Mercredi 27 juin 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Examen du rapport pour avis
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Devant la persistance d'une crise du logement - malgré les nombreux textes votés au cours des dix dernières années - le Gouvernement a déposé un projet de loi destiné à adapter le logement aux besoins actuels et à libérer les contraintes pesant sur le secteur de la construction. Composé initialement de 66 articles, avant que l'Assemblée nationale n'en ajoute près de 120, il est organisé en quatre titres, ayant respectivement pour objet de construire plus, mieux et moins cher selon une logique de « choc d'offre » - on peut bien sûr s'interroger sur la compatibilité entre ces trois objectifs ; d'accompagner les évolutions du secteur du logement social ; de répondre aux besoins de chacun et de favoriser la mixité sociale ; et d'améliorer le cadre de vie.
Un certain nombre des dispositions sont susceptibles d'avoir un impact sur la qualité architecturale, l'exercice de la profession d'architecte et la préservation du patrimoine. C'est pourquoi notre commission s'est saisie pour avis de onze articles ou parties d'articles (car certains sont très longs) : l'article 1er bis, le V de l'article 3, l'article 3 bis, le III de l'article 5, l'article 5 septies, l'article 15, l'article 18 A, l'article 20, les V et VI de l'article 28, l'article 34 et l'article 54 bis A.
La simplification des normes occupe une place importante dans la stratégie proposée par le Gouvernement pour créer un choc d'offre. Les deux premiers titres du projet de loi comportent ainsi plusieurs dispositions qui visent à simplifier les normes et les procédures d'urbanisme pour donner aux entreprises et aux acteurs la capacité d'inventer des solutions nouvelles, de réduire les délais de production de logements et de construire et rénover davantage et d'accélérer les délais.
Le projet de loi modifie ou assouplit plusieurs dispositions destinées à favoriser la création architecturale et la protection du patrimoine, y compris certaines sur lesquelles le Parlement s'est prononcé il y a moins de deux ans, dans la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), sur la base d'un accord en commission mixte paritaire et après deux lectures dans chaque assemblée.
Certaines de ces modifications ne posent pas vraiment problème, car elles s'inscrivent plutôt dans la continuité de la LCAP : je songe au « permis d'innover » à l'article 3 bis. D'autres, en revanche, entrent davantage en contradiction avec notre récent vote : changements apportés aux règles d'élaboration du projet architectural, paysager en environnemental (PAPE) d'un lotissement par l'article 1er bis ; inversion de la valeur à accorder au silence du préfet dans le cadre d'un recours contre de l'avis de l'Architecte des bâtiments de France (ABF), dérogations à l'obligation de recourir à un architecte pour un projet architectural soumis à permis de construire, dispense de concours d'architecture pour les bailleurs sociaux.
Plus grave encore, le texte instaure de multiples dérogations à des principes fondamentaux de notre législation en matière d'architecture et de patrimoine. La loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique (MOP) fixe depuis 1985 les principales règles de droit de la construction publique. Des exceptions et dérogations sont ici prévues : dans le périmètre des opérations d'intérêt national (OIN) et des grandes opérations d'urbanisme (GOU) ; en faveur des concessionnaires d'une opération d'aménagement ; au bénéfice des bailleurs sociaux ; ou encore pour faciliter le recours aux marchés de conception-réalisation. Lorsque l'autorisation reste circonscrite à la construction des ouvrages pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), elle est plus acceptable, mais je regrette qu'elle soit présentée moins de six mois après le projet de loi sur les JOP !
En ce qui concerne le patrimoine, la principale difficulté réside dans les dérogations à l'avis conforme de l'ABF, sur les demandes d'autorisations d'urbanisme dans les espaces protégés au titre du code du patrimoine. L'article 15 autorise le passage à l'avis simple s'agissant de l'implantation d'antennes de téléphonie mobile et de la lutte contre l'habitat indigne, insalubre et en péril. Les personnes entendues craignent des conséquences graves sur la qualité de l'habitat et sur le patrimoine.
Car la législation existante avait été élaborée pour mettre un terme aux errements de l'après-guerre. La loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture et la loi MOP de 1985 ont rompu avec la logique de reconstruction dans l'urgence (nous payons encore le prix de la piètre qualité des constructions). La loi Malraux de 1962 a mis en place des mécanismes pour protéger les centres anciens dégradés que les aménageurs, pressés par l'urgence, avaient systématiquement tendance à raser. Ces législations ont joué, depuis leur entrée en vigueur, un rôle remarquable dans la protection et la qualité du cadre de vie dans notre pays. La résurrection du Marais, la mise en valeur de Sarlat ou la restauration du vieux Lyon n'auraient pas été possibles sans la loi Malraux ; la qualité de nos constructions actuelles tient beaucoup à la garantie de qualité architecturale offerte par la loi de 1977 sur l'architecture et aux procédures de la loi MOP applicables aux maîtres d'ouvrage publics et aux prestataires privés. Abandonner ces principes serait une régression considérable, surtout si se mettent à proliférer des bâtiments au rabais, standardisés. Souvenons-nous des craintes exprimées autour de la « France moche » lorsque nous examinions la loi LCAP.
Le projet de loi fait primer l'objectif de construction de logement sur toute autre considération d'intérêt général afin de libérer les acteurs de la construction et du logement du carcan des normes. La lecture de l'étude d'impact ne laisse aucun doute à cet égard !
La préservation du patrimoine est une action qui s'inscrit dans la durée et qui s'accommode mal d'un cadre juridique mouvant. Quant à la remise en cause des règles de la loi MOP, elle pourrait affecter les collectivités territoriales et susciter leur frilosité pour la mise en oeuvre de projets d'urbanisme, face à l'irruption d'un cadre moins rassurant.
Les arbitrages opérés par le projet de loi au détriment de l'architecture et du patrimoine paraissent d'autant plus surprenants que, dans le même temps, la qualité urbaine et l'urgence de la rénovation urbaine sont des enjeux identifiés comme prioritaires, face à la nette dégradation des constructions réalisées dans l'après-guerre. C'est l'un des thèmes du rapport remis récemment par Jean-Louis Borloo au ministre chargé de la cohésion des territoires.
Sans doute le manque de concertation sur ce texte, en dépit de l'organisation de la conférence de consensus demandé par notre assemblée, est-il à l'origine de positions aussi tranchées. L'ordre des architectes s'est étonné de ne pas avoir été véritablement consulté, en dépit de modifications notables apportées tant à la loi de 1977 qu'à celle de 1985.
Je me suis fixé plusieurs lignes directrices pour améliorer le texte. S'agissant de l'architecture, j'ai essayé de m'inscrire dans le cadre tracé par la loi LCAP et de limiter les dérogations à la législation actuelle au strict nécessaire pour tenir compte de l'évolution des besoins du secteur depuis trente ans.
Sur le patrimoine, j'ai poursuivi le travail que nous avions amorcé il y a quelques semaines en examinant la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Je suis donc allé dans le sens d'un renforcement du dialogue entre l'ABF et les élus locaux et d'une amélioration des possibilités de recours, tout en supprimant des dérogations à l'avis conforme de l'ABF qui menacent la protection de notre patrimoine, et qui ont des conséquences irréversibles.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des dispositions de ce projet de loi qui intéressent notre commission.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci au rapporteur pour la qualité de son rapport : je n'ai rien à y ajouter, je suis en phase avec ce qui a été dit. Plus largement, cette manière de légiférer en négligeant l'apport des corps intermédiaires, comme l'ordre des architectes, et en se passant du Parlement m'inquiète. Comment se limiter à une relation directe entre l'État et les constructeurs ? Cela n'a rien de démocratique et relève plus de décrets-lois que du travail législatif. On est renvoyé à une autre culture, à un régime tout césariste. La stratégie que propose le rapporteur a déjà très bien fonctionné concernant la rénovation des centres-bourgs, au prix peut-être d'une formulation complexe, mais complète. Je la soutiens !
Mme Dominique Vérien. - Nous suivrons le rapporteur. Il a remis l'église au centre du village, a écarté du texte les dispositions relatives aux bâtiments agricoles, qui n'ont rien à y faire, et restauré le rôle de l'architecte dans les grosses opérations d'aménagement. Appliquer les principes de la loi MOP est indispensable. Notre rapporteur a aussi refusé de généraliser les opérations de conception-réalisation, qui remettent en cause le principe de la séparation entre le maître d'oeuvre et l'entreprise. Certaines sont vertueuses, mais pas toutes ! La qualité des bâtiments pourrait en souffrir, or un immeuble de logement social est respecté s'il est beau, on le sait. L'assouplissement de la loi MOP que nous propose M. Leleux pour les bailleurs sociaux me convient : l'architecte est indispensable, mais tous ne sont pas performants dans le suivi de l'exécution. Les bailleurs pourront s'exonérer de la mission complète inscrite dans la loi MOP. Enfin, restaurer l'avis conforme de l'ABF me semble nécessaire.
Mme Sylvie Robert. - Je partage les propos du rapporteur sur l'architecture et le patrimoine. Construire plus, moins cher, plus vite, soit : mais il importe aussi de construire mieux et la loi de 1977 apportait toutes les garanties pour cela. Nous nous étonnons de trouver dans le texte une dérogation aussi profonde à la loi MOP, avec la suppression, pour les logements sociaux, du concours d'architecture, qui a pourtant une dimension à la fois symbolique (et propice à l'innovation) et politique. L'absence de concertation avec les professionnels nous dérange également. La dérogation aux lois Malraux, MOP et à la loi de 1977 aurait des conséquences désastreuses, dans la durée, pour la qualité de l'environnement et de l'architecture. La conception-réalisation telle qu'elle est dessinée dans le projet de loi serait néfaste également pour l'activité des TPE et PME. Sur ces sujets, nous refuserons les dispositions inscrites dans le projet de loi, et serons fidèles à notre histoire, aux principes que nous avons toujours défendus.
Mme Marie-Pierre Monier. - Merci à M. Leleux, notamment pour son analyse de l'article 15 dont la rédaction remet en cause les ABF et leur mission, qui est de veiller à la qualité de l'habitat aux abords des monuments historiques. Les exceptions introduites dans le texte pourraient être étendues, voire aboutir à la suppression pure et simple des avis conformes. Le silence du préfet vaudrait désormais acceptation du recours contre un avis de l'ABF, et non plus refus : c'est un grave recul. Je rappelle du reste que sur 400 000 dossiers d'autorisation de travaux instruits chaque année, 200 000 seulement sont soumis aux ABF ; environ 6,6 % font l'objet d'un avis défavorable, pourcentage qui tombe à 0,1 % après discussion entre les services de l'État et les élus. Il n'y a pas de conflit permanent avec des ABF qui seraient fermés à tout !
Je regrette la démarche quantitative, et non qualitative, qui prévaut dans le projet de loi. Dans les sites protégés, l'article 24 limite drastiquement la possibilité, pour les associations de préservation du patrimoine, de contester les procédures d'urbanisme. Quel recul ! Nous suivrons le rapporteur, comme nous l'avons fait s'agissant des centres-bourgs. Et nous présenterons des amendements allant dans le même sens que les siens, en séance.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Les clivages ici ne sont pas politiques mais culturels... Nous aurons du mal à nous faire entendre, mais nous y parviendrons si nous sommes mobilisés : l'enjeu est de taille, car les effets de certaines dispositions se manifesteront sur au moins vingt ans.
Je maintiens l'avis conforme des ABF. Nous avions réussi à inscrire dans la proposition de loi sur la revitalisation des centres-bourgs une rédaction qui faisait consensus entre nous. Il sera plus difficile cette fois de faire prévaloir notre conviction, mais il faut tout tenter car le débat agite le monde de la construction, du patrimoine, les élus, la société entière, et il serait étrange de ne pas le prendre en considération au Parlement. Nous voulons contribuer à l'amélioration de la co-construction de l'avis de l'ABF. Quelques amendements ont été adoptés à l'Assemblée nationale, nous ajoutons des éléments qui les prolongent. Nous supprimons la transformation de l'avis conforme de l'ABF en avis simple. Mais nous soutenons la proposition des députés de permettre aux maires de proposer à l'ABF un tracé pour le périmètre intelligent, des abords de monuments historiques. Nous souscrivons également à celle qui permet au maire, lorsque l'ABF doit donner un avis, desoumettre à celui-ci un projet d'avis conforme qu'il aura rédigé, pour ouvrir un dialogue. Enfin, nous souhaitons que figure dans l'avis de l'ABF une mention informant de la faculté de recours des autorités compétentes, car les maires des petites communes ne savent pas toujours qu'ils ont cette possibilité d'action. En outre, il faut cesser de modifier continuellement le sens du silence du préfet, car cela induit une confusion regrettable. Nous proposons plutôt que l'avis du préfet soit formel. Je ne suis pas un ayatollah de la défense des ABF. Mais les expériences parfois déplorables que nous avons connues les uns et les autres ne doivent pas conduire à supprimer totalement leur intervention !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les élus sont parfois bien contents de compter sur l'aide des ABF dans certains projets de rénovation urbaine, face aux pressions de la population ou de certains lobbies... Les exemples positifs sont plus nombreux que les exemples négatifs.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'avis conforme de l'ABF existe dans deux cas seulement : en site patrimonial remarquable, soumis à un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP) ; et aux abords des monuments historiques. Dans les deux cas, le maire, le président de l'EPCI, le conseil municipal ou communautaire, interviennent. Ils connaissent donc en amont les périmètres concernés par l'avis conforme. S'ils veulent des assouplissements, c'est au moment de l'élaboration de ces documents qu'ils doivent engager une discussion avec l'ABF. Il faut arriver à travailler plus en amont.
L'intention sous-jacente, ne nous y trompons pas, est de supprimer la profession d'ABF : c'est pourquoi je veux rester ferme sur le maintien de l'avis conforme.
Mme Sylvie Robert. - Nous approuvons le rapport pour avis mais nous ne prendrons pas part aux votes ce matin, puisque nous n'avons pas eu connaissance des amendements avant cette réunion.
M. Bruno Retailleau. - À titre personnel, j'incline vers la position du rapporteur. Le patrimoine appartient à la communauté nationale. Mais je ne veux pas engager l'ensemble de mon groupe, car nous avons encore quelques points à discuter entre nous. Beaucoup d'élus sont excédés par des expériences passées avec les ABF et ils voient la suppression de l'avis conforme comme une nouvelle liberté, un amoindrissement de la pression des normes. Il est certain que le dialogue doit s'instaurer beaucoup plus tôt. Il est certain également qu'un recours existe, mais bien peu de maires le savent dans les petites communes.
M. Didier Guillaume. - Le travail de notre rapporteur est excellent mais je ne partage pas du tout sa position sur les ABF : je voterai contre ses amendements à l'article 15. Car je représente les élus de mon département et ils sont très critiques à l'égard de ceux qu'ils considèrent comme des empêcheurs de tourner en rond. Les maires, les conseils municipaux ne songent pas à dénaturer les sites remarquables ! Je suis favorable à un avis simple. J'ajoute qu'un élu a plus de légitimité qu'un fonctionnaire pour décider ce qui doit être fait ou non.
M. Pierre Ouzoulias. - Je ne peux laisser dire cela, car je suis sénateur aujourd'hui, mais fus longtemps fonctionnaire ; et j'ai pendant trente ans défendu le patrimoine. Il y eut des scandales retentissants dans les années cinquante et soixante. Une partie du port de Marseille datant de 600 avant Jésus-Christ a été détruite par un maire « éclairé »... Sans législation sur le patrimoine, sur l'archéologie, nous n'aurions plus rien aujourd'hui de ce qui fait l'attrait touristique de la France.
On a construit hors de toutes normes dans les années soixante-dix : quel patrimoine en reste-t-il ? Des HLM érigées à toute vitesse... Avec une telle loi, jamais nous ne constituerons un patrimoine du XXIe siècle.
M. Max Brisson. - Je vais essayer de rester calme et modéré. Je suivrai le rapporteur, dans le même esprit que M. Retailleau. Mais comment peut-on réclamer plus de liberté et la refuser quand on nous l'offre ? La décentralisation, la confiance dans les élus, c'est aussi ne plus s'abriter derrière des fonctionnaires d'État, d'autant que la fonction publique territoriale est tout aussi digne ! Du reste, les scandales dont vous avez parlé datent d'avant le transfert de compétence aux collectivités. C'est sous l'égide de l'État que les plus grandes destructions de patrimoine se sont produites. Certains maires ont commis des erreurs, oui, mais les préfets plus encore. Si l'on avait imposé à Paris une vision figée du patrimoine, sans pouvoir rien détruire, on n'y aurait rien construit depuis le Moyen-Âge. Je fais confiance aux élus, ils ne commettent plus aujourd'hui les erreurs des années soixante.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette préoccupation a été traduite dans la LCAP, lorsque nous avons décidé de confier désormais la présidence de la Commission nationale de l'architecture et du patrimoine à un élu - comme dans les commissions régionales.
Mme Annick Billon. - Je soutiens le rapporteur, il faut construire plus mais surtout, mieux. L'aménagement crée le comportement. Les élus sont capables de décider, oui, mais ils passent, et le patrimoine reste.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Le débat est passionné, je le perçois aux décibels... C'est que tout maire a forcément croisé le fer avec un ABF. Si je me rallie à la démarche du rapporteur, c'est qu'elle est intelligente, conciliante. Il me semble important surtout qu'une même doctrine s'applique sur tout le territoire. Que les avis diffèrent d'un département à l'autre selon la personnalité de l'ABF, cela hérisse à bon droit les élus !
Mme Samia Ghali. - Je partage l'avis de M. Guillaume sur les ABF. Il y a du reste une hypocrisie de la part de l'État, qui charge ses agents d'empêcher les destructions, mais refuse de classer des bâtiments comme monuments historiques pour ne pas avoir à financer leur entretien. Ce serait pourtant la meilleure protection !
À ce jour, seule l'Italie a ratifié la convention de Faro, qui consacre le patrimoine culturel d'hier et d'aujourd'hui, usines et rues comprises. La France devrait suivre cet exemple.
M. David Assouline. - Je ne comprends pas pourquoi ce débat, qui vise à trouver le bon équilibre entre respect de la liberté des élus et permanence des règles, suscite une telle passion. L'impératif de préservation s'inscrit dans la durée, quelle que soit la légitimité des élus du moment, qui changent : heureusement qu'il existe des règles s'imposant à tous ! Les dérégulations aujourd'hui sont initiées par des rapports de force où dominent les intérêts marchands. Sans un corpus de règles, et sans les fonctionnaires qui les font respecter, les ravages se manifesteraient à très court terme. Évitons la démagogie, nous savons bien que les règles protègent les élus contre des volontés pas toujours avouables, des pressions de l'entourage. Il est précieux de pouvoir s'appuyer sur un socle de règles...
Mme Laure Darcos. - Nous nous sommes émus que le présent projet facilite le construire plus mais non le construire mieux. Les architectes, les ABF, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement sont utiles. Bien sûr, certains ABF ne sortaient jamais de leur bureau : ils ont senti le vent du boulet lors de la discussion de la proposition de loi Pointereau, ils se sont rendus compte de certains abus, aussi. Quoi qu'il en soit je partage l'avis du rapporteur : tous les élus ne sont pas historiens de l'art, et il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-1 prévoit l'obligation du recours au paysagiste-concepteur, si le projet le justifie, mais en association avec l'architecte et non à sa place, car un paysagiste ne peut mener un projet architectural.
Mme Dominique Vérien. - Je vote contre cet amendement.
L'amendement COM-1 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-2 supprime la dérogation à la loi MOP prévue au profit des concessionnaires d'une opération d'aménagement. Cette nouvelle exclusion paraît en effet excessive : un aménageur public intervenant dans un contrat de concession ne serait plus soumis aux règles de la maîtrise d'ouvrage publique, quelles que soient la zone et les circonstances. Les garanties de qualité, sur des bâtiments tels que des crèches, des écoles, des gymnases ou des logements seraient amoindries.
L'amendement COM-2 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-3 infléchit la disposition introduite à l'Assemblée nationale pour faciliter le dialogue et la concertation entre les élus et les ABF. J'ai voulu lever une ambiguïté sur le projet d'avis rédigé par le maire pour délimiter les abords d'un monument historique. Ce projet de délimitation doit être soumis à l'ABF non pour avis mais pour accord.
L'amendement COM-3 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-4 est fondamental, il supprime les dérogations inscrites à l'article 15 au principe d'avis conforme de l'ABF. Le passage à l'avis simple pourrait se révéler très dangereux pour la préservation du patrimoine. Certes, il faut assurer la couverture du territoire par la téléphonie mobile, mais cela ne justifie pas d'installer des relais n'importe où ! Les contentieux avec l'ABF, sur ces cas, sont extrêmement rares !
Mme Françoise Laborde. - Nous nous abstiendrons, faute pour notre groupe d'avoir pu se prononcer globalement.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Le maire, dans la rédaction des députés, peut rédiger un projet d'avis. L'ABF peut demander des modifications. Mais que se passe-t-il ensuite ? L'amendement COM-5 précise que l'ABF peut apporter lui-même des corrections. Il ne faudrait pas, en effet, jouer la montre pour atteindre le délai de deux mois...
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-6 vise à mieux faire connaître les possibilités de recours à l'encontre des avis des ABF.
Mme Marie-Pierre Monier. - C'est utile, tous les maires ne les connaissent pas.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - C'est une question de transparence. Les avis conformes y contribuent, ils créent une jurisprudence, au contraire des avis simples.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Un avis formel et public du préfet, dans le cadre des recours contre l'avis de l'ABF, va également dans le sens d'une doctrine unifiée sur l'ensemble du territoire. Tel est l'objet de l'amendement COM-7.
L'amendement COM-7 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Je vous propose, avec l'amendement COM-8, de supprimer l'article 18 A. Il dispense les coopératives de matériel agricole (CUMA), qui n'ont pas une mission directement agricole, du recours à un architecte pour leurs constructions inférieures à 800 mètres carrés. Cette dérogation pourrait induire d'importantes atteintes au paysage. Un décret du 28 décembre 2015 a autorisé les CUMA à construire dans les zones agricoles ou naturelles et forestières des bâtiments nécessaires à l'exploitation agricole. Leur insertion harmonieuse dans l'environnement est une des missions des architectes.
M. Bruno Retailleau. - Je ne comprends pas...
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Le recours à un architecte souffre aujourd'hui des dérogations : pour les particuliers, notamment, en-deçà de 150 mètres carrés. Les CUMA demandent une dérogation elles aussi, mais elles n'ont pas de vocation agricole directe.
M. Bruno Retailleau. - Elles ont bien une mission en rapport avec l'exploitation agricole : je m'abstiendrai.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Avec une telle dérogation, les hangars pourraient défigurer le paysage. Nous n'interdisons pas ces constructions, mais nous maintenons l'intervention d'un architecte.
Mme Dominique Vérien. - Le projet de loi traite du logement, pas de l'agriculture, et cet article n'a pas sa place ici.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-9 rétablit la prolongation de la dérogation autorisant les bailleurs sociaux à recourir à la conception-réalisation jusqu'au 31 décembre 2021, disposition qui figurait dans le projet de loi initial. Il ajoute une évaluation, quantitative et qualitative, par un organisme indépendant avant le terme de la dérogation, de manière à éclairer le législateur.
Les députés souhaitent une pérennisation de la procédure de conception-réalisation pour les bailleurs sociaux. Mais aucune évaluation de cette dérogation n'a plus été réalisée depuis le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable de mars 2013. Et aucune condition à son emploi n'a été fixée. Mieux vaut prolonger la dérogation jusqu'en 2021, et l'analyser alors.
L'amendement COM-9 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-10 supprime un paragraphe ajouté par les députés qui a pour effet d'étendre à la construction neuve la conception-réalisation, par dérogation aux règles de la loi MOP.
Offrir la possibilité aux maîtres d'ouvrage soumis à la loi MOP de recourir aux marchés de conception-réalisation (au motif de respecter la réglementation thermique en vigueur) reviendrait à généraliser cette procédure, pourtant en contradiction avec le principe de libre accès à la commande publique et la règle de l'allotissement. Les jeunes architectes, mais aussi le tissu économique local - artisans, TPE et PME - en souffriraient. Seules les entreprises du bâtiment dotées d'une grande surface financière pourraient y accéder.
L'amendement COM-10 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-11 revient sur la sortie des bailleurs sociaux du titre II de la loi MOP, tout en prévoyant un décret en Conseil d'État pour fixer le contenu d'une « mission adaptée de l'architecte », car les bailleurs sociaux ne sont pas des maîtres d'ouvrage comme les autres. Cette mission sera moins contraignante que la mission complète, mais les architectes continueront à s'assurer de la qualité des bâtiments.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-12 supprime l'article. Notre commission a été à l'origine de la dernière réforme de législation applicable aux pré-enseignes, qui par leur prolifération anarchique le long des routes causent de fortes nuisances, et qui, par leur positionnement, échappent au contrôle des maires. Nous avions alors décidé d'en restreindre le champ.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Cette disposition a été subrepticement introduite à l'Assemblée nationale, qui va à l'encontre des dispositions votées par le Sénat dans la foulée du rapport d'Ambroise Dupont.
Mme Dominique Vérien. - Si l'article refait son apparition, c'est que le mieux est l'ennemi du bien, et que la suppression de toute pré-signalisation à l'entrée des villages s'est révélée préjudiciable à l'activité économique : il n'est plus possible d'informer les touristes qu'un restaurant est ouvert ! Je voterai contre l'amendement, il faut assouplir la règle.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Au risque de voir refleurir les publicités pour des chaînes de hamburgers ?
Mme Dominique Vérien. - Il aurait fallu distinguer selon la taille des villes.
M. Jean-Claude Carle. - Dans les petites communes, cette réglementation, appliquée très strictement par l'administration, est très pénalisante. Je voterai moi aussi contre l'amendement.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Il n'y a pas d'interdiction. Un arrêté de 2008 a ménagé des possibilités pour guider les usagers de la route par le biais des signalisations d'information locale.
L'amendement COM-12 n'est pas adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous propose comme c'est l'usage d'autoriser notre rapporteur à apporter d'éventuels ajustements lors de la réunion des affaires économiques la semaine prochaine ; et à redéposer si nécessaire en séance les amendements que nous venons d'adopter.
Mme Sylvie Robert. - Pourquoi notre rapporteur ne nous a-t-il pas présenté d'amendements pour revenir aux dispositions que nous avions votées il y a deux ans dans la LCAP relativement au concours d'architecte ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis. - Je déplore dans mon rapport ce signal négatif consistant à revenir sur une obligation votée il n'y a pas deux ans. Le concours n'est pas une dépense considérable : 2 % du prix total. Il rallonge certes les délais mais c'est un vecteur d'innovation et de création, et j'y suis favorable.
Cependant le fonctionnement actuel du concours n'est pas pleinement satisfaisant : les modalités doivent être revues pour éviter la sur-représentation des grands cabinets. Les bailleurs sociaux, je le précise, conservent la possibilité d'organiser un concours. Le Gouvernement avait clairement annoncé lors de la discussion de la LCAP qu'il reviendrait sur l'obligation dans le décret d'application. Plus largement, sur ce texte, le débat est légitime, entre des positions motivées toutes deux par l'intérêt public... Il ne s'achèvera pas en 2018.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La défense du patrimoine n'empêche pas de répondre aux besoins de logements : les deux motifs d'intérêt public ne sont pas forcément opposés.
Mission d'information sur la formation à l'heure du numérique - Présentation du rapport d'information
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Au terme d'un travail de plus d'un an sur les enjeux de la formation à l'heure du numérique, je souhaiterais vous faire part de mes principales observations. D'abord, je rappellerai les éléments de contexte qui m'ont poussée à lancer cette mission : à l'occasion des assises du numérique de 2016, j'avais été choquée que le document ayant servi de base de réflexion sur la capacité de la France à se donner les moyens d'être une grande puissance numérique soit une étude réalisée par le cabinet Roland Berger et Google. Ne revenait-il pas plutôt au Parlement de dresser un tel état des lieux et de proposer des pistes de réflexion en matière d'éducation et de formation afin d'assurer l'avenir de la France dans un monde numérique ?
C'est la raison pour laquelle j'ai engagé ce travail de fond sur la formation à l'heure du numérique : inquiète de voir que nous déléguons de plus en plus aux marchés le soin de décider de notre avenir numérique, il m'est apparu indispensable que le politique se réapproprie ce processus réflexif et arrête le modèle de société et la place de l'Homme qu'il souhaite défendre à l'heure du numérique. À l'issue d'un an de travail qui m'a conduit à entendre près de 80 personnes et à me déplacer en région et en Ile-de-France, une éducation et une formation rénovées me paraissent plus que jamais constituer les conditions de réussite pour permettre à la nation de faire face aux enjeux de la digitalisation du monde.
Depuis quarante ans, le numérique a enclenché un bouleversement sans précédent dans l'histoire de l'humanité, modifiant notre manière de travailler, d'apprendre, de consommer, et même de penser, en raison de la caisse de résonance jouée par les réseaux sociaux et le développement de l'économie de l'attention.
La révolution numérique s'accompagne de formidables opportunités. En matière de santé, le développement de la télémédecine et de la santé prédictive laissent espérer une meilleure prise en charge des patients et une plus grande efficacité des traitements. Le numérique peut également être un puissant levier d'optimisation de nos systèmes énergétiques, alimentaires ou encore de mobilité.
La révolution numérique pose néanmoins de nombreux défis, défis que j'avais déjà eu l'occasion d'identifier à l'occasion de la mission d'information sur la gouvernance de l'Internet que j'avais conduite en 2013/2014.
Les défis sont d'abord économiques, liés à la désintermédiation-réintermédiation et à la « servicialisation » de l'économie qui profitent aux plateformes Internet au détriment des entreprises traditionnelles. En outre, les entreprises doivent impérativement assurer leur digitalisation si elles veulent rester compétitives, ce qui implique un investissement financier non négligeable, mais surtout une modification en profondeur de leur organisation managériale et l'adaptation des compétences des salariés aux nouvelles exigences du numérique et à l'évolution des métiers. Afin de relever le défi industriel du numérique, quatre secteurs doivent faire l'objet d'investissements massifs et coordonnés au niveau européen : la mobilité, la santé, l'énergie et l'environnement.
La révolution numérique pose également la question de l'adaptation massive des compétences à réaliser sous le double effet de l'automatisation et de la numérisation. De nombreuses voix s'élèvent également pour dénoncer le risque « d'ubérisation » du travail et d'une précarisation des travailleurs.
Parallèlement, la pénurie de compétences dans le domaine des technologies de l'information et de l'électronique est évaluée à 80 000 emplois d'ici 2020 !
Les défis stratégiques sont liés à l'instauration d'un quasi-monopole technique et économique des multinationales américaines et asiatiques. Cette dépendance fait courir un risque évident d'instrumentalisation du numérique à des fins politiques et de sécurité, mais également économiques et commerciales.
La marchandisation des données soulève également de nombreuses questions éthiques, à la fois sur la manière dont elles sont traitées, mais également sur l'acceptation par l'usager de cette surveillance systématique, encore accentuée par l'essor de l'Internet des objets.
L'apparition d'oligopoles du web affaiblit considérablement la transparence et la diversité des informations, deux qualités essentielles pour le bon fonctionnement de la démocratie.
Les soupçons d'ingérence du gouvernement russe dans la dernière campagne présidentielle américaine, le « scandale Cambridge Analytica », l'essor des « fake news » - sur lesquelles nous allons devoir bientôt nous positionner - témoignent des dangers qu'une utilisation mal intentionnée des nouvelles technologies fait peser sur la démocratie et l'avenir du monde.
L'influence majeure du numérique sur l'humanité conduit également à s'interroger sur la société qu'il dessine et sur notre capacité à rester maître de notre destinée humaine.
Les inégalités liées aux usages ont tendance à s'accroître, accélérant la distinction entre ceux qui sont cantonnés dans un rôle de consommateur passif et ceux qui savent tirer profit des possibilités et services offertes par les technologies pour mener leurs propres projets et imposer leurs intérêts.
Par ailleurs, la promesse d'émancipation portée par le numérique à ses débuts est remplacée subrepticement par une soumission croissante aux outils numériques qui apportent à l'usager des solutions « clés en main », censées lui simplifier la vie et optimiser ses choix, mais sur lesquelles il n'a pas toujours de prise et sans garantie que les outils numériques agissent conformément à ses normes sociales et à ses valeurs.
Le numérique pose même la question de l'utilité de l'homme et de sa réduction à la simple activité de consommateur : non seulement l'intelligence artificielle tend à rendre les machines plus performantes que les humains, mais sous prétexte de nous aider, ces dernières nous déshabituent à solliciter un nombre croissant de nos capacités cognitives.
Il serait donc fatal de céder à l'ébriété technologique ambiante et de renoncer à s'interroger sur le monde dans lequel nous souhaitons vivre. Dans ce contexte, l'éducation et la formation ont plus que jamais un rôle fondamental à jouer. Trois axes d'action doivent être privilégiés : mettre le numérique au service de la réussite scolaire ; réussir la digitalisation des entreprises ; former l'ensemble des citoyens à la fois pour assurer leur insertion professionnelle durable dans un monde en pleine mutation, mais également pour leur permettre d'avoir un regard distancié et critique sur les nouvelles technologies et leur impact sur notre société.
Le plan numérique pour l'éducation lancé en mai 2015 s'inscrit dans une préoccupation récurrente depuis un demi-siècle d'intégrer le numérique à l'École. Il vise trois objectifs : développer des méthodes d'apprentissages innovantes pour favoriser la réussite scolaire et développer l'autonomie ; former des citoyens responsables et autonomes à l'ère du numérique ; préparer les élèves aux emplois digitaux de demain.
Le plan numérique pour l'éducation a permis des avancées incontestables. En 2017, 3 072 collèges, soit 52 % des collèges publics, et 3 770 écoles ont été équipés, soit près de 600 000 élèves concernés. Ce plan massif d'équipement cofinancé par l'État et les collectivités territoriales a permis d'engendrer une réelle dynamique dans les territoires concernés.
Par ailleurs, l'enseignement au numérique est désormais abordé dans ses trois dimensions - éduquer aux médias et à l'information, apprendre aux élèves à se servir des outils numériques, former aux sciences du numérique - qui sont intégrées dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
Néanmoins, le bilan du plan numérique pour l'éducation reste jusqu'à présent en-deçà des attentes.
En ce qui concerne la formation au numérique comme outil, au moment où la loi sur la refondation de l'École de 2013 en rappelait l'importance, le brevet informatique et Internet a été officieusement supprimé, alors que la plateforme d'autoévaluation des compétences numériques PIX censée le remplacer tarde à être mise en oeuvre.
Par ailleurs, aussi bien l'enseignement de la « littératie numérique » que l'éducation aux médias et à l'information ne relèvent pas d'une matière spécifique, mais ont vocation à être enseignés de manière transversale. Se pose donc la question de la place réelle conférée à ces enseignements - qui dépendent du bon vouloir des enseignants - et de leur évaluation.
L'enseignement des langages informatiques est désormais obligatoire au primaire et au collège même s'il ne fait pas l'objet d'une discipline spécifique. Au lycée, un enseignement facultatif est proposé à toutes les classes de la seconde à la terminale, même si son succès auprès des élèves reste pour l'instant limité. L'initiation obligatoire à l'informatique instaurée à l'école primaire et au collège devrait inciter davantage de lycéens à choisir cette option. Dans le cas contraire, une réflexion devra être menée sur l'introduction d'un enseignement obligatoire de l'informatique au lycée.
Une autre limite du plan numérique pour l'éducation est liée au fait que la grande majorité des enseignants n'a pas modifié ses méthodes d'enseignement en dépit de l'introduction du numérique dans leur collège. L'essor attendu de pratiques innovantes mettant en valeur des pédagogies reposant sur la coopération et l'entraide entre les pairs, le désir d'apprendre et le souci d'« apprendre à apprendre » plus qu'à transmettre des savoirs n'a pas eu lieu et l'utilisation du numérique reste cantonnée à la préparation des cours ou à une utilisation exclusive par l'enseignant pendant le cours.
L'inadaptation de la formation initiale des enseignants constitue le principal frein à l'usage du numérique à des fins pédagogiques.
La loi sur la refondation de l'Ecole a chargé les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) de la formation des futurs enseignants au numérique. Toutefois, l'enseignement du numérique reste sous-dimensionné (20 heures en master 1 sur 300 à 500 heures au total, 15 heures en master 2 sur 250 à 300 heures !) et trop théorique.
Telle qu'elle est organisée actuellement, la formation continue ne permet pas non plus de répondre aux enjeux de l'intégration du numérique à l'Ecole. Obligatoire seulement pour les enseignants du premier degré, elle apparaît souvent éloignée des besoins des enseignants, aussi bien au niveau de son contenu que de son format et de ses modalités.
Pour assurer l'efficacité de l'intégration du numérique à l'École, quatre conditions doivent être réunies.
D'abord, la pédagogie doit être placée au coeur du projet numérique. En effet, le numérique n'est pas une finalité en soi, il constitue un vecteur au service des apprentissages qui permet de démultiplier les potentialités d'une pédagogie innovante.
Ensuite, la formation initiale des futurs enseignants doit être revue en profondeur. Max Brisson et Françoise Laborde rendront prochainement leurs conclusions sur le métier d'enseignant. Sans préjuger des recommandations qu'ils feront, trois pistes de réflexion me paraissent importantes : la pré professionnalisation des trois années de licence, une revalorisation de l'enseignement des usages numériques pédagogiques dispensé par les ÉSPÉ et une réforme du statut des formateurs afin de garantir la présence de praticiens qui continent à être en contact avec des élèves. Par ailleurs, la formation continue doit devenir systématique et l'accompagnement au quotidien des enseignants renforcé.
La priorité donnée à l'équipement individuel mérite d'être réexaminée à l'aune du taux d'équipement des élèves du collège en outils numériques : 86 % des 12-17 ans possèdent un smartphone !
Enfin, et notamment au regard de l'efficacité mitigée du numérique pour améliorer la réussite scolaire constatée par plusieurs études de l'OCDE, il apparaît indispensable d'appuyer les choix réalisés en matière d'éducation sur les résultats de la recherche scientifique pour améliorer leur efficacité, ce qui passe par un investissement massif dans la recherche sur les conditions d'apprentissages et l'impact des nouvelles technologies.
Au cours de ma mission, j'ai également été conduite à réfléchir aux conditions de réussite de la digitalisation des entreprises, et notamment des PME et, par conséquent, à la nécessité de réformer le système de formation afin de prendre en compte l'évolution des compétences imposée par le numérique.
La formation initiale doit répondre à deux objectifs :
- donner aux apprenants une culture numérique en rapport avec les besoins des entreprises. La formation doit permettre l'acquisition de compétences techniques (maîtrise des outils numériques pour un usage professionnel), mais également de compétences socio-cognitives telles que l'agilité, la capacité à gérer la complexité et à collaborer, la créativité ;
- la formation initiale doit également assurer un vivier de compétences suffisant pour les métiers liés au numérique. Cet objectif passe par une meilleure information au moment de l'orientation des jeunes afin d'en attirer un plus grand nombre vers les carrières numériques. Il convient également d'assurer une plus grande diversité dans les cursus de formation et les profils des apprenants à travers le développement de l'apprentissage, la mise en place d'une filière professionnelle numérique, la pérennisation et le renforcement des actions menées dans le cadre de la grande école du numérique et une mobilisation nationale pour s'attaquer à la trop faible mixité dans le secteur du numérique.
En ce qui concerne la formation continue, elle doit faire l'objet d'une double évolution apparemment contradictoire : la massification puisque 50 % des métiers ont vocation à voir leur contenu évoluer profondément, mais également une plus grande individualisation afin de mieux tenir compte des besoins de chaque salarié. Dans ce contexte, la formation continue doit gagner en flexibilité - avec le développement des formations sur le lieu de travail et l'utilisation du numérique pour diversifier les modalités de formation - et faire évoluer ses contenus, en favorisant l'acquisition de blocs de compétences transférables d'une filière à l'autre. Cette réforme est en cours. Il faut l'accompagner et l'accélérer.
Enfin, il faut impérativement s'attaquer à la formation de l'ensemble des citoyens.
À l'heure actuelle, les inégalités d'accès se sont réduites, mais elles n'ont pas complètement disparu. Ainsi, 15 % des Français ne disposent pas d'Internet, 19 % ne possèdent pas d'ordinateur à domicile et 27 % d'entre eux n'ont pas de smartphone.
En réalité, la fracture numérique est multidimensionnelle. L'âge constitue le facteur discriminant le plus élevé. L'inégalité géographique d'accès aux réseaux contribue également à la fracture numérique. À l'heure actuelle, 51,2 % seulement du territoire français bénéficie du haut débit tandis que 541 communes réparties dans six régions différentes ne disposent d'aucun accès à Internet. La fracture numérique est également une fracture sociale et culturelle.
Or, les risques d'exclusion des non-utilisateurs se renforcent face à l'injonction de plus en plus généralisée de connexion permanente aux services en ligne dans tous les domaines de la vie en société.
La montée en compétence de tous les citoyens doit reposer sur une stratégie qui s'appuie sur trois axes :
- une promotion de l'accès au numérique, à travers un renforcement de l'accessibilité au matériel informatique et une accélération du plan France très haut débit ;
- une politique d'accompagnement de proximité à l'usage du numérique dans tous les territoires. Les personnes âgées et les publics les plus fragiles doivent faire l'objet d'une attention particulière dans le cadre de cette politique d'inclusion numérique ;
- une sensibilisation généralisée de l'ensemble de la population aux enjeux du numérique, à la fois pour assurer l'insertion professionnelle durable de tous dans un monde en pleine mutation, mais également pour permettre aux citoyens d'avoir un regard distancié et critique sur les nouvelles technologies et leur impact sur notre société.
Ce constat m'a amené à formuler trente-six recommandations pour reprendre en main notre destin numérique. À défaut de pouvoir les détailler toutes, je vais vous présenter les neufs axes d'action qui les structurent.
Le premier vise à mettre en place une stratégie nationale pour le numérique, à travers notamment la sensibilisation des responsables politiques, éducatifs, culturels et économiques aux enjeux du numérique, notamment pour effectuer les bons choix technologiques. Lors de l'examen de la loi pour une République numérique, nous avions souhaité la création d'un commissariat au numérique chargé de la stratégie et de la coordination interministérielle sur ces questions. Ce n'est en effet pas un secrétariat d'État au numérique, certes rattaché au premier ministre, mais sans moyen ni autorité sur les autres ministères qui peut imposer une vision stratégique et coordonnée en matière de numérique. J'en veux pour preuve les récentes chartes conclues entre le ministère de l'éducation nationale et les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) que j'ai dénoncées encore récemment dans le cadre des questions au gouvernement et qui n'auraient peut-être pas été signées si le ministère de l'éducation nationale avait été davantage sensibilisé sur les enjeux du numérique. La commission nationale informatique et libertés (CNIL) avait proposé de faire de l'éducation au numérique la grande cause nationale de 2014, suggestion qui n'avait malheureusement pas été retenue. Je plaide donc pour que la montée en compétence numérique de l'ensemble des citoyens soit déclarée grande cause nationale de 2019.
Le deuxième axe d'action vise à encourager la montée en compétence numérique de tous, que ce soit à l'École, dans les entreprises, mais également dans les territoires à travers la mise en oeuvre de stratégies d'inclusion numérique.
Le troisième axe d'action concerne la formation des formateurs pris au sens large, qu'il s'agisse des formateurs en ÉSPÉ ou des futurs enseignants.
Le quatrième axe d'action est dédié aux politiques à mettre en oeuvre pour favoriser l'orientation vers les métiers du numérique, avec un effort particulier à faire en matière de féminisation des métiers du numérique.
Le cinquième axe d'action porte sur les conditions de réussite de la digitalisation des entreprises et propose une adaptation de la formation initiale et continue, mais également un meilleur accompagnement des PME dans leur transition numérique. Il nous faut également investir massivement dans quatre secteurs clés : la mobilité, la santé, l'énergie et l'environnement ainsi que dans les questions de cybersécurité.
Le sixième axe d'action doit permettre aux citoyens de mieux comprendre les enjeux éthiques, démocratiques et sociétaux du numérique. Dans ce but, l'éducation aux médias et à l'information doit occuper une place centrale dans le cursus scolaire et disposer de moyens supplémentaires : je rappelle que six personnes seulement travaillent au centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI)! Il faut également lancer une politique de sensibilisation de l'ensemble des citoyens, avec le soutien de la CNIL, de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et de l'audiovisuel public. À cet égard, je regrette l'insuffisante coordination des missions de la HADOPI avec le ministère de l'éducation nationale : lors de son audition la semaine dernière, Denis Rapone nous a rappelé que la convention négociée depuis plusieurs mois entre la HADOPI et le ministère de l'éducation nationale n'avait toujours pas été signée par ce dernier.
Le septième axe d'action insiste sur la nécessité d'apprendre à se servir des écrans et d'apprendre à s'en passer. Au cours de mes auditions, j'ai pu constater les dégâts qu'entraîne une exposition précoce aux écrans sur le développement des jeunes enfants, notamment ceux de moins de trois ans. J'ai auditionné de nombreux pédiatres, orthophonistes, psychologues ainsi que le psychiatre Serge Tisseron. Il me paraît donc indispensable d'obliger les fabricants d'outils numériques à vocation pédagogique à indiquer sur l'emballage que l'exposition aux outils numériques peut nuire au développement de l'enfant de moins de trois ans. La mise en place d'une signalétique comparable à celle utilisée pour la classification des films pourrait être envisagée. Il convient également de relancer une campagne de sensibilisation sur les recommandations en matière d'exposition aux écrans à la fois auprès des parents, mais également de tous les acteurs de la petite enfance. Dans mon rapport, je me suis également longuement penchée sur les questions de cybercriminalité, de cyberharcèlement ou encore de cyberpornographie.
Le huitième axe d'action vise à renforcer l'utilisation du numérique au service de l'égalité, que ce soit en matière d'apprentissage pour les élèves à besoins particuliers -un certain nombre de handicaps peuvent être surmontés grâce aux outils numériques - mais également pour assurer l'accès réel aux droits culturels.
Enfin, le neuvième axe d'action porte sur la défense de notre souveraineté numérique en matière d'éducation et de formation à la fois face aux géants du numérique, mais également face à la domination croissante du modèle anglo-saxon. Cela passe notamment par le développement d'une véritable filière du numérique éducatif associant tous les acteurs publics et privés et soutenue financièrement par les pouvoirs publics.
M. Bruno Retailleau. - Je tiens à féliciter la présidente pour son excellent rapport. Il me semble qu'il faut insister sur la dimension européenne, notamment en ce qui concerne la souveraineté fiscale. L'actuelle commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager est beaucoup plus engagée que ses prédécesseurs sur ces questions et n'hésite pas à mener des actions contre les GAFAM et à les condamner à des amendes lourdes pour des violations flagrantes des règles de la concurrence. On assiste en effet à un pillage de l'Europe de la part de ces entreprises et les solutions sont à trouver au niveau européen. C'est également à l'échelle de l'Europe que doit être pilotée la recherche sur les nouvelles technologies, qu'il s'agisse de l'ordinateur quantique ou de l'intelligence artificielle. Enfin, je vous remercie de ne pas avoir proposé d'annexer à la constitution une charte du numérique !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je me permets de commenter cette dernière remarque. L'Assemblée nationale a lancé une réflexion sur l'introduction du numérique dans la constitution. Un groupe de travail a été créé qui a fait des propositions. J'estime qu'il n'est pas raisonnable, compte tenu du temps qu'il nous est imparti, de se lancer dans l'élaboration d'une charte. J'ai consulté la présidente de la CNIL qui m'a confirmé qu'un tel projet nécessiterait plusieurs mois de travail. Une alternative serait de modifier l'article 34 de la constitution afin de prendre en compte cette réalité numérique. La commission des lois devra se prononcer sur cette proposition. J'y suis personnellement favorable.
Mme Colette Mélot. - Je tiens également à vous féliciter pour cette mission d'information. Il y a une meilleure prise de conscience des enjeux du numérique depuis quelques années, mais elle reste insuffisante. Je souhaiterais revenir sur le plan numérique pour l'éducation. Il y a eu un équipement massif dans de nombreuses écoles. En revanche, la formation des enseignants a été négligée, elle est trop théorique et sous-dimensionnée tandis que la formation continue mériterait d'être renforcée. Il me semble qu'il n'y a pas de professeurs d'informatique et que le numérique est considéré plus comme un outil que comme une discipline à part entière.
Mme Françoise Laborde. - Je m'associe aux félicitations de mes collègues. Il faudra des années pour mettre en oeuvre vos trente-six propositions ! Nous devons être très attentifs aux problèmes éthiques soulevés par le numérique, qui, si nous n'y prenons pas garde, peut renforcer non seulement les inégalités entre les territoires, mais également les inégalités sociales. Je suis en train de mener une mission d'information avec notre collègue Max Brisson sur le métier des enseignants, qui nous conduit à nous interroger sur leur formation. En ce qui concerne l'utilisation des téléphones et des tablettes, il nous faut être vigilant afin de s'assurer qu'ils sont utilisés dans un cadre pédagogique. J'ai par ailleurs assisté hier à une audition avec notre collègue Stéphane Piednoir au cours de laquelle a été de nouveau pointé l'impact de l'exposition aux écrans sur le développement de la myopie.
M. Antoine Karam. - Merci pour ce rapport très complet. L'enseignant que je fus fait partie de ces générations qui ont eu beaucoup de mal à s'adapter au numérique. Les formations dans les ÉSPÉ permettent de prendre conscience des enjeux, mais non de s'y adapter. C'est la raison pour laquelle il faut renforcer la formation initiale et continue. Dans nos territoires éloignés, les disparités sont encore plus grandes car dans des villages amérindiens comme Antecume-Pata dans lesquels il n'y a ni eau courante ni électricité, et donc encore moins Internet, c'est un vrai sacerdoce d'être enseignant. Il faut donc que les propositions de ce rapport soient suivies d'effet car, le numérique, c'est comme l'électricité au 19ème siècle : on ne reviendra pas en arrière !
M. Jacques-Bernard Magner. - Je tiens à vous féliciter également. Il me semble qu'il existe un hiatus entre la volonté du gouvernement d'interdire le smartphone à l'école et la nécessité de développer son usage dans un cadre pédagogique. Cela me rappelle le débat sur les machines à calculer : lorsqu'elles sont apparues, certains enseignants se sont demandés s'il fallait interdire ou pas leur utilisation à l'école. Depuis, elles sont devenues un outil banal et quotidien des élèves. Le ministre de l'éducation nationale devra donc clarifier sa position. Il y a deux façons d'aborder l'essor des nouvelles technologies : une façon empirique qui consiste à interdire leur usage sans s'intéresser aux conséquences négatives de cette interdiction, et une façon progressiste, qui vise à tenir compte des évolutions technologiques et à profiter des opportunités qu'elles offrent en matière d'apprentissage.
M. Pierre Ouzoulias. -Je souhaite également vous féliciter pour cette étude et faire deux commentaires. D'abord, le numérique n'est pas seulement un outil supplémentaire, il influe sur notre manière de penser. Par conséquent, en tant qu'enseignant, il n'est pas possible d'utiliser la pédagogie développée à l'époque où le numérique n'existait auprès des enfants ayant accès au numérique. Par ailleurs, je profite de votre recommandation 34 visant à affirmer notre souveraineté en matière d'éducation et de formation face aux géants du numérique pour dénoncer le scandale qui entoure les conditions de publication numérique des travaux scientifiques. Le contribuable paie quatre fois : il paie le fonctionnaire qui effectue la recherche, puis ce dernier paie le droit de pouvoir publier, son abonnement et enfin l'accès à son article. Ce système est entièrement contrôlé par trois ou quatre grandes entreprises qui ne sont pas les GAFAM mais qui sont beaucoup plus efficaces, grâce au mécanisme du facteur d'impact qui attribue des points aux chercheurs en fonction des revues dans lesquelles ils publient. Les conséquences sont les suivantes dans les sciences dures : non seulement il n'y a plus de revue française ni de publication en français, mais le système encourage une rente monopolistique : ces entreprises ont une rentabilité à deux chiffres ! Il nous faut donc besoin de sortir de ce système pour réaffirmer la place du français, mais également notre capacité de maîtriser les publications de nos chercheurs payés sur les deniers publics. Néanmoins, c'est un énorme chantier qui doit être mené à l'échelle de la planète.
Mme Annick Billon. - Moi aussi je tiens à vous féliciter pour votre rapport. L'aménagement du territoire reste un enjeu majeur : ce n'est qu'en assurant la couverture numérique de l'ensemble du territoire que l'accès de tous au numérique pourra être garanti. Par ailleurs, la question du prix du numérique mérite également d'être posée. Je rappelle que notre collègue Jean-François Longeot avait rédigé un rapport très instructif dans lequel il dénonçait l'obsolescence programmée des outils numériques dans le cadre de la mission d'information sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Il est inquiétant qu'aujourd'hui, le prix du numérique soit aux mains de quelques très grandes entreprises.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je m'associe aux félicitations de mes collègues. Votre étude n'a pas vocation à traiter de tous les sujets liés au numérique, mais ne faudrait-il pas préciser l'apport du numérique pour la ville (la smart city) et pour les constructions à travers le développement des techniques du BIM (Building Information Modeling) ? Ce sont des enjeux majeurs pour l'aménagement du territoire.
M. Max Brisson. - Bravo pour votre rapport ! Je me concentrerai sur les enjeux de formation initiale au numérique. En ce qui concerne le développement du numérique à l'école, il faut sortir de la logique de l'équipement qui a dominé pendant quarante ans pour entrer dans une logique de la pédagogie. Trop d'enseignants sont instrumentalisés sans s'en rendre compte par les équipementiers : les chefs d'établissement sont alors mis sous pression pour acheter tel ou tel équipement et cette pression est répercutée sur les collectivités territoriales qui les financent. Il faut que l'éducation nationale précise ce qu'elle attend de la pédagogie numérique, d'autant qu'une mauvaise utilisation du numérique conduit souvent à une pédagogie encore plus frontale que la pédagogie traditionnelle et favorisant encore moins l'autonomie! En ce qui concerne la formation initiale, il ne faut pas faire une nouvelle réforme des ÉSPÉ, mais plutôt repenser le cadre de la formation initiale des professeurs, notamment en les sensibilisant sur l'importance d'apprendre à apprendre, ce qui signifie sortir d'une logique très descendante et très disciplinaire, repenser le pré-recrutement, la place du concours, ainsi que le rôle des praticiens pour former les enseignants. Ce sont ces recommandations très complémentaires aux vôtres que nous ferons avec Françoise Laborde dans notre rapport. Quant à la formation continue, on ne peut pas reprocher aux enseignants une maîtrise insuffisante des outils numériques quand on sait que la formation continue a toujours été la variable d'ajustement des budgets de l'éducation nationale ! Comme vous, nous préconiserons une formation obligatoire des enseignants dans le secondaire.
M. Stéphane Piednoir. - Je tiens également à vous féliciter pour cet immense travail. Le débat sur la place du numérique à l'école rappelle les débats d'il y a une quinzaine d'années entre enseignants sur l'opportunité de laisser les élèves avoir accès à Internet. Désormais, l'utilisation d'Internet dans le cadre scolaire a été banalisée et cette question ne se pose plus. En revanche, je m'inscris en faux par rapport à ce qui a été dit sur la formation des enseignants. D'abord, l'informatique est enseignée dans les collèges et les lycées, souvent par des professeurs de mathématiques et cet enseignement porte essentiellement sur l'algorithmique. Ensuite, je suis persuadé que les compétences numériques des enseignants augmentent : les enseignants qui arrivent dans les ESPE ne sont pas encore nés avec le numérique mais ces outils leurs sont extrêmement familiers. Désormais, on trouve des spécialistes dans presque tous les établissements, qui deviennent des référents numériques auxquels les autres enseignants peuvent s'adresser. En ce qui concerne les outils numériques à l'école, le débat a été lancé pour savoir s'il faut ou non réglementer. Je ferai remarquer que cette question dépasse le simple smartphone ou la tablette. Ainsi, les montres connectées permettent également d'avoir accès à Internet. Je souhaiterais également apporter une précision. Dans le projet de loi que la commission examinera la semaine prochaine, il n'est plus question d'interdiction mais d'encadrement. En réalité, la question se pose dans les termes suivants : faut-il s'adapter aux nouvelles technologies ou réglementer par des textes qui ont l'inconvénient d'être rigides ?
M. David Assouline. - Je vous félicite pour ce travail très complet et très transversal. Je rappelle que dans mon rapport d'information de 2008, j'examinais déjà l'un des aspects que vous abordez aujourd'hui, à savoir la question des jeunes face aux nouveaux médias et au numérique. Je souhaite rapporter une anecdote assez symptomatique de la difficulté de l'Etat à s'adapter à l'évolution des technologies : lors de l'audition du ministre de l'éducation nationale de l'époque, j'avais fait remarquer l'obsolescence du parc informatique des établissements scolaires. Il m'avait alors rétorqué que compte tenu du temps qu'il avait fallu pour équiper l'ensemble des établissements - plus de dix ans -, il était impensable de jeter ce matériel, même s'il était obsolète. Alors que ce matériel aurait dû être renouvelé tous les deux ans par une politique de leasing, la procédure choisie pour équiper les écoles empêchait une utilisation efficace du numérique. À cet égard, il serait intéressant de savoir si l'éducation nationale a modifié sa stratégie d'équipement.
Sinon, je souhaiterais faire deux remarques par rapport à ce qui a été dit jusqu'à présent. D'abord, c'est la première fois que le pédagogue, qu'il s'agisse des enseignants, mais également des parents, est en retard par rapport à celui à qui il est censé enseigner. C'est ainsi souvent l'enfant qui apprend aux parents comment on charge une application. C'est un changement de paradigme dont on mesure mal les conséquences. Par ailleurs, on confond deux choses quand on parle de numérique : on parle d'éducation par ce que produit le numérique, c'est-à-dire les usages, mais le codage, la fabrication des algorithmes restent réservés à quelques spécialistes. On ne maîtrise pas l'outil qui permet de diffuser le message et de la fabriquer. Or, pour maîtriser le langage, on apprend d'abord l'alphabet : il faudrait donc renforcer l'enseignement du langage informatique. C'est ainsi qu'on pourra réduire l'écart entre l'offre et la demande de compétences numériques sur le marché du travail. Uniquement en région parisienne, 50 000 emplois seraient ainsi non pourvus. Cela signifie concrètement l'instauration d'un enseignement obligatoire de l'informatique et une modification des programmes. Je terminerai sur les questions de santé publique : il existe un consensus sur les effets nocifs des écrans pour les enfants de moins de trois ans, comme le rappelait notamment Françoise Laborde à propos du développement de la myopie constaté chez les jeunes Chinois.
M. Maurice Antiste. - Parmi les propositions que vous défendez, deux me paraissent essentielles : faire précéder l'interdiction du portable dans les établissements scolaires d'un débat avec les enseignants, les parents et les élèves sur les enjeux de cette mesure et rendre l'usage du numérique systématique pour faciliter l'apprentissage et la scolarité des élèves à besoins particuliers. Je rappellerai qu'avant d'être sénateur, je faisais partie d'un groupe de chercheurs qui travaillaient sur la pédagogie et s'intéressaient en particulier à l'échec scolaire. Nous étions arrivés à la conclusion que ce dernier s'explique par une inadaptation de l'école à la vie, et ce phénomène s'est encore accéléré avec le développement du numérique. Par exemple, peut-on continuer à utiliser une pédagogie très livresque, quand l'élève peut accéder chez lui à toutes sortes d'informations sur différents supports grâce à Internet ? Ce constat m'a valu de nombreuses disputes avec des enseignants, qui portaient un jugement très négatif sur leurs élèves. Je leur faisais remarquer qu'ils étaient en train de juger leur pédagogie. Plutôt que d'interdire des outils technologiques complètement banalisés dans la vie courante, il faut s'interroger, en tant que pédagogue, comment les mettre au service des apprentissages.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Votre rapport lance une réflexion quasi philosophique sur la société dans laquelle nous souhaitons vivre demain. Je suis particulièrement sensible à vos propositions concernant la nécessité d'apprendre à se servir des outils numériques et d'apprendre à s'en passer. Le numérique soulève des enjeux d'égalité : à Paris, il y a en moyenne sept écrans par famille. Parallèlement vous avez rappelé que 15 % des citoyens n'ont pas accès à Internet. Il faut donc garantir à tous les citoyens l'accès au numérique, mais il faut également l'encadrer et le limiter. Je rappelle les propos que tenait un mathématicien récompensé de la médaille Fields la semaine dernière sur l'embrigadement de la société en raison de l'oligopole des grandes sociétés du numérique. Cette crainte est d'autant plus vraie que le numérique n'est plus un outil, mais est un élément constitutif de notre vie, comme en témoigne la panique qui saisit la plupart d'entre nous lorsque nous croyons l'avoir perdu ou oublié !
M. Michel Savin. - Je souhaite bien entendu vous féliciter et revenir sur votre proposition visant à réaffirmer les missions de l'audiovisuel public en matière d'information, de divertissement et d'éducation et à s'assurer de la compatibilité du modèle économique retenu avec l'exercice de ces missions dans la perspective d'une réforme de l'audiovisuel public. Ces recommandations ne pourront aboutir que si l'audiovisuel public dispose des moyens suffisants pour exercer les missions mentionnées précédemment et imposer son modèle dans un contexte de compétition mondiale.
Mme Laure Darcos. - Je m'associe aux félicitations de mes collègues. Je rejoins notre collègue David Assouline lorsqu'il constate que nos enfants nous dépassent en matière de numérique, et notamment dans la maîtrise du codage. À cet égard, il me paraitrait opportun de faire évoluer les disciplines. Je pense par exemple à l'opportunité de transformer les cours de technologie en cours d'informatique, d'autant que les professeurs de technologie sont souvent également professeurs d'informatique. Pour illustrer les pénuries en compétences numériques, je rappellerai la stratégie de nombreuses entreprises spécialisées dans la cybersécurité qui prennent désormais systématiquement des jeunes en alternance afin de disposer d'une main d'oeuvre adaptée à leurs besoins. J'insiste également sur les compétences très variables des enseignants en matière de numérique : certains sont des quasi professionnels, alors que d'autres ne savent pas utiliser les fonctionnalités des tableaux blancs interactifs ! Il y a donc un manque cruel de formation. Je regrette également que les responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales en matière de maintenance restent opaques, ce qui conduit souvent à faire assumer la maintenance des équipements par des professeurs, souvent de technologie. Enfin, je tiens à attirer votre attention sur le danger du « tout gratuit » : certains professeurs mettent en ligne les ressources pédagogiques qu'ils développent, sans qu'elles soient toujours adaptées aux programmes officiels. Je rappelle le rôle fondamental des éditeurs privés payants. Ces derniers ont adapté leurs produits afin de tenir compte de l'évolution des technologies. Néanmoins, le numérique ne remplacera jamais complètement le papier et il faut encourager les usages complémentaires. Enfin, au-delà des questions de myopie liées à l'exposition aux écrans, de nombreux pédiatres insistent sur les dangers du numérique pour le développement des jeunes enfants. Ainsi, l'utilisation de tablettes par des enfants de six à huit mois va certes leur apprendre à bouger des objets sur un écran, mais ces enfants ne sauront pas tenir un objet. De même, l'apprentissage de la lecture ne se fait pas de la même manière sur un écran et sur un livre. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si de très nombreux responsables de grandes entreprises américaines du numérique envoient leurs enfants dans des écoles qui proscrivent l'utilisation des outils numériques !
M. Christian Manable. - J'espère que tous ces compliments et la chaleur ambiante ne vont pas faire trop gonfler vos chevilles !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Pour répondre à la remarque de Bruno Retailleau sur la dimension européenne du numérique, je rappelle que ce rapport s'inscrit dans la continuité de deux rapports réalisés à l'époque où j'étais à la commission des affaires européennes et qui portaient sur la gouvernance d'Internet, les questions industrielles et la fiscalité liées au numérique. Le présent rapport constate le retard que nous avons accumulé en matière de formation au numérique, que ce soit à l'école, à l'université, mais également dans les petites et moyennes entreprises, alors que tous les métiers se digitalisent. Par ailleurs, nous ne pouvons pas continuer à être dépendants d'un système composé de quelques entreprises oligopolistiques qui nous imposent leurs valeurs. Il nous faut donc développer une véritable stratégie au niveau de l'État et du gouvernement et mettre un terme à cette porosité dangereuse entre l'administration centrale et les grandes entreprises numériques américaines.
En ce qui concerne l'interdiction du téléphone portable à l'école, elle est complétée par la possibilité d'utiliser le téléphone portable dans le cadre d'un usage pédagogique afin de profiter des opportunités du numérique en matière d'apprentissage. Toutefois, l'enseignant doit garder la maîtrise sur ces exceptions pédagogiques. Ma recommandation sur la nécessité de faire précéder l'interdiction du portable dans les établissements scolaires d'un débat avec les enseignants, les parents et les élèves sur les enjeux de cette mesure est inspirée de mes échanges avec Serge Tisseron, psychiatre et spécialiste de ces questions. En effet, la portée pédagogique de cette mesure ne pourra être atteinte que si l'ensemble des parties prenantes comprennent les risques et les opportunités du portable. Colette Mélot faisait remarquer que les établissements scolaires étaient de plus en plus équipés : c'est grâce aux collectivités territoriales qui ont fortement investis dans l'équipement informatique des écoles et des collèges. Toutefois, ces mêmes collectivités territoriales constatent un absence de retour d'information sur les usages suscités par les équipements qu'elles ont financés. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur la mise en place d'une véritable instance de pilotage entre l'État et les collectivités territoriales pour assurer l'efficacité du plan numérique pour l'éducation. Par ailleurs, comme l'a rappelé Max Brisson, il faut inverser la logique et réfléchir aux usages avant d'imposer des équipements. En ce qui concerne les effets néfastes des écrans sur le développement des jeunes enfants et l'apparition de troubles de type autistiques, je déposerai prochainement une proposition de loi qui obligera les constructeurs d'outils numériques à vocation pédagogique pour les très jeunes enfants à indiquer que l'utilisation des outils numériques peut nuire au développement des enfants de moins de trois ans.
Mme Laure Darcos. - Attention de ne pas faire d'amalgame entre les troubles de comportement et les troubles autistiques !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je connais suffisamment bien la question du handicap pour ne pas souhaiter faire d'amalgame. Quand je parle de comportement type autistique, je fais référence à des comportements de renfermement de l'enfant sur lui-même et des difficultés dans sa relation au monde. La proposition de loi que je souhaite déposer prochainement ne signifie pas que je suis opposée aux nouvelles technologies, mais elle vise à garantir que ces dernières ne nuisent pas au développement de l'enfant.
Enfin, Jean-Raymond Hugonet m'a demandé si je ne devais pas parler de la formation de ceux qui auront à construire les villes intelligentes de demain. En fait, j'en parle indirectement, lorsque je parle de la nécessité d'investir dans des secteurs clés tels que les transports, l'énergie et l'environnement. Ils sont au coeur de la problématique des villes du futur. Je n'ai pas pu détailler tous les métiers qui doivent s'adapter à la digitalisation, je vous renvoie à mont rapport qui insiste sur la façon dont tous les métiers sont impactés par le numérique, et c'est à cette transformation qu'il faut préparer les élèves.
En ce qui concerne le codage, pour répondre à David Assouline, il est désormais obligatoire à l'école primaire et au collège. En revanche, je propose d'émanciper l'informatique des mathématiques ou de la technologie et d'en faire une discipline autonome, Enfin, je voudrais tempérer l'affirmation de Stéphane Piednoir sur la supposée compétence des jeunes enseignants. Des études officielles montrent qu'ils peuvent rencontrer les mêmes difficultés que leurs collègues plus anciens. S'ils maîtrisent les outils numériques pour leur usage personnel, ils ne savent pas tous les manipuler d'un point du vue pédagogique.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Audition de M. Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal Plus
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux de la matinée par l'audition de Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal Plus.
C'est la première fois que vous vous exprimez devant la Représentation nationale depuis le 29 mai dernier et l'annonce de la perte des droits de la Ligue 1 à partir de 2020 au profit d'un nouvel acteur en France, le groupe espagnol Mediapro.
Le groupe Canal Plus avait une relation particulière avec le championnat de Ligue 1 depuis son lancement en 1984. La retransmission des matchs a ainsi été un élément clé de son succès avec le cinéma et les émissions en clair. Vous nous direz, dans ces conditions, si ce n'est pas le modèle même de Canal Plus qui est aujourd'hui menacé et quelles réponses vous entendez apporter à cette situation.
Avant de lancer le débat, je vous propose de nous présenter en quelques minutes la situation du groupe Canal Plus en insistant plus précisément sur les conséquences prévisibles de la perte des droits de Ligue 1 à l'horizon 2020 que ce soit en termes de pertes d'abonnés, de chiffre d'affaires et de financement du cinéma.
Je rappelle en effet que Canal Plus a l'obligation, depuis le décret du 9 mai 1995, de consacrer au moins 20 % de ses ressources totales, hors taxes, à l'acquisition de droits de diffusion d'oeuvres cinématographiques. Elle a, par ailleurs, une obligation de 12,5 % d'investissements dans le cinéma européen, et 9,5 % dans des films d'expression originale française, ou de 3,62 euros par abonné selon les termes d'un accord signé en 2015 applicable jusqu'en 2019. Il est donc tout à fait essentiel pour le Parlement d'avoir une idée claire des risques qui pèsent sur le financement du cinéma français et sur l'avenir de cet accord au-delà de 2019.
M. Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal Plus. - Je tiens à rappeler, à titre liminaire, que le Groupe Mediapro est détenu à 54 % par des fonds chinois, ce qui n'est pas sans poser des questions de souveraineté.
Vivendi et Canal Plus entendent devenir les champions de notre exception culturelle dans le monde. L'hégémonie culturelle américaine n'a jamais été aussi forte, alors que les studios sont absorbés par des opérateurs de télécommunication ou les géants du Web - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM) - et que se renforcent les plateformes de diffusion de vidéos à la demande. L'hégémonie culturelle américaine cible, à travers ses films de super-héros, les adolescents et les pré-adolescents à l'échelle mondiale. Neuf films américains sont parmi les dix premiers du box-office chinois ; un tel succès illustre l'apport de ces plateformes de diffusion au renforcement du soft power culturel américain. Nos abonnés sont ravis de voir ces films américains et Canal Plus a passé des accords avec les majors hollywoodiennes. Néanmoins, une alternative doit être proposée aux adultes demandeurs de produits culturels à valeur ajoutée, en s'appuyant sur la richesse culturelle des pays européens et d'Afrique francophone. La culture asiatique, très forte localement, ne parvient pas à s'imposer en dehors, à l'exception du cinéma coréen au succès marginal. L'histoire, la culture et les lieux, l'attractivité et les talents d'écriture, de jeu et de réalisation présents en Europe sont autant de facteurs qui doivent favoriser le succès de cette alternative. Vivendi, au travers de Studiocanal, Universal Music et Dailymotion, est le seul acteur réellement capable de porter cette ambition au plan mondial.
La base d'abonnés de Canal Plus fournit également les investissements nécessaires à l'amélioration des contenus. Durant ces trois dernières années, Canal Plus s'est réformé et l'abonnement à ses programmes, grâce au partenariat avec Orange, est devenu plus accessible. Le 11 août prochain, les jeunes de moins de 26 ans pourront bénéficier d'un abonnement sur internet à un tarif inférieur à 10 euros ! Aujourd'hui, la télévision IP génère la croissance du marché et le développement de Canal Plus dans ce secteur résulte de notre partenariat avec ces différents fournisseurs d'accès, au premier rang desquels Free et Bouygues.
Tous les principes historiques de Canal Plus, comme celui de l'engagement annuel, ont été remis en cause ; on peut désormais s'abonner pour une durée allant d'un mois à deux ans. Le prix et la distribution - par la vente en gros pour certaines offres via des fournisseurs d'accès - ont également été modifiés. Nos coûts ont été drastiquement réduits conformément à un plan d'économie triennal. Canal Plus a ainsi réalisé 460 millions d'euros d'économie en trois ans, soit 25 % de sa base de coûts, sans remettre en cause ses investissements dans la création. Fort de cet effort, le groupe peut affronter le séisme représenté par la perte des droits de diffusion du football.
Avec 6 000 titres, dont plusieurs dizaines sont en restauration, Studiocanal dispose du plus beau catalogue mondial de films français, européens et américains. Studiocanal est également producteur de films de cinéma et de séries. Nous avons également investi dans sept sociétés de production en Scandinavie, en Espagne ou au Royaume-Uni. Enfin, en investissant 300 millions d'euros en faveur des films ayant vocation à s'exporter, comme Paddington, qui représente son plus gros succès, Studio canal réalise 80 % de ses résultats à l'international.
A ce dispositif s'ajoutent les activités de télévision à l'international dirigées par Jacques du Puy, en particulier en Afrique où Canal Plus compte désormais 3,5 millions d'abonnés. Canal Plus International devrait y bénéficier de la croissance démographique de la population francophone dans les trente prochaines années. Notre groupe est également bien implanté en Pologne, avec 2,5 millions d'abonnés ; au Vietnam, avec 800 000 abonnés, et vient de débuter son activité au Myanmar. Le nombre d'abonnés, tant en France qu'à l'international, a augmenté de près de quatre millions depuis l'arrivée de notre actionnaire de référence. Avec 15,5 millions d'abonnés, Canal Plus demeure bien évidemment en-deçà de Netflix qui en totalise 125 millions.
Canal Plus investit 3,2 milliards d'euros dans la création et les contenus, c'est-à-dire dans le sport, le cinéma ou les séries. Ce montant est certes deux fois moins important que celui investi par Netflix, mais Canal Plus n'est présent que dans 30 pays.
Notre groupe dispose de la quasi-totalité des leviers pour porter son ambition internationale. Cependant, l'environnement économique et réglementaire ne nous a guère été clément. Le résultat net du groupe Canal Plus - France, International et Studio Canal - s'élève à 377 millions d'euros, qu'il faut comparer aux prélèvements de 150 millions d'euros de TVA et d'impositions diverses ajoutés depuis 2012. Ces charges nouvelles défavorisent la compétitivité de Canal Plus par rapport aux acteurs mondiaux, comme les GAFAM, qui échappent à l'impôt. Netflix, qui possède 3,5 millions d'abonnés en France et en recrute, chaque mois, 100 000 nouveaux, ne paiera que 3 millions d'euros d'impôts ! Nous avons donc des boulets aux pieds pour concourir contre des acteurs mondiaux aux moyens colossaux et pour lesquels l'activité média peut s'avérer annexe. Jeff Bezos expliquait en ce sens qu'un Golden Globe permettait avant tout à Amazon d'écouler davantage de chaussures et de papiers-toilettes ; les contenus vidéo n'étant considérés que comme des produits d'appel pour la vente d'autres marchandises.
L'environnement fiscal nous été particulièrement hostile durant ces dernières années. Le taux réduit de la TVA à 5,5 % était la contrepartie du pacte scellé en 1984 entre les Pouvoirs publics et Canal Plus qui devait consacrer 12,5 % de son chiffre d'affaires au pré-achat de films français et européens et au financement de petits films contribuant à la diversité. Le niveau de cette obligation demeure sans équivalent en France. Canal Plus consacre aujourd'hui entre 170 et 200 millions d'euros au pré-achat d'une centaine de films, dont beaucoup d'oeuvres de jeunes réalisateurs.
Les décrets audiovisuels doivent être modifiés. La situation actuelle est ubuesque et très pénalisante : investir dans une fiction ne confère aucun droit patrimonial, au-delà de la possibilité de la diffuser durant trois ans et demi. Il nous faut détenir les droits pour porter l'ambition de la francophonie à l'international. Si le lancement de notre chaîne Studiocanal aux États-Unis, via l'opérateur direct-Tv reçu par 23 millions de foyers, permet d'exploiter notre catalogue de films, la diffusion des récentes fictions à succès, comme Baron noir ou Versailles, nous est impossible, faute d'en détenir les droits patrimoniaux. Une réforme urgente s'impose pour donner la possibilité aux financeurs de la création de développer leur patrimoine afin de l'exporter.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel nous a quasi-systématiquement pénalisé. Certains présentateurs, comme Cyril Hanouna, ont pu être excessifs, mais l'annonce de dix-huit millions d'euros infligée m'apparaît clairement disproportionnée pour des blagues à l'antenne. D'ailleurs, l'une de ces décisions vient d'être annulée par le Conseil d'État. En outre, suite à l'acquisition de TPS, Canal Plus a fait l'objet d'une soixantaine d'injonctions et d'engagements délivrés par l'Autorité de la Concurrence. Tandis que Netflix et Amazon arrivaient en France, notre service de vidéos à la demande, Canal-Play, ne pouvait plus bénéficier d'exclusivité de diffusion. Cette injonction, qui vient d'être levée, lui a été fatale, puisqu'il est passé, entretemps, de 800 000 à 200 000 abonnés. La rapidité de ce marché doit être mieux prise en compte par les pouvoirs publics. Si rien n'est fait, dans deux ans, la fiction française n'existera plus à l'étranger ! Notre marché national est le seul à fonctionner de la sorte ! Même avec les fictions françaises, Netflix n'a pas à observer les règles qui nous sont imposées.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission, qui partage votre constat d'un environnement défavorable, a produit, dès 2013, un rapport sur la fiscalisation des GAFAM. Lors du dernier débat préalable au prochain conseil européen, j'ai également demandé à la ministre des affaires européennes pourquoi elle ne relayait pas les propositions faites sur la fiscalité et les abus de position dominante mentionnés par la proposition de résolution européenne du Sénat. Depuis la condamnation de Google à verser 2,43 milliards d'euros d'amende intervenue il y a tout juste un an, le 27 juin 2017, aucune décision structurelle n'a été prise pour résoudre les problèmes que vous venez de nous exposer.
M. Maxime Saada. - Le piratage représente également un autre sujet d'importance !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Notre commission a conduit des travaux sur l'ensemble de ces questions. Je passe à présent la parole à mon collègue Jean-Pierre Leleux, rapporteur des crédits de l'audiovisuel.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur des crédits de l'audiovisuel. - Concernant le modèle de Canal Plus et ses relations avec le cinéma, depuis deux ans vous évoquez une remise en cause de l'accord de 2015 afin d'établir un plafond au financement du cinéma - le chiffre de 280 millions d'euros et de 120 films a circulé - et un plancher de l'ordre de 200 millions d'euros et de 100 films.
Les négociations sur la chronologie des médias envisageaient plutôt une reconduction de l'accord de 2015 comme contrepartie aux avantages que pourrait obtenir Canal Plus. Quelles sont vos intentions alors que l'accord arrivera à son terme en 2019 et que les négociations sur la chronologie des médias se poursuivent ?
M. Maxime Saada. - Nous n'avons jamais contesté l'accord de 2015. Canal Plus était prêt à reconduire ses engagements en l'état, à la condition toutefois que sa fréquence TNT soit confirmée. Fin 2020, il nous faudra candidater pour la réattribution de notre fréquence TNT qui représente, avec près de 600 000 abonnés, un élément structurant de notre économie. L'année dernière, nous avons même investi 15 millions d'euros supplémentaires par rapport à nos obligations, suite à la baisse de notre chiffre d'affaires sur lequel notre contribution au cinéma est indexée.
La chronologie des médias actuellement proposée est défavorable à Canal Plus. Elle prévoit, notamment, d'accompagner l'avancement de notre fenêtre, de dix à huit mois d'un dégel de la vidéo à la demande sur la fenêtre de Canal Plus et d'une réduction de notre fenêtre d'exploitation de douze à neuf mois. Dans ce contexte également marqué par la dernière attribution des droits au football, nous sommes prêts à signer un nouvel accord sur la chronologie des médias, à condition qu'il soit vertueux. Le cinéma français demeure un axe à la fois de différenciation essentiel et de développement supplémentaire pour Canal Plus. Nous sommes donc prêts à maintenir notre contribution, à la condition que le contexte actuel de nos activités soit bien pris en compte.
M. Jean-Pierre Leleux. - Concernant les droits du football, Canal Plus a perdu successivement la Champions League, la Premiere League anglaise et la Ligue 1 au profit d'acteurs qui souhaitent distribuer leurs propres chaînes. Pouvez-vous nous dire exactement où vous en êtes sur cette question du football ? Avez-vous l'intention de contester l'attribution des droits de la ligue 1 ; si oui, pour quel motif ? Dans le cas contraire quels sont les différentes options à votre disposition ? Envisagez-vous de baisser fortement le prix de l'abonnement à Canal Plus à partir de 2020 quand vous n'aurez plus les droits de la ligue 1 ?
M. Maxime Saada. - Nous examinons toutes les options et comptons tirer les enseignements de ce dernier appel d'offres. On mise en effet sans savoir ce qu'on achète et certains aspects de ce dispositif nous paraissent abusifs, avec notamment un acteur en position monopolistique. La cession de la quasi-totalité des droits n'a pas bénéficié à un acteur domestique, ce qui pose une question de souveraineté. Comment encadrer ces autorités qui bénéficient d'une délégation de service public ?
Il est prématuré d'évaluer les conséquences tarifaires de cette décision. Nous disposons des droits de diffusion de la ligue 1 et de ses trois premières affiches encore pendant deux ans. L'abonnement à 25 euros mensuels pour la nouvelle chaîne de Mediapro sera plus élevé que celui de Canal Plus durant cette période ! Suite à l'autorisation de la sous-licence concédée dans l'appel d'offres, un second marché devrait émerger. Je ne vois pas comment Mediapro sera en mesure de rentabiliser son investissement, sans avoir à ses côtés les acteurs de la distribution. D'ailleurs, nos ventes sont très positives grâce à la Coupe du Monde, dont nous n'avons pourtant pas les droits ! Notre modèle hybride d'éditeur de chaînes et de distributeur nous permet soit d'acheter des droits et de les proposer directement sur les chaînes, soit de distribuer des chaînes pour en faire bénéficier nos abonnés.
M. Jean-Pierre Leleux. - Le succès de Mediapro met en évidence l'échec de l'internationalisation de Canal Plus. Cette société espagnole à capitaux chinois s'est développée en Espagne avant de partir à la conquête des marchés italiens et français. Est-ce à dire que l'actionnaire chinois de Mediapro est plus efficace et plus puissant que l'actionnaire de référence du groupe Vivendi ? Comment analysez-vous l'affaiblissement de Canal Plus sur la scène internationale et la France est-elle condamnée à ne pas disposer de groupe de médias de taille européenne ?
M. Maxime Saada. - J'apprécie votre franchise, mais l'échec que vous évoquez me paraît plutôt un succès. La non-attribution des droits n'a pas mis en péril le groupe lui-même. TPS, Orange ou encore BeIn Sport et SFR ont tous essuyé des pertes substantielles après avoir acquis des droits sportifs. Remporter ces droits, pour un coût que nous estimons prohibitif, compte tenu de notre expérience depuis 1984, nous aurait inéluctablement conduits à la faillite. Canal Plus a fait le choix de la survie ! Comment allons-nous adopter notre modèle économique et notre stratégie de long terme pour affronter ce nouveau contexte dans deux ans ? Au-delà du sport, il faut réfléchir aux moyens de nous renforcer, comme de renforcer la lutte contre le piratage. N'oublions pas qu'une baisse du piratage induirait un gain de 500 000 abonnés et génèrerait 40 millions d'euros supplémentaires de chiffre d'affaires permettant de soutenir le cinéma français et renforcerait notre capacité à acheter de nouveaux droits sportifs. Notre modèle généraliste, qui porte à la fois sur le cinéma et le sport, est désormais le seul au monde. Cette caractéristique est certes coûteuse, mais elle procure une plus grande adaptabilité.
M. Jean-Pierre Leleux. - L'arrivée d'un nouvel acteur important dans le sport sur la scène française comme l'émergence de Netflix comme un acteur dominant des séries a pour conséquence de modifier sensiblement les équilibres du marché des médias. Canal Plus qui a longtemps été un acteur de la consolidation - avec le rachat de TPS et des chaînes du groupe Bolloré - était limité dans ses initiatives comme l'a montré le rapprochement a minima avec BeIn Sport. Vous ne pourrez pas nous dire ce matin si vous avez l'intention de vous rapprocher d'un de vos concurrents mais pouvez-vous nous dire si un tel rapprochement est redevenu possible dans le nouveau contexte concurrentiel au regard de la jurisprudence de l'Autorité de la concurrence ?
M. Maxime Saada. - Oui, sans aucune ambiguïté. Mais n'est-ce pas trop tard ? Nous avons été affaiblis. BeIn a subi comme nous la perte de la Ligue des champions et les conséquences du nouvel accord sur la Ligue 1, tout comme l'arrivée sur le marché de SFR Altice et de Mediapro. C'est la raison pour laquelle il faut être extrêmement réactif.
M. Michel Savin. - Canal Plus entend-il attaquer en justice la décision d'attribution des droits à Mediapro, à l'instar de ce qui s'est produit en Italie ? La perte de ces droits de diffusion peut-elle remettre en cause la base de vos abonnés ? Le montant attribué au cinéma va-t-il diminuer, suite à la baisse de votre chiffre d'affaires ? En outre, le rapprochement de Canal Plus avec BeIn est-il toujours d'actualité ? Canal est enfin un acteur important de la retransmission d'autres activités sportives. Canal compte-t-il diminuer sa diffusion du sport ou se diversifier sur des marchés, dont les droits télévisés sont moins élevés, afin de toucher un public plus large ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Votre groupe a-t-il été approché au moment de la création de Salto ? Pourquoi ne créez-vous pas une alternative à Netflix ? Enfin, le football représente une entreprise de spectacle. Canal Plus a donné ses lettres de noblesse de football dans notre pays ! Les montants des droits pour la ligue 1 sont devenus exorbitants et ne pourront être tenus dans le temps !
Mme Dominique Vérien. - Votre soutien à la diversité a fait votre succès. Comment s'articule, en France, cette distorsion de concurrence avec un acteur étranger comme Netflix ?
M. Michel Laugier. - Canal Plus n'a-t-il pas perdu son âme historique, en proposant moins de football et d'humour ? Au-delà de vos offres destinées à de nouveaux publics, que faîtes-vous pour vos abonnés historiques ?
M. Maxime Saada. - L'appel d'offre et la caution solidaire de la maison mère ont été les mêmes en France et en Italie. Mediapro, qui a remporté les droits pour 800 millions d'euros, n'aura rien à verser pendant deux ans ! À quel moment s'effectueront les versements ? C'est là un risque pour l'ensemble du système. Si rien n'est fait dans le football dans les deux ans, nous perdrons des abonnés sur le football et notre soutien au cinéma baissera en proportion de notre chiffre d'affaires. Toutefois, un montant plancher par abonné garantit une certaine protection. Malgré leur baisse récente, nos investissements atteignent 165 millions d'euros, tandis que France Télévisions ne mobilise que 30 millions d'euros. Canal Plus demeure le premier financeur du cinéma français et la valeur absolue de ses investissements a son importance !
Il est désormais trop tard pour nous allier avec BeIn.
Les investissements vont être maintenus dans le sport. Canal Plus détient l'exclusivité des droits de diffusion du Top 14 et le rugby est devenu un élément important de notre stratégie. La diffusion de la Formule 1 a connu, sur deux ans, une augmentation de 60 %. Le golf représente désormais un élément clef et la boxe a été relancée. En acquérant la totalité des droits de diffusion de la Division 1, Canal Plus a investi dans le football féminin et s'est associé à TF1 pour la diffusion de l'intégralité de la prochaine coupe du monde de football féminin qui se déroulera en France.
Canal Plus, qui n'est pas une plateforme, mais un éditeur et un distributeur, n'a pas été sollicité pour la création de Salto. Bien que l'on puisse s'étonner que des chaînes gratuites deviennent payantes, je salue cette initiative de rapprochement des acteurs français. Mais Salto n'a pas vocation à devenir le concurrent de Netflix.
En revanche, Canal Play représentait une alternative à Netflix. Est-il possible de le relancer et ainsi de mobiliser des milliards d'euros pour aborder le marché mondial ? Canal Plus dispose des actifs et a des idées, mais il lui faut être plus fort en France pour y parvenir.
Le football est un spectacle. Les coûts de production de la chaîne de Mediapro pour 20 millions d'euros, qui devra diffuser une dizaine de matches hebdomadaires, sont moins élevés que ceux engendrés par la diffusion de nos trois matches ! Ce chiffre me paraît totalement infondé.
Au sein de ses investissements en faveur de la création cinématographique, Canal Plus doit en consacrer 60 % aux films européens, dont 40 % pour les films français, tandis que les autres plateformes sont soustraites à toute forme de quotas. Comment concilier, par ailleurs, la nouvelle directive SMA avec notre régime de quotas ?
La situation de Canal Plus était précaire, avec 400 millions d'euros de pertes. Il nous fallait être pragmatiques. Certaines de nos émissions populaires ne contribuaient pas à l'augmentation des abonnements. Or Canal Plus, qui n'est pas un service public, doit avant tout satisfaire ses abonnés. Certaines pages ont dû être tournées et notre modèle a été redéfini. Notre groupe doit s'adapter à ce nouvel environnement et mobiliser les talents de demain.
Les abonnés historiques bénéficient d'un programme exclusif - Canal Premier rang - et peuvent disposer d'un nouveau décodeur satellite, aux prestations technologiques reconnues comme les plus performantes au monde.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Comment voyez-vous l'avenir de vos relations avec les différentes autorités de régulation ?
M. Maxime Saada. - Nous avons pu récemment dialoguer, de manière sereine et féconde, avec les représentants de cette autorité. Si les injonctions de 2012 nous ont pénalisés, les membres du nouveau collège semblent avoir compris les problèmes de notre groupe.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci d'avoir répondu avec précision à nos questions. Canal Plus, premier financeur du cinéma français, représente pour nous un enjeu majeur, comme nous l'avions souligné lors du dernier Festival de Cannes. Souhaitant faire évoluer la régulation, initialement conçue pour le monde hertzien, notre commission entend jouer un rôle important dans la future réforme de l'audiovisuel public qui aura des conséquences sur vos activités.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.
Jeudi 28 juin 2018
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 45.
Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous sommes heureux de recevoir Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Il est important qu'avant l'intersession, nous puissions vous entendre, quatre mois après la promulgation de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE), que nous avions améliorée, conscients de l'enjeu que constitue une orientation réussie des étudiants. Quel premier bilan pouvez-vous dresser de l'application de cette loi ? Nous avons conscience des difficultés rencontrées et surmontées, et souhaitons vous apporter notre soutien pour la préparation de la future rentrée scolaire.
Vous avez mis en place le comité éthique et scientifique de Parcoursup dont la création avait été décidée au Sénat, ainsi qu'un comité de suivi de la loi. Parcoursup a commencé à produire ses premiers effets : le 27 juin, plus de 644 000 candidats avaient reçu au moins une proposition d'admission mais 169 000 sont encore en attente. Quelle suite sera donnée à leurs demandes ? Depuis mardi, la phase d'admission a repris, après une interruption d'une semaine destinée à ne pas perturber les candidats pendant leurs examens et une phase d'admission complémentaire a été ouverte.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Merci de votre invitation. Je n'avais pas eu l'opportunité d'être entendue par votre commission depuis le mois de janvier, alors que le Sénat s'apprêtait à examiner, dans votre commission puis en séance publique, le projet de loi « orientation et réussite des étudiants ». Ce projet est devenu une loi de la République, en grande partie grâce à la confiance du Sénat et je vous en remercie. Nous avons su trouver ensemble un point d'équilibre et je salue le travail de votre rapporteur, Jacques Grosperrin.
Cet équilibre est le fruit des nombreux travaux conduits par votre commission, et est aussi la preuve que le Gouvernement a su travailler efficacement avec le Sénat. Ce travail n'a pas été remis en cause en commission mixte paritaire (CMP). Bien au contraire, ce fut l'une des rares CMP conclusives de cette session ordinaire, qui a su préserver de nombreuses propositions du Sénat. Nous avons écrit ensemble une loi de progrès social qui accorde un rôle central aux lycéens en leur donnant un véritable pouvoir de choisir leur affectation.
L'accord obtenu en CMP était aussi le reflet d'une préoccupation que nous avons tous partagée. Le système Admission Post Bac (APB) n'était plus en mesure de remplir sa mission d'affectation. La décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 25 septembre 2017 puis l'annulation de la circulaire permettant de recourir au tirage au sort ont rendu le système illégal et donc inopérant - uniquement pour la phase d'affectation et non pour celle de dépôt des voeux. Nous avions impérativement besoin d'une loi avant le 31 mars.
S'il est encore trop tôt pour dresser le bilan de la campagne d'affectation 2018, je peux déjà vous rendre compte de la bonne exécution de la loi du 8 mars 2018 et du bon fonctionnement de Parcoursup. Les 812 000 candidats inscrits sur la plateforme ont eu jusqu'au 31 mars pour formuler puis valider leurs voeux. La plateforme a diffusé auprès de chaque lycéen les attendus précis des 13 000 formations référencées sur Parcoursup. À ce jour, presque tous les décrets d'application de la loi ont été pris, moins de six mois après l'adoption de la loi.
Parcoursup a mis en évidence la réalité de ce que souhaitent les lycéens. Près de 6,3 millions de voeux ont été formulés, dont 68 % sur des formations sélectives et 32% sur des formations universitaires. Nous avons fait le choix de donner une totale liberté aux lycéens, en contrepartie du renforcement de leur orientation. Depuis le 22 mai, les candidats peuvent prendre connaissance des réponses à leurs voeux et faire leurs choix finaux. Plus de 646 000 candidats ont reçu au moins une proposition d'admission, soit plus de 80 % des lycéens, et plus de 90 % des lycéens inscrits en filière générale. C'est au-dessus des projections initiales du Gouvernement.
Le système est évolutif, il affecte sans tirage au sort et sur le fondement d'une orientation construite tout au long de l'année de terminale. Surtout, il permet aux lycéens d'être maîtres de leur affectation en leur donnant la possibilité de choisir entre plusieurs propositions, ce qui n'était pas le cas avec le système antérieur. En moyenne, chaque candidat a reçu trois propositions. Chaque candidat qui fait son choix libère des places, qui sont immédiatement proposées à de nouveaux candidats. Dès le 22 mai, 63 000 candidats ont définitivement validé leur affectation. Aujourd'hui, ils sont plus de 361 172.
Comme tous les nouveaux systèmes, Parcoursup a suscité des interrogations et il suppose que chacun se l'approprie. Les lycéens en ont compris la logique et le mode de fonctionnement, d'autant mieux qu'ils ont vu, l'année dernière, les lycéens patienter plusieurs semaines entre deux tours d'APB sans avoir la moindre visibilité ni la moindre prise sur le processus.
Parcoursup fonctionne-t-il mieux qu'APB ? Les deux systèmes diffèrent profondément, non seulement sur le plan technique, mais dans leur esprit même. Avec APB, la priorité absolue était, coûte que coûte, de tirer parti des ressorts de l'algorithme pour faire une proposition au plus grand nombre de candidats possible. Chaque année, il a fallu augmenter un peu plus les contraintes qui pesaient sur les lycéens : hiérarchisation des voeux, pastilles vertes - obligation de s'inscrire dans au moins une de ces filières, même si elle ne correspond pas aux voeux du lycéen - règles non écrites comme la « règle des six voeux » - un lycéen ne formulant pas au minimum six voeux était moins bien traité. Ces contraintes conduisaient à formuler aux candidats des propositions qui ne leur convenaient pas : 64 % à peine des candidats acceptaient une proposition faite par la plateforme.
Les difficultés de la campagne 2017 ont mis en évidence un phénomène alors peu connu : le premier voeu n'était pas forcément le premier choix. Outre les stratégies d'optimisation, il est apparu que les préférences des lycéens n'étaient pas nécessairement figées dès mars.
Parcoursup est fondé sur le principe du dernier mot à l'étudiant, gravé dans la loi : l'objectif n'est pas seulement de faire une proposition à chaque candidat, c'est de lui faire une proposition qui lui convienne. Cette idée simple permet d'accomplir l'objectif cardinal de cette réforme : démocratiser l'accès à l'enseignement supérieur et accompagner la réussite des étudiants. Pour cela, il faut donner à chaque futur étudiant le plus grand choix possible, multiplier les réponses et lui permettre de choisir non pas de manière abstraite, en classant des voeux sur une liste, mais concrètement, en répondant aux différentes propositions.
En un mois à peine, Parcoursup a fait plus de deux millions de propositions aux candidats inscrits sur la plateforme, ce qui permet de faire de vrais choix. Près de 80 % des candidats ont eu trois propositions, alors qu'APB était construit pour ne faire qu'une seule proposition à chacun de ses tours.
Le principal mérite d'APB aura été de construire une unité de temps et de lieu pour l'affectation des lycéens en réduisant le nombre important des procédures parallèles. Parcoursup parachèvera ce mouvement dès 2020 en intégrant la totalité de l'offre nationale de formation d'enseignement supérieur. Actuellement, 15 % des formations ne sont pas présentes sur APB. Une deuxième vague d'affectations aura ainsi lieu après les résultats des concours d'infirmière, des concours aux classes préparatoires d'ingénieurs et aux instituts d'études politiques, qui libèreront quelques places.
La mobilité territoriale et sociale est au coeur de cette réforme. Nous avons instauré des quotas de boursiers dans toutes les formations, y compris dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Nous avons assoupli les règles de mobilité académique, notamment en Ile-de-France, afin que personne ne soit assigné à résidence. Surtout, nous avons ouvert à l'échelle de la région académique d'Ile-de-France les formations les plus demandées : sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), première année commune aux études de santé (Paces) et psychologie. Il n'y a dans ces filières aucune différence entre un Parisien et un Francilien. Dans l'académie de Versailles, 34 % des inscrits sur Parcoursup ont obtenu une proposition dans un établissement parisien, contre 21,7 % avec APB l'année dernière. De même dans l'académie de Créteil, où le taux est passé d'un sur trois à un sur cinq avec Parcoursup. Ce progrès doit être souligné.
Sans mobilité sociale ou territoriale, il ne saurait y avoir de démocratisation réelle de l'accès au supérieur : j'ai installé jeudi dernier un comité de suivi de la réforme composé d'experts et d'enseignants-chercheurs - et notamment de sociologues. Si des progrès ont été réalisés cette année, le comité de suivi nous appuiera afin de les amplifier en dressant un état complet des effets sociaux et territoriaux de la réforme à la rentrée.
La transparence est dorénavant la règle. Les critères pris en compte par les formations sont affichés sur Parcoursup depuis le mois de janvier. Les algorithmes permettant de faire fonctionner la plateforme nationale ont été rendus publics le 21 mai, soit trois mois avant l'expiration du délai légal. Il y a encore quelques mois, on distribuait l'algorithme d'APB sur papier ! La loi du 8 mars reconnait un droit nouveau aux étudiants, celui de pouvoir obtenir à titre individuel les informations utiles pour comprendre la réponse qui leur a été faite, sans préjudice de la nécessaire protection du secret des délibérations. Jamais un Gouvernement n'avait fait un tel effort de transparence sur les modalités d'accès au premier cycle.
Le comité éthique et scientifique, chargé de suivre et d'évaluer le fonctionnement de la plateforme Parcoursup, fera des propositions d'amélioration technique du dispositif. Il faut faire en sorte que le droit fasse le code, et non que le code fasse le droit.
De nombreuses personnes, dans les médias, et parfois même au Parlement, n'ont jamais soutenu la réforme et la contestent à la première occasion, alimentant ainsi l'anxiété des lycéens. Ce sont les mêmes qui nous disaient que la plateforme ne fonctionnerait pas, que les fiches avenir ne seraient pas remplies, que les enseignants chercheurs ne liraient pas les dossiers. Les faits leur ont donné tort : 135 000 parcours individualisés seront proposés cette année.
D'autres estiment qu'il n'y a pas assez de place dans l'enseignement supérieur. Or j'ai ouvert depuis mardi la procédure complémentaire, qui ouvre 90 000 nouvelles places. Elle recense toutes les places encore disponibles. En 2017, après la rentrée étudiante, près de 135 000 places étaient encore vacantes. Nous en créerons plus de 21 000 supplémentaires pour la rentrée prochaine, dont 4 000 pour des brevets de technicien supérieur (BTS). Avec le Premier ministre, je me suis engagée à dresser un état des lieux des besoins en places supplémentaires. Je m'exprimerai prochainement sur ce sujet. Chacun pourra accéder à une formation qui lui correspond.
Ce sont les mêmes qui soutenaient les blocages des universités. Le débat, la controverse voire la contestation font partie de notre vie et de notre histoire universitaires. Pour autant, débattre, ce n'est pas dégrader. Contester, ce n'est pas vandaliser ni s'en prendre au personnel des établissements. Le mouvement de blocage des universités est assez inédit dans le registre des mobilisations étudiantes. Les manifestations ont été peu nombreuses cette année et ont attiré très peu d'étudiants.
Dans ce mouvement, le blocage était à la fois un moyen d'action et sa propre finalité. Les bloqueurs cherchaient à vivre une forme d'engagement très utopique et bien éloigné de l'exigence de la formation à l'université. Pour autant, ce mouvement était très minoritaire. Seule une poignée de nos 73 universités ont été bloquées, sans parler des 300 autres établissements d'enseignement supérieur qui n'ont pas été touchés.
Plutôt qu'un mouvement uniforme de blocage, je parlerais plus volontiers de situations de blocage dont les ressorts étaient souvent très différents d'un site à l'autre et généralement assez éloignés de Parcoursup. Tout le monde garde à l'esprit la parodie de conférence de presse menée par les bloqueurs du site de Tolbiac.
À chaque fois qu'une parole démocratique a été rendue aux étudiants, leur majorité a systématiquement demandé la levée des blocages. On l'a vu notamment lors des consultations électroniques organisées à Strasbourg ou à Sorbonne Université, mais aussi dans les quelques assemblées générales qui ont su conserver un esprit démocratique, comme à Pau.
Face à la violence de certaines situations de blocage, les présidents d'université ont réagi avec fermeté et mesure. À aucun moment ils n'ont hésité à faire évacuer les bâtiments bloqués lorsque les conditions devenaient trop dangereuses pour les étudiants et les personnels, afin de garantir la sécurité de tous et la préservation des bâtiments. Je souligne la très grande qualité du travail de nos forces de l'ordre et le sang-froid des présidents d'universités. Des stocks de cocktails Molotov, de barres de fer et de pavés ont été retrouvés, notamment à Tolbiac, en perspective de l'intervention des forces de police.
Tout cela a eu un coût. Le Gouvernement avait débloqué 35 millions d'euros pour l'application de la loi ORE. Nous estimons la facture globale des dégradations à plus de 5 millions d'euros. L'État étant son propre assureur, le ministère prendra cette dépense à sa charge, dans l'attente que les responsabilités soient établies dans le cadre d'instructions judiciaires en cours.
Le mouvement minoritaire de blocage s'est rapidement transformé en une entreprise toute aussi marginale de perturbation des examens universitaires. Le Gouvernement, à la suite des déclarations du Président de la République, a pris un engagement très clair : 2018 ne sera pas une année universitaire blanche et il n'y aura pas d'examens ou de diplômes de complaisance. Ce phénomène était aussi très minoritaire. En Ile-de-France, trois sites étaient particulièrement sensibles : Tolbiac à Paris I, Censier à Paris III et Paris X, soit un total de 56 000 étudiants. Afin de parer à ces perturbations, j'ai installé au sein du ministère une cellule d'appui à ces trois établissements de sorte de leur proposer des solutions de délocalisation d'examens. Cette cellule a proposé 300 000 places d'examens sur table en présentiel, sécurisés par des agents de sécurité et de police.
Paris I a effectivement délocalisé une partie de ses examens à Rungis et Paris X a opté pour la dématérialisation du contrôle des connaissances. Ce mode de contrôle est pratiqué depuis plusieurs années par plusieurs établissements et nous savons en sécuriser le processus. Ainsi, à Montpellier III, le sac de la salle des serveurs avait vocation à perturber le déroulement des examens en ligne. La délocalisation des examens de cette université a permis à plus de 7 000 étudiants de composer sur table en toute sécurité. Les examens ont eu lieu sur l'ensemble du territoire et dans des conditions qui garantissent aux diplômes toute leur valeur. L'engagement du Gouvernement a donc été tenu.
Le travail réalisé cette année avec le Plan Étudiants, la loi ORE, la mise en place de Parcoursup, va dans le même sens : continuer à faire de l'université un lieu de réussite pour tous les étudiants. C'est pour cela que nous avons mis un point d'honneur à sécuriser l'organisation des examens. C'est dans ce sens que nous travaillons à préparer la prochaine rentrée universitaire qui donnera lieu, je n'en doute pas, à une prochaine audition à l'automne.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Bien entendu, comme le veut la tradition !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Merci de votre présence et de vos propos sur le Sénat. Si nous avons des approches différentes, nous avons le souci commun de l'intérêt général des étudiants. Vous l'avez souligné, cette CMP fut l'une des rares à avoir abouti.
À l'occasion de l'examen de la loi ORE puis de la loi sur le Règlement général sur la protection des données (RGPD), nous nous étions émus de l'absence de transparence sur les algorithmes - ou les fichiers Excel - éventuellement utilisés par les établissements pour établir le classement des candidatures ; que pouvez-vous nous dire sur l'utilisation effective de tels algorithmes par les établissements en cette première édition de Parcoursup ? Le comité éthique et scientifique a-t-il commencé à travailler sur cette question ? Les candidats à la deuxième édition de Parcoursup auront-ils connaissance des critères - notes retenues et pondérations - sur lesquels ils seront choisis avant de faire leurs choix ?
Plus de 21 000 candidats sont actuellement sans proposition et plus de 6 000 ont déjà demandé à être accompagnés par le recteur : quelle a été l'activité des commissions rectorales à ce stade pour leur apporter une solution ? Quels sont vos objectifs ? Quels moyens avez-vous mis à disposition des recteurs pour s'acquitter de cette mission ? Je laisserai mes collègues évoquer l'application des taux académiques.
Parcoursup a proposé 135 000 « oui, si ». Comment sont-ils perçus par les candidats ? Sont-ils acceptés ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les « algorithmes locaux » ont fait couler beaucoup d'encre. Le décret d'application confie l'examen des voeux à des commissions pédagogiques sous le contrôle du chef d'établissement. On peut toujours jouer sur les mots avec les fichiers Excel... Il n'y a pas d'algorithmes locaux mais un outil d'aide à la décision, mis à disposition des établissements, qui est totalement facultatif et qui doit être retravaillé. Il est commun à toutes les filières, qu'elles soient ou non sélectives. Certains points restent à améliorer, mais le dispositif n'est qu'un filtre à poser sur l'algorithme Parcoursup, et est transparent : certains établissements ont choisi de l'utiliser, d'autres non.
Énormément de candidats sur la plateforme ne sont pas des lycéens ; il a fallu intégrer les étudiants en réorientation, ceux qui changent d'académie, ceux qui viennent de l'étranger... Dans tous les cas, il y a obligatoirement une gestion humaine des dossiers.
Le comité éthique et scientifique, présidé par Noëlle Lenoir, s'est déjà réuni cinq fois et réalise des auditions des acteurs de Parcoursup. Comme le prévoit la loi, il rendra prochainement, après la fin de la procédure, un rapport et un avis sur le dispositif, qui seront publiés, conformément à nos engagements.
Les critères pris en compte par chaque établissement au-delà des attendus nationaux sont adoptés par le conseil d'administration, publics et affichés sur Parcoursup. C'est très important : le candidat doit connaître les raisons d'un refus d'affectation.
Les commissions rectorales, composées du recteur et des équipes chargées du supérieur et du secondaire, ont déjà commencé leur travail ; 7 885 candidats ont sollicité leur accompagnement. Elles mettent en oeuvre le droit au réexamen, qui a fait l'objet de 277 demandes. J'ai visité plusieurs commissions d'accès à l'enseignement supérieur. Le travail est en cours.
Nous avons identifié deux catégories de lycéens : d'une part, ceux qui ont de bons voire de très bons résultats mais n'ont demandé que des filières très sélectives, qui leur ont été refusées, les commissions académiques leur proposent alors d'autres formations qui pourraient les intéresser ; d'autre part, les lycéens dont les résultats sont très faibles, à qui est proposée une année de préparation. Ce dispositif nous a permis d'amorcer un dialogue ; dans la dernière commission académique que j'ai visitée, deux tiers des lycéens avaient reçu une proposition de ce type. Ils ne sont pas tenus de les accepter : le dialogue se poursuit alors. C'est parfois un bilan d'orientation complet qui leur est offert. En tout état de cause, ce sont des cas que nous n'aurons pas à gérer en septembre : l'an dernier, à la rentrée, de nombreux lycéens ne s'étaient pas présentés physiquement dans les filières où ils avaient été acceptés : il avait alors fallu les appeler pour essayer de trouver des solutions. Le dispositif actuel est compris et accepté par les familles.
Le « oui, si » a été proposé à 135 000 jeunes. Je me réjouis de voir que les lycéens en ont compris l'utilité et l'acceptent bien souvent, car ils savent qu'il y a davantage de travaux dirigés et d'encadrement à la clé. Il est trop tôt pour faire un bilan général, mais de nombreux présidents d'université m'ont dit leur agréable surprise de voir que les lycéens plébiscitaient le « oui, si ». D'aucuns craignaient initialement que cette hypothèse soit vécue comme décourageante ; j'étais pour ma part convaincue, connaissant bien les étudiants et tout particulièrement ceux de première année, qu'ils y verraient un outil de sortie de l'anonymat de la première année et de personnalisation des enseignements.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Vous avez indiqué que le coût des dégâts occasionnés par les blocages des universités s'élevait à 5 millions d'euros et que l'État le prendrait en charge - c'est-à-dire, le contribuable. Un partenariat avec les tribunaux de grande instance (TGI) est-il envisageable pour que certaines de ces réparations soient effectuées sous la forme de travaux d'intérêt général par les auteurs de vandalisme ?
Le Sénat a rétabli la semaine dernière la compétence de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour les visites médicales des étudiants étrangers, qu'elle exerçait jusqu'en 2016. Cette visite permet notamment de dépister un certain nombre de maladies infectieuses, dont la tuberculose, qui touche chaque année près de 300 étudiants sur les 70 000 qui arrivent sur notre territoire. La loi de 2016 avait transféré cette compétence aux universités sans transférer les moyens de l'exercer, alors que l'OFII y consacrait 58 euros par étudiant... Quelle est la position du ministère sur cette question ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - On ne peut demander aux établissements, qui ont subi ces dégradations, de financer les réparations sur leurs budgets de fonctionnement... J'aurais évidemment préféré que ces 5 millions d'euros soient consacrés à la réforme et à l'accompagnement des étudiants ; ils seront consacrés à réparer les dégâts et à racheter du matériel, c'est ainsi. Tous les présidents d'université ont porté plainte. Des enquêtes sont en cours, mais il est toujours difficile d'attribuer de telles infractions à un individu en particulier, d'autant que ceux qui les ont commises, qui n'étaient pour la plupart pas étudiants - et ne représentaient personne lorsqu'ils l'étaient - étaient cagoulés et s'en sont pris en premier lieu aux systèmes de surveillance. Nous ferons notre possible pour que les auteurs identifiés des dégradations les réparent et pour aider les établissements. Certains sites sont cependant si endommagés qu'une réouverture n'est pas envisageable avant janvier 2019.
Il est vrai que la loi de 2016 avait transféré cette compétence relative aux visites médicales des étudiants étrangers mais non les moyens correspondants aux universités. La visite n'est toutefois pas obligatoire : les étudiants étrangers qui attestent d'un suivi médical régulier en sont dispensés. Les universités ont salué le retour de cette compétence à l'OFII, mais j'ignore si c'est la meilleure solution à long terme, alors que nous cherchons à accroître l'attractivité de nos universités et le nombre d'étudiants étrangers qu'elles accueillent.
La loi ORE renforce par ailleurs, au moyen de la contribution vie étudiante, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé, crée des conférences de prévention étudiantes, et met en place des centres de santé rendant la prise en charge médicale des étudiants possible sans avance de frais. Je suis d'une manière générale plus favorable à des solutions de prise en charge globales et intégrées des étudiants sur les sites universitaires - que les étudiants qui les fréquentent soient, ou non, inscrits à l'université.
Mme Sylvie Robert. - Je remercie M. Grosperrin d'avoir précisé que l'expression de nos divergences, madame la ministre, dans un domaine qui nous tient tous à ce point à coeur, relevait de l'exercice démocratique et ne visait qu'à attirer l'attention sur ce qui appelle notre vigilance collective. Les objectifs poursuivis par la réforme étaient le droit à la poursuite de la formation, la réussite - c'est le but du « oui, si » -, et l'arrêt du creusement des disparités sociales. J'espère que le rapport qui sera remis en septembre par le comité de suivi démontrera qu'ils ont été atteints.
Les algorithmes locaux, ou outils d'aide à la décision, reposent sur trois types de données : la formation motivée, les résultats académiques, et la fiche Avenir. Membre de la CNIL, je sais que la transparence des outils informatiques nourrit la confiance. Avez-vous regardé de près la pondération de ces trois éléments dans les algorithmes locaux ? Il y va du respect de la loi...
À la différence d'APB, Parcoursup permet la mobilité géographique, ce qui est une bonne chose. Mais les chiffres qui circulent font état de quotas de mobilité oscillant entre 1 % et 70 % selon les universités : est-ce vrai ? Une régulation n'est-elle pas souhaitable ?
Toutes les universités n'ont pas joué le jeu du « oui, si », qui limite leur visibilité sur le nombre d'étudiants qu'ils accueilleront à la rentrée. Ne peut-on modifier le calendrier sur ce point ? La rentrée a lieu dans deux mois !
Vous aviez promis, madame la ministre, que nous aurions à connaître d'un grand plan d'orientation dans le cadre du projet de loi « Avenir professionnel », or il n'en est rien, alors que c'est un élément primordial. La réforme du lycée sera en vigueur dès la seconde l'année prochaine ; n'est-ce pas l'occasion de reconfigurer Parcoursup, pour améliorer l'orientation des étudiants qui passeront le baccalauréat deux ans après ?
Je sais que vous ne reviendrez pas sur la hiérarchisation des voeux. Mais tout de même, ne peut-on, pour faciliter le travail de l'ensemble des acteurs et susciter la confiance des jeunes et de leurs parents, hiérarchiser les trois premiers ? En l'état actuel des choses, on ne sait pas à quoi les lycéens aspirent !
M. Pierre Ouzoulias. - Nous sommes tous des sénatrices et des sénateurs de la République française, décidés à faire avancer les choses. Ne doutez pas de ma loyauté républicaine, madame la ministre.
M. Mahjoubi a tenu à nous rassurer sur les algorithmes locaux, mais l'université de Pau et des pays de l'Adour m'a communiqué le sien, avec le nombre de points associés aux différents éléments contenus dans les dossiers des lycéens : le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), par exemple, contrairement aux assurances que vous me donniez en séance en janvier dernier, en rapporte quinze ! Si l'université de Pau publie son algorithme, pourquoi les autres ne le feraient-elles pas ? Il est en effet essentiel, pour les candidats et leurs familles, de savoir comment les universités cotent les différentes composantes de leur dossier : je demande donc de nouveau la publication de ces algorithmes locaux.
Ces outils auront un rôle majeur dans la reconfiguration du paysage universitaire et le choix que feront les lycéens et leurs familles. Nous avons donc besoin de transparence. En l'état, les universités peuvent se passer de tout contrôle national et sélectionner les étudiants selon des critères qui leur sont propres. Or je tiens à un enseignement supérieur national, dans lequel l'État est garant de l'orientation et du respect de la loi. Dans un système de concurrence généralisée des universités entre elles, tout le monde sait qui seront les gagnants, et qui seront les perdants.
M. Laurent Lafon. - Merci, madame la ministre, pour ces premiers chiffres. La nouvelle plateforme devra être évaluée lorsque nous aurons davantage de recul. Nous attendons avec impatience les chiffres de l'automne, car les situations les plus délicates à gérer sont encore à venir...
Vous nous avez donné des chiffres globaux. Comment les choses se passent-elles dans les filières sous tension, plus complexes à gérer ?
Disposez-vous d'indications sur les affectations dans l'enseignement supérieur des bacheliers professionnels et technologiques, notamment dans les filières de BTS et d'IUT que vous souhaitiez ouvrir davantage à ce public ?
M. Olivier Paccaud. - Dans la loi ORE il est hélas moins question d'orientation que d'affectation. Vous-même, madame la ministre, parlez constamment d'affectation, jamais d'orientation.
Y a-t-il des disparités dans le traitement des dossiers selon les régions ?
Mme Colette Mélot. - Merci, madame la ministre, pour toutes ces précisions. De nombreux élèves à haut potentiel ne vont pas au-delà du baccalauréat ; un tiers d'entre eux seulement poursuit des études supérieures et ils sont globalement surexposés à l'échec scolaire. Existe-t-il pour eux un dispositif adapté ?
Que faites-vous pour accompagner les élèves qui ont des prédispositions aux études scientifiques ? En Israël, il existe des programmes d'accompagnement des jeunes talents scientifiques. La France ne peut-elle se doter d'une ambition analogue en développant des passerelles entre le secondaire et le supérieur ?
M. Christian Manable. - Merci, madame la ministre, pour les éléments que vous nous avez fournis. Pourra-t-on obtenir un bilan chiffré par académie et par département ?
M. Max Brisson. - Merci, madame la ministre, et cher collègue Ouzoulias, d'avoir cité l'esprit démocratique de l'université de Pau et des pays de l'Adour !
L'outil Parcoursup fonctionne globalement, il accompagne davantage et est plus transparent qu'APB. Mais la loi ORE a une ambition qui ne se résume pas à l'affectation. Les appréciations portées par les professeurs du secondaire sont très variables ; comment faciliter leur appropriation de l'outil, afin d'éviter les disparités selon les établissements, que les commissions d'affectation corrigeaient naguère ?
Je trouve intéressantes les réformes du lycée, du baccalauréat, de l'orientation et de l'apprentissage prises séparément, mais je ne vois pas la logique d'ensemble. Nous nous accordons pourtant sur la nécessité de fluidifier les parcours, du lycée à la licence.
M. Stéphane Piednoir. - Merci, madame la ministre, de votre présence au Sénat. Notre Assemblée a joué son rôle d'amélioration de la loi ORE, dans des délais très courts. Il y avait urgence en effet, ce qui explique sans doute que la CMP ait été conclusive. J'avais regretté dans la discussion générale le manque de respect du temps législatif, mais tout cela est derrière nous.
Dans le Maine-et-Loire, Parcoursup fonctionne plutôt bien, après les compréhensibles épisodes de saturation et les difficultés de saisie sur smartphone des débuts.
Le groupe Les Républicains souhaitait que les attendus, dans Parcoursup, s'apparentent davantage à des prérequis : les retours d'expérience me laissent penser que nous sommes sur la bonne voie - nous en reparlerons peut-être dans trois ans lorsque le réforme du lycée aura été appliquée. Le système manque toutefois de clarté : certains lycéens, classés 200e ou 250e sur la liste d'attente de leur filière de prédilection et ignorant sa capacité d'accueil, finissent souvent par en choisir une autre. Une meilleure information sur le nombre de places dans chaque formation permettrait d'y remédier.
Nous avons été plusieurs à souligner le succès du « oui, si », mais toutes les universités n'ont pas joué le jeu, invoquant le manque de moyens pour le faire.
Avant le baccalauréat, 18 000 lycéens n'avaient reçu aucune réponse positive sur Parcoursup, soit 21,5 % ; la comparaison avec APB n'est pas totalement pertinente, mais enfin, l'an dernier, ils n'étaient que 19 % dans cette situation. L'affectation au fil de l'eau a ses avantages et responsabilise les lycéens, mais il faut dire aussi la vérité des chiffres.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons d'autres frustrations, madame la ministre, concernant le débat sur le projet de loi « Avenir professionnel », que nous vous invitons à relayer. Notre rapporteur pour avis, Laurent Lafon ici présent, a dû écrire son rapport alors que nous ne disposions même pas encore du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ! On gagne toujours à respecter des délais permettant une réflexion vraiment sérieuse et approfondie.
Vous avez pu mesurer notre investissement sur la loi ORE ; nous aurions aimé connecter cette question de la réussite et de l'orientation des étudiants aux autres questions que nous débattons en ce moment. Peut-être d'ailleurs pourrez-vous nous parler du travail que vous poursuivez, avec Jean-Michel Blanquer, sur ce sujet.
Par ailleurs, je m'exprimerai au nom de mes collègues sénateurs ultramarins : quid de la rentrée dans les universités des DROM-COM ? Je pense en particulier à l'université Antilles-Guyane, à laquelle nous avions consacré un rapport il y a quelques années.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - S'agissant des algorithmes locaux, si une recette de cuisine est un algorithme, alors, en effet, nous ne parlons pas de la même chose, monsieur Ouzoulias, et c'est moi qui suis probablement ignorante.
La pondération des données sera évidemment essentielle. La très grande majorité des universités a dû accomplir une tâche à laquelle elles n'avaient jamais été confrontées ; elles ont beaucoup tâtonné. Elles se sont appuyées sur l'expérience des IUT, qui font ce travail de classement des dossiers depuis très longtemps. Certaines conférences de doyens avaient anticipé, en STAPS notamment, de façon à ce que les choses se déroulent de manière uniforme dans toutes les universités.
Monsieur Ouzoulias, j'imagine que vous demandez leurs algorithmes locaux à tous les établissements d'enseignement supérieur, et pas seulement aux universités ; ces dernières ne sont que 73, alors qu'il existe plus de 350 établissements d'enseignement supérieur non universitaires.
M. Pierre Ouzoulias. - Mais 73, dans un premier temps, cela nous suffirait !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les formations sélectives classent depuis des années en utilisant des algorithmes, sans que personne ne s'intéresse à la façon dont ces algorithmes sont conçus.
M. Jacques Grosperrin. - Vous avez raison.
M. Pierre Ouzoulias. - Mais il existe un RGPD désormais !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Comment la pondération des données paramétrable est-elle effectuée ? Cette question est évidemment très importante. Reste que les commissions sont totalement libres de décider si elles souhaitent rendre publiques ces données ou, au contraire, ne pas briser ce qu'elles appellent le secret des délibérations. Les positions, de ce point de vue, sont très variables d'un établissement à un autre. La grille que vous mentionnez concernant l'université de Pau m'est inconnue, parce qu'aucune université ne se sent dans l'obligation de me faire remonter ce genre d'informations. Les universités sont autonomes.
M. Pierre Ouzoulias. - C'est le problème.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Dès lors, elles sont responsables du contenu de leur offre de formation, et donc de la façon dont elles accueillent les étudiants dans ces formations. Le comité scientifique et éthique s'intéresse à ces sujets, et, en effet, sans aller jusqu'à l'uniformité, il faut que nous veillions à établir, malgré tout, une forme d'harmonie.
Mme Sylvie Robert. - Oui !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Quoi qu'il en soit, en matière de gestion des affectations, je ne vois pas comment on peut aller beaucoup plus loin. Il faut simplement que nous trouvions le juste équilibre.
Je voudrais parler maintenant de mobilité géographique et de variation des quotas de mobilité. Il faut bien se garder de confondre le thermomètre avec la température !
Parcoursup a permis de mettre en évidence la variabilité des taux de mobilité en fonction des formations. Ces taux ont été fixés au cas par cas par un travail conjoint des recteurs et des présidents d'université. Et les recteurs ont veillé à ce que les jeunes ne soient pas empêchés de poursuivre les études de leur choix à proximité de leur lieu de résidence. Dans certains cas, c'est vrai, ces quotas de mobilité sont très faibles, de l'ordre de quelques pourcents, mais, faut-il ajouter, cette situation concerne les filières sous tension, où l'an dernier lesdits quotas étaient de zéro, sachant que priorité absolue était donnée à la résidence académique ! Ces quotas sont plus importants lorsque la pression des étudiants locaux est moindre, et lorsqu'on peut, donc, ouvrir largement les formations à des étudiants venant d'ailleurs. Vous voyez que le travail a été fait dans la dentelle.
Par ailleurs, on ne peut pas traiter de la même façon la région Île-de-France et les autres régions. Dans la majorité des régions, il existe une université par grand centre urbain, donc une faculté de droit, une faculté de médecine, une faculté de sciences, une faculté de lettres, etc., sans divergences particulières de réputations. L'Île-de-France, elle, connaît une situation spécifique ; il importe que nous puissions y assurer de la mobilité. Les taux de mobilité sont d'ailleurs de 100 % dans les filières qui se sont entendues pour travailler ensemble, la psychologie par exemple. Dans ces cas-là, la région et l'académie se confondent. Dans d'autres filières - je pense notamment à la chimie -, peu de formations sont offertes par les universités de Paris intra-muros. Il est donc très compliqué d'accepter beaucoup d'étudiants non parisiens dans ces formations, à moins de décréter que les formations de chimie de Paris intra-muros sont censées accueillir tous les meilleurs étudiants d'Île-de-France, et que celles qui sont proposées de l'autre côté du périphérique sont censées accueillir les étudiants moyens.
Je ne peux pas entendre, encore moins valider, une telle proposition. Je maintiens que toutes les filières de premier cycle de l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur du territoire sont des filières de qualité. On a observé, pour les classes préparatoires aux grandes écoles, une aspiration par un faible nombre d'entre elles des meilleurs lycéens de toute la France, à l'exception de ceux qui n'avaient pas les moyens financiers de déménager. C'est un vrai problème ! Les admis aux concours d'entrée des très grandes écoles françaises sortent d'un très petit nombre de lycées, qu'on peut compter sur les doigts d'une main, tout ça parce qu'il n'existe pas de régulation de la mobilité académique.
Ma philosophie est la suivante : je veux de la mobilité académique, mais je ne veux pas qu'un jeune soit forcé d'aller étudier à 50 kilomètres de chez lui, parce qu'on aura accepté que des étudiants de toute la France viennent étudier dans son université de proximité. Tout a été fixé de gré à gré entre recteurs et présidents d'universités.
J'ai demandé au comité scientifique et éthique de faire des propositions. Ce comité comprend des scientifiques, des sociologues, qui pourront travailler sur les données chiffrées et émettre des recommandations susceptibles de relancer la mobilité sociale et géographique sans pour autant produire des concentrations sur certaines filières de tous les meilleurs étudiants de France. Je suis très attachée à la mobilité géographique ; elle a, en tout état de cause, progressé cette année par rapport à l'an dernier.
Concernant les « oui, si », certains établissements ont émis ce type de réponse, d'autres s'y sont refusés. Il faut distinguer plusieurs cas de figure.
Certains établissements, qui étaient en général plutôt farouchement opposés à la loi ORE, ont considéré que les « oui, si » auraient des effets d'exclusion vis-à-vis des lycéens ; ils ont donc volontairement décidé, pour des raisons parfois exclusivement idéologiques, de se passer d'une telle option. Le taux de réussite de ces établissements, évidemment, n'a aucune chance de s'améliorer.
Certains établissements ont considéré qu'ils ne devaient émettre des « oui, si » que si les filières étaient en tension, ce qui n'a aucun sens - le taux de réussite des étudiants n'est pas forcément supérieur dans les filières qui ne sont pas en tension ! Ils ont pris le « oui, si » comme une réponse dissuasive.
Certains établissements ont plébiscité le système du « oui, si » et l'ont très largement exploité, jusqu'à proposer plus de « oui, si » que de « oui » ; ces établissements sont ceux qui sont les plus accompagnés d'un point de vue financier.
Enfin, certains établissements préfèrent accepter tout le monde et, après la rentrée, organiser des tests et mettre en place des groupes de niveaux. Avec ce genre de stratégie, néanmoins, rien n'est obligatoire ou prescriptif.
En observant les taux de réussite, nous verrons bien ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je compte sur un effet d'entraînement et d'entraide - le monde universitaire y est particulièrement propice. Ceux qui ont conçu des dispositifs d'accompagnement des « oui, si » sont tout à fait prêts à partager leurs réflexions. De ce point de vue, je pense que les choses vont s'améliorer assez rapidement.
Monsieur Ouzoulias, vous avez dit votre attachement à un enseignement supérieur national. J'y suis moi aussi très attachée ! Ceci dit, une fois de plus, il faut regarder la réalité. On ne donne pas forcément le même cours à tous les étudiants d'une même licence et l'on n'attend pas la même chose de tous les lycéens qui arrivent en première année. L'harmonisation est importante, mais instaurer une même grille pour tout le monde...
M. Pierre Ouzoulias. - Ce n'est pas ma culture !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - ... n'aurait vraiment aucun sens.
S'agissant de l'orientation, le système d'orientation tel qu'il a été mis en place cette année a été très efficace. Nous n'avons reçu que de très bons retours sur le dédoublement des professeurs principaux et sur les deux semaines d'orientation. Le lien est constant avec Jean-Michel Blanquer et avec la réforme du lycée : il est prévu de consacrer 56 heures à l'orientation dès la seconde.
L'orientation se fera d'autant mieux que les commissions d'accès à l'enseignement supérieur, que nous avons créées, ont bouleversé les pratiques : elles ont permis de réunir autour de la même table des enseignants du secondaire et des enseignants du supérieur, avec pour préoccupation commune le sort du lycéen et futur étudiant. Ils ont eu l'occasion d'échanger enfin sur ce qu'aujourd'hui on attend respectivement d'un lycéen et d'un étudiant, sur les programmes de terminale et de première année de licence.
Nous avons entendu de très belles histoires de la part de professeurs principaux : d'abord réticents à remplir les fiches avenir, et notamment à juger la « capacité de motivation » des lycéens, ils se sont mis à regarder leurs élèves d'une autre façon. Une nouvelle culture va se mettre en place : une orientation fondée sur l'accompagnement et vécue de manière moins stressante. Les conseillers d'orientation pourront, par là même, prendre le temps de dresser de vrais bilans avec les élèves qui leur seront spécifiquement adressés. Une partie des moyens qui ont été débloqués ont d'ailleurs été mis à disposition des rectorats pour renforcer les conseillers d'orientation.
Oui, monsieur Manable, le département des études statistiques du ministère produit chaque année un bilan chiffré ; ce bilan est académique et non départemental. Comme je le disais tout à l'heure, la région Île-de-France mérite, par sa spécificité, une attention particulière. Cette spécificité est liée à la quantité de lycéens et d'étudiants qui s'y trouvent, et à la profusion d'établissements, dont beaucoup sont d'ailleurs mal connus.
Quid de la présence des bacheliers professionnels et technologiques dans le supérieur ? Nous avons insisté, cette année, pour que cette présence ne soit plus un objectif à atteindre, mais donne lieu à des quotas contraignants de bacheliers professionnels dans les BTS et de bacheliers technologiques dans les IUT. Le travail reste à effectuer, dans les mois qui viennent, pour organiser au sein des universités la coexistence de vraies filières courtes technologiques et de filières de préparation aux écoles d'ingénieurs ou de commerce, les IUT et les BTS étant souvent utilisées comme voies alternatives aux classes préparatoires pour atteindre le niveau bac + 5. Nous examinerons cette question avec les présidents d'université.
S'agissant des filières qui étaient particulièrement en tension, monsieur Lafon, nous leur avons alloué 17 000 places supplémentaires. Nous attendons de voir comment les choses vont s'articuler. Certaines de ces filières se sont révélées statistiquement moins attractives que les années précédentes - je pense par exemple aux cursus STAPS, dont le taux d'attractivité a baissé. Mais cette baisse est due à la réouverture simultanée de places en DEUST, diplôme d'études universitaires scientifiques et techniques, et en CREPS, centres de ressources, d'expertise et de performance sportive.
Certaines filières qui pensaient être le premier choix des étudiants s'avèrent ne pas toujours l'être. Les filières STAPS sont remplies, certes, mais, pour l'instant, les jeunes qui ont été acceptés n'ont pas tous confirmé leur voeu de manière définitive - ils veulent prendre encore le temps de réfléchir un peu. C'est toujours la même histoire : hiérarchisation versus choix a posteriori. On rencontre ce phénomène dans toutes les filières sous tension, et y compris dans les classes préparatoires, qui en conçoivent de l'étonnement. Les lycéens ont parfaitement compris qu'ils avaient le temps : ils attendent de voir pour choisir la voie qu'ils préfèrent. Certes, cette situation est un peu plus difficile à gérer pour les établissements ; mais il en va de l'intérêt des étudiants.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les élèves d'abord !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Oui ! D'autant que tout va bien : on sait faire des emplois du temps !
Monsieur Piednoir, pour éviter un bug à l'ouverture de Parcoursup, nous avions prévu six sites miroirs sur lesquels les flux devaient basculer. La bascule a occasionné six à sept minutes d'attente, et les sites miroirs ont parfaitement fonctionné. Au regard du travail fourni par les équipes, auxquelles je rends hommage, je ne peux pas laisser dire qu'il y a eu un bug à l'ouverture de la plateforme.
M. Stéphane Piednoir. - Parlons de saturation.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Même chose pour les smartphones. Quelques dizaines de lycéens, soit une toute petite minorité, ont échoué à trouver le bouton, qui a pourtant toujours été présent ; ceci a suffi à faire le buzz. Nous avons bien compris que c'était un sujet d'inquiétude ; l'an prochain, nous vous promettons que le bouton sera énorme. L'application n'était peut-être pas des plus ergonomiques ; nous allons y travailler.
Faut-il améliorer l'information sur les listes d'attente ? Bien sûr ! Mais il s'agissait de la première année de fonctionnement de la plateforme ; dès l'an prochain, nous serons en mesure de communiquer aux candidats le rang du dernier appelé de l'année précédente.
M. Jacques Grosperrin. - Très bien.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je précise néanmoins qu'un grand nombre d'informations sont redescendues via les professeurs principaux. L'intérêt de fixer la date des premières réponses au 22 mai, c'est que les professeurs étaient là pour accompagner la réforme. Un travail remarquable a été fait pour produire des documents d'accompagnement à destination des établissements.
Quelques chiffres. Parmi les candidats inscrits sur la plateforme Parcoursup, 597 567 se sont vus proposer une procédure d'admission ; à la même date, sur APB, ce chiffre était de 589 845, soit 1,3 % de plus pour Parcoursup. Mais je ne donne ces chiffres qu'à titre de clin d'oeil : cela n'a aucun sens de comparer les systèmes, dans un sens comme dans l'autre.
Mme Sylvie Robert. - Vous avez raison ; il faut regarder le volume d'étudiants !
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le nombre de candidats inscrits était de 812 000, sensiblement identique à celui de l'année précédente.
S'agissant des outre-mer, Guyane d'un côté, Martinique et Guadeloupe de l'autre, je vois très régulièrement les présidents des deux universités ; ils ne me signalent aucune difficulté particulière concernant Parcoursup. Nous avons eu un problème à Mayotte ; nous l'avons résolu en ouvrant des places supplémentaires et de nouveaux bâtiments pour le Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR), qui travaille en partenariat avec l'université de Nîmes. En Nouvelle-Calédonie, le calendrier est adapté à l'hémisphère sud.
Ce matin, nous avons eu le plaisir de livrer les conclusions des Assises des outre-mer en présentant le livre bleu qui en est issu. Un vrai travail a été mené avec les universités afin de les mettre en réseau, sachant qu'elles ne sont pas en capacité d'offrir tout l'éventail de formations qu'on peut trouver en métropole. L'idée est que les premières années au moins puissent être effectuées sur place sans mobilité - avec mobilité, le taux de réussite est très faible. Nous nous efforçons en outre de placer ces universités au coeur de leurs régions respectives. L'objectif est de prendre en compte la dimension internationale pour développer de véritables stratégies de site.
M. Jacques Grosperrin. - Merci pour la précision de vos réponses, madame la ministre. Je souhaiterais simplement vous entendre sur l'arrêté licence et l'enseignement modulaire.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - L'arrêté licence permet de mettre la loi sur les rails de son application, via la mise en place de formations personnalisées fondées sur l'acquisition de connaissances et de compétences par modules capitalisables. Ceci permet de répondre aux attentes d'étudiants qui ont besoin de plus de temps que d'autres pour s'orienter définitivement, en leur faisant notamment des propositions pluridisciplinaires. Certains de ces modules peuvent être spécifiquement professionnalisants. L'idée est de prendre en compte toute la diversité des étudiants, qu'ils viennent à l'université pour faire des études longues ou des études courtes professionnelles, les études courtes pouvant très bien, d'ailleurs, devenir des études longues. La modularité permet cette souplesse. Elle permet aussi de donner une place aux stages ou à l'alternance.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, madame la ministre, d'avoir pris le temps de répondre à chacune de nos questions.
Une première étape, très encourageante, a donc été franchie, dont il faudra ultimement mesurer toute l'efficacité et toute la portée. Nous continuerons à suivre le dossier Parcoursup, jusqu'à la rentrée, c'est-à-dire jusqu'à ce que chaque futur étudiant se trouve affecté.
Je remercie notre rapporteur Jacques Grosperrin qui a su être à la fois exigeant et constructif au moment de l'examen du projet de loi ORE. Le système APB ne pouvait plus durer ! Nous nous réjouissons qu'un terme ait été mis à ce scandale.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 20.