- Jeudi 21 juin 2018
- Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) - Audition de M. Jean-Christophe Niel, directeur général
- Présentation du rapport annuel pour 2017 de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2)
- Désignation de représentants dans les organismes extraparlementaires
Jeudi 21 juin 2018
- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) - Audition de M. Jean-Christophe Niel, directeur général
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous accueillons, pour l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Laurent Moché, dont j'espère qu'il conservera la présidence du conseil d'administration au-delà de son intérim, et Jean-Christophe Niel, son directeur général. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) possède indéniablement un tropisme nucléaire. Pour autant, votre audition ne ressort pas d'une obligation légale mais de notre souhait de vous entendre et du vôtre de vous exprimer devant des parlementaires impliqués, pour des raisons diverses, sur les sujets afférant au nucléaire. Parmi vos responsabilités, j'évoque ici un dossier qui m'est, comme à notre collègue Bruno Sido, cher : l'évaluation de la sûreté du projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets de haute activité et à vie longue. L'IRSN intervient également sur la mise en service du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville. Il oeuvre sur la performance du système de radioprotection dans le domaine médical et participe à l'organisation de la gestion des crises radiologiques ou nucléaires, sujet dont l'actualité mondiale nous rappelle parfois avec brutalité l'importance.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous sommes heureux d'entendre l'IRSN, acteur emblématique aux niveaux national et international sur les questions de sûreté nucléaire. Votre audition est un moment clé dans la prise en compte, par l'Office, des enjeux nucléaires. Depuis la création de l'IRSN en 2001, l'Office a, à plusieurs reprises, fait appel à vos compétences, se félicitant chaque fois de votre disponibilité et de votre réactivité. Ce fut notamment le cas après l'accident de Fukushima. Les commissions parlementaires ont pu également vous solliciter comme, récemment, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, qui vous a demandé officiellement un avis sur le stockage à sec des combustibles irradiés, remis récemment.
M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - C'est, pour l'IRSN, un honneur et un plaisir de vous présenter son rapport d'activité pour l'année 2017. Nous entretenons effectivement une relation historique avec votre Office parlementaire.
L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire, sujet à fort enjeu sociétal. Pour permettre aux acteurs concernés par la gestion de ce risque - parlementaires, autorités publiques, industriels, associations et citoyens - de connaître sa perception par les Français, nous publions depuis trente ans un baromètre annuel réalisé en novembre. En 2017, les sujets de préoccupation majeurs demeurent, comme en 2016, le terrorisme, le chômage, la pauvreté et l'exclusion. La confiance dans la science reste élevée, mais moins inconditionnelle que par le passé. La reconnaissance de l'expertise dépend des conditions dans lesquelles elle s'exerce, notamment en matière d'indépendance des experts et de transparence de leur travail. S'agissant plus strictement du nucléaire, les Français craignent la survenue d'un accident grave et d'aucuns estiment que les risques liés aux installations nucléaires vont croître dans les dix prochaines années. Enfin, depuis deux ans, le baromètre indique une moindre perception, par l'opinion, de la compétence technique et de la crédibilité des acteurs chargés de la gestion du risque nucléaire. Certains résultats doivent cependant être éclairés par le contexte de l'enquête, réalisée alors qu'était médiatisée la détection de Ruthénium 106 dans l'atmosphère. Afin de répondre au mieux aux préoccupations des Français en matière de santé environnementale, l'IRSN porte une double exigence : assurer un haut niveau de protection des personnes et de l'environnement et contribuer au dialogue avec les citoyens.
L'IRSN est un établissement public de 1 800 agents, dépendant de cinq tutelles correspondant à ses missions : environnement, défense, énergie, recherche et santé. Nous nous occupons à la fois de sûreté, de sécurité et de protection des personnes, en exerçant une double mission de recherche et d'expertise au profit des pouvoirs publics, notamment l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND), le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'environnement mais également les ministères de la santé et du travail. Le Parlement peut également nous solliciter : comme cela a été rappelé, nous avons ainsi réalisé, à la demande de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, un rapport sur l'entreposage à sec des combustibles irradiés. À l'instar des agences sanitaires, l'IRSN est un organisme distinct des décideurs publics. Il rend, dans le cadre de sa mission d'expertise, environ 850 avis par an, dont 500 pour l'ASN. En matière de surveillance de l'environnement, nous disposons d'un réseau de 400 balises de détection de rayonnement gamma et de quarante stations de mesure des aérosols, qui ont permis la détection du Ruthénium 106 en septembre dernier. Nous sommes, en outre, en charge de la surveillance de 380 000 travailleurs à risque radioactif, via les données dosimétriques que nous recevons : nous gérons la base de ces données et l'utilisons pour des études épidémiologiques. Il nous revient également d'alerter les personnes concernées, les industriels et les médecins en cas de dépassement avéré des seuils.
À moyen terme, l'IRSN participera à la mise en service de l'EPR de Flamanville ainsi qu'à la poursuite des projets Cigéo et de piscine centralisée d'EDF. Il travaillera également sur la prolongation des réacteurs d'EDF au-delà de quarante ans et organisera les examens de sûreté nucléaire prévus par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui consistent en un contrôle approfondi des installations hors réacteurs, réalisé tous les dix ans afin d'en améliorer la sûreté. À la suite de l'accident de Fukushima, six réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz doivent encore être démantelés. Par ailleurs, un enjeu majeur réside dans la gestion des déchets, au travers notamment du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). En matière de radioprotection, il convient de mettre en oeuvre la nouvelle réglementation résultant de la transposition d'une directive européenne et de surveiller les nouvelles techniques médicales à rayonnements ionisants.
La mission de recherche bénéficie, pour sa part, de 40 % des crédits de l'organisme, malgré un recul continu depuis dix ans. L'expertise de l'IRSN lui permet d'attirer des chercheurs fort qualifiés, au nombre d'environ 300. Plusieurs partenariats nous lient à d'autres organismes de recherche, comme le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sur la radiobiologie ou, moyennant le respect de règles déontologiques, certaines industries.
L'IRSN développe également une démarche volontariste d'ouverture à la société. Ainsi, sauf application du secret-défense, ses avis sont rendus publics comme l'exige la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous entretenons un dialogue technique avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (CLI) dans les territoires, comme avec l'ASN, notamment sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans ou sur les anomalies relevées dans la composition de l'acier de la cuve de l'EPR de Flamanville. Notre démarche d'ouverture à la société concerne aussi la recherche : le comité d'orientation des recherches en sûreté nucléaire et radioprotection, qui réunit des élus locaux et nationaux, des associations, des industriels et des experts, a ainsi pour vocation d'orienter nos travaux par rapport aux attentes de la société. Il oeuvre aux côtés du conseil d'administration, qui décide des investissements, et du conseil scientifique, qui contrôle la qualité des recherches réalisées. Nous développons enfin une ouverture au milieu scolaire avec des ateliers de radioprotection réunissant tous les ans des jeunes de France et de l'étranger, notamment venus du Japon et de Biélorussie.
S'agissant de l'expertise en sûreté, une partie de nos travaux est programmée à long terme, l'autre porte sur des imprévus. L'IRSN termine le processus d'analyse de sûreté de l'EPR : aucun élément rédhibitoire à la mise en service n'a été identifié, même si quelques points relatifs au risque incendie des câbles électriques ou aux conditions de protection des piscines contre le risque de vidange demeurent à finaliser. L'EPR se trouve désormais en phase d'essai de démarrage, sous le contrôle de l'IRSN, afin de vérifier en pratique la conformité des installations. Il est apparu que des matériaux utilisés pour les tuyauteries n'étaient pas au standard et que des soudures étaient défectueuses. Pour ce qui concerne Cigéo, l'IRSN a rendu, l'an passé, un avis constatant la maturité du projet, malgré un certain nombre d'interrogations portant, en particulier, sur la maîtrise du risque incendie des déchets bitumés. En 2017, l'IRSN a fait face à plusieurs événements classés niveau 2 nécessitant de répondre aux demandes des autorités, comme celui impliquant la digue du Tricastin, dont il est apparu qu'elle ne disposait pas des caractéristiques physiques nécessaires pour résister à un séisme de type Fukushima. Il a alors été décidé d'arrêter ses réacteurs, le temps qu'EDF la renforce. Depuis dix ans, le nombre de dossiers reçus par l'IRSN a crû de 25 % à 30 %.
Nous avons récemment été audités par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), comme le sont tous les organismes de recherche : son analyse était cohérente avec notre auto-évaluation. La reconnaissance internationale des travaux de l'IRSN, ainsi que son ouverture à la société, ont été jugées favorablement. Il nous a été recommandé d'organiser nos partenariats autour de quelques priorités structurantes, de développer la recherche exploratoire et de réfléchir à la création d'une direction scientifique. Après Fukushima, la France a affecté des moyens supplémentaires à des programmes de recherche en sûreté nucléaire en radioprotection : le projet Denopi sur le dénoyage des piscines pour mieux comprendre la thermo-hydraulique, c'est-à-dire la manière dont l'eau se comporte en cas de perte de refroidissement dans une piscine d'entreposage ; le projet expérimental Perfroi sur la perte du refroidissement d'un réacteur nucléaire ; une étude sur les effets de la prise répétée de comprimés d'iode pour éviter que le rejet d'iode radioactif ne se fixe sur la thyroïde ; la simulation d'un accident nucléaire dans un réacteur par perte de la maîtrise de la réaction, comme ce fut le cas à Tchernobyl ; enfin, la mise en service d'une installation à Cadarache pour étudier l'effet des irradiations chroniques sur les écosystèmes.
Pour ce qui concerne la surveillance environnementale, l'IRSN a lancé un projet pédagogique et collaboratif de mesures en partenariat avec l'Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement (IFFO-RME), l'université Pierre-et-Marie Curie et l'association Planète sciences, qui a pour vocation de sensibiliser les jeunes à la pratique de la science. L'idée est simple : grâce à un détecteur, vous pouvez mesurer la radioactivité et envoyer vos données géolocalisées à un site internet via l'application OpenRadiation. À la suite de la détection de Ruthénium 106 par 161 stations dans vingt-huit pays européens, dont faiblement en France, notre analyse, sur le fondement de rétro-calculs météorologiques, a fait état d'un rejet d'une ampleur de 300 terabecquerels en provenance du Sud de l'Oural. La Russie ne s'est toutefois pas rangée à cette conclusion, partagée par d'autres pays, ni n'a fourni davantage d'explications.
S'agissant des problématiques de santé, je souhaiterais aborder le sujet du radon, gaz radioactif issu du sous-sol, à la durée de vie de quelques jours. Il peut s'accumuler dans les maisons, qu'il convient à cet effet d'étanchéifier et de ventiler. Pour les logements les plus anciens, nous avons engagé, avec les collectivités territoriales, une action de sensibilisation et distribué 800 détecteurs. Les 700 mesures ainsi relevées indiquent qu'une large proportion des habitations se trouve au-dessus du seuil fixé à 300 becquerels par mètre cube. Des réunions ont été organisées avec les personnes concernées et la Fédération française du bâtiment (FFB) et il a été constaté que les travaux effectués avaient eu des conséquences bénéfiques sur la concentration de radon. Par ailleurs, nous avons réalisé une synthèse, prévue par notre contrat d'objectifs, de cinquante ans d'épidémiologie des travailleurs du nucléaire. Les niveaux de référence pour la radioprotection ont été construits relativement aux conséquences des essais nucléaires et des explosions atomiques de Hiroshima et Nagasaki, soit des explosions à forte dose pendant un temps très court, et extrapolés pour des expositions de longue durée et de très faible niveau. La population d'étude est définie depuis les années 1940 et stable avec un effectif de 90 000 personnes suivies individuellement, en relation avec les industries et la médecine du travail. Notre synthèse a conforté la méthode de calcul utilisée. Nous allons poursuivre le suivi de cette cohorte et l'étendre aux sous-traitants du secteur nucléaire.
Enfin, l'IRSN joue un rôle de conseil des pouvoirs publics en matière de gestion de crise consistant à évaluer la situation, l'état de l'installation concernée et à proposer des moyens d'intervention. L'IRSN fut ainsi le premier organisme à annoncer une fusion de coeur à Fukushima. Nous allons d'ailleurs disposer prochainement d'un nouveau centre de crise, en sus des capacités d'intervention locale qui nous sont allouées : dix véhicules de mesure de la radioactivité, onze véhicules destinés à des prélèvements sur les personnes et 400 agents habilités à rejoindre une organisation de crise. Chaque mois, six exercices sont organisés. En 2017, nous avons répondu à plusieurs imprévus, dont un plan d'urgence incendie d'un réacteur de la centrale du Bugey, diverses intrusions sur sites et la détection de Ruthénium précédemment évoquée. Dès 2005, bien avant l'accident de Fukushima, la France a engagé une réflexion sur les actions à mener en cas d'accident nucléaire, une fois la phase d'urgence passée. En 2012, l'ASN a émis sa doctrine sur le post-accidentel, en cours de révision avec la contribution de l'IRSN. Nous avons, à cet égard, proposé de mieux articuler les différentes phases de l'accident et de réduire la complexité des zonages. Parallèlement, nous poursuivons notre ouverture à la société et améliorons la transparence de nos travaux. En 2017, nous avons ainsi été sollicités près de quarante fois par les CLI et avons engagé quinze interventions. Notre projet IRSN 2030 vise à renforcer l'efficacité et l'adaptabilité de l'IRSN aux nouveaux enjeux des pouvoirs publics et des citoyens. Il s'agit d'une démarche participative en interne, avec une dimension numérique importante.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Vous menez une étude annuelle sur la confiance des citoyens. C'est passionnant ! Pouvez-vous nous en dire plus sur les conclusions à en tirer ? Quelles sont les évolutions, les tendances longues, les raisons de la perte de confiance que vous constatez ?
Quels sont les résultats concrets de l'étude épidémiologique que vous conduisez sur 90 000 personnes ayant travaillé dans le nucléaire ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - La question de la confiance est, en effet, très importante. Si nous ne disposons pas d'une évaluation correcte du degré de confiance de la population, il est facile de faire fausse route, en se concentrant sur des questions techniques et en perdant la vision d'ensemble. Selon votre baromètre, la confiance dans les scientifiques a diminué de 10 % en trois ans. Comment l'expliquez-vous ? Est-ce lié à l'actualité, à un changement de questions d'une année sur l'autre ?
Je souhaite aussi revenir sur l'étude épidémiologique en cours. Vous nous indiquez que, à l'origine, les études portaient plutôt sur les conséquences d'explosions atomiques, donc des expositions très intenses, alors que l'étude que vous menez porte sur les effets des expositions à faibles doses. Avons-nous, aujourd'hui, une vision claire des effets sur la santé de ces expositions chroniques à doses faibles ou très faibles ? Avons-nous une doctrine précise en la matière ? Reste-t-il des incertitudes flagrantes ? Je le dis, parce qu'il existe des points communs avec la question de l'exposition à des champs électromagnétiques et de l'électro-hypersensibilité, sujet sur lequel l'Anses vient de rendre un excellent rapport et sur lequel nous allons continuer de travailler.
M. Ronan Le Gleut, sénateur. - Dix mille tonnes de combustible usé provenant des 58 réacteurs nucléaires d'EDF sont entreposées dans les piscines de La Hague. Pour faire refroidir les combustibles radioactifs, la France privilégie les piscines. Que pensez-vous, d'une part, du projet de piscine centralisée d'EDF, d'autre part, de l'entreposage à sec, que ce soit en casemate ou en silo de béton ?
Mme Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - On dit souvent que le site du Tricastin ne serait pas capable de résister à un événement comme celui de Fukushima. Pourtant, la situation géographique y est complètement différente, même en prenant en compte la proximité du canal et des barrages. En clair, n'en fait-on pas trop en faisant cette comparaison ?
M. Jean-Christophe Niel. - En ce qui concerne le baromètre, il faut dire que nous le suivons depuis trente ans et que les questions restent globalement les mêmes d'une année sur l'autre. Ces deux éléments font sa force, car nous pouvons ainsi regarder, au-delà des résultats bruts, les tendances. Néanmoins, nous sommes conscients de certains biais, en particulier le moment de l'année où l'enquête est conduite. Par exemple, il y a quelques années, il est évident que les attentats qui venaient d'avoir lieu à Paris ont eu un impact sur les réponses. Nous ne disposons pas des outils pour aller plus loin dans l'interprétation et il est évident que les réponses doivent être mises en perspective.
Je rappelle que nous interrogeons les gens uniquement sur leur perception. Pour la troisième année, nous constatons que le binôme crédibilité-compétences diminue pour tous les organismes, sauf pour le CNRS.
La protection contre les rayonnements ionisants obéit à des principes : la justification, la limitation et l'optimisation. Ainsi, toute dose délivrée doit être justifiée, par exemple, pour des raisons médicales quand un patient est amené à passer une radio. C'est sur ce principe que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a décidé d'interdire les bouchons de pêche au tritium, qui permettent de pêcher la nuit - une utilisation qui ne se justifie guère... Ces principes reposent sur des hypothèses de l'impact sur la santé des rayonnements ionisants : quand les doses sont très fortes, les effets sont immédiats et proportionnels à la dose reçue ; quand elles sont faibles, c'est-à-dire inférieures à 100 millisieverts, les effets sont stochastiques - il existe une probabilité de développer une pathologie - et tardifs, et ils n'ont pas de lien avec la dose.
Des études ont été menées pour évaluer ces enjeux de santé ; elles reposent souvent sur des extrapolations faites à partir des évaluations des conséquences des explosions de Hiroshima et de Nagasaki, dont le contexte était évidemment spécifique. Nous disposons au fond de deux outils pour évaluer l'impact sur la santé d'une exposition à faible dose : l'épidémiologie et la recherche.
C'est dans ce cadre que nous avons lancé une étude portant sur 90 000 personnes ayant travaillé dans le nucléaire. C'est une cohorte large et stable, dont la population est bien suivie puisqu'il existe, en la matière, des obligations réglementaires pour les employeurs. Pour ces personnes, nous connaissons, d'un côté, les doses qu'elles reçoivent, de l'autre, les pathologies qu'elles développent.
Même si la cohorte est grande, comme c'est le cas, beaucoup d'incertitudes demeurent, car l'effet reste faible à ces niveaux de dose. Pour autant, les résultats de cette étude ne remettent pas en cause les hypothèses sur lesquelles le système de protection contre les rayonnements est aujourd'hui basé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pourquoi ce type d'étude arrive-t-il si tardivement, alors que la question de l'exposition à faible dose est évoquée depuis longtemps ?
M. Jean-Christophe Niel. - Certes, les études existent depuis longtemps - je pense par exemple à l'étude internationale Inworks, qui s'appuie sur des résultats français, britanniques et américains -, mais dans le cas de celle que nous menons, la cohorte est particulièrement importante et bien suivie. Notre étude permet donc d'affiner les travaux précédents grâce à la taille de la cohorte et à la qualité du suivi des personnes.
Nous aboutissons d'ailleurs à la même conclusion : l'approche linéaire sans seuil n'est pas remise en cause. Selon certaines théories, il existe un seuil en dessous duquel aucun effet n'est constaté ; selon d'autres, au contraire, les effets se cumulent et l'exposition à faible dose est néfaste. Nous ne disposons pas d'éléments qui iraient dans le sens de l'une ou l'autre de ces théories.
Je rappelle que plusieurs situations peuvent expliquer une exposition à faible dose : l'environnement et la radioactivité naturelle ; la présence d'installations ou de matériels, par exemple dans le domaine médical ; les suites d'un accident nucléaire...
Outre l'approche épidémiologique, nous développons une approche par la recherche et l'IRSN est impliqué dans plusieurs programmes. Nous avons beaucoup travaillé sur l'uranium et le césium ; c'est ainsi que nous avons mené une étude sur les différences entre des expositions chroniques et aiguës à l'uranium et nous avons constaté que le système rénal ne répondait pas de la même manière à deux types d'exposition. Nous avons aussi travaillé avec le Canada sur les effets du tritium. Dernier exemple, nous menons une étude sur les effets transgénérationnels d'une irradiation, en utilisant des poissons-zèbres.
Les recherches sur les effets des faibles doses sont particulièrement difficiles car il est très délicat d'isoler les autres facteurs, physiques ou chimiques, qui peuvent avoir un impact sur la santé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Dans les études qui font appel à des cohortes, comment évitez-vous les éventuels biais méthodologiques ou statistiques ?
M. Jean-Christophe Niel. - C'est une question essentielle et les scientifiques qui mènent ce type d'études doivent y être particulièrement attentifs. La définition de la cohorte est très importante pour éviter les biais ; les résultats avancés par certaines études ne sont pas toujours pertinents de ce fait. Je ne suis pas un spécialiste de cette question ; si vous souhaitez un approfondissement, vous pouvez utilement rencontrer Dominique Laurier, qui travaille à l'IRSN et qui est membre de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR).
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Il y a aussi un lien avec la confiance de l'opinion publique dans la science : si les études portent sur une longue période et un groupe large, ses résultats pourront être acceptés plus facilement par la population. Une étude qui ne porte que sur quelques cas n'est pas nécessairement pertinente, même si elle rencontre un grand écho médiatique...
M. Jean-Christophe Niel. - En ce qui concerne la question de M. Le Gleut, le rapport que nous avons remis à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires y répond en partie.
Quand un combustible est sorti de son réacteur, il n'est pas transportable immédiatement parce que sa température est trop élevée ; il faut donc utiliser une piscine. C'est encore plus vrai pour le MOX que pour l'uranium, car il est plus chaud.
Pour la suite du processus, les pays ont fait des choix différents, et entreposer sous eau ou à sec dépend largement de la stratégie de traitement des combustibles. Ceux qui ont choisi de ne pas retraiter - c'est la majorité des pays, dont les États-Unis - font appel à l'entreposage à sec. Ceux qui retraitent, par exemple la Russie, le Japon et la France, utilisent des piscines.
Quels sont les avantages de ces différentes procédures ? Les piscines contiennent une quantité importante de combustible, ce qui augmente le risque potentiel ; de ce fait, les précautions doivent être particulièrement robustes. Dans le même temps, les combustibles sont plus facilement accessibles. Dans l'entreposage à sec, le process est passif, le combustible doit être suffisamment froid, mais il reste à des températures élevées, ce qui peut endommager la gaine ; les contrôles sont moins faciles car il faut pouvoir ouvrir cette gaine.
Là aussi, les choses sont différentes entre l'uranium et le MOX : le premier peut être entreposé à sec au bout de quelques années, le second au bout de quelques dizaines d'années seulement, car la décroissance thermique est plus lente.
En ce qui concerne la piscine centralisée, qui pourrait recevoir environ 10 000 tonnes de combustible, le dossier est en cours d'examen à l'ASN. La durée très longue, au moins 150 ans, est inhabituelle et a des conséquences difficilement mesurables sur de nombreux aspects - vieillissement des composants, surveillance, inondations, risques de dénoyage...
Au sujet de Tricastin, il faut rappeler que, dans le nucléaire, l'exigence de sûreté nous oblige à prendre en compte les événements rares. Il est vrai que faire une comparaison avec Fukushima est un raccourci, mais des points communs existent, en particulier en termes de risque d'inondation : Tricastin est surplombé par un canal et il est très important que ce canal soit particulièrement robuste. Pour un réacteur nucléaire, l'inondation a une double conséquence : les réseaux électriques lâchent et les réacteurs ne sont pas refroidis s'il n'y a pas d'eau ou si les canalisations sont trop endommagées. En ce qui concerne Tricastin précisément, l'IRSN s'est interrogé sur la robustesse de la digue du canal sur une longueur de 400 mètres.
M. Bernard Jomier, sénateur. - La question de la perception du risque par l'opinion publique est très importante. Elle existe dans d'autres secteurs ; je suis médecin et nous avons connu d'importantes évolutions dans le comportement des patients depuis un certain nombre d'années. Dans la science, il y a toujours une part de doute et d'incertitudes et la pédagogie est complexe à mettre en place et à développer.
De ce point de vue, votre démarche est intéressante, il ne faut pas s'enfermer sur soi-même et perpétuer des confrontations stériles. Il faut s'ouvrir à la société et partager les enjeux. La population doit comprendre que la connaissance scientifique n'exclut pas une part de doute.
Lors d'une réunion précédente, Cédric Villani disait que les militants de Greenpeace devraient être considérés comme des lanceurs d'alerte...
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je n'ai pas dit cela ! J'ai dit que certains de nos collègues estimaient que les militants de Greenpeace devaient être considérés comme des lanceurs d'alerte.
M. Bernard Jomier, sénateur. - Ce qui est important, c'est l'idée d'impliquer les citoyens ! Ils doivent s'approprier les problématiques et pouvoir contribuer aux solutions. De quels outils l'IRSN dispose-t-il pour mettre en place ce travail de « raccommodage » avec la population ?
Mme Florence Lassarade, sénatrice. - En parlant de rayonnements ionisants, on ne peut manquer d'évoquer les pathologies thyroïdiennes. On se souvient de la polémique qui s'est développée en France autour du médicament Levothyrox. Il semble que l'accident de Tchernobyl a entraîné une augmentation du nombre de cancers de la thyroïde. Dans le même temps, les capacités de diagnostic ont beaucoup progressé. Comment faire la part des choses entre les différents facteurs qui peuvent expliquer l'augmentation de l'apparition de certaines pathologies ?
M. Jean-Christophe Niel. - L'ouverture à la société civile constitue une priorité pour l'IRSN. J'ai déjà évoqué certains aspects ; je cite aussi la coopération que nous développons avec les comités et commissions locales d'information et leur association nationale, l'Anccli. Nous développons aussi des relations avec les associations de patients, par exemple la Ligue contre le cancer, mais dans certains cas, c'est assez compliqué, soit parce que la problématique des rayonnements ionisants ne constitue qu'une toute petite partie de leur activité, soit, au contraire, parce qu'elles ont été créées à la suite d'un problème qui leur est spécifiquement lié.
Nous procédons à des échanges avec ces différents partenaires, nous leur présentons nos analyses techniques - ce fut le cas pour la prolongation de l'exploitation de réacteurs au-delà de 40 ans, les calottes de cuve ou la présence de carbone dans les générateurs de vapeur... Pour le projet Cigéo, notre approche a été plus originale puisque nous avons procédé à ces échanges durant les phases d'expertise, et pas seulement à la fin du processus.
Nous souhaitons aussi développer les actions de sensibilisation vers le public scolaire. Nous organisons déjà dans ce cadre des Journées annuelles de la radioprotection, qui réunissent des jeunes venant de différents pays. Nos actions restent limitées par notre taille, mais il me semble que nous pouvons initier une mécanique vertueuse.
Sur la thyroïde, les études ont clairement montré que le nombre de cancers, notamment chez les enfants, a augmenté à la suite de l'accident de Fukushima. Mais il est vrai que les études épidémiologiques, en particulier en France, ne réussissent pas à démontrer ce phénomène, ce qui révèle surtout la difficulté d'identifier les causes d'une pathologie. Cette absence de résultat ne montre pas qu'il n'y a pas de lien mais atteste simplement que nous ne réussissons pas à l'identifier.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Pour conclure, il est intéressant de voir que votre audition a finalement abordé deux types de questions : celles qui relèvent de la technique - l'appréciation du risque, la puissance statistique, les liens de causalité... - et celles liées à la confiance des citoyens dans la science.
Il est important que vous continuiez à maintenir des enquêtes, comme le baromètre que vous avez évoqué, sur des durées longues.
Avec le président Gérard Longuet, je partage l'idée que nous devons développer les coopérations avec des experts issus de disciplines variées.
Enfin, nous devons être conscients que toutes ces questions peuvent avoir des conséquences ravageuses dans la société, à partir du moment où les arguments rationnels ne comptent plus et sont supplantés par des éléments strictement subjectifs.
M. Jean-Christophe Niel. - Je souhaite, pour finir, vous remercier de votre invitation et vous dire que l'IRSN se tient à la disposition du Parlement pour travailler sur les sujets qui l'intéresseraient.
Présentation du rapport annuel pour 2017 de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2)
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je souhaite la bienvenue aux membres de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), commission créée par la loi dite Bataille de décembre 1991.
Nous reprenons aujourd'hui le rythme habituel de nos auditions sur votre rapport d'évaluation annuel, le calendrier de l'année 2017 ayant été décalé du fait des renouvellements de l'Assemblée nationale et du Sénat.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office - C'est un plaisir de retrouver les membres de la CNE2. Votre audition s'inscrit dans le cadre d'auditions et de discussions qui sont au coeur de l'activité de l'Office, comme l'audition à l'instant de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur la gestion de l'industrie nucléaire en général.
La CNE2 est une institution très respectée, qui fait un travail remarquable, en France comme à l'international. Le sujet des déchets radioactifs est crucial, aussi bien par ses enjeux technologiques que par celui de la confiance des citoyens.
Le Parlement a fixé des objectifs clairs sur la gestion des déchets radioactifs, par exemple la réduction de la quantité, la réduction de la nocivité, le traitement des combustibles usés ou l'interdiction du stockage, en France, de déchets radioactifs en provenance de l'étranger. Le Parlement a voulu se donner les moyens de surveiller attentivement les progrès réalisés sur les trois axes de recherche initialement prévus par la loi de 1991 et reconduits par la loi de 2006 : l'élimination par la transmutation des éléments radioactifs les plus nocifs, le stockage géologique à grande profondeur, et l'entreposage dans l'attente d'une solution définitive. Sur ces trois axes, il convient de s'informer de l'état de l'art, des évolutions et des progrès.
Nous allons, bien sûr, rester très vigilants sur cette question, en vérifiant que les intérêts collectifs prévalent sur les intérêts particuliers, avec une conscience aigüe des enjeux, des sommes en jeu, du respect que nous devons aux populations, des objectifs, de la méthode, et de la transparence.
Dans ce contexte, le rapport de la CNE2 est un point d'étape important pour évaluer la situation et son évolution. Après l'exposé, nous n'hésiterons pas à multiplier les questions à votre attention.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Le président Duplessy le sait, je vis « en concubinage » avec les déchets nucléaires depuis une trentaine d'années, pour avoir été le ministre qui a hérité de la loi Bataille en 1993, qui a commencé à la mettre en oeuvre, et a démenti le principe « pas dans mon jardin » puisque, précisément, avec Bruno Sido, sénateur de la Haute-Marne ici présent, que je salue, et Rémi Herment, alors sénateur de la Meuse, nous avons décidé d'accueillir le stockage, l'une des trois pistes de recherche pour la gestion des déchets nucléaires de haute activité à vie longue. On ne peut pas dire que les deux autres pistes aient beaucoup progressé, que ce soit la transmutation ou l'entreposage, qui ne peut être qu'une solution d'attente.
Sans plus tarder, le temps étant précieux, je vous cède la parole, Monsieur le président.
M. Jean-Claude Duplessy, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2) - Conformément à sa mission, la CNE2 a auditionné les acteurs de la loi de 2006, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le commissariat à l'Énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et les autres organisations concernées, y compris les producteurs de matières et déchets radioactifs. Ce qui ressort de l'analyse que nous avons faite cette année, c'est que tous les acteurs de la loi, les ingénieurs et les scientifiques font leur travail remarquablement bien. Il n'y a aucun laisser-aller dans la qualité du travail réalisé, ce qui est un bon point. En revanche, nous avons été profondément marqués par le fait que la stratégie nationale du cycle nucléaire, et nécessairement celle de la gestion des déchets qui lui est associée, devenaient de plus en plus incertaines. Nous avons voulu vous montrer toutes les conséquences de ces incertitudes qui se font jour et qui sont de plus en plus perceptibles, tant par les populations que par les acteurs de la loi eux-mêmes.
Pour simplifier à l'extrême, nous pouvons dire que la France a le choix entre trois options pour la gestion de sa filière électronucléaire.
L'une est, tout simplement, de poursuivre la filière telle qu'elle a été définie par la loi de 2006. Dans ces conditions, nous avons une perspective à moyen et long termes, qui prévoit de mettre en service, dans un futur pas encore très bien défini, un certain nombre de réacteurs à neutrons rapides (RNR), qui permettront la stabilisation à terme du stock de plutonium, l'emploi de l'uranium appauvri, dont nous avons des centaines de milliers de tonnes disponibles, avec bien évidemment pour conséquence la fin des importations d'uranium, et l'arrêt de l'exploitation minière. Les RNR sont, en pratique, la seule technologie à ce jour capable de produire de l'électricité tout en permettant la transmutation des actinides mineurs et, dans une perspective programmée à long terme de sortie du nucléaire, la résorption des stocks de plutonium.
À côté de cette première option, qui correspond, en gros, aux orientations de la loi de 2006, nous voyons apparaître une deuxième option : celle de la poursuite de la filière électronucléaire actuelle, mais sans la perspective d'un déploiement des RNR. Dans cette hypothèse, tout le stock de combustible MOX usé passerait du statut de matière à celui de déchet. Il en irait de même pour le stock d'uranium enrichi.
La troisième option consisterait tout simplement à arrêter complètement la filière électronucléaire. Dans ces conditions, tous les combustibles usés deviendraient des déchets dont il faudrait s'occuper.
Quelles sont les conséquences de chacune de ces options ? Elles n'en ont pas uniquement sur la manière dont on produit l'énergie. Seule la première permet de traiter les combustibles usés. Les options deux et trois se traduiraient par l'apparition de déchets nouveaux, dont certains à haute activité, qui auraient vocation à faire l'objet d'un stockage géologique. Mais cela n'est pas prévu dans le cahier des charges du centre de stockage géologique profond Cigéo (centre industriel de stockage géologique), qui deviendrait beaucoup plus complexe, dès lors que l'on ne sait plus trop ce que l'on veut y mettre.
Je rappelle que 50 % de la production prévue de déchets du parc électronucléaire actuel est déjà réalisée. Ce sont ainsi environ 48 000 mètres cubes de déchets à haute et moyenne activité que nous avons à gérer. C'est pourquoi la Commission fait la recommandation de ne retarder en aucun cas le calendrier d'entrée en service de Cigéo.
Ces incertitudes n'ont pas que des conséquences sur le projet Cigéo. Elles en ont aussi sur la programmation des recherches à mener, qu'elle retarde, ainsi que sur la capacité d'exportation internationale de la France. Au cours des années passées, le CEA avait initié le programme ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, en français : réacteur sodium technologique avancé pour la démonstration industrielle) de réacteur à neutrons rapides innovant, dans le cadre de la première option. Mais cette stratégie se trouve aujourd'hui remise en cause par l'État, qui a estimé que le niveau de puissance envisagée est nettement trop élevé, et que l'on n'en est pas encore à réaliser un prototype industriel.
Par conséquent, un problème s'est posé au CEA, qui a proposé de remplacer ASTRID par un nouveau programme de recherche en deux volets : d'une part, un RNR de faible puissance, d'autre part, un programme de simulation très développé. Ce projet a été présenté sommairement, il y a un an, par l'administrateur général du CEA de l'époque, M. Daniel Verwaerde. Pour l'instant, nous ne savons toujours pas si ce projet sera accepté. En tout cas, il n'est pas programmé. Le CEA se trouve ainsi dans le flou le plus complet en ce qui concerne sa politique de RNR.
La France occupe une position de pointe pour les technologies de séparation et de transmutation, qui sont l'un de ses domaines d'excellence. Dans le cas de la première et de la deuxième options, nous aurons besoin de recherches dans le domaine de la séparation et de la transmutation, pour essayer de réduire le volume des déchets à haute activité et à vie longue, et notamment se débarrasser de l'Américium.
Nous attendons la fin du débat public sur l'énergie, et recommandons que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui le suivra soit l'occasion de définir une stratégie nucléaire de moyen et long termes, à dix ans, claire et lisible pour tous les acteurs, auxquels l'État affectera ensuite les moyens nécessaires.
M. Gilles Pijaudier-Cabot, membre de la CNE2. - Je vais vous présenter un point d'actualité sur l'avancement du projet Cigéo. Ainsi que nous l'avons relevé l'an dernier, le site retenu pour le stockage géologique présente une très bonne capacité de rétention des radionucléides. Aujourd'hui, l'ANDRA est en train de formaliser le socle des connaissances, d'établir l'ensemble des documents qui permettront de réaliser une démonstration de sûreté, sur la base de fiches bilans qui permettront aux techniciens d'apprécier la conception des installations, et aux vérificateurs d'évaluer la qualité de la démonstration. Techniquement, les choses avancent très correctement. Encore faut-il savoir quels types de déchets seront stockés dans Cigéo.
À ce jour, il existe au moins deux inventaires : un inventaire de référence et un inventaire de réserve, dans l'éventualité où l'on déciderait de mettre dans Cigéo des combustibles usés, hypothèse qui mériterait beaucoup plus de travaux scientifiques. Cette incertitude a un impact direct sur la perception que les usagers et les citoyens peuvent avoir d'un projet dont on annonce qu'il est destiné à stocker des déchets nucléaires, mais sans préciser exactement lesquels. Il s'agit là d'une importante question de fond.
En ce qui concerne l'avancement des travaux, l'ANDRA prépare actuellement la demande d'autorisation de création (DAC), qui devrait être déposée dans le courant de l'année 2019. Au cours de nos auditions, nous avons constaté que la structure même du stockage est en train de se simplifier, en intégrant une à une des pistes d'optimisation précédemment identifiées. La solution de référence repose sur les techniques d'aujourd'hui, et ne constitue pas un pari sur des techniques qui existeront dans quelques années. Toutefois, un certain nombre de pistes d'optimisation sont susceptibles d'être intégrées, et l'ANDRA prévoit de continuer à faire de la recherche dans ces directions, même après le dépôt de la DAC et le début des travaux. La solution de référence apparaît donc, aujourd'hui, techniquement plus simple, ce qui devrait probablement permettre de mieux maîtriser les coûts et, éventuellement, de les réduire.
Certains points restent en suspens, liés principalement à la façon dont le stockage sera fermé par un « scellement ». Les résultats actuels des études permettent de commencer les travaux avec une bonne assurance sur la capacité à fermer le stockage, ce qui semble quand-même la moindre des choses. Ce chantier qui durera cent-vingt ans aura un impact important sur l'équilibre actuel du milieu géologique. La façon dont celui-ci reviendra à un état d'équilibre, une fois le site scellé, mérite d'être un peu mieux décrite. Non pas que nous mettions en doute les démonstrations de sûreté, mais il apparaît simplement utile de s'assurer qu'un certain nombre de paramètres liant entre eux différents mécanismes, que l'on appelle les « paramètres de couplage », n'auront pas un trop grand impact, ou tout du moins que l'estimation, éventuellement incomplète, de ces paramètres n'aura pas une trop grande influence.
Un dernier point relatif aux aspects techniques de Cigéo concerne les bitumes. Nous l'avions évoqué longuement dans notre rapport de l'an dernier, l'ASN ayant rendu à ce propos un avis en janvier 2015, en émettant des réserves sur l'acceptabilité des colis bitume, déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL), pour un stockage dans Cigéo, en raison du risque éventuel d'une auto-inflammation et d'une propagation de l'incendie au sein des alvéoles. Sur ce sujet, le débat d'experts subsiste, et des études complémentaires ont été commanditées. Nous avons bien noté que le Comité de haut niveau (CHN) du projet Cigéo a annoncé le recours à une expertise scientifique internationale. Nous vous remercions d'avoir missionné notre Commission pour suivre ces travaux visant à sortir de l'impasse actuelle sur ce dossier, ce que nous faisons avec la plus grande attention.
M. Jean-Claude Duplessy. - Lors des échanges que nous avons eus avec les acteurs de la loi, il est apparu que l'option d'un entreposage de longue durée, sur lequel nous avons déjà pris position il y a sept ou huit ans, refait surface. Par conséquent, il nous a paru souhaitable de relancer une réflexion sur l'antagonisme entre stockage et entreposage. Sur ce sujet, nous avons la chance de compter parmi nos membres un sociologue, le professeur Demeulenaere, que nous avons missionné pour nous faire part de ses réflexions.
M. Pierre Demeulenaere, membre de la CNE2. - Vous avez évoqué tout à l'heure, en introduction, l'alternative entre l'entreposage et le stockage. Ces deux options n'ont pas les mêmes propriétés, ni les mêmes vertus. L'entreposage est une solution qui fonctionne et permet d'isoler les déchets. Mais il ne peut s'agir que d'une option de court terme, car il lui manque deux propriétés favorables du stockage. La première consiste dans la sûreté passive, qui est fondamentale sur la durée de vie de ces déchets ou, du moins, sur leur période de dangerosité. Ces durées s'expriment en milliers d'années, alors que nous ne connaissons même pas l'avenir proche de nos sociétés. Nous ne pouvons donc pas garantir que ces dernières seront capables de protéger efficacement les populations d'une interaction néfaste avec les déchets, dont on connaît la durée d'activité extrêmement longue et leurs potentialités négatives. La sûreté passive offerte par leur stockage dans une couche d'argile stable et inerte garantit la sécurité des populations sur le long terme. Une seconde considération est d'ordre moral : le stockage en profondeur permet aux bénéficiaires actuels de l'industrie électronucléaire de prendre en charge ses inconvénients et ses coûts, au lieu de reporter le problème sur les générations futures. Il existe aussi un aspect temporel : la durée d'un projet de stockage géologique est relativement maîtrisée, tandis qu'il est délicat de s'engager sur un entreposage pour une durée mal définie qui constituerait, en fait, un pari incertain.
On peut aussi comparer les coûts. Sur cent à cent-vingt ans, le stockage géologique apparaît, certes, comme la plus chère des deux solutions. Mais pour un entreposage potentiellement indéfini, on a du mal à déterminer la durée pertinente. Le calcul des coûts d'un entreposage ainsi prolongé est, en fait, impossible à faire. On entre alors dans des différences d'échelles si grandes qu'il devient difficile de comparer les coûts du stockage, à peu près maîtrisés et connus, avec ceux, d'une ampleur inconnue, de l'entreposage.
Paradoxalement, les solutions efficaces à court terme tendent à être sans cesse reportées. La Commission a voulu attirer l'attention sur les risques associés au fait de repousser indéfiniment les échéances. La dynamique du projet Cigéo et les compétences qui lui sont nécessaires risquent de s'en trouver affaiblies, voire perdues. L'aspect humain est décisif car, si les décisions de court terme peuvent toujours être reportées, les équipes qui en ont la charge ne pourront pas être mobilisées indéfiniment.
Nous nous sommes aussi penchés sur le cas de deux pays bien avancés dans leurs projets de stockage géologique, la Finlande et la Suède, qui apparaissent à la pointe de la technologie dans ce domaine. De manière factuelle, il nous est apparu que le système institutionnel avait favorisé, dans ces pays, la prise de décision, alors qu'en France il tend, au contraire, à la reporter. En Finlande, comme en Suède, les producteurs ont directement la charge du stockage des déchets qu'ils produisent, et il n'existe pas d'agence dédiée à ce problème. Le législateur a aussi prévu, dans ces deux pays, des dispositions de principe contraignantes : les producteurs ne peuvent pas obtenir d'autorisation pour de nouvelles installations tant qu'ils n'ont pas engagé le stockage pour les déchets produits par les anciennes.
On observe aussi une différence d'approche des autorités de sûreté entre la Suède ou la Finlande et la France. Dans ces deux pays, les autorités de sûreté n'ont pas exigé un programme définitif pour autoriser l'engagement du processus et font davantage confiance aux retours d'expérience issus du processus de développement lui-même pour parvenir à des résultats fiables. En France, l'opérateur public est dépendant de l'État, et les producteurs de déchets n'ont pas la charge du stockage. Nous savons aussi que c'est l'État qui devra prendre la décision. Les acteurs locaux n'ont pas de poids considérable dans la prise de décision, qu'ils soient favorables ou défavorables au stockage. À l'inverse, en Suède et en Finlande, les communes ont participé activement à la localisation du site choisi, à travers un processus démocratique développé, et ont accompagné la prise de décision, qui apparaît finalement très consensuelle localement.
Pour en revenir à la question de l'alternative entre entreposage et stockage, la Commission souhaite vraiment appeler l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de prendre une décision, en dépit de la complexité de notre système institutionnel. Les études de l'ANDRA garantissent la faisabilité de Cigéo, alors qu'il y aurait de grands risques à différer indéfiniment la décision de création de cette solution de long terme, pour se contenter de solutions de court terme. Comme il a été rappelé au début de notre exposé, le volume des déchets déjà produits est de 48 000 mètres cubes, et pourrait encore augmenter, plus ou moins selon les différents scénarios retenus. Il convient de s'en occuper sans plus tarder.
M. Jean-Claude Duplessy. - Nous recommandons donc très fortement à l'État d'inviter l'ANDRA à présenter une demande d'autorisation de création (DAC). L'ANDRA a préparé tous les éléments techniques nécessaires à cette demande, mais c'est à l'État qu'il revient de lui donner son feu vert. Le professeur Deconinck va maintenant nous présenter un état de la situation internationale en matière de gestion des matières et déchets nucléaires.
M. Franck Deconinck, membre de la CNE2. - En France, comme dans tous les pays ayant un programme électronucléaire, les scientifiques considèrent le stockage géologique comme la solution de référence pour les déchets de haute et moyenne activité à vie longue. Il peut y avoir un débat au regard de valeurs sociétales, mais les scientifiques et les techniciens sont partout unanimes sur la nécessité de se doter d'un stockage géologique. En Suède et en Finlande, les procédures préalables de concertation et de participation avec les populations ont conduit à une très grande acceptation des projets de stockage dans les communes concernées. En Finlande, quatre communes ont été prospectées et le choix s'est porté sur celle d'Eurakoji, dans la presqu'île d'Olkiluoto, où se trouve déjà le site de l'EPR en construction. Cette commune s'est déclarée favorable à la constitution du stockage.
Une différence importante est qu'en Suède et en Finlande, les communes disposent d'un droit de veto constitutionnel sur les décisions d'implantations industrielles sur leur territoire. Le fait qu'elles se soient déclarées favorables nous paraît un signe qu'elles se sont vraiment approprié le projet de stockage.
En Suède, la procédure engagée depuis 2007 est encore en cours : l'autorité de sûreté a émis un avis favorable en début d'année. La Cour environnementale a approuvé le site granitique de Forsmark mais a souhaité que la société SKB (Svensk Kärnbränslehantering), fondée par les producteurs de déchets, complète son dossier par une étude du problème de corrosion des conteneurs en cuivre. Les communes qui hébergent un site nucléaire ont écrit au Gouvernement et au Parlement pour appeler leur attention sur la nécessité de mettre en oeuvre le stockage, et dénoncer un allongement inutile de la procédure d'autorisation. Des élections législatives auront lieu en Suède en 2019. Il semble donc peu probable que le Gouvernement suédois prenne une décision avant 2020.
M. Jean-Claude Duplessy. - Nous avons aussi émis un avis sur la question des déchets de faible ou très faible activité à vie longue à propos desquels existent aussi des incertitudes. Le professeur Guillaumont va le présenter.
M. Robert Guillaumont, membre de la CNE2. - La production de déchets à faible activité et à vie longue et des déchets de très faible activité est liée au démantèlement des réacteurs et des installations du cycle nucléaire. À ce jour, il n'existe pas d'exutoire pour ces déchets. C'est un problème important et complexe, sur lequel la Commission a appelé l'attention des producteurs et des pouvoirs publics depuis plusieurs années. La solution est rendue difficile par la nature très variée de ces déchets, qui rend plus délicate la conception d'un stockage adapté : déchets radifères, bitumes et graphites. À terme, leur volume total est estimé à 250 000 mètres cubes. L'absence de solution de stockage pour ce type de déchets conduit à différer le démantèlement de certaines installations nucléaires, afin de soulager les sites d'entreposage. Par exemple, sur les six réacteurs à uranium naturel graphite gaz (UNGG) que compte la France, l'un est en cours de démantèlement, tandis que le démantèlement des autres est reporté à après 2070.
La Commission recommande que les producteurs de déchets et l'ANDRA se concertent de manière plus approfondie qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent pour proposer à l'ASN des stratégies de gestion tenant compte de la spécificité de ces déchets. Pour l'instant, on cherche plutôt un site où l'on pourrait les regrouper de manière centralisée. Je crois qu'il faudrait revoir cette approche.
Les déchets de très faible activité sont liés au démantèlement des installations. Les producteurs, l'ANDRA et l'IRSN se penchent sur ce problème pour essayer de le clarifier et d'adopter une approche commune. Il est frappant que la France et les États-Unis soient les deux seuls pays recourant à l'énergie électronucléaire qui ne pratiquent pas la « libération » de cette catégorie de déchets. Jusqu'à maintenant, la Commission constate qu'aucune solution de gestion très innovante n'est apparue pour ces déchets qui, à la différence des autres catégories de déchets, ne rentrent pas dans un programme industriel de gestion.
La Commission rappelle que leur gestion doit reposer sur des études qui caractérisent leur nocivité, et répondent aux attentes sociétales. Mais il s'agit là de notions assez vagues, dont chacun se fait sa propre idée, qui devraient être précisées par des critères quantitatifs.
En ce qui concerne la déconstruction des installations nucléaires, tous les producteurs procèdent actuellement à des démantèlements, mais chacun dans son coin. Il manque une convergence des savoirs détenus par les opérateurs, qui devraient être mis en commun. La Commission estime qu'il faudrait définir une stratégie industrielle, et mettre en place une école du démantèlement française, riche de tous ces savoir-faire pour l'instant un peu dispersés.
M. Jean-Claude Duplessy. - À ce stade, il faut donc éviter de pérenniser cette indécision, dont nous vous avons montré toutes les conséquences, sur les déchets de faible activité, voire de très faible activité. Mais, bien évidemment, la manière la plus déterminante de sortir de cette indécision consiste, d'une part, à définir clairement une stratégie électronucléaire, précisant les projets sur les vingt à trente ans à venir, ainsi que les objectifs de la recherche, d'autre part, à inciter l'ANDRA à déposer la demande d'autorisation de création de Cigéo.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres de la CNE2, de cet exposé. Je rappelle qu'historiquement la CNE2, issue de la loi de 2006, a succédé à la CNE1, créée par la loi de 1991. La continuité de vos travaux et réflexions apporte beaucoup de solidité à l'argumentation indispensable pour défendre ce type de projet sur le terrain.
Je commencerai par indiquer à M. Frank Deconinck que la question de la responsabilité des producteurs vis-à-vis de leurs déchets s'est posée de la même façon en France. Je m'exprime non plus en tant que président de l'Office parlementaire mais au nom des élus concernés par la mise en oeuvre de ce stockage. En définitive, nous préférons avoir, face à nous, l'ANDRA plutôt que les producteurs de déchets, pour une raison très simple : l'ANDRA n'est pas cotée en bourse, ce qui apparaît rassurant puisqu'il n'y aura pas d'arbitrage de court terme sur la valeur du titre, en fonction du coût de gestion à long terme des déchets. De plus, l'ANDRA est un organisme éminent, qualifié, compétent, de taille raisonnable et doté d'une culture scientifique, non d'une culture d'entreprise, ce dont je me réjouis. La culture d'entreprise consiste, malgré tout, à présenter l'entreprise que l'on dirige, ou à laquelle on contribue, comme la meilleure, ce qui rend inenvisageable de contester ses décisions. Au contraire, la culture scientifique accepte, par nature, le débat et la confrontation. Les bons scientifiques n'ont jamais de certitude absolue, parce que c'est justement le doute qui fait progresser. Le doute n'est pas la qualité principale d'une entreprise privée ou cotée. Celle-ci a, au contraire, besoin d'afficher des certitudes. À cet égard, EDF est, évidemment, une entreprise assez particulière parce qu'elle a des certitudes, mais un actionnaire qui n'en a pas, ce qui rend son existence parfois un peu compliquée.
Vous avez tout à fait raison : à un moment donné, il faut choisir ce que l'on veut faire, sinon, cela ne fonctionne pas. En ce qui concerne le projet Cigéo, le centre de stockage sera rempli progressivement, pendant un peu plus d'un siècle. La phase la plus active du chantier durera sans doute une vingtaine d'années. Plus le chantier sera long, plus les élus des territoires seront satisfaits, parce que la durée permet un chantier à la mesure des entreprises locales et de la compréhension des populations locales. Il ne s'agit donc pas du tout d'une logique du même type que pour le chantier du TGV Est, que j'ai eu à conduire, pour lequel il fallait faire vite afin que le service soit assuré rapidement, ce qui impliquait de faire appel à des entreprises et à une main d'oeuvre nationales. Nous sommes dans une logique d'appropriation du projet, comme l'un d'entre vous l'a mentionné.
Incidemment, je pense qu'il serait très difficile, aujourd'hui, de créer une nouvelle centrale nucléaire, et également à peu près impossible d'en supprimer une. Ceux qui n'en ont pas n'en veulent pas et ceux qui en ont une veulent la garder. Les déchets entrent dans une catégorie intermédiaire parce qu'ils n'ont pas une image très séduisante. On parle d'enfouissement ou de poubelle, alors qu'en fait, il s'agit d'une usine de stockage, avec une logistique extraordinairement sophistiquée, qui demande le déploiement de savoir-faire que nous ne maîtrisons pas forcément aujourd'hui à toutes les étapes du processus. À partir du moment où l'on sait où l'on va, le temps est un allié alors que, dans le cas contraire, il devient corrosif, un acide qui peut tout ronger et détruire, y compris les meilleures volontés.
On ne peut être certain que ce projet sera réalisé. Mes expériences de la vie publique m'ont appris que des projets intelligents peuvent être abandonnés. Lorsque j'étais président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), le système d'éco-péage dématérialisé pour les poids lourds s'est arrêté d'un coup, un beau matin, en raison de cinquante camions arrêtés en Bretagne, alors que la négociation aurait sans doute pu permettre de trouver une solution. Il existe d'autres exemples de chantiers stoppés. Il ne faut pas exclure qu'à un moment ou à un autre, un gouvernement se dise qu'il est important de ne pas décider.
Votre rappel à l'ordre, je le partage totalement. Il m'éclaire même, parce qu'on n'imagine pas que le débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie puisse ne pas intégrer un rappel de la loi de 1991, notamment pour la problématique de la transmutation. Le réacteur Superphénix était sans doute prématuré, mais les propositions du CEA apparaissent solides et mériteraient une réponse. Cette réponse impacte évidemment directement la PPE. À partir du moment où la réponse est positive, la part de l'électronucléaire peut rester à un niveau raisonnable qui, sans être impérial, permettrait de financer, en particulier, la gestion des déchets. Comme l'a rappelé le professeur Demeulenaere, ce n'est pas aux générations à venir, auxquelles nous laissons déjà beaucoup de factures, de payer une dépense dont nous avons profité.
Par ailleurs, je pensais que nous étions beaucoup plus avancés sur les déchets de faible activité à vie longue et le démantèlement. J'ai entendu avec intérêt votre proposition de mise en place d'une école française de démantèlement ; cela correspond exactement à ce qui serait souhaitable.
Concernant l'avance prise par les projets finlandais et suédois de stockage dans le granit, ces deux pays bénéficient d'une très faible densité de population et d'un assez haut degré de sens civique, deux facteurs favorables qui ne se retrouvent pas dans tous les pays producteurs d'énergie nucléaire. Sur ce plan, il pourrait-être intéressant de fait un point sur la situation aux États-Unis, avec des producteurs privés dispersés dans un pays immense et des règles sans doute différentes d'un État à l'autre.
Nous devons transformer cette réflexion et cette action sur les déchets en un savoir-faire reconnu au plan mondial, qui puisse s'exporter, afin de devenir des leaders sur la technologie de stockage en couche géologique, comprenant l'identification d'une couche souterraine adéquate, la mise en place d'un laboratoire sur la quinzaine d'années nécessaires à des conclusions assez stables et la logistique, avec la mécanique interne de fonctionnement de l'installation.
À mon avis, Bure présente une petite faiblesse : l'épaisseur de la couche d'argile a conduit à choisir un stockage en niches horizontales, ce qui ne correspond pas à une évidence de bon sens pour la réversibilité. Je me garderais bien de m'avancer sur ce point, n'étant pas assez compétent, mais je pose la question.
Mes autres questions concernent uniquement les réflexions sur la pérennité du langage et de la connaissance scientifique, dans l'hypothèse d'un entreposage laissé, sur des siècles, aux générations à venir, ainsi que le geste symbolique qui pourrait marquer la prise en compte de l'orientation proposée par le CEA. Je suis désolé d'avoir été un peu long mais je suis, tout comme le sénateur Bruno Sido, passionné par le sujet.
M. Jean-Claude Duplessy. - Le rôle du CEA consiste à aider tous les acteurs de la loi. La France ayant développé l'énergie nucléaire sous tous ses aspects, le CEA fournit les ingénieurs, les techniciens et les scientifiques qui étudient les grandes orientations, les innovations et les améliorations nécessaires lors de la survenue de problèmes. Si nous voulons poursuivre dans la continuité de la loi de 2006, il faut annoncer clairement un programme de réacteur à neutrons rapides, le seul permettant la transmutation, au minimum de l'américium. Cette décision aurait aussi des conséquences sur le cycle énergétique. Il s'agit donc d'une option majeure qui implique, si elle est écartée, de se poser un certain nombre de questions, qui ne relèvent pas de la CNE2.
Si l'option 1 est écartée au profit des options 2 ou 3, il faut en assumer les conséquences. Le CEA peut certainement avoir, en l'état actuel de la situation française, à affiner un certain nombre de points mais il revient aux producteurs de déchets, et à tous les acteurs de la loi, de se manifester pour faire ressortir les problèmes. La CNE2 s'intéresse uniquement à ceux qui concernent les déchets et les matières. Il en existe certainement d'autres comme, par exemple, le réacteur de recherche Jules Horowitz, dont la construction reste à terminer. Bien évidemment, quand un projet de cette importance est lancé, il faut le mener à bien, ce qui relève de la responsabilité des dirigeants de l'énergie atomique française civile.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous avons bien entendu vos avertissements répétés sur les déchets à très faible activité et compris que la France et les États-Unis ont une position particulière sur l'absence de libération. Que font les autres États et quelle est la solution qui se dessine, à l'échelle internationale, puisqu'il s'agit là d'un problème qui concerne, au final, tout le monde ?
Par ailleurs, s'il est clair que des arguments très solides conduisent à écarter l'entreposage sur une échelle de plusieurs milliers d'années, vous indiquez que des questions commencent à se poser sur la stratégie nationale pour les réacteurs à neutrons rapides ainsi que sur l'évolution de la filière. À cet égard, voici quelques semaines, nous avons organisé une audition exigeante sur la recherche en matière d'énergie nucléaire, au cours de laquelle ont été évoqués les projets de petits réacteurs modulaires ainsi que ceux concernant différents réacteurs capables de transmuter les actinides mineurs, ASTRID mais aussi Myrrha, qui n'est pas destiné à la production énergétique. Ces projets, qui mobilisent des moyens importants et des collaborations internationales, sur une échelle de temps de la décennie plutôt que de l'année, semblaient comporter beaucoup d'incertitudes, non seulement quant aux résultats mais aussi quant à leurs modalités de mise en oeuvre. Ces solutions vont affecter, à terme, la quantité et la nature des déchets qui, in fine, devront aller dans Cigéo. Avec, d'un côté, une recherche qui se déroule à l'échelle de la décennie et, de l'autre, un projet Cigéo de très grande ampleur, sur cent-vingt ans, certains ne pourraient-ils pas argumenter qu'il existe, entre une construction immédiate et un entreposage sur des millénaires, une troisième voie consistant à surveiller, à l'échelle de la décennie, l'évolution de la recherche, pour mieux évaluer les perspectives de ces solutions et de la transmutation ? Que répondriez-vous à cela ?
J'ajoute que la Cour des comptes, dont on connaît la rigueur impitoyable sur les questions de gestion des deniers publics, nous a sollicités hier pour nous auditionner dans le cadre d'une réflexion sur les questions de réacteurs de quatrième génération, de gestion des déchets, de transmutation, de comparaisons de ces différentes techniques sous l'angle financier. En bref, comment analysez-vous ces enjeux ? Comment pouvez-vous préciser l'argumentation sur la question du calendrier au vu de ces enjeux de recherche et de stratégie, qui mettent plus de temps que prévu à se clarifier ?
M. Jean-Claude Duplessy. - Je vais essayer de répondre et encourage mes collègues à participer aussi à la discussion ; le professeur Deconinck sera mieux à même d'intervenir, de par son expérience, sur l'aspect international.
Il ne faut pas oublier un point important : nous avons déjà sur les bras la moitié des déchets produits par le parc électronucléaire. Quel que soit le futur : réacteurs à neutrons rapides, petits réacteurs ou réacteur européen couplant accélérateur et réacteur à neutrons rapides, du type Myrrha, les déchets produits n'entreront pas dans le périmètre de la loi de 2006. Il faudra donc étudier cette situation nouvelle et vraisemblablement prévoir un site de stockage pour ces déchets. La loi indique que Cigéo est un site de stockage pour les déchets produits, ou qui seront produits, par le parc nucléaire en fonctionnement. Il faudra gérer les déchets de ces réacteurs futurs, très intéressants, mais qui ne correspondent pas à notre problème actuel.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Si j'ai bien compris, à un moment donné, il faudra s'interroger sur un deuxième site, distinct de Cigéo, pour tous les déchets à venir ?
M. Jean-Claude Duplessy. - C'est exact.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Il me semble que trois laboratoires souterrains différents avaient déjà été envisagés par le passé.
M. Jean-Claude Duplessy. - Les études réalisées dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 1991 visaient à sélectionner le meilleur site pour un laboratoire souterrain. Les résultats en ont étés très faciles à interpréter, du point de vue des scientifiques indépendants des pressions politiques, sociétales ou autres. Très clairement, en France, le site granitique n'est pas adéquat, pour une raison simple : les granits français sont relativement récents. Ils ont subi tous les efforts tectoniques dus à la création des chaînes des Alpes et des Pyrénées, qui ont entraîné de nombreuses fractures à travers lesquelles l'eau circule très facilement. De ce fait, on retrouve des marqueurs très nets d'eaux relativement récentes dans les nappes les plus profondes des granits. Les systèmes finlandais et suédois sont basés sur un bouclier majeur robuste, alors que nous ne disposons que de petits affleurements granitiques, broyés au plan géologique. Il est clair que le site de Bure, parmi les quatre présentés - les départements de Meuse et Haute-Marne ayant tous deux candidatés il n'était évidemment pas envisageable de créer deux laboratoires à cinquante mètres d'écart - était de loin celui qui ressortait comme le meilleur. Pour l'avenir, il y aura une décision à prendre, nécessitant de consulter les populations. Il est sans doute envisageable d'étendre le site Cigéo, du moins si la géologie le permet. Mais, pour l'instant, l'engagement, le contrat moral passé avec les populations concerne le parc actuel.
M. Frank Deconinck. - Concernant les États-Unis, actuellement, les déchets sont entreposés sur les sites des producteurs, parce que l'État fédéral, c'est-à-dire le Departement of Energy (DOE), est incapable de proposer une solution à long terme. D'une part, il n'existe, en raison d'un esprit individualiste, aucune appropriation de la problématique des déchets par la population ou les autorités politiques. D'autre part, aux États-Unis, la politique peut changer à 180 degrés avec un nouveau président et les budgets doivent être renouvelés par un vote chaque année. Aucun projet de long terme n'est assuré d'être encore financé l'année suivante. Un exemple en est le site de Yucca Mountain. Le président Donald Trump a voulu le remettre en chantier, mais aucun budget n'ayant été voté, celui-ci reste pour le moment en attente, indépendamment de la question de la qualité du site sur laquelle on peut avoir des doutes.
Quant à la problématique de libération, en Europe et à l'international, l'Agence de Vienne et Euratom ont défini, pour tous les radioéléments importants, des seuils en-dessous desquels le risque pour la santé est considéré comme trivial, c'est-à-dire absolument négligeable, équivalent à un pour un million d'avoir éventuellement un effet néfaste. Ces seuils ont été repris par une directive européenne non contraignante. Les États ne sont donc pas obligés de la suivre, mais énormément de pays européens le font. Je vais donner un exemple : en Belgique, lorsqu'une bouteille d'eau sort d'une centrale nucléaire, son activité est mesurée, et si la mesure se situe en dessous du seuil, la bouteille est libérée. En France, si la bouteille sort de l'enceinte nucléaire, elle est considérée comme un déchet radioactif. Par contre, sur le même site, si elle était en dehors de l'enceinte, elle serait libérée. Donc, pour la même radioactivité et la même masse, en fonction de sa localisation géographique, la bouteille est considérée, ou non, comme un déchet. Là se trouve, vu de l'étranger, la spécificité française.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je comprends que cette particularité française suggère que notre réglementation serait à réexaminer. Mais, au-delà, que convient-il de faire pour les déchets de très faible activité ? La mise en place d'une filière industrielle a bien été évoquée, mais sur quels principes serait-elle fondée ?
M. Frank Deconinck. - À l'étranger, le recyclage est encouragé. Par exemple, le béton peut être recyclé en gravats pour les routes. Le métal peut aussi être recyclé - une usine de recyclage a d'ailleurs été rachetée en Suède par EDF - pour être réutilisé, soit en métallurgie générale, soit pour des applications bien spécifiques. On cite toujours l'exemple de la réutilisation du métal recyclé provenant de centrales nucléaires par l'industrie automobile allemande. Dans certains pays, le recyclage est le principal argument, à caractère plutôt éthique. Un second argument porte sur l'aspect économique. En fonction du pays, de son programme nucléaire, éventuellement d'autres critères, la libération et le recyclage peuvent constituer un facteur positif sur le plan économique alors que, dans d'autres pays, ils n'apparaissent pas pertinents. Ainsi, les États-Unis ne s'y intéressent pas, car les Américains disposent de toute la place nécessaire au stockage de ces déchets.
M. Pierre Demeulenaere. - Pour compléter la réponse du président Duplessy aux questions de MM. Gérard Longuet et Cédric Villani sur la temporalité, il existe une incertitude, d'une part, sur la stratégie, qui a une incidence sur la caractérisation des déchets futurs, d'autre part, sur la manière dont certains déchets seront, ou pas, produits dans le futur, selon que des réacteurs à neutrons rapides seront, ou pas, construits. En revanche, il n'existe aucune incertitude, du point de vue du calendrier, sur la possibilité de traiter autrement ces déchets futurs. De ce point de vue, il n'y a donc pas d'incertitude temporelle de la recherche. Dix ou vingt ans de plus ne changeront rien à cette donnée de base qui est que, pour les déchets déjà produits, on n'a pas d'incertitude sur la possibilité de les traiter éventuellement autrement. En revanche, nous ne l'avons pas écrit dans le rapport, cela implique le maintien d'une activité nucléaire forte pour conserver l'entreposage.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Seul le stockage géologique permettrait donc un arrêt éventuel du nucléaire.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Ce que j'avais cru comprendre des projets de types Myrrha, c'est que l'une des applications envisagées était le traitement d'une partie des déchets existants.
M. Frank Deconinck. - Le but de Myrrha n'est pas de retraiter les verres mais, éventuellement, les combustibles usés en stock, d'autant qu'il ne s'agit que d'un démonstrateur.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - De fait, s'agissant du successeur industriel de Myrrha, quels seraient les volumes de déchets concernés ?
M. Frank Deconinck. - Malheureusement, je ne peux répondre à cette question. Il conviendrait de la poser au professeur Aït Abderrahim, que vous avez entendu récemment.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous devrons donc poursuivre ces auditions pour parvenir à une compréhension complète.
M. Jean-Claude Duplessy. - Je voudrais juste préciser une chose : il faut être bien conscient que si on a mis les déchets de haute activité dans les verres, c'est pour les bloquer. Les verres constituent un système remarquable, étudié par le CEA et par d'autres centres de recherche, y compris belges, pour faire en sorte que les déchets de très haute activité, qui sont dangereux et qui ne doivent pas repartir dans l'environnement, soient bloqués. Récupérer ces déchets de haute activité bloqués dans les verres impliquerait un traitement chimique considérable consistant à attaquer ces verres, extrêmement robustes, avec de l'acide fluorhydrique ou du pentafluorure de brome, deux produits extraordinairement dangereux. Je ne serais pas inquiet d'habiter à Bure, si l'occasion s'en présentait. En revanche, la construction d'une usine chimique manipulant des tonnes d'acide fluorhydrique pour dissoudre des verres à proximité de mon domicile me déciderait à déménager instantanément.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Vous avez été convaincant sur la nécessité de ne pas toucher aux verres. Il nous reste à démêler la question des combustibles usés.
M. Robert Guillaumont. - Je voudrais replacer cette question des réacteurs à neutrons rapide dans le contexte plus général des réacteurs de quatrième génération, lancés afin de mieux utiliser les matières fissiles en général et, en particulier, le plutonium.
Avec le projet ASTRID, la France se situait parmi les pays en avance sur la voie de la transmutation par les réacteurs à neutrons rapides, mais cette transmutation nécessite d'abord de décider la construction d'un parc de réacteurs de ce type. Ce mot de transmutation a été inventé à une époque où tout le monde était euphorique à l'idée de pouvoir faire disparaître les déchets radioactifs en construisant des réacteurs à neutrons rapides. Toutefois, la réalité s'avère beaucoup plus compliquée, car il faut prendre en compte à la fois les aspects scientifique, technologique et politique. En France, il faut d'abord valoriser les EPR, aussi ne faut-il pas se faire d'illusion, les réacteurs à neutrons rapides n'arriveront qu'au siècle prochain.
Mais le projet alternatif Myrrha et les réacteurs à neutrons rapides ont un point commun : il faut, de toute façon, séparer avant de transmuter, ce qui implique de traiter les combustibles usés, comme à La Hague, mais de façon plus poussée puisqu'il faudra ressortir l'américium et, éventuellement, d'autres actinides mineurs. La prééminence de la France en matière de retraitement est internationalement reconnue, car il n'existe pas d'usine au monde équivalente à La Hague. Par conséquent, il faudrait préserver cette usine, mais ce ne sera possible qu'en construisant des réacteurs à neutrons rapides, sinon, le retraitement n'aura plus de sens. Si aucun réacteur n'utilise des combustibles MOX, il devient inutile de séparer le plutonium. C'est un problème complexe parce que tout s'enchaîne.
Finalement, on en revient à la question abordée aujourd'hui : en l'absence de stratégie, on ne sait pas quoi faire. Par conséquent, une stratégie est indispensable. Construire des réacteurs à neutrons rapides implique de prendre toutes les dispositions nécessaires. Elles ne sont pas simples, parce qu'il faudra entreposer les combustibles MOX usés pendant très longtemps. C'est pour cela qu'EDF semble vouloir construire cette grande piscine de stockage des combustibles usés, qui n'est pas encore décidée, même si les plans sont déjà assez avancés. En général, ce problème est évoqué par le petit bout de la lorgnette, alors qu'il est de grande ampleur et nécessite une stratégie clairement affichée. La CNE2 y réfléchit depuis longtemps mais, évidemment, uniquement sous l'angle des déchets, alors que d'autres aspects doivent être pris en compte.
Pour les États-Unis, je viens d'apprendre que le gouvernement relance le programme de recherche d'un site de stockage, sous le nom de Reset of U.S. Nuclear Waste Management. Un stearing committee est mis en place, auquel participe d'ailleurs au moins un Français pour essayer, d'après ce que j'ai entendu, de reproduire le processus mis en oeuvre dans notre pays.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Vous êtes au coeur de l'actualité et je vous remercie de cette présentation extrêmement claire et construite de vos travaux. Je pense qu'elle va éclairer nos collègues députés et sénateurs qui, suivant leur commission d'appartenance, peuvent être conduits à s'exprimer sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, pour interpeller l'exécutif sur sa décision concernant le nucléaire. On comprend bien, en vous écoutant, qu'il s'agit d'un ensemble, non pas fermé sur lui-même mais cohérent : on ne peut gérer les déchets qu'en fonction des perspectives envisagées pour la production : une production nucléaire permettant de financer les déchets et de maintenir le savoir-faire technologique. J'ai également bien compris votre message sur la nécessité d'un stockage, indépendamment des évolutions technologiques.
La question fondamentale, évoquée tout à l'heure dans une autre audition, porte sur la confiance des Français vis-à-vis des scientifiques. C'est un débat de société qui nous échappe, à vous comme à nous, mais qui représente une préoccupation absolument majeure. Entre les millénaristes, les marchands de peur et ceux qui vivent du superficiel, de l'émotif ou de l'instantané, nous avons à peu près toutes les raisons d'être pessimistes pour les projets de long terme.
Mais étant très confiant dans la valeur de l'intelligence collective et aussi individuelle, je pense que cette audition nous permettra de poser, au titre de l'Office parlementaire, des questions plus pertinentes. Le sujet n'a pas été épuisé mais vous nous avez très largement éclairés et conduits, chacun dans nos convictions, nos responsabilités et nos assemblées, à essayer d'être plus rigoureux et plus exigeant sur ce sujet qui, je le pense profondément, constitue un atout pour notre pays.
Désignation de représentants dans les organismes extraparlementaires
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous proposons de nommer des députés membres de quelques organismes extraparlementaires.
Pour le Conseil stratégique de la recherche, l'Office désigne comme titulaire Huguette Tiegna, qui s'est portée candidate il y a déjà longtemps, et Jean-Luc Fugit comme suppléant. Valéria Faure-Muntian était candidate aussi, mais les textes imposent la parité dans les désignations.
Je précise que je suis moi-même membre du Conseil stratégique de la recherche comme personne qualifiée.
Pour participer comme invité aux travaux du Conseil d'orientation stratégique de la Fondation pour la biodiversité, l'Office désigne Jean-Luc Fugit, seul candidat.
Comme membre du Comité d'orientation des recherches en sûreté nucléaire et en radioprotection, instance consultative placée auprès du Conseil d'administration de l'IRSN, l'Office désigne Philippe Bolo.
La réunion est close à 12 h 30.