Mardi 5 juin 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Jeunesse des outre-mer et le sport - Audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer
M. Michel Magras, président. - Madame la ministre, mes collègues et moi-même sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui pour clore notre cycle d'auditions sur notre étude consacrée au thème du sport dans les outre-mer. C'est un thème très riche et nous avons constaté que l'activité sportive était au coeur de la vie des territoires et comportait des enjeux forts pour leur cohésion, leur développement, leur visibilité et leur rayonnement.
Avec un déplacement aux Antilles et en Guyane, une journée passée à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) ainsi que de nombreuses visioconférences qui nous ont permis de recueillir de riches témoignages, nous souhaitions parcourir avec vous le large spectre des problématiques qui ont été soulevées et faire un point précis sur certains aspects.
Nos travaux avaient commencé avec l'audition de votre collègue Mme Laura Flessel, ministre des sports, et nous voulions recueillir votre vision du sujet et votre approche sur la place des outre-mer en la matière dans la feuille de route gouvernementale.
Comme vous le savez, notre délégation a désigné pour mener à bien cette étude 4 rapporteures, pour représenter chaque bassin océanique et l'hexagone : sont aujourd'hui présentes Mmes Catherine Conconne, sénatrice de la Martinique, Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion. Mme Lana Tetuanui, sénatrice de la Polynésie française, m'a demandé de l'excuser.
Avant que nous ouvrions le débat et que les rapporteures puis les autres collègues présents puissent vous poser quelques questions, je vous cède la parole pour un propos liminaire sur la base de la trame thématique qui a été transmise à vos services.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Me voilà pour la deuxième fois devant votre délégation et c'est toujours avec grand plaisir que je me rends à votre invitation. Vous avez réalisé de nombreuses auditions et visioconférences pour mener à bien votre étude sur cet important sujet que constitue le sport en faveur de la jeunesse de nos outre-mer et j'aborderai donc assez brièvement un certain nombre de points, au bénéfice de vos questions.
J'avais été interpellée à l'Assemblée nationale sur la question des équipements sportifs dans les outre-mer et le député observait fort justement que les équipes de France victorieuses dans les compétitions de haut niveau comportaient souvent une forte proportion d'ultramarins. L'investissement devrait logiquement être massif pour faire fructifier ce vivier. Nul besoin de citer les sportifs illustres issus des outre-mer ayant marqué l'histoire du sport français. Les dernières sélections nationales, masculines comme féminines, pour le football mais aussi pour d'autres disciplines telles que l'athlétisme, le rugby, le tennis, le judo ou encore le hockey sur glace en attestent. Je suis personnellement, et de longue date, très attentive à ces questions : conseillère jeunesse et éducation à l'origine, j'ai ensuite été à la tête de la direction de la jeunesse et des sports de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Lors de son audition, Mme Laura Flessel, ma collègue ministre des outre-mer, a rappelé que 19 % des médaillés français des Jeux olympiques de Rio étaient originaires des outre-mer et que 12 % de la délégation française étaient issus des outre-mer. Plus globalement, on évalue à 30 à 35 % la part des ultramarins parmi les sportifs de haut niveau, ce qui révèle une nette sur-représentation. Cela constitue une belle vitrine pour les territoires et notre pays, dont il faut se féliciter car nos sportifs participent de la richesse de la France.
Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (JOP) en 2024 seront, je l'espère, une nouvelle occasion de briller pour nos jeunes ultramarins qu'il faudra associer aux manifestations au-delà même des seuls sportifs. Ce sera aussi l'occasion de valoriser le bénévolat qui joue un rôle primordial dans les territoires. Mais cela suppose d'anticiper, comme nous avions su le faire pour la préparation de la COP21.
Le sport pour les outre-mer recoupe des questions plus générales et omniprésentes telles que la mobilité ou la coopération régionale. Ainsi le championnat du monde de va'a cet été en Polynésie française participe-t-il pleinement au rayonnement de la France dans le bassin Pacifique : élément du patrimoine et expression de la culture polynésienne, l'organisation de cet événement reçoit le soutien du ministère des outre-mer. Nous travaillons en lien étroit avec le ministère des sports mais également celui des affaires étrangères au titre de la coopération régionale et de la diplomatie du sport. Il faut en effet pouvoir assouplir certains dispositifs, comme l'octroi de visas aux Brésiliens qui souhaitent participer à des compétitions en Guyane.
L'Euro de football 2016 a permis de mobiliser l'ensemble des territoires ultramarins et il faudra reproduire cette formidable dynamique lors des JOP 2024 en mobilisant les fédérations ; les droits sur la télédiffusion des événements devraient leur permettre d'être partenaires. Le réseau de talents qui va être mis en place pour la préparation de ces JOP devra être pérennisé et l'image des talents ultramarins mieux valorisée dans les médias.
Concernant les équipements, le ratio est de 50 pour 10 000 habitants dans l'hexagone et de 31 en moyenne dans les outre-mer pour descendre à 14 à Mayotte. On constate donc un important décalage qu'il nous faut combler, objectif du plan Kanner qui s'appuie sur le Fonds européen d'investissement (FEI) et le Centre national pour le développement du sport (CNDS) puisqu'il s'agit d'une réservation de crédits sur des enveloppes préexistantes qui n'ont pas connu d'augmentation de leur montant lors de l'annonce de ce plan. Ce plan revient à prioriser le sport dans l'affectation des crédits disponibles et pas à un élan supplémentaire qui aurait conduit à abonder ces enveloppes.
Les territoires étant en déficit d'ingénierie, le ministère des sports a décidé d'octroyer une enveloppe budgétaire de 40 000 euros à chaque outre-mer à l'appui de sa stratégie sportive et de l'élaboration d'un schéma de développement d'un maillage territorial des infrastructures. Un tel schéma, bien qu'il ne satisfasse pas nécessairement chaque localité, est gage d'un équilibre territorial. Ce besoin est particulièrement patent à Mayotte.
Anticiper pour maximiser les retombées positives après les JOP 2024, c'est aussi miser sur la formation et prévoir la reconversion des sportifs. Il faut à cet égard poursuivre le Pacte de performance lancé en 2014 et travailler sur les brevets d'État et les équivalences de diplômes.
Le sport, c'est aussi le sport pour tous, dont les enjeux sanitaires sont majeurs outre-mer où les pathologies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, l'obésité ou le diabète sont très présentes. Le sport est en effet un vecteur de santé et je me réjouis qu'il figure dans les schémas régionaux de santé. Le sujet « sport et santé » est également au centre des Assises des outre-mer : il y a ainsi, au nombre des projets portés dans les territoires, un parcours santé intergénérationnel en Guyane, la création d'une plateforme de ressources en sport-santé en Martinique fédérant les acteurs de ces deux secteurs, ou encore le projet de centre de prévention, de nutrition et d'activités physiques à Wallis-et-Futuna.
En matière de cohésion sociale, le sport joue aussi un rôle éminent comme vecteur de savoir être et d'intégration. Nous travaillons sur cette question avec M. Jean-Marc Mormeck, délégué interministériel à l'égalité des chances, que vous avez auditionné et qui, en tant qu'ancien sportif de haut niveau issu d'un milieu populaire, connaît bien les enjeux.
Pour favoriser la pratique du sport, il serait pertinent d'instaurer un pass'sport, comme il existe un pass'culture, question que j'ai évoquée avec ma collègue ministre des sports.
Mon ambition pour le développement du sport outre-mer est élevée : il s'agit de favoriser l'excellence par un appui au haut niveau et de soutenir le sport-santé et le sport comme levier de développement économique.
Mme Catherine Conconne, co-rapporteure. - Dans les outre-mer, et le bassin Atlantique en particulier que je connais le mieux, le sport mobilise les bonnes volontés ; le réseau associatif est dense, dynamique et le sport n'existerait pas sans lui. Il organise les déplacements des jeunes, souscrit des licences sportives, recherche les sponsors... Il se heurte cependant trop souvent à la complexité des circuits administratifs et il faudrait ménager davantage de lisibilité pour l'accès aux dispositifs d'aides, avec la création d'un guichet unique et des délais de réponse plus brefs. Il faut également davantage de coordination entre les strates décisionnaires, l'État et les différents niveaux de collectivités.
La question des coûts de déplacement a été récurrente dans l'ensemble de nos auditions : ce poste de dépense représente jusqu'à 80 % des budgets, y compris pour couvrir des déplacements régionaux. On pourrait imaginer que l'Agence de l'outre-mer pour la Mobilité (LADOM) dispose d'une ligne budgétaire dédiée.
Concernant la coopération régionale, il ne faut pas méconnaître l'importance de l'appartenance à une identité de bassin. Les sportifs antillais sont ainsi parfois tiraillés entre leur identité française et leur identité caribéenne : la question s'est posée pour la Confédération de football d'Amérique du Nord, d'Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) auprès de laquelle il a fallu plaider pour faire admettre la double appartenance et pouvoir, au même titre que les représentants d'un État, participer aux compétitions internationales de la Caraïbe.
Sur la problématique des équipements, le retard est immense. Nos sportifs s'entraînent dans des conditions qui ne sont pas dignes de leurs performances et le vieillissement démographique induisant une baisse tendancielle des dotations globales de fonctionnement (DGF), cela augure mal d'un possible rattrapage. Et on se demande où est passé le plan Kanner car on ne constate aucune avancée sur le terrain et des projets sont même stoppés ! L'iniquité d'un tel traitement de nos territoires nourrit, dans la population, le sentiment d'être à la fois dans et en dehors de la République. Le chemin est long vers l'égalité réelle.
Mme Viviane Malet, co-rapporteure. - Je reviens sur l'accompagnement financier à la mobilité des sportifs, qui est une préoccupation centrale et récurrente : quelle est la stratégie du ministère des outre-mer en la matière et comment expliquer la baisse régulière des crédits du Fonds d'échange à but éducatif, culturel ou sportif (FEBECS) ?
Toujours sur la question du financement des projets sportifs, comment pourrait-on motiver les acteurs économiques et soutenir le développement du sponsoring dans les outre-mer ?
Les enjeux sanitaires sont très forts dans nos territoires : dès lors, comment favoriser la pratique du sport chez les plus jeunes ? La ministre des sports avait fait une annonce sur la création de maisons sport et santé : y aurait-il une priorité donnée à nos outre-mer du fait de la prégnance des pathologies telles que le diabète et l'obésité ?
Enfin, sur le plan Kanner, le ministère des sports nous a indiqué avoir respecté avec le CNDS son engagement sur les deux premiers exercices, soit 13,6 millions d'euros en 2017 et 7 millions d'euros en 2018. Les chiffres transmis par votre ministère semblent indiquer que l'enveloppe du ministère des outre-mer a été bien moindre que prévue : au titre du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), sur 10 millions d'euros prévus, seuls 8,5 millions d'euros ont été consommés en 2017, soit 15 % de moins que le montant annoncé. Le montant des dossiers en cours d'instruction serait de l'ordre de 9 millions d'euros pour 2018. Comment expliquez-vous ce retard ? Votre ministère compte-t-il bien respecter son engagement et rattraper le retard budgétaire pris ? Le Gouvernement s'engage-t-il à maintenir ces crédits sur la durée ? En quatre ans, les 80 millions d'euros promis sous la précédente mandature seront-ils bien investis dans les équipements sportifs outre-mer ?
Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure. - Le déplacement effectué aux Antilles et en Guyane pour l'instruction de notre étude a été pour moi, qui ne connaissais pas les outre-mer, à la fois une extraordinaire découverte et un véritable choc. Originaire d'un département rural, j'estimais que nous n'étions pas toujours très bien dotés en termes d'équipements sportifs, mais ce déplacement me fait relativiser tant le différentiel au détriment des outre-mer est flagrant. Il y a manifestement un problème de maintenance des infrastructures qui font l'objet d'un vieillissement accéléré dû notamment au climat.
Par ailleurs, la pratique sportive outre-mer se heurte à de multiples difficultés, à commencer par le coût des déplacements des personnes et parfois des équipements, tels qu'une perche ou une planche, dû à la configuration géographique des territoires, multi-insularité ou immensité pour la Guyane, et à leur éloignement de l'hexagone.
Les familles et le monde associatif très présent dans le domaine du sport s'inquiètent du manque d'encadrement et du mouvement de suppression des emplois aidés qui pourrait paralyser le fonctionnement des clubs.
Le sport scolaire ne doit pas être délaissé car il est l'occasion d'une mise à l'étrier des plus jeunes et il est source d'épanouissement au-delà même de la dimension proprement sanitaire.
Le retard est tel qu'il faudrait un véritable plan Marshall de remise à niveau ; le rattrapage nécessitera une volonté farouche et des moyens renforcés.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Je souscris à votre constat sur le retard en matière d'infrastructures sportives, d'encadrement, de formation ou encore de moyens dédiés aux déplacements. On peut dire que certains de nos outre-mer sont des territoires sous-développés et que les défis à relever ne concernent malheureusement pas que le sport. Le plan Kanner a permis de donner de la visibilité au projet sportif pour les outre-mer et de l'afficher comme une priorité aux yeux des fédérations sportives pour lesquelles ce ne relevait pas toujours de l'évidence. Qu'une somme soit réservée dans les fonds du CNDS est certes positif, mais il ne s'agit pas d'un fonds spécifique contrairement à l'idée qui a pu être véhiculée. De même, une enveloppe est réservée au sport au sein du FEI. La somme globale dédiée au sport au titre du plan Kanner a été arrêtée à 20 millions d'euros par an ; ce montant a bien été respecté en 2017, même si le ministère des sports a apporté davantage que sa quote-part et le ministère des outre-mer moins du fait des priorités qui se sont imposées par ailleurs. Pour 2018, le ministère des sports a décidé d'affecter 7 millions d'euros à la mise en oeuvre du plan Kanner et le ministère des outre-mer de même, soit un total de 14 millions d'euros, ce qui n'est pas satisfaisant. Peut-être faut-il étudier l'idée d'un fonds spécifique pour le développement du sport outre-mer, qui serait abondé non seulement par ces deux ministères mais également par d'autres tels que le ministère de la santé. Les fédérations sportives et les grandes entreprises devraient également être impliquées. Il faut réfléchir autrement pour répondre aux besoins car, seul, l'État n'y parviendra pas, d'autant que les collectivités elles-mêmes sont souvent en grande difficulté financière. La question de la double, voire de la triple insularité n'est pas aujourd'hui par exemple un critère pris en compte pour le calcul des dotations qui leur sont dévolues. Si le plan Kanner est une avancée positive, il n'est cependant pas calibré de façon à répondre aux besoins des outre-mer.
Aujourd'hui, le loto culturel qui est lancé s'inspire du loto sportif et n'oublions pas que fiscalité sur les paris sportifs abondent le CNDS. Je m'interroge sur les montants récoltés par la Française des jeux dans les outre-mer alors que les populations ultramarines sont très joueuses.
Sur la question de l'appui en ingénierie, qui correspond à une priorité pour nos outre-mer, je me félicite de l'annonce par le ministère des sports d'une dotation de 40 000 euros par territoire. Il faut travailler à l'équilibrage territorial des infrastructures sportives sur la base de l'élaboration de schémas territoriaux qui favoriseront la coordination entre les acteurs et donc l'éclosion des projets et qui permettent d'établir des priorités.
Sur la question de l'accompagnement à la mobilité, l'enveloppe du FEBECS n'a cessé de se réduire et j'ai préconisé un doublement de son montant pour 2018. Cependant, tous les contributeurs ne sont pas au rendez-vous et, actuellement, l'objectif des 2 millions d'euros paraît compromis car nous sommes à 1,4 million. Mais je ne renonce pas ! Il faut préciser que tous les territoires ne sont pas à la même enseigne : les collectivités de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française n'en bénéficiaient pas et je leur ai alloué une enveloppe de 50 000 euros. Il faut de mon point de vue réviser la circulaire relative aux FEBECS pour intégrer de nouveaux indicateurs au-delà du simple critère d'évolution démographique, tels que l'éloignement. Cependant le FEBECS couvre d'autres domaines que le sport, ce qui complique le choix des critères.
Concernant les bénévoles, il faut reconnaître qu'ils sont confrontés à de véritables parcours du combattant, qu'il s'agisse des présidents d'associations, des entraîneurs, des encadrants, pour monter les dossiers avec la nécessité de démarcher les différents ministères et les collectivités. Je serais favorable à un guichet unique et à un fonds unique. Nous avons actuellement des bureaux d'information jeunesse (BIJ), il nous faudrait des bureaux dédiés non seulement aux jeunes mais aux acteurs accompagnant la jeunesse. Il faudrait outre-mer informer les associations et les entreprises de l'existence du pacte performance, qui reste ignoré. Il existe de nombreux dispositifs d'accompagnement tels que des bourses, notamment mis en place par les territoires : là encore il faut améliorer l'accès à la connaissance de ces dispositifs par ceux qui en sont potentiellement les destinataires.
La suppression des emplois aidés, dispositif national, a été brutale et a eu un impact très négatif pour les outre-mer ; j'étudie, notamment dans le cadre des Assises, d'éventuels palliatifs.
La question de la participation des sportifs à des compétitions internationales sous la bannière des territoires est complexe car il faut pouvoir à la fois pouvoir participer à la coopération régionale et faire en sorte qu'une sélection régionale ne soit pas amenée à affronter l'équipe de France.
Concernant l'usure accélérée des équipements, il est largement imputable à nos climats extrêmes en termes de températures, de vent et de précipitations. Les normes de construction ne tiennent pas compte de ces spécificités, ni d'ailleurs des évolutions du climat. Il faudrait évoluer en la matière, privilégier des modes de construction traditionnels et encourager l'innovation. Le 5 mars dernier, cinq collectivités ont participé à une démonstration d'équipements sportifs innovants lancée par le ministère des sports et nous devons poursuivre dans cette direction.
L'accès au sport des plus jeunes, dans les cadres scolaire et périscolaire, est primordial ; l'apprentissage de la natation constitue un impératif dans des territoires baignés dans l'océan mais qui, paradoxalement, ne disposent pas ou seulement de très rares piscines. Mayotte en est totalement dépourvue. La solution de mise en place de bassins en mer me paraît pertinente dès lors qu'il n'y a pas de risque particulier, comme les requins à La Réunion.
M. Michel Magras, président. - Notre délégation a produit un important rapport sur les normes applicables à la construction dans les outre-mer.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Madame la ministre, vous avez considéré que le défi consisterait à définir une solution originale pour le financement des équipements. Pourquoi ne pas transposer le principe pollueur-payeur et instaurer une taxe sur les produits hypercaloriques ?
Sur l'enveloppe de 40 000 euros qui serait dédiée à l'ingénierie nécessaire à l'élaboration d'un schéma du sport dans chaque territoire, ne faudrait-il pas aller plus loin et procéder à une élaboration conjointe entre l'État et les collectivités, puis donner à la priorité aux projets qui déclineront le plan ? Cela répondrait aux impératifs de maillage territorial et d'optimisation des moyens.
Ma troisième observation concerne les normes et le programme annoncé de rattrapage pour Mayotte : ne faudrait-il pas une réévaluation à la lumière de l'actualité sismique que connaît l'archipel depuis un mois ?
Enfin, et même si le sujet concerne davantage le ministère des affaires étrangères, que pourrait-on trouver comme issue au problème de la participation de Mayotte aux Jeux de l'océan Indien sous le drapeau français ?
Mme Viviane Artigalas. - Ayant séjourné à Mayotte très récemment et en ma qualité d'ancienne professeure d'EPS, je voudrais témoigner de la pauvreté, voire de l'absence totale, d'équipements sportifs. Il n'y a aucun terrain de football homologué. Dans le cadre d'une journée du sport scolaire à laquelle j'ai assisté, j'ai vu des jeunes extrêmement motivés et dotés de qualités physiques extraordinaires mais qui ne disposent d'aucun équipement ; ainsi la compétition de handball se déroulait-elle sur la plage et le gymnase était dans un état lamentable. Or, le sport est un puissant vecteur d'intégration pour une jeunesse en grande partie livrée à elle-même.
Sur la question de la formation et de l'encadrement, les bénévoles finissent pas se décourager et il faudrait de véritables éducateurs sportifs. Globalement, on ne peut en rester à la lamentation actuelle sur l'absence de moyens matériels et humains ; il faut trouver des solutions pour parvenir à un rattrapage.
M. Maurice Antiste. - La ville du François, ville de Martinique dont j'étais encore maire il y peu, est une ville sportive aux nombreux palmarès. Son équipe de football en est à son dix-huitième titre et elle s'illustre actuellement dans le cadre de la CONCACAF. Le ministre Kanner, lors de sa visite, avait fait des promesses pour remédier à la vétusté des installations, ce qui nous avait incités à élaborer des projets et des plans de financement ; cependant, les subventions promises n'ont jamais été versées si bien que, notamment, l'éclairage défectueux ne peut être réparé. Cette absence de continuité de la politique de l'État est extrêmement préjudiciable et suscite de la détresse après l'espoir chez nos sportifs si bien qu'en tant qu'élu j'éprouve de la honte. Entendre que le plan Kanner reste d'actualité me fait espérer que nous pourrons relancer nos projets.
Mme Victoire Jasmin. - En matière de sport scolaire, on peut regretter qu'au-delà de la question des équipements les emplois du temps ne comprennent pas suffisamment d'heures consacrées à la pratique sportive. Cela est en contradiction avec les objectifs du plan national nutrition-santé et il faudrait un meilleur équilibre pour répondre aux préoccupations sanitaires. Par ailleurs, les jeunes en situation de handicap devraient être mieux intégrés et accompagnés dans les activités sportives.
Lors de nos auditions au cours du déplacement en Guadeloupe, plusieurs interlocuteurs ont émis l'hypothèse d'un prélèvement sur les sommes liées aux transferts de sportifs pour contribuer au financement des infrastructures.
Dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dans quelle mesure et comment les outre-mer pourront-ils bénéficier de la préparation de ces événements ?
M. Dominique Théophile. - La loi NOTRe n'a pas modifié la répartition des compétences et l'État a toujours la responsabilité des activités physiques et sportives (APS). Cependant, les moyens investis par les collectivités, en particulier la région Guadeloupe, sont énormes ; le développement du sport devient pour elles une priorité afin de « limiter la casse » du fait d'une jeunesse largement en déshérence. Aussi devons-nous être audacieux et combattre les clichés. Il existe sur nos territoires des entreprises prêtes à soutenir les activités sportives : prévoir des allègements fiscaux, pour elles ou même tout citoyen intéressé, pour les aides apportées au fonctionnement des ligues et comités, qui supervisent les clubs, serait sans doute pertinent. En effet, en Guadeloupe aujourd'hui, ce sont plus de 700 enfants qui participent aux championnats de France et, dans certaines disciplines comme le tennis ou l'escrime, les déplacements des jeunes dans le cadre de la compétition restent à la charge des parents.
Par ailleurs, les outre-mer, bien que terres de champions, souffrent d'un déficit d'encadrement de la pratique sportive. La proportion de pratiquants détenteurs d'une licence n'est pas très élevée ; or, cette donnée est un indicateur pris en compte pour calculer la subvention versée par le CNDS. Il faut donc encourager l'augmentation du nombre de licenciés qui constitue un levier et je préconise la gratuité des licences pour les moins de 15 ans car il faut inciter les plus jeunes à pratiquer un sport. Lorsque j'étais président de la commission sport au conseil général, j'avais lancé le projet « Ma première licence » qui a eu pour effet d'accroître de 20 % le nombre de licenciés en Guadeloupe sur trois ans, ce qui a entraîné une augmentation de 8 % de la dotation CNDS des ligues et comités. Le coût de cette mesure pour le département a été inférieur à 200 000 euros. Le coût d'une licence s'élevant à quinze à vingt euros, le coût global pour les départements d'outre-mer atteindrait environ un million d'euros.
M. Michel Magras, président. - Les interventions de mes collègues me laissent à penser qu'il existe un besoin de clarification du partage des compétences entre l'État, les collectivités et le mouvement sportif.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Il m'incombe malheureusement de rappeler nos contraintes budgétaires mais cela n'empêche pas d'être innovant pour dépasser ce contexte.
Contrairement à la rumeur qui a pu être véhiculée dans les outre-mer, le plan Kanner, entré en vigueur en 2017, demeure. Il n'a qu'une année d'existence. Doté de 20 millions d'euros en 2017, son enveloppe a été annoncée de 14 millions d'euros en 2018. À cette période l'année, s'il n'est plus possible d'émarger aux fonds du FEI, ceux du CNDS, qui n'obéissent pas aux mêmes critères d'éligibilité ni à la même temporalité, sont encore utilisables ; encore faut-il avoir connaissance des projets.
Concernant Mayotte, l'état désastreux des infrastructures m'a conduite lors de ma dernière visite à annoncer une enveloppe immédiate de 4 millions d'euros. Eu égard aux conditions de pratique qui leur sont offertes, les jeunes Mahorais ont beaucoup de mérite actuellement : ils sont combattifs et résilients et cette adversité excite leur rage d'avancer. En 2019, la priorité va à l'élaboration d'un schéma d'équipement et de développement du sport qui devra définir des priorités. Cette élaboration nécessite un engagement du Département et un accompagnement de l'État.
Dans la circulaire d'application du plan Kanner, était rappelée l'organisation d'une conférence nationale du sport. Je m'appuierai sur les conclusions des Assises des outre-mer et sur toute autre contribution territoriale.
Concernant les sources de financement, vos suggestions de taxe sur les produits sucrés s'inspirant du principe pollueur-payeur, ou de prélèvement d'un pourcentage sur les montants de transferts des sportifs, sont à étudier. En revanche, le sponsoring d'entreprise bénéficie déjà d'une défiscalisation.
Dans le nouveau plan nutrition-santé, il y aura une partie dédiée aux outre-mer, territoires aux fortes spécificités.
Concernant la prise en charge des enfants handicapés et le développement du handisport, un haut-fonctionnaire au sein de mon ministère supervise ce sujet. J'observe que le handisport est souvent en pointe dans nos outre-mer.
Le « réflexe outre-mer » que j'ambitionne de généraliser doit aussi s'appliquer aux fédérations sportives. Celles-ci doivent davantage s'impliquer dans la promotion des disciplines en vue d'une augmentation du nombre de licenciés qui sont actuellement quelque 70 000 en Guadeloupe, presque 40 000 en Guyane, 155 000 à La Réunion, 56 000 en Martinique, 26 000 à Mayotte, 35 000 en Nouvelle-Calédonie et 2 600 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Sur la base d'un montant unitaire de 20 euros, une exonération de droit de licence aurait en réalité un coût de plus de 7 millions d'euros. Je ferai procéder à une étude sur le sport non encadré dans les outre-mer, certaines disciplines pourtant à risque comme l'haltérophilie restant insuffisamment encadrées. Le développement des parcours santé pose également la question de l'encadrement de cette activité.
Je souhaite que nous portions ensemble le pass'sport qui comprendra des financements pour l'adhésion à des clubs sportifs ; le budget des caisses d'allocations familiales (CAF) peut être mobilisé sur le sport, ce qui est insuffisamment le cas aujourd'hui.
En perspective des JOP de 2024, j'ai la volonté qu'une place importante soit faite aux outre-mer. Les jeunes talents doivent pouvoir évoluer le plus longtemps possible sur leur territoire pour éviter au maximum les inconvénients du déracinement et les risques corrélatifs d'échec ; cela suppose un accompagnement localement, par les centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS), et dans l'hexagone, par les CREPS et l'INSEP. Cependant, outre-mer, il n'existe que deux CREPS. Sur cette question de l'accompagnement des jeunes ultramarins sur l'hexagone, un projet est en cours avec l'Union nationale des familles rurales.
Sur le volet sanitaire de la politique sportive nationale, les maisons sport-santé correspondent à un nouveau label qui sera attribué à des structures existantes. Ce dispositif est important pour l'information, le diagnostic, l'orientation : ce seront des lieux de ressources pour renforcer les filières « économie du sport ».
Enfin, nous travaillons à la simplification du code du sport pour prendre en compte les spécificités et contraintes locales.
Mme Catherine Conconne, co-rapporteure. - Y compris dans des disciplines sportives emblématiques, je constate une disparition des conseillers techniques régionaux (CTR) à la Martinique. À défaut, il faudrait pouvoir disposer d'encadrants de niveau équivalent ; je pense à un jeune sportif martiniquais qui intervient actuellement dans les clubs cyclistes et qui fait fonction de CTR. Nous ne produisons guère de CTR car cette formation suppose de partir vers l'hexagone ; aussi devrions-nous essayer de définir une qualification équivalente pour tenir compte de cet obstacle de l'éloignement.
Madame la ministre, si je partage vos intentions et vous sais engagée et déterminée, j'ai le sentiment que vous éprouvez des difficultés à vous faire entendre au sein du Gouvernement. La position en fin de trombinoscope gouvernemental de la ministre des sports et de celle des outre-mer est éloquente ! Je suis lasse d'entendre les discours sur le manque d'argent et sur la nécessaire solidarité : les outre-mer ont droit à l'égalité. Il faut un vrai plan pluriannuel d'investissement (PPI) pour le sport dans les outre-mer ; en vue d'un réel rattrapage, l'ensemble des ministères concernés doivent être mobilisés. Il faut des engagements visibles pour soutenir la motivation et la confiance du mouvement sportif et des bénévoles, car la colère, localement, est de plus en plus difficile à contenir et nous allons droit à la destruction du réseau sportif.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - La question du rattrapage nécessaire concerne essentiellement les infrastructures ; pour le reste, et notamment la mobilité, je préfère la notion d'équité à celle d'égalité car les besoins en outre-mer sont majorés du fait de l'éloignement et de la nécessité fréquente de prendre l'avion qui est un moyen de transport onéreux. Il faut inscrire les outre-mer dans la programmation des projets en cours, en particulier les JOP de 2024.
Le vrai plan pluriannuel d'investissement existe puisque le plan Kanner se poursuit. Certes, son montant s'est réduit en 2018 par rapport à 2017 mais on observe que le nombre de dossiers présentés n'était pas si important ; le ministère des sports affiche 9,2 millions d'euros de projets présentés pour une enveloppe de 7 millions d'euros. Il faut donc mieux faire connaître les dispositifs de droit commun et le « réflexe outre-mer » doit également être développé au sein des fédérations sportives.
Concernant les CTR, leur nombre se réduit au niveau national si bien que les fédérations les gardent sur l'hexagone. Se doter d'éducateurs sportifs de niveau équivalent serait bénéfique, en nouant des partenariats avec les fédérations : l'encadrement est essentiel à l'accompagnement des jeunes et à l'identification des talents. Il existe des postes « fonds jeunesse et éducation populaire ».
Enfin, en vue des JOP de 2024, la ministre des sports a confié à M. Claude Onesta une mission de réflexion dont la feuille de route intègre les outre-mer et comprend un fonds d'investissement pour la création d'infrastructures. Il faut inscrire les outre-mer dans les projets portés au niveau national.
Mme Catherine Conconne, co-rapporteure. - Il faut prendre garde à la temporalité des projets pour rester en phase avec les échéances. Les projets d'investissement doivent démarrer rapidement car la réalisation d'infrastructures relève du temps long.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. - Notre échange d'aujourd'hui va encore abonder les conclusions des Assises des outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Au terme de nos échanges, certains points restent en débat tels que la révision de la circulaire sur les visas. Concernant l'élaboration des schémas territoriaux, j'estime que l'initiative doit émaner des territoires et non de l'État, bien que celui-ci exerce une part de la compétence sportive, et il faut mieux définir la place du mouvement sportif. Sur l'impact des JOP 2024 pour les outre-mer, les investissements à réaliser doivent aussi concerner la remise en état d'infrastructures existantes et il ne faut pas oublier la plus prochaine échéance qui est celle de Tokyo en 2020. Enfin, le sport scolaire doit continuer à constituer un vivier de vocations et de talents.
Sans contester votre engagement au service des outre-mer, je crains que les arbitrages budgétaires à venir ne soient guère en cohérence avec les objectifs affichés, et ma crainte est étayée par les baisses d'enveloppes déjà sensibles en 2018 et par la réduction du nombre des conseillers techniques sportifs.