- Mercredi 6 juin 2018
- Audition de Mme Isabelle Kocher, directeur général d'Engie
- Proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres villes et centres-bourgs - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de résolution européenne en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires - Examen des amendements de séance
- Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats
- Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable - Délégation au fond de l'examen d'articles
- Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous - Audition de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Mercredi 6 juin 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de Mme Isabelle Kocher, directeur général d'Engie
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Mme Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie. Elle est accompagnée de M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la Régulation et de Mme Valérie Alain, directrice Institutions France et Territoires.
Madame la directrice générale, cela fait maintenant un peu plus de deux ans que vous présidez aux destinées d'une entreprise dont vous avez souhaité revoir, si j'ose dire, les fondamentaux pour l'adapter aux grandes mutations du monde de l'énergie. Votre stratégie, symbolisée par le changement de nom de l'entreprise, a consisté à vous désengager massivement de certaines activités très émettrices de gaz à effet de serre ou qui vous exposaient trop aux variations des prix de l'énergie, ce qui s'est soldé par la vente de près de 15 milliards d'euros d'actifs, pour vous réorienter vers les énergies renouvelables, les activités à prix régulés et les services énergétiques, tout en consolidant vos métiers historiques dans le gaz et ses infrastructures.
Cela m'amène à vous poser une première question : alors que vous avez mené à bien une grande partie des cessions que vous aviez annoncées, la stratégie de l'entreprise est parfois questionnée en ce qu'elle ne se traduirait pas suffisamment rapidement par de nouvelles acquisitions d'envergure, dans le renouvelable ou dans les services énergétiques en particulier. Vous seriez, en quelque sorte, au milieu du gué, ou du grand « retournement » initié par l'entreprise, mais le passage à l'offensive se ferait toujours attendre. Pouvez-vous nous expliquer où vous en êtes et quelles sont les perspectives ? Envisagez-vous, en particulier, des cessions supplémentaires - il est parfois question de votre participation dans Suez - dont le produit serait là aussi réorienté vers de nouvelles acquisitions ?
Avec la stratégie de l'entreprise, vous savez naturellement que c'est aussi la gouvernance d'Engie qui a fait l'actualité ces derniers mois, pour aboutir à la confirmation d'un binôme à sa tête, vous-même comme directrice générale et Jean-Pierre Clamadieu succédant à Gérard Mestrallet à la présidence du groupe. Même si ce n'était peut-être pas le schéma vers lequel vous penchiez initialement, pourriez-vous, là aussi, nous rassurer sur la pertinence d'un tel modèle pour l'avenir d'Engie ?
Vous allez sans doute penser que nous n'avons que des sujets de préoccupation mais ma troisième question portera, là aussi, sur un sujet d'inquiétude auquel les représentants des salariés ont sensibilisé nombre d'entre nous : je veux parler de la délocalisation à l'étranger, présentée parfois sous le terme d'« offshorisation », de certaines des activités de relation clientèle qui étaient jusque-là réalisées en interne ou par le biais de sous-traitants, mais toujours en France. Là aussi, pourriez-vous nous donner des chiffres précis, nous dire pourquoi vous avez opté pour cette stratégie ? On nous cite l'exemple de l'Italie, où un consortium d'entreprises s'est engagé à faire de l'autorégulation. On nous dit aussi que cette offshorisation permettrait d'économiser 7 millions d'euros par an : c'est un peu l'épaisseur du trait comparé au résultat d'Engie, qui a atteint 1,4 milliard d'euros en 2017. Et ne craignez-vous pas que cette stratégie nuise à la qualité de la relation client ?
Pourriez-vous aussi réagir aux mises en cause récentes du Médiateur de l'énergie sur certaines pratiques commerciales douteuses dont useraient vos prestataires, qui pratiqueraient notamment un démarchage abusif, et pour lesquelles votre entreprise avait déjà été rappelée à l'ordre par le passé ? Comment entendez-vous remédier définitivement à cette situation ?
Un mot encore sur l'emploi : aux détracteurs de l'offshorisation, vous objectez qu'Engie créé plusieurs milliers d'emplois par an en France. Quels types d'emplois et quelles régions sont concernés ?
Enfin, et parce que nous considérons qu'Engie est un grand acteur énergétique et un atout pour notre pays, pourriez-vous nous dire quelques mots de la contribution de l'entreprise aux débats sur la future programmation pluriannuelle de l'énergie ? Madame la directrice générale, je vous cède sans plus tarder la parole.
Mme Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie. - J'aborderai, dans un premier temps, le secteur de l'énergie qui connait de très profonds changements amorcés par le défi terrible du réchauffement climatique et la prise de conscience des conséquences des émissions de gaz à effet de serre. La transition énergétique est mondiale et irréversible, en raison de ses effets positifs. En dépit de certains actes politiques récents, les chiffres démontrent la convergence internationale des efforts dans ce domaine.
Le coût des nouvelles technologies décarbonées, auparavant considéré comme rédhibitoire, a chuté : celui de l'énergie solaire, reposant sur les progrès de la technologie du silicium, a été divisé par dix en dix ans. Bien que basée sur des technologies plus traditionnelles, l'énergie éolienne suit la même tendance, du fait de la massification des investissements. Il y a là un changement de paradigme qui va conduire à ce que les énergéticiens ont l'habitude d'appeler la « parité réseau ».
Ces technologies sont également souples d'emploi ; leur miniaturisation s'avère aisée et permet de résoudre les problématiques d'accès à l'énergie dans les zones non desservies par les réseaux d'énergie traditionnels, comme en Asie du Sud-Est ou en Afrique - je rappelle qu'1,2 milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'énergie. Dans nos pays industrialisés, où l'atmosphère des grandes villes est parfois irrespirable, ces nouvelles technologies permettent aussi d'améliorer la situation, notamment dans le domaine des transports.
Les pays émergents sont devenus les principaux promoteurs des énergies renouvelables. Ils disposent désormais de gisements énergétiques locaux qui ne les condamnent plus à la dépendance énergétique et leurs cibles d'énergies renouvelables dans le mix énergétique sont souvent supérieures à celles de pays plus développés.
Chaque acteur joue cette transition énergétique avec ses cartes. Plutôt que de jouer la fin de cycle, Engie avait tous les éléments en main pour se positionner comme leader de ce mouvement, en s'appuyant sur ses atouts : ses services à l'énergie, d'une part, avec 150 000 collaborateurs dont 100 000 sont occupés, non pas à produire de l'énergie, mais à accompagner nos clients pour les aider à consommer moins, ce qui pourrait sembler paradoxal ; et sa présence dans le gaz et les énergies renouvelables, d'autre part, qui feront le mix de demain.
À l'avenir, nos clients concentreront leurs investissements sur deux points. Le premier portera sur la baisse de leurs propres consommations. En moyenne, il est possible de réduire la consommation énergétique d'un bâtiment de 30 % à 40 %, voire de lui faire produire de l'énergie lorsque c'est économiquement viable au point de viser, dans certains cas, une passivité énergétique..
Le second flux d'investissement concerne le remplacement des capacités d'énergie carbonées par des énergies non carbonées. Engie est en mesure d'y répondre grâce à ses positions fortes dans les renouvelables et dans le gaz, qui est un facteur décisif pour compenser l'intermittence des renouvelables.
Il y a trois ans, nous avons fait le choix, mûrement réfléchi, de nous positionner sur ces deux sujets : aider nos clients à repenser leur infrastructure de consommation et se spécialiser dans cette capacité à apporter l'énergie résiduelle dont le contenu carbone tendra vers zéro de manière très progressive. Je suis toujours frappée de voir que les débats énergétiques se focalisent sur l'électricité et oublient les autres énergies. Nous sommes convaincus que le mix gaz et énergies renouvelables sera le bon dans les années qui viennent, et nous pensons aussi que nous serons capables, dans un deuxième temps, de rendre le gaz renouvelable. En effet, celui-ci devrait profiter de l'abaissement des coûts de l'hydrogène, du biogaz et du gaz de synthèse, lesquels amorcent une courbe de prix similaire à celle de l'électricité renouvelable.
On nous reproche souvent de ne pas investir parce que nous n'achèterions pas d'entreprises ; c'est d'abord inexact car nous avons acquis quarante-trois entreprises durant ces deux dernières années, pour parfaire notre positionnement dans certains secteurs. Surtout, Engie n'est pas une banque et a pour vocation de faire sortir des usines de terre. Notre plan d'investissement de 14,3 milliards d'euros, qui arrive à son terme, vise à construire des usines, étendre nos réseaux de gaz et rendre plus efficaces les infrastructures de consommation de nos clients. En guise d'illustration de notre positionnement, j'évoquerai le contrat qui vient d'être signé avec l'Université de l'Ohio, pour une durée de cinquante ans, et qui concerne à la fois la maintenance et la modernisation de l'ensemble des réseaux, y compris celui de la surveillance, sur lesquels transite l'énergie, de ce campus qui rassemble près de 100 000 personnes, compte 480 bâtiments, des écoles, un hôpital ou son propre système de transport. Nos engagements de performance sont extrêmement élevés : l'investissement de 1,5 milliard de dollars dans les infrastructures du site devrait réduire d'un quart la consommation énergétique de ce site en dix ans, avant de conduire à d'ultérieures réductions par tranche. Ce contrat traduit un changement de paradigme dans ce domaine : alors que l'on avait pour habitude de passer des appels d'offres en silos, les collectivités, à l'échelle internationale, privilégient désormais une vision globale de leurs consommations énergétiques afin d'en réduire à la fois les émissions de gaz à effet de serre et le coût.
La France représente un pays essentiel pour Engie avec 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 6 milliards d'euros d'achats auprès de prestataires locaux et 72 000 collaborateurs. Nous embauchons en France 8 000 personnes par an, dont 4 000 contrats à durée indéterminée. La capacité que nous avons d'y avoir une vision de l'avenir et d'anticiper cette mutation énergétique, en faisant en sorte que nos collaborateurs y prennent une part active, est essentielle.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de vos propos liminaires, madame la directrice générale, et passe la parole aux commissaires qui ont souhaité vous interroger.
M. Roland Courteau. - Le gaz, sous certaines conditions, peut être favorable à la transition énergétique car il est facile à réguler. Encore faut-il le verdir davantage pour des raisons environnementales et réduire notre facture énergétique qui atteignait, en 2015, 45 milliards d'euros. La loi a fixé pour 2030 un objectif de 10 %. Pouvez-vous faire mieux ? À quel horizon fixez-vous le développement industriel de la méthanation et de son pilote Jupiter 1000 ? Par ailleurs, comment comptez-vous contrecarrer la précarité énergétique ? Enfin, certains personnels nous ont dit vivre un plan social qui tairait son nom. En dix ans, ce sont près de dix-neuf centres d'appels, et ainsi des centaines d'emplois, qui ont été supprimés en France et relocalisés au Cameroun, au Maroc ou encore au Sénégal. Une telle pratique est-elle la conséquence de la guerre commerciale avec les autres opérateurs du secteur de l'énergie ? Il semble que l'esprit des anciens GDF s'en soit allé. Qu'en est-il de cette situation ?
M. Jean-Pierre Decool. - Engie expérimente une infrastructure blockchain sur un réseau de compteurs d'eau connectés dans l'Yonne destinée à améliorer la détection et la réparation des fuites d'eau. En France, plus de 1 300 milliards de litres d'eau potable sont perdus chaque année du fait de ces fuites de canalisations. Engie prévoit-elle d'étendre ce dispositif à d'autres sites ?
M. Daniel Gremillet. - Le Secrétaire d'État Sébastien Lecornu a constitué trois groupes de travail respectivement consacrés à la méthanisation, à l'éolien et au photovoltaïque afin de favoriser les investissements dans ces énergies renouvelables. Quelle stratégie Engie va-t-elle suivre pour y optimiser sa présence ? En outre, quelle est votre réaction suite à la décision du Conseil d'État sur les tarifs réglementés ? Enfin, quelles seront les conséquences du rachat de Direct Énergie par Total sur notre paysage énergétique national ?
M. Martial Bourquin. - Vous n'avez pas abordé votre concept d'Harmony Project qui promeut une politique à la fois socialement efficace et énergétique d'avenir. Ma question portera sur l'externalisation et la délocalisation de la relation clients. Le Sénat représente les territoires qui ont besoin de ces emplois. Seriez-vous d'accord pour signer un accord avec l'État afin de mettre un coup d'arrêt à ces délocalisations, à l'instar de ce qui s'est produit en Italie ? D'ailleurs, ces délocalisations font très mal à nos territoires et ne seront pas sans poser, à terme, de problèmes avec votre propre clientèle !
M. Ladislas Poniatowski. - Le rachat de Direct Énergie par Total sera effectif en juillet prochain. L'ouverture du marché a plutôt bien fonctionné pour l'électricité, puisque votre entreprise a capté le plus grand nombre de clients d'EDF, devant Direct énergie qui en a tout de même pris plus de deux millions ! Ne craignez-vous pas que Direct Énergie, jusque-là peu compétitif dans le secteur du gaz, bénéficie désormais de l'appui de Total et devienne un redoutable concurrent pour Engie ? Ma seconde question concerne une préoccupation de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) dont je suis vice-président : les achats groupés pour les entreprises multisites et les collectivités territoriales sont conduits par les syndicats de gaz et d'électricité, aussi bien pour les bâtiments que pour l'éclairage public de centaines de communes. Or, si Engie a su ravir les anciens clients d'EDF, elle ne leur adresse pas de factures ! C'est une situation sur laquelle la FNCCR vous a déjà alerté et qui ne saurait perdurer, car elle pose des problèmes en comptabilité publique et qu'il faudra bien payer un jour !
M. Fabien Gay. - Engie incarne l'ouverture à la concurrence, la libéralisation d'un secteur et sa privatisation, amorcée en 2004. Entre-temps, le prix du gaz a connu une hausse de près de 80 % entre 2012 et aujourd'hui, malgré une chute de 15 % entre 2013 et 2015. L'ouverture à la concurrence est-elle un plus pour les usagers, les consommateurs et les salariés ? Nous avons également reçu l'intersyndicale avec ma collègue Cécile Cukierman. L'externalisation induit la perte de 1 200 emplois, voire à terme de 3 000, pour une économie totale de 7 millions d'euros. Dans le même temps, le taux de redistribution aux actionnaires entre 2009 et 2016 a augmenté de 333 %, contre 1 % en participation et intéressement pour les salariés. Où s'arrête le profit pour une entreprise comme Engie ?
Mme Denise Saint-Pé. - Votre stratégie est notamment axée sur la production d'énergie renouvelable et la vente d'énergie. En tant que fournisseur de gaz, vous gérez la fourniture au tarif régulé par l'État. Ces tarifs réglementés du gaz étant remis en cause par le Conseil d'État, les quelque 5 millions d'abonnés à ce tarif régulé vont être confrontés, à court terme, à la nécessité de souscrire des offres de marché. Engie est-elle prête à faire face à cette nouvelle donne, qui existe déjà dans le domaine de l'électricité, dans de bonnes conditions techniques et commerciales ? J'ai le souvenir de basculements de contrats laborieux sur le marché des professionnels et des collectivités locales, d'où mon inquiétude....
En outre, le renouvellement des concessions hydroélectriques, notamment celles détenues par Engie à travers la Société hydroélectrique du Midi (Shem) en Vallée d'Ossau, est une question essentielle pour l'élue des Pyrénées-Atlantiques que je suis. Les concessions actuelles devaient prendre fin le 31 décembre 2012 ; celles-ci se prorogent tacitement au détriment du droit et de l'intérêt financier des collectivités locales qui perdent annuellement le bénéfice de redevances conséquentes, suite à cette situation non réglée ! En effet, les nouveaux modèles de contrats de concession incluent désormais des redevances au bénéfice des communes et des intercommunalités. Avez-vous connaissance du calendrier de traitement de ce dossier et des freins qui ont empêché son bon déroulement jusqu'ici, l'État ne répondant pas à nos interrogations sur ce point ?
M. Henri Cabanel. - Je tiens à vous féliciter pour l'engagement d'Engie en matière de responsabilité sociétale. La norme ISO 26000, qui implique d'agir de manière éthique, donne des lignes directrices pour opérer de manière socialement responsable et contribuer au bon fonctionnement de l'entreprise. Or, l'intersyndicale d'Engie nous a alertés sur les délocalisations successives, vers le Portugal, le Maroc ou encore l'Île Maurice, qu'ont déjà évoquées mes collègues. La RSE se veut à la fois économique, environnementale et sociale. Elle entend répondre notamment aux enjeux suivants : les conditions de travail, l'égalité de traitement entre homme et femme et la fidélisation des salariés. Votre stratégie, qui conduit notamment à la délocalisation de la relation client, vous paraît-elle respecter les principes de la RSE et ceux du dialogue social ? La formation à l'étranger de nouveaux personnels, qui sont voués à se substituer aux employés français, est-elle en phase avec l'engagement éthique de la RSE ?
M. Joël Labbé. - J'ai été surpris par le fait que vous n'abordiez pas, dans votre propos liminaire, le sujet des délocalisations. Votre entreprise est pourtant un fleuron industriel français. Vous avez également éludé la question du démantèlement que ne permettent pas de mener à bien les actuelles provisions financières. Certes, la transition écologique est irréversible et je vous remercie de le souligner, mais quel est le calendrier du démantèlement de la centrale de Brennilis ? C'est là une question essentielle.
Mme Cécile Cukierman. - Le site de Saint-Jean-Bonnefonds, dans la Loire, est concerné par les délocalisations. Cette offshorisation générerait, au total, un gain net d'environ six millions d'euros sur un an, frais d'accompagnement compris, soit 1,6 % du résultat brut d'exploitation et 0,66 % de la marge brute de cette entité. Ces économies marginales, ramenées au 1,4 milliard d'euros de bénéfices réalisés et aux dividendes reversés par le groupe, justifient-elles ces délocalisations qui frappent des bassins d'emplois déjà en grande précarité ? Votre groupe a pourtant bénéficié de l'argent public, les collectivités ayant soutenu l'installation d'Engie sur le site de Saint-Jean-Bonnefonds. En outre, vous venez d'annoncer la fin unilatérale de la médiation engagée il y a quelques mois, assortie d'une menace quasi-explicite de fermeture de plusieurs sites internes et d'une reconversion quasi-forcée des emplois liés. Dans de telles conditions, Engie est-elle à la hauteur de ses ambitions en matière de responsabilité sociale ? Il me semble qu'une grande entreprise comme la vôtre devrait également assumer des responsabilités territoriales.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Ma première question portera sur la gouvernance d'Engie : comment allez-vous former ce duo avec Jean-Pierre Clamadieu, malgré votre souhait de voir fusionner les deux postes de directeur général et de président du conseil d'administration ? Ma seconde question portera sur les territoires : en 2018, vous avez souligné que l'avenir des politiques énergétiques serait territorial, en annonçant l'implantation de panneaux solaires dans le Sud de la France pour produire de l'énergie à des coûts très compétitifs. Dans quels départements seront implantés ces panneaux solaires et quelle devrait en être la production ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En juillet 2017, le Conseil d'État a jugé que les tarifs réglementés du gaz n'étaient pas conformes au droit européen et a imposé à l'État de les supprimer. Le Gouvernement envisage la fin progressive de cette tarification qui serait supprimée définitivement en 2023. Le Médiateur national de l'énergie semble écarter l'hypothèse d'une inscription de la fin des tarifs réglementés dans la loi dite « Pacte » qui sera présentée au Conseil des ministres le 20 juin prochain. Quelles seront les conséquences pour le consommateur de la suppression de ces tarifs réglementés du gaz ?
M. Franck Montaugé. - Quelle est votre évaluation de l'effet de la concurrence sur les clients particuliers et professionnels ? Combien de nouveaux clients ont pu accéder, dans ce contexte d'ouverture à la concurrence, au gaz naturel ? Enfin, je tiens à vous exprimer, en tant que parlementaire, mon opposition à l'externalisation des centres de relations clients d'une entreprise qui était, il y a peu, un très bel exemple d'entreprise nationale.
M. Laurent Duplomb. - À la suite de l'acquisition de l'entreprise Langa spécialisée en ingénierie photovoltaïque et en énergie éolienne, quelle stratégie Engie entend-elle mettre en oeuvre dans ces secteurs ? À cet égard, l'agriculture est aujourd'hui un secteur en difficulté. Pourquoi Engie n'inciterait-elle pas à l'installation d'infrastructures photovoltaïques sur les toitures, dont disposent les exploitations agricoles, afin de conforter le revenu des agriculteurs en leur permettant de produire de l'électricité ?
M. Jean-François Mayet. - Les transports sont de gros consommateurs d'énergie et les camions vont demeurer un mode de transport essentiel des marchandises dans les années qui viennent. Or, l'électricité livrée sous forme de piles ou de batteries n'est pas performante, faute d'une capacité de stockage suffisante, et n'est guère vouée à équiper ces camions, qui pourraient, en revanche, bénéficier d'une pile à combustible ou à hydrogène. Votre groupe sera-t-il présent dans ce secteur de la production et de la distribution d'hydrogène ?
Mme Isabelle Kocher. - Un grand nombre des questions posées porte sur la partie aval, c'est-à-dire sur la manière dont Engie s'organise pour être plus compétitive et proposer à nos clients l'énergie la moins chère possible. La relation clients d'Engie vise à réduire les coûts de l'énergie. Engie est ainsi un compétiteur plongé dans tous les pays du monde. Telle est notre ADN et la compétition est, à nos yeux, positive. Celle-ci prévaut désormais dans la vente des énergies en France. Nous sommes un nouvel entrant dans la vente de l'électricité, où s'accroît désormais la concurrence, après avoir détenu un monopole dans le gaz. Il est un peu tôt pour évaluer les conséquences du rachat de Direct Énergie par Total sur son niveau de compétitivité mais Direct Énergie était déjà un acteur extrêmement agressif disposant d'une liberté complète d'acheter au plus offrant le gaz sur le marché.
Les conditions d'une optimisation de la compétition ne sont toutefois pas réunies en France : l'accès des acteurs du marché à la matière électrique est insuffisant, le système français demeure insuffisamment ouvert et les volumes d'énergie achetables, via l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), sont relativement étroits. Ce constat vaut même pour Engie qui demeure la société la plus active dans la construction de nouvelles capacités, en matière notamment d'énergies renouvelables, sur le sol national.
Le traitement des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité par le Conseil d'État nous semble dissymétrique. Nous prônons une approche symétrique et progressive. Alors que les acteurs proposent des offres duales, mixant le gaz et l'électricité, ces règles dissymétriques demeurent pénalisantes et obèrent la compétition.
Vous ne pouvez pas demander aux Français, du jour au lendemain, de passer des tarifs réglementés au choix de nouveaux fournisseurs dans un temps très court ! Un schéma long, sur une durée de six ans, nous semble à même de garantir la sortie des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité.
Sur les délocalisations, il faut comprendre sur quels segments Engie, qui continue de grandir, est capable de créer de la valeur. Nous créons de l'emploi qualifié et hautement technique dans les services, auprès des clients, par exemple en proposant des solutions de financement via un forfait mensuel. En revanche, les relations téléphoniques à distance sont de moins en moins fréquentes et remplacées par les relations internet ou par les relations personnelles. 30 % des centres d'appels ont été délocalisés à l'étranger. Ma responsabilité de chef d'entreprise est de préparer nos équipes au monde de demain. Tous ceux qui le souhaitent peuvent être formés pour exercer ces emplois mieux rémunérés et durables. Engie crée d'ailleurs plus d'emplois que les autres.
M. Martial Bourquin. - Vous nous faites avaler des couleuvres !
Mme Isabelle Kocher. - La digitalisation des processus représente l'avenir et les centres téléphoniques ne sont nullement l'avenir ! Ne nous berçons pas d'illusions : Engie emploie chaque année de nouveaux collaborateurs et prend 4 500 personnes en apprentissage ! Nous avons veillé à réprimer le démarchage abusif de certaines personnes auprès des particuliers que je ne cautionne naturellement en rien ! En outre, 98 % des problèmes de facturation ont été réglés.
J'en viens à l'amont de nos activités, c'est-à-dire à notre capacité de mettre à disposition de nos clients une énergie compétitive, à la fois décarbonée et fiable, et ainsi la plus durable possible. Dans les débats autour de la PPE et de l'atteinte d'une neutralité carbone en 2050, nous avons veillé à ce que le nouveau système décarboné soit économiquement efficace. Engie préconise, à l'horizon 2050, la baisse des factures, un contenu carbone tendant vers zéro et la solidité des réseaux.
Vos questions portent à la fois sur des technologies actuelles et d'autres en devenir. Notre projet d'entreprise est particulièrement attentif aux horizons de temps : notre plan d'investissement vise le développement le plus abouti des technologies déjà efficaces, tout en gardant les moyens nécessaires pour le développement de nouvelles technologies dans un délai de cinq ans, ces dernières étant évaluées périodiquement à l'aune de pilotes. En France, Engie est le leader de l'énergie solaire et éolienne. Ses plans de développement y sont extrêmement ambitieux. Enfin, nous avons participé aux travaux conduits par Sébastien Lecornu sur la simplification des procédures, qui devraient notamment faire gagner au moins deux ans aux projets éoliens. Aujourd'hui, entre l'identification d'un terrain, la décision d'implantation d'éoliennes et leur mise en service, s'écoulent, en moyenne, près de sept années, le temps de latence étant plus important encore pour l'éolien offshore. Dans ce contexte technologique de grande célérité, nos procédures collectives doivent être plus agiles.
Engie entend développer l'énergie solaire, en densifiant sa présence : notre capacité devrait être quadruplée, qu'il s'agisse de grandes installations ou de couverture de bâtis ou de parkings, où notre société dispose d'un savoir-faire unique et a récemment noué des partenariats.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable qui a d'immenses qualités, dont celle d'être beaucoup moins intermittente que d'autres. Le mix renouvelable du futur devra bien entendu privilégier ce type d'énergie. Engie représente 15 % de parts de marché dans la production d'hydroélectricité mais il faut créer, là aussi, les conditions d'une réelle compétition : l'Union européenne nous presse et il importe désormais de clarifier les conditions des futurs appels d'offres car nos équipes de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ou de la Shem ont besoin de savoir. Le modèle doit évoluer dans les conditions rendues possibles par la loi ; de ce point de vue, le modèle de la CNR, dont le capital est partagé avec les collectivités locales, est très moderne. C'est aussi la seule société qui verse des redevances à ces collectivités. J'espère donc que les dates de remise en concurrence de l'ensemble des concessions seront prochainement précisées et que leurs conditions économiques seront homogénéisées.
D'autres technologies, moins matures, doivent aussi être prises en compte, à l'instar de la méthanation qui désigne la capacité à fabriquer du méthane de synthèse à partir du dioxyde de carbone et de l'hydrogène. Cette technologie implique l'usage de gaz non fossiles qui ne sont pas nécessairement décarbonés, mais dont le carbone était déjà en circulation. Nous sommes sur des cycles de cinq à dix ans et nous avons déjà, vous l'avez rappelé, un pilote à Dunkerque. Les coûts sont encore trop élevés par rapport aux énergies fossiles, même si une division par deux ou trois est probablement accessible. Notre pays doit fixer un cap favorisant la collaboration entre les acteurs et l'émergence de nouvelles technologies, via la massification des pilotes. Ainsi, la technologie des hydroliseurs, nécessaire au développement de l'hydrogène, implique le lancement d'un grand nombre de projets. La France doit fixer une ambition très haute au développement de ces pilotes, afin de détecter les technologies les plus efficaces et de maintenir, sur le territoire national, ces nouvelles filières. En effet, évitons de réitérer ce qui s'est produit lors de la première vague d'énergies renouvelables, où le consommateur, par le jeu de subventionnements, a largement contribué à la maturation de ces technologies dont les filières industrielles n'ont pas été fixées dans notre pays. Or, l'écosystème de l'innovation est extrêmement dynamique en France et la filière du digital et du numérique y est robuste.
Sur la gouvernance, j'ai annoncé publiquement, il y a trois ans, que la dissociation allait dans le sens de l'histoire. Une telle distinction n'est pas très usitée en France, mais il s'agit là d'un système de gouvernance moderne que l'on trouve dans d'autres sociétés internationales de l'énergie.
Engie a pour ambition d'être un leader de la transition énergétique et entend contribuer, de manière positive, à la vie des personnes, à la fois dans les pays développés et émergents. Il ne s'agit pas seulement de lutter contre le réchauffement climatique. Notre posture responsable améliore notre rentabilité et nous sommes fiers d'augmenter les dividendes versés à nos actionnaires, après avoir été contraints de les diminuer pendant trois ans. Fin 2015, le portefeuille de nos activités, qui comprenait la production de charbon et de pétrole, connaissait une décroissance organique de près de 10 % par an. Deux ans après, suite à notre repositionnement, nous connaissons une croissance organique de 5 % par an, qui s'avère la plus dynamique du secteur au plan international. Nous voilà remis dans le coeur de ce que souhaitent les clients publics et privés. Notre retour sur capitaux engagés est passé, dans le même temps, de 6,5 à 7,2 %. Il nous faut réconcilier la création de valeur au sens traditionnel avec la capacité d'avoir un impact positif. Plus on est responsable, plus on est préféré par les clients ainsi que par les jeunes talents, qui sont demandeurs de sens, et par les investisseurs. La valorisation d'Engie en bourse a d'ailleurs repris des couleurs pour cette même raison. Telle est notre vision du progrès harmonieux auquel nous entendons nous consacrer à l'avenir.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de votre intervention, madame la directrice générale, et de la qualité de vos réponses. Vous avez bien perçu l'inquiétude des élus quant aux conséquences territoriales de vos décisions. Je vous demande cependant de nous confirmer que la totalité des personnels des centres délocalisés se verront proposer un trajet professionnel. Enfin, ces sites, qui présentent une grande importance pour l'activité de nos territoires, seront-ils reconfigurés ?
Mme Isabelle Kocher. - Je comprends et j'entends. Je serais heureuse que nous puissions dresser un constat objectif, dans les régions que la mutation des métiers d'Engie inquiète. Je suis tout à fait prête à vous rencontrer de nouveau pour aborder ce point avec vous. Notre démarche est créatrice d'emplois. Ces trois dernières années, nous avons investi 300 millions d'euros dans la reconversion de ces emplois. Il s'agit là d'un projet d'entreprise massivement soutenu par nos collaborateurs. Notre plan a été mis en oeuvre, à la suite de la concertation de 88 instances durant une année. Il serait bon que nous vous associions, à présent, à cette démarche.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie, madame la directrice générale, pour nous avoir permis de préciser notre vision du monde de l'énergie. Prenant acte de votre engagement à revenir devant nous pour évaluer les conséquences territoriales de vos décisions, je tenais enfin à saluer votre itinéraire professionnel, tant nous ne sommes pas si nombreuses à occuper un poste tel que le vôtre !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est reprise à 10 h 35.
Proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres villes et centres-bourgs - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous poursuivons ce matin l'examen des amendements en vue de l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Je salue la présence du rapporteur pour avis de la commission des finances, Arnaud Bazin, ainsi que celle de notre collègue Martial Bourquin, coauteur de la proposition de loi.
Je vous rappelle que notre commission avait décidé de procéder à cet examen en deux temps pour permettre à la commission des finances de se réunir et d'étudier les amendements portant sur les neuf articles de la proposition de loi, qui lui avaient été délégués au fond : les articles 3, 9, 12, 26, 27, 28, 29, 30 et 31.
Nous avions réservé le vote sur ces articles, et adopté les autres. Nous allons rouvrir certains d'entre eux pour examiner les amendements de la commission des finances sur les articles sur lesquels elle émet un avis « simple » et 3 nouveaux amendements du rapporteur Jean-Pierre Moga.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons tout d'abord examiner trois amendements de la commission des finances relatifs à des articles sur lesquels elle s'est saisie pour avis.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis de la commission des finances. - La commission des finances s'est en effet réunie hier soir, afin d'examiner pour avis certains articles de la proposition de loi, ainsi que les neuf articles que vous lui avez délégués au fond.
S'agissant des articles dont elle a été saisie pour avis, notre commission a adopté plusieurs amendements qui, je le précise, ne remettent pas en cause les amendements que votre commission a adoptés mercredi dernier sur ces mêmes articles.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - La commission est favorable à l'amendement COM-24, car il tend à rendre l'accord de l'établissement public intercommunal obligatoire lorsqu'une commune souhaite engager une OSER, une opération de sauvegarde économique et de redynamisation.
L'amendement COM-24 est adopté.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Dans l'attente de la future Agence nationale de la cohésion des territoires, je propose de revenir à notre proposition initiale.
M. Xavier Iacovelli. - Il serait dommage de se priver de l'expertise de l'établissement public national pour l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, l'Epareca, sur les périmètres des OSER. Je voterai contre l'amendement.
Mme Annie Guillemot. - En tant qu'ancienne présidente de l'Epareca, je signale que le budget actuel de l'établissement ne permet déjà pas d'intervenir dans l'ensemble des quartiers prioritaires. Il faudrait que l'Epareca, qui est seul à disposer de compétences très techniques, puisse mettre son expérience au service des OSER. Une telle chose n'est toutefois possible que si l'on augmente son budget.
M. Martial Bourquin, coauteur de la proposition de loi - Il faudrait peut-être orienter le produit des taxes créées par le texte vers l'Epareca.
M. Franck Montaugé. - Je m'interroge sur le rôle que pourraient jouer les établissements publics fonciers régionaux, les EPFR. Ceux-ci bénéficient en effet de moyens importants, qui les prédisposent peut-être plus que l'Epareca à intervenir dans des opérations de revitalisation des centres villes.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je constate que la réflexion n'est pas encore complètement aboutie sur l'ingénierie en matière de réhabilitation des centres villes.
L'amendement COM-25 n'est pas adopté.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - La disposition proposée concerne les propriétaires de logements situés au-dessus de commerces. L'amendement COM-27 prévoit de ne pas les taxer s'ils ne parviennent pas à les louer. J'y suis favorable.
M. Xavier Iacovelli. - Il faut savoir fixer des limites pour éviter une généralisation des cas particuliers. Je voterai contre cet amendement.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Une mesure similaire existe déjà pour les autres logements vacants. On ne fait ici que généraliser le dispositif aux périmètres des OSER. Par ailleurs, ce dispositif est très encadré.
L'amendement COM-27 est adopté.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons maintenant trois amendements complémentaires de notre rapporteur Jean-Pierre Moga.
Article additionnel après l'article 13
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - L'amendement COM-37 tend à prévoir l'ajout de deux élus supplémentaires au sein de la commission nationale d'aménagement commercial.
L'amendement COM-37 est adopté et devient article additionnel.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Mon amendement COM-38 vise à permettre aux EPCI de ne pas réviser immédiatement leur schéma de cohérence territoriale - le SCOT - pour se mettre en conformité avec l'obligation d'intégrer au sein du document d'orientation et d'objectifs du SCOT un document d'aménagement artisanal et commercial, le DAAC.
M. Marc Daunis. - Il me paraît difficile de ne pas voter cet amendement, dès lors que le Sénat a adopté à l'unanimité la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, dont François Calvet et moi-même étions les coauteurs. C'est avec enthousiasme qu'il nous faut voter cette disposition tout à fait bénéfique aux élus locaux.
L'amendement COM-38 est adopté.
Article additionnel après l'article 22
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Je propose de rendre le DAAC obligatoire dans les plans locaux d'urbanisme intercommunaux, avec une entrée en vigueur différée semblable à celle qui est prévue dans le précédent amendement.
M. Martial Bourquin. - En dehors des DAAC, il est impossible de créer de nouvelles surfaces commerciales qui permettent pourtant de lutter contre l'artificialisation des terres et de faire en sorte que naissent des zones commerciales à côté des centres villes.
L'amendement COM-39 est adopté et devient article additionnel.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je donne désormais la parole à notre collègue Arnaud Bazin sur les articles délégués au fond à la commission des finances.
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis de la commission des finances. - L'article 3 prévoit l'introduction de taux réduits de TVA pour certains travaux conduits dans le périmètre des OSER. Il étend également à ces territoires l'application du dispositif « Pinel » qui prévoit une réduction d'impôt, sous certaines conditions, aux propriétaires qui investissent dans le logement intermédiaire.
La commission des finances a adopté un amendement visant à supprimer cet article, l'amendement COM-26. En effet, la création de taux réduits de TVA est strictement encadrée par une directive européenne de 2006. Quant au dispositif Pinel, il est efficace pour soutenir l'offre de logement dans les territoires où la demande est forte, mais n'est pas conçu pour les zones où le marché du logement n'est pas tendu. Cette position a déjà été affirmée par la commission des finances à plusieurs reprises, notamment au cours de l'examen de la dernière loi de finances.
L'article 9 créé un crédit d'impôt qui aide les commerçants à se former au numérique, d'une part, et à acquérir des équipements numériques, d'autre part.
La commission des finances a adopté un amendement à cet article, l'amendement COM-28, qui tend à abaisser de 30 000 euros à 5 000 euros le plafond du crédit d'impôt pour équipements numériques. Ce plafond nous paraissait très élevé, puisque le taux d'aide s'élevait à 50 %. Avec un crédit d'impôt de 5 000 euros, le montant dévolu à l'équipement en appareils numériques pourra atteindre 10 000 euros.
L'article 12 comporte des mesures actuellement discutées dans un autre texte, la proposition de loi visant à moderniser la transmission d'entreprise de nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart, qui est inscrite à l'ordre du jour du Sénat demain après-midi.
Par coordination et sans nous prononcer sur le fond, nous proposons la suppression de cet article, puisque son dispositif sera examiné en séance. C'est l'objet de l'amendement COM-29.
L'article 26 introduit une contribution contre l'artificialisation des terres, qui porterait chaque année sur trois types de locaux : des locaux commerciaux d'au moins 400 mètres carrés, des locaux de stockage utilisés pour la livraison de biens commandés par voie électronique, et des surfaces de stationnement annexées ou non aux locaux précédemment mentionnés, d'une superficie d'au moins 200 mètres carrés.
Nous avons adopté deux amendements : le premier tend à supprimer la contribution aux locaux de stockage utilisés pour la livraison de biens commandés par voie électronique, parce que celle-ci est difficilement applicable. Il s'agit de l'amendement COM-30. Nous proposons cependant une solution alternative à l'article 27, car la commission des finances est très favorable à toutes les dispositions qui contribuent à rétablir l'équilibre entre commerce électronique et commerce physique.
Le second amendement, l'amendement COM-31 a pour objet d'éviter certains effets indésirables en relevant les seuils de la contribution, et d'appliquer la contribution aux seules surfaces de stationnement annexées à des locaux, eux-mêmes soumis à la contribution.
L'article tel qu'il a été adopté par notre commission prévoit donc que la contribution s'applique aux commerces d'une superficie supérieure à 2 500 mètres carrés, d'une part, et aux stationnements annexés d'une superficie supérieure à 500 mètres carrés, d'autre part. Il ne faut en effet pas défavoriser brutalement l'emploi commerçant dans les moyennes surfaces.
L'article 27 crée une taxe sur les livraisons liées au commerce électronique. La commission des finances a constaté dans un quasi-consensus que cette taxe était très difficile à mettre en oeuvre, car elle est assise sur le nombre de kilomètres parcourus pour la livraison.
Avec l'amendement COM-32 rectifié, nous avons adopté un dispositif différent, d'ailleurs déjà adopté par le Sénat dans le dernier projet de loi de finances : de même que les commerces traditionnels paient la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, nous proposons de taxer les entreprises du e-commerce à travers leurs locaux de stockage, ainsi que les « drive » qui ne sont que très partiellement taxés aujourd'hui.
La commission des finances n'a pas pour autant exclu d'envisager une taxe sur les livraisons qui soit assise sur un pourcentage de la valeur du bien. Cette piste reste à creuser.
L'article 28 permet aux communes de moduler la TASCOM. Nous l'avons adopté tout en retirant un dispositif qui s'appliquait sur les « drive », par coordination avec l'amendement adopté sur le précédent article. C'est l'objet de l'amendement COM-33.
L'article 29 aménage le régime des SIIC, les sociétés d'investissement immobilier cotées. Nous avons considéré qu'il était très délicat de viser certaines entreprises du secteur de la « pierre papier » sans traiter les autres entreprises de ce secteur soumis à une concurrence et à une forte mobilité des capitaux. L'amendement COM-34 a pour objet de supprimer cet article.
L'article 30 transpose aux périmètres des OSER le régime d'exonération d'impôt qui existe pour les entreprises nouvellement installées dans les zones de revitalisation rurale - les ZRR - ou les zones franches urbaines - les ZFU. Nous avons adopté deux amendements techniques, les amendements COM-35 et COM-36 qui tendent à transposer des dispositifs similaires dans des zones de ce type. D'une part, nous proposons d'éviter l'application de l'exonération à une entreprise qui ferait du « tourisme fiscal ». D'autre part, nous rappelons que ce régime est soumis au règlement européen de minimis, c'est-à-dire qu'une entreprise ne peut pas bénéficier de plus de 200 000 euros d'aides sur trois ans, montant déjà important.
Enfin, l'article 31 prévoit un gage qui n'appelle pas d'observation particulière.
M. Martial Bourquin, coauteur de la proposition de loi. - Les modifications proposées par la commission des finances risquent de faire sensiblement reculer le montant des recettes prévues par ce texte. On pensait en effet dégager 1 milliard d'euros par an pour financer les périmètres des OSER. Il faut maintenir un niveau de ressources élevé si l'on ne veut pas faire de ce texte une pétition de principe.
Prenons l'exemple de la mise en oeuvre de la taxe sur les livraisons pour le commerce électronique : aujourd'hui, La Poste sait parfaitement déterminer le nombre de kilomètres parcourus pour le calcul des taxes en vigueur. Pourquoi les GAFA - Google, Apple, Facebook et Amazon - ne sauraient-ils pas le faire ?
Autre exemple : la contribution pour la lutte contre l'artificialisation des terres. On a fait en sorte de trouver une solution intelligente en taxant les bureaux, comme en région parisienne aujourd'hui. Pourquoi en limiter le dispositif et réduire d'autant les recettes ?
Les questions posées par la commission des finances sont légitimes mais mériteraient, me semble-t-il, d'être davantage creusées. L'enjeu est important : lorsque nous examinerons le projet de loi ELAN, nous aurons tout intérêt à nous appuyer sur cette proposition de loi pour intégrer certaines de ses dispositions dans le texte du Gouvernement. Pour convaincre le ministre et être pris au sérieux, il faut que ce texte reste applicable.
Mme Élisabeth Lamure. - Je suis tout à fait favorable à la taxation des entrepôts de e-commerce, d'autant plus que les recettes perçues permettront d'alimenter les OSER. Ne risque-t-on pas cependant de voir les sociétés du commerce électronique délocaliser leurs entrepôts en-dehors de nos frontières ? Cela priverait certains territoires de nombreux emplois. Par ailleurs, comment faites-vous la différence entre les biens commandés par voie électronique et ceux qui sont commandés de manière traditionnelle ?
Enfin, je trouve que la commission des finances est un peu chiche avec sa proposition de réduire le montant du crédit d'impôt pour les équipements des artisans et commerçants. Le dispositif ne me semble plus du tout incitatif.
Mme Catherine Conconne. - Je tiens à féliciter les auteurs de cette proposition de loi, qui est vitale pour beaucoup de territoires, en particulier pour l'outre-mer. Le texte est bien pensé, précis, cohérent et répond aux réalités de terrain. Il fera taire tous ceux qui colportent la légende selon laquelle le Sénat est un « machin » qui ne sert à rien et qui est complètement « hors sol ».
Concernant la taxation du e-commerce, je précise que les territoires d'outre-mer ne disposent de quasiment aucun entrepôt de stockage. De fait, ces territoires ne pourront pas bénéficier de ressources liées à une pratique commerciale qui nous fait énormément de mal, puisqu'elle a conduit à la fermeture de 50 % des commerces situés dans le centre-ville de Fort-de-France. Je ferai également observer que toutes les marchandises livrées dans nos territoires, lorsque leur valeur n'excède pas 50 euros, ne sont pas taxées, si bien que nos collectivités ne perçoivent rien ! Si je peux comprendre qu'une taxe au kilomètre puisse être prohibitive concernant l'outre-mer, je suis en revanche favorable à une taxe forfaitaire de quelques euros.
Mme Catherine Procaccia. - A-t-on également envisagé de taxer la livraison par drone ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur pour avis de la commission des finances. - Je répondrai à Martial Bourquin que nous avons bien conscience de la nécessité de prévoir des moyens pour être à la mesure de l'ambition de ce plan. C'est pourquoi nous avons cherché à conserver l'essentiel de ce texte, tout en tenant compte des réglementations que notre pays s'est engagé à respecter.
S'agissant de la taxe sur les livraisons, j'ai évoqué la possibilité d'une taxe assise sur un pourcentage de la valeur des biens. On peut également envisager une taxe forfaitaire. D'ici l'examen du texte en séance, nous pourrons certainement avancer sur le sujet et trouver des modalités de taxation pragmatiques. Mais je le répète, la taxation au kilomètre pose un certain nombre de difficultés techniques.
En ce qui concerne la taxe sur les surfaces commerciales, nous avons relevé les seuils d'exonération par cohérence avec le dispositif mis en place en Île-de-France. Ce dernier rapporte aujourd'hui près de 600 millions d'euros par an, rien que pour cette région. D'ici l'examen du texte en séance, la commission des finances tentera de calculer de manière plus fine le rendement que l'on peut espérer de la taxe, telle qu'elle l'a modifiée.
La délocalisation des entrepôts constitue un risque réel. Il faudra expertiser cet aléa en examinant un peu plus précisément leur répartition géographique sur notre territoire.
Nous avons opéré la distinction entre biens commandés par voie électronique et biens commandés de manière traditionnelle pour éviter de taxer les entrepôts de stockage qui travaillent pour les grandes surfaces commerciales. L'objectif poursuivi est tout autant de rééquilibrer l'activité entre la périphérie des villes et les centres villes que d'assurer un meilleur équilibre entre commerce physique et commerce électronique.
Notre collègue Élisabeth Lamure s'est étonnée de la pingrerie de la commission des finances au sujet du crédit d'impôt pour les dépenses des commerçants liées à l'équipement numérique. Pourtant, l'étude d'impact évalue le coût de ce crédit d'impôt à 780 millions d'euros. Il nous semble donc plus raisonnable de l'abaisser à 5 000 euros.
Concernant les biens qui entrent sur notre territoire sans être taxés, il semblerait que l'Europe ait pris récemment conscience de la nécessité de réagir. Notre réflexion doit s'inscrire dans ce cadre européen.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur. - Je tiens à remercier le rapporteur de la commission des finances pour le travail accompli. Je répèterai ce qu'a dit Martial Bourquin : un bon niveau de recettes est nécessaire à l'efficacité du dispositif !
Il faut continuer à travailler sur une taxation du commerce par voie électronique qui soit proportionnée au montant de la marchandise, voire forfaitaire. Il faut faire preuve d'audace et de volontarisme, car cette proposition de loi est le texte le plus cosigné au Sénat depuis près de trente ans, avec plus de 230 coauteurs. Nous avons l'obligation de réussir !
Article 3 (précédemment réservé)
L'amendement COM-26 est adopté et l'article n° 3 est supprimé.
Article 9 (précédemment réservé)
L'amendement COM-28 est adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 12 (précédemment réservé)
L'amendement COM-29 est adopté et l'article 12 est supprimé.
Article 26 (précédemment réservé)
Les amendements COM-30 et COM-31 sont adoptés.
L'article 26 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 27 (précédemment réservé)
L'amendement COM-22 rectifié quater n'est pas adopté.
L'amendement COM-32 rectifié est adopté.
L'article 27 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 28 (précédemment réservé)
L'amendement COM-33 est adopté.
L'article 28 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 29 (précédemment réservé)
L'amendement COM-34 est adopté ; l'amendement COM-23 rectifié quater devient sans objet.
L'article 29 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 30 (précédemment réservé)
Les amendements COM-35 et COM-36 sont adoptés.
L'article 30 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 31 (précédemment réservé)
L'article 31 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Les avis de la commission sur les amendements de commission sont repris dans le tableau ci-après.
Proposition de résolution européenne en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires - Examen des amendements de séance
M. Franck Montaugé, corapporteur. - L'amendement n° 11 a pour objet de rappeler l'importance de tenir compte des attentes sociétales pour l'élaboration de la future politique agricole européenne, la PAC.
Or la Commission européenne a organisé une très large consultation publique à compter de février 2017 en vue de l'élaboration de la nouvelle PAC. Elle en a révélé les conclusions en juillet 2017 et les a prises en compte pour élaborer ses propositions.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - L'amendement n° 4 vise à rappeler que la PAC est une condition essentielle de la souveraineté alimentaire européenne et qu'elle contribue au renforcement de la résilience et de la durabilité de notre agriculture.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - L'amendement n° 6 tend à proposer un rééquilibrage budgétaire en prévoyant une convergence totale des aides, leur plafonnement obligatoire et une meilleure conditionnalité environnementale et sociale.
Les propositions de la Commission européenne vont déjà très loin dans le sens d'un plafonnement des aides, puisqu'un tel plafond serait fixé à 100 000 euros par exploitation pour les aides directes, plafond dégressif à compter d'un seuil de 60 000 euros. Elles prévoient également une plus grande convergence des niveaux de paiement direct entre les États membres. Enfin, la conditionnalité environnementale et sociale est déjà très largement prise en compte à l'heure actuelle par la PAC.
Nous sommes donc défavorables à l'amendement.
M. Marc Daunis. - Nous allons mener un combat, loin d'être gagné, sur les montants versés à la France au titre de la PAC. Tâchons de nous montrer responsables dans nos demandes pour ne pas passer pour de doux utopistes ou de fieffés égoïstes !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - La proposition de résolution prévoit que la PAC dispose a minima d'un budget stable en euros.
L'amendement n° 5 tend a contrario à préciser que les éventuels ajustements budgétaires ne se fassent pas au détriment du deuxième pilier. L'amendement vise à établir un nouveau positionnement du Sénat sur les questions budgétaires, en reconnaissant que celui-ci est prêt à accepter une baisse du budget de la PAC.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - L'alinéa 21 de la proposition de résolution précise que le « règlement Omnibus » n'a constitué qu'une étape dans la voie de la sécurisation des revenus des agriculteurs grâce à une palette plus large d'instruments, notamment assurantiels. Ce règlement a, entre autres, diminué le seuil de déclenchement de l'assurance climatique à 20 % des pertes contre 30 % auparavant. Le subventionnement public pour en couvrir les coûts a été porté à 70 % contre 65% précédemment.
L'amendement a pour objet de dénoncer ce mécanisme, car il reviendrait à financer des assurances privées par de l'argent public. Nous préconisons, quant à nous, la mise à disposition d'une boîte à outils en matière de gestion des risques auxquels les agriculteurs sont confrontés. La notion d'assurance ne doit donc pas être écartée.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - L'amendement n° 2 rectifié quater vise à favoriser le développement des circuits d'approvisionnement de proximité, en appelant à un assouplissement des règles des marchés publics. L'idée est de privilégier les produits locaux, notamment dans la restauration collective.
Le droit européen applicable à la passation des marchés publics dispose qu'il ne peut être fait référence, dans les spécifications techniques d'un marché, à une provenance déterminée qui caractériserait les produits, ce qui aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains produits, et de contrevenir ainsi aux règles du marché intérieur. Certaines dérogations sont néanmoins d'ores et déjà prévues par le droit européen pour favoriser des PME locales, comme les critères environnementaux ou sociaux.
S'il n'entre pas stricto sensu dans la définition de la PAC et des règlements concernés, ce sujet est absolument essentiel et doit être défendu par le Gouvernement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2 rectifié quater.
M. Daniel Gremillet, corapporteur. - L'amendement n° 3 rectifié bis tend à décliner le premier pilier de la PAC dans les régions ultrapériphériques. Cet outil a fait ses preuves en faveur du développement de l'agriculture en outre-mer. C'est pourquoi il faut le conserver et demander la stabilité de sa dotation budgétaire sur la période.
Mme Catherine Conconne. - Je soutiens cet amendement, d'autant plus que l'on annonce la baisse de 5 % du montant des primes d'éloignement du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, le POSEI.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. Daniel Gremillet, corapporteur. - La présente proposition de résolution n'est pas un texte spécifiquement dédié à la reconnaissance d'un droit des peuples à l'alimentation ou d'un nouveau principe juridique en droit international. Il s'agit plutôt d'une proposition opérationnelle strictement centrée sur la politique agricole commune.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
M. Daniel Gremillet, corapporteur. - L'amendement n° 9 vise à supprimer la notion de « recherche de débouchés à l'exportation » et à préciser que la promotion internationale des produits européens ne doit concerner que les produits à forte valeur ajoutée. La proposition de résolution ne saurait opposer les filières et leurs stratégies à l'exportation. Son ambition est de rechercher l'accord le plus unanime possible.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
M. Daniel Gremillet, corapporteur. - Nous demandons le retrait de l'amendement n° 10, car son adoption contredirait la position unanime de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution. À défaut, nous y serions défavorables.
Je rappelle que la proposition de résolution prévoit déjà que la Commission européenne veille au respect de l'égalité des conditions de concurrence sanitaires, environnementales et de production pour les produits importés des pays tiers.
M. Joël Labbé. - Je maintiens mon amendement. Les produits alimentaires devraient être exclus des accords de commerce internationaux.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
M. Daniel Gremillet, corapporteur. - L'amendement n° 12 a pour objet de demander le report du calendrier des négociations en cours sur la PAC à une date postérieure aux élections des représentants du Parlement européen. Voter cet amendement affaiblirait la position française. Nous y sommes défavorables.
M. Marc Daunis. - Je ne suis pas persuadé que les résultats des prochaines élections européennes nous donnent des marges de manoeuvre supplémentaires. Il ne serait donc pas très opportun de voter cet amendement sur un plan strictement tactique.
M. Joël Labbé. - Il faut rester optimiste et faire en sorte que l'Europe avance en dehors des populismes et des nationalismes. À la veille des élections européennes, il faut débattre de cet enjeu crucial qu'est le budget de la PAC.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 12.
M. Roland Courteau. - Messieurs les rapporteurs, pourrait-on m'assurer que la rédaction actuelle de la proposition de résolution satisfait la demande que j'ai formulée en avril dernier devant la commission des affaires européennes ?
À l'époque, j'avais mis en avant l'initiative « 4 pour 1 000 » qui vise à encourager le stockage du carbone dans les sols agricoles et forestiers pour contrebalancer les émissions de CO2 dans l'atmosphère, et fertiliser les sols agricoles dégradés. L'Institut national de la recherche agronomique évalue le potentiel de stockage du carbone dans l'Union européenne à 115 millions de tonnes par an. Rémunérer les agriculteurs à hauteur de 30 euros par tonne de carbone stocké ne représenterait qu'une hausse de 6 % du budget de la PAC, alors même que l'intérêt économique et environnemental de la mesure est primordial.
M. Franck Montaugé, corapporteur. - Tout à fait, l'alinéa 29 de la résolution prévoit la mise en place à l'échelon européen d'une prestation pour service environnemental ou écosystémique qui engloberait votre proposition de séquestration du carbone.
Les avis de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats
Mme Sophie Primas, présidente. - Notre commission des affaires économiques doit désigner deux titulaires pour siéger à la commission supérieure du numérique et des postes. Lors de la réunion de notre commission le mercredi 13 décembre dernier, nous avions proposé la candidature de Mme Patricia Morhet-Richaud et de M. Pierre Louault.
La validation de ces nominations était toutefois suspendue à la discussion engagée avec l'Assemblée nationale sur cet organisme. Je vous propose à présent de confirmer la nomination de Patricia Morhet-Richaud, et de confier le second poste de titulaire à Denise Saint-Pé.
La commission désigne Mmes Patricia Morhet-Richaud et Denise Saint-Pé, en tant que titulaires, au sein de la commission supérieure du numérique et des postes.
Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable - Délégation au fond de l'examen d'articles
Mme Sophie Primas, présidente. - Certains articles du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable relèvent de la compétence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, notamment sur le gaspillage alimentaire.
Nous leur déléguons donc les articles 11 ter, 11 septies B, 11 sexdecies, 12, 12 bis A, 12 bis, 12 ter, 12 quater, 12 quinquies, 15 bis et 16 B.
La réunion est close à 11 h 35.
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous - Audition de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, qui vient nous présenter le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Je tiens à le remercier, car je sais que l'examen de la loi à l'Assemblée nationale, la semaine dernière, a constitué un véritable marathon.
Monsieur le ministre, ce projet de loi se veut être la mise en oeuvre législative de certaines conclusions des états généraux de l'alimentation, qui avaient rassemblé tous les acteurs des filières entre juillet et décembre 2017. Ce temps de réflexion partagée a nourri légitimement de nombreuses espérances chez toutes les parties prenantes. Certaines d'entre elles étaient peut-être contradictoires, ce qui explique probablement l'inflation qu'a connue le projet de loi à l'Assemblée nationale, passant de 17 à 92 articles.
Les grandes lignes du projet de loi nous sont déjà connues et nous attendons surtout cet après-midi des explications sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale. En premier lieu, comment expliquez-vous que le Gouvernement ait permis une telle inflation législative en donnant de nombreux avis favorables à des articles additionnels relevant, le plus souvent, du domaine réglementaire ou n'ayant aucune portée normative, alors même que le projet gouvernemental de révision constitutionnelle entend durcir les conditions de recevabilité des amendements ?
Le projet de loi trace trois axes prioritaires : assurer un meilleur équilibre des relations commerciales entre le producteur, le transformateur et le distributeur, promouvoir des choix alimentaires favorables à la qualité, à la sécurité sanitaire et à la durabilité de la production et - permettez-moi de vous citer, monsieur le ministre, pour ce dernier volet - « réduire la dépendance de l'agriculture aux produits phytosanitaires ».
Je ne puis m'empêcher de vous dire que ce dernier sujet est devenu un « marronnier » de toutes les lois touchant de près ou de loin à l'agriculture et à l'alimentation. Il me semble que la sagesse serait de laisser le temps d'appliquer les lois que nous votons, de les évaluer et de les faire évoluer si besoin est, et enfin d'ancrer la science au coeur de nos réflexions.
Je souhaiterais vous interpeller sur l'un des aspects malheureusement le moins discuté du texte dans la presse mais le plus important, à savoir les propositions du Gouvernement pour assurer une meilleure répartition de la valeur tout au long de la chaîne des produits alimentaires.
Il convient avant tout de dissiper une idée fausse, que vous infléchirez ou non : le producteur ne sera pas rémunéré à son coût de revient après le projet de loi. Ce serait pourtant une bonne nouvelle !
Le texte prévoit l'utilisation d'indicateurs de coût de production, de prix de marché et de qualité dans la construction du prix. Dans la version initiale du projet de loi, ces indicateurs pouvaient être proposés par les parties ou repris parmi les indicateurs diffusés par les interprofessions.
Le fait de laisser les parties construire leurs propres indicateurs sans aucune procédure de validation exposait la partie la plus faible au contrat - le producteur - à se voir imposer un indicateur construit par l'aval.
Le texte a été modifié par les députés en séance publique, malgré votre avis défavorable. Il prévoit que les interprofessions diffusent des indicateurs. À défaut, l'Observatoire de la formation des prix et des marges pourra en proposer ou, éventuellement, valider des indicateurs proposés par d'autres acteurs, dont les parties elles-mêmes. Quelle est la position du Gouvernement sur cette nouvelle modalité ?
En second lieu, je souhaite revenir sur le seuil de revente à perte « SRP + 10 ». Pouvez-vous expliquer devant notre commission en quoi cette mesure va « ruisseler jusqu'aux producteurs » ? Je comprends en quoi elle va améliorer la marge des distributeurs, mais le lien avec le producteur me semble plus questionnable.
Je me permets une deuxième question sur l'équilibre général du texte. La première partie vise à augmenter les revenus des agriculteurs, alors qu'à l'inverse la seconde partie crée de nouvelles charges potentiellement importantes, en instaurant un conseil indépendant de la vente concernant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, à la charge du producteur, ou en interdisant les remises, rabais et ristournes sur la vente de tels produits, les privant d'une démarche collective d'achat contraire à l'esprit de toutes les dernières lois que vous avez vous-même soutenues dans les gouvernements précédents.
Or l'étude d'impact a été jugée insuffisante par le Conseil d'État. Disposez-vous, monsieur le ministre, d'éléments chiffrés sur l'effet de ces mesures sur la consommation de produits phytopharmaceutiques, ainsi que sur les revenus des producteurs ?
Enfin, pour revenir à mon propos introductif, permettez-moi de dire, de façon un peu sévère mais déterminée, que le problème principal traité par ce projet de loi doit demeurer l'amélioration des revenus des agriculteurs et des producteurs. À titre personnel, j'ai été très surprise par la discussion inflationniste permise par l'Assemblée nationale, qui a fait ressembler les débats à des discussions de comptoir, alors qu'il existe de vrais sujets dans votre texte - cadrage coopératif, encadrement des promotions, hausse du SRP, ruissellement des différentes valeurs ajoutées.
Ce sont des sujets sur lesquels nous pouvons discuter, à propos desquels les débats sont importants. Nous pouvons nous y retrouver ou non, mais ces questions doivent être au coeur de notre action. Le Sénat sera très attentif à bien se focaliser sur l'essentiel.
Monsieur le ministre, vous avez la parole, avant que les rapporteurs, Mme Loisier et M. Raison, et M. Médevielle pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que l'ensemble de mes collègues, ne vous interrogent.
M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Merci, madame la présidente.
Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous cet après-midi, avant de nous retrouver, à partir du 25 juin, dans l'hémicycle du Sénat.
Nous avons passé 77 heures à l'Assemblée nationale pour traiter de ce projet de loi. Aujourd'hui, l'Assemblée nationale vous passe le relais pour enrichir un texte clé pour l'agriculture et l'alimentation de notre pays.
Le texte qui vous parvient, vous l'avez rappelé, madame la présidente, est plus long que la version initiale du Gouvernement, des thèmes nouveaux ayant été ajoutés durant la discussion.
Pourtant, il présente toujours les mêmes lignes de force qui sont destinées à répondre aux mêmes défis et aux mêmes exigences qui sont les nôtres, qui ont été identifiés pendant les états généraux de l'alimentation.
L'urgence consiste d'abord à restaurer la capacité des agriculteurs à tirer un revenu décent de leur travail, mais également de répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens en proposant à tous une alimentation saine, sûre et durable.
Ce projet de loi est le premier outil de la feuille de route de la politique de l'alimentation, que nous avons mise en place le 21 décembre dernier, lors de la clôture des états généraux. Il n'est cependant pas le seul, et il importe de jouer de la complémentarité de l'ensemble des outils pour avancer sur les sujets agricoles et alimentaires :
- les plans de filière, qui signent l'engagement fort des acteurs économiques ;
- le programme Ambition Bio 2022, le renforcement de la stratégie relative au bien-être animal, la feuille de route sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides, qui témoignent des dynamiques de transformation qui sont à l'oeuvre ;
- le plan d'action sur la bioéconomie, qui ouvre des pistes de diversification des revenus agricoles ;
- le volet agricole du grand plan d'investissement et le travail sur la fiscalité agricole, que j'ai engagé avec Bruno Le Maire, des parlementaires et des représentants des acteurs de l'agriculture, qui marquent la volonté de l'État d'être présent aux côtés des acteurs pour accompagner les évolutions en cours ou à venir.
Cette liste, bien évidemment, n'est pas exhaustive, mais il me paraissait important de remettre en perspective le travail que nous conduisons. Nous avons besoin d'un cadre légal qui soit clair, facilitateur, et qui laisse chacun des acteurs exercer à la fois ses compétences, mais aussi ses responsabilités.
Il est également nécessaire que les acteurs puissent s'approprier pleinement ce cadre et construire des dynamiques nouvelles. Durant ce mois de juin, les interprofessions seront de nouveau reçues dans mon ministère afin de faire le point sur la mise en oeuvre des plans de filière, qu'il s'agisse du travail sur les indicateurs ou de l'affinement de la concrétisation des engagements sociétaux que les filières ont pris dans leur ensemble, dans un dialogue particulier et singulier avec la société civile.
En abordant la discussion de ce projet de loi, nous devons d'abord penser aux agriculteurs et à tous nos concitoyens, comme nous l'avons fait pendant les états généraux de l'alimentation.
À travers ce projet de loi, je veux défendre une agriculture compétitive, innovante, durable, riche de sa diversité et de ses modèles agricoles. Vous le savez - j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette enceinte -, il ne s'agit pas d'opposer les modèles, mais de faire au contraire en sorte qu'ils soient complémentaires les uns des autres et de créer des ressources suffisantes pour développer nos économies locales, puis gagner sur les marchés nationaux et internationaux.
C'est parce que nous voulons une agriculture prospère, compétitive et durable que notre projet vise à soutenir les agriculteurs, afin qu'ils puissent vivre de leur travail.
Nous pensons aussi à nos concitoyens, qui sont tous attentifs à ce qu'ils mangent. Ils sont également préoccupés par l'alimentation des personnes les moins favorisées, comme en témoigne la générosité de leurs dons aux différentes associations caritatives, mais également soucieux du bien-être animal et vigilants en matière d'enjeux environnementaux.
Le projet de loi qui arrive en discussion devant vous ne consiste donc pas en de simples ajustements techniques, mais appelle à un changement de paradigme. C'est ce qu'attendent le monde agricole et l'ensemble des consommateurs.
Ce texte doit pouvoir redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeurs. Nous partageons tous le même constat : la situation n'a que trop duré. Les agriculteurs subissent de plein fouet une guerre des prix et ne dégagent plus les marges suffisantes pour rémunérer leur travail ou permettre la montée en gamme des productions agroalimentaires.
Cette guerre des prix se nourrit du déséquilibre de l'offre et de la demande, de l'absence d'organisation de production, de la concentration toujours plus forte du secteur de la distribution, mais aussi parfois de la défiance des consommateurs et des injonctions contradictoires qu'ils envoient aux producteurs.
Je ne crois pas que l'on puisse avoir des productions toujours plus saines, plus élaborées, plus durables en ayant des prix toujours plus bas et des promotions toujours plus attrayantes.
Entre 2000 et 2016, le prix du lait payé aux producteurs est passé de 30 centimes d'euros à 32 centimes d'euros par litre, soit deux centimes de plus par litre en seize ans, alors que l'inflation, durant la même période, a été de plus de 27 % et l'accroissement du PIB de 45 %.
Ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour de nombreuses autres productions agricoles, comme la viande bovine, le porc, la volaille et les productions végétales. Il nous faut apporter des réponses à ce sujet, qui est celui de la relance de la création de valeur, pour lutter contre des prix anormalement bas.
Ma priorité, à travers ce texte, est de permettre aux agriculteurs de vendre leurs productions au juste prix, en leur assurant la visibilité indispensable à tout entrepreneur pour penser le temps long et produire ainsi une alimentation de qualité, dans le respect des règles sociales, environnementales et sanitaires renforcées.
Nous devons renforcer les organisations de producteurs pour permettre aux agriculteurs de peser collectivement, en leur offrant la possibilité de définir ensemble le prix de vente de leurs produits.
Sachez que plus de la moitié des éleveurs qui livrent leurs produits aux entreprises privées n'adhèrent pas à une organisation de producteurs ou à une coopérative laitière. C'est également vrai pour le secteur de la viande et des fruits et légumes, qui comptent chacun plus de 250 organisations parmi les 600 qui sont recensées aujourd'hui en France.
Que dit aujourd'hui le projet de loi ? Il comporte deux titres principaux, le premier consacré à une dominante économique et le deuxième à une dominante sociétale. Le premier titre constitue une palette de dispositifs destinés à redonner leur place à tous les maillons de la chaîne agricole et alimentaire : construction du prix à partir de l'amont, clauses de renégociation, lutte contre les prix abusivement bas, contrôles et sanctions, rôle accru de la médiation, renforcement des interprofessions, travail sur le statut et le rôle de la coopération agricole, encadrement des promotions, seuil de revente à perte fixé à 10 %.
C'est un édifice cohérent qui repositionne chacun des acteurs sur ses compétences. Si chacun prend ses responsabilités, comme nous le souhaitons, cette loi sera efficace et opérationnelle. Elle ne laissera place à aucune interprétation en ce qui concerne la répartition de la valeur créée.
Je suis convaincu - et je pense que vous l'êtes aussi - que le premier des défis qui attend nos modèles agricoles est de recréer des marges financières pour offrir à la fois de la visibilité, investir et transformer durablement nos modèles.
Les titres suivants du projet de loi sont à mes yeux aussi importants que le premier, parce qu'ils viennent soutenir la première jambe du texte, la finalité de la production agricole, qui est de fournir une alimentation sûre, saine et durable.
C'est bien plus qu'un besoin élémentaire - et les états généraux l'avaient d'ailleurs souligné : nos concitoyens y accordent un sens presque politique, au sens noble du terme. Comment notre alimentation contribue-t-elle à nous maintenir en bonne santé, comment contribue-t-elle à la protection de notre environnement ?
Le projet de loi traduit la volonté du Gouvernement de porter une politique alimentaire qui favorise les choix qui préservent le capital santé de chacun et le capital environnemental de tous.
En matière de commercialisation de produits phytopharmaceutiques, nous proposons d'interdire les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits. Nous proposons également de séparer les activités de vente et de conseil, mais de sécuriser également le dispositif des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) par voie d'ordonnance pour contribuer à réduire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.
En matière de sécurité sanitaire, nous renforçons les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé et de la protection animale pour accroître l'efficience des contrôles de l'État.
Dans le domaine du bien-être animal, le projet initial du Gouvernement proposait déjà d'étendre le délit de maltraitance animale, ainsi qu'un doublement des peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels.
Nous proposions aussi de donner la possibilité aux associations de protection des animaux de se porter partie civile en cas d'infraction constatée par un contrôle officiel. Ces dispositions ont été complétées par d'autres articles adoptés par l'Assemblée nationale. Ces ajouts vont dans le bon sens pour mieux assurer le bien-être animal. C'est un sujet auquel le Gouvernement est particulièrement attentif.
Le Gouvernement veut faire aussi de la politique de l'alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales. Pour tenter de les réduire, il vous est proposé de faire de la restauration collective un levier d'amélioration de l'alimentation pour tous dès le plus jeune âge.
La restauration collective, vous le savez, c'est 7,3 milliards de repas hors foyer par an. Le projet de loi propose que la restauration collective publique comporte au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, de produits locaux ou sous signe de qualité à compter du 1er janvier 2022.
Enfin, nous proposons de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 ont pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective avec la mise en place d'un diagnostic obligatoire, et d'étendre le don alimentaire à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire.
Voilà dépeint rapidement le panorama global du texte qui vous sera soumis. Je serai bien évidemment totalement à l'écoute des propositions que vous voudrez bien formuler pour améliorer et enrichir le projet.
Nous devons nous inscrire collectivement et résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes, du producteur au consommateur, que l'environnement dans lequel ils évoluent.
Nous devons construire une trajectoire pour tirer notre agriculture vers le haut par l'innovation, l'investissement, la montée en gamme, la confiance. C'est ainsi que nous lui donnerons toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation qui sont, vous le savez, lourds et importants.
Avec le Président de la République et le Premier ministre, nous voulons refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société, pour qu'ils soient à nouveau fiers de leur travail et que la France soit fière de son agriculture.
Je vous remercie de votre attention.
Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux rapporteurs.
M. Michel Raison, rapporteur. - Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les états généraux de l'alimentation n'ont pas été une si mauvaise chose : ils ont permis de faire émerger un certain nombre d'idées.
Je pourrais presque adhérer au discours que le Président de la République a prononcé à l'issue des états généraux si nous n'étions pas en train d'étudier ce texte. Attention à ne pas faire inutilement rêver la population, en particulier les paysans !
Vous avez parlé d'un pacte social et évoqué la fierté des paysans. Il ne faut pas les croire stupides. L'ensemble des Français sont d'ailleurs pratiquement tous issus du monde paysan. Le Président de la République lui-même doit bien avoir un arrière-grand-père paysan ! Les paysans ont beaucoup de bon sens et ne se laisseront pas abuser par de simples mots. Ils regarderont si ce texte peut, dans un premier temps, leur apporter quelque chose.
Vous affirmez que les relations contractuelles entre l'agriculteur et son premier acheteur ont progressé. Il y a eu beaucoup de confusion à l'Assemblée nationale sur la relation entre agriculteur, premier acheteur et distributeur. L'agriculteur, mis à part dans le domaine des fruits et légumes et quelques autres produits spécifiques, a rarement des relations directes avec le distributeur.
Ces relations existaient déjà : vous les inversez. La contractualisation a été créée par la loi de modernisation agricole, puis renforcée par la loi Sapin 2. Elle a besoin de vivre et d'être améliorée. Le contrat doit définir une quantité, une durée et comporter des indices. C'était déjà le cas.
La première modification touche donc l'inversion du contrat : ce n'est plus l'acheteur qui propose le contrat, mais l'agriculteur, et le cas échéant, par le biais de ses organisations de producteurs. C'est une bonne chose, mais il y aura cependant toujours des négociations.
En outre, l'indicateur de prix de revient n'est qu'un indicateur. Je ne vous en fais pas reproche : on ne peut établir un contrat avec un prix fixe, quel que soit le marché. Vous n'avez pas de baguette magique, mais il ne faut pas tenter de faire croire qu'il en existe une ! Or ce texte essaie de nous convaincre du contraire en laissant penser que l'agriculteur peut percevoir le prix réel de son travail.
Je distingue bien la notion de prix du produit du revenu agricole. C'est une notion qu'il convient de ne pas mélanger. Le prix du produit est une composante du revenu agricole, avec les primes de la politique agricole commune et autres, et les charges. Tout cela n'est pas abordé. Il s'agit d'un texte très restrictif, qui traite uniquement de la relation contractuelle entre l'agriculteur et l'acheteur.
S'agissant des indicateurs, comment va-t-on réussir à établir un indicateur national concernant le lait, par exemple ? Les contrats ont surtout été établis après la suppression des quotas laitiers, pour calmer les inquiétudes relatives au ramassage quotidien, mais ils sont également obligatoires pour les fruits et légumes, etc.
De quoi ce nouvel indicateur va-t-il pouvoir être constitué ? J'émets une réserve - il n'est d'ailleurs pas interdit que je dépose des amendements à ce sujet - sur le fait que l'on puisse donner son prix de revient à son acheteur. Ceux qui ont déjà fait du commerce le savent, c'est dangereux ! Lorsque le cours est très bas, cela peut éventuellement être utile, mais qu'en sera-t-il le jour où le cours sera haut ? En ce moment, c'est plutôt le cas. On a une vision positive de l'année à venir, mais on ne sait pas ce qui se passera en 2020. Le cours peut baisser au fur et à mesure qu'on se rapproche des élections...
L'acheteur final, en aval, observera le prix de revient. Lorsque celui-ci sera par exemple à 350 euros la tonne, que le cours sera bon et que le transformateur sera capable de payer 400 euros la tonne, Leclerc - qui est souvent à l'origine d'un certain nombre de dégâts - refusera de payer le fromage au prix qui lui est demandé, en arguant du fait que le paysan a assez de 350 euros la tonne. C'est dangereux, car cela peut ne jouer que dans un sens.
Ma deuxième question est liée aux pratiques restrictives de concurrence. Dans ce domaine, le texte revêt pour moi des aspects positifs. Tout le monde ne le comprend pas forcément de la même façon, et nous avons eu des discussions entre nous à ce sujet. Cela comprend le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions. On ne peut, selon moi, être contre le relèvement d'un seuil de revente à perte, même sans entretenir trop de rêves.
Je rappelle que la vente à perte, c'est-à-dire la vente à prix coûtant d'un produit, se fait ponctuellement sur certains produits, mais pas sur tous les produits. Un distributeur ne peut vendre à prix coûtant en permanence. Il a en gros 30 % de charges. En moyenne, il couvre ses charges, sans quoi il aurait déjà déposé le bilan.
Par ailleurs, je ne suis pas systématiquement contre l'idée d'ordonnance, comme pour la loi « travail », afin d'aller vite et d'éviter les discussions inutiles, mais ici, pourquoi souhaitez-vous y recourir puisqu'on est à peu près tous d'accord ? J'attends vos explications à ce sujet.
Pour ce qui est de l'encadrement des promotions, c'est un peu plus complexe : comment l'imaginez-vous ? Cela concernera-t-il l'ensemble des denrées alimentaires ou cela se fera-t-il en fonction de leur nature ? Pour un gros fournisseur, s'agit-il du chiffre d'affaires moyen ou produit par produit ?
Enfin, concernant la délocalisation des négociations avec les fournisseurs, on ne peut pas laisser se développer l'escroquerie.
Depuis l'après-guerre, la population parvient à se nourrir à un prix raisonnable, avec des produits de meilleure qualité. On parle d'alimentation saine : cela signifie-t-il qu'elle ne l'était pas auparavant ? Cela chagrine les paysans. On peut toujours trouver quelques problèmes ça ou là, comme dans toute activité, mais je puis vous assurer que, depuis l'après-guerre, les paysans sont montés en gamme en permanence, sans forcément en percevoir les dividendes. Leurs produits, tant sur le plan sanitaire, qualitatif que gustatif, même si des erreurs ont été commises pour certaines variétés de fruits, se sont améliorés peu à peu. Énormément de maladies ont été éradiquées. Les Français ne se souviennent plus de tout cela ! Ils s'en moquent ! Il n'y a plus de brucellose, de fièvre vitulaire, plus de tuberculose ou très peu, d'ergot du blé, de fusariose, et on est en train de leur dire qu'ils n'ont pas bien travaillé, qu'ils n'ont pas produit une nourriture saine et que, passant de l'« ancien monde » au « nouveau monde », ils vont maintenant enfin pouvoir le faire !
Selon les scientifiques, la durée de vie a fortement augmenté depuis l'après-guerre. Il est préférable de travailler sur la base d'études scientifiques plutôt qu'à partir de slogans d'associations parfois voisines de sectes. Si l'hygiène et la médecine ont certes connu des progrès, c'est avant tout la qualité de l'alimentation et l'assurance de pouvoir se nourrir correctement, à des prix très bas, qui ont permis cette augmentation de la durée de vie !
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - Vous l'avez dit, monsieur le ministre, le titre II a vocation à servir le titre premier concernant le juste revenu des agriculteurs, en même temps que l'ambition d'une alimentation sûre, saine et durable.
J'articulerai mes deux questions autour de ces objets de la loi, qui me semblent importants. Il ne faudrait pas en effet que le titre II vienne défaire ce que le titre premier aurait pu réussir à améliorer.
Comment être sûr que l'article 14, qui préconise l'interdiction des ristournes, des rabais et des remises, et l'article 15, qui porte sur la séparation entre conseil et vente, ne se traduisent pas pour les agriculteurs par une charge supplémentaire contraire à l'objectif de la loi ?
L'articulation avec le dispositif de CEPP peut également poser problème puisque ces acteurs pourraient, après la séparation, avoir du mal à remplir leurs obligations. Quelles mesures envisagez-vous dans les ordonnances qui sont prévues pour pallier ces difficultés ?
Ma deuxième question concerne l'approvisionnement en matière de restauration collective. Nous partageons avec vous l'ambition d'améliorer la qualité des repas et de promouvoir en particulier les produits locaux auxquels nous tenons tous, même si la commande publique va nous obliger à être assez créatifs en la matière. Toutefois, pour atteindre les objectifs ambitieux prévus par le texte, il sera à notre sens impératif d'accompagner les acteurs publics et surtout d'aider à la structuration de la filière pour que cela ne se traduise pas par une explosion des importations de produits bio.
Quels outils concrets comptez-vous mettre en oeuvre pour structurer l'offre nationale et permettre à nos produits locaux nationaux d'alimenter la restauration collective au niveau de la gamme et de la qualité attendues ? Je suis convaincue que les plans alimentaires territoriaux sont de véritables outils qu'il va nous falloir renforcer, mais ces projets ne décolleront que s'ils sont accompagnés financièrement.
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Monsieur le ministre, je partage bien entendu les mêmes inquiétudes que mes deux collègues : notre agriculture perd des places sur le podium européen. Les agriculteurs sont depuis longtemps habitués au régime de la douche froide. Ce texte va globalement dans le bon sens, mais si l'on ne veut pas qu'il demeure un recueil de voeux pieux, il faudra l'accompagner de mesures fortes, avec un engagement de l'État et des collectivités.
L'article 11 apparaît ambitieux : 50 % de produits qualité, dont 20 % issus du bio. Cela semble difficilement réalisable, mais cela va dans le bon sens. Il faut donc tenir le cap, même si l'on n'est pas sûr d'y parvenir. Cela permettra d'accompagner la transition de certains agriculteurs vers le bio et d'augmenter la surface agricole utile. Si l'on arrive à 15 %, ce sera très bien.
Nous soutiendrons donc cet article, même si l'on souhaite qu'il soit accompagné de mesures fortes et d'engagements financiers, car on a beau le tourner dans tous les sens, il y aura un surcoût pour les gestionnaires de restaurants. En moyenne, un produit végétal bio représente 25 % de plus. Pour un produit carné, on arrive à 50 %. On peut tabler sur une augmentation de 30 % des approvisionnements, même si, avec le gaspillage, on arrive à corriger ces effets.
Un autre point nous a heurtés. Vous avez l'intention de créer dès cet été une nouvelle structure, le Conseil national de la restauration collective. Or le projet de loi est silencieux sur ce point important, ce que nous déplorons.
Pouvez-vous nous indiquer tout d'abord, pourquoi il ne figure pas dans le texte, ce qui aurait permis à la représentation nationale d'en débattre ? Qu'en sera-t-il de cette nouvelle structure ? A-t-elle vocation à remplacer le Conseil national de l'alimentation ? Quelle sera sa composition ? Les élus locaux et les associations y auront-ils leur place ?
Sur les phytosanitaires, l'objectif de diminution fonctionne bien. Des progrès ont été réalisés, avec des pistes intéressantes à propos de certains épandeurs intelligents, équipés de microcaméras, de meilleurs conseils pratiques, un guide pratique des bons usages. Je crois que ceci va dans le bon sens.
Attention toutefois, dans l'euphorie, à ne pas chercher à arriver à zéro produit phytosanitaire, comme on l'a fait pour les communes. Il y a une grande différence entre les communes et l'agriculture intensive. Il est nécessaire - et nous en parlions hier avec l'ANSES - de conserver une pharmacopée suffisante. Il y aura toujours des maladies fongiques, bactériennes, des insectes : ne nous démunissons pas trop et gardons quelques armes, qui sont indispensables !
S'agissant de l'article 15 et de la moralisation des pratiques commerciales, j'ai un peu de mal à comprendre. Je suis d'accord avec le système des ordonnances pour séparer les activités de vente et de conseil, encadrer ou supprimer les remises, les ristournes, les rabais. Ce qui me gêne, c'est que cela risque de retomber comme toujours sur les agriculteurs, sur qui les remises étaient répercutées. Cela représente pour eux un surcoût.
Par ailleurs, qui va exercer les activités de conseil ? Selon le directeur général de l'alimentation, les agriculteurs devront en financer environ 400 millions d'euros. On ne sait qui seront ces conseillers ni la formation qu'ils recevront.
Par ailleurs, ils ne disposent pas d'une structure comme la Haute autorité de santé qui pourrait leur délivrer des informations. Ils devront peut-être solliciter les laboratoires pour ce faire. Où place-t-on le curseur entre information et publicité ? Cela me paraît assez flou et dangereux pour les agriculteurs.
Nous aimerions obtenir davantage de précisions sur ce système, dont ne voit pas très bien comment il va se mettre en place.
Mme Nicole Bonnefoy. - Monsieur le ministre, en 2012, une mission d'information sénatoriale, dont Sophie Primas était la présidente et dont j'étais rapporteure, concernant les produits phytosanitaires, faisait le constat que les risques phytosanitaires étaient sous-évalués.
Ceci a été largement confirmé par l'INSERM en 2013, puis par l'ANSES en 2016, et plus récemment par l'IGAS, en janvier dernier, trois corps d'inspection d'État, dont le vôtre, monsieur le ministre, affirmant que « le degré de certitude d'ores et déjà acquis sur les effets des produits phytopharmaceutiques commande de prendre des mesures fortes et rapides, sauf à engager la responsabilité des pouvoirs publics ».
C'est en ce sens que le Sénat a examiné une proposition de loi visant à créer un fonds d'indemnisation pour les victimes des produits phytosanitaires. Nous l'avons adopté le 1er février dernier. Il facilite le parcours de reconnaissance des malades, qui est aujourd'hui un parcours du combattant, permet la réparation intégrale, aujourd'hui seulement forfaitaire, et qui responsabilise les firmes puisqu'elles participent financièrement.
Ce fonds d'indemnisation a été proposé par voie d'amendement à la loi agricole à l'Assemblée nationale, mais a subi un sort moins glorieux qu'au Sénat.
Je me fais donc ici le relais des associations de malades, comme Phyto-Victimes, qui se bat au quotidien, et qui en vient à se demander si la santé des animaux n'est pas mieux considérée que celle des agriculteurs.
Ma question est simple : serez-vous plus ouvert au Sénat que vous ne l'avez été à l'Assemblée nationale, ou allez-vous continuer à vous retrancher derrière le fait qu'il est urgent d'attendre, au motif qu'il faut encore engager des études, alors qu'il en existe déjà pléthore ? Vous avez dit à l'Assemblée - et cela m'a choquée - que l'inversion de la charge de la preuve vous posait problème. Je crains que la preuve soit difficile à établir pour le malade. Je pense à Paul François qui, seul, depuis dix ans, alors qu'il a été empoisonné de façon aiguë par le Lasso, aujourd'hui interdit, se bat pour faire reconnaître le préjudice qu'il a subi, ou à ceux pour qui la présomption de causalité est forte mais qui n'arrivent pas à obtenir la composition intégrale du produit parce qu'on leur oppose le secret industriel. Le fonds d'indemnisation est là pour régler ces problèmes !
J'espère que vous y serez ouvert...
Mme Cécile Cukierman. - Monsieur le ministre, vous avez conclu vos propos en parlant d'un nouveau pacte social et de confiance. Nous aurons bien évidemment le débat en séance mais, en l'état, le texte tel qu'il sort de l'Assemblée nationale est très en retrait par rapport aux attentes de l'ensemble du monde agricole dans sa diversité, et même par rapport aux annonces et aux espoirs qui ont été suscités par le discours du Président de la République à Rungis, à l'issue des états généraux de l'alimentation.
Pour ce qui est des indicateurs, au vu des premières interventions, nous aurons un débat en séance. S'il n'existe pas de baguette magique, la puissance publique doit être garante de la contractualisation. Même s'il y a une volonté d'inverser la tendance, les rapports de force, parfois déguisés, risquent de perdurer.
Je regrette que les pouvoirs publics ne soient pas suffisamment présents sur la question de la garantie du respect des indicateurs.
Enfin, la problématique foncière est absente de ce texte, alors que c'est un enjeu important pour l'installation de nombreux jeunes agriculteurs, notamment en matière d'endettement.
Par ailleurs, un certain nombre de pratiques agricoles sont liées aux problématiques du prix et de l'endettement, et poussent un certain nombre de nos agriculteurs à des pratiques intensives peu respectueuses de l'environnement. On peut regretter que ce sujet ne soit pas traité dans le texte.
Mme Patricia Morhet-Richaud. - Monsieur le ministre, au risque d'être redondante, je voudrais vous interroger sur quelques points.
Si certaines mesures contenues dans le projet de loi sont porteuses d'espoirs, nos agriculteurs attendent une politique agricole pragmatique qui corresponde à leurs besoins et qui ne se limite pas aux seules relations commerciales.
Nos agricultrices et nos agriculteurs souffrent, vous le savez. Ils attendent des propositions concrètes en matière de compétitivité, de simplification administrative, de coût du travail, de revalorisation des retraites, ou encore de soutien à l'exportation et de protection des terres agricoles.
Croyez-vous sincèrement que ce texte offre une véritable solution à ce secteur économique en souffrance ?
S'agissant des produits phytosanitaires, existe-t-il une alternative au glyphosate ? Une des pistes avancées est la mécanisation. Or cette pratique entraînera un surcoût de production. Comment l'agriculture française pourra-t-elle dans ce cas être compétitive ? Où en est la recherche à ce sujet ?
Enfin, alors que le pastoralisme est synonyme d'élevage extensif, le plan national d'action 2018-2023 relatif au loup et aux activités d'élevage prévoit des mesures de protection des troupeaux de plus en plus restrictives. Dans ce contexte, pensez-vous que ce mode d'élevage ait encore de l'avenir en France, notamment dans les Alpes du sud ?
Mme Nadia Sollogoub. - Monsieur le ministre, quelle place les acteurs de la prévention dans le milieu agricole trouveront-ils dans ce texte ? Si l'on a aujourd'hui des filières d'excellence dans notre agriculture, c'est parce que certains ont travaillé à la prévention des épizooties et des épidémies.
Par ailleurs, les vétérinaires, que nous respectons beaucoup dans cette maison, et que le milieu agricole respecte également, sont des acteurs très importants de nos territoires, en particuliers ruraux.
J'attire votre attention une fois de plus sur la situation des vétérinaires sanitaires. Au cours des années 1955 à 1990, le cheptel français était menacé par des épidémies. C'est parce que l'État s'est appuyé sur les vétérinaires, leur a confié des missions de vaccination de masse et de prophylaxie que le cheptel a pu être protégé.
Or l'État a oublié de cotiser pour leurs retraites. L'erreur a été reconnue tardivement, l'État a été condamné à la réparer, et environ un millier de vétérinaires ont été indemnisés. On oppose aux 600 derniers une clause de prescription qui nous semble particulièrement injuste.
Les vétérinaires, en milieu rural, sont soit au « cul des vaches », soit sur les routes, soit en train d'accomplir des missions concrètes. Ce ne sont pas des professions habituées à remplir des dossiers d'indemnisation. Nous demanderons donc, à travers des amendements, réparation de cette situation que vous aurez, j'en suis certaine, à coeur d'étudier avec bienveillance.
M. Jean-Marie Janssens. - Monsieur le ministre, les restaurateurs auront l'obligation de proposer des doggy bags à leurs clients qui en feront la demande à partir du 1er juillet 2021. Je ne peux que me féliciter de la proposition du Gouvernement de réduire le gaspillage alimentaire, véritable enjeu de société. Toutefois, nous ne pouvons ignorer les contraintes et les coûts que cette mesure va engendrer pour les restaurateurs. À cela s'ajoute l'impact écologique que représentent les doggy bags, nouvelle source de déchets.
Enfin et surtout, je m'inquiète de la surabondance de normes qui freine l'activité économique au lieu de la stimuler. Une incitation en remplacement d'une obligation ne serait-elle pas plus pertinente ?
Ma seconde question porte sur l'obligation d'un minimum de 50 % de produits agricoles locaux dans la restauration collective publique à l'horizon 2022. Ce surcoût de 90 euros par élève est à la charge des familles, ce qui risque d'entraîner des difficultés financières pour les plus modestes. Comment envisager que ce surcoût puisse être pris en charge par les communes, les départements ou les régions, alors que les dotations de l'État s'affaiblissent ? Quelles solutions viables de financement proposez-vous ?
M. Henri Cabanel. - Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas parler d'avenir de l'agriculture sans aborder la question centrale du foncier. Sans terre agricole, il n'y a pas d'agriculteur ni d'agriculture ! Cette dimension aurait dû être au coeur de votre projet de loi. À l'Assemblée nationale, vous avez renvoyé toutes ces questions à une future loi traitant de ce sujet. Nous en prenons acte. Permettez-moi de vous dire qu'il faudra prendre le temps nécessaire pour traiter ce sujet éminemment important.
Toutefois, le présent projet aurait pu permettre de faire adopter des mesures d'urgence, cette loi devant n'entrer en vigueur que dans un ou deux ans, voire trois.
Il s'agirait par exemple de mettre fin le plus rapidement possible à toute tentative d'accaparement de terres agricoles pour des motifs qui reviendraient à remettre en cause notre modèle agricole, voire notre souveraineté nationale.
Les députés de la Nouvelle Gauche, à l'Assemblée nationale, ont déposé un amendement permettant d'introduire un veto ou un système d'autorisation préalable pour les investissements étrangers dans le secteur agricole. Il s'agissait d'étendre le décret Montebourg audit secteur. Vous avez refusé cet amendement sans apporter davantage de précision. Pouvez-vous nous indiquer les raisons de votre choix ?
M. Jean-Claude Tissot. - Tout le monde a adhéré aux états généraux de l'alimentation et au discours de Rungis, que les syndicats avaient même trouvé bon.
Au lendemain de la discussion du texte à l'Assemblée nationale, on se rend compte que les objectifs ne sont pas atteints.
On peut déplorer que la réflexion n'ait pas été globale. On a trop ciblé, à mon sens, des questions et des réponses. Aujourd'hui, quoi qu'on dise, on ne peut plus parler d'agriculture sans parler d'environnement ou de santé.
Ne stigmatisons pas le producteur. On l'a trop mis en avant. Aujourd'hui, on ne sait pas fabriquer un prix avec les outils dont on dispose. Prenons les saisonnalités : j'ai été longtemps producteur d'agneaux. Je les vendais mieux à Pâques qu'en juin. Quel prix de revient retenir ? Comment va-t-on l'écrire dans la loi ?
Nous sommes dans le viseur de la société. Fin juin, on saura quelle orientation le Gouvernement aura voulu donner à cette loi. On parlera bien sûr d'environnement, de bien-être animal, d'agriculture, de foncier - c'est indispensable -, mais j'ai peur qu'on n'ait pas de réponse claire.
Êtes-vous donc prêt, monsieur le ministre, à modifier votre texte en conséquence au lendemain du passage au Sénat ?
M. Laurent Duplomb. - Monsieur le ministre, c'est l'agriculteur qui parle ici, car j'ai conservé mon activité d'élevage.
Quel gâchis ! Nous sommes tous d'accord avec le fait que l'agriculture est en crise économique, sociale et morale. Personne n'en a véritablement parlé, mais la France n'a plus aucune croissance positive en agriculture. Le montant des exportations plafonne à 58 milliards d'euros là où l'Allemagne se situe à 72 milliards d'euros, et les Pays-Bas à 80 milliards d'euros.
Nous sommes stables en matière de productions céréalière et porcine mais, alors qu'on exportait autrefois nos produits vers l'Allemagne, c'est aujourd'hui l'Allemagne qui exporte ses produits chez nous. La production laitière est stable. Depuis que les quotas ont été supprimés, la production de lait en Europe a augmenté de 13 milliards de litres. En France, pas un litre de plus !
Tout ceci a conduit à une augmentation incessante de nos importations. En restauration collective, 85 % des poulets sont importés et 70 % de la viande de boeuf l'est également. Il me semble qu'au vu de cette situation, on aurait besoin d'une vraie loi agricole, une loi qui offre un avenir à nos agriculteurs, qui les rende fiers de continuer à faire leur métier. Or c'est exactement le contraire ! L'article 1er va régler à la marge quelques points qui ne changeront rien à la problématique de la productivité de l'agriculture et de la rémunération.
On a assisté à 72 heures de défouloir à l'Assemblée nationale autour du principe du bien-être animal et des phytosanitaires. Les agriculteurs ont été choqués par les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle. Un agriculteur n'achète pas des produits phytosanitaires pour faire plaisir aux lobbys, mais parce qu'il en a besoin pour protéger ses cultures.
Comment redonner du sens à la politique agricole française alors qu'on crucifie le modèle hexagonal, qu'on accepte des accords avec le Mercosur et qu'on vote une loi qui ne fait que mettre en avant nos défauts dans ce secteur, sans jamais parler de nos qualités ?
Mme Élisabeth Lamure. - Monsieur le ministre, dans le texte sorti de l'Assemblée nationale est apparu un nouveau titre II bis « mesures de simplification dans le domaine agricole ». A priori, c'est une très bonne chose. À la lecture, c'est plutôt décevant, et je crains qu'il ne s'agisse davantage de « mesurettes » que de mesures fortes.
Pouvez-vous dire quelles sont les simplifications que présente ce texte ? En contrepartie, de nouvelles obligations et de nouvelles règles vont peser sur les agriculteurs.
Vous avez évoqué la fiscalité agricole dans votre propos liminaire, et plus particulièrement la transmission des exploitations. Nous allons débattre demain d'un texte sur la transmission des entreprises. C'est tout aussi important dans le domaine agricole. Est-ce un point que vous pourriez aborder dans ce texte ou le sujet sera-t-il reporté ? J'ai cru comprendre que vous étiez en discussion avec d'autres acteurs à ce sujet.
M. Roland Courteau. - Monsieur le ministre, un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale visant à renforcer l'étiquetage du pays d'origine sur les bouteilles de vin. Il s'agit d'éviter que le consommateur soit induit en erreur en cas d'omission de cette mention. Les cas sont innombrables. Pourquoi vous êtes-vous opposé à cet amendement qui vise à éviter les tromperies et à assurer plus de transparence ?
Concernant le bien-être animal, loin de moi l'idée de faire un procès général à nos abattoirs, mais force est de constater que certains ont des comportements inacceptables, voire barbares, et des pratiques d'abattage indignes. Pourquoi se contenter de vidéosurveillances basées sur le volontariat, comme le suggère l'Assemblée nationale ? Seriez-vous d'accord pour rendre cette vidéosurveillance obligatoire ?
Par ailleurs, la lutte contre le gaspillage alimentaire est une question de première importance. Romain Rolland disait que tout passe par les bancs de l'école. C'est assurément le cas de la valeur de l'alimentation, notamment économique et marchande, mais aussi culturelle et patrimoniale. Accepteriez-vous des amendements intégrant la lutte contre le gaspillage alimentaire au parcours scolaire ?
Enfin, concernant le glyphosate et son interdiction en 2021, pourquoi refuser d'inscrire cet engagement du Président de la République dans la loi ?
M. Jean-Pierre Decool. - Monsieur le ministre, le premier volet du projet de loi procède à une inversion de la construction des prix. Je m'interroge sur les modalités pratiques de ce nouveau mécanisme. À quelles échelles géographiques seront déterminés les cours de production sur lesquels se basera dorénavant le prix de produits ?
Le diable étant dans les détails, je vous propose un exemple très pragmatique... On sait qu'un élevage de 150 vaches laitières en plaine et un élevage de 50 vaches laitières en montagne ont des coûts de production radicalement différents.
Votre référence en termes de coût de production sera-t-elle basée sur une moyenne régionale ou nationale, une moyenne par taille d'exploitation ou par filière ? Comment allez-vous vous assurer que les prix fixés reflètent les coûts de production de façon équitable ?
Mme Françoise Férat. - Monsieur le ministre, je ne sais si je suis accablée, triste ou les deux à la fois. Je ne rencontre pas les agriculteurs par hasard au cours de mes déplacements : je les côtoie au quotidien.
Je mesure parfaitement la situation de chacun, mais je sais que tout le monde essaie malgré tout d'être force de propositions. J'en veux pour preuve le contrat de solutions qui vous a été soumis, monsieur le ministre. Que veulent nos agriculteurs ? Tout simplement vivre dignement de leur travail ! C'est ce qui nous préoccupe ici.
Le projet de loi a pour objectif initial d'améliorer le revenu des agriculteurs, notamment par la prise en compte du coût de production dans la fixation des prix de vente. De multiples réunions ont rassemblé nombre de participants et ont donné lieu à des milliers de contributions. Pour reprendre ce que disait mon collègue, c'est à mon sens un immense gâchis. Tout ceci pour en arriver là !
Que constate-t-on ? Le texte s'oriente vers toujours plus de contraintes pour les agriculteurs - séparation de la vente et du conseil phytosanitaire, fin des rabais, ristournes et remises, augmentation de la redevance relative à la population, suppression du CICE sans compensation. Vous tentez, cet après-midi, de nous faire partager votre satisfaction. Pardonnez-moi, je ne suis pas complètement convaincue ! Vous allez probablement vous féliciter des avancées qui ont été réalisées. Je ne les nie pas, mais le compte n'y est pas.
La souffrance des agriculteurs est immense, monsieur le ministre, et ce texte, avait suscité bien des espoirs, ainsi que j'ai pu le mesurer dans mon département. Malheureusement, je crains que la déception ne soit encore plus grande !
M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre, je ne veux pas empiéter sur les débats qui auront lieu dans l'hémicycle.
Beaucoup de questions ont été traitées et l'on reparlera plus tard de sécurité alimentaire, des surfaces agricoles qui diminuent, de la responsabilisation des grands distributeurs et des quatre centrales d'achats.
Vous avez évoqué le nouveau pacte social - je ne reviens pas sur la question du revenu agricole, au sujet de laquelle je partage les interventions précédentes. Je pense qu'il faut que l'on prenne garde aux mots, car les attentes sont fortes. Nous ne nions pas qu'il existe des avancées, mais on voit mal comment ce texte va améliorer le revenu des paysans, d'autant que votre Gouvernement vient de refuser il y a quelques semaines l'augmentation des retraites agricoles, pourtant adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale ! Pensez-vous vraiment que votre texte réponde aux attentes ?
Par ailleurs, votre légitime ambition apparaît contradictoire avec les traités de libre-échange, comme le CETA, en particulier en matière de souveraineté alimentaire de l'Union européenne et de la France.
M. Guillaume Gontard. - Monsieur le ministre, on peut difficilement parler du projet de loi débattu à l'Assemblée nationale sans aborder en parallèle la renégociation de la PAC 2021-2027. Cette politique agricole qui renvoie à chaque État la responsabilité de l'orientation et disloque le modèle agricole européen n'a plus rien de commune !
Êtes-vous en phase avec ce qu'a déclaré Nicolas Hulot au Sénat dernièrement : « La PAC ne peut plus être centrée uniquement sur les rendements. La course au toujours plus détruit en effet les fondements mêmes de l'agriculture, c'est-à-dire les sols et la biodiversité, ainsi que l'eau. Les aides doivent être centrées sur ce nouveau modèle, à la fois plus protecteur pour la planète et les consommateurs, et plus rémunérateur pour les agriculteurs. »
Partagez-vous les orientations du ministre de l'environnement ?
Comme vient de le dire Fabien Gay, ce projet de loi apparaît en totale contradiction avec les textes sur le CETA et le Mercosur. Quelle suite allez-vous donner à ces deux traités, qui ne manqueront pas d'avoir des conséquences sur le secteur agricole en termes de distorsions de concurrence ?
M. Daniel Laurent. - Monsieur le ministre, comme tous mes collègues, je suis très inquiet pour le monde agricole. Je voudrais que vous nous entendiez, nous, sénateurs des territoires, parlant au nom des agriculteurs, que nous côtoyons tous les jours.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'une partie de certaines régions viticoles ont été récemment sinistrées par la grêle - 20 000 hectares en Aquitaine ou en Champagne, dans le Lubéron et à travers toute la France.
En février dernier, ainsi que la semaine dernière, je vous ai déjà posé une question à ce sujet pour qu'on revoie la fiscalité agricole, qui constitue un sujet urgent. Il conviendrait aussi d'étudier la création d'une réserve de gestion des risques sur tous les territoires, indispensable pour préserver la viticulture.
Par ailleurs, pouvez-vous m'apporter des précisions concernant le « cagnottage » ? Vous avez indiqué que le code rural et la pêche maritime protègent déjà les produits bénéficiant d'une AOC ou d'une IGP contre les pratiques de détournement. Le champ des ordonnances prévues à l'article 9 devrait inclure cette problématique. Quelle assurance pouvez-vous apporter à la profession sur cette question ?
Enfin, je rappelle que l'activité de saliculture constitue bien une activité agricole, mais qu'elle n'est toujours pas reconnue en tant que telle. Vous m'aviez assuré que vous y porteriez une attention toute particulière. J'espère que ce sera le cas prochainement.
M. Daniel Gremillet. - Monsieur le ministre, je rejoins les propos de notre rapporteur, qui vous a invité à être prudent : n'oublions pas d'où l'on vient ! Cela fait 61 ans que le traité de Rome a été signé. Il y a 61 ans, la France avait faim. L'Europe des Six avait faim. Les paysans et les territoires français ont nourri le peuple européen et le peuple français.
L'espérance de vie a augmenté de manière extraordinaire. Prenons garde de ne pas faire injure au travail des femmes et des hommes des générations précédentes. J'ai horreur du mot « durable » : le durable existait avant nous ! On ne travaille qu'en fonction du savoir du moment.
Monsieur le ministre, quelle est votre ambition pour les agriculteurs et pour l'agriculture française ? C'est là la véritable question ! Vous prétendez vouloir assurer le revenu des agriculteurs français. Comment allez-vous vous y prendre ?
En tant que ministre, vous défendez les agriculteurs français face aux autres membres de l'Union européenne. Or le Sénat a voté une résolution favorable aux échanges internationaux à condition que chacun soit soumis aux mêmes contraintes. Comment allez-vous faire, avec ce qui est inscrit dans le projet de loi, pour ne pas mentir aux agriculteurs et aux consommateurs français ?
Mme Angèle Préville. - Monsieur le ministre, je voudrais évoquer le gel du vignoble de Cahors l'année dernière, qui a mis en danger les viticulteurs du Lot. Ces phénomènes sont de plus en plus nombreux. Peut-être faudra-t-il envisager de les prendre en compte et changer les modes actuels d'indemnisation des viticulteurs.
Par ailleurs, je salue votre engagement en faveur de 50 % de produits bio et des circuits courts dans la restauration collective. C'est vertueux. Lorsque j'étais élue départementale, le collège de mon secteur y est passé en deux ans. Grâce à un principal de bonne volonté et à des réunions pour que tout le monde se rencontre, on a atteint 40 % en deux dans. Il est donc possible d'y arriver. C'est mieux pour tout le monde. Les enfants mangent mieux, et les producteurs peuvent trouver des débouchés par le biais de la contractualisation. Il n'y a là que du positif.
Enfin, l'article 11 ter vise à interdire dans les cantines les contenants plastiques, qui constituent des perturbateurs endocriniens. C'est une très bonne chose ! Des chercheurs américains ont mis en évidence le fait que les cellules cancéreuses cultivées dans des tubes à essai en plastique se développent plus vite que dans des tubes en verre. Il n'y a rien de plus à ajouter !
Je rappelle que les matières plastiques ont également un impact très important sur les océans. Je rappelle que celles-ci ne sont pas biodégradables, mais se divisent en se cassant. Depuis qu'on les utilise, les morceaux sont devenus si petits qu'on en retrouve partout !
M. Claude Bérit-Débat. - Ma question fait écho à ce qu'a dit Michel Raison au sujet de la filière du lait. La fin des quotas laitiers a obligé la profession à s'organiser. C'est pourquoi je suis heureux d'avoir pu accompagner une AOP dans son parcours vers une reconnaissance nationale.
Quelle place ces AOP vont-elles prendre dans la représentation interprofessionnelle ? Est-on assurée qu'elles y seront ? Le prix de départ sera-t-il bien celui du producteur ?
M. Joël Labbé. - Monsieur le ministre, je prévois un certain nombre d'amendements sur ce texte qui, je l'espère, sera enrichi par le Sénat, dont c'est le rôle.
Je suis satisfait de la mesure en faveur de 50 % de produits bio, sous signe de qualité et de produits locaux. C'est extrêmement important. Se donner les moyens d'y parvenir, c'est aussi se projeter dans l'avenir. Je déposerai un amendement pour lequel j'aurais besoin de votre soutien, monsieur le ministre, sur la façon d'y arriver.
Un outil extraordinaire a été intégré à la loi d'avenir agricole : il s'agit des projets alimentaires territoriaux. Ils permettent, partout où ils sont mis en place, d'accélérer la relocalisation de l'alimentation. Un amendement que je déposerai visera à rendre obligatoire pour 2022 voire 2023 la couverture du territoire national par des projets alimentaires territoriaux.
S'agissant par ailleurs des apiculteurs, Sandrine Le Feur et moi-même avons été déçus de la réponse que vous avez apportée à ce sujet lors des questions orales au Gouvernement.
Les apiculteurs vont manifester demain aux Invalides. Je serai à leurs côtés avec un certain nombre de collègues. Une véritable réponse est nécessaire s'agissant de la création d'un fonds d'urgence destiné à permettre aux apiculteurs de continuer leur activité.
M. Jean-Marc Boyer. - Monsieur le ministre, nous avons à deux reprises discuté au Sénat de la revalorisation des retraites agricoles. Nous avons à chaque fois eu droit à un vote bloqué du Gouvernement, et Mme la ministre de la santé et des affaires sociales refuse toute avancée sur ce dossier alors que nous étions quasiment unanimes. Ce refus a été ressenti comme profondément méprisant.
Quel est votre position personnelle, monsieur le ministre, sur ce dossier important pour de nombreux retraités agricoles et pour la reconnaissance que nous devons avoir envers nos anciens après toute une vie de labeur ?
Par ailleurs, j'ai cru lire que l'avenir de l'enseignement agricole était en péril et pourrait disparaître d'ici 2030 au motif qu'il ne serait pas suffisamment en phase avec les nouvelles orientations des métiers de l'agriculture. J'espère qu'il s'agit de fake news !
J'ai fait toute ma carrière dans l'enseignement agricole. Celui-ci a toujours été très innovant, à la pointe des méthodes pédagogiques, très souvent copiées par l'éducation nationale.
Le dernier exemple est celui du contrôle continu pour le baccalauréat : l'éducation nationale a l'impression d'avoir inventé l'eau chaude, alors qu'il existe depuis au moins quinze ans dans l'enseignement agricole.
J'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.
Mme Annie Guillemot. - Monsieur le ministre, peut-on continuer à ne rien faire pour les retraites et attendre encore deux ou trois ans ?
Par ailleurs, face au mal-être des animaux, peut-on renoncer à installer des caméras partout ? Ce serait légitime ! C'est, je crois, une attente de toute la population.
Troisièmement, vous avez dit que l'on devait rendre leur dignité aux agriculteurs. Bien évidemment ! Cela étant, ceci aura des conséquences sur les populations qui devront subir la hausse des prix si rien n'est fait pour contraindre les grands distributeurs. On voit ce que cela peut faire quand on enlève 5 euros d'APL aux ménages. Le Gouvernement doit réfléchir aux conséquences de la hausse éventuelle du prix du lait, de la viande bovine et de la volaille, même s'il faut favoriser la hausse des prix de production.
Enfin, en matière de restauration scolaire, beaucoup de maires s'élèvent contre les quotas. Outre le fait que le code des marchés publics ne prévoit pas d'indicateurs géographiques - alors que certaines communes connaissent aujourd'hui de graves difficultés - la structuration des filières est insuffisante. Je crois d'ailleurs que l'AMF vient de vous saisir à ce propos.
Le Conseil d'État vient d'estimer que les normes posaient problème. Allez-vous les conserver ? Sans structuration suffisante, on risque en effet de se tourner vers l'achat de produits importés, au mieux européens. Aujourd'hui, 72 % des produits bio proviennent de l'étranger !
Mme Sophie Primas, présidente. - Avec des normes qui ne sont probablement pas les nôtres !
Mme Françoise Cartron. - Monsieur le ministre, même si on a beaucoup pointé le malaise des agriculteurs, je connais dans mon département beaucoup de jeunes agriculteurs totalement innovants qui s'installent et ont envie de s'investir dans cette profession. Ils se trouvent toutefois souvent démunis, en mal d'accompagnement où en difficulté les premières années. Existe-t-il une réflexion pour les accompagner plus spécifiquement, en particulier en matière de formation ?
Par ailleurs, quelle est la place des lycées agricoles, qui sont de véritables plateformes ? Comment peut-on les associer en tant que pôles de ressources, diffuseurs de bonnes pratiques et d'informations ?
Mme Anne-Marie Bertrand. - Monsieur le ministre, vous nous avez dit en introduction que vous désiriez une agriculture prospère et compétitive. Nous sommes tous d'accord avec vous sur ce point.
Les producteurs de fruits et de légumes connaissent déjà la contractualisation. Cependant, l'affichage environnemental des denrées alimentaires et l'indication du nombre de traitements par des produits phytosanitaires sur les fruits et légumes, qui figurent à l'article 11, m'inquiètent. C'est techniquement impossible !
Tout dépend des produits - bio ou non - et de la parcelle. Ces mesures ne constituent-elles pas de nouvelles distorsions de concurrence par rapport aux produits importés, qui ne seront pas soumis aux mêmes règles ?
M. Franck Montaugé. - Monsieur le ministre, dans mon département, le Gers - mais cela vaut pour d'autres territoires -, un drame absolu est en train de se nouer, un drame économique, social et moral.
C'est un drame économique, parce qu'on va connaître un million d'euros de perte sur 6 millions d'euros d'indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN). C'est un drame social qui va toucher 140 éleveurs et leur famille. C'est enfin un drame moral comme - hélas - l'agriculture française en connaît beaucoup depuis longtemps, car les suicides que nous déplorons nous interrogent tous.
Sur ces territoires, malgré les critères ubuesques des règlements européens, on ne peut faire que de l'élevage. Pour la plupart des 140 éleveurs qui peinent tout au long de l'année, il n'y aura d'autre possibilité que d'arrêter. On empêchera également de jeunes agriculteurs passionnés d'élevage de prendre la suite de leur père.
Que comptez-vous faire par rapport à cette situation dramatique, et notamment dans le cadre futur de la PAC qui se profile à l'horizon, avec la latitude qui est aujourd'hui laissée aux États en la matière ? On a éprouvé des difficultés à discuter avec vous sur ce sujet, monsieur le ministre. Tous les élus, tous les représentants des filières et tous les syndicats se sont mobilisés, mais nous n'avons que très peu progressé, voire pas du tout.
Enfin, le dispositif prévoit que la sortie de la carte des zones défavorisées se traduira pour les éleveurs concernés par 80 % d'indemnisations d'ICHN la première année et 20 % la seconde. Cependant, la référence étant 2013, cette indemnisation ne sera que de 30 % et 10 %. C'est une véritable insulte - je pèse mes mots - pour ces 140 éleveurs et pour les Gersois dans leur ensemble, très attachés à leur agriculture. Que comptez-vous faire à ce sujet ? C'est un exemple paroxystique de la nécessité de soutenir l'agriculture ! Vous avez les moyens d'agir : faites-le ! Merci.
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Stéphane Travert, ministre. - Merci, madame la présidente.
Certains d'entre vous ont abordé des sujets relevant de la PAC. Nous débattrons d'une proposition de résolution européenne tout à l'heure dans l'hémicycle à ce sujet. J'aurai l'occasion de revenir sur la position française et la manière dont nous comptons travailler pour défendre le revenu de nos agriculteurs, car c'est bien ce dont il s'agit à travers le texte que nous vous présentons.
Je pèse mes mots, car je suis pragmatique : je connais bien la situation de l'agriculture, notamment celle de l'élevage et des producteurs de lait, puisque j'ai la chance de vivre au milieu d'eux.
J'ai dit que je souhaite que l'on crée un nouveau pacte social avec les agriculteurs. Ce ne sont pas de vains mots : nous avons en effet besoin d'encourager notre agriculture et d'en parler de manière positive. Jamais vous n'entendrez dans ma bouche une quelconque mise en cause de ce que peuvent faire les agriculteurs. Nous avons besoin de leur accorder cette reconnaissance et de les accompagner dans la transformation de l'agriculture que nous vivons.
Nous sommes dans une période de transition. La société civile prend à bras-le-corps un certain nombre de sujets. Lorsqu'on parle d'alimentation saine et durable, cela ne signifie pas que nous n'avons pas eu jusqu'à présent une alimentation saine, mais que nous devons améliorer encore la qualité, monter en gamme, car ceci peut permettre aux agriculteurs d'avoir, demain, des niveaux de revenus supérieurs, d'investir et d'innover pour continuer à travailler, d'avoir de la visibilité.
Un certain nombre des points que vous avez abordés entrent dans le cadre de la loi que nous aurons à débattre ensemble. Je suis là pour enrichir le texte avec vous. Je ne me présente pas à vous avec une position totalement fermée - sinon l'exercice ne sert à rien !
Étudions comment nous pouvons, de manière simple et concrète, faire en sorte que l'objectif du texte de loi soit, une fois nos travaux achevés, totalement respecté.
Ce texte, vous l'avez compris, constitue une brique. Nous sommes aujourd'hui en train de construire la maison de l'agriculture française. Cette maison doit reposer sur quatre murs, avec des fondations solides - et elle en dispose.
La fiscalité correspond à un autre pan de mur. Nous ne l'abordons pas dans ce texte. C'est un sujet sur lequel nous travaillons avec Bruno Le Maire. Les propositions issues du groupe de travail formé par le Sénat, l'Assemblée nationale et les professionnels seront étudiées fin juin ou début juillet, pour être ensuite intégrées dans la prochaine loi de finances.
Nous ne parlons pas non plus de foncier dans le texte car il existe une réflexion parlementaire sur le sujet sur laquelle nous continuons à travailler. Nous savons qu'il y a derrière des enjeux éminemment importants, notamment la question de l'accaparement des terres, qui doit permettre aux jeunes d'avoir accès aux terres pour les exploiter, voire à des personnes qui ne sont pas issues du métier de s'installer, par exemple en agriculture biologique, sans avoir à payer le double. Pour porter la surface agricole utile en agriculture biologique de 6,5 % à 15 %, nous avons besoin d'encourager les conversions. Cela nous permettra de structurer l'offre.
Ce projet de loi n'aborde pas non plus le sujet des retraites agricoles, non parce que nous traitons le sujet par le mépris ou que nous nous désintéressons de la question, mais nous avons choisi de prendre ce sujet éminemment important à bras-le-corps.
Jean-Paul Delevoye a ouvert une concertation sur les retraites. Nous avons décidé de faire en sorte que les indépendants puissent demain cotiser au même titre que les personnes relevant du régime général. Or les agriculteurs sont des indépendants. Nous travaillons donc de façon globale la question de leurs retraites avec celle des indépendants. La retraite des agriculteurs sera bien évidemment traitée dans le cadre du texte sur l'évolution des retraites.
M. Pierre Cuypers. - Cela ne peut pas attendre !
M. Stéphane Travert, ministre. - J'entends parfaitement ce que vous dites, mais c'est la manière de faire que nous avons choisie. Cela n'empêche pas d'apporter à notre agriculture des solutions dès maintenant. C'est l'objectif du projet de loi. Ce n'est pas une loi qui oriente, mais une loi qui est faite pour agir sur la question des prix et d'une alimentation plus saine et plus durable répondant aux demandes de la société.
Nous ne parlons évidemment pas dans ce texte de tout ce qui est en rapport avec les enjeux liés aux accords commerciaux. Je sais que c'est un sujet important, qui inquiète nos agriculteurs - et j'aurai l'occasion d'y revenir dans le débat tout à l'heure.
Nous ne parlons pas de formation, même si elle est très présente, puisque nous comptons, pour accompagner le changement des pratiques alimentaires et assurer une meilleure alimentation, faire en sorte, dans le titre 2, que l'école soit un des pivots essentiels de cette formation à l'alimentation - manger moins gras, moins salé, moins sucré tout au long de sa vie, avoir des pratiques alimentaires plus saines.
Pour ce faire, nous devons travailler le projet à la racine et faire en sorte que nos agriculteurs ne subissent plus la guerre des prix les plus bas qui nous a entraînés vers une alimentation low cost, avec une diminution de la qualité de l'alimentation. Cela ne remet pas en cause la qualité du travail de nos producteurs, mais le fait de rechercher les prix les plus bas conduit à aller chercher les matières premières à l'extérieur de nos frontières. C'est ce qui a créé ce sentiment de « malbouffe » que vous dénoncez, tout comme nous le faisons.
S'agissant des abeilles, les apiculteurs seront reçus demain au ministère. Nous avons totalement conscience de la difficulté qu'ils rencontrent aujourd'hui. Qu'avons-nous fait à ce sujet ? Nous avons fait en sorte de créer un guichet unique, un observatoire de la mortalité des abeilles mellifères. Nous avons fait en sorte que chaque apiculteur qui vient déclarer la disparition d'un de ses essaims puisse bénéficier d'une visite vétérinaire. Nous avons besoin d'en connaître les causes précises. Les pesticides sont certes en cause, mais d'autres explications peuvent en être à l'origine de cette surmortalité. Nous avons besoin de les connaître. Est-ce la qualité de l'air ou autre chose ? Nous avons besoin de connaître l'ensemble des causes pour répondre à la détresse des apiculteurs.
Nous avons travaillé avec l'interprofession et travaillons avec l'institut technique. Pour le sauver, nous avons doté celui-ci de 400 000 euros.
Ce sont des sujets connexes au projet de loi, mais extrêmement importants. Ils figurent dans l'environnement de ce projet de loi, car nous souhaitons que celui-ci puisse apporter des solutions aux points que vous avez soulevés.
Je voudrais à présent répondre de manière plus précise à l'ensemble de vos questions. On a dit que j'ai été bavard durant la discussion du projet de loi à l'Assemblée nationale, mais ces 77 heures de débats n'ont pas constitué du bavardage : il y a aussi eu des réflexions importantes sur le fond. Ceci a été l'occasion d'expliquer ce que nous voulions faire, et je prendrai toujours le temps nécessaire pour répondre à l'ensemble des questions que vous aurez à poser pendant l'examen du projet de loi.
Tout d'abord, l'augmentation du SRP fait partie du dispositif global issu des états généraux de l'alimentation, avec l'inversion de la construction du prix, la cascade, l'encadrement des promotions.
Le relèvement du SRP peut entraîner une baisse des marges des distributeurs, mais il n'y a pas de fatalité à ce que cette marge reste chez le distributeur. Ce sont les engagements que les distributeurs ont pris, à travers les états généraux. Nous sommes là pour veiller qu'ils puissent être tenus.
Nous ne voulons pas augmenter les marges, mais les équilibrer, notamment concernant les produits agricoles. Les marges sur une célèbre pâte à tartiner ou sur les sodas sont aujourd'hui très faibles. On compense cette faiblesse par des volumes de vente très importants. Pendant ce temps, on applique des taux de marge élevés sur les produits agricoles qu'on a achetés à des prix très bas.
À travers l'inversion de la construction du prix et la contractualisation, nous voulons faire en sorte d'avoir une marge lissée sur l'ensemble des produits, de manière que les distributeurs jouent le jeu. Ils seront poussés à le faire du fait des engagements qu'ils ont pris.
M. Michel Raison, rapporteur. - S'ils prennent des grosses marges sur les produits agricoles, le seuil de revente à perte ne jouera que sur le Nutella !
M. Stéphane Travert, ministre. - Non, pas forcément. Il est nécessaire d'équilibrer les marges, mais avec des prix d'achat revus de manière que les produits agricoles ne jouent pas le rôle d'une variable d'ajustement pour reconstituer les marges de la grande distribution.
Ces mesures tiennent compte des engagements pris par tous les acteurs durant les états généraux de l'alimentation. De même, nous recourons aux ordonnances du fait de la demande des professionnels.
Le relèvement du seuil de revente à perte ne doit pas être pris isolément. L'ensemble des outils, avec la construction inversée, doit permettre le « ruissellement » du revenu des agriculteurs, pour reprendre le terme que vous avez employé tout à l'heure.
Par ailleurs, le cadre du recours aux ordonnances est connu. Les arbitrages ont été rendus : 10 % pour le SRP et 25 % à 35 % pour les promotions. Néanmoins, l'écriture législative est complexe et technique. Nous souhaitons une expérimentation sur deux ans sur le SRP et l'encadrement des promotions. Les ordonnances nous permettent d'avoir le temps de travailler le contenu avec les parlementaires, mais de prendre également le temps de la négociation et de la concertation, afin de trouver les mesures les plus simples et les plus efficaces.
Quant au contrôle des négociations et de ce qui est fait à l'étranger, le code du commerce s'applique déjà sur les transactions hors de France concernant les ventes sur le territoire national. Une jurisprudence récente l'a confirmé.
Nous avons travaillé avec le groupe UDI, Agir et indépendants à l'Assemblée nationale pour trouver des moyens supplémentaires afin d'éviter la concentration des grandes surfaces et pouvoir agir lorsque cela contrevient à la question du revenu de nos agriculteurs.
Quant aux indicateurs de prix, la responsabilité relève des filières. Nous souhaitons responsabiliser l'ensemble des filières et des interprofessions, qui ont pris des engagements à ce sujet. Nous recevrons les filières dans les jours à venir pour voir avec elles où elles en sont.
Ces indicateurs seront librement choisis par l'ensemble de la filière, de l'amont à l'aval. Les agriculteurs seront dedans, avec les OP ou les AOP. Une discussion aura lieu. Il faudra trouver des voies de compromis.
Les indicateurs peuvent aussi s'établir par bassin. Cela a fort bien été dit tout à l'heure : quand vous produisez du lait, le coût de collecte dans la plaine normande est radicalement différent de celui de la collecte en zone de montagne. On ne peut être sur un modèle national. Il faut être capable de réagir par bassin de production. Nous avons besoin d'amener nos producteurs à se regrouper dans des organisations et de renforcer celles-ci afin de peser sur les négociations avec le premier acheteur, que ce soit un distributeur ou un transformateur. C'est en ce sens que nous souhaitons accompagner nos agriculteurs.
Il ne faut pas se focaliser sur le coût de production. Les indicateurs prennent aussi en compte l'évolution des marchés. Il existe un certain nombre de critères, qui ne sont pas forcément les mêmes d'un territoire à l'autre, d'un bassin de production à l'autre, d'une filière à l'autre.
Nous aurons l'occasion de revenir sur les projets alimentaires territoriaux. Au Salon de l'agriculture, j'ai décerné des prix à des projets alimentaires territoriaux de qualité. On a besoin de structurer l'offre pour répondre à l'objectif de 50 % de produits bio, locaux ou sous signe de qualité dans la restauration collective.
Nous avons aussi un travail à mener sur nos filières nationales. 70 % de la viande bovine servie en restauration collective ne provient pas de France. Il y a là beaucoup à faire en matière d'investissements pour pouvoir fournir ce secteur.
Nous allons bien évidemment travailler sur la formation des acheteurs publics, modifier le cas échéant le code des marchés publics pour faire en sorte de disposer de tous les outils afin que lesdits acheteurs puissent choisir, sur leur territoire, les producteurs capables de fournir les restaurants scolaires ou les restaurants d'entreprises.
Nous avons donc besoin de structurer l'offre avec des produits locaux, à travers l'ensemble des filières, pour répondre à cet objectif.
L'accompagnement financier des projets alimentaires territoriaux par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation représente 1 million d'euros par an. Ce n'est donc pas un problème de financement.
La question du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, madame Bonnefoy, n'est pas une question abordée à la légère. En aucune façon nous ne l'avons traitée avec mépris. Nous n'avons pas voulu rester inactifs en repoussant l'amendement proposé à l'Assemblée nationale. Nous avons voulu améliorer la prise en charge opérée par l'intermédiaire des régimes existants. Nous souhaitons travailler sur le tableau des pathologies touchant les agriculteurs, comme les lymphomes ou les affections liées à l'utilisation de certains produits.
La mise en place de tableaux de maladies professionnelles, de façon à disposer d'une assise scientifique plus solide, est l'objet d'une saisine conjointe de l'INSERM et de l'ANSES au sujet des pesticides. Nous allons, en fonction de l'actualisation des données, faire évoluer le tableau des maladies professionnelles en lien avec les produits phytosanitaires. Ceci facilitera le recours des malades pour obtenir les indemnisations nécessaires.
J'aurai tout loisir de revenir avec vous sur ce sujet, si vous le souhaitez. C'est une question que nous souhaitons traiter à travers cet angle, afin d'avancer plus rapidement et régler ainsi au plus vite un certain nombre d'indemnisations.
Mme Sophie Primas, présidente. - Avec votre autorisation, monsieur le ministre, je vous propose de clore cette audition.
Faute de temps, vous n'avez pu apporter de réponses aux questions de tous les sénateurs. Votre cabinet pourra-t-il le faire par écrit ?
M. Stéphane Travert, ministre. - Je suis désolé. Nous leur adresserons en effet un courrier.
La réunion est close à 15 heures 55.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.