance ?
M. Philippe Bas, président. - Nous observons aussi les déclarations de M. Benalla qui ne semble pas nier ce qu'on lui reproche et qui d'ailleurs ajoute crûment : « J'emmerdais beaucoup de monde ». Il attribue ses difficultés à une mauvaise entente avec le GSPR.
M. Stéphane Fratacci. - Le ministre va rencontrer les organisations syndicales cette semaine. Il abordera avec elles les questions de l'image et de la défense de l'institution mais il entend aussi recenser les difficultés liées aux déplacements.
Lorsque des problèmes surgissent à l'occasion de la préparation d'un déplacement, j'en suis tenu au courant. Or, tel ne fut pas le cas ni à mon niveau, ni à celui du cabinet, ce qui ne signifie pas que rien ne se soit passé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Dans notre rapport, nous parlerons des faits mais aussi de la sécurité des déplacements du chef de l'État et des hautes autorités de ce pays.
Hier, M. Benalla a dit dans le Journal du Dimanche : « Par rapport à la réorganisation du service de protection du Président de la République, nous avions contre nous le ministère de l'intérieur ». Depuis longtemps, les policiers et les gendarmes qui sont à l'Élysée relèvent du ministère de l'intérieur. M. Benalla feint de s'inquiéter d'une cohabitation, d'où sa volonté de créer un îlot autour du Président de la République. Mais, à l'occasion des cohabitations passées, le service de protection du Président de la République a été assuré de manière républicaine par le ministère de l'intérieur. Les paroles de M. Benalla sont graves mais elles ne reflètent sans doute pas les sentiments d'un seul individu.
M. Philippe Bas, président. - La sécurité du Président de la République ne lui appartient pas en propre.
M. Stéphane Fratacci. - Je ne vais pas commenter les déclarations faites dans un organe de presse. Chacun porte sa vérité.
Je fréquente le ministère de l'intérieur depuis bientôt vingt ans : ce ministère est profondément républicain et il tient à assurer la sécurité du Président de la République, des hautes personnalités françaises et étrangères. Cela dit, nous sommes d'accord pour dire que nous sommes perfectibles.
À notre sens, la réflexion qui était engagée à l'Élysée devait bien sûr prendre en compte les hommes et les femmes qui assurent au quotidien la sécurité du chef de l'État. La menace s'est singulièrement transformée ces dernières années : aujourd'hui, les précautions sont différentes car la nature des risques, la variété des menaces, l'imprévisibilité de ce qui peut survenir nécessitent un haut niveau d'entrainement et de préparation. L'appartenance à un service important est essentiel, car elle assure la connaissance de diverses techniques et elle permet l'interopérabilité avec d'autres services de protection, y compris avec ceux de personnalités étrangères.
M. Philippe Bas, président. - Vous semblez co-écrire notre rapport : nous sommes d'accord avec la plupart de vos réflexions.
Mme Sophie Joissains. - Les vidéos seront-elles détruites ou resteront-elles aux mains de la justice ? Le délai d'un mois peut être interrompu en cas d'instruction judiciaire. Or, vu le nombre d'interpellations, ces vidéos ont dû être conservées par la justice.
M. Stéphane Fratacci. - La vidéo issue de la vidéoprotection est aux mains de la justice : ce sera à elle de trancher.
Mme Sophie Joissains. - Je parlais aussi des autres vidéos.
M. Stéphane Fratacci. - Je ne peux faire d'autre réponse que celle que je viens de faire, y compris pour les vidéos postées librement. Le magistrat instructeur décidera ce qu'il convient de faire pour la manifestation de la vérité et donc des conditions de conservation dans la durée de ces vidéos.
M. Philippe Bas, président. - Deux collègues qui ne sont pas membres de la commission des lois souhaitent également vous interroger.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Un des objectifs de cette commission est d'identifier les éventuels dysfonctionnements. Que pensez-vous du manque de réactivité et de la faiblesse des premières sanctions prises à l'encontre de M. Benalla comparées à celles prises après la divulgation des faits ? À titre d'exemple, une personne qui avait usurpé des insignes de police a écopé de quatre mois de prison et de dix ans d'interdiction d'exercer dans la fonction publique.
M. Stéphane Fratacci. - Je n'ai pas d'appréciation à porter sur les conditions dans lesquelles des sanctions ont été prises à l'encontre de M. Benalla. Vous avez auditionné des personnes bien mieux à même de vous répondre. Et elles l'ont fait.
Concernant les mesures de suspension à l'égard des personnels de la préfecture de police, la situation et les procédures sont différentes.
L'information judiciaire ouverte permettra de circonscrire les faits et de les qualifier. La justice appréciera, dans le cadre d'un débat forcément contradictoire.
Mme Nadia Sollogoub. - Il n'a pas été question de la propriété de l'arme : s'agissait-il d'une arme acquise à titre personnel par M. Benalla, auquel cas elle aurait pu être acquise à titre sportif avec éventuellement un changement ultérieur de destination. Ou s'agissait-il d'une arme de dotation administrative, sachant que ces matériels sont exclusivement réservés aux fonctionnaires de police et de gendarmerie et que personne n'a de légitimité à se servir d'un tel matériel hors de ce cadre ?
M. Philippe Bas, président. - Excellente question.
M. Stéphane Fratacci. - Comme nous n'avons pas instruit cette demande de port d'arme, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur la nature de l'arme. La préfecture de police doit disposer de ces éléments.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre contribution.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône
M.
Philippe Bas, président. - Nous
accueillons M. Olivier de Mazières, préfet de police des
Bouches-du-Rhône. Nous vous avons fait venir, non pas que les
déplacements présidentiels dans les Bouches-du-Rhône aient
fait l'objet de difficultés particulières par rapport à
d'autres, mais parce que nous avons étendu nos investigations à
l'organisation des déplacements présidentiels et souhaitons
vérifier comment ils se passent sur le terrain. Nous avons
sélectionné deux départements dans lesquels le
Président de la République s'est rendu à plusieurs
reprises : le Nord - nous avons entendu ce matin votre
collègue Michel Lalande - et les Bouches-du-Rhône. Cela nous
semblait également important car le Président de la
République a fait dans votre département un déplacement de
nature privée en août 2017 et plusieurs déplacements
publics. Nous vous poserons des questions très pratiques : comment
ont été organisés les déplacements du
Président et quelle part M. Benalla a-t-il pu y prendre
- ou
non ?
Notre commission étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier de Mazières prête serment.
M. Olivier de Mazières, préfet de police des Bouches-du-Rhône. - Paradoxalement, l'organisation des déplacements du Président de la République est plus simple à gérer pour un préfet que ceux d'autres membres du Gouvernement, car une grande partie des tâches qui relèvent habituellement des services de police et de gendarmerie locaux est assurée par le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et la compagnie républicaine de sécurité (CRS) n° 1, qui est dédiée à sa sécurité. Il y a des différences entre un déplacement officiel, public, et un déplacement privé. À Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, depuis ma prise de poste il y a un an, nous avons connu un déplacement à titre privé du chef de l'État et de son épouse, en août 2017, à Marseille durant dix jours, et plusieurs déplacements officiels.
Nous avons eu une seule occasion de travailler avec M. Benalla, durant le séjour privé du Président, du 10 au 20 août 2017. Le cabinet du Président de la République était soucieux de ne pas accaparer excessivement les forces locales - la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) des Bouches-du-Rhône mais aussi les unités de forces mobiles dédiées à la zone de défense Sud, utilisées par le préfet de la zone de défense, préfet de région, préfet des Bouches-du-Rhône.
C'est pour cela que c'est principalement le GSPR qui a assuré cette mission de sécurité. Le chef de cabinet du Président de la République avait insisté, à plusieurs reprises, sur le caractère privé du déplacement : pas d'accompagnement protocolaire, d'accueil, de mobilisation des forces comme lors d'un déplacement officiel. Il voulait que les choses se fassent le plus discrètement et le plus simplement possible. Nous nous sommes donc mobilisés en périphérie de ce déplacement, mais à aucun moment dans sa gestion.
Nous avons été en contact avec M. Benalla
puisqu'il était, en tant que chargé de mission à la
présidence de la République, la personne en charge de
l'organisation logistique de ce déplacement désignée par
le chef de cabinet. Nous avions deux points de contact : le chef de la
mission du GSPR sur place sur les questions de sécurité au sens
large du terme, et M. Benalla pour la logistique et les déplacements. De
fait, je l'ai eu deux ou trois fois au téléphone, de même
que mon directeur de cabinet, sous-préfet. M. Benalla nous a par exemple
informé de sorties du Président de la République. Ainsi,
deux jours avant le départ du Président, il m'a appelé
vers 18 h 30 pour m'informer que le chef de l'État et son
épouse se rendraient sur le vieux port quinze minutes après, afin
que je puisse être au courant et y dépêcher des effectifs
susceptibles de gérer les possibles attroupements. Il avait
également pris contact avec mon directeur de cabinet au début du
séjour, pour avoir des propositions
- suivies ou non - de
déplacements à présenter au Président de la
République, pas trop loin de Marseille, et ne posant pas de
problèmes de sécurité.
Pour ce déplacement privé, la prise en charge des missions essentielles de protection du chef de l'État a été réalisée par les services qui lui sont dédiés spécifiquement, le GSPR ; les services de police locale étaient plutôt en retrait - je pourrai revenir sur l'organisation plus traditionnelle d'un déplacement public et officiel. Le cabinet a insisté sur le caractère privé et le souhait légitime du chef de l'État et de son épouse d'avoir une certaine tranquillité pendant leur séjour marseillais. Mes relations avec M. Benalla ont donc été assez logistiques et n'ont pas porté sur des questions de sécurité, au sens strict du terme.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Merci pour ces quelques mots d'introduction. Notre président, M. Philippe Bas, a eu la bonne idée de proposer que notre commission d'enquête n'entende pas que des personnalités parisiennes - dans leurs fonctions - afin de voir comment se passe un déplacement dans le Nord et dans les Bouches-du-Rhône.
Lors des différents déplacements, privés et publics du Président de la République - mais vous avez en partie répondu -, M. Benalla avait-il uniquement une mission d'organisation ou des missions de sécurité ? Lui est-il arrivé de s'adresser aux services de police sous votre autorité ?
M. Olivier de Mazières. - Comme je vous l'ai indiqué, je n'ai été en contact avec M. Benalla que durant le séjour privé en août 2017, et uniquement pour la logistique du déplacement. J'ai été en contact au début pour lui indiquer les lieux de déplacement ou de visite susceptibles d'intéresser le chef de l'État, et il m'a informé - ou mon directeur de cabinet - de certains déplacements du Président de la République qui, à Marseille intramuros, étaient plus visibles de l'extérieur, nécessitant une vigilance des forces de l'ordre. Les questions de sécurité, au sens strict du terme, ont été vues avec le chef de mission du GSPR, présent sur ce déplacement. Cette répartition des rôles avait été définie par le chef de cabinet du Président de la République, qui était venu visiter, avec M. Benalla, la résidence de fonction du préfet des Bouches-du-Rhône, qu'était susceptible d'occuper le Président de la République, notamment pour s'assurer qu'elle respectait les conditions de sécurité et de tranquillité requises pour cette haute personnalité. Le lendemain, il nous a envoyé un mail très détaillé, où il a expliqué que Marseille était effectivement retenu pour ce déplacement privé. Il a insisté encore sur le caractère privé de ce déplacement, le Président ne souhaitant ni accueil protocolaire des préfets - comme cela se fait normalement - ni escorte jusqu'à la résidence. La sécurité du Président serait prise en compte par le GSPR et par des effectifs éventuellement de forces mobiles de la CRS n° 1 - qui n'est pas cantonnée dans les Bouches-du-Rhône. Le GSPR prendrait l'attache ensuite de la DDSP des Bouches-du-Rhône ou de moi-même pour définir les détails sur la sécurité.
Il nous était demandé, aux forces de police locale, de renforcer les patrouilles en périphérie de la résidence du Président de la République - ce qui a été fait classiquement avec des brigades anti-criminalité (BAC) - et de prévoir une réserve d'intervention susceptible d'être mobilisée et d'intervenir rapidement sur la résidence, en cas de besoin ; cela avait été prévu par la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI), force de maintien de l'ordre incluse dans la DDSP. Ce ne sont pas des CRS mais des fonctionnaires de la sécurité publique, qui disposent d'un équipement et d'une formation leur permettant d'assurer un maintien de l'ordre rapide. Cela s'est arrêté là.
M. Benalla ne s'est jamais adressé directement aux services de police des Bouches-du-Rhône, mais au préfet de police ou à mon directeur de cabinet. Le GSPR s'est parfois adressé directement au directeur départemental de la sécurité publique. Pour ce qui me concerne ainsi que les échanges avec mon collaborateur immédiat, ils ont toujours été empreints d'une parfaite courtoisie, de calme, et d'un parfait professionnalisme, rigoureux et courtois. Encore une fois, M. Benalla n'a jamais eu d'échanges directs avec les agents de la DDSP.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - À certains égards, M. Benalla semblait être le garde du corps très privilégié du Président. J'avais quelque pudeur à parler de ses rapports avec le GSPR, mais puisque M. Benalla en a parlé en des termes peu amènes, soit dans des émissions de télévision, soit dans des interviews, je m'interroge. Monsieur le préfet, vous savez ce qu'est la protection rapprochée et combien les personnels du GSPR font preuve d'un très grand professionnalisme, de beaucoup d'entraînement et de vigilance pour assurer la protection rapprochée du chef de l'État. La grande proximité, y compris physique, de M. Benalla, dans certaines circonstances, ne posait-elle pas de problème quant à la sécurité du Président ?
M. Benalla a indiqué être armé uniquement lorsqu'il s'occupait de la sécurité privée du Président. Avez-vous remarqué son action dans le cadre de cette sécurité privée ?
M. Olivier de Mazières. - C'est important de rappeler le rôle du GSPR et son niveau de professionnalisme. Lorsque je mentionnais que, paradoxalement, un déplacement du Président de la République est plus facile à gérer que le déplacement d'un membre du Gouvernement, je faisais référence à ce professionnalisme. Un ministre a ses officiers de sécurité, mais pas dans les mêmes proportions que le chef de l'État - et c'est normal. Le GSPR est le fer de lance de cette protection, ce qui permet aux services locaux de police ou de gendarmerie de se délester d'une partie importante de cette charge. La présence de M. Benalla aux côtés des agents du GSPR pouvait-elle poser problème ? J'ai un peu de mal à vous répondre parce que je n'ai, à aucun moment, été témoin ni destinataire de difficultés dans les Bouches-du-Rhône. J'ai même plutôt eu toujours l'impression, et même la certitude, que les questions relatives à la sécurité stricte du chef de l'État étaient portées par le GSPR. Plusieurs policiers du GSPR étaient présents durant ce séjour du mois d'août. Je n'ai pas eu d'informations me laissant penser à des difficultés de coexistence entre M. Benalla et les agents du GSPR qui auraient pu mettre en cause la sécurité du Président de la République, ou affaiblir l'efficacité de cette sécurité.
Était-il armé ? Je vous ferai la même réponse : ne l'ayant eu qu'au téléphone, je n'ai pas pu m'en rendre compte. Aucun élément en ce sens ne m'a été rapporté.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je rebondis sur cette question. Les fonctions de M. Benalla lors de ce déplacement privé justifiaient-elles un port d'arme ?
M. Philippe Bas, président. - C'est une autre manière de le dire... Mme Jourda ne vous demande pas si vous saviez qu'il portait une arme, mais si sa fonction justifiait une autorisation de porter une arme. Mais je crois deviner la réponse...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cette question est plus maligne !
M. Olivier de Mazières. - Je crains que ma réponse ne soit pas aussi maligne... Encore une fois, je n'ai eu qu'une vision partielle du travail de M. Benalla. Je peux difficilement juger la nécessité de disposer d'une arme à travers les quelques appels téléphoniques que j'ai échangés avec lui - pour savoir s'il était opportun que le Président de la République visite le château de La Buzine, rendu célèbre par Marcel Pagnol, dans le onzième arrondissement de Marseille...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - ... qui est magnifique !
M. Olivier de Mazières. - ... ou lorsqu'il m'a informé que le Président de la République et son épouse iraient sur le vieux port ou au Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem), quelques minutes avant leur déplacement effectif. Je ne peux pas répondre par l'affirmative à votre question, mais je n'ai qu'une vision très parcellaire du rôle de M. Benalla auprès du Président de la République.
M. Philippe Bas, président. - Nous le comprenons : à partir du moment où le dispositif ne vous met pas en première ligne pour la sécurité du Président, comme vous avez pris soin de l'expliquer, vous êtes prévenu des mouvements du Président qui peuvent exiger un complément de sécurité, mais vous n'êtes jamais présent et on ne vous a pas fait remonter que M. Benalla portait une arme ou qu'il jouait à ce moment-là le rôle de garde du corps, en complément du rôle d'organisation que vous avez pu constater vous-même.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Même si je n'ai pas eu de succès dans mes réponses, je persiste. Selon vous, la sécurité n'était pas assurée de la même manière pour les déplacements publics et privés du Président. Quelles sont les différences ?
M. Olivier de Mazières. - Comme
je vous l'ai indiqué, pour son séjour privé, le cabinet a
demandé une discrétion des dispositifs publics et des forces de
l'ordre autour de sa personne et de son lieu de résidence. C'est pour
cela que je ne me suis pas déplacé sur place
- ce qui
normalement est la moindre des choses pour un préfet. J'ai
évidemment fait savoir au chef de cabinet que je me tenais à la
disposition du Président pour me présenter s'il le
souhaitait : comme je m'y attendais, il m'a été
répondu que l'occasion se présenterait rapidement dans le cas
d'un déplacement public, mais qu'en l'occurrence, le Président ne
souhaitait pas avoir un défilé de toutes les autorités
publiques à sa porte pendant ces 10 jours - ce qu'on peut comprendre.
Lors d'un déplacement officiel du chef de l'État, l'accueil protocolaire est extrêmement précis et rigoureux. Il y a tout un dispositif de sécurisation du déplacement à prévoir. Cela se fait suffisamment à l'avance, en lien étroit avec les équipes de la présidence de la République, notamment du chef de cabinet et de ses collaborateurs, pour déterminer le programme - en conseillant tel ou tel endroit - et ensuite veiller à sécuriser les lieux et les déplacements - c'est le rôle du préfet de police dans les Bouches-du-Rhône - y compris pour la constitution de cortèges : déminage de voitures, pilotage motocycliste ou toute autre question logistique relative à la sécurité et à la fluidité d'un déplacement officiel du chef de l'État. En l'espèce, ce n'était pas du tout le cas de ce déplacement privé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je suis moins maligne que ce que mon co-rapporteur a bien voulu laisser entendre. Si je comprends bien, le degré de différence tient moins à la mobilisation du GSPR, qui est toujours la même quel que soit le déplacement public ou privé, qu'à la mobilisation des forces locales ?
M. Olivier de Mazières. - Oui. Je n'ai jamais eu l'honneur de servir à la présidence de la République ou au sein du GSPR. Ils vont peut-être bondir en m'écoutant, mais vu de Sirius, la différence se situe effectivement dans le niveau d'engagement et de mobilisation de l'autorité préfectorale et, plus largement, des forces de police et de gendarmerie locales.
M. Philippe Bas, président. - Pouvez-vous revenir sur les déplacements publics à l'occasion de l'attribution des Jeux Olympiques à la France ?
Lors du déplacement privé du Président et de son épouse, la presse a relaté un incident entre M. Benalla et un photographe - il l'aurait menacé de le placer en garde à vue. Avez-vous été informé de l'incident ?
M. Olivier de Mazières. - J'ai été informé de cet événement mais pas du fait que M. Benalla était impliqué. J'ai découvert cela il y a quelques jours, à travers les déclarations de ce journaliste. Ce fait s'est déroulé en deux étapes.
Le 12 août, le véhicule du chef de l'État fait l'objet d'un suivi volontaire par un véhicule, rapidement repéré par le GSPR qui alerte la DDSP, qui intervient. Le véhicule est intercepté par le GSPR et les personnes sont remises à la police. Lorsque l'équipe de police arrive sur place, sont prises les identités des deux personnes, journalistes, qui reconnaissent aisément qu'elles suivaient le Président. À l'issue de ce contrôle, elles sont laissées libres.
Le lendemain, vers 11 heures, le GSPR appelle à nouveau la DDSP. L'appel tombe sur le centre d'information et de commandement (CIC) - le central téléphonique de la police. Il est demandé d'intervenir pour un individu, l'un des deux de la veille, seul, qui est à l'entrée du parc Talabot - parc privé dans le quartier du Roucas-Blanc à l'intérieur duquel se trouvent plusieurs résidences, dont celle où séjourne le Président de la République. Ce parc fait l'objet d'un gardiennage privé. Le GSPR repère à l'entrée cet individu et se plaint auprès de la DDSP du harcèlement qu'il exerce envers le Président de la République et de l'atteinte à sa vie privée dont il se rendrait coupable. L'individu est pris en compte par un équipage de police ; lorsque ce dernier arrive, il y a effectivement deux personnes du GSPR qui sont présentes et une troisième personne qui n'est pas identifiée par l'équipage et qui n'intervient pas dans la remise de cet individu. Le journaliste est conduit au commissariat de la division sud de Marseille, et placé en garde à vue. Le procureur, évidemment, est immédiatement prévenu et un agent du GSPR dépose plainte au nom du Président de la République, quelques minutes plus tard, pour harcèlement moral et atteinte à la vie privée. C'est symptomatique : ce n'est pas M. Benalla qui a déposé plainte mais le GSPR. Le journaliste est auditionné, son identité est relevée, confirmée par le relevé de la veille, et le parquet ordonne assez rapidement sa mise en liberté, considérant que les infractions ne sont pas suffisamment caractérisées.
Il est donc remis en liberté et, comme il se doit, la plainte est transmise par la DDSP au parquet du tribunal de grande instance de Marseille. Je crois que, quelques semaines après, il a été décidé de classer cette plainte sans suite. Voilà la chronologie des événements, telle qu'elle m'a été présentée.
Effectivement, il existe désormais une déclaration, selon laquelle le troisième individu aurait été M. Benalla, mais à ce moment-là, il n'est pas identifié comme tel et, en tout cas, il n'intervient pas dans la mise à disposition de ce journaliste à l'équipage de police.
M. Philippe Bas, président. - Venons-en maintenant au déplacement que j'ai mentionné à l'instant, celui réalisé à l'occasion de l'annonce de la décision que la France accueillerait les Jeux olympiques de 2024. À cette occasion, des images montrent le collaborateur du Président de la République, M. Benalla, sur la place de l'Hôtel de Ville au moment d'un échange du Président de la République avec des concitoyens présents sur place. Percevez-vous, à ce moment-là, le rôle que joue, de fait, M. Benalla dans la protection rapprochée du Président de la République ?
M. Olivier de Mazières. - Il s'agit, pour le coup, d'un déplacement officiel du Président de la République avec un programme extrêmement précis, qui commence à la base nautique qui servira pour les épreuves olympiques de voile et qui se poursuit, après un déplacement par bateau à l'intérieur du port, sur le quai de la mairie. Le Président de la République y est accueilli par M. le maire de Marseille dans le cadre d'un accueil républicain.
Après un discours, le Président de la République sort de la mairie, décide d'aller parler avec les personnes présentes devant le bâtiment et entame des conversations avec certaines d'entre elles. À ce moment-là, M. Benalla est présent, je le visualise, même si je n'ai pas d'échange avec lui ; il est sur le quai, en protection face à la foule, avec d'autres personnes chargées de la protection du Président de la République. Cette protection reste relativement souple, parce que le Président de la République a un contact extrêmement proche avec les citoyens ; en réalité, il y a juste une barrière Vauban qui le sépare des badauds, mais il y a évidemment une vigilance très forte des agents du GSPR.
M. Benalla est effectivement sur place. C'est le seul moment où je le vois intervenir dans ce déplacement. Cela n'a pas été le cas dans les phases de préparation, en particulier lors des réunions qui visent à déterminer les conditions de sécurité du déplacement. Je n'ai aucune raison de m'étonner de la présence de M. Benalla, puisque depuis le mois d'août 2017, il est chargé de mission à la présidence de la République et qu'il m'a toujours été présenté à ce titre. Je n'ai pas plus de précisions sur la nature de ses missions et je n'ai aucun jugement ou appréciation à porter sur le caractère légitime ou pas de son action.
Mme Brigitte Lherbier. - Vous avez expliqué la fonction du GSPR dans les déplacements publics et privés du Président de la République. Pensez-vous que la présence d'une personne telle que M. Benalla soit nécessaire dans ce type de déplacement ? Ne pensez-vous pas que la présence de policiers habilités et entraînés soit suffisante ? Vous avez parlé d'interpellations ; il est tout de même normal qu'il revienne à la police de gérer au mieux la protection du Président de la République.
M. Olivier de Mazières. - La mission centrale du GSPR est d'assurer la protection du chef de l'État. Protéger le Président de la République de la manière la plus efficace possible est évidemment une mission indispensable.
Il ne m'appartient pas, en tant que préfet, de décider pour la présidence de la République qui doit assurer la protection rapprochée du chef de l'État. On peut imaginer que des menaces particulières ou la capacité d'identifier un individu particulièrement menaçant exigent que tel ou tel intervenant soit au contact du Président de la République.
Savoir qui doit être autour du Président pour assurer au mieux sa protection relève de décisions liées à l'organisation interne de la présidence de la République et du GSPR.
Par ailleurs, il existe différents types et niveaux de protection, plus ou moins rapprochée : certaines personnes sont chargées d'être au plus près du chef de l'État, d'autres doivent constituer ce qu'on appelle la bulle, c'est-à-dire un cercle de sécurité autour de la personnalité pour la protéger d'une intrusion ou d'une action violente. Les caractéristiques des missions de chacun échappent un peu à ma compétence. Ce qui m'intéresse, c'est que le chef de l'État soit protégé de la manière la plus efficace possible.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Monsieur le préfet de police, avez-vous eu l'occasion d'accueillir d'autres chefs de l'État ? Estimez-vous que leur protection était exercée différemment par rapport à aujourd'hui ?
M. Olivier de Mazières. - J'ai l'honneur d'appartenir au ministère de l'intérieur depuis vingt ans et j'ai en effet eu à gérer des déplacements de plusieurs chefs de l'État : M. Chirac, M. Sarkozy, M. Hollande et, désormais, M. Macron. Très honnêtement, je n'ai jamais senti de différence majeure dans l'organisation et la préparation des déplacements publics.
Pour les déplacements privés, l'épisode d'août 2017 était quelque chose d'assez inédit pour moi : je n'avais jamais eu l'honneur de gérer un déplacement d'un chef de l'État en villégiature.
S'agissant des déplacements publics, je le redis, ils sont organisés et préparés selon un modèle rigoureusement identique et d'une manière assez bien rodée entre la présidence de la République, d'un côté, et les préfets et services de police et de gendarmerie qui sont sur le terrain, de l'autre.
Mme Agnès Canayer. - Monsieur le préfet, dans les documents qui vous ont été transmis pour le déplacement public du Président de la République, est-ce que le nom de M. Benalla apparaissait ? Si oui, comment sa fonction était-elle présentée ?
M. Olivier de Mazières. - Très honnêtement, je n'en ai pas le souvenir. Je ne crois pas que ce soit le cas, mais encore une fois, je n'en ai pas le souvenir. Il est vrai qu'un déplacement du chef de l'État, surtout sur un laps de temps assez long et comportant plusieurs séquences, mobilise beaucoup de monde, y compris parmi le personnel de la présidence de la République. Il est donc possible que son nom soit apparu.
S'agissant du déplacement privé, son nom apparaissait très clairement et il a toujours été identifié comme un chargé de mission auprès de la présidence de la République.
Mme Marie Mercier. - Monsieur le préfet, c'est très intéressant d'avoir votre témoignage, puisque vous avez été en lien direct avec M. Benalla, dont notre commission d'enquête cherche à cerner la psychologie. Vous le décrivez comme une personne calme, sereine, au moins dans les échanges téléphoniques, et vous démentez qu'il y ait eu une quelconque altercation avec un photographe. Vous nous décrivez la personnalité de M. Benalla de manière tout à fait différente de celle qui a été présentée par les représentants des syndicats de police, qui parlaient de relations presque exécrables et qui étaient excédés par lui.
M. Olivier de Mazières. - Je souhaite apporter une précision : je ne peux pas démentir ce dont je n'ai pas été informé. Je démens avoir été informé d'une altercation, qui se serait produite à ce moment-là entre M. Benalla et le journaliste. Cette altercation a peut-être eu lieu, mais alors, c'était en dehors de la présence de l'équipage de police qui est intervenu pour accompagner le journaliste en question au commissariat de la division sud de Marseille pour être mis en garde à vue.
S'agissant de la psychologie ou de la personnalité, je répète que je n'ai eu que des contacts téléphoniques épisodiques avec M. Benalla. Je ne parle que de ce que je connais et les échanges, assez rares, que nous avons eus dans le cadre du déplacement du chef de l'État ont été plutôt calmes et professionnels.
Mme Jacky Deromedi. - Monsieur le préfet, si j'ai bien compris, le Président de la République et son épouse étaient accompagnés de quelques personnes du GSPR et de M. Benalla pendant leur déplacement privé. Avez-vous eu connaissance de celui qui était au plus près du Président, en particulier dans la voiture qu'il occupait durant les transports ?
M. Olivier de Mazières. - Non. S'agissant d'un déplacement privé, il nous avait été demandé d'être extrêmement discrets, y compris dans la manifestation de notre présence autour du chef de l'État. Comme je vous le disais, nous n'étions pas toujours informés des déplacements et, quand nous l'étions, nous ne savions absolument pas qui l'accompagnait et la manière, dont le cortège était organisé.
M. Philippe Bas, président. - Cette audition est terminée. Monsieur le préfet, je vous remercie de votre coopération.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition du Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la Présidence de la République
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous entamons l'ultime audition de la journée, celle du Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), qui est accompagné de son adjoint.
Mon colonel, c'est dans le cadre du mandat qui nous a été donné à l'unanimité par le Sénat lundi dernier que nous vous auditionnons. C'est notre devoir de le faire et nous le faisons avec tout le respect qui est dû à la difficile fonction que vous exercez à la tête des femmes et des hommes du groupe de sécurité de la présidence de la République.
Nous mesurons bien la difficulté pour vous de venir apporter votre témoignage et vos réflexions à la commission des lois du Sénat, alors que vous vous inscrivez naturellement dans une hiérarchie et que vous avez aussi le devoir de la respecter.
Comme je le dis souvent au début de nos auditions, celles-ci sont destinées à nous permettre d'y voir clair ; les mots ont un sens, ce sont des auditions, pas des comparutions, elles ne postulent pas que nous ayons quelque chose à reprocher aux gens que nous entendons, nous avons besoin d'eux pour contribuer à notre travail. Il me semble particulièrement important de le rappeler, alors que nous entendons un serviteur de l'État, qui remplit une tâche particulièrement difficile et importante pour la République.
Dans ce contexte, il est très important pour nous de vous entendre afin d'avoir une vision professionnelle de ce qu'est l'organisation de la protection du Président de la République, tout en sachant que vous n'avez pas à nous dévoiler des « secrets de fabrication »... Ne nous dites que ce qui vous paraît, d'un point de vue technique et pratique, possible !
Pour autant, nous avons des points à clarifier. Ils seront peut-être délicats, notamment en ce qui concerne les relations qu'entretenait le chargé de mission, adjoint au chef de cabinet à la présidence de la République, M. Benalla, et votre groupe. Dans plusieurs déclarations, M. Benalla n'a pas hésité à faire état de relations tendues - c'est sur la place publique. Peut-être n'avez-vous pas perçu ces tensions, mais lui, en tout cas, en a parlé publiquement. Je le regrette, mais nous devrons vous poser des questions précises sur ce point. Vous nous direz ce que vous pensez pouvoir nous dire.
Votre propos liminaire sera l'occasion de nous présenter le GSPR. Vous pourrez aussi, si vous le souhaitez, commencer à lever le voile sur les difficultés qui ont pu apparaître dans la collaboration entre l'adjoint au chef de cabinet, M. Benalla, et le groupe que vous dirigez.
Notre commission ayant été investie des prérogatives d'une commission d'enquête, je dois vous demander de prêter serment. Un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le Colonel Lionel Lavergne prête serment.
Colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République. - Je m'efforcerai de répondre avec le plus de clarté possible à vos questions et je profite de ce propos liminaire pour vous remercier de me donner la possibilité de m'exprimer pour apporter un certain nombre de précisions.
Dans ce cadre, je veillerai à respecter le principe de séparation des pouvoirs, qui ne me permettra ni de répondre aux questions portant sur des faits en lien avec l'information judiciaire en cours ni à celles portant sur l'organisation interne de la présidence de la République. Ma position spécifique au coeur du dispositif de sécurité de la présidence de la République m'oblige aussi à respecter une vigilance toute particulière en matière de protection du secret de la défense nationale. Ainsi, je ne pourrai pas aborder les différents modes d'action nécessaires à la protection du Président de la République.
Le GSPR est une entité du SDLP, le service de la protection. Ses missions sont clairement mentionnées dans l'article 4 de l'arrêté du 12 août 2013 relatif aux missions et à l'organisation du service de la protection. Ces missions sont d'assurer, sur le territoire français et à l'étranger, la protection personnelle et immédiate du Président de la République et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires à sa sécurité, notamment à l'organisation matérielle et à la sécurité de ses déplacements. En l'état actuel, ses effectifs sont de 76 femmes et hommes, dont 40 fonctionnaires de police et 36 militaires de la gendarmerie.
Monsieur le président, je vais aller dans le vif du sujet : vous m'avez interrogé sur les relations entre M. Benalla et le GSPR. M. Benalla travaillait à la chefferie de cabinet - j'ai vu que vous aviez appris ce nom bizarre, mais c'est son nom usuel.
M. Philippe Bas, président. - Je vois avec plaisir que vous suivez nos travaux, mon colonel !
Colonel Lionel Lavergne. - Absolument ! M. Benalla travaillait à la chefferie de cabinet et officiait, dans toutes ses missions, sous l'autorité du chef de cabinet, M. François-Xavier Lauch. M. Benalla était chargé de mission, adjoint au chef de cabinet. Je précise que la chefferie de cabinet regroupe un chef de cabinet et un chef adjoint de cabinet, qui sont nommés au Journal officiel, ainsi que deux chargés de mission, adjoints au chef de cabinet.
Jusqu'au 1er mai 2018, les missions de M. Benalla étaient triples. La plus importante était de participer, sous l'autorité du chef de cabinet, à l'organisation des déplacements officiels du Président de la République. À ce titre, il assurait la coordination des services qui concourent à l'organisation d'un déplacement, conformément aux programmes arrêtés par le chef de cabinet.
Parmi les services concernés par cette coordination, il y a évidemment des services de sécurité mais aussi les services locaux compétents - préfecture de police dans l'agglomération parisienne, police ou gendarmerie en province... Il y a aussi les autres services du Palais qui concourent à l'organisation d'un déplacement : intendance, service audiovisuel et de presse.
Pour les déplacements, la chefferie de cabinet est donc un véritable chef d'orchestre et M. Benalla officiait toujours dans ce cadre sous l'autorité du chef de cabinet. La chefferie de cabinet veille à l'emplacement du pupitre, à l'installation du podium, à la présence des élus et de la presse... En tant que chef d'orchestre, M. Benalla n'avait aucune autorité directe sur les services de sécurité, GSPR ou services territorialement compétents, qui sont sous l'autorité du préfet de département ou de police.
Cela étant dit, sa fonction de coordination dans le cadre de l'organisation des déplacements pouvait avoir des conséquences en matière d'évolution du dispositif, y compris de sécurité. En effet, lorsque des cas non conformes se présentent - par exemple, des élus ou des journalistes en retard ou des moments du programme plus ou moins longs que prévus... -, le séquençage du déplacement doit être revu et il revient au chef d'orchestre, sous l'autorité du chef de cabinet, de donner des consignes et aux différents services de s'articuler pour répondre au mieux à ces orientations.
Le deuxième volet des prérogatives de M. Benalla était l'organisation des déplacements non officiels du Président de la République, toujours sous un angle organisationnel : visites de reconnaissance, contacts avec les interlocuteurs du Président, lien avec lui pour connaître ses souhaits... Là aussi, son rôle était celui d'un chef d'orchestre, sachant que la partie relative à la sécurité incombe en propre au GSPR, sous mon autorité.
Le troisième volet n'était pas en lien direct avec les missions du GSPR. Il s'agissait de gérer les invitations pour le 14 juillet.
Il y a eu les événements que l'on connaît et la période de suspension. À compter du 22 mai 2018, date du retour de M. Benalla, ses missions ont été recentrées par le directeur de cabinet sur des missions au sein du Palais de l'Élysée : organisation de réceptions et de réunions importantes... Il a ainsi conservé la gestion des invitations du 14 juillet et l'organisation des déplacements non officiels du Président, mais il ne participait plus à l'organisation des déplacements officiels.
Voilà la description que je peux faire des relations fonctionnelles de M. Benalla avec les autres services et, je le redis fermement, il agissait sous l'autorité directe du chef de cabinet, il n'était pas sans contrôle.
J'ai toujours entretenu, en tant que chef de service, d'excellentes relations avec M. Benalla, qui était quelqu'un de dévoué, disponible, réactif et opérationnel dans son métier d'organisation. Nous entretenions également d'excellentes relations sur le plan humain. C'était aussi le cas avec mes collaborateurs.
Monsieur le président, vous avez évoqué le fait que, sur la place publique, M. Benalla aurait fait état de relations tendues avec le GSPR. Il ne me semble pas avoir entendu M. Benalla dire cela, j'ai l'impression que ce sont d'autres personnes qui en ont parlé.
M. Philippe Bas, président. - Mon colonel, je faisais référence aux propos de M. Benalla dans le Journal du dimanche d'hier et dans Le Monde la semaine dernière. Il évoquait des frictions et des non-dits, mais nous entendons votre témoignage.
Avez-vous achevé votre propos liminaire ?
Colonel Lionel Lavergne. - Oui, monsieur le président.
M. Philippe Bas, président. - Vous nous avez indiqué que M. Benalla ne participait plus aux déplacements officiels du Président de la République après la reprise de ses fonctions à l'Élysée. Pourtant, il est admis maintenant - cela était parfaitement visible - qu'il a accompagné le Président à Giverny, comme à la cérémonie d'entrée au Panthéon de Mme Veil et de son époux, ce qui signifie quand même qu'il continuait à apporter un certain concours aux déplacements extérieurs, dont je ne cerne pas exactement la nature.
Mais laissons cela de côté et revenons à la première question que j'avais envie de vous poser ! Nous voyons bien que la définition des fonctions de M. Benalla, la fiche de poste si je puis dire, revêtait trois dimensions. Cela nous a été présenté par le directeur de cabinet du Président de la République et nous aurions été surpris que vous en ayez une vision différente. Néanmoins, il est important pour nous d'essayer de mesurer quelle était l'importance respective de ces trois fonctions.
En effet, dans les déplacements officiels, nous le voyons souvent, non pas dans la participation à l'organisation, mais dans une présence qui évoque une fonction de protection rapprochée. Or une telle fonction n'entre pas dans la définition de ses missions, mais on peut concevoir, en raison de son expérience dans ce domaine et sans avoir à l'écrire dans la fiche de poste, qu'il la remplissait aux côtés de vos propres équipes.
Comme il était par ailleurs titulaire d'une autorisation de port d'arme et que le préfet de police a justifié son octroi par les fonctions de police qu'il exerçait, nous nous sommes demandé si l'arme qu'il portait ne servait pas d'abord à l'accompagnement des déplacements privés du Président, ce qui ferait penser à une fonction de garde du corps, pour employer une expression de tous les jours.
Vos collaborateurs sont également amenés, fort heureusement, à accompagner le Président de la République lors de ses déplacements privés pour assurer sa sécurité. Je voudrais donc que vous nous indiquiez si la vision que je viens de présenter est fausse ou non.
Colonel Lionel Lavergne. - Votre question en inclut en fait plusieurs et je vais tenter d'y répondre de la manière la plus claire et exhaustive possible.
Giverny était un déplacement non officiel du Président et j'ai rappelé que, après le 22 mai, M. Benalla était toujours en charge de ce type de déplacements. Il n'est donc pas surprenant qu'il ait été présent à celui-là. Concernant le Panthéon, c'était un événement d'ampleur pour la présidence de la République, donc pour la chefferie de cabinet. Je ne peux évidemment pas m'exprimer au nom du chef de cabinet, mais dans le cadre de ce type de déplacements, tous les moyens de la chefferie sont mobilisés. Ses quatre agents l'ont été en l'espèce. Ce fut également le cas pour le 14 juillet. Il n'y a donc rien d'étrange, tout est explicable très clairement.
Y a-t-il une importance respective dans ses trois fonctions ? En fait, tout dépend des déplacements du Président et de leur fréquence.
Monsieur le président, vous avez évoqué le fait qu'il aurait été convenu que M. Benalla remplirait, aux côtés de mes équipes, des fonctions de protection. Comme je l'ai dit tout à l'heure, M. Benalla ne dirigeait pas le GSPR et n'occupait aucune fonction de protection du Président de la République.
Une confusion peut survenir, lorsque l'on regarde certaines images, et je souhaite vous apporter des précisions. Il faut distinguer la période de la campagne électorale et celle qui débute avec l'investiture du Président de la République le 14 mai 2017.
Je n'ai pas vécu la période de la campagne, puisque j'étais déjà affecté au GSPR sous la présidence de François Hollande, mais à compter du 14 mai 2017, l'organisation a évolué.
En liaison avec le chef de cabinet, il a été
décidé que les personnes affectées à la chefferie,
dont M. Benalla, et aux services qui concourent à l'organisation et
au bon déroulement des déplacements du Président seraient
dotées d'équipements radio. Toutefois, le canal utilisé
n'est pas le même que celui des services de sécurité, qui
ont leur propre « bulle ». Concrètement, il existe
donc deux canaux, l'un pour la sécurité, l'autre pour
l'organisation. Ce dispositif permet au chef de cabinet de coordonner son
action avec les différents services
- protocole, presse,
audiovisuel, photographe... -, ce qui est particulièrement
important en cas d'évolution du programme.
Les deux canaux sont distincts et étanches, si je puis dire. Seul le chef du GSPR écoute les deux circuits. Cela nous permet de travailler de la manière la plus cohérente possible sans pénaliser ni la sécurité ni l'organisation.
Quand vous voyez M. Benalla avec une oreillette, par exemple au Salon de l'agriculture, elle est liée au canal dédié à l'organisation, pas à celui de la sécurité.
En ce qui concerne son positionnement physique, il s'agit, comme pour un autre membre de la chefferie, d'être au plus près du Président pour l'orienter vers le chemin qui a été prévu lors de la mission de reconnaissance et recueillir ses observations s'il souhaite changer de route et aller, pour reprendre l'exemple du Salon de l'agriculture, vers tel ou tel stand.
Voilà pourquoi M. Benalla portait une oreillette. Tout cela est totalement explicable sur le plan technique.
M. Philippe Bas, président. - Et le port d'arme ?
Colonel Lionel Lavergne. - Pour ce qui me concerne, je n'ai jamais vu M. Benalla avec une arme dans les déplacements du Président de la République.
M. Philippe Bas, président. - Est-ce que des membres du groupe de sécurité de la présidence de la République, qui ont eu à accompagner le Président en même temps que M. Benalla, ont constaté qu'il portait une arme ?
Colonel Lionel Lavergne. - Je n'ai eu aucun retour en ce sens.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Colonel, nous essayons, vous l'avez compris, de concilier et de confronter différentes informations pour qu'elles aient un sens, ce qui n'est pas toujours le cas.
Ainsi, nous avons entendu les syndicats de police, qui ont fait état des relations difficiles - certains ont utilisé le terme d'exécrables - qui pouvaient exister entre M. Benalla et les policiers avec lesquels il travaillait. M. Benalla lui-même, en parlant de frictions dans la presse, admet que les relations étaient difficiles avec le GSPR.
Or selon vous, vos collaborateurs et vous-même n'avez pas rencontré ce type de difficultés et vos relations étaient bonnes. Quand vous parlez de vos collaborateurs, cela inclut-il l'intégralité de vos hommes ou seulement vos collaborateurs proches ? Si aucun des hommes qui sont sous votre commandement n'a rencontré de difficultés avec M. Benalla, comment expliquez-vous les propos tenus à la fois par lui-même et par les syndicats ?
Colonel Lionel Lavergne. - Madame le rapporteur, avant de vous répondre, je me permets de vous poser une question. Selon son intitulé, la mission de votre commission concerne les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent participer à des missions de protection. Quel est le rapport entre les relations que vous évoquez et la participation à des missions de protection ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Ce sont plutôt les membres d'une commission d'enquête qui posent des questions aux personnes qu'ils auditionnent...
Vous avez indiqué que M. Benalla était amené à donner des consignes dans son rôle de coordination. Or on a pu le voir, notamment dans une vidéo récemment publiée par un syndicat de police, parler à des policiers lors du retour des Bleus d'une façon assez raide, si je puis dire... Est-ce que ces consignes ne pouvaient pas être interprétées comme des ordres à l'égard des membres du GSPR, qui n'ont pourtant pas d'ordres à recevoir du coordinateur ? Tel était entre autres le sens de ma question.
Colonel Lionel Lavergne. - Je vous remercie, madame le rapporteur, c'est maintenant beaucoup plus clair pour moi.
Tout d'abord, il ne m'appartient pas de commenter les propos tenus par les collègues des syndicats de police et je ne le ferai pas. J'ai, bien évidemment, un avis personnel sur ce sujet, mais je ne suis pas ici pour l'exprimer.
Et je ne commenterai pas non plus les propos tenus par M. Benalla ; la paternité lui en revient et je ne suis pas dans sa tête.
Cela étant dit, le correspondant naturel du chef de cabinet ou de ses adjoints, c'est le chef du GSPR et, si quelqu'un avait eu à se plaindre de paroles véhémentes ou tendues, c'eût été moi ou l'un de mes adjoints. En ce qui me concerne, M. Benalla ne m'a jamais parlé de mauvaise manière.
Évidemment, dans un déplacement, il peut y avoir des moments de tension et on ne va pas forcément utiliser tous les mots de courtoisie et circonvolutions pour nous exprimer. Il faut que les choses aillent vite et que les équipes soient réactives.
Le chef de cabinet et ses adjoints ne s'adressent pas directement à mes personnels. Ils ont un rôle d'organisation, de chef d'orchestre ; ils s'adressent aux différents premiers pupitres, en l'occurrence au chef du GSPR. C'est lui qui traduit en termes opérationnels les instructions du chef de cabinet ou de ses adjoints. Il serait étrange que M. Benalla, le chef de cabinet ou le chef adjoint de cabinet s'adresse directement à un personnel du GSPR et ce n'est absolument pas le cas. Le seul à disposer de la vision globale de la posture de sécurité est le chef du GSPR. Je n'ai pas eu de retour particulier, me rapportant une attitude véhémente de M. Benalla de manière récurrente.
Si je me souviens bien, vous avez demandé aux syndicats de police quelle était leur source et il me semble que ni le chef du SDLP ni le directeur général de la police nationale n'ont eu de retour allant dans ce sens. Je n'en ai pas eu non plus et je suis sous l'autorité organique du chef du SDLP. Je suis d'ailleurs très preneur de ce type d'informations !
M. Philippe Bas, président. - Nous sommes nous aussi très preneurs d'informations !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Colonel, vous nous avez indiqué tout à l'heure que seul le GSPR était chargé de la protection du Président de la République. Avant vous, nous avons entendu M. le préfet de police des Bouches-du-Rhône, qui nous indiquait que, à une reprise, lors d'un déplacement public du Président de la République, il avait vu M. Benalla en protection face à la foule, à l'instar des membres du GSPR.
Je souhaiterais savoir quelle réflexion cela vous inspire. Ne peut-on pas imaginer - c'est une hypothèse - que, dans les moments de tension qui peuvent apparaître lors de certaines manifestations, M. Benalla ait de fait joué le rôle d'un membre de la protection du Président de la République ?
Colonel Lionel Lavergne. - Madame, dans les moments de tensions - je parle de tensions lors d'un déplacement, pas de celles qui pourraient exister entre M. Benalla et le GSPR -, le dispositif de sécurité reste à la main du chef du GSPR. Pour autant, il est évident que, en cas de mouvement de foule, le représentant de la chefferie de cabinet - nous parlons ici de M. Benalla, mais cela concerne aussi le chef de cabinet ou son adjoint - ne va pas s'effacer physiquement ! Quand des gens se présentent pour parler au Président, c'est le chef de cabinet ou son représentant qui filtre les demandes et autorise l'accès au Président.
Les images peuvent donc donner l'impression que M. Benalla participe à la protection du Président, mais dans les faits, ce n'est absolument pas le cas. Vous pouvez prendre d'autres images et exemples ; vous verrez que M. Lauch, le chef de cabinet, a la même attitude. Ce n'est pas illogique, mais en tout cas, les représentants de la chefferie de cabinet ne font pas partie de la bulle de sécurité.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Mon colonel, pour commencer, je voudrais vous féliciter pour votre placidité, car M. Benalla ne s'exprime pas exactement dans les mêmes termes que vous. Si vous lisez le journal paru hier, il dit, par exemple, que le GSPR est l'enfant terrible de l'Élysée. Je me permets de vous dire que vous ne donnez pas cette impression...
M. Benalla parle de frictions, de non-dits et, s'agissant du GSPR, d'une incohérence totalement incroyable ! Relisez l'article ! Il en appelle à une autre organisation, ce qui fait penser qu'il est chargé d'y réfléchir... Il ajoute qu'un acteur est radicalement contre un changement, c'est le ministère de l'intérieur. Qu'un représentant du cabinet du Président de la République parle ainsi du ministère de l'intérieur pose quand même quelques problèmes.
Vous affirmez, avec beaucoup de clarté, que M. Benalla n'avait pas de mission de sécurité. Cette affirmation est battue en brèche par le fait qu'il a, vous le savez, une autorisation de port d'arme basée sur le fait qu'il exerce des missions de police, pas de sécurité - c'est écrit sur l'arrêté préfectoral...
J'imagine que les faits commis le 1er mai par quelqu'un qui n'a aucune attribution de police n'ont pas dû réjouir vos subordonnés, des hommes et des femmes qui assurent une mission extrêmement difficile. Qui plus est, un autre témoignage est apparu et ces événements se sont peut-être reproduits dans la même journée. Tout cela pose quand même problème.
Que peuvent bien ressentir vos subordonnés, lorsqu'ils apprennent ces faits, qui sont d'une certaine gravité - beaucoup pensent d'ailleurs qu'ils auraient dû donner lieu à une saisine de la justice dès le 2 mai -, et que la personne mise en cause revient exercer des missions qui restent très notoires, très visibles ?
On a eu le sentiment, peut-être à tort, que M. Benalla était une sorte de garde du corps. Ce que nous a dit le préfet de police des Bouches-du-Rhône par rapport aux déplacements privés du Président de la République corrobore cela. Le fait qu'il dise lui-même qu'il n'utilise son arme que pour les déplacements privés prouve que, pour ces déplacements, il a une arme et qu'il pense légitime d'en avoir une. Or si on a une arme, c'est bien pour pouvoir s'en servir ! Nous sommes donc effectivement sur des questions de sécurité ou de police. Est-ce que tout cela ne crée pas une confusion ?
En tant qu'élu, j'ai eu souvent l'occasion de voir de très près ce qu'est la protection rapprochée - je pense à une grande fête à laquelle je participe depuis 37 ans et qui a eu plusieurs fois comme personnalité d'honneur un Président de la République. Vous avez connu de telles circonstances mille fois plus que moi, mon colonel, mais je comprends ce qu'est votre travail de proximité. Or, quand quelqu'un est présent en permanence à côté de la personnalité, sans avoir pour autant une mission de police ou de sécurité, est-ce que cela ne finit pas par créer un problème ou même par constituer un obstacle ? Je le dis eu égard à votre grand professionnalisme, que je tiens à nouveau à saluer. Voilà mes questions, je n'en poserai pas d'autres !
Colonel Lionel Lavergne. - Je ne dirai rien du sentiment qu'éprouvent les femmes et les hommes du GSPR concernant les faits du 1er mai, qui leur appartient, ni de mon sentiment personnel. Je dirai simplement qu'il y a eu faute, et même faute grave, et qu'elle est prise en tant que telle. Le reste fait l'objet de l'information judiciaire en cours.
Je n'ai pas lu les propos tenus par M. Benalla dans Le Journal du Dimanche...
M. Philippe Bas, président. - Vous vous intéressez davantage aux comptes rendus de notre commission qu'aux articles de presse !
Colonel Lionel Lavergne. - Le dimanche, je me repose...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Sauf quand le Président de la République est de sortie !
Colonel Lionel Lavergne. - Effectivement.
Les propos de M. Benalla sur les frictions et les non-dits n'appartiennent qu'à lui. Commandant le GSPR depuis un an et demi, s'il y avait eu des soucis en son sein, j'en aurais eu des retours.
M. Philippe Bas, président. - En somme, selon vous, s'il y avait des frictions, elles ne dépassaient pas les tensions normales observables dans toute organisation de travail, en sorte que vous n'avez pas eu à en connaître ?
Colonel Lionel Lavergne. - Il y en a en effet dans toute organisation humaine, car la perfection n'est pas de ce monde. Nous formons à l'Élysée une équipe dans laquelle, comme dans toute équipe, il peut y avoir des tensions. L'objectif reste, comme dans un sport collectif, d'obtenir les meilleurs résultats possibles. À ma connaissance, il n'y a au GSPR aucune friction suffisamment grave pour devoir être mise sur la place publique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Cela ne pose ou n'a jamais posé de problème dans la protection rapprochée ?
Colonel Lionel Lavergne. - Je le redis, en tant que chef du GSPR : M. Benalla ne faisait pas de mission de protection. L'attitude qu'il a pu avoir à un moment donné était liée à sa fonction au sein de la chefferie de cabinet. Je me suis expliqué sur sa proximité et son oreillette. Il ne faisait pas partie du GSPR, n'y dirigeait rien, n'y exerçait aucune fonction de sécurité, je ne l'ai jamais vu avec une arme et n'ai jamais eu de retour sur le fait qu'il en portait une en déplacement.
M. François Pillet. - Colonel, assurant la fonction extrêmement importante de la sécurité du Président de la République, vous devez avoir une connaissance exhaustive des armes détenues à l'Élysée. En dehors des policiers et gendarmes et de M. Benalla, d'autres personnes sont-elles titulaires d'un permis de port d'arme ou détentrices d'une arme à l'Élysée ?
Pourquoi cette réorganisation des services assurant la sécurité de l'Élysée et du Président de la République ? Des incidents l'ont-ils rendue nécessaire ? Pourquoi réorganiser quelque chose qui semble fonctionner ?
Colonel Lionel Lavergne. - Distinguons les différentes natures de détention d'arme. Parmi les 800 membres du personnel de l'Élysée, je vous avoue ne pas connaître tous les amateurs de tir sportif...
M. François Pillet. - C'est dommage.
Colonel Lionel Lavergne. - Cela relève de leur vie privée. M. Benalla avait un permis de port d'arme délivré par le préfet de police. À ma connaissance, ne détiennent des armes, outre M. Benalla, titulaire d'un permis de port d'arme, que les militaires de la garde républicaine - je peux me permettre de parler au nom du général Bio-Farina sur ce point - et les fonctionnaires et militaires du GSPR qui exercent des fonctions de police, de sécurité et de protection.
M. Philippe Bas, président. - Il est difficile pour nous de comprendre les différences d'appréciation des uns et des autres. Le préfet de police a eu entre les mains le contrat de travail liant M. Benalla aux services de la présidence de la République pour une mission de coordination de la sécurité avec les forces militaires et le GSPR. Il a été attentif à l'attestation de formation continue qui a été délivrée par le major de police en charge de la cellule formation du GSPR, ainsi qu'aux carnets de tir à jour produits par M. Benalla - il vise ces documents dans sa décision. Ensuite il relève que M. Benalla est chargé d'une mission de police dans le cadre de son action de coordination de la sécurité de la présidence de la République avec les forces militaires - je pense que cela vise le commandant militaire du palais de l'Élysée - et le GSPR. Puis il mentionne le haut niveau de menace terroriste et la sensibilité du domaine d'exercice de sa mission, avant d'arrêter sa décision, qui ne se borne pas à permettre à M. Benalla de continuer à pratiquer le tir sportif...
Il est étonnant qu'alors que votre service est mentionné à plusieurs reprises dans l'arrêté, vous n'ayez à aucun moment été en contact avec la préfecture de police, ni informé par aucun de vos agents du fait que M. Benalla pût porter une arme à l'occasion d'un déplacement. Nous ne demandons bien sûr qu'à vous croire, et vous avez prêté serment, mais le préfet de police fait une toute autre interprétation de la mission de M. Benalla, et des indices témoignent de la fonction de protection qu'il aurait eue pendant la campagne présidentielle - le bon sens conduit à penser, quoique nous pourrions être démentis par la preuve du contraire, que les raisons pour lesquelles il a été apprécié pendant la campagne présidentielle sont aussi celles qui ont entraîné son recrutement auprès du Président de la République. J'ajoute que le chef du service de la protection nous a indiqué qu'il était fermement opposé à ce que M. Benalla porte une arme, craignant une interférence avec le GSPR. Bref, face à ces discordances, nous avons du mal à établir la vérité.
Colonel Lionel Lavergne. - La question qui m'a été posée était de savoir qui, outre M. Benalla, les militaires de la garde républicaine et ceux du GSPR, pouvait à l'Élysée être titulaire d'un permis de port d'arme ou détenteur d'une arme. J'ai bien répondu à la question : je n'en connais pas.
M. Philippe Bas, président. - Je vous en pose une autre : saviez-vous que M. Benalla avait l'autorisation de porter une arme ?
Colonel Lionel Lavergne. - Oui, j'étais au courant de l'autorisation qu'il avait eue, mais j'ignorais le contenu exact de l'arrêté. Je précise, et comme j'ai prêté serment, je vous le dis très clairement, les yeux dans les yeux : je n'ai jamais vu M. Benalla avec une arme lors des déplacements du Président de la République, et je n'ai eu aucun retour de fonctionnaire allant dans ce sens.
M. Philippe Bas, président. - Y compris lors de ses déplacements privés ?
Colonel Lionel Lavergne. - Oui, qu'il s'agisse de déplacement officiel ou non officiel.
M. Philippe Bas, président. - Pourquoi la présidence de la République a-t-elle donc souhaité que M. Benalla pût obtenir un permis de port d'arme - je ne vous en voudrais pas de ne pas savoir répondre à cette question ? Il a bien fallu que la présidence intervienne pour qu'il obtienne cette autorisation, à raison des fonctions qu'il exerçait à la présidence.
Colonel Lionel Lavergne. - Vous avez auditionné de nombreuses personnes, tel le préfet de police et le directeur de cabinet du Président de la République, qui ont me semble-t-il déjà répondu sur ce point. Je vous redis que, accompagnant le Président de la République quasi-quotidiennement, je n'ai jamais vu M. Benalla armé lors d'un déplacement.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. Benalla a déclaré à la presse porter son arme lors des déplacements privés.
Colonel Lionel Lavergne. - Peut-être, mais je ne l'ai pas constaté.
J'en viens au projet de réorganisation de la sécurité de l'Élysée. Une remarque liminaire : j'ignore si cela entre dans le champ de la commission d'enquête...
M. Philippe Bas, président. - Je pense que oui, colonel.
Colonel Lionel Lavergne. - Je ne saurai en tout cas m'appesantir sur ce sujet, qui relève de l'organisation interne de la présidence. Ce projet n'a absolument pas pour but de créer une officine privée ou une garde prétorienne.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous l'espérons bien !
Colonel Lionel Lavergne. - Je vous le dis. Cette réflexion a pour but de rapprocher les deux services qui assurent la sécurité de la présidence à l'extérieur - le GSPR - et à l'intérieur - le commandement militaire. Les incohérences dont il est parfois question ne sont pas celles qui existeraient au sein du GSPR, mais celles qui sont liées à la sécurité d'une manière générale. Il s'agit non de fusionner la sécurité intérieure avec la sécurité extérieure mais de créer une synergie entre ces deux composantes. Cette réflexion s'inscrit, dans l'esprit du Président de la République, dans une transformation plus globale de services de la présidence, pour gagner en efficience, en cohérence, en lisibilité et en sincérité sur le plan budgétaire. Voilà des années en effet que la Cour des comptes reproche à l'Élysée son manque de clarté dans l'imputation budgétaire des actions de sécurité : il est temps de se doter d'une organisation permettant de dire le coût de chacune d'entre elles. La Cour des comptes a d'ailleurs publié la semaine dernière un communiqué disant que cette réorganisation allait dans le bon sens.
Cette réforme est pilotée par le général Bio-Farina ; j'en suis le copilote. M. Benalla ne pilotait pas plus cette réforme qu'il ne dirigeait la sécurité de l'Élysée, comme on a pu le dire il y a une dizaine de jours. Compte tenu de sa position à la chefferie de cabinet, il a participé en tant que de besoin aux groupes de travail que nous avons constitués pour faire adhérer le personnel à la réforme, dans une logique de conduite du changement.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Un comité de pilotage a donc été mis en place : M. Benalla y a-t-il toute sa place ou n'intervient-il que ponctuellement ?
Colonel Lionel Lavergne. - Nous touchons là à l'organisation interne de l'Élysée. Avez-vous eu connaissance de ce comité de pilotage par la presse ?
Mme Muriel Jourda. - Vous avez dit piloter la réforme avec le général Bio-Farina.
Colonel Lionel Lavergne. - Le binôme que j'ai dit pilote la réflexion. M. Benalla participe en tant que de besoin aux groupes de travail. Mon adjoint est aussi impliqué dans la réflexion, de même que l'adjoint du général Bio-Farina...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le ministère de l'intérieur fait-il partie, ès-qualités, de ce comité de pilotage ?
Colonel Lionel Lavergne. - Il ne m'appartient pas de répondre à cette question. Je ne suis que le copilote de ce travail de réflexion, mené sous l'égide du directeur de cabinet du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je comprends votre réponse, mais je me permets de dire en tant que parlementaire que la question de savoir si le ministère de l'intérieur participe ou non à cette réflexion n'est pas sans incidence sur l'organisation des pouvoirs publics de notre pays - remarque qui n'appelle pas de réponse.
M. Philippe Bas, président. - À entendre le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, à qui nous avons posé presque la même question tout à l'heure, il ne m'a pas semblé, mais je relirai ses propos, que le ministère de l'intérieur prenait une part active à cette réflexion.
M. Alain Richard. - Je voudrais faire une observation de méthode qui aura peut-être, je l'espère, quelque utilité dans nos débats. J'entends depuis hier citer abondamment les déclarations faites par M. Benalla à la presse, et j'entends le rapporteur, M. Sueur, les opposer aux propos tenus par les personnes que nous auditionnons. Il me semble donc justifié de souligner l'écart de statut entre ces deux positions : M. Benalla est une personne qui a été licenciée pour motif disciplinaire de ses fonctions à l'Élysée, et qui fait l'objet d'une enquête judiciaire qui, selon toute vraisemblance, se terminera devant le tribunal correctionnel de Paris dans quelques mois. Les propos publics qu'il tient relèvent donc - un enfant de huit ans comprend cela - d'une stratégie de défense personnelle. J'observe aussi que les faits concrets, démontrables, cités dans ses propos sont rarissimes. Les hauts fonctionnaires, serviteurs de l'État, qui s'expriment devant nous sous serment le font dans des conditions extrêmement différentes. Il serait fâcheux qu'au sein de la commission d'enquête apparaisse une égalité de valeur entre leurs propos respectifs.
M. Philippe Bas, président. - Ce n'est pas parce que nos collègues rapporteurs, moi-même ou d'autres collègues, posons des questions à partir des propos de M. Benalla que nous attachons la même valeur à ceux-ci et à des propos tenus sous serment par des hauts fonctionnaires. M. Benalla, cependant, est assez bien placé pour s'exprimer sur le travail qu'il faisait, et il est intéressant, non pas d'opposer les uns aux autres, mais de faire la lumière à partir des contradictions qui émergent. Ces dernières n'existent d'ailleurs pas seulement entre les propos de M. Benalla et les informations dont nous disposons - j'ai lu tout à l'heure l'arrêté du préfet de police - mais aussi sur la nature exacte des missions de M. Benalla.
M. Alain Richard. - Nous en avons déjà parlé. Il manque des éléments sur ce point et vous le savez.
M. Philippe Bas, président. - Soulever ces contradictions permet aux personnes interrogées de les démentir, s'il y a lieu.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je suis en total accord avec M. Richard. Il n'y a pas dans mon esprit de signe égal entre les propos d'une personne qui a commis des actes que j'ai qualifiés, devant cette commission, d'inadmissibles et inacceptables, et les propos des hauts fonctionnaires que nous auditionnons. Simplement, les déclarations faites dans la presse sont un fait.
M. Alain Richard. - Une stratégie personnelle !
M. Philippe Bas, président. - Peut-être pas seulement personnelle, compte tenu des conditions dans lesquelles ces propos ont été recueillis...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Sans doute cherche-t-il à se présenter sous le meilleur jour alors qu'il a accompli des actes inadmissibles et inacceptables... J'ai aussi toujours tenu à dire notre admiration et notre estime pour les fonctionnaires de la police, de la gendarmerie, des différents services de sécurité, et j'ai dit aussi l'immense difficulté de la tâche du GSPR et de celle des hommes et des femmes qui travaillent avec vous, colonel.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Colonel, nous cherchons une vérité à travers les contradictions qui apparaissent entre les propos des uns et des autres. Or il règne toujours une certaine confusion sur les missions exercées par M. Benalla auprès du Président de la République. Le ministre de l'intérieur nous a dit ne pas connaître M. Benalla personnellement, seulement de vue, et l'avoir toujours pris pour un policier. Qu'est-ce qui, dans l'attitude de M. Benalla, a pu donner cette impression à quelqu'un d'aussi aguerri que le ministre de l'intérieur ?
Colonel Lionel Lavergne. - Il m'est difficile, voire impossible, de commenter les propos tenus par le ministre de l'intérieur. Cela étant dit, il n'y a aucune confusion possible pour moi, chef du GSPR, non plus que pour mon personnel : M. Benalla n'était pas officier de sécurité, il ne dirigeait pas le GSPR, il était chargé de mission adjoint auprès du chef de cabinet, et avait à ce titre un rôle de facilitateur entre les différents services - j'ai employé tout à l'heure le mot de chef d'orchestre - au même titre que les autres membres de la chefferie de cabinet.
Mme Agnès Canayer. - Vous avez expliqué clairement le contenu des missions de M. Benalla avant sa suspension. Ma question porte sur le retour de l'équipe de France de football - les Bleus - : quel était alors le rôle de M. Benalla ? J'ignore si le GSPR était, lui, mobilisé. Avez-vous eu connaissance de frictions impliquant M. Benalla ?
Colonel Lionel Lavergne. - La protection du Président de la République relevant, lorsqu'il n'est pas en déplacement, du commandement militaire, le GSPR n'était pas concerné par le retour des Bleus. La chefferie de cabinet et le directeur de cabinet, en revanche, étaient impliqués dans le retour des Bleus et c'est à ce titre que M. Benalla l'était aussi. Je crois que le directeur de cabinet du Président de la République a répondu à cette question. Pour ma part, je n'ai pas eu connaissance de frictions entre M. Benalla et des membres des forces de l'ordre à cette occasion.
M. Éric Kerrouche. - Je réagis aux propos de M. Alain Richard. M. Benalla aurait pris la parole à titre individuel ; or d'après les éléments dont nous disposons, il semble qu'il était à tout le moins accompagné...
M. Alain Richard. - Il semble...
M. Éric Kerrouche. - En réalité, il ne semble pas : Le Monde, notamment, fait référence à certaines personnes dont l'identité conduit à se demander comment dissocier la stratégie personnelle de la communication politique.
M. Alain Richard. - Tenons-nous-en aux faits.
M. Éric Kerrouche. - Quel rôle et quel statut M. Vincent Crase avait-il au sein de l'Élysée ? On parle de lui comme d'un chargé de mission. Pouvez-vous nous donner des exemples de mobilisation de M. Crase par le commandement militaire pour nous éclairer sur ce qu'il faisait exactement ? Quels liens l'unissaient à M. Benalla ? Ils semblaient bien se connaître, et nous savons qu'ils ont voulu créer une société ensemble. Il n'est pas indifférent d'aborder ces renseignements pour comprendre ce qui les a conduits au même endroit le 1er mai.
Colonel Lionel Lavergne. - M. Vincent Crase relevait du commandement militaire et de l'autorité du général Bio-Farina en tant que réserviste. Je ne saurais m'exprimer à sa place.
Je savais que MM. Crase et Benalla se connaissaient, ni plus ni moins.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. Girier, ce matin, nous a confirmé qu'un agent de sécurité de la campagne du candidat Emmanuel Macron avait été recruté au sein du GSPR. Dans quelles conditions ? Connaissiez-vous sa qualité d'ancien membre de la sécurité de la campagne du candidat Macron ? M. Benalla a-t-il pu avoir un rôle quelconque dans ce recrutement, en présentant ou en appuyant sa demande, ou par tout autre moyen ?
Colonel Lionel Lavergne. - De qui parle le chef de cabinet du ministre d'État, ministre de l'intérieur ?
M. Philippe Bas, président. - D'un agent qu'il n'a pas nommé, ancien du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui tiendrait le rôle de « siège ». Vous voilà sur la piste...
Colonel Lionel Lavergne. - Monsieur le président, vous êtes bien renseigné ! Il se trouve qu'en tant qu'ancien commandant en second du GIGN, je connais bien cette personne, qui y avait servi presque quatorze ans et présente d'éminents états de service. Elle avait fait valoir ses droits à la retraite et s'était reconvertie dans la sécurité privée, avant d'être engagée au GSPR comme sous-officier commissionné, c'est-à-dire sous contrat. Elle a ainsi été réactivée - si je puis dire - en tant que gendarme mais, ayant dépassé la limite d'âge pour servir au GIGN, affectée à la garde républicaine, détachée au GIGN pour servir au sein du GSPR. Comme je connaissais personnellement cette personne, je n'ai pas eu besoin de M. Benalla pour qu'elle soit réintégrée afin de servir au sein d'un groupe composé exclusivement de fonctionnaires de police ou de la gendarmerie.
Mme Jacky Deromedi. - Sur plusieurs photographies, M. Benalla semble porter sur sa veste des insignes semblables à ceux des membres du GSPR. Est-ce normal ? S'agit-il des mêmes insignes ? D'autres membres de la chefferie les portent-ils ?
Colonel Lionel Lavergne. - Il ne s'agit pas des mêmes insignes. Les nôtres sont à fond noir et portent la mention « GSPR ». Les membres de la chefferie de cabinet et les conseillers du Président portent des pin's de forme circulaire comme les nôtres, mais dorés, et portant la mention « présidence de la République ». Ces pin's leur permettent d'être identifiés, notamment par les forces de l'ordre, lorsqu'ils travaillent auprès du Président de la République. Ils sont référencés par le chef de cabinet, délivrés nominativement et numérotés.
Mme Nadia Sollogoub. - Merci, colonel, pour la précision des mots que vous employez. Vous dites n'avoir jamais vu M. Benalla armé lors des déplacements du Président de la République. À votre connaissance, serait-il possible que M. Benalla ait pu recevoir une arme dite de dotation administrative, même s'il ne l'emportait pas avec lui lors des déplacements ? Cela nous permettrait de mieux comprendre le statut et la position de M. Benalla, car vous n'ignorez pas que ces armes sont strictement réservées aux services de police et de gendarmerie.
Colonel Lionel Lavergne. - Soyons précis : les armes de service sont celles que les membres du GSPR ont en dotation. L'arme détenue par M. Benalla l'était à titre personnel.
M. Philippe Bas, président. - La précision est en effet utile, car M. Benalla avait un permis de port d'arme à raison des fonctions de police qu'il exerçait à la présidence de la République...
Colonel Lionel Lavergne. - M. Benalla a déclaré, ai-je lu récemment, un Glock 43. Cela ne correspond pas à la dotation des fonctionnaires du GSPR, qui se compose de Glock 17, de Glock 19, de Glock 26 et de trois armes d'instruction, des Glock 45. Ces dotations sont individuelles : elles ne se prêtent pas. Bref, je le redis : il n'y a aucune dotation administrative pour M. Benalla.
Mme Nadia Sollogoub. - C'était donc une arme personnelle qu'il avait achetée avec ses deniers personnels ?
Colonel Lionel Lavergne. - C'est, me semble-t-il, ce qu'il a déclaré à la presse...
M. Philippe Bas, président. - Cette fois vous l'avez lue !
Sa voiture de fonction était en outre équipée d'un pare-soleil « police », c'est-à-dire d'un bandeau situé à la place du miroir du passager avant, portant la mention réversible et éclairée « police », indiquant aux agents de police de laisser passer le véhicule ainsi équipé pour que ses occupants remplissent leur mission de police. Le ministère de l'intérieur nous a dit ne pas en être à l'origine. Le GSPR a-t-il installé ce pare-soleil ? Quelle supposition feriez-vous si ce n'est pas le cas ?
Colonel Lionel Lavergne. - Ce n'est pas le GSPR qui a équipé le véhicule de service de M. Benalla, mais le garage de l'Élysée. Sous l'autorité du général Bio-Farina, il équipe en effet les différents véhicules de service des collaborateurs du Président de la République, dont les membres de la chefferie de cabinet, pour leur permettre d'être rapidement sur les lieux où le Président de la République est amené à se rendre ou d'intégrer un cortège en cas de besoin. Ces équipements, comme les feux de pénétration, sont des équipements standards des collaborateurs ayant des véhicules de service au sein de la présidence.
M. Gérard Longuet. - Veuillez m'excuser, colonel : je n'ai pas entendu le début de votre intervention, et ma question est assez générale. J'ai bien compris que le commandement militaire protégeait le palais de l'Élysée et que le GSPR protégeait les déplacements publics du Président de la République. Mais qu'est-ce qu'un déplacement privé, où commence et se termine un tel déplacement, et avec qui en parlez-vous ? Si la vie d'un responsable politique est contraignante, celle du Président de la République est exceptionnellement contraignante : il reste Président de la République française à tout moment, et il n'y a hélas pas de trêve de la malveillance ou de la violence... Comment sa vie privée, si tant est qu'il puisse en avoir une, est-elle protégée ? Qui la définit, et qui s'en occupe ?
Colonel Lionel Lavergne. - Je vous donnerai quelques précisions sans dévoiler l'organisation interne de la présidence. Nos modes d'action sont adaptés. Le commandement militaire est compétent à l'intérieur des emprises présidentielles ; le GSPR a compétence sur l'ensemble des déplacements du Président de la République.
M. Gérard Longuet. - C'est-à-dire, dès qu'il sort du palais ?
Colonel Lionel Lavergne. - Oui, dès l'instant où il met les pieds sur le trottoir.
M. Gérard Longuet. - Lorsque le président Mitterrand sortait acheter des livres, dont il était un connaisseur averti, il était donc sous le contrôle du GSPR ?
Colonel Lionel Lavergne. - Oui - je me permets de parler au nom des grands anciens - et c'est toujours le cas. La continuité de la sécurité du chef de l'État est un principe de base, intangible : le GSPR est responsable de sa sécurité à toute heure du jour et de la nuit.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - À aucun moment le Président de la République n'a donc le choix de son mode de protection ou de l'intensité de celle-ci ?
Colonel Lionel Lavergne. - Je ne pourrai pas répondre à ce type de question. Je dirai simplement que les modes d'action sont adaptés aux circonstances.
M. Gérard Longuet. - Cette adaptation va-t-elle jusqu'au choix des équipes et à leur composition ?
Colonel Lionel Lavergne. - Cela relève de mon autorité, donc de mon choix.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nous ignorons certes la robustesse des propos visant telle ou telle personne, mais nous les entendons. L'ancien membre du GIGN dont nous avons parlé, qui remplissait le rôle de « siège », et qui a été intégré au GSPR, a participé à la campagne du candidat Macron, cela nous le savons. M. Benalla a-t-il joué un rôle dans les recrutements du GSPR, par indication ou recommandation ?
Colonel Lionel Lavergne. - M. Benalla ne m'a pas poussé à recruter cette personne, dont je tairai le nom par souci de sécurité. Je connaissais personnellement cette personne, ses états de service, pour avoir travaillé avec elle. C'est à la demande d'une autre personne que je l'ai recrutée, et je l'assume parfaitement. M. Benalla, qui n'est pas officier de sécurité et ne dirige pas le GSPR, n'a joué aucun rôle dans son recrutement. Celles qui ont joué un rôle dans le recrutement des membres du GSPR à compter du 14 mai 2017 sont devant vous : il s'agit du commissaire divisionnaire Julien Perroudon, qui a une connaissance parfaite de la police nationale et du service de la protection, et de moi-même, qui pense avoir une bonne connaissance de la gendarmerie nationale - ce qui nous permet de savoir finement qui doit protéger le Président de la République.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - On a pu vous proposer des noms, vous faire des suggestions...
M. Gérard Longuet. - Quel type d'arme est le Glock 43 ? L'utilise-t-on dans la police ou la gendarmerie française ?
Colonel Lionel Lavergne. - C'est un 9 millimètres, comme le Glock 17, le Glock 19 ou le Glock 26. C'est une arme compacte, comme tous les Glock, que l'on choisit pour sa facilité de prise en main.
M. Philippe Bas, président. - Merci, colonel. Demain, nous entendons M. Christophe Castaner, délégué général du mouvement La République en Marche.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 55.
Mardi 31 juillet 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 8 heures.
Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Audition de M. Christophe Castaner, délégué général du Mouvement La République en Marche
M. Philippe Bas, président. - Nous connaissons bien M. Christophe Castaner, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, que nous voyons régulièrement aux réunions de la conférence des présidents, et avec lequel nous entretenons des relations cordiales. Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : il est entendu comme délégué général du Mouvement La République en Marche.
Monsieur Castaner, votre audition nous a paru nécessaire parce que M. Alexandre Benalla était accompagné par M. Vincent Crase, qui a participé à l'opération de maintien de l'ordre place de la Contrescarpe, et peut-être avant cela, au Jardin des plantes. M. Crase portait une arme, cela a été établi par le rapport de l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Il est salarié de votre mouvement. Nous voulons aussi vous entendre sur le contexte de l'emploi de M. Benalla à la présidence de la République et ses activités au sein de La République en Marche avant l'élection de M. Emmanuel Macron. Nous avons aussi des interrogations au sujet de la diffusion, par des adhérents de votre mouvement, d'images provenant d'une vidéosurveillance transmises à l'Élysée... et peut-être également à La République en Marche ?
Notre commission des lois étant dotée des prérogatives d'une commission d'enquête, je vous indique qu'un faux témoignage serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Castaner prête serment.
M. Christophe Castaner, délégué général du Mouvement La République en Marche. - Je suis désireux d'apporter au Sénat tous les éléments dont j'ai connaissance sur les conditions dans lesquelles se sont produits les événements du 1er mai, et d'éclairer votre commission des lois en charge de cette enquête. J'ai été personnellement choqué par ces images et je condamne les actes auxquels se sont livrés MM. Benalla et Crase, car ils sont contraires aux valeurs portées par la République et par le mouvement politique La République en Marche.
Je suis délégué général de ce mouvement depuis mon élection le 18 novembre 2017, et suis le représentant légal de cette association, ainsi que l'employeur de tous les salariés.
Le 2 mai, sur une vidéo largement diffusée par les réseaux sociaux - vue plus de 100 000 fois -, plusieurs salariés de La République en Marche ont été stupéfaits de reconnaître l'un de leur collègues, Vincent Crase, qu'ils connaissent bien puisqu'il assure l'accueil et la sécurité au siège du mouvement. Certains ont également reconnu M. Benalla pour l'avoir croisé durant la campagne présidentielle. J'ai été alerté aux alentours de 18 heures et j'ai visionné cette vidéo sur mon téléphone alors que j'arrivais au siège de La République en Marche. À 18 h 15, j'ai souhaité voir M. Crase, en présence de mon directeur de cabinet M. François Blouvac et du responsable sécurité et sûreté, M. Pierre-Yves Baratier, supérieur hiérarchique de M. Crase, afin qu'il nous donne des explications. M. Crase est depuis le 1er juillet 2017 adjoint sécurité et sûreté, non cadre, sous l'autorité du chef de sécurité, dans un service de huit personnes chargé notamment de l'accueil et de la surveillance des locaux de l'association. Je tiens l'organigramme de ce service à votre disposition.
Lors de cet entretien, Vincent Crase nous a dit avoir agi en tant que gendarme réserviste, à la demande expresse de M. Benalla, avec lequel il était en contact dans le cadre d'opérations réalisées comme gendarme réserviste. Il m'a informé être chef d'escadron, gendarme réserviste depuis 1996, rattaché à l'Élysée, dans un cadre extra-professionnel. Il a confirmé que les faits étaient intervenus en dehors des heures de travail, hors de toute information de sa hiérarchie et qu'il n'en avait pas rendu compte. « Gendarme réserviste, par ailleurs employé de La République en Marche », c'est ainsi qu'il a été identifié par Bruno Roger-Petit, porte-parole de la présidence de la République. L'entretien a duré quelques minutes, car je devais présider un bureau exécutif de notre mouvement à 18 h 30. En déplacement pendant trois jours, du 3 au 5 mai, j'ai chargé M. Blouvac et M. Baratier de le recevoir le lendemain pour décider des conséquences à tirer de ces événements. Bien que les faits se soient déroulés hors de son cadre de travail, j'ai souhaité le sanctionner, car ces faits étaient graves. J'ai fait savoir, en premier lieu, à M. Crase que son attitude était en complet décalage avec celle attendue de nos salariés, particulièrement de ceux qui sont en charge de l'accueil et la sécurité, y compris hors du temps de travail. Une telle attitude, en second lieu, portait atteinte à l'image de notre mouvement.
Dans la mesure où M. Crase affirmait avoir agi comme gendarme réserviste et à la demande de M. Benalla, j'ai souhaité contacter le directeur de cabinet de la présidence, pour connaître les suites à donner et que sa sanction soit liée à celle infligée à M. Benalla. Un échange a eu lieu entre mon directeur de cabinet et celui de la présidence de la République à ce sujet, et c'est sur la base de cet échange que j'ai notifié le 3 mai à M. Crase la sanction de suspension pour 15 jours, du 4 au 18 mai. Il fait, depuis le 20 juillet, l'objet d'une procédure de licenciement fondée sur le trouble objectif au fonctionnement de l'association et l'atteinte portée à l'image de celle-ci. Aujourd'hui, sur la base du rapport de l'IGPN, je constate qu'à sa faute M. Crase ajoute le mensonge, car il n'était présent ni comme gendarme réserviste, ni comme personnalité dûment autorisée. Il a été présenté comme un collaborateur par M. Benalla, et le major Mizerski a indiqué n'avoir pas demandé de plus amples détails, compte tenu du statut de M. Benalla, représentant de la présidence de la République. Comme l'établit clairement le rapport de l'IGPN, l'activité salariée de Vincent Crase n'est en aucun cas liée à sa présence ce jour-là. Le général Bio-Farina l'a confirmé, à l'Assemblée nationale : « M. Crase (...) m'a dit qu'il avait suivi Alexandre Benalla de son propre chef ce jour-là. »
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Nous avons ici un seul combat, la vérité. Nous entendons mettre au jour les dysfonctionnements et faire des propositions pour y remédier. Votre propos contient déjà des éléments de réponse aux questions que je voulais vous poser.
Le 1er mai, M. Crase n'avait nullement le statut d'observateur, contrairement à M. Benalla : il s'est donc rendu sur les lieux dans un cadre informel, sur la suggestion de M. Benalla ?
M. Christophe Castaner. - Sur la base des affirmations de M. Crase et du rapport de l'IGPN, la réponse est claire : il n'avait pas le statut d'observateur. Il n'en a du reste pas fait état lors de notre bref entretien, ni lors de celui qu'il a eu le lendemain avec mon directeur de cabinet. Il a dit : « Alexandre Benalla m'a appelé et m'a dit de venir, je suis venu. »
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Il est étonnant, compte tenu de cette procédure informelle, et des actes qui ont été commis, qu'aucune remontée interne ne soit intervenue au sein de la police : ni le préfet de police, ni le ministre n'ont été informés par cette voie, ils l'ont été le 2 mai par l'Élysée... De même, vous n'avez été informé que le 2 mai ?
M. Christophe Castaner. - Je vous le confirme. Le major Mizerski, compte tenu du statut de M. Benalla, n'a pas osé aller plus loin...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez reçu aucune information, ni le 1er ni le 2 mai ni ensuite, sur les faits qui se seraient produits préalablement, au Jardin des plantes ? Une enquête préliminaire est ouverte.
M. Christophe Castaner. - Non, à aucun moment.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La gravité des faits qui se sont produits sur un théâtre d'opération de la police vous a conduit à prononcer une sanction, mais vous n'avez pas songé à saisir la justice à ce stade ? Pourquoi ?
M. Christophe Castaner. - Vincent Crase me disait être intervenu comme gendarme réserviste auprès l'Élysée et je n'avais pas compétence pour juger les conditions de son intervention. Dans le courrier que je lui ai adressé le lendemain, je lui ai rappelé que son attitude était en décalage complet tant avec ce qui était attendu d'une personne en charge de l'accueil et de la sécurité qu'avec les valeurs de notre mouvement.
M. Philippe Bas, président. - Gendarme réserviste ou pas, vous auriez pu signaler son comportement au parquet. Lorsque vous avez été en contact avec le directeur de cabinet de la présidence de la République, avez-vous eu un échange sur la question d'une transmission au parquet, lequel aurait apprécié l'opportunité de poursuites à l'encontre de M. Crase ?
M. Christophe Castaner. - M. Crase invoquant son appartenance à la réserve de la gendarmerie à l'Élysée, j'ai voulu savoir, d'abord, si le cabinet à l'Élysée était informé. Je souhaitais également appliquer un parallélisme des formes pour la sanction, par rapport à celle qui serait infligée à M. Benalla, qui me semblait l'auteur principal. Le général Bio-Farina a démis M. Crase de ses fonctions au sein de la réserve - je l'ai appris seulement au moment des auditions -, ce qui montre bien que ce statut était mis en avant par l'intéressé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - M. Crase intervenait ponctuellement pour la présidence de la République : existait-il une convention entre l'Élysée et votre mouvement pour son emploi ?
M. Christophe Castaner. - Ses interventions avaient lieu en dehors de ses heures de travail, et c'est lors des auditions que j'ai appris qu'il avait effectué quarante missions entre novembre 2017 et avril 2018.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - N'avez-vous pas trouvé étrange que la sanction à l'égard de votre salarié soit annoncée par Bruno Roger-Petit, porte-parole de l'Élysée ?
M. Christophe Castaner. - C'est mon directeur de cabinet qui l'a annoncée à M. Crase.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je parle de l'annonce publique.
M. Christophe Castaner. - Je n'ai pas à me prononcer sur le caractère « étrange » de cette annonce.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Le licenciement de M. Benalla a été justifié par un élément nouveau : s'être procuré, avoir accepté ou s'être fait offrir des vidéos transmises illégalement. Quel nouvel événement a justifié le licenciement de M. Crase ?
M. Christophe Castaner. - Hasard du calendrier, l'entretien de licenciement aura lieu tout à l'heure... Je considère que les récents événements ont porté à notre connaissance des faits nouveaux et ont mis en lumière la gravité de ces comportements, de nature à discréditer le mouvement et à porter publiquement atteinte à nos valeurs - et à ce que je suis, personnellement... et si ce n'est pas de nature à justifier un licenciement, j'assume le risque de contentieux aux prud'hommes.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - L'intéressé a reçu ou s'est procuré des vidéos auprès de trois agents de la préfecture de police : les avez-vous vues ?
M. Christophe Castaner. - Non.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Une copie en a été remise par M. Benalla à un conseiller de la présidence de la République, M. Ismaël Emelien. Or plusieurs comptes sur les réseaux sociaux ont reproduit ces vidéos, dont l'intérêt est de montrer les événements « amont » - des personnes commettant des atteintes sur les forces de l'ordre en lançant des projectiles, ce qui pourrait justifier une réplique (de la part des forces de police légitimes, s'entend). Avez-vous été au courant que des comptes de membres de La République en Marche ont été activés pour cette occasion ?
M. Christophe Castaner. - Aucun membre de La République en Marche à ma connaissance n'a relayé ces vidéos. Je ne sais à quels comptes Mediapart ou d'autres se réfèrent, une enquête judiciaire est en cours.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez aucune information sur une décision qui semble avoir été prise de retirer ces images de l'ensemble des comptes, simultanément ? Quelques personnes attachées au droit se sont sans doute avisées qu'il y avait là un problème juridique...
En somme, vous n'avez pas vu ces images, vous n'avez pas évoqué la question avec le conseiller de l'Élysée qui en a été destinataire, vous n'êtes pas au courant que certains comptes de membres de La République en Marche les ont diffusées, et vous n'avez pas eu connaissance d'une initiative juridique pour les retirer ?
M. Christophe Castaner. - Je n'ai eu connaissance de ces images que quelques minutes seulement avant leur diffusion par BFM, parce que le microcosme en parlait, puis à la lecture de l'article de Mediapart. À aucun moment dans la « maison » La République en Marche je n'ai été informé d'une quelconque présence ou utilisation de ces images.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Vous n'avez eu connaissance d'aucune instruction donnée ou initiative prise par quelque responsable de votre mouvement sur l'apparition ou la disparition de la vidéo...
M. Christophe Castaner. - Je suis convaincu - avec la limite de ma conviction - qu'il n'y a eu aucune instruction parmi nos cadres.
M. Philippe Bas, président. - Pouvez-vous nous préciser l'organisation de la communication de La République en Marche sur les réseaux sociaux ?
M. Christophe Castaner. - Nous avons un pôle communication stratégique, qui traite du développement du site, des médias, de la riposte, de l'opinion, du porte-parolat. Il compte des spécialistes de la gestion des plateformes numériques et du site de La République en Marche, mais ceux-ci n'ont pas vocation à diffuser des vidéos non officielles.
M. Philippe Bas, président. - Combien de personnes y travaillent ?
M. Christophe Castaner. - En mai 2018, ils représentaient vingt-cinq équivalents temps plein.
M. Philippe Bas, président. - Ainsi que des militants ?
M. Christophe Castaner. - Les seuls bénévoles s'occupent du « service après-vente » : appels aux sympathisants, envois de mails, aide apportée aux quelques agents professionnels dans les éléments de réponse.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Comment organisez-vous la sécurité de votre mouvement politique : faites-vous appel à un prestataire extérieur, ou avez-vous une division interne ?
M. Christophe Castaner. - Une responsable de service, au sein du pôle administration et finances, chapeaute le service sécurité et sûreté, lequel comprend un responsable, M. Baratier, deux chefs d'équipe, dont M. Crase, deux agents de sécurité et quelques agents spécifiquement en charge de l'accueil. La nuit et le week-end, nous faisons appel à une société extérieure, Tego, pour l'ouverture et la fermeture du site.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - M. Crase n'est donc pas un simple agent d'accueil, mais il a des missions de sécurité. Est-il titulaire d'une habilitation CNAPS ?
M. Christophe Castaner. - Il est responsable adjoint sûreté et sécurité, catégorie non cadre et sous l'autorité de son supérieur hiérarchique. Ses missions, fixées par sa fiche de poste sans que cette liste ne soit exhaustive, sont la surveillance générale des locaux de l'association, la sécurité des biens et des personnes, la surveillance technique des locaux et des équipements, l'accueil, l'orientation et l'information des visiteurs, éventuellement l'accompagnement à l'extérieur de personnalités. Je précise sur ce point que jamais Vincent Crase ne m'a accompagné en déplacement, encore moins en étant armé, comme l'affirme Libération ce matin - c'est un mensonge. J'ai lu dans la presse que M. Crase a fait une demande d'agrément de responsable de société, qu'il n'a pas obtenu. Il est titulaire d'un agrément CNAPS et muni d'une carte professionnelle, comme quatre autres professionnels chargés de la sécurité. Ils sont une petite équipe... en aucun cas une milice.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Quel rôle remplissait-il durant la campagne électorale ?
M. Christophe Castaner. - Je n'avais pas alors de responsabilité dans l'organisation, j'étais le porte-parole du candidat. Dans le cadre de relations contractuelles ponctuelles, M. Crase était prestataire depuis novembre 2016, comme support sur des missions de sécurité ; il a été embauché en CDI au 1er juillet 2017 par le mouvement La République en Marche.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Des acteurs de sécurité privée du candidat En Marche pendant la campagne ont ensuite occupé des fonctions de sécurité à l'Élysée : M. Benalla, directeur de la sécurité pendant la campagne, devient adjoint au chef de cabinet, coordinateur de la sécurité, ou encore M. Crase. En outre, un ancien membre du GIGN qui a travaillé pour la sécurité du candidat est devenu contractuel au GSPR, or quelqu'un serait intervenu pour le faire embaucher. Êtes-vous intervenu dans son embauche ou celle des deux autres personnes ?
M. Christophe Castaner. - Pour aucun d'entre eux. Je n'étais pas aux responsabilités à La République en Marche lorsque ces recrutements ont eu lieu. J'ai entendu parler du troisième seulement hier lors de l'audition de M. Girier.
M. Jacques Bigot. - Vous vous dites choqué par des images contraires aux valeurs de votre mouvement politique, désormais important. Or les vidéos, selon les policiers, discréditent la police. Mais il ne vous est pas venu à l'esprit de porter à la connaissance publique l'information que vous aviez, plutôt que de la taire...
M. Christophe Castaner. - J'ai considéré que je n'avais pas à me substituer à l'autorité sous laquelle M. Crase était placé, comme gendarme réserviste. Il ne m'appartenait pas d'évaluer si les actes étaient proportionnés aux missions.
Mme Brigitte Lherbier. - Actes dont vous avez dit qu'ils étaient « contraires aux valeurs de La République en Marche ». Contraires à la démocratie, tout simplement ! Nous avons tous été choqués. M. Benalla se servait de son statut pour solliciter les personnes autour de lui. Avait-il déjà commis des abus d'autorité comme proche d'un candidat à la présidence de la République ? Se sert-il de sa proximité avec le Président ?
M. Christophe Castaner. - Nous avons en commun, vous et nous, les valeurs de la République. J'ai mentionné mon mouvement car je ne peux parler au nom des autres. Je suis surpris par ce qui est dit de l'influence de M. Benalla sur M. Crase. Je ne le connaissais pas personnellement durant la campagne, mais je l'ai rencontré régulièrement et chaque fois que je l'ai vu, il était cordial, efficace. Je l'ai rencontré pour la première fois comme porte-parole du candidat Emmanuel Macron vers la fin de l'année 2016. Jamais je n'ai été le témoin de tensions particulières, d'abus de fonction dans ses missions à l'Élysée. Sinon, j'en aurais référé au Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - J'ai eu le sentiment, à entendre votre réponse à M. Bigot, que vous complétez un tableau... Les actes du 1er mai, avez-vous dit, sont d'une exceptionnelle gravité. Le Président de la République a parlé d'actes « inadmissibles et inacceptables ». M. Benalla s'en est pris physiquement à des citoyens, et ce, sans aucun mandat : c'est grave en effet ! Le 2 mai, un certain nombre de personnes en sont informées. Or dans nos auditions, nous assistons à un jeu de renvoi de balle remarquable : le préfet de police n'a pas saisi la justice, n'étant pas ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur indique que l'intéressé relevait de l'Élysée ; mais ni le directeur de cabinet, ni le secrétaire général de l'Élysée ne considèrent qu'il y avait lieu pour eux de saisir la justice. Vous êtes l'employeur d'un des deux protagonistes, mais vous estimez qu'il ne vous revenait pas de vous en charger. Dans cette configuration, personne n'a estimé utile de le faire. Et pourtant les faits sont très graves !
M. Philippe Bas, président. - Ils relèvent effectivement d'une procédure pénale. En témoigne le fait que le procureur, dès qu'il a été informé, a ouvert une enquête préliminaire. Du reste, nous avons le devoir de transmettre les faits qui nous paraissent délictueux au procureur, et c'est lui qui déclenche une action publique. Autrement dit, celui qui est assujetti à une obligation de transmission n'a pas à se poser la question de la gravité des faits.
M. Christophe Castaner. - J'ai l'habitude d'assumer et je n'ai pas l'habitude de renvoyer la balle à qui que ce soit. La vérité est unique, mais elle est différente selon qu'on la regarde sur un téléphone portable, ou que l'on voit, quelques semaines après, toutes les images décortiquées, commentées. J'ai été choqué par les images, j'ai interrogé M. Crase, il a dit être intervenu comme gendarme réserviste sous l'autorité de la présidence de la République. Il n'était dès lors pas à mes yeux un citoyen intervenant de son propre chef dans la rue. Vous connaissez l'atmosphère qui régnait le 1er mai, avec 1 200 Black blocs dans les rues... Bien sûr que mon regard, sur le coup, n'était pas celui d'aujourd'hui. Même chose pour les images de l'interpellation : il fallait neutraliser une personne agressive. Le regard que l'on porte est celui d'un instant donné... Puisque M. Crase était un réserviste, ma responsabilité était d'informer sa hiérarchie pour vérifier que ces faits étaient connus et qu'il y ait eu une sanction. M. Crase a été exclu dès le 4 mai par le général Bio-Farina de la présidence de la République et remis à disposition de la garde républicaine ; je ne l'ai pas su alors, je l'ai découvert lors des auditions...
M. Philippe Bas, président. - La réponse est subtile. Vous ne parlez pas de forces de l'ordre débordées, ni de bénévole auxiliaire du service public de la police, mais vous dites : j'ai la conviction que l'intéressé intervient comme réserviste, sous l'autorité de M. Benalla et de l'Élysée. C'est seulement ultérieurement que vous avez compris que les forces de police n'étaient pas débordées, en dépit de la violence des assauts. Néanmoins vous infligez tout de même une sanction à votre salarié : n'y a-t-il pas là une incohérence ?
M. Christophe Castaner. - J'ai appliqué par parallélisme la sanction décidée par l'autorité de M. Benalla. J'ai repris les termes de la lettre adressée à celui-ci. J'ai souligné dans mon courrier à M. Crase qu'il n'intervenait nullement dans le cadre de ses activités professionnelles et n'avait pas informé sa hiérarchie. Il ne l'a pas contesté. Je peux vous transmettre le courrier en question.
M. Philippe Bas, président. - Volontiers.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez estimé le comportement des deux hommes choquant... comme l'ont jugé toutes les personnes entendues. N'avez-vous pas craint, à conserver dans vos rangs l'un des auteurs, une crise politique - qui est aujourd'hui avérée ? Votre explication du gendarme réserviste est subtile, mais elle ne passe pas facilement dans l'opinion. Ce qu'on entend dire aujourd'hui, c'est que les intéressés sont licenciés uniquement parce que l'information est devenue publique : la sanction était-elle adaptée ?
M. Christophe Castaner. - Le licenciement a été engagé en raison de la mise en examen : il y a là une atteinte à l'image de notre mouvement. Nous ne pouvions pas licencier M. Crase pour un comportement en dehors de son travail. Il est certain qu'avec tous les éléments dont nous disposons à présent, mon attitude aurait été différente. Je le répète, oui, la vérité est unique, mais elle n'est pas toujours pareillement perçue.
Mme Catherine Di Folco. - La peine infligée à M. Crase comme à M. Benalla me semble bien légère : il y a tout de même eu usurpation de fonctions, violences physiques...
M. Philippe Bonnecarrère. - « Les partis concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement », proclame la Constitution. Votre liberté d'organiser votre formation politique est totale, notamment dans ses recrutements. Quels enseignements tirez-vous du comportement d'Alexandre Benalla et de Vincent Crase pour le fonctionnement de La République en Marche... et de toutes les formations politiques ?
M. Christophe Castaner. - Les enseignements que l'on peut tirer du comportement humain : naturellement bon, il peut déraper... Ayant été jeune chef de cabinet dans le gouvernement de Lionel Jospin, je sais comment certaines positions peuvent monter à la tête. C'est la question du facteur humain ! En politique, il y a une exigence particulière à avoir, grâce à des cliquets, des contrôles, une surveillance. J'ai demandé un audit de gestion sur la sécurité lorsque j'ai pris mes fonctions, et le 26 avril dernier j'ai reçu la contribution d'un cabinet d'avocats, afin que nous puissions bénéficier d'un service de sécurité le plus transparent possible et pour disposer d'une expertise extérieure sur la sécurité de La République en Marche. La réponse de M. Crase sur la réserve de gendarmerie a montré qu'il existe des anomalies, des dysfonctionnements. Il faut revoir l'organisation des services pour améliorer la transparence, j'en rendrai compte publiquement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Quarante missions en six mois... Vous l'avez découvert tout récemment. Cela ne se ressent-il pas dans l'agenda de votre salarié ? Le CNAPS lui a refusé l'agrément pour diriger une société de sécurité privée : pour quelle raison, à votre connaissance ? Vous avez mentionné les échanges avec M. Strzoda à l'Élysée : vous êtes-vous concertés sur la nature de la sanction ? Avez-vous tous deux considéré la sanction infligée comme adaptée ?
M. Christophe Castaner. - Je n'avais pas connaissance des activités de gendarme réserviste de M. Crase. Ses horaires sont des horaires adaptés, il travaillait généralement une semaine sur deux. Il n'avait pas besoin de nous rendre compte de ces quarante interventions. J'ai néanmoins demandé à notre service juridique de me dire si la clause d'exclusivité qui figurait dans son contrat interdisait - il apparaît que non - son engagement dans la réserve de gendarmerie. Politiquement je souhaite favoriser un tel engagement, mais comme employeur licenciant son employé, j'avais besoin de cette précision.
Quant à l'autorisation du statut de chef d'entreprise de sécurité, j'ignore pourquoi M. Crase l'a demandée, j'ignore pourquoi on la lui a refusée.
Entre les deux directeurs de cabinet, celui de l'Élysée et le mien, il n'y a pas eu concertation mais information sur la sanction : le directeur de cabinet du Président de la République nous a fait parvenir la lettre qu'il avait adressée à M. Benalla, base grâce à laquelle nous avons pris la même lettre sanctionnant M. Crase.
Mme Marie Mercier. - Je note tout de même une certaine confusion des missions de M. Benalla, comme de M. Crase. Vous ne connaissiez pas tout son cursus, vous avez appris qu'il avait effectué quarante missions - c'est beaucoup ! Toutes se sont-elles déroulées en compagnie de M. Benalla ? Avez-vous noté au fil du temps un changement de comportement ? On loue généralement la solidité psychologique, le dévouement des gendarmes réservistes. Au cas présent, les liens entre les deux hommes ont-ils pu déteindre sur votre employé ? A-t-il pu se passer quelque chose entre les deux ?
M. Christophe Castaner. - Il n'y a aucune confusion dans l'activité professionnelle de M. Crase. Je n'ai pas observé de changement de comportement, même si nos relations se bornaient aux politesses quotidiennes. Je n'ai pas les éléments pour me livrer à son analyse psychologique. Le général Bio-Farina a indiqué que les deux se connaissaient depuis longtemps, qu'il y avait un lien fort de l'un vis-à-vis de l'autre. Le 2 mai, Vincent Crase m'a précisé qu'Alexandre Benalla lui avait dit de venir... et qu'il était donc venu.
Mme Marie Mercier. - Quel âge a M. Crase ?
M. Christophe Castaner. - Il est né en 1973. Il a donc 45 ans. Cela dit, l'autorité n'est pas liée à l'écart d'âge...
Mme Agnès Canayer. - Hier, le chef de cabinet du ministre de l'intérieur nous a indiqué avoir remarqué la présence de M. Benalla et de M. Crase, salarié de La République en Marche, dès le 1er mai au soir. Avez-vous eu vous des contacts avec le ministère de l'intérieur, avant ou après avoir pris connaissance des faits, le 2 mai, via les réseaux sociaux ?
M. Christophe Castaner. - Non, l'information m'est remontée par les réseaux sociaux. Ni le ministère de l'intérieur ni la préfecture de police ne m'ont informé des événements, ce qui, dans l'absolu, est normal. Je pense que Vincent Crase n'avait pas été identifié par leurs dispositifs. C'est ce qu'a précisé le préfet de police, notamment dans son audition.
Mon information est venue de la seule rumeur qui a circulé dans la maison La République en Marche dans la journée du 2 mai, le siège du mouvement étant fermé le 1er mai. Je n'en ai pris connaissance que le soir du 2 mai.
Je n'ai eu aucun contact, à ce moment, avec le ministère de l'intérieur. Les seuls échanges que j'ai pu avoir avec celui-ci sont postérieurs au 18 juillet. À aucun moment, il ne m'a informé de la situation.
Mme Brigitte Lherbier. - M. Crase avait-il un permis de port d'arme et portait-il une arme sur lui ?
M. Christophe Castaner. - J'ignore
s'il portait une arme, mais le rapport de l'IGPN précise que les images
vidéo sont beaucoup plus parlantes s'agissant de M. Crase
-
pour qui le port d'arme de catégorie B constitue l'un des chefs
d'inculpation - que concernant M. Benalla. Je ne doute pas que la justice
permettra d'établir les faits, mais le faisceau d'indices devait
être suffisant, pour qu'il ait été mis en examen à
ce titre, ce qui ne remet évidemment pas en cause le principe de la
présomption d'innocence.
Selon les informations en ma possession, Vincent Crase n'était pas autorisé à porter une arme. Si deux autorisations de détention d'armes lui avaient été accordées durant la campagne électorale, la fin de celle-ci les a rendues caduques. Ni M. Benalla, ni M. Crase, ni quiconque ne peut aujourd'hui prétendre bénéficier du droit de détenir une arme à La République en Marche au titre de ses fonctions.
M. Alain Richard. - Les termes mêmes de l'article 40 du code de procédure pénale prévoient que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République. »
Je vous indique, chers collègues, que M. Castaner, comme membre du Gouvernement, est bien concerné par cet article. Cependant, c'est dans le cadre de ses fonctions de dirigeant associatif qu'il a eu connaissance de faits répréhensibles imputables à M. Crase. Il me semble donc que les termes mêmes de l'article 40 ne pouvaient pas le conduire à se poser la question de son application.
M. Philippe Bas, président. - Ils pouvaient néanmoins l'amener à se demander s'il ne fallait pas dénoncer ces faits délictueux au parquet dans un autre cadre...
M. Christophe Castaner. - En préparant cette audition, j'ai eu l'occasion de réfléchir à cette question. Je n'ai pas souhaité soulever cette exception de droit, bien qu'elle me paraisse juste, parce qu'il m'a semblé que c'était aussi ma responsabilité en tant que responsable politique qui intéressait la commission. Je n'ai pas voulu esquiver la question. J'ai souhaité assumer la réponse que je voulais vous apporter sur le fond. Mais en droit, le débat peut effectivement avoir lieu.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avez-vous connaissance d'autres personnes au sein de La République en Marche qui effectuent des tâches ou des missions de sécurité pour l'Élysée, notamment en tant que réservistes ?
M. Christophe Castaner. - Cette question ayant été abordée lors de l'une des auditions, je l'ai posée aux services de La République en Marche. On m'a répondu que non.
Je pense que la personne qui a été mentionnée a été un moment en responsabilité, je ne sais pas dans quel cadre mais je pense qu'elle ne l'est plus depuis de longs mois.
M. Jean-Yves Leconte. - Dans le rapport de l'IGPN, il est indiqué que, le 1er mai, la présence de M. Crase n'a pas été contestée, compte tenu du fait qu'il avait été présenté comme accompagnant une personne qui s'affichait et qui était reconnue comme membre de la présidence de la République. Le fait que l'on n'ait pas vérifié l'identité de cette personne et qu'on l'ait laissée faire, parce qu'elle a été présentée avec ce statut, pose un problème sur la prééminence de la présidence de la République.
Qu'en tirez-vous comme conséquence politique sur la place de la présidence de la République dans nos institutions ? Que faudrait-il faire pour éviter que de telles situations de passe-droit ne se reproduisent ? Compte tenu du débat que nous avons eu, lors de la dernière discussion budgétaire, sur les cabinets ministériels, parfois réduits au minimum et empêchés de fonctionner correctement, quand la présidence de la République prend de plus en plus de place, ces événements vous conduisent-ils à faire évoluer vos positions sur la place de celle-ci dans nos institutions et sur la manière d'encadrer sa prééminence ?
M. Philippe Bas, président. - C'est une question importante. La maladie du pouvoir, de tout temps et sur tous les continents, a toujours été l'abus de pouvoir. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les constitutions ont été inventées.
M. Christophe Castaner. - Je n'ai pas à me prononcer sur la question de la vérification de l'habilitation à être observateur. Comme vous, j'ai lu que le rapport de l'IGPN faisait état d'une anomalie. Pour ce qui concerne les conséquences à en tirer sur le plan organisationnel, j'ai pu noter que le ministre de l'intérieur avait retenu la totalité des préconisations de l'IGPN et avait demandé leur mise en oeuvre, notamment s'agissant du statut d'observateur.
Pour ce qui est des conséquences politiques, vos propos m'amènent à une réflexion : ils ne sont que le reflet d'une interprétation politique d'une situation, interprétation qui vous appartient. Je ne suis pas sûr que ce soit dans le cadre de cette audition que je puisse vous répondre. Peut-être faudrait-il que nous y revenions dans d'autres instances, à l'occasion d'un autre débat.
Ce que je sais, c'est qu'Alexandre Benalla était un chargé de mission identifié comme tel à la présidence de la République et qu'il a eu un comportement individuel inacceptable, qui ne met en aucun cas en cause la présidence de la République et la façon dont le Président de la République exerce son autorité.
M. François-Noël Buffet. - Premièrement, nous avons appris que, pendant sa période de suspension, M. Benalla avait été rémunéré. M. Crase l'a-t-il également été, « par parallélisme des formes » ?
M. Philippe Bas, président. - La question n'est pas malicieuse ! C'est une question de fait.
M. François-Noël Buffet. - Absolument ! C'est une question importante sur le fond. Deuxièmement, M. Benalla a fait l'objet d'une rétrogradation. Qu'en a-t-il été de Vincent Crase, toujours par parallélisme des formes ?
M. Christophe Castaner. - M. Crase a été suspendu de ses fonctions entre le 4 et le 18 mai. Cette suspension lui a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception. Son salaire, lui, n'a pas été suspendu.
Pour ce qui concerne la rétrogradation, je précise que, les fonctions de M. Crase n'étant pas tout à fait les mêmes que celles de M. Benalla, il m'était difficile de les réorganiser. En revanche, comme je l'ai dit tout à l'heure, M. Crase n'a plus fait aucun déplacement extérieur. De toute façon, il n'a jamais eu l'occasion de m'accompagner dans mes déplacements, je le répète. Ma sécurité personnelle est assurée par les officiers de sécurité mis à ma disposition en ma qualité de secrétaire d'État. Et faisons un sort aux fantasmes : toute personnalité politique ayant été accompagnée par des femmes ou des hommes armés dans l'intérêt de sa sécurité sait que ce n'est un plaisir pour personne ! J'ai fait l'objet d'une tentative d'attentat par un réseau terroriste, qui, depuis, a été démantelé - cinq personnes sont toujours en prison. Pour avoir été suivi, dans ma commune de Forcalquier, par des gens qui voulaient m'égorger, je peux vous dire que je préférerais un système où l'on n'aurait pas besoin d'officier de sécurité. J'y insiste, M. Crase n'a jamais été en charge de ma sécurité. Sa situation n'avait donc pas besoin d'évoluer.
M. Éric Kerrouche. - Vous avez déclaré, la semaine dernière, que les oppositions étaient la coalition de ceux « qui n'aiment pas l'État, de séditieux, de ceux qui rêvent d'une République affaiblie, avides de têtes qui roulent. » Cette audition et la qualité de nos débats vous rassurent-elles quant à nos intentions et à notre volonté d'aller vers une République plus transparente ?
M. Christophe Castaner. - Monsieur le sénateur, en préparant cette audition, vous avez sans doute pu lire la totalité du texte que vous citez sur mon compte Facebook. Certes, j'y évoque un rassemblement d'opposants - j'imagine que vous vous classez dans cette catégorie, le groupe politique auquel vous appartenez étant, du moins à l'Assemblée nationale, membre de l'opposition -, de séditieux, etc., mais ces différents éléments sont séparés par des virgules. Je ne considère pas que tous les opposants soient des séditieux, bien au contraire ! Je tiens à vous rassurer, si vous avez pu penser le contraire.
M. Philippe Bas, président. - L'urbanité que nous vous connaissons me faisait spontanément exclure cette hypothèse, mais il faut reconnaître que la phrase était ambiguë.
Mme Catherine Troendlé. - Monsieur le délégué général, pour avoir été membre actif du parti socialiste, vous ne pouviez bien évidemment pas ignorer que M. Montebourg avait demandé à M. Benalla de ne plus travailler pour lui, à la suite d'un comportement non recommandable. Dans un souci de transparence, mais également de sécurité, n'avez-vous à aucun moment signalé cette situation lorsque M. Benalla a été recruté dans le cadre de la campagne de M. Macron, puis à l'Élysée ?
M. Christophe Castaner. - Sauf erreur de ma part, je crois que personne ici, y compris ceux qui sont restés au parti socialiste, n'avait entendu dire que M. Montebourg avait renvoyé son chauffeur. C'est une information que M. Montebourg a révélée depuis. Mon statut de membre du parti socialiste, dépourvu de toute responsabilité nationale en son sein, ne m'amenait pas à connaître les décisions de ce genre que pouvait prendre un ministre.
Madame la sénatrice, vous avez indiqué que je ne pouvais pas ignorer cet événement. Je vous le dis : je l'ignorais totalement. Si j'en avais eu connaissance, je pense que je l'aurais signalé.
M. Jean-Luc Fichet. - Nous nous interrogeons tous sur l'amitié complice entre M. Benalla et M. Crase, qui a abouti au fait qu'ils se soient donné rendez-vous le jour du 1er mai pour voir comment se déroule une manifestation, observer les comportements des uns et des autres - l'un, avec le titre d'observateur, et l'autre, sans aucun titre -, et finalement, interpeller des manifestants et faire preuve à leur égard de la brutalité que nous avons pu voir sur les vidéos, sans que jamais personne ne les interroge.
Depuis le début de nos auditions, chacun nous dit, de manière constante : « on ne savait pas ». Autrement dit, on peut circuler entre les services comme entre les mailles d'un filet, et commettre des actions extrêmement graves.
Monsieur le délégué général, avez-vous été amené à interroger les services ou l'environnement du mouvement La République en Marche pour savoir si d'autres personnes avaient pu, à un moment ou à un autre, avoir des comportements similaires, en raison d'un certain sentiment d'impunité issu de l'impression que l'on est défendu par tous, lorsque l'on travaille pour les services du gouvernement ou de l'Élysée ?
M. Christophe Castaner. - À cette question subjective, je vais d'abord répondre de manière objective, en évoquant la révision du statut d'observateur. Vous avez raison : que M. Benalla se soit considéré comme invité, que beaucoup l'aient considéré comme tel, qu'il lui ait suffi de présenter M. Crase comme son collaborateur, en dehors de toute habilitation, pour que personne n'ose plus dire quoi que ce soit, c'est une anomalie. Il est important de mettre un terme à de telles pratiques. La mise en oeuvre des préconisations contenues dans le rapport de l'IGPN doit sécuriser les choses sur ce plan.
Vous avez également évoqué des comportements qui ne sont pas des interventions en tant que telles. J'ai en tête les propos du préfet Michel Delpuech, selon lequel nombre de ceux qui ne connaissaient pas M. Crase et l'ont vu intervenir aux côtés des forces de l'ordre ont pensé qu'il était un policier et que sa participation était, par là même, légitime, même si l'on peut considérer que les conditions de son intervention étaient disproportionnées. Cela montre que tout doit être revu.
Quant à savoir si je me suis questionné sur l'existence d'un risque de dérives au sein de La République en Marche, je ne l'ai fait qu'a posteriori, parce que je ne pensais pas que ce risque pouvait exister.
Après le 18 juillet, dès le lundi suivant, j'ai réuni l'ensemble des salariés pour leur dire que notre maison devait être totalement transparente, notamment dans le cadre de l'enquête judiciaire qui pouvait conduire à des interventions de la justice au sein du siège. J'ai indiqué à chacun qu'il fallait se préparer à assurer toute la transparence sur ces sujets. En outre, j'ai demandé si d'autres personnes, dans la maison, pouvaient avoir un statut double, comme celui de gendarme réserviste. Il m'a été répondu que ce n'était pas le cas.
M. Alain Richard. - Je veux simplement faire une suggestion pour le travail de la commission. Comme chacun de ses membres, je ne suis là que pour la manifestation de la vérité. C'est la première fois qu'il est fait mention de l'écho de presse suivant lequel M. Benalla était chauffeur de M. Arnaud Montebourg lorsque celui-ci était ministre du redressement productif à Bercy. J'ai beaucoup de difficulté à imaginer que quelqu'un qui n'était pas fonctionnaire ait pu être chauffeur d'un ministre de Bercy.
M. Philippe Bas, président. - Cette remarque est judicieuse. Je me propose de demander à M. Montebourg si cette information est réelle et, si les faits sont établis, ce qu'il a fait ensuite.
M. Christophe Castaner. - Je veux apporter une précision. Actuellement, deux jeunes femmes salariées de La République en Marche sont engagées dans la réserve de la gendarmerie, ce que j'ignorais. Toutefois, ces personnes assurent des fonctions administratives et n'ont aucun lien avec la réserve de la gendarmerie de la présidence de la République ni même, me semble-t-il, avec celle de la garde républicaine.
M. Christian Cambon. - Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait part de l'émotion qu'ont suscitée ces événements et de l'importance que vous y attachiez. Or, parallèlement, on a l'impression que, parmi les autres responsables de La République en Marche, notamment parmi les députés qui s'expriment régulièrement depuis quelques jours, la consigne est de minimiser les faits. Les mêmes éléments de langage sont répétés à l'envi. L'expression « 150 tonnes de mousse avec 15 grammes de savon » a sûrement été pensée quelque part, puisqu'on l'entend partout. La manière dont le travail d'enquête a été conduit par vos amis, à l'Assemblée nationale, montre aussi la volonté d'étouffer l'affaire. Vous-même, dans une formule assez lapidaire, avez qualifié M. Benalla de « bagagiste ». C'était au moment de la Coupe du monde.
Votre sentiment, en tant que délégué général de La République en Marche, se modifie-t-il à la faveur des investigations du Parlement, singulièrement de cette commission d'enquête, qui ne cesse, sous l'autorité de son président Philippe Bas et de ses rapporteurs, de montrer les incohérences et les dérèglements dont témoigne cette affaire ?
Alors que nous sommes à la veille d'une réforme constitutionnelle importante, considérez-vous, à rebours de l'impression que peuvent donner les différentes déclarations, que le rôle du Parlement, singulièrement celui du Sénat, est important pour équilibrer les institutions et faire la lumière sur les affaires d'État, par respect pour l'opinion publique ?
M. Philippe Bas, président. - La question s'adresse aussi un peu au secrétaire d'État chargé des relations au Parlement...
M. Christian Cambon. - Certes, mais la position d'En Marche m'intéresse beaucoup !
M. Christophe Castaner. - Monsieur le sénateur, vous avez le sentiment que certains ont voulu minimiser les événements. De mon côté, j'ai l'impression que certains tendent à les exagérer quand ils les qualifient d'« affaire d'État ». Tout cela est subjectif. Compte tenu de mon référentiel, je considère qu'il ne s'agit pas d'une affaire d'État, et je n'ai pas l'impression de minimiser les choses en le pensant. On voit comme le positionnement politique peut amener à porter un regard différent sur les mêmes faits.
Vous avez déclaré que j'aurais qualifié M. Benalla de « bagagiste ». Je tiens à rappeler les propos que j'ai tenus précisément.
Dès le 19 juillet, alors que peu de personnes s'étaient exprimées sur l'affaire, j'ai évoqué les événements à la télévision, parce que je n'ai jamais cherché ni à fuir une quelconque responsabilité ni à minimiser la gravité des événements. D'ailleurs, je suis la première personnalité de La République en Marche à s'être rendue sur un plateau de télévision pour évoquer les faits. Or, quand la journaliste m'a interpellé, elle a utilisé un mot qui n'était pas à la hauteur de leur gravité. Ma première intervention a consisté à la corriger, non pas pour lui donner une leçon de sémantique, mais pour que les événements soient qualifiés à la hauteur de l'émotion que m'avait inspirée leur gravité.
Lors d'une autre émission, diffusée le matin sur BFMTV et RMC, j'ai déclaré : « Je ne suis pas l'employeur de cette personne et je ne sais pas quelles étaient ses missions. J'ai entendu dire qu'il était en charge de la logistique, notamment des bagages. » Voyez comme votre restitution de mes propos est caricaturale ! Or cette version caricaturale a été abondamment relayée par certains.
Au demeurant, ce raccourci est insultant, notamment pour les agents du groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR, qui, lors des voyages officiels, sont aussi en charge de la logistique et de bagages. D'ailleurs, comme cela a été évoqué au cours de certaines auditions, il conviendrait de réfléchir à l'éventualité d'une meilleure organisation. De fait, je considère que les membres du GSPR ne devraient pas avoir pour rôle de gérer les bagages des délégations officielles.
Enfin, sur un plan plus politique, s'il y a une personne qui, ici, assume l'importance du bicamérisme, dans le sens, d'ailleurs, des propos que le Président de la République a tenus tout récemment au Congrès, c'est bien moi ! En effet, en ma qualité de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je connais la particularité de votre approche et la responsabilité que vous incarnez, pour les côtoyer au quotidien. Je n'ai aucun doute sur ce sujet.
Les propositions de modification constitutionnelle, qu'une partie de l'Assemblée nationale a décidé de bloquer dans le courant du mois de juillet, ne visent en aucun cas à minimiser le rôle de l'Assemblée nationale ou du Sénat. Il s'agit, au contraire, de trouver la meilleure fluidité possible. Dans leurs échanges, le Président de la République, le Premier ministre et le président du Sénat Gérard Larcher ont toujours été d'accord pour que le Président de la République soit le garant de l'importance du bicamérisme et pour que les chefs de l'État et du Gouvernement soient à l'écoute de celui-ci et le mettent en oeuvre. Le bicamérisme est un fondement même de notre Constitution, qui, comme l'a rappelé le président Philippe Bas, est certainement le meilleur rempart pour la protection des libertés publiques.
M. Philippe Bas, président. - Monsieur le délégué général, j'ai senti que, autour de vous, on approuvait vos derniers propos sans réserve !
M. Christophe Castaner. - Je n'en suis pas surpris !
M. Antoine Lefèvre. - Monsieur le délégué général, vous avez évoqué un audit interne concernant la sécurité. Savez-vous si M. Crase a été dirigeant d'une société privée de sécurité ou s'il détient des parts dans une société de même type, puisque l'on a évoqué un refus d'agrément ?
M. Christophe Castaner. - Je ne dispose pas d'informations sur la demande d'agrément en tant que responsable d'entreprise, comme je l'ai précisé tout à l'heure.
Je sais que, pendant la campagne électorale, M. Crase a été rémunéré pour des prestations réalisées sous le statut d'auto-entrepreneur. Voilà le seul statut que je lui connaisse dans ce cadre et à ce moment.
Mme Dominique Vérien. - Quand avez-vous eu connaissance du refus d'habilitation de M. Crase ? Celui-ci ne devait-il pas faire jouer la clause d'exclusivité que vous avez évoquée à propos de son contrat de travail, le fait de demander une habilitation pour une présidence de société pouvant impliquer l'existence de deux emplois ?
Si je vous ai bien compris, c'est en tant qu'auto-entrepreneur que M. Crase a été prestataire lors de la campagne ?
M. Christophe Castaner. - Je vous le confirme, au vu des informations dont je dispose et sur la base des factures que j'ai pu voir. Je n'ai eu connaissance du refus d'agrément qu'hier soir, lors de la parution en ligne de l'article qui est sorti ce matin en format papier. Il semble que M. Crase n'a à aucun moment informé ni sa hiérarchie ni les ressources humaines de sa volonté de créer une entreprise.
Mme Éliane Assassi. - Vous êtes auditionné ce matin en votre qualité de délégué général de La République en Marche, mais chacun sait ici que vous êtes membre du Gouvernement, chargé des relations avec le Parlement. C'est d'ailleurs avec cette « casquette » que vous avez répondu à un certain nombre de questions ce matin.
À la faveur de l'affaire qui nous occupe, ne pensez-vous pas qu'il serait utile, voire nécessaire, au nom de la démocratie et de la transparence, de s'interroger sur la possibilité d'être à la fois premier responsable d'une formation politique et membre d'un gouvernement, quel qu'il soit ?
M. Christophe Castaner. - Non, je ne le pense pas. À mes yeux, il n'est pas honteux qu'un ministre, quels que soient ses choix, veuille faire de la politique. Le fait d'être ministre ne doit pas être un handicap.
Vouloir dépolitiser la fonction ministérielle en considérant qu'elle serait incompatible avec les fonctions de responsable d'un parti politique, même exercées à titre bénévole - contrairement à d'autres partis, La République en Marche ne considère pas que cet engagement doive être rémunéré - et, pourquoi pas, avec un mandat de parlementaire ou de maire ne me semble pas une bonne approche.
Dans mes fonctions de secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je pense n'avoir jamais orienté mes choix en fonction d'une appétence politique. J'ai toujours recherché un meilleur fonctionnement de nos institutions, notamment des relations entre le Gouvernement et le Sénat - je n'y arrive pas toujours parfaitement, comme on a pu me le reprocher lors de la dernière réunion de la conférence des présidents.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - J'avoue rester un peu sur ma faim s'agissant du caractère approprié de la sanction des agissements de M. Crase, que vous qualifiez d'extrêmement graves. Si j'ai bien compris, celui-ci a simplement été dispensé de travailler pendant quinze jours, tout en restant rémunéré. Je n'y reviendrai pas, puisque vous vous êtes longuement expliqué sur ce point.
Ma question s'adresse plutôt au secrétaire d'État, puisque vous allez reprendre ces fonctions dans quelques instants. Elle rejoint l'intervention de Christian Cambon. Vous savez que nous nous soucions de la réalité de la sanction de M. Benalla, notamment de la nature de la rétrogradation dont il a fait l'objet. Nous l'avons vu dans le car qui a conduit l'équipe de France de football sur les Champs-Élysées, ce qui a étonné tout le monde. Dans les circonstances que vous avez indiquées, vous avez déclaré avoir « entendu dire » qu'il s'occupait de la logistique - je vous rassure, c'est ce que tous les membres de cette commission avaient compris.
Cela signifie-t-il que vous vous êtes enquis de savoir ce qu'il faisait dans ce bus et que vous vous êtes vous-même inquiété ou que vous avez vous-même été surpris de le voir exercer de telles fonctions ? En toute hypothèse, qui vous a donné cette information ?
M. Christophe Castaner. - Comme secrétaire d'État, il ne m'appartient pas de répondre sur l'évolution du poste d'un chargé de mission à l'Élysée, qui relève de l'organisation interne de l'Élysée, d'autant que, comme je l'ai dit lors de l'interview que j'ai évoquée, je ne disposais d'aucune information concernant M. Benalla, n'étant pas son employeur.
La petite polémique déclenchée par l'utilisation du mot « bagagiste » m'ayant légèrement agacé, j'ai cherché l'origine de cette information. Pour être honnête, je n'ai pas retrouvé par qui je l'avais « entendu dire ». Sinon, je l'aurais immédiatement retweetée, pour me protéger des moqueries dont j'ai fait l'objet. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes face à des faits graves, inadmissibles, inacceptables. Il y a peut-être même une seconde affaire Benalla, d'autres faits ayant peut-être été commis le même jour.
La République en Marche a prononcé des sanctions ; vous en avez parlé. L'Élysée a prononcé une mise à pied, avec des conséquences en matière de retenue sur congés. Or, une fois la mise à pied terminée, cette personne est redevenue visible lors d'événements extrêmement sensibles, comme le transfert des cendres de Simone et d'Antoine Veil au Panthéon, très symbolique dans notre République, ou l'arrivée des Bleus. Elle l'a également été, le 14 juillet, sur la tribune officielle. N'aurait-il pas été tout simple d'exfiltrer M. Benalla en le déchargeant de toutes ses responsabilités après les quinze jours de mise à pied ? N'est-il pas choquant, vis-à-vis des gendarmes, qu'il apparaisse ainsi publiquement, y compris à Roissy ?
On peut faire une lecture très simple des événements : si quelques journalistes ne s'y étaient pas intéressés et si une information n'avait pas été livrée, on aurait cherché à étouffer l'affaire. En effet, les sanctions véritables ont été prononcées bien plus tard. Le problème principal est que la justice n'a pas été saisie : elle s'est saisie elle-même. Quel est votre sentiment sur ce point ?
M. Christophe Castaner. - J'ai tenté de répondre aux questions de votre commission d'enquête par des faits. Je souhaite aujourd'hui, devant vous, en rester aux faits, ce qui me paraît essentiel. Il y a d'autres lieux pour exprimer des sentiments ou faire des commentaires.
M. Philippe Bas, président. - Nous ne vous en ferons pas reproche !
M. François-Noël Buffet. - Monsieur le délégué général, M. Vincent Crase était un réserviste actif de la gendarmerie et travaillait avec l'Élysée. Vous nous avez indiqué tout à l'heure que La République en Marche comptait deux autres réservistes. Devant l'Assemblée nationale, le général Bio-Farina a indiqué qu'une autre personne venant de La République en Marche était réserviste au sein de l'Élysée. Pouvez-vous nous dire si vous connaissez cette personne ? Est-ce l'une des deux personnes que vous avez citées tout à l'heure ?
M. Christophe Castaner. - Je répète que nous n'avons aucune trace de cette personne, dont j'ai découvert la possible existence lors de l'audition. Je ne saurais être plus franc ! Nous allons creuser cette question. Deux autres personnes, deux jeunes femmes, font partie de la réserve, sans être liées à la présidence. Je communiquerai leurs noms au président à la suite de cette audition - je ne préfère pas les citer publiquement, car leur engagement est privé. Je vous transmettrai également l'organigramme, ainsi que la lettre de notification de la sanction. Nous vous communiquerons avec diligence les autres pièces dont vous pourriez avoir besoin, monsieur le président.
M. Philippe Bas, président. - Il me reste à vous remercier, monsieur le délégué général, monsieur le secrétaire d'État, de votre coopération avec la commission des lois.
Mes chers collègues, il s'agissait de la dernière des auditions de ce cycle. Nous reprendrons nos travaux sur ce sujet à la rentrée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 9 h 40, est reprise à 9 h 55.
Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes - Examen d'un amendement au texte de la commission mixte paritaire
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement du Gouvernement n° 1, qui est rédactionnel.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
La commission donne l'avis suivant :
Projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - En première lecture, le Sénat a largement réécrit ce texte en élaborant un contre-projet plus cohérent, et en abordant l'ensemble des sujets migratoires que sont l'asile, les politiques d'intégration et la lutte contre l'immigration irrégulière.
Ainsi, en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, nous avons renforcé les peines complémentaires d'interdiction du territoire, réduit le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires, réorganisé la durée de la rétention administrative, interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille.
S'agissant du droit d'asile, nous avons maintenu à 30 jours le délai de recours contre une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
S'agissant de l'immigration étudiante, nous avons aussi réintroduit la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.
En matière d'intégration, nous avons prévu un investissement renforcé dans les cours de français et amélioré les dispositifs d'insertion sur le marché de l'emploi des étrangers en situation régulière.
Enfin, nous avons souhaité soutenir les collectivités territoriales, en proposant d'insérer les places d'hébergement des demandeurs d'asile dans le décompte des logements sociaux de la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU), et en créant un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l'issue de leur évaluation par un département.
Malgré le dialogue constructif que nous avions engagé avec l'Assemblée nationale, la commission mixte paritaire du 4 juillet dernier n'a pas pu parvenir à un accord.
Je regrette néanmoins que le texte adopté par les députés en nouvelle lecture ne prenne que très peu en compte les préoccupations majeures exprimées par le Sénat.
Malgré tout, il y a quelques points d'accord : le maintien à 30 jours du délai de recours devant la CNDA et l'adaptation du droit du sol à Mayotte, deux mesures introduites par le Sénat ; ainsi que la création d'un fichier comportant les empreintes digitales et une photographie des étrangers se présentant comme des mineurs non accompagnés.
Néanmoins, le texte transmis au Sénat en nouvelle lecture constitue, à mon sens, une véritable occasion manquée pour la politique migratoire de notre pays.
Des désaccords majeurs persistent notamment sur les modalités d'organisation de la rétention administrative. Le séquençage adopté par l'Assemblée nationale est en effet à la fois peu protecteur pour les étrangers et très contraignant pour l'autorité administrative et les tribunaux. En outre, le texte adopté par l'Assemblée nationale permettrait de placer en rétention un mineur accompagnant sa famille pendant 90 jours, alors que nous avions, au Sénat, instauré un « plafond » de 5 jours.
De même, nous avons pu constater un certain manque de considération pour l'action des collectivités territoriales en faveur de l'accueil des demandeurs d'asile, alors que le Sénat avait adopté plusieurs mesures visant à les soutenir.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté deux mesures clairement contraires à la règle de « l'entonnoir », résultant de l'article 45 de la Constitution : il s'agit de la suppression du rôle de coordination des centres provisoires d'hébergement (CPH) en matière d'intégration des réfugiés, à l'article 9 bis du projet de loi, et d'une habilitation à légiférer par ordonnance pour réformer le contentieux du droit d'asile devant les juridictions administratives et créer des procédures d'urgence devant la CNDA, à l'article 27.
Par conséquent, je vous propose de déposer au nom de la commission une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable, ce qui conduirait le Sénat à rejeter le texte transmis par l'Assemblée nationale, afin que celle-ci porte l'entière responsabilité de son contenu et sachant que rien ne permet d'augurer la moindre perspective d'amélioration.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous comprenons les contraintes d'agenda et d'organisation du travail parlementaire, mais nous ne partageons pas cette volonté de ne pas débattre du fond des désaccords qui existent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Certaines dispositions adoptées par notre assemblée mériteraient d'être de nouveau soutenues !
De même, il ne faut pas théâtraliser les désaccords entre chacune des majorités des deux chambres : l'esprit du texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale n'est pas très différent de celui que lui avait transmis le Sénat. Ainsi, je constate que les avancées obtenues grâce au groupe Socialiste et républicain ont été supprimées, tout comme les marqueurs habituels du groupe Les Républicains en matière de quotas migratoires. Sur le fond, je pense, qu'en l'absence de désaccord entre la majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale sur la politique d'asile et d'immigration, cela ne doit pas beaucoup vous déranger de laisser le dernier mot à l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président. - Il me semblait pourtant, cher collègue, que votre groupe avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable en première lecture...
M. Jean-Yves Leconte. - En juin dernier, nous avons débattu de l'opportunité de ce projet de loi, sachant que les négociations européennes en cours nous conduiraient certainement à adopter des mesures de transposition.
À l'époque, nous avions considéré qu'il n'y avait pas lieu de modifier la loi, la question étant avant tout celle des moyens de la politique migratoire.
Dès lors qu'une nouvelle loi est en passe d'être adoptée, il faut en discuter jusqu'au bout, et en particulier de ses aspects les plus néfastes.
En outre, la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 juillet dernier sur le principe de fraternité doit être prise en compte au regard de la suppression du délit de solidarité. Il serait regrettable que le Sénat ne participe pas à cette réflexion...
M. Alain Richard. - Notre groupe ne partage pas tout à fait la position du rapporteur sur la prise en compte par l'Assemblée nationale des améliorations apportées par le Sénat : en particulier, les mesures en matière de gestion des procédures d'immigration ont été reprises.
Nous comprenons qu'il soit recouru à la procédure de la question préalable, afin d'éviter une « lecture pour rien », chacun ayant réfléchi à sa position. L'Assemblée nationale n'aurait en effet guère de raisons de retenir davantage de mesures adoptées par le Sénat.
S'agissant de la procédure, la demande d'habilitation à légiférer par ordonnances pour revoir les règles contentieuses devant la CNDA ayant été longuement débattue en séance publique, la règle de « l'entonnoir » pourrait ne pas s'appliquer, même si, finalement, le Sénat a refusé cette habilitation.
M. Philippe Bonnecarrère. - Notre groupe comprend la préoccupation du rapporteur. En revanche, cette question préalable nous attriste pour deux raisons : d'une part, le texte améliore le droit existant ; d'autre part, nous étions dans l'idée non pas de présenter un contre-projet, mais de faire aboutir une réforme du droit d'asile et de la politique d'immigration compréhensible par nos concitoyens et permettant un meilleur fonctionnement de nos institutions. Nous avons également souligné les aspects européens de cette question.
L'échec de la commission mixte paritaire rend plus complexe la lecture des dispositions prévues dans ce projet de loi et seuls les extrêmes y trouveront satisfaction.
Notre groupe, à l'exception d'une dizaine d'entre nous, sera majoritairement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable. Néanmoins, je pense qu'aucun des groupes de notre assemblée n'est prêt à assumer une nouvelle lecture et n'a préparé tous les amendements utiles à cette fin.
M. Philippe Bas, président. - Vous souhaitiez vivement, M. Philippe Bonnecarrère, un accord en commission mixte paritaire, espérant que le vote par votre groupe d'un certain nombre de dispositions aurait permis à la négociation d'avoir lieu dans de bonnes conditions pour le Sénat, ce qu'ont empêché les décisions politiques qui ont été prises. J'entends également que vous ne souhaitez pas faire obstacle à la question préalable, même si votre groupe y est majoritairement défavorable...
M. Jean-Pierre Sueur. - Je souscris aux propos de M. Jean-Yves Leconte. Au nom de mon groupe, j'avais défendu en première lecture une motion tendant à opposer la question préalable parce que ce texte ne nous semblait pas utile, ce qu'a d'ailleurs souligné le Conseil d'État, précisant qu'aucune des lois précédemment adoptées en 2015 et en 2016 n'avait été évaluée. En outre, ce projet de loi ne prend pas en compte les questions européennes, d'intégration, etc.
Nous avons là affaire à une « question préalable de confort ». Tous ceux qui la voteront ne partagent pas forcément les mêmes idées sur le sujet. Par ailleurs, je m'inquiète de l'évolution du rôle institutionnel du Sénat. Sur des textes comme celui-ci, il est recouru constamment à la procédure accélérée, alors que, voilà quelques années, le Sénat y aurait consacré deux semaines en première lecture, avec ensuite deux lectures avant la réunion de la commission mixte paritaire. Pour notre part, nous avons déposé 29 amendements pour cette nouvelle lecture et pensons qu'il est utile de poursuivre le débat.
Si nous avions un mode de fonctionnement plus apaisé, l'Assemblée nationale pourrait reprendre les amendements adoptés par le Sénat en nouvelle lecture. Nous nous privons ainsi de la possibilité de faire valoir nos positions après la commission mixte paritaire. C'est pourquoi, dans le cadre de la révision constitutionnelle, nous sommes très attentifs à la procédure qui sera prévue après la commission mixte paritaire.
M. Philippe Bas, président. - Il est prévu que la session extraordinaire se termine demain.
En inscrivant l'examen de ce texte à notre ordre du jour de cet après-midi, le Gouvernement ne nous laisse guère de choix. Cet ordre du jour prioritaire nous contraint à des procédures exagérément rapides.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je le réprouve !
M. Philippe Bas, président. - Je rappelle que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a aussi été examinée sous le régime de la procédure accélérée. On peut donc toujours changer de point de vue d'une année à l'autre !
M. Jean-Pierre Sueur. - Je veux être objectif : la dérive tendant à une quasi-généralisation de la procédure accélérée ne date pas de ce Gouvernement, elle a largement pris corps lors du quinquennat précédent, pour devenir systématique. Auparavant, il y a 10, 15 ou 20 ans, elle était beaucoup plus rare. Ainsi, le projet de loi constitutionnelle est le seul, depuis une année, à être examiné selon la procédure normale ! Et en inscrivant ce texte l'avant-dernier jour de la session extraordinaire, le Gouvernement présuppose le dépôt d'une motion de procédure. Mais nous pourrions faire le choix de mener le débat, auquel cas ce texte ne serait pas adopté au cours de cette session.
M. Alain Richard. - Je précise que nous comprenons les raisons pratiques et de cohérence qui guident le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, mais que nous nous abstiendrons.
EXAMEN DE LA MOTION TENDANT À OPPOSER LA
QUESTION PRÉALABLE
ET DES AMENDEMENTS
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous avons tous regretté l'engagement de la procédure accélérée sur ce texte très important. En outre, les débats à l'Assemblée nationale et les choix retenus par nos collègues députés ont montré les divergences entre nos deux assemblées. Tout espoir d'accord ultime paraît vain et, compte tenu de ces désaccords profonds, il ne nous paraît pas utile d'aller plus loin. Ainsi, à titre d'illustrations, notre souhait de transformer l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence n'a pas été retenu ; de même que n'a pas été retenue notre proposition de systématiser la peine d'interdiction judiciaire du territoire, sauf décision contraire du juge.
Par ailleurs, la règle de « l'entonnoir » ne s'applique pas si les dispositions proposées sont en relation directe avec des dispositions intégrées au texte de première lecture et restant en discussion. Tel n'est pas le cas pour les deux dispositions litigieuses aux articles 9 bis et 27 du projet de loi que nous considérons avoir été adoptées en méconnaissance de l'article 45 de la Constitution. S'agissant de l'habilitation à légiférer par ordonnances pour réformer le contentieux de l'asile, si ces dispositions ont bien été débattues en première lecture, elles n'ont pas été adoptées et donc a fortiori pas été intégrées au texte de première lecture. Aucune disposition restant en discussion ne permettait donc de les réintroduire en nouvelle lecture. Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable.
La motion est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi ; les amendements deviennent satisfaits ou sans objet.
Le sort des amendements examinés par la commission des lois est retracé dans le tableau suivant :
Questions diverses
Mme Brigitte Lherbier. - Je veux profiter de l'occasion pour vous remercier, monsieur le président, d'avoir conduit comme vous l'avez fait les travaux de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla. Nous n'en entendons que du bien dans nos départements.
M. Philippe Bas, président. - Je remercie chacun de son assiduité, en particulier nos deux rapporteurs.
La réunion est close à 10 h 25.
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Dépouillement simultané, au sein des commissions des lois des deux assemblées, des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Raphaël Alventosa aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques
M. Loïc Hervé et Mme Agnès Canayer sont désignés en qualité de scrutateurs.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Raphaël Alventosa aux fonctions de médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
- Nombre de suffrages exprimés : 12
La réunion est close à 14 h 20.
Mercredi 1er août 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements - Échange de vues
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, je vous remercie d'assister à cette réunion au lendemain de la fin de la session extraordinaire pour ce qui concerne l'ordre du jour du Sénat. Il me semblait que nous ne pouvions pas nous séparer sans évoquer les travaux de la mission d'information que nous avons créée il y a une dizaine de jours. Nos travaux se poursuivront à la rentrée, mais il est intéressant que nous ayons d'ores et déjà un échange de vues.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - En effet, nous n'en sommes pas encore au stade des conclusions, mais nos auditions nous ont permis d'y voir plus clair sur les événements qui se sont déroulés le 1er mai 2018 et sur les agissements de MM. Benalla et Crase. Il reste des zones d'ombre et des questions, notamment sur les relations entre l'Élysée, le ministère de l'intérieur et la préfecture de police de Paris. Je le redis, nous en sommes davantage au stade des interrogations que des conclusions.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je souhaite tout d'abord me féliciter des conditions dans lesquelles nous avons pu travailler et mener les auditions. Cette commission d'enquête n'est ni un tribunal ni un lieu où se mène un combat politique. Nous avons la responsabilité commune de trouver la vérité et de formuler des observations et des propositions. Je me réjouis que de nombreux collègues aient pu s'exprimer durant les auditions et poser des questions, et que cela n'ait pas débouché sur des oppositions de nature politique.
Je remarque ensuite que, sous l'impulsion du président Bas, nos auditions ont été publiques. Pour le Sénat, c'est une évolution. Il est clair que les temps ont changé. Nous n'aurions pas pu mener ce travail à huis clos dans le monde d'aujourd'hui, même s'il est parfois un peu saturé d'informations, voire de bavardages...
En ce qui concerne la liste des auditions, je crois que nous ne devons rien nous interdire. C'est un processus ouvert, même si nous devons encore réfléchir plus précisément. Par ailleurs, je crois que nous avons eu raison de ne pas fixer de date limite à nos travaux.
Avant d'aller de l'avant, il nous faut relire les comptes rendus des auditions qui ont déjà eu lieu pour mettre à jour les éventuelles lacunes, carences ou contradictions. Nous devons surtout regarder objectivement la réalité des faits. À ce stade, il me semble que trois axes de travail se dégagent.
Tout d'abord, la sécurité du Président de la République et des hautes personnalités. Nous devrons notamment évaluer le rôle et la place du ministère de l'intérieur en la matière.
Ensuite, la question des observateurs auprès des forces de police et de gendarmerie. Il est difficile d'accepter le caractère informel du processus actuel. Nous devrons nous interroger sur le contrôle et la tutelle pertinente qui doivent être exercés.
Enfin, la chaîne de transmission de l'information à l'intérieur de la police, en particulier entre le ministère et la préfecture de police de Paris. Il aurait tout de même été normal que le ministre de l'intérieur et le préfet de police aient été tenus au courant des événements dès le 1er mai.
Ce sont quelques points qui me semblent devoir être examinés, mais la liste n'est pas exhaustive. Nous devons en tout cas nous détacher des aspects émotionnels, événementiels, pourrais-je dire, de la mission qui nous a été confiée, afin de répondre à ces sujets de fond.
M. Alain Richard. - Cette réunion est un point d'étape de la nécessaire objectivation des questions que nous nous posons : existe-t-il une police parallèle ? Est-ce que des missions de police ou de protection sont exercées par d'autres que ceux qui ont été désignés pour cela ?
Nous devons aussi nous interroger sur le fonctionnement des chaînes hiérarchiques, y compris au sein de la présidence de la République. D'ailleurs, le Président de la République a lui-même demandé au secrétaire général de l'Élysée de travailler à une révision des structures actuelles.
Que devons-nous encore chercher ? M. Benalla était-il présent à des endroits ou à des réunions où il n'aurait pas dû être ? À ce stade, nous savons qu'il était présent, de manière fautive, à la réunion d'évaluation des manifestations du 1er mai à la préfecture de police. Est-ce que cela s'est produit à d'autres occasions et quelqu'un a-t-il fait remonter cette anomalie ?
En ce qui concerne le comportement de M. Benalla, la question de l'encadrement de ses fonctions se pose, et je crois que nous devrions auditionner le chef de cabinet de la présidence de la République.
Lors de son audition, le colonel Lavergne a évoqué le recrutement, à titre contractuel, d'un ancien agent du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) retraité de la gendarmerie. Cela m'a amené à m'interroger sur un autre sujet : quelles sont les procédures de recrutement pour entrer au service de la protection, le SDLP, et au groupe de sécurité de la présidence de la République, le GSPR ? N'y a-t-il qu'un seul point d'entrée ?
En ce qui concerne l'éventuelle audition de M. Benalla par notre commission, il semble que celui-ci ait envie de venir.
M. Philippe Bas, président. - C'est ce qu'il dit !
M. Alain Richard. - Je crois qu'une audition classique nous ferait très certainement, à un moment ou à un autre, franchir une ligne. C'est pourquoi je m'interroge pour savoir si nous ne pourrions pas plutôt lui adresser une série de questions écrites.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je m'associe aux félicitations collectives adressées par notre collègue Jean-Pierre Sueur. J'ai été assez surpris de constater l'impact, considérable, de nos auditions dans l'opinion publique et l'intérêt, inattendu, qu'elles ont suscité. Vous avez tous dû entendre de nombreux commentaires sur nos travaux, leur objectivité et pondération, dans vos départements. C'est un élément tout à fait intéressant dans la valorisation des travaux du Sénat.
S'agissant de la suite de nos travaux, le mieux étant l'ennemi du bien, je crois qu'il sera important de veiller à ne pas aller trop loin. L'audition de M. Benalla peut présenter des risques juridiques au regard des pouvoirs respectifs de la justice et de notre commission d'enquête. J'ai entendu la grande prudence de nos rapporteurs à ce sujet. Le comportement de M. Benalla, en soi, ne me paraît pas l'essentiel ; il semble relever plutôt du fait divers. Vous avez pris soin de placer notre approche sous le signe de l'article 20 de la Constitution. Si l'on devait aller plus loin, en voulant par exemple s'interroger sur une confusion des rôles ou un empiètement de l'Élysée sur le champ de compétences du Gouvernement, nous n'avons pas à franchir nous-mêmes les lignes de la séparation des pouvoirs, ce qui affaiblirait nos conclusions. Nous devons donc être très prudents à l'égard de certaines auditions très médiatiques, mais qui présentent des dangers. Nous allons suspendre nos travaux pendant un mois ; peut-être que de nouvelles informations surgiront d'ici là dans la presse... En résumé, je vous remercie, Monsieur le Président, Madame et Monsieur les rapporteurs, pour votre travail et invite notre commission à la modération et au respect de la séparation des pouvoirs.
M. Philippe Bas, président. - J'étais plutôt réticent au début à mener des auditions publiques. Finalement, je ne le regrette pas. Cela a été bénéfique pour le Sénat, car nous avons oublié que nous étions filmés et fait notre travail comme d'habitude. Nous avons ainsi donné à voir notre mode de fonctionnement, où chacun se respecte, tout en approfondissant les sujets.
Mme Catherine Troendlé. - Je tiens à vous dire toute la joie que je savoure lorsque je reçois des messages de félicitations de députés qui ignoraient le travail du Sénat ou le traitaient avec condescendance.
Ma première question concerne la séparation des pouvoirs. Nous avons appris que M. Benalla, comme d'autres conseillers, possédait un badge lui donnant accès à l'Assemblée nationale, pour prendre contact avec des députés, organiser des déplacements, etc. Était-ce justifié au regard de ses missions, même si, plus l'on avance dans les investigations, plus les missions de M. Benalla semblent larges ? La présidence de la République dispose de conseillers en charge des relations avec le Parlement. Est-il justifié que tous les conseillers puissent disposer d'un tel badge ?
Certains collaborateurs du Président de la République sont bien connus. Leur nom est publié au Journal officiel, avec leurs prérogatives. Mais la présidence compte aussi des chargés de mission, qui ne figurent nulle part. Nous avons obtenu qu'ils soient obligés de déposer une déclaration d'intérêts et de patrimoine. C'est le minimum ! Il serait bon aussi que nous connaissions clairement les missions des uns et des autres.
Ma seconde question rejoint celle d'Alain Richard : comment peut-il y avoir eu une rupture dans la transmission des informations entre la présidence et les ministères ? J'avais tendance à croire que les informations, jusque-là, circulaient très bien entre la présidence et les ministères. Mon expérience m'a montré que le ministère de l'intérieur et la préfecture de police entretiennent des relations étroites et directes. Il y a donc un flottement. Est-il dû à une volonté de réorganisation ? Il faut en tout cas faire en sorte que l'information circule, comme auparavant.
Enfin, lorsque l'on demande à la préfecture d'être observateur à l'occasion d'un événement, on doit donner ses coordonnées, signer une convention, et un tuteur est désigné... Les procédures sont très encadrées. Au nom de quoi certaines personnes pourraient-elles s'affranchir de cette réglementation ?
Mme Marie Mercier. - L'approche du Sénat dans cette commission d'enquête illustre son rôle pondérateur. Les auditions de notre commission d'enquête ont été empreintes de mesure et de modération. Tout était pesé au trébuchet.
L'Élysée possède de nombreux conseillers, dans tous les domaines. Il y a même un chef d'état-major particulier. La question est de savoir comment cet organigramme s'articule avec le Gouvernement. Comment comprendre les dysfonctionnements, alors que chacun devrait être « dans son rang », comme on dit en Bourgogne lors des vendanges ? Y a-t-il eu des querelles de personnes ?
M. Philippe Bas, président. - Selon la Constitution, le Président de la République a une compétence spécifique en matière diplomatique : il négocie et ratifie les traités. Il est aussi le chef des armées. Mais cette prééminence du Président de la République n'existe pas dans les autres champs d'action de l'État, du moins en droit.
M. Alain Richard. - Le chef d'état-major particulier a été créé bien avant la Ve République ! Il existait déjà sous Mac-Mahon.
M. Philippe Bas, président. - C'est vrai. Au fond, les institutions de la République n'ont pas changé depuis la IIIe République : il y a toujours un Président de la République, un Gouvernement, une Assemblée nationale et un Sénat. La République a des invariants. C'est le poids des différents pouvoirs et leur articulation qui ont varié. Sous la IIIe République, le Président de la République était déjà chef des armées et devait déjà signer et ratifier les traités, alors que, dans les faits, il était dépouillé de ses pouvoirs. À l'inverse, sous la Ve République, il les exerce au-delà de ce que les textes prévoient ! Si l'on veut réfléchir sur les pouvoirs distinctifs du Président de la République et du Gouvernement, il faut faire preuve de prudence, car tout n'est pas dans les textes.
M. Simon Sutour. - Je rejoins les propos de Catherine Troendlé sur les déclarations d'intérêts et de patrimoine des chargés de mission. L'audition du directeur de cabinet du Président de la République a été un véritable sketch : alors que François Pillet citait la loi, M. Strzoda répondait qu'il avait saisi le secrétaire général du Gouvernement... Si nous, parlementaires, ne déposons pas nos déclarations d'intérêts et de patrimoine, la sanction est immédiate. Certains conseillers du Président de la République figurent au Journal officiel, d'autres non, alors qu'ils ont parfois un pouvoir considérable. Il faut clarifier leur situation. Ils doivent se plier aux mêmes règles de transparence que les autres. Rien que pour cela, notre travail est utile.
Lorsque je suis devenu sénateur, Jacques Larché, ancien secrétaire général du Gouvernement, présidait la commission des lois. J'avais l'impression que notre institution avait perdu, au fil du temps, une partie de son influence. Cette commission d'enquête, à cet égard, est une bouffée d'oxygène. Les gens parlent de cette commission. Des journalistes m'ont contacté. Transformer la commission des lois en commission d'enquête était la meilleure des solutions, préférable à la création d'une commission temporaire ad hoc, dont les membres auraient été désignés par les groupes politiques. Chacun sait qu'il n'est pas toujours possible, faute de temps, d'assister aux réunions des structures temporaires.
Vous avez raison d'être prudents concernant l'audition de M. Benalla. Laissons passer l'été. Je trouve la suggestion d'Alain Richard intéressante. Finalement, la commission d'enquête va prendre la place que devait prendre la révision constitutionnelle, comme une sorte de pré-révision constitutionnelle.
M. Philippe Bas, président. - Ou alors, elle va s'y substituer...
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - La suggestion d'Alain Richard est très intéressante, mais il est probable que les réponses écrites de M. Benalla seront pesées au trébuchet avec un conseil juridique...
M. Philippe Bas, président. - Pas seulement juridique !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Ce n'est pas la même chose qu'une audition en direct.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avocate, je sais qu'il y a une grande différence entre interroger quelqu'un, lors d'une audience, en visioconférence ou directement, s'il est présent dans la salle. Nous pourrions aussi envisager d'entendre M. Benalla en lui posant des questions précises, rédigées à l'avance et validées auparavant par la commission. Je suis d'accord avec M. Bonnecarrère : il faut éviter de s'appesantir sur le fait divers.
En conclusion, je comprends de nos échanges que chacun admet que nos travaux ne sont pas terminés, qu'il reste des investigations à mener, dans le cadre de notre saisine, large, mais ciblée sur un éventuel dysfonctionnement institutionnel plus que sur un fait divers.
Mme Catherine Troendlé. - Vous avez annoncé une réflexion sur l'opportunité d'entendre M. Benalla. Qui décidera ? Selon quel calendrier ?
M. Philippe Bas, président. - La réflexion est ouverte. C'était aussi l'objet de cette réunion. Je vous propose d'en rester là pour le moment. Nos rapporteurs feront des propositions. Nous avons pris note de la suggestion d'Alain Richard. Nous annoncerons la suite de nos travaux lorsque nous nous réunirons de nouveau, à la rentrée.
La réunion est close à 9 h 50.