Mercredi 30 mai 2018
- Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Ladislas Poniatowski, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -
La réunion est ouverte à 16 h 05.
Audition du groupe « The 3 million », association de citoyens européens vivant au Royaume-Uni
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat. Permettez-moi de remercier notre collègue Olivier Cadic qui nous a opportunément suggéré cette audition, laquelle est particulièrement bienvenue dans le contexte de la négociation de l'accord de retrait du Royaume-Uni. Depuis la mise en place de ce groupe de suivi à la demande du Président Gérard Larcher, la question de la situation des citoyens européens installés au Royaume-Uni, singulièrement de nos compatriotes, a été au coeur de nos préoccupations. Nous avons soutenu la position de l'Union européenne qui en a fait l'une des trois priorités de la négociation avec le règlement financier et la question très difficile de l'Irlande. Nous avons ensuite appuyé l'action du négociateur de l'Union, notre compatriote Michel Barnier qui a fait preuve d'une grande fermeté dans la défense des droits des citoyens européens. Mais il nous revient d'évaluer précisément la situation à l'approche d'échéances importantes dans le processus de négociation avec le Royaume-Uni. C'est pourquoi votre témoignage nous est particulièrement précieux. Quel est d'abord votre sentiment général sur le regard des Britanniques à l'égard des citoyens installés sur leur sol ? Quelle est votre appréciation plus précisément sur l'attitude des autorités britanniques ? Quelle est enfin votre analyse sur l'état des négociations concernant la situation des citoyens européens ?
M. Ladislas Poniatowski. - Je parle au nom de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et vous remercie de votre présence. Quelles réponses avez-vous obtenues, suite à l'envoi au Home Office de votre liste de 150 questions concernant le futur des citoyens de l'Union européenne? Par ailleurs, vous représentez nos compatriotes qui se trouvent en Irlande du Nord où le Brexit a été rejeté. Aujourd'hui encore, 69% des Nord-Irlandais se déclarent opposés à cette mesure. Or, l'accord de paix en Irlande prévoyait la possibilité de recourir au référendum pour assurer la réunification de l'île, avec toutefois la décision laissée à Westminster en la matière. Le Brexit pourrait-il donner lieu à un autre référendum susceptible d'aboutir à la réunification de l'Irlande ? Quels échos avez-vous de la situation de nos compatriotes en Ulster et en République d'Irlande ?
Mme Anne-Laure Donskoy, coprésidente de l'Association The3Million.- Je remercie le Sénateur Olivier Cadic d'avoir facilité l'organisation de cette audition, ainsi que les membres du groupe de suivi de nous recevoir. Depuis la publication du rapport conjoint de décembre 2017 et le Conseil européen de mars 2018, le dossier des citoyens européens au Royaume-Uni est annoncé comme réglé. Des représentants du gouvernement britannique répètent à l'envi depuis quelques mois ce message. Or, il n'en est rien, ce que je vais vous exposer en cinq points !
Premier point : le principe selon lequel rien n'est conclu tant que tout ne l'est pas, avive donc les incertitudes depuis près de deux ans, soit 705 jours ! Bien des questions n'ont toujours pas trouvé de réponse, comme la réunification des familles, la reconnaissance des diplômes, ou la situation des personnes précaires. Soit ces questions n'ont pas trouvé de réponses, soit elles n'ont même pas été abordées par les négociateurs, lorsqu'elles ne sont pas explicitement exploitées comme objets de marchandage lors des négociations.
Le second point concerne le processus de documentation des citoyens européens. Le 29 mars 2019, à 23 heures, heure anglaise, les citoyens européens perdront tous leurs droits issus de l'Union européenne et devront obligatoirement postuler à un nouveau statut afin de pouvoir demeurer au Royaume-Uni. Il n'y existe pas de processus d'enregistrement systématique des ressortissants européens sur le sol britannique. Si cette situation n'a pas posé de problème jusqu'à présent, le Gouvernement britannique risque de devoir faire face à un désastre administratif, susceptible de se transformer en désastre humain. En effet, trois millions et demi de citoyens européens devront être correctement documentés d'ici la fin de la période de transition et, au plus tard, le 30 juin 2021. Comment seront recensés et documentés ces citoyens à partir du 30 mars 2019 ? Le Conseil européen a confirmé le changement radical de statut d'immigration des citoyens européens vivant au Royaume-Uni. En vertu du droit européen, les citoyens européens résidant dans un pays de l'Union n'ont pas besoin de demander le droit de résidence ; la législation leur donne déjà ce droit. Ils n'ont ainsi qu'à démontrer qu'ils sont bel et bien résidents en s'enregistrant sous un système appelé « résidence permanente » selon un processus déclaratoire. Le nouveau système proposé au Royaume-Uni impose aux citoyens européens d'émettre une demande de droit de résidence, appelé « Settled Status », ou statut d'établissement, qui s'inscrit dans la loi d'immigration, au terme d'un processus considéré comme constitutif. Le droit de résidence va donc être délivré par les autorités britanniques qui peuvent toujours le retirer. Le processus de mise en oeuvre d'une telle mesure n'a cependant pas été précisé.
Notre association a également identifié cent cinquante questions, auxquelles il faudrait désormais en ajouter une vingtaine, qui ont été adressées au Home Office qui n'a pas encore réagi par écrit. Nous venons d'apprendre, cet après-midi, suite à notre entretien à l'Ambassade du Royaume-Uni à Paris, que les réponses sont en cours de finalisation, sans qu'aucune date ne nous ait été confirmée. Nous assistons aux réunions sur la mise en place du nouveau statut aux contours encore incertains. L'avenir de nombreuses personnes, qui se trouvent déjà en situation précaire, nous inquiète : celles en situation de handicap ou de maladie de longue durée, les membres des communautés des gens du voyage ou les personnes incarcérées, en maison de retraite, les personnes illettrées ou ne disposant pas d'un accès à internet, voire les personnes présentes sur le territoire britannique depuis de nombreuses années mais non reconnues. Qu'adviendra-t-il des personnes qui n'obtiendront pas à temps le nouveau statut ? L'optimisme béat affiché en permanence par le Ministère de l'intérieur britannique ne convainc personne. Ce ministère souffre, en effet, d'un manque chronique de personnels. Le niveau de formation y est inégal. En outre, les données personnelles qu'il détient présentent un taux d'erreur de l'ordre de 10%. Or, un tel taux peut être la source de nombreux litiges, suite à la promulgation de la nouvelle loi sur l'exemption du droit à communication des données personnelles en matière d'immigration qui interdit l'accès au dossier personnel pour préparer un appel. Notre organisation vient d'ailleurs de démarrer une action en justice qui vise l'annulation de cette interdiction. Le Gouvernement devra traiter quotidiennement entre six et sept mille dossiers, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux litiges.
Mon troisième point concerne l'inquiétante évolution du climat social depuis le référendum et suite à la politique migratoire britannique conduite depuis 2012. Les bailleurs locatifs, qu'ils soient sociaux ou privés, ainsi que les agences immobilières, sont dans l'obligation de contacter le ministère de l'intérieur si une personne n'est pas en mesure de prouver sa situation régulière. Il en va de même pour les banques qui doivent vérifier tous les comptes, ainsi que pour les organismes sociaux qui refusent parfois, à tort, aux citoyens européens certaines allocations. Certains cas de discrimination, au nom ou au faciès, ont été constatés dans les hôpitaux, en raison d'une surinterprétation zélée ou xénophobe de la réglementation. La possession d'un passeport britannique est désormais exigée pour l'obtention des emplois proposés, notamment dans les universités. Sans oublier, l'exemple des citoyens du Commonwealth, arrivés au Royaume-Uni dans les années 1950, victimes du scandale Windrush, qui démontre la possibilité de destruction de vies entières pour des motifs purement administratifs. Officiellement, le Gouvernement reconnaît qu'environ soixante personnes ont été expulsées à tort. Ce chiffre nous paraît minoré. En outre, certaines personnes, de retour de vacances à l'étranger, se sont vues interdites de retour sur le sol britannique. Ce climat malsain est renforcé par l'impunité dont semblent jouir les responsables d'actes de xénophobie et de racisme au quotidien. Parler sa langue d'origine dans la rue peut être le motif d'une agression verbale ou physique, à l'instar de ce qui s'est produit pour des élèves du Lycée français de Londres. Les statistiques officielles parlent d'elles-mêmes : les crimes de haine ont connu une hausse significative dès le début de la campagne référendaire de mai 2016, sans oublier le meurtre de la parlementaire Jo Cox. Ma collègue Véronique Martin abordera, de manière plus précise, la facture humaine du Brexit.
Le quatrième point concerne la surveillance et la protection de nos droits à long terme. Le Royaume-Uni conteste tout rôle que pourrait jouer la Cour de justice de l'Union européenne en cas de litige lié aux questions migratoires et a insisté pour qu'on lui accorde une clause crépusculaire. La Commission européenne, quant à elle, renvoie tout ce qui toucherait aux processus de surveillance locale au gouvernement britannique, lequel n'a toujours rien proposé de viable. Le rapport conjoint de décembre et l'accord de mars soulignent l'importance d'une autorité administrative indépendante dans ce domaine. Cependant, celle-ci sera-t-elle réellement indépendante et disposera-t-elle des moyens logistiques à la hauteur de la tâche qu'il lui faudra assumer ? Le risque sera d'autant plus grand, au terme de la clause crépusculaire de huit années, surtout si les droits ne sont pas retranscrits dans la législation primaire.
Enfin, cinquième point, l'échec des négociations induirait la disparition des droits des citoyens européens. Notre association demande, depuis le début des négociations, que les droits des ressortissants européens fassent l'objet d'une discussion séparée ; notre équipe juridique préparant un dossier de protocole qui sera soumis, la semaine prochaine, à la Commission européenne. Si les négociations échouent, les citoyens européens devront alors postuler au statut réservé aux citoyens des pays tiers et dont l'obtention relève d'une procédure, qualifiée, y compris par la Chambre des Lords, de byzantine, tant elle apparaît comme longue, onéreuse et restrictive. Nos contacts au sein des instances représentatives du patronat britannique prévoient que 90% des ressortissants européens installés en Grande-Bretagne ne seront pas en mesure d'obtenir ce nouveau statut ; situation critique dont, du reste, l'ambassadeur de France au Royaume-Uni, M. Jean-Pierre Jouyet, est tout à fait conscient. Ma collègue Sylvie Jucobin pourra également évoquer ces retours en France que l'évolution de la législation britannique risque de provoquer.
En conclusion, les promesses du Gouvernement britannique que notre situation ne changerait en rien n'ont pas été tenues. Des enjeux politiques et idéologiques ont ainsi pris le dessus sur des considérations éthiques et juridiques, tandis que les ressortissants européens au Royaume-Uni continuent d'être traités comme des pions sur l'échiquier d'un jeu politique insensé. Les citoyens français pris dans cette tourmente attendent que le Gouvernement réagisse et exige des précisions ainsi que des garanties fermes. Notre situation n'est pas réglée et exige une réponse exceptionnelle.
Mme Véronique Martin, coéditrice du livre In Limbo. - Je suis la coéditrice du livre In Limbo, un recueil de témoignages de citoyens européens vivant en Grande-Bretagne et qui sont affectés par le Brexit. Je viens vous parler aujourd'hui du prix humain derrière les statistiques. Car le Brexit, c'est aussi et surtout un drame humain et même, dans certains cas, une véritable tragédie. Nous ne sommes pas une masse sans visage, comme voudraient le faire croire les tabloïds britanniques ; nous sommes des individus en situation de détresse, car on nous menace de tout perdre - sécurité, emploi, maison et même famille -, alors même qu'on nous a retiré le pouvoir de nous défendre. En effet, nous n'avons pas eu le droit de voter au référendum et nous ne pouvons rien faire quand le Gouvernement menace de nous retirer nos droits rétrospectivement et même de nous expulser en nous séparant de nos familles, s'il décide soudain que nous sommes illégaux. Le drame humain du Brexit nous affecte tous, mais je n'ai le temps de vous parler ici que de quelques cas emblématiques. Ainsi, de nombreuses personnes âgées se sentent menacées parce qu'elles ne contribuent plus directement à l'économie et craignent d'être expulsées, comme cela est arrivé aux citoyens britanniques de la génération Windrush ; un scandale très récent dont vous avez dû entendre parler. Les gens comme moi, mariés à des Britanniques depuis des années ou des décennies, ont appris que leurs années de vie en couple ne comptent pour rien et craignent de faire partie, après le Brexit, des 15 000 familles séparées par Theresa May depuis 2012, ces familles déchirées qu'on appelle les « Skype Families ». Tous ceux et celles qui ont perdu leur emploi à cause du Brexit et ne peuvent pas en trouver un autre à cause de la préférence nationale, favorisée par la rhétorique du gouvernement et des tabloïds, se retrouvent dans des situations extrêmement précaires. Tous ceux et celles enfin qui sont affectés par la xénophobie vivent dans la peur et souffrent mentalement et physiquement.
Murielle a dû quitter sa vie en Grande-Bretagne après huit ans, en laissant, la mort dans l'âme, sa fille et sa petite-fille ; incapable de trouver un emploi à cause de sa nationalité, vivant dans l'incertitude de pouvoir continuer à toucher des allocations-chômage et écrasée par la xénophobie rencontrée au quotidien à cause de son accent français. Comme elle n'avait plus de famille en France, elle a dû tout recommencer de zéro.
Marianne, mère de quatre jeunes enfants et divorcée, qui, pour les mêmes raisons que Murielle, ne peut pas trouver d'emploi, craint elle aussi de perdre ses allocations, suite à des menaces en ce sens. Elle ne peut quitter la Grande-Bretagne, sous peine de perdre ses enfants. Sa situation n'est déjà pas facile, mais le Brexit l'a rendue tragique.
Nathalie, mère de trois enfants et de santé fragile, et son mari britannique, ont été obligés de vendre leur maison en Angleterre, car elle craignait de se retrouver sans accès à la médecine anglaise et ne voulait pas que ses enfants grandissent dans une atmosphère toxique de xénophobie. Elle est partie en France avec ses deux plus jeunes enfants et a dû laisser son mari, qui travaille en Angleterre, et son fils aîné. Pour elle, repartir en France, même si elle aime son pays natal, ce n'est pas rentrer chez elle, mais s'exiler de sa famille.
La xénophobie est en plein essor depuis le référendum ; le mois dernier, des jeunes du Lycée français de Londres se sont fait insulter dans le bus par des lycéens anglais, parce qu'ils parlaient français et que le Brexit signifiait qu'ils n'étaient plus les bienvenus. Lorsqu'ils sont descendus du bus pour éviter leurs agresseurs, ces derniers les ont suivis pour les attaquer physiquement.
Une de mes amies, Virginie, s'est fait insulter et attaquer dans un train bondé il y a quelques semaines avec son jeune fils métis de onze ans. Ses attaquants étaient quatre Anglais dans la cinquantaine, qui les ont menacés avec des propos xénophobes et racistes. Ils ont eux aussi mentionné le Brexit comme justification de leur attitude. Une autre Française, Caroline, qui a travaillé dans la même entreprise depuis des années, s'est fait récemment convoquer par son patron qui lui a demandé de changer son accent français au motif qu'il ne faisait pas professionnel. Pour couronner le tout, son petit garçon est rentré en larmes de l'école quelques jours après, parce qu'il était maltraité à cause de sa nationalité française.
Nombreux sont les enfants traumatisés par le Brexit. Comme cette petite-fille de sept ans qui n'a demandé qu'une seule chose au Père Noël : pouvoir garder sa Maman européenne en Grande-Bretagne avec elle et son papa anglais. Nous entendons tous les jours des histoires analogues. Et je ne vous parle pas des attaques physiques graves qui sont, elles aussi, trop nombreuses. Je ne vous mentionne pas non plus les détentions d'Européens innocents dans des centres de rétention pour des périodes illimitées, ni des expulsions qui ont dramatiquement augmenté depuis le référendum. Nous n'avons aucune confiance dans ce Gouvernement. La détresse humaine suscitée par le sentiment d'être rejetés et trahis par notre pays d'adoption est extrêmement profonde. Nombreux sont les Européens qui souffrent de dépression et d'angoisse, au point de devoir prendre des congés maladie. Nous avons aussi enregistré quelques cas de suicide.
Le prix humain du Brexit est terrible. Nous, Français du Royaume-Uni, avons besoin de nous savoir soutenus par l'Europe et surtout par la France. Besoin d'être soutenus sur le terrain au niveau du Consulat ou de l'Ambassade et aussi, comme va l'expliquer Sylvie, lors de notre séjour en France. J'espère avoir pu vous sensibiliser à notre situation pénible et précaire. Merci de votre aide et de votre compréhension.
Mme Sylvie Jucobin, Association The3Million.- La Grande-Bretagne n'est plus le pays où il est possible d'élever mes enfants. J'ai été agressée verbalement par les parents d'élèves au motif que j'étais française, à Colchester, dans l'Essex, alors que j'ai longtemps participé aux activités scolaires et que notre famille y était intégrée. Depuis ces quatre derniers mois, où je suis retournée vivre en France avec l'un de mes deux enfants, ma famille est déchirée entre la France et l'Angleterre.
M. Olivier Cadic. - Je vous remercie d'avoir organisé cette audition. Je suis élu des Français du Royaume-Uni et ces témoignages sont hélas quotidiens. Ce mouvement citoyen a été créé à la suite d'une conférence que j'avais organisée à Bristol. Pour le moment, nulle réponse n'est parvenue au questionnaire, alors que se renforcent les comportements inacceptables. Ne nous berçons plus d'illusions, malgré les déclarations d'intention du dernier Conseil européen ! Il nous faudra évoquer cette détresse avec Michel Barnier, lors de sa prochaine audition. Notre groupe de suivi a un rôle à jouer vis-à-vis de l'Union européenne. La Constitution irlandaise prévoit l'organisation d'un double référendum, si l'Ulster devait rejoindre la République d'Irlande. D'ailleurs, à Dublin, les milices militaires se reconstituent, les frontières seront réinstaurées en cas de « Hard Brexit » ! Merci d'avoir évoqué le prix humain du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Néanmoins, un article récent du Telegraph fait état d'une budgétisation de l'organisation des prochaines élections européennes !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Votre initiative est essentielle et mon expérience, tant de sénatrice que de représentante des Français de l'Étranger, est ancrée en Grande-Bretagne. Notre groupe de suivi s'est rendu à Westminster. Vous avez été auditionnés au Parlement européen, mais l'avez-vous été par le Parlement britannique ?
Mme Anne-Laure Donskoy. - Nous l'avons été à maintes reprises depuis janvier 2017. La semaine prochaine, je devrais être auditionnée à nouveau par le comité pour les affaires européennes de la Chambre des Communes, ainsi que par la Chambre des Lords. En fait, nous demandons à être entendus dès que possible par la Représentation britannique.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Quels sont vos liens avec les associations de ressortissants britanniques en Europe ?
Mme Anne-Laure Donskoy. - Toutes nos notes techniques ont été rédigées ensemble ; nos soucis étant communs. Notre collaboration est organique et automatique.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - C'est une question qui intéresse l'Europe tout entière !
Mme Anne-Laure Donskoy. - À chaque fois que nous nous rendons à Bruxelles, nous rencontrons les différentes représentations permanentes. Certains pays ont plus naturellement accueilli ce genre de requête que d'autres. L'association « British in Europe » rassemble, quant à elle, des juristes, alors que nous sommes des citoyens ordinaires pris dans cette tourmente.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Les Britanniques me semblent pourtant tolérants. Les cas de xénophobie sont-ils si fréquents ?
Mme Véronique Martin. - Le changement de rhétorique du Gouvernement de Theresa May donne libre cours aux préjugés qui préexistaient dans la société britannique. Bien qu'anglophiles, nous constatons l'accroissement du nombre des intransigeances à l'endroit des étrangers. La Grande-Bretagne a manifestement changé !
Mme Sylvie Jucobin. - Dans mon village britannique, j'ai pu constater le silence de la majorité de la population face aux agressions racistes dont j'étais victime. Ma fille n'était plus invitée aux anniversaires de ses camarades !
M. Ronan Le Gleut. - Je tiens à saluer notre collègue Olivier Cadic pour son initiative. Vos témoignages sont poignants. Le Royaume-Uni vous semble-t-il pouvoir faire marche arrière et remettre en cause le Brexit ?
M. Jean Bizet, président. - Quand bien même cette remise en cause interviendrait, le mal est-il fait à vos yeux ?
Mme Véronique Martin. - Certains Anglais se battent contre cette xénophobie ambiante avec détermination. Ils proposent ainsi d'organiser un référendum sur les propositions de Theresa May, une fois le Brexit acté.
M. Jean Bizet, président. - Avez-vous le sentiment que ce message est reçu par la population ?
Mme Sylvie Jucobin. - Il nous est impossible, pour des raisons matérielles, de demeurer au Royaume-Uni. Notre amour pour la Grande-Bretagne, où nous avions décidé de nous installer, se heurte à une hostilité croissante.
M. Ladislas Poniatowski. - Quel a été l'accueil de votre questionnaire auprès des négociateurs du Brexit ?
Mme Anne-Laure Donskoy.- Nous rencontrerons ces négociateurs la semaine prochaine. Cependant, la Commission européenne nous a indiqué que ces questions concernaient, au premier chef, Westminster.
M. Ladislas Poniatowski. - Les Anglais rêvent de la division des 27 et d'avoir face à eux un négociateur non soutenu par les autres États européens. Le Gouvernement français ne peut vous aider sur les points précis que vous avez soulevés, à l'inverse du négociateur, seule instance capable de relayer efficacement vos préoccupations.
Mme Anne-Laure Donskoy. - Mais en tant que ressortissante française, je souhaite que le Gouvernement français demande des clarifications à Westminster !
M. Ladislas Poniatowski. - Ne vous trompez pas de combat !
Mme Sylvie Jucobin. - Organiser un retour en France, c'est se heurter à de nombreuses difficultés. Il est d'ailleurs possible que des milliers de Français y soient contraints de façon précipitée !
M. Jean Bizet, président. - C'est la première fois que nous appréhendons le drame humain du Brexit. Nous recevrons Michel Barnier le 5 juillet prochain et lui soumettrons cette problématique. Nous en étions restés au côté fair play de la vieille Angleterre. C'est, à nos yeux, une découverte.
Mme Anne-Laure Donskoy. - C'est un drame existentiel qui se déroule devant nous qui sommes des objets de marchandage. Comme chercheur, je participe au projet Euro-children et Euro-families, qui étudie les réactions des individus face au Brexit. Une profonde tristesse émane des membres de notre association qui sont autant d'enfants du projet européen, dont certains, comme ma collègue Véronique Martin, sont issus d'Erasmus, ayant décidé de faire leur vie au Royaume-Uni. Certaines personnes, qui vivent sur la frontière entre l'Ulster et la République d'Irlande éprouvent également une crainte réelle quant à l'évolution de la situation, susceptible d'aboutir à la résurgence des troubles passés. Les milices, qui n'ont jamais disparu, reprennent de l'activité. Les personnes ordinaires ne savent pas si elles pourront y demeurer.
Mme Véronique Martin. - Le dernier chapitre de notre ouvrage « In limbo » contient néanmoins un message d'espoir. En Irlande du Nord, aucune xénophobie n'a été constatée. Les Irlandais du Nord, qui sont majoritairement en faveur du maintien dans l'Union, savent que la paix est, pour partie, la conséquence du processus européen.
Mme Sylvie Jucobin. - Certains nord-irlandais ont fait le choix d'un passeport irlandais, afin de pouvoir demeurer européens.
M. Olivier Cadic. - Les membres de « British in Europe » observent une même attitude. Il y a là un effet miroir avec les témoignages que l'on a pu recueillir. Suite au Brexit, la réunification de l'Irlande va peut-être s'opérer pacifiquement !
Mme Véronique Martin. - Toutefois, la minorité du Democratic Unionist Party (DUP), qui soutient le gouvernement de Theresa May, va peut-être poser problème dans ce processus.
M. Jean Bizet, président. - La xénophobie, qui s'est d'abord cristallisée sur les Polonais, ne retombe-t-elle pas, en définitive, sur l'ensemble des Européens ?
Mme Véronique Martin. - En effet, deux Polonais ont violemment été agressés suite au Brexit. Dans ma ville de Bath, un étudiant italien a été agressé, alors qu'il téléphonait à sa mère. Comme lui, nombreuses sont les personnes agressées, pour ces motifs, qui n'osent se plaindre. Lorsque mon amie Virginie et son enfant ont été agressés par quatre individus, seule une jeune Britannique s'est portée auprès d'elle. La police ne s'est guère montrée réconfortante et ce n'est qu'à la suite de la mobilisation des associations de lutte contre le racisme, relayée par les réseaux sociaux, que les auteurs de son agression ont été interpellés.
M. Ladislas Poniatowski. - Que font vos collègues qui représentent les autres nationalités concernées ?
Mme Anne-Laure Donskoy. - Nous représentons les ressortissants de l'ensemble des États membres et tentons d'informer les gouvernements concernés sur notre situation. Si l'expérience de notre collègue Virginie a été évoquée dans The Guardian, d'autres ne le sont pas. Certaines personnes du troisième âge, après des décennies de présence, sont également menacées d'expulsion ! Nos questions sont désormais au nombre de 170 et il est essentiel de déterminer, à ce stade, un cadre juridique pour couvrir l'ensemble des personnes. Enfin, l'échec des négociations du Brexit représenterait une catastrophe pour les 90 % des ressortissants potentiellement sujets à expulsion.
M. Jean Bizet, président. - La Grande-Bretagne serait alors considérée comme un pays tiers. Je tiens à vous remercier de votre témoignage surprenant, tant la gravité du drame humain entraîné par le Brexit ne m'était jusque-là apparue avec une telle acuité. Notre ambassadeur est-il informé de la situation ?
Mme Anne-Laure Donskoy. - Nous l'avons interpellé lors de son déplacement à Bristol, la semaine dernière. Il nous a également exprimé ses craintes quant aux conséquences de l'échec des négociations.
Mme Sylvie Jucobin. - Je suis revenue en France avant le Brexit, ce qui fait de moi une privilégiée ! En matière de sécurité sociale, je suis en mesure de payer mes soins, dans l'attente de la délivrance d'une carte vitale. Tout ce processus administratif rend le retour en France plus qu'hasardeux ! Qu'adviendra-t-il en cas de retour précipité de milliers de personnes ?
M. Olivier Cadic. - Au début des Années 60, notre pays a été en mesure d'accorder une aide ponctuelle à ses rapatriés, ce qui constitue un précédent. Aussi, je souhaite que notre groupe de suivi émette le voeu d'une aide au retour en masse de nos ressortissants, si celui-ci venait à se produire.
Mme Anne-Laure Donskoy. - L'Assemblée nationale a émis exactement la même suggestion. Nombreux sont ceux parmi nous qui n'ont plus de points de chute !
Mme Sylvie Jucobin. - Il est en effet difficile de louer un logement lorsqu'on arrive de l'étranger.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie, Mesdames, de vos interventions. Nous ne manquerons pas d'évoquer cette problématique du retour dans le cadre de nos échanges sur le Brexit.
La réunion est close à 17 h 15.