Mardi 24 juillet 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015-2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (nouvelle lecture) - Examen de l'amendement
M. Vincent Éblé, président. - Nous allons procéder ce matin à l'examen de l'amendement du rapporteur au projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, ratifiant l'ordonnance portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite directive « DSP 2 ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Je serai bref, car vous connaissez parfaitement le sujet.
À l'issue de notre débat la semaine dernière, j'avais proposé de présenter un amendement de séance pour rétablir l'article 1er ter A du projet de loi, dans sa rédaction issue des travaux du Sénat en première lecture, car je souhaitais interpeller le Gouvernement sur les garanties en cas d'accès non autorisé ou d'utilisation frauduleuse des données relatives aux services de paiement.
Au vu des différents engagements pris par le Gouvernement à ce stade, je vous propose un amendement d'appel. L'amendement FINC. 1 nous permettra d'entendre le Gouvernement, avec qui j'ai échangé et qui n'est manifestement pas enthousiaste à l'idée d'une lecture définitive à l'Assemblée nationale. Je lui ai dit que la position que nous adopterions en séance dépendrait très clairement de sa réponse sur cette question très spécifique. Je rappelle qu'il s'agit de l'épargne des Français et que des montants importants peuvent être concernés.
M. Marc Laménie. - Monsieur le rapporteur général, avez-vous une idée précise de ces montants ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Nous parlons de l'épargne - les livrets A, les livrets de développement durable, les livrets non réglementés, les livrets offerts par les banques, les contrats d'assurance sur la vie, les comptes à terme. Les montants en jeu sont sans commune mesure avec ceux des épargnants sur leur compte courant. Connaissant les chiffres de l'assurance-vie ou de l'épargne réglementée, vous en mesurez l'importance, même si le nombre de personnes utilisant les services de paiement que nous évoquons est pour l'instant marginal. En bref, les enjeux sont plus importants en termes de masse pour les comptes d'épargne que pour les comptes courants.
M. Rémi Féraud. - Nous voterons cet amendement. Il est important, pour des raisons de principe, le Gouvernement n'ayant pas véritablement cherché la solution qu'il s'était engagé à trouver. Une dernière lecture à l'Assemblée nationale ne devrait pas poser de difficulté, l'ordre du jour ayant visiblement été allégé pour les jours qui viennent...
L'amendement FINC. 1 est adopté.
La réunion est close à 10h20.
Mercredi 25 juillet 2018
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Contrôle budgétaire - Réseau de l'enseignement français à l'étranger - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Le premier point de notre ordre du jour appelle une communication de nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud, co-rapporteurs spéciaux pour la mission « Action extérieure de l'État », sur le réseau de l'enseignement français à l'étranger. J'en profite pour saluer la présence parmi nous ce matin de notre collègue Claude Kern, rapporteur pour avis de ces mêmes sujets pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
M. Vincent Delahaye. - L'enseignement français à l'étranger représente un part non négligeable des crédits consacrés à l'action extérieure de l'État : 455 millions d'euros sur 3 milliards d'euros environ. Nous avons décidé d'opérer ce contrôle pour plusieurs raisons. Tout d'abord, notre commission des finances avait demandé à la Cour des comptes en 2015 de réaliser une enquête portant sur le réseau de l'enseignement français à l'étranger. Il s'agit d'examiner la suite donnée à ces préconisations. En outre, l'année dernière, l'annulation de dernière minute au cours de l'été de 33 millions d'euros de crédits pour l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) a suscité beaucoup de débats avec une vague de contestation au sein des lycées français à travers le monde et parmi les parents d'élèves.
Enfin, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé vouloir doubler le nombre d'élèves présents dans le réseau d'ici 2030. Ce dernier a-t-il les moyens de ces ambitions ?
M. Rémi Féraud. - Le réseau de l'enseignement français à l'étranger compte 350 000 élèves environ, dont un tiers sont français, et deux tiers n'ont pas la nationalité française. Ces élèves sont répartis dans 492 établissements présents dans 150 pays. La colonne vertébrale de ce réseau est assurée par un opérateur de l'État, l'AEFE. Cet organisme public a été créé par la loi en 1990. Il a été placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
D'autres organes associatifs sont aussi parties prenantes du réseau, comme la Mission laïque française. Toutefois, l'AEFE reste le principal opérateur. Le ministère de l'éducation nationale est associé aux missions de l'AEFE. Il participe au conseil d'administration. Surtout, il homologue les établissements, pour s'assurer du respect des programmes scolaires et des critères de scolarisation. En outre, il valide les détachements des enseignants issus de l'éducation nationale auprès de l'AEFE. Cela en fait un système complexe à appréhender. Il nous a fallu du temps pour rencontrer tous les acteurs. Les établissements du réseau ne constituent pas un ensemble uniforme. Ils sont régis par trois statuts très différents : les établissements en gestion directe, qui sont au nombre de 74 et qui sont gérés avec un pilotage resserré de l'AEFE. Nous avons aussi les établissements conventionnés avec l'AEFE, et enfin, il y a les établissements partenaires. À ces trois différents statuts correspondent des degrés d'autonomie divers avec l'Agence, ce qui se traduit par des relations financières et juridiques plus ou moins étroites. Seuls les deux premiers statuts permettent de bénéficier de personnels détachés, essentiellement du ministère de l'éducation nationale, et seuls les établissements en gestion directe voient leurs frais de scolarité fixés directement par l'AEFE.
Il existe également une grande diversité des statuts du personnel : il y a d'abord les personnels détachés de l'éducation nationale, qu'ils soient enseignants ou personnels administratifs. Ils sont répartis entre deux catégories : les expatriés qui ont une durée de contrat limitée, et qui pour la plupart sont proviseurs ou directeurs administratifs et financiers des établissements en gestion directe. Ils peuvent aussi être des enseignants à mission de conseil pédagogique pour le second degré. L'autre statut est celui des résidents, dont le contrat est en général tacitement renouvelé. Ils bénéficient de l'indemnité de vie locale. Ils sont censés être recrutés par les établissements au niveau local. Mais l'usage veut qu'ils soient recrutés avant d'être détachés dans le pays où ils vont aller travailler. Enfin, les autres personnels sont les recrutés de droit local. Ils bénéficient d'un contrat de droit privé local dans chacun des pays. Cela implique par conséquent des rémunérations extrêmement différentes d'un pays à un autre.
Nous nous sommes attachés à analyser la soutenabilité de l'AEFE qui a été très fragilisée par l'annulation de 33 millions d'euros sur sa subvention en 2017, en tenant compte de la complexité du système actuel, qui résulte d'une construction historique par strates administratives.
Nous avons d'abord constaté, et cela fait l'objet de la plus importante contestation des usagers de l'enseignement du français à l'étranger, que la contribution des familles s'est beaucoup accrue. Aujourd'hui, elles contribuent à hauteur de 60 % au frais de l'ensemble du système, alors que les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » dédiés ne représentent plus que 39 % des recettes de l'Agence en 2017, en comptant la subvention pour charges de service public versée à l'AEFE et l'aide à la scolarité. C'est une baisse de 14 % depuis 2012.
Les frais de scolarité versés par les familles sont différents selon les établissements. En moyenne, ils sont de 5 300 euros par an, soit une augmentation de 25 % depuis 2012. Cela montre bien la contribution accrue des familles. Plusieurs raisons expliquent cette augmentation : la hausse structurelle des dépenses, en raison de la croissance des effectifs (+ 11,4 % depuis 2012), une augmentation de la masse salariale (+ 15 % pour les dépenses de personnel de l'Agence depuis 2012). Nous estimons que cette hausse de la masse salariale pourrait être limitée en privilégiant le recrutement local, plutôt que les personnels détachés de l'éducation nationale. Une deuxième explication de l'augmentation des frais se trouve dans la prise en charge des pensions civiles des fonctionnaires détachés depuis 2009. C'est le cas pour l'ensemble des opérateurs de l'État - toutefois, contrairement à l'engagement de départ, cela n'est plus compensée pour l'AEFE. Ainsi, dans les faits, cela s'apparente à une diminution de 50 millions d'euros des ressources de l'Agence.
Par ailleurs, le parc immobilier est vieillissant. Il nécessite d'importantes dépenses de modernisation et de sécurisation. À cela s'ajoutent des facteurs venant complexifier le système, comme la difficulté de remonter des financements des établissements vers l'Agence à Paris, pour des raisons juridiques ou fiscales liées à chacun des pays où l'établissement est implanté. Enfin, le mécénat et les partenariats avec le secteur privé restent faibles, comme pour l'ensemble de l'enseignement français.
C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'annulation de crédits en 2017. Elle s'est traduite par des suppressions de postes d'enseignants, prévues pour la rentrée 2018, une participation financière accrue des établissements au financement de l'Agence, et derrière une augmentation de la participation des familles. Cela a conduit à l'expression d'un fort mécontentement l'an dernier, tant de la part des familles que du personnel.
Pourtant, des réserves budgétaires existent : 204 millions d'euros dans les fonds de roulement cumulés dans les établissements en gestion directe, avec toutefois la difficulté que si ces comptes financiers par établissement sont agrégés avec celui de l'Agence - car ce sont des démembrements de l'Agence -,chaque établissement conserve son autonomie patrimoniale à laquelle il tient. Ils considèrent qu'il s'agit de leurs propres réserves budgétaires et ne souhaitent pas les partager avec les autres établissements.
Enfin, il nous semble que certaines dépenses pourraient être optimisées dans le fonctionnement des établissements en gestion directe, en particulier grâce à une mutualisation de certaines fonctions support avec les postes diplomatiques dans les villes où la proximité géographique le permet.
Par conséquent, nous avons formulé plusieurs recommandations. Il s'agit tout d'abord de poursuivre le mouvement amorcé de réduction de la part des personnels détachés de l'éducation nationale au profit des recrutés locaux. Il faut également sanctuariser le montant de la subvention pour charge de service public allouée par l'État à l'AEFE dans les cinq prochaines années, en tenant compte de l'évolution à venir du coût réel de la pension civile des fonctionnaires. Ceci permettrait de ne plus réduire de fait les ressources de l'Agence en ne compensant pas l'augmentation continue du coût de la pension civile des fonctionnaires. Nous proposons également de geler la participation des familles au financement du réseau au niveau actuel de 60 %. Si la part de financement de l'État diminue en deçà des 40 % actuels, c'est toute la légitimité du réseau d'enseignement français à l'étranger qui en souffrira et qui sera remise en cause. Nous proposons de conduire une réflexion afin d'introduire des mécanismes de mutualisation des fonds de roulement entre les différents établissements et l'Agence. L'annulation de 33 millions d'euros a montré que l'absence de mutualisation de ressources créée une grande crispation et incompréhension entre l'AEFE et la direction du budget à Bercy. Lorsque l'on voit le montant cumulé des fonds de roulement, il doit être possible de le mutualiser au moins en partie, tout en garantissant à chaque établissement la possibilité de mener à bien ses projets d'investissement. Enfin, nous souhaitons poursuivre l'amélioration du contrôle de gestion très déficient et qui constitue l'une des recommandations les plus importantes de la Cour des comptes. Nos travaux nous ont permis de constater la difficulté de l'Agence à nous fournir sur certains points des chiffres précis, par exemple lorsque nous avons demandé le montant de l'aide nette versée par l'AEFE pour chaque établissement, ou par pays, ainsi que le nombre exact d'enseignants dans le réseau.
M. Vincent Delahaye. - Outre la soutenabilité du réseau, nous nous sommes attachés à examiner les relations entre l'Agence et les établissements, ainsi que les possibilités de développer ce réseau, telles que souhaitées par le Président de la République.
Les relations entre l'Agence et les établissements du réseau se sont compliquées récemment du fait de l'annulation des 33 millions d'euros de crédits. En effet, l'Agence a décidé de manière unilatérale d'augmenter la participation aux frais de scolarité de 6 % à 9 %. Les familles s'en sont émues, car elles paient une bonne partie des coûts des établissements. Suite à cette augmentation, un certain nombre d'établissements se sont posé la question de savoir si cela valait la peine de rester dans le réseau. Ce passage à 9 % concerne les établissements en gestion directe, ainsi que les établissements conventionnés. En réalité, l'Agence finance les établissements via deux canaux : la prise en charge du coût des personnels expatriés ainsi qu'une participation à la rémunération des résidents, et l'allocation de subventions. Toutefois, selon nous, les critères manquent de clarté, notamment en ce qui concerne les critères de détachement des personnels. On a du mal à trouver un lien entre le nombre de personnels détachés et le nombre d'élèves de chaque établissement. Il y a des discussions au coup par coup, le ratio est également issu de l'histoire de l'établissement. En ce qui concerne les subventions, il est difficile de trouver des critères objectifs de versement des subventions. Mais, nous avons surtout été interpellés par le manque de transparence dans la prise de décision. Nous avons eu l'impression que les décisions sont prises par le directeur de l'Agence, - le conseil d'administration ayant à peine son mot à dire -, et que le ministère de tutelle n'arbitre rien. Toutefois, l'aide de l'Agence est toujours positive, ce qui signifie que les établissements ont toujours un avantage financier à être intégré au réseau. Nous avons détaillé par établissement, par pays et par continent, l'aide versée. On s'aperçoit qu'il y a des variations importantes entre les continents. L'Europe représente 30 % de l'aide nette, pour 21 % des effectifs, alors que l'Asie ne reçoit que 14 % de l'aide nette pour 20 % des effectifs. Ainsi, l'aide nette est déconnectée des effectifs accueillis dans le réseau. L'étude des chiffres montre que le financement versé par l'AEFE aux établissements dépend du nombre d'élèves et du nombre de personnels détachés, mais ne correspond pas à une stratégie clairement établie.
Plusieurs recommandations sont faites suite à ce constat. Nous souhaitons la mise en place d'un ratio plancher d'enseignants détachés par nombre d'élèves. Par ailleurs, des critères objectifs doivent exister pour justifier les différences de participation de l'AEFE. En outre, nous avons constaté avec un certain étonnement que, si, sur plusieurs années, les effectifs baissent, la masse salariale augmente de 15 % sur les cinq dernières années. Cela mériterait un contrôle budgétaire complémentaire sur ce point. Enfin, un effort de transparence doit être fait par l'Agence : elle doit publier des critères objectifs d'attribution des subventions ainsi que chaque année le montant de l'aide nette par établissement, par pays et par continent. Nous voudrions que les décisions des évolutions de participation financière de l'AEFE aux établissements soient examinées de façon transparente lors des conseils d'administration, notamment pour le montant de la participation à la rémunération des résidents. Cela ne se fait pas aujourd'hui dans la plupart des cas.
La troisième partie de notre contrôle portait sur la soutenabilité de la volonté présidentielle de doubler le nombre d'élèves dans le réseau d'ici 2030. Il faut noter que le nombre d'élèves français dans le réseau est de 36 % - il est de plus de 50 % en Europe. Cela est dû à l'évolution du nombre de Français à l'étranger et de l'expatriation. Avant les Français partaient pour un temps déterminé. Maintenant, de plus en plus, les Français qui sont installés à l'étranger le sont pour une durée assez longue et se tournent souvent vers les réseaux locaux d'enseignement. En outre, il y a des discussions sur l'attractivité du baccalauréat français par rapport au baccalauréat international. La croissance du réseau se réalise dans les établissements partenaires dont les effectifs ont augmenté de 20 % depuis 2012. Il nous semble que l'augmentation importante du nombre d'élèves souhaitée pourrait passer par une évolution des critères d'homologation des établissements, afin d'en homologuer beaucoup plus, tout en gardant la qualité de l'enseignement. Je pense notamment à un assouplissement de la règle selon laquelle il faut disposer d'un personnel de l'éducation nationale pour être homologué.
Nous recommandons de produire une cartographie prospective des besoins de l'enseignement du français à l'étranger. Il n'existe pas un tel outil aujourd'hui, donnant l'impression de naviguer à vue. Le redéploiement du réseau pourrait être accéléré en dehors de l'Europe. Il faut également alléger certains critères d'homologation. Enfin, il faut développer des offres complémentaires, tel que le label France éducation, se situant en dehors de l'enseignement français stricto sensu.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je pense que, de manière générale, sur les questions de masse salariale, nous devrons à un moment donné avoir une ligne directrice. Constater une diminution des effectifs et une augmentation salariale n'est pas nouveau. Nous avions fait ce constat, il y a quelques années avec Philippe Dallier, lors de la fusion de la direction générale de la comptabilité publique et de celle des impôts au sein de la DGFIP. On nous avait expliqué qu'il y allait avoir une baisse considérable des effectifs. Or, cela s'est traduit par une masse salariale supérieure, car la fusion a été réalisée par une harmonisation vers le haut. Bien évidemment, le but n'est pas de baisser en soit le nombre de fonctionnaires, mais de dépenser moins. Si au final, on a moins de personnels mais que cela coûte plus cher, on est passé à côté de l'objectif. Il faudra que les administrations respectent les plafonds d'emploi, sans pour autant le contourner par des régimes indemnitaires particuliers. Cette question dépasse celle du réseau de l'enseignement français à l'étranger.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - L'enseignement du français à l'étranger est un point très préoccupant pour ma commission. L'AEFE, comme vous l'avez souligné, mérite plus de transparence dans sa gestion. Lorsqu'on les interroge sur l'objectif de doublement des effectifs, cela ne leur semble pas représenter un problème, car ils vont homologuer davantage d'établissements. Toutefois, on ne connaît pas les critères qui seront mis en place pour le faire. En outre, l'augmentation de la masse salariale est très préoccupante.
Il faut savoir que pour l'enseignement du français, il n'y a pas que l'AEFE. Il y a aussi l'institut français, les alliances françaises.... Un effort de mutualisation est nécessaire. Nous travaillons sur ce sujet avec notre collègue membre de la commission des affaires étrangères, André Vallini.
Beaucoup de choses restent à faire. Lorsque nous avons interrogé le directeur de l'AEFE la semaine dernière, nous avons constaté qu'il naviguait à vue. Il n'a pas de véritables projets.
M. Roger Karoutchi. - Je me suis intéressé à quelques établissements, notamment au Maroc. Je suis particulièrement choqué par l'incohérence de la politique en matière d'enseignement du français à l'étranger. Or, c'est une porte ouverte sur la francophonie. Nous avons progressivement, depuis 5 à 10 ans, découragé les gens qui localement vont de moins en moins dans les établissements français pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles est le coût élevé de cette formation. On n'arrête pas de dire qu'il faut faire un effort en matière de francophonie. Toutefois, on réserve l'enseignement du français à l'étranger à ceux qui en ont les moyens, soit à peu de personnes. Cela me rappelle le discours du gouvernement en matière d'audiovisuel public, indiquant la nécessité de faire beaucoup de restriction sur l'audiovisuel international. C'est exactement l'inverse d'une politique dynamique en matière de francophonie. Je ne comprends pas que l'on n'ait pas un bloc « francophonie », regroupant l'enseignement du français, l'alliance française, l'audiovisuel, qui soit dynamique, volontaire et sur lequel on ne fasse pas d'économies. Dans le cas contraire, la France aura bientôt disparu des horizons internationaux.
M. Dominique de Legge. - On est au centre de la quadrature du cercle. D'un côté, on diminue les moyens, d'un autre côté on nous annonce vouloir renforcer la francophonie et faire en sorte de développer les établissements d'enseignement du français. Au final, on a un coût par poste qui est plus élevé bien que l'on diminue le nombre de postes.
Vous avez indiqué que depuis 2012, le coût de la scolarité avait augmenté de 25 %. Concrètement, quelles sont les conséquences de cette augmentation ? Pour les Français, les bourses ont-elles augmenté à due concurrence ? J'ai cru comprendre que cela n'avait pas été le cas. Les élèves n'ayant pas la nationalité française continuent-ils à fréquenter nos établissements ? Avec de telles augmentations, ne risque-t-on pas de dissuader ceux qui souhaiteraient venir dans nos établissements, qui iraient alors voir ailleurs ?
M. Jérôme Bascher. - Je m'interroge sur les ressources propres. Vous nous avez indiqué que les frais de scolarité avaient augmenté de 25 % depuis 2012. Il s'agit de savoir qui on veut attirer, ainsi que de connaître la concurrence. Si notre politique est d'améliorer la francophonie, le réseau de l'enseignement français à l'étranger concerne également les Français passant une période assez courte à l'étranger. Or, on s'aperçoit que les périodes d'expatriation se rallongent et les expatriés ne choisissent plus forcément le système français. Pour ces derniers, l'augmentation de prix est-elle dissuasive ?
Par ailleurs, le sujet de la concurrence est important. Cette dernière se fait avec les autres institutions, notamment anglophones. Qui veut-on attirer dans nos écoles ? J'entendais la remarque de notre collègue Roger Karoutchi. Si on cherche à attirer les élites marocaines, on peut se permettre d'avoir des tarifs élevés. Toutefois, si on cherche à avoir les meilleurs élèves, la politique de prix pratiquée n'est pas forcément la bonne. Disposez-vous d'une comparaison par rapport au prix des établissements concurrents ?
M. Claude Raynal. - Je remercie les rapporteurs pour leur présentation. J'ai toutefois une certaine gêne, car ce sujet m'apparait, avant d'être financier, porter sur la stratégie de l'État. Certes, nous sommes ici dans la commission de finances, et je comprends le choix fait par les rapporteurs. Je partage à plusieurs égards l'avis de notre collègue Roger Karoutchi. On passe de dossiers en dossiers, sans avoir de vision claire de la présence de la France à l'étranger. Les discours présidentiels sont ainsi des généralités ou des objectifs donnés - un doublement des effectifs - sans savoir pourquoi ce chiffre est choisi. La question fondamentale est donc celle de la stratégie.
La question n'est ainsi pas celle du doublement du nombre d'élèves, mais plutôt où voulons nous qu'il y ait plus d'élèves. Doit-on se focaliser sur les anciennes colonies françaises ? Sur les pays d'Asie ? D'Amérique du Sud ? Il faut définir des cibles, puis se fixer des objectifs.
Le fait que la masse salariale augmente de 15 % pose la question de la raison de ce fait. Peut-être est-ce lié à la création de lycées nouveaux dans des pays au niveau de vie élevée ? Le coût de la masse salariale peut varier fortement d'un pays à un autre.
Je m'étais rendu avec notre collègue Philippe Adnot en Colombie où nous avions visité la plupart des lycées français de ce pays. Ils considéraient que le ticket d'entrée pour être considéré comme un établissement conventionné était très élevé, et difficile à supporter pour les parents. Existe-t-il une stratégie pour avoir plus d'enfants dans les lycées français ? Cela permet d'avoir des générations francophiles et francophones.
Enfin, il me semblerait intéressant d'avoir une fiche type lorsque l'on rencontre, au titre des groupes d'amitié, les établissements français à l'étranger pour faire remonter des informations et d'avoir des retours établissement par établissement. On aurait là une utilisation particulièrement fonctionnelle des groupes d'amitié, qui essaient généralement d'avoir un contact avec l'alliance française et les lycées français.
M. Philippe Dallier. - En ce qui concerne l'augmentation de la masse salariale, je peux apporter un éclairage sur le Maroc. Au mois de juin s'est tenu un forum parlementaire France-Maroc. À cette occasion, la communauté française nous a fait part d'un problème posé directement par le gouvernement marocain qui a décidé de revaloriser de manière importante la grille de salaires de tous les enseignants. Le budget des écoles françaises a explosé, et les frais d'inscription ont augmenté. Nous n'y pouvons strictement rien. Je ne sais pas si le Maroc est un cas particulier. Il y a peut-être d'autres pays où les écoles sont soumises aux décisions prises par les gouvernements locaux. Face à ce constat, comment conserver l'attractivité de ces écoles, si ce n'est pas la France ou alors le mécénat qui viennent compenser cette augmentation ? Il faudrait regarder pays par pays si l'augmentation soulignée par nos rapporteurs est liée à des décisions des gouvernements locaux.
M. Vincent Capo-Canellas. - Ce sujet est au centre des contradictions entre la volonté de rigueur budgétaire et de rayonnement de la francophonie. Les rapporteurs peuvent-ils nous rappeler la proportion entre les Français et les étrangers ? J'ai cru comprendre que nous étions autour de 30 %. Dès lors, il y a deux cibles différentes. Quelle est la conséquence en termes de tarifs ? J'imagine que lorsqu'il s'agit de Français expatriés, les frais de scolarité doivent être pour une part comprise dans les négociations avec l'entreprise. Les tarifs sont-ils différenciés selon que l'on est Français ou étranger ?
Vous suggérez un assouplissement des critères d'homologation, sans toutefois porter atteinte à la qualité de l'enseignement. Quelle voie suggérez-vous pour y parvenir ? Est-ce une recherche de moindre coût budgétaire ou avez-vous d'autres objectifs ?
Nous avons noté l'augmentation des frais de 25 %. Avons-nous les moyens de se comparer par rapport à d'autres réseaux d'enseignements étrangers ? J'imagine que cela dépend aussi des pays.
M. Patrice Joly. - Ce réseau est un outil d'influence de notre pays à travers le monde. Comment apprécie-t-on l'efficacité de cet outil, notamment à travers l'identification des élèves étrangers ayant suivi cet enseignement ? Peut-on apprécier l'évolution des effectifs des élèves étrangers ? Quels pourraient être les critères d'évaluation de l'efficacité de cet outil d'influence ?
M. Bernard Lalande. - On parle des lycées français à l'étranger. Mais, à ma connaissance, il n'y a pas de « hub » français à l'étranger intégrant les études supérieures. Il faut passer par les chambres de commerce, les écoles. Je m'interroge sur la possibilité d'utiliser les lycées français comme point de fixation à l'étranger, sur lequel on pourrait s'appuyer pour la poursuite des études supérieures, en lien avec une Agence relevant du ministère des affaires étrangères.
M. Michel Canévet. - Dans le rapport Cap 2022, il est proposé d'organiser les représentations extérieures de la France sous l'autorité des ambassadeurs. Cela semble-t-il une bonne idée aux rapporteurs ?
M. Jean-Claude Requier. - Je voudrais témoigner de l'excellente qualité de l'enseignement français à l'étranger, et notamment de l'école primaire française de Genève. Certes, le coût de la scolarité y est élevé. Elle scolarise notamment un certain nombre d'enfants de diplomates.
Je conçois qu'il faille développer ce réseau, car c'est un des moyens d'influence de la France à l'étranger.
M. Vincent Delahaye. - Les différentes interventions ont bien montré que notre rapport est loin d'épuiser le sujet. Nos travaux soulignent le problème de navigation à vue, l'effort de transparence nécessaire, notamment à travers la nécessité de fournir une cartographie des besoins de l'enseignement du français à l'étranger, pour tenir compte des besoins des expatriés, des priorités diplomatiques et mener une appréciation qualitative de la demande locale. On a l'impression d'une absence de stratégie et de pilotage budgétaire, et ceci depuis plusieurs années. Il y a un travail de fond à faire. Les frais de scolarité varient beaucoup. Il y a des endroits où on peut avoir intérêt à augmenter les frais de scolarité, alors que dans d'autres pays, ils peuvent être un problème bien supérieur.
L'enseignement du français à l'étranger est un outil d'influence de la France dans le monde. On y consacre des moyens importants. Il est dommage de ne pas avoir une stratégie d'ensemble identifiée, permettant de définir les aides à apporter dans chaque établissement. Comme aujourd'hui il n'y a pas de critère, on aide peut-être certains pays un peu trop au détriment d'autres.
Les bourses évoluent assez peu dans le temps, et leur répartition se fait selon des critères opaques. Nous n'avons pas eu le temps de creuser cette question. Les choix de répartition en fonction des pays et les établissements sont un sujet de contestation très fréquent. Aujourd'hui, ce sont les consulats qui participent localement à la répartition de l'enveloppe attribuée pour les bourses. Les politiques ne se sont pas assez penchés sur ce point. Certes, le ministre de l'éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer, a montré beaucoup d'intérêt sur ces sujets récemment. Le ministère semble vouloir redevenir plus présent, mais au niveau de la gestion de la formation des enseignants et de leur suivi, plus que sur la stratégie. Il faut que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ait également une vraie volonté politique. Des groupes de travail sont mis en place, notamment sur la question du statut des enseignants. Nous attendons de voir les conclusions de ceux-ci.
Aujourd'hui, il y a en moyenne 36 % d'élèves français dans le réseau, et 52 % en Europe. Il y a des endroits, comme au Maroc, où l'enseignement français a bonne réputation. Toutefois, le marché mondial de l'éducation est en pleine évolution. On s'est aperçu à Londres qu'il y avait un « mercato » des enseignants. Un autre exemple est celui du Kazakhstan qui est en train de développer des écoles d'élite et il démarche énormément d'enseignants dans le monde. Dans ce marché, nos établissements ont intérêt à évoluer, même s'ils conservent une bonne image.
Nous n'avons pas voulu entrer trop dans le détail des conditions de l'assouplissement de l'homologation. Je pense que la commission de la culture et de l'éducation fera des propositions à ce titre.
Aujourd'hui, il y a peu d'évaluation, même si on constate une petite croissance des effectifs, ce qui veut dire que notre réseau garde son attractivité. Or, l'évaluation est nécessaire pour définir notre stratégie.
M. Rémi Féraud. - La difficulté est que le réseau a deux objectifs : la scolarisation des élèves français à l'étranger - nous sommes l'un des seuls pays à offrir ce service à nos compatriotes et il faut le préserver -, et une diplomatie d'influence pour développer la francophonie.
Les bourses ne sont perçues que par les familles françaises, avec dans certains cas une autocensure des familles qui craignent la conduite d'une enquête sociale pour vérifier leur niveau de ressources. Mais, avec les augmentations des frais de scolarité, seules les familles très aisées ou les familles modestes qui peuvent percevoir des bourses, peuvent y faire face. Toute une classe moyenne est mise en difficulté par cette augmentation. Une réflexion doit être menée sur ce point.
Nous n'avons pas constaté une réduction du nombre d'élèves. Au contraire, chaque année, le nombre d'élèves augmente de 2 % dans le monde, augmentation portée par les élèves étrangers. Mais celle-ci ne répond pas à une stratégie particulière d'implantation. Il existe des pays où l'enseignement français est historiquement très implanté : le Maroc, le Liban ou Madagascar. Mais aucune réelle stratégie ne s'est dessinée à la suite du discours du Président de la République, indiquant quel pays, ou quelle zone géographique doit devenir une priorité. D'ailleurs, des restrictions de postes vont avoir lieu à la rentrée et nous savons que le cabinet du ministre les a validées. Nous voulions savoir si cela était cohérent par rapport à une stratégie d'implantation, et nous attendons toujours les informations promises. Cela montre bien que l'on est dans la navigation à vue.
Le constat de Philippe Dallier sur le Maroc est intéressant et montre la complexité du système. L'augmentation de 25 % des rémunérations des personnels au Maroc touche directement les familles et pas du tout l'AEFE. En effet, cela concerne les salaires des recrutés locaux, pris en charge par les établissements. Or, l'Agence met à disposition de personnels détachés de l'éducation nationale. Certes, cela représente des sommes considérables, mais cela ne représente pas une subvention pour payer les personnels locaux.
Je suis allé à Zurich. J'ai constaté que lorsque les établissements sont peu aidés - tel est le cas du lycée français de Zurich -, ces derniers hésitent à sortir du réseau. Ils estiment en effet que le soutien apporté par l'AEFE n'est pas supérieur aux remontées financières qu'ils font à l'Agence. Si ce soutien diminue, ils sortiront du réseau, mettant à mal notre politique d'influence.
Il n'existe pas de statistiques sur les anciens élèves. En tout cas le résultat est de près de 100 % de réussite au baccalauréat. Il existe un réseau d'alumni, et par tradition dans certains pays d'Amérique latine ou du Moyen-Orient, les élites politiques ont souvent fait leurs études dans les lycées français et sont restées francophiles et francophones. C'est très fortement le cas d'un pays comme l'Équateur. Ce sont des dimensions à préserver, et cela nécessite de ne pas désinvestir dans le réseau.
Nous ne nous sommes pas penchés sur le réseau de l'enseignement supérieur, qui est une question très différente. Mais pour les étudiants étrangers qui viennent en France, la continuité entre l'enseignement français à l'étranger et le soutien qu'apporte Campus France est faible. Nous avons le sentiment que beaucoup d'élèves ayant leur bac dans l'enseignement français à l'étranger ne sont pas encouragés à venir faire leurs études en France, par manque de bourse, de volonté politique, de visa.
M. Claude Kern. - Pour apporter un élément d'informations sur la poursuite des études, Campus France essaye de faire des efforts, mais il dispose de moyens très limités. Les bourses pour les étudiants étrangers venant en France sont faibles. En outre, nous avons des pays concurrents comme la Russie, la Chine ou la Turquie qui offrent des conditions d'accueil pour les étudiants étrangers intéressantes. Ils commencent à avoir une influence dans les pays étrangers beaucoup plus importante que la France.
M. Bernard Lalande. - Nous formons des élèves dans nos lycées français à l'étranger, et au final ils vont poursuivre leurs études dans des universités d'autres pays.
La commission donne acte aux rapporteurs spéciaux de leur communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Déplacements à Washington du 15 au 18 mai 2018, et à Berlin les 13 et 14 juin 2018 - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Le rapporteur général et moi-même nous sommes rendus à Washington du 15 au 18 mai dernier. Nous étions accompagnés de nos homologues de l'Assemblée nationale - le Président Éric Woerth et le rapporteur général Joël Giraud.
L'objectif de ce déplacement était d'essayer de mieux comprendre les développements récents de la politique économique américaine, et de connaître la position de l'administration américaine et des organisations internationales sur la situation de l'économie mondiale et de la zone euro.
Nous avons ainsi rencontré trois types d'interlocuteurs : tout d'abord, différents acteurs du monde politico-administratif américain en charge des sujets économiques, budgétaires et financiers, en particulier à la Réserve fédérale des États-Unis (FED), au Trésor et au Congrès. Nous nous sommes ensuite entretenus avec des économistes exerçant à la Banque centrale mais aussi au sein de think tanks - je pense par exemple à Olivier Blanchard, dont le nom circule régulièrement pour le prix Nobel d'économie. Enfin, nous avons eu l'occasion d'échanger avec la directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, et ses services, ainsi qu'avec différents représentants de la Banque mondiale.
Avec le rapporteur général, nous commencerons par évoquer la stratégie économique du Président Donald Trump. Nous aborderons ensuite la question des risques pesant sur la stabilité financière et la croissance mondiale. Après cela, nous évoquerons le regard de l'administration américaine et des institutions internationales sur la zone euro. Enfin, nous terminerons par quelques remarques sur la procédure budgétaire américaine.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je commencerai donc par essayer de vous restituer notre compréhension des développements récents de la politique économique américaine, qui sont assez difficiles à lire depuis la France.
En réalité, la difficulté tient à ce que la politique menée reflète deux types de préoccupations très différents : d'une part, des préoccupations légitimes portées de longue date par les acteurs économiques et politiques américains, y compris chez les démocrates, d'autre part, des objectifs spécifiques à l'équipe de Donald Trump, qui s'inscrit dans une vision très « conflictuelle » de l'économie mondiale et cherche à envoyer des signaux politiques à son électorat.
Ces contradictions se sont particulièrement manifestées dans trois domaines sur lesquels je vais brièvement revenir : la fiscalité, la régulation financière et la politique commerciale.
Nous avons longuement évoqué avec nos interlocuteurs la grande réforme fiscale adoptée fin 2017. En effet, pendant de nombreuses années, chacun s'accordait pour dire que les taux d'imposition américains étaient élevés, sans toutefois parvenir à les réformer.
Le volet « entreprise » de la réforme comporte des éléments qui faisaient consensus entre républicains et démocrates, à savoir le passage à un système territorial de taxation des multinationales et une diminution importante du taux de l'impôt sur les sociétés, de 35 % à 21 %. En prenant en compte les impôts sur les sociétés locaux - 4 % en moyenne -, les États-Unis reviennent ainsi dans la moyenne de l'OCDE, avec un taux global d'imposition des entreprises de 25 %. Ce taux sera celui de la France lorsque la réforme de l'impôt sur les sociétés y sera achevée.
Mais cette réforme reflète également des objectifs plus spécifiques au Président Donald Trump.
La réforme fiscale américaine est ainsi teintée de protectionnisme. Elle contient diverses mesures « anti-abus » qui sont susceptibles de pénaliser les groupes étrangers, en particulier dans les domaines de la banque, de l'assurance et des services. Même le nom de ces dispositifs s'inscrivent dans une perspective guerrière (« BEAT », « GILTI ») !
Le volet « ménages » de la réforme se traduira par ailleurs, à terme, par des gains très importants pour les ménages les plus aisés, alors que les mesures pour les ménages modestes s'éteindront progressivement.
Si cette réforme rencontre une forte adhésion à court terme, son mode de financement inquiète les milieux économiques américains. En effet, son coût, évalué à 1 500 milliards de dollars sur 10 ans, est entièrement supporté par l'endettement - c'est également le cas de la réforme de la taxe d'habitation annoncée en France. Le déficit public américain devrait ainsi dépasser 5 % du PIB au cours des prochains exercices. Si les États-Unis n'auront aucune difficulté à émettre des titres de dette, compte tenu du rôle du dollar dans l'économie mondiale, cette politique budgétaire laxiste risque d'alimenter une « surchauffe » de l'économie américaine, alors même que l'inflation atteint désormais 2,9 % et que le chômage est déjà à un point bas historique. Ce serait le bon moment pour redresser les comptes publics, mais le Président Donald Trump fait exactement l'inverse !
Venons-en maintenant à la régulation financière. Une loi a été adoptée afin de « simplifier » le Dodd-Frank Act, qui constitue la « pierre angulaire » de la réponse de l'administration Obama à la crise financière. Là encore, la loi, adoptée avec le soutien d'élus démocrates au Sénat comme à la chambre des représentants, répond à certaines préoccupations largement partagées. En particulier, elle allège substantiellement les règles applicables aux petites banques (community banks).
Malheureusement, elle envoie également un signal très négatif sur la dérèglementation en relevant, pour les banques systémiques américaines, les seuils d'application de certains éléments de Bâle III.
En outre, la loi discrimine les banques non américaines en les privant explicitement des allègements prudentiels mis en oeuvre pour les grandes banques américaines. Ironie de l'histoire, la disposition discriminatoire a été introduite au Sénat par les démocrates, qui se sont indignés que le relèvement des seuils puisse bénéficier à des banques non américaines. Cela démontre là encore la complexité de la politique américaine...
Venons-en maintenant à la politique commerciale. Là encore, la stratégie américaine est difficile à lire. Elle répond à des préoccupations légitimes concernant l'ouverture du marché chinois, les transferts de technologie forcés et le respect de la propriété intellectuelle.
Il s'agit d'ailleurs de préoccupations partagées par les Européens : il aurait été de ce point de vue intéressant de faire front commun avec les Américains pour obtenir des concessions de la Chine. C'était la stratégie proposée par la France lors de la visite d'État du Président Emmanuel Macron.
Malheureusement, le Président Donald Trump a choisi de « faire feu de tout bois » en menaçant l'ensemble des pays avec lesquels les États-Unis présentent un déficit courant.
Pour ne prendre qu'un exemple, le Président Donald Trump envisage de taxer les importations de voitures européennes. Il s'adresse ainsi directement aux villes industrielles qui ont voté pour lui.
Ceci est très inquiétant car les conséquences pour la croissance mondiale d'une flambée protectionniste seraient dramatiques, même si les mesures effectivement mises en oeuvre restent à ce stade d'une ampleur modeste. Par ailleurs, les modalités de mise en oeuvre de ces mesures protectionnistes interrogent, notamment lorsque l'on observe les relations des États-Unis avec leurs voisins : par exemple, dans l'industrie automobile, les éléments d'une voiture traversent jusqu'à 11 fois la frontière américano-canadienne.
Toute la question est de savoir si les élus républicains modérés, l'appareil administratif « traditionnel » et les milieux d'affaires américains vont réussir à « contenir » les initiatives du Président Donald Trump et de son entourage. J'observe d'ailleurs que des sénateurs républicains ont proposé le mois dernier un amendement qui empêcherait le Président américain d'adopter, sans l'accord du Congrès, des droits de douane supplémentaires. C'est un premier signal intéressant.
M. Vincent Éblé, président. - J'évoquerai maintenant la question des risques pour la stabilité financière.
S'agissant des risques spécifiques à l'économie américaine, les interlocuteurs que nous avons rencontrés se sont montrés plutôt rassurants. Les banques américaines paraissent aujourd'hui en meilleure santé que leurs homologues européennes, avec des fonds propres renforcés et de bons résultats aux tests de résistance.
L'économie américaine, de l'avis de nos interlocuteurs, semble suffisamment solide pour pouvoir absorber les conséquences des futures hausses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale des États-Unis (FED).
En revanche, de nombreux acteurs nous ont fait part de leurs inquiétudes sur la capacité de certains pays émergents à y faire face. En effet, les hausses de taux d'intérêt décidées par la FED provoquent des mouvements de capitaux très importants vers les États-Unis, susceptibles de déstabiliser le reste du monde.
Trois pays semblent particulièrement vulnérables : tout d'abord l'Argentine. Nous étions d'ailleurs à Washington au moment où ce pays a sollicité, à la surprise générale, l'aide du Fonds monétaire international (FMI). Ensuite, la Tunisie, qui accumule les déficits et dont la monnaie a perdu presque la moitié de sa valeur. Pour ne donner qu'un chiffre, nous avons appris que la dette de la Tunisie vis-à-vis de la seule Banque mondiale atteint 10 % de son PIB ! Enfin, la Turquie a régulièrement été mentionnée comme source potentielle de fragilité, même si le pays semble protégé par le faible niveau de sa dette publique.
S'agissant des risques au niveau mondial, deux principales inquiétudes ont été mentionnées.
Tout d'abord, les valorisations excessives de certains actifs financiers. Les interrogations sur les niveaux de valorisation boursière, qui sont aujourd'hui très supérieurs aux moyennes historiques, sont particulièrement fortes.
Ensuite, l'excès d'endettement privé, en particulier de la part des entreprises non financières, dans un contexte où le coût de l'argent n'a jamais été aussi faible. La problématique concerne d'ailleurs la France, comme en témoignent les récentes mesures macroprudentielles prises par le Haut Conseil de stabilité financière. Nous devrons faire preuve de vigilance sur ce point.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Venons-en maintenant à la perception de la zone euro.
Tous nos interlocuteurs étaient très inquiets de l'évolution de la situation italienne. Ainsi, le FMI considère ne pas pouvoir absorber un défaut de l'Italie. En dépit des réformes intervenues depuis la crise, ils considèrent que l'architecture actuelle de la zone euro ne permettrait pas de faire face à une attaque d'un État de cette taille sur les marchés financiers. Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, plaidait ainsi pour la mise en place d'un mécanisme crédible de restructuration des dettes souveraines et un plafonnement des expositions des banques nationales à la dette souveraine de leur propre État. Le FMI, pour sa part, a mis en avant sa proposition consistant à instaurer un « fonds pour les mauvais jours » auquel chaque pays contribuerait lorsque la conjoncture est bonne.
Au-delà de cette inquiétude, les différents interlocuteurs américains rencontrés ont souvent fait preuve d'une certaine défiance à l'égard des initiatives récentes de l'Union européenne.
Nous avons entendu beaucoup de critiques sur les amendes infligées à certains grands groupes américains - Apple et Google pour ne pas les citer - par la Commission européenne.
La proposition de taxe à 3 % sur le chiffre d'affaires des acteurs du numérique est également très mal perçue. Elle est interprétée comme une taxe « anti américaine » qui vise les « GAFA ». Paradoxalement, les Américains défendent dans ce dossier une approche multilatérale. Le FMI est sur la même position et considère qu'une approche à la fois limitée à l'Europe et au seul secteur du numérique n'est pas à la hauteur des enjeux.
Pour terminer, je souhaiterais faire un bref aparté sur la procédure budgétaire, compte tenu des évolutions proposées par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi constitutionnelle.
La procédure budgétaire américaine constitue un bon miroir des forces et des faiblesses de notre propre système.
Alors que l'État fédéral américain a été paralysé en début d'année par un nouveau shutdown, faute d'accord sur le budget, la Constitution de la Ve République garantit que la France dispose au 31 décembre de chaque année d'un budget. Nous ne mesurons peut-être pas toujours à quel point cela est précieux.
L'exemple américain nous permet également de relativiser les critiques du Gouvernement sur la complexité et la lenteur de notre procédure budgétaire. Le projet de budget du Président américain est présenté en février et l'examen au Congrès dure en moyenne huit mois !
En revanche, nous souffrons indéniablement de la comparaison avec nos homologues américains s'agissant des moyens et de l'expertise disponibles pour faire contrepoids au Gouvernement. C'est un sujet sur lequel nous serons amenés à formuler des propositions. Il nous faudra néanmoins tenir compte du contexte institutionnel français et éviter de « doublonner » le travail d'institutions existantes. Nous serons vigilants sur ce point.
M. Antoine Lefèvre. - J'ai eu l'occasion d'aller à Washington lors de la visite d'État du Président de la République Emmanuel Macron. Nous avions évoqué la résolution de notre collègue Jacky Deromedi sur les « Américains accidentels » et les problèmes de taxation. Avez-vous évoqué ce sujet ?
M. Vincent Éblé, président. - Nous ne l'avons que brièvement évoqué.
M. Antoine Lefèvre. - C'est une question importante pour nos concitoyens concernés. Nous n'avons pas eu d'informations sur ce point à la commission des finances, alors que Jean-Baptiste Lemoyne avait pris l'engagement pour que dans le mois suivant cette résolution, des informations nous soient transmises.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Lorsque ce sujet a été évoqué avec plusieurs interlocuteurs, il y avait une certaine surprise. Tant le Congrès que l'Ambassade de France nous indiquent que seuls des Français semblent concernés. Or il devrait aussi y avoir des Allemands, des Italiens, des Irlandais... Peut-être y a-t-il des associations plus actives en France. La réponse qui nous est donnée à chaque fois est d'abandonner sa nationalité américaine. Or, cela coûte très cher, car cela nécessite de solder ses dettes fiscales.
M. Vincent Capo-Canellas. - Quelles leçons tirez-vous de vos échanges en termes d'appréhension des instabilités et des risques tant du point de vue financier que politique ?
M. Albéric de Montgolfier. - Sur le plan politique, chacun fera son analyse. La presse écrite n'est pas le reflet de la perception réelle de l'Amérique. La situation économique est bonne. Mais, une suréaction de la Chine peut avoir des conséquences macroéconomiques. Il y a quelques semaines, la Chine a vendu brutalement des bons du Trésor. Cela a créé une légère panique. La guerre commerciale peut avoir des conséquences. Mais, pour l'instant, l'économie américaine va bien, elle est même en surchauffe.
M. Bernard Lalande. - Pékin soutient sa croissance. Les États-Unis deviennent protectionnistes. L'Union européenne, qui est actuellement extrêmement divisée, notamment en raison du Brexit, ne risque-t-elle pas d'en pâtir ?
M. Albéric de Montgolfier. - Les Allemands sont tétanisés par l'idée que l'industrie allemande soit touchée par des mesures protectionnistes. En ce qui concerne les propositions de directive sur la taxation des activités numériques, nous n'aurons, dans la pratique, aucun soutien des États-Unis. Il n'y a plus de relation privilégiée avec l'Europe, y compris avec le Royaume-Uni, alors même qu'il y a toujours eu un axe atlantique fort. De même, les États-Unis essayent de démonter l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ; les relations se dégradent avec le Canada.
C'est la première fois que l'on voit aussi un tel désintérêt pour l'Europe.
M. Vincent Éblé, président. - L'Union européenne n'est pas un sujet pour les États-Unis. Hier, des accords étaient recherchés avec nous pour contrer les ambitions de certaines économies émergentes. Aujourd'hui, nous sommes perçus comme un adversaire des États-Unis au regard de nos zones de production et d'échanges économiques. La cohésion européenne est donc d'autant plus importante.
J'en viens maintenant à notre mission que le rapporteur général et moi-même avons réalisée à Berlin les 13 et 14 juin derniers. Nous étions cette fois accompagnés du rapporteur général Joël Giraud et de Marie-Christine Dalloz, membre du bureau de la commission des finances, Éric Woerth ayant eu un empêchement.
Ce déplacement était l'occasion de faire à la fois un tour d'horizon des sujets financiers, budgétaires et économiques de nos deux pays et de la zone euro, mais aussi de découvrir plus concrètement leur procédure budgétaire, afin de retenir d'éventuelles bonnes pratiques.
Nous avons ainsi rencontré : la présidente de la commission des finances du Bundestag ainsi que des parlementaires, représentatifs de tous les groupes et membres de la commission des finances ou de la commission du budget, car là-bas, deux commissions coexistent ; des hauts fonctionnaires du ministère fédéral des finances, respectivement en charge du droit fiscal international et de l'harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne, de la politique financière et économique et de la politique budgétaire ; le représentant à Berlin de la Bundesbank.
Nous vous présenterons tout d'abord les éléments recueillis concernant la perception depuis l'Allemagne de la situation de l'économie mondiale et européenne, puis les avancées à attendre au niveau de la zone euro, notamment en termes de fiscalité. Enfin, nous vous donnerons des éléments sur la procédure budgétaire allemande et nous vous fournirons des enseignements que nous en avons tirés.
Cela ne vous étonnera pas, notre déplacement à Berlin nous a permis d'aborder assez largement la question de la situation économique mondiale. Les sujets européens ont également été au coeur de nos échanges avec nos interlocuteurs allemands, d'autant que notre déplacement a eu lieu quelques jours avant le sommet franco-allemand du 19 juin à Meseberg, au cours duquel une feuille de route franco-allemande a été établie.
Globalement, nos interlocuteurs n'ont pas montré de signes d'inquiétude trop prononcés sur la situation économique mondiale et sur les effets de la politique fiscale et commerciale américaine sur leur économie.
Il nous a notamment été expliqué que la réforme de la fiscalité des entreprises aux États-Unis n'avait pas une grande incidence pour l'économie allemande. En effet, le taux d'impôt sur les sociétés ne s'élève déjà qu'à 15 % en Allemagne, même si la taxation atteint 29 % si on cumule l'impôt sur les sociétés avec la taxe professionnelle. Ils restent donc compétitifs.
De même, dès lors que l'augmentation des droits de douane américains se concentre sur l'acier et l'aluminium, l'impact devrait être mineur pour l'Allemagne. Cela serait en revanche différent si cela devait aussi concerner le domaine automobile. La plupart de nos interlocuteurs restaient assez confiants malgré la politique commerciale agressive du Président Donald Trump.
Comme nous l'avions vu à Washington, la situation économique de certains pays suscite des inquiétudes, comme l'Argentine, la Turquie ou encore le Brésil, voire l'Italie et son niveau d'endettement élevé.
Si la dégradation de la situation économique de ces pays aurait un impact plutôt limité sur l'économie allemande, la crainte exprimée portait plutôt sur le risque de contagion et d'un déséquilibre plus global de l'économie mondiale.
Au niveau européen, même si un ralentissement économique est attendu, au regard de certains indicateurs de court terme moins favorables après un fort dynamisme, la situation économique globale ne leur semblait pas être trop préoccupante. Les allemands restent toutefois attentifs au dynamisme des dépenses et de la dette publique dans certains pays.
L'un des défis qui nous a été présentés concernait la stabilisation de la politique monétaire au niveau mondial, avec le risque d'une hausse des taux d'intérêt de long terme plus importante qu'attendu il y a six mois ou un an.
La situation financière de l'Allemagne est pour sa part particulièrement favorable, avec un solde budgétaire excédentaire qui conduit certains à parler d'une « cagnotte » et les pousse à demander davantage d'investissements publics. Selon nos interlocuteurs, cette position n'est toutefois pas unanime, certains appelant au contraire à la prudence : d'une part, ils considèrent que la bonne situation économique ne justifie pas d'investissements supplémentaires ; d'autre part, les perspectives démographiques devraient conduire à des charges supplémentaires, les budgets actuellement excédentaires permettant dès lors de s'y préparer.
Les profits des entreprises sont importants et certains considèrent qu'elles ne les redistribuent pas assez et que leurs investissements restent trop limités. Globalement, nos interlocuteurs ont souhaité que l'Allemagne « ne se repose pas sur ses lauriers ».
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - J'en viens maintenant plus spécifiquement à l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro.
Plusieurs de nos interlocuteurs ont rappelé les nécessaires efforts des États européens en situation de déficit pour mener à bien des réformes structurelles pendant que la croissance reste soutenue. Certains ont ainsi affirmé que la Commission européenne aurait pu être plus stricte en termes de respect des règles du pacte budgétaire européen (TSCG) compte tenu de la conjoncture favorable.
Contrairement à ce que l'on évoquait pour les États-Unis il y a quelques instants, avec un président et son administration qui mènent une politique tendant à augmenter le déficit, l'Allemagne attend de ses partenaires économiques européens qu'ils profitent de cette fenêtre d'opportunité pour mener les efforts nécessaires.
Concernant la fiscalité des entreprises, nous avons évidemment interrogé les personnes rencontrées sur la position de l'Allemagne concernant les deux projets de directives relatives à la taxation des activités numériques. Dans la feuille de route franco-allemande, l'Allemagne semble encore soutenir cette initiative. Mais, il nous est apparu très clairement que, tout en partageant le constat selon lequel BEPS ne réglait pas le problème, l'Allemagne privilégiait une solution internationale.
En outre, le principe d'une taxation en fonction de là où se trouve l'utilisateur et où le contenu est créé constitue également un changement de paradigme, et ne manque pas d'interroger plus globalement nos interlocuteurs allemands.
Nous avons ainsi compris que la réforme était soutenue dans son objectif mais que les solutions proposées, tant à court terme qu'à long terme, faisaient l'objet d'une certaine frilosité, voire d'hostilité.
D'importants progrès nous avaient été annoncés lors de notre déplacement pour les négociations de l'Accord sur l'assiette commune de l'impôt sur les sociétés (ACIS) et se sont concrétisés dans le cadre de la feuille de route franco-allemande présentée quelques jours plus tard.
Cette feuille de route entre les deux États a également été l'occasion d'arrêter un certain nombre de propositions destinées à consolider l'Union économique et monétaire (UEM), avec en particulier le renforcement du mécanisme européen de stabilité (MES) ou encore de l'union bancaire. À ce titre, nous avons pu constater que les Allemands s'interrogeaient toujours, voire pour certains, adhéraient peu au mécanisme européen de garantie des dépôts en Allemagne. C'est notamment le cas des banques qui ne souhaitent pas que les épargnants allemands se retrouvent à garantir les « mauvais choix » pris par d'autres pays.
Surtout, dans leur position commune, la France et l'Allemagne proposent de doter la zone euro d'un projet de budget d'ici 2021, « afin de promouvoir la compétitivité, la convergence et la stabilisation dans la zone euro ». Aucun montant n'est pour autant avancé. Bref, nous avons du mal à savoir ce que veulent les Allemands.
Sans transition, j'en viens à notre dernier thème : la procédure budgétaire.
En Allemagne, le « projet d'état prévisionnel et de loi de finances » est élaboré par le ministère des finances et adopté par le gouvernement fédéral, avant d'être examiné par le Parlement. Il comprend un budget d'ensemble et plusieurs budgets particuliers, lesquels détaillent le montant et la nature des recettes et des dépenses prévues pour chaque ministère et autorité fédérale suprême.
Du point de vue du calendrier budgétaire, la préparation du budget débute plus tôt en Allemagne qu'en France, dès novembre-décembre de l'année n-1, avec l'expression des besoins des ministères.
Ensuite, le texte est transmis au Parlement au plus tard lors de la première semaine de la session de septembre. Toutefois, il l'est généralement dès la fin du mois d'août, soit près d'un mois plus tôt qu'en France. Le Parlement dispose ensuite de près de 4 mois pour examiner le budget. Ainsi, alors que l'idée est émise de réduire le temps d'examen de la loi de finances en France, on constate que le Parlement allemand dispose de plus de temps, leur permettant de procéder à un examen de qualité.
Après une « première lecture » qui correspond à plusieurs jours de débat général en séance, le texte est renvoyé à la commission du budget où des rapporteurs examinent les postes de dépenses des ministères.
Le Bundestag comprend à la fois une commission des finances et une commission du budget : la commission du budget est chargée de l'examen du projet de budget et de contrôler son exécution ; la commission des finances est compétente pour tous les autres dossiers relevant du ministère fédéral des finances (recettes, droit bancaire, marchés financiers...).
À partir des recommandations des rapporteurs, la commission du budget propose un projet de budget modifié. C'est ce qui explique qu'en séance publique, très peu d'amendements soient présentés et adoptés. L'essentiel s'est passé en commission.
Une fois que le Bundestag s'est prononcé sur chaque budget particulier (« deuxième lecture »), il est prévu un vote final sur l'ensemble du projet modifié (« troisième lecture »).
Le Bundesrat travaille quant à lui parallèlement au Bundestag et dispose de 6 semaines. Il peut émettre des réserves sur lesquelles le Bundestag doit se prononcer.
De nos échanges avec nos homologues parlementaires, nous retenons tout d'abord une similitude avec notre procédure dans le travail approfondi de la commission, reposant sur des rapporteurs spéciaux pour chaque budget.
Ensuite, il existe une très grande proximité du Parlement avec la Cour des comptes, ses représentants étant même présents lors de l'examen des politiques publiques, pour répondre aux questions.
Du point de vue de l'évaluation et du chiffrage des amendements, le Bundestag ne dispose pas vraiment de moyens propres. Au contraire, les parlementaires travaillent directement avec les chiffres du ministère des finances qu'ils peuvent apparemment directement solliciter à cet effet.
Enfin, il n'existe pas d'article 40 proprement dit. Les groupes politiques s'accordent en revanche, au début de la période budgétaire, sur les règles qu'ils se fixent, par exemple en termes de compensation demandée lorsqu'une augmentation des dépenses est envisagée. Généralement, les députés ont pour ambition de faire mieux que le Gouvernement en termes de maîtrise des dépenses et du déficit.
M. Vincent Capo-Canellas. - Vous avez évoqué la proximité avec la Cour des Comptes. Cette dernière est-elle présente lors de l'examen en commission du budget, ou est-ce auprès du rapporteur ? En France, aujourd'hui, l'état actuel des textes ne le prévoit pas. Mais pourrait-on réfléchir à une manière de l'expérimenter, afin de rapprocher l'expertise de la Cour des comptes du travail que l'on peut faire en commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - D'après ce que nous avons compris, la Cour des comptes est présente en commission. Nous serons amenés à reparler lors de la révision constitutionnelle de la capacité à expertiser. Il y a, en ce moment, l'idée à l'Assemblée nationale de créer un office parlementaire dédié. Pour moi, le problème n'est pas celui de l'évaluation a posteriori : le travail que nous faisons, mais aussi celui de la Cour des comptes, l'inspection générale des finances et de manière plus générale les inspections ou encore les instituts privés, permettent d'avoir une évaluation a posteriori de qualité. Mais nous sommes confrontés à un manque d'étude d'impact. Celle qui est prévue dans les projets de lois est trop lacunaire. J'avais évoqué ce sujet avec Jean-Louis Debré. Celui-ci indiquait que si le Conseil constitutionnel se mettait à censurer l'absence de vraies études d'impact, il deviendrait juge de l'opportunité.
Nous votons des amendements sans connaître le chiffrage de leur impact. Nous travaillons trop à l'aveugle. Je pense notamment à l'augmentation de la TVA en matière de logement. Je ne sais pas si la Cour des comptes a les moyens de nous aider dans cette expertise ex ante. Nous avons surtout besoin d'avoir accès aux outils informatiques et aux données et de pouvoir les exploiter. Pour l'exit tax, l'évaluation de la direction de la législation fiscale a constamment changé au fil du débat.
M. Vincent Éblé. - La Cour des comptes allemande est apparemment très présente, pour l'expertise des rapporteurs spéciaux notamment.
M. Vincent Capo-Canellas. - À côté du travail du Haut conseil des finances publiques, ne pourrait-on pas discuter avec la Cour des comptes d'une capacité potentielle, au moment où le projet de loi de finances nous est transmis, d'identification de point d'attention pour les parlementaires ? Bien évidemment, cela ne nous empêchera pas d'avoir notre propre opinion.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - À la rentrée, nous devrons réfléchir à la procédure budgétaire. La proposition de l'Assemblée nationale de créer un office interroge sur les moyens dont on peut disposer pour que la loi soit votée sur des chiffrages sérieux. Doit-on avoir recours à des instituts privés, aux moyens internes du Sénat, instaurer un droit de tirage direct sur l'inspection générale des finances, sur la direction de la législation fiscale ? Peut-on solliciter directement la direction générale des finances publiques ? Il faudra réfléchir au bon outil à mobiliser. Nous devrons discuter avec la Cour des comptes et l'administration. Il faut changer la manière dont on vote la loi. On ne peut plus continuer à voter la loi avec des chiffrages à l'aveugle. Si un point doit être amélioré, c'est celui-ci plutôt que de s'interroger sur le délai de vote.
M. Bernard Lalande. - Le Sénat a inscrit dans son budget une enveloppe pour réaliser des expertises extérieures.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Toutefois, cela nécessite que ces instituts aient accès à la donnée. Comment évaluer le coût d'un amendement sans avoir les informations nécessaires de la part de la DGFiP ?
M. Philippe Dallier. - Personnellement, je ne suis pas persuadé qu'il faille faire jouer à la Cour des comptes un autre rôle qu'elle joue aujourd'hui. Vouloir l'associer plus au Parlement serait la soumettre encore plus à la critique de certains lui reprochant une certaine ingérence politique. Il vaut mieux que l'on cherche à se doter d'outils externes ou internes indépendants nous permettant de valider les hypothèses que l'on nous présente. Enfin, en ce qui concerne les délais dans lesquels on examine le budget, j'observe que le Bundesrat dispose seulement de six semaines. Je suis très inquiet de la volonté de raccourcir le délai d'examen de la loi de finances. J'espère que nous tiendrons bon sur ce point. Il faut quand même un peu de temps pour examiner le budget, formuler des propositions, préparer des amendements. Vouloir nous spécialiser sur le contrôle me donne l'impression de vouloir réduire nos prérogatives.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Nous sommes effectivement plutôt dans la moyenne basse de délai d'examen de la loi de finances. Historiquement, les parlements ont été créés pour autoriser la levée de l'impôt.
La commission donne acte de leur communication à M. Vincent Éblé, président, et à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.
La réunion est close à 11 h 55.