- Mardi 15 mai 2018
- Nomination d'un rapporteur
- Proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
- Mission de réflexion sur les enjeux de l'évolution de la fonction publique territoriale - Nomination d'un rapporteur
- Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la Défense - Examen du rapport pour avis
- Mercredi 16 mai 2018
- Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, sur son rapport annuel d'activité pour 2017
- Nomination de rapporteurs
- Proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale - Délégation au fond de l'examen d'articles
- Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
- Création d'un groupe de travail sur l'amélioration de l'efficacité des fiches S - Communication
- Dématérialisation des documents de travail de la commission - Communication
- Bilan annuel de l'application des lois - Communication
Mardi 15 mai 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Nomination d'un rapporteur
La commission désigne M. Christophe-André Frassa rapporteur sur la proposition de loi organique n° 772 (A.N., XVème lég.) relative à la lutte contre les fausses informations, sous réserve de sa transmission.
Proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission des lois demande à être saisie pour avis de la proposition de loi n° 799 (A.N., XVème lég.) relative à la lutte contre les fausses informations et nomme M. Christophe-André Frassa rapporteur pour avis sur cette proposition de loi, sous réserve de sa transmission.
Mission de réflexion sur les enjeux de l'évolution de la fonction publique territoriale - Nomination d'un rapporteur
La commission désigne Mme Catherine Di Folco rapporteur, chargée d'une mission de réflexion sur les enjeux de l'évolution de la fonction publique territoriale, dans la perspective d'une prochaine réunion de la conférence nationale des territoires.
Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la Défense - Examen du rapport pour avis
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Notre commission s'est saisie pour avis de plusieurs dispositions du projet de loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Grâce à un rehaussement de l'effort de défense à 2 % de notre produit intérieur brut (PIB), ce texte vise à renforcer les capacités de nos armées et à les doter des moyens nécessaires à l'accomplissement de leurs missions. Dans toute démocratie, l'exercice de la force armée est soumis à certaines valeurs. Il est donc logique que ce texte contienne des dispositions juridiques pour garantir le respect de ces dernières tout en permettant à nos armées d'agir dans les meilleures conditions.
Deux points concentreront particulièrement notre attention. L'article 19, tout d'abord, qui renforce nos capacités de cyberdéfense. Certaines mesures sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée. Je vous proposerai des amendements pour les encadrer et parvenir à un dispositif équilibré. Ensuite, nous devrons aussi nous prononcer sur le contrôle des activités de renseignement, un point qui ne figure pas dans la loi. Je vous proposerai de suivre les propositions de MM. Bas, Cambon et Buffet, qui ont récemment déposé une proposition de loi sur le sujet.
Le texte comporte diverses dispositions portant sur les ressources humaines. L'article 14 rétablit pour les ouvriers d'État les règles normalement applicables aux fonctionnaires en matière de cumul d'activités. L'article 16 prévoit deux procédures expérimentales de recrutement par le ministère des armées pour faire face aux difficultés sérieuses à pourvoir certains postes dans certains domaines, comme l'informatique ou le renseignement par exemple. La première permet de recruter, sur une période donnée et dans un nombre de régions limité, certains corps de fonctionnaires de catégorie B sans organisation de concours, dans le cadre, toutefois, d'une sélection « objective et impartiale ». La seconde expérimentation prévoit, dans un nombre de secteurs limités et dans les mêmes régions, la possibilité d'ouvrir certains postes vacants à des agents contractuels en dehors des cas normalement prévus par le droit commun de la fonction publique. Ces dispositifs me paraissent bien encadrés.
L'article 18 comporte des dispositions relatives à l'élection des militaires aux scrutins locaux. Depuis la IIIe République, au nom de la séparation des pouvoirs entre le civil et le militaire, les militaires en activité ne peuvent exercer aucun mandat électif. Cette tradition semblait bien ancrée. Toutefois un militaire a déposé une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a jugé que l'incompatibilité absolue existant entre la fonction de militaire de carrière en activité et celle de conseiller municipal était excessive, donnant au Gouvernement jusqu'à 2020 pour modifier la loi. Le Gouvernement fait une proposition a minima qui me semble pertinente. Ainsi, l'article 18 prévoit une dérogation à cette incompatibilité pour les conseils municipaux des communes de moins de 9 000 habitants - l'Assemblée nationale ayant relevé le seuil qui était initialement prévu à 3 500 habitants - et les conseils communautaires des communautés de communes de moins de 15 000 habitants. En revanche, l'incompatibilité demeure pour les autres mandats et un militaire en activité ne pourra pas non plus exercer une fonction exécutive locale (maire ou adjoint au maire, notamment).
L'article 19, sur lequel je vous proposerai le plus de modifications, renforce le dispositif national de cyberdéfense, en facilitant la détection, le plus en amont possible, auprès des opérateurs de communications électroniques, des attaques informatiques. Il comprend deux volets, distincts mais complémentaires. Un volet incitatif vise à améliorer le niveau de sécurité sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques. Ce volet ouvre la possibilité aux opérateurs de communications électroniques de déployer, sur leurs propres réseaux, des dispositifs techniques, que l'on peut qualifier de « sondes », destinés à surveiller le trafic afin de détecter de potentielles attaques informatiques. Ces dispositifs fonctionneraient comme des anti-virus : ils reposeraient sur une comparaison, en temps réel, des flux de données circulant sur les réseaux des opérateurs avec des marqueurs d'attaques, c'est-à-dire des éléments techniques caractéristiques de certaines attaques ou de certains attaquants. La neutralité du Net serait respectée. Le déploiement de ces dispositifs s'effectuerait de manière volontaire. Ce premier volet ouvre par ailleurs de nouvelles prérogatives à l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) : en cas d'information sur une menace spécifique, elle aurait la possibilité de demander à un opérateur d'exploiter les sondes qu'il a installées à l'aide de marqueurs techniques spécifiques, aux fins de prévenir cette menace spécifique ; en cas de détection d'une attaque visant une autorité publique ou un opérateur d'importance vitale (OIV), l'Anssi pourrait demander à l'opérateur de lui transmettre les données techniques nécessaires à l'analyse de la menace. Pour mémoire, on compte environ 250 opérateurs d'importance vitale. La catégorie des OIV a été créée par la précédente loi de programmation militaire. Ces OIV se distinguent des opérateurs de services essentiels, catégorie plus large, qui sont désignés par le Premier ministre, car ils assurent la fourniture de services essentiels au bon fonctionnement de l'économie, comme les banques ou EDF par exemple. Ces opérateurs doivent disposer d'une sécurité numérique maximale.
Le second volet de l'article 19 est plus contraignant. Il confère à l'Anssi d'importantes prérogatives lorsqu'une autorité publique ou un opérateur d'importance vitale est menacé par une cyberattaque. Dans une telle hypothèse, l'Anssi aurait la possibilité d'installer elle-même, de manière temporaire, ses propres sondes de détection d'attaques sur le réseau d'un opérateur de communications électroniques ou d'un hébergeur de solutions informatiques. Elle pourrait, dans ce cadre, collecter les données techniques nécessaires à la caractérisation et à la prévention des menaces et les conserver pendant un certain temps. Le Gouvernement avait prévu un délai de cinq ans, l'Assemblée nationale l'a porté à dix ans, pour permettre à l'agence de mieux caractériser les menaces. Ces dispositions visent à permettre à l'Anssi d'améliorer sa connaissance des menaces, notamment lorsqu'il s'agit de menaces « invisibles », comme, par exemple, l'introduction d'un cyberattaquant dans le réseau d'une administration à des fins d'espionnage ou de blocage, comme ce fut par exemple le cas lors de l'attaque contre TV5. En cas de refus d'un opérateur ou d'un hébergeur, des sanctions pénales seraient encourues. Compte tenu du caractère intrusif de ce dispositif, l'article 19 confie un pouvoir de contrôle à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Celle-ci aurait pour rôle de veiller au respect par l'Anssi des termes de la loi et pourrait lui adresser des injonctions.
L'intensification de la cybermenace au cours des dernières années, à l'instigation de certains pays ou de groupes divers, nécessite des réponses adaptées. Les guerres de demain seront de plus en plus des guerres numériques. C'est pourquoi je ne vous propose pas de remettre en cause ces dispositifs. Toutefois mes amendements visent à en assurer la constitutionnalité, en prévoyant les garanties nécessaires pour assurer une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des libertés et des droits et fondamentaux, notamment le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée. En effet, pour détecter les signaux d'une attaque ou une anomalie, l'Anssi, dans sa mission de surveillance des flux, doit pouvoir extraire des documents de correspondance privés. Même si elle n'a pas vocation à lire les courriels ou les documents privés, elle doit pouvoir les ouvrir. C'est pourquoi il est nécessaire de renforcer les garanties. À cette fin, je vous propose de préciser, par un décret en Conseil d'État, la liste des données techniques susceptibles d'être collectées dans le cadre de ces dispositifs, afin d'éviter toute intrusion dans les données relatives au contenu des correspondances privées ; de renforcer les pouvoirs de contrôle de l'Arcep, notamment en lui permettant de recourir à des experts extérieurs ; d'instaurer un recours spécifique devant le Conseil d'État en cas de refus de l'administration de suivre les injonctions de 1'Arcep, selon un dispositif qui s'inspire de celui en vigueur pour la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ; de renforcer le contrôle parlementaire, avec l'obligation faite à l'Arcep de transmettre au Parlement un rapport chaque année et d'informer les présidents des assemblées immédiatement en cas de dysfonctionnement ; d'assurer le respect du principe constitutionnel de juste rémunération des opérateurs, qui prévoit que toute charge financière imposée par la loi à un opérateur de communications électroniques soit compensée par l'État ; et enfin de garantir le respect du principe à valeur constitutionnelle de proportionnalité des peines, en supprimant la peine d'emprisonnement encourue par les opérateurs en cas d'obstruction à l'installation d'une sonde par l'Anssi tout en augmentant les amendes.
Je n'ai pas d'observation particulière sur l'article 22 bis qui modifie les modalités de financement et les conditions de publication des travaux de la commission de vérification des fonds spéciaux.
J'en viens maintenant au renseignement. M. Philippe Bas, qui a présidé la délégation parlementaire au renseignement, estime nécessaire de renforcer le contrôle du Parlement en la matière. Il a déposé le 11 mai au Sénat, avec MM. Christian Cambon et François-Noël Buffet, une proposition de loi en ce sens. L'article additionnel après l'article 22 bis, que je vous propose d'insérer, en reprend le dispositif. Il étend le périmètre de contrôle de la délégation, sur le modèle de ce qui existe dans d'autres démocraties, à l'ensemble de l'activité des services de renseignement, tout en prévoyant, pour respecter les exigences constitutionnelles et ne pas entraver l'efficacité des services, un droit d'opposition du Gouvernement pour les cas où la communication d'une information, d'un document ou d'un élément d'appréciation serait susceptible de porter atteinte à une opération en cours ou de mettre en péril l'anonymat ou la sécurité d'un agent. Il rend aussi la délégation parlementaire au renseignement destinataire de plein droit de la liste annuelle des rapports de l'inspection des services de renseignement ainsi que des rapports des services d'inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement. La liste des personnes susceptibles d'être entendues par la délégation est aussi étendue à l'ensemble des personnels des services de renseignement, avec des garanties pour préserver leur anonymat puisqu'ils ne pourraient être entendus que dans le cadre d'un déplacement de la délégation sur le site du service concerné. Enfin, la délégation pourrait et désigner en son sein un rapporteur, ce qui renforcera la continuité de ses travaux au-delà de l'alternance des présidents tous les ans.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pour quelle durée serait-il désigné ?
M. Philippe Bas, président. - Cela reste à préciser. Son mandat en tout cas serait supérieur à un an, durée du mandat du président de la délégation.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'article 21 accorde l'excuse pénale aux cybercombattants. Le Sénat, lors de l'examen de la dernière loi de programmation militaire, avait mené une réflexion remarquable sur le sujet. L'ouverture d'une instruction judiciaire à la suite de l'embuscade d'Uzbin, au cours de laquelle des parachutistes du 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine avaient trouvé la mort, avait causé un choc dans les armées. La crainte était celle d'une judiciarisation du champ de bataille, avec un risque accru pesant sur les épaules des chefs d'opérations. Pour éviter que des militaires accomplissant leur devoir, dans des conditions souvent difficiles, ne voient leur responsabilité pénale engagée abusivement, la précédente loi de programmation militaire 2014-2019 a précisé le régime d'irresponsabilité pénale et prévu que l'action publique ne pourrait être mise en mouvement que par le procureur de la République. L'article 21 étend ce régime aux cybercombattants.
L'article 23 répond à une demande forte des militaires engagés dans les opérations militaires extérieures (OPEX) : il les autorise à procéder à des relevés signalétiques et à des prélèvements biologiques. Ainsi par exemple, après une attaque ou l'explosion d'une mine au Mali ou sur un théâtre d'opérations, les militaires pourraient procéder à des prélèvements salivaires dans les villages à proximité pour identifier les auteurs de l'attaque grâce à leur ADN. Des garanties sont prévues. Seuls les prélèvements salivaires sont autorisés. Ces pratiques sont déjà en cours dans d'autres armées, comme l'armée américaine.
L'article 24 procède à la mise en oeuvre de plusieurs conventions et protocoles récemment ratifiés ou en cours de ratification par la France contribuant à la lutte contre le terrorisme aérien ou maritime, ainsi que du deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels, signé le 26 mars 1999. Ainsi la France pourra juger toute personne responsable d'un acte de piraterie maritime ou aérienne, ou du vol d'un bien culturel classé, commis n'importe où dans le monde, dès lors que cette personne aura été appréhendée sur le territoire national.
Le texte assouplit aussi les modalités d'accès aux marchés de défense ou de sécurité, pour corriger une surtransposition du droit européen.
L'article 28 vise à faciliter la cession de biens immobiliers anciennement utilisés par le ministère des armées, en sécurisant des dispositions déjà existantes. Elles visent, concrètement, à ce que l'État n'ait pas à faire l'avance des frais de dépollution, leur coût étant simplement déduit du prix de vente. Il est à souligner que cette loi de programmation militaire, refusant les acrobaties budgétaires que l'on a pu connaître, est fondée sur des recettes stables et n'inclut pas d'hypothétiques recettes issues de cessions immobilières.
L'article 32 porte réforme du contentieux des pensions militaires d'invalidité. Je connais l'attachement ancien et profond aux juridictions des pensions militaires d'invalidité dans nos territoires. Toutefois ces juridictions fonctionnent mal, avec des délais importants, et les bâtonniers ont tendance à désigner pour y officier dans le cadre de l'aide juridictionnelle de jeunes avocats qui ignorent tout de ce droit. C'est pourquoi le texte transfère le contentieux des pensions militaires d'invalidité aux juridictions administratives de droit commun. Il instaure également un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) à toute saisine du juge, en prévoyant la présence de médecins au sein des commissions chargées de l'instruire, mesure fort utile car l'essentiel des recours, peu nombreux, relèvent du domaine médical.
Le texte prévoit également d'habiliter le Gouvernement à harmoniser, par ordonnance, les dérogations aux procédures d'information et de participation du public pour des motifs de sécurité nationale.
Enfin le projet de loi autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour tirer les conséquences de la ratification du protocole de 2005 modifiant la convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour l'examen approfondi du projet de loi auquel vous vous êtes livré. Les questions qu'il aborde, à première vue sans guère de rapport les unes avec les autres, ont nécessité, pour leur étude, l'appropriation par vos soins de sujets fort variés. Je vous remercie d'avoir repris nos propositions sur la délégation parlementaire au renseignement, institution dont j'estime la maturité encore insuffisante au regard, notamment, du fonctionnement de ses homologues britannique, allemand et italien. Tout renforcement de son action doit, cependant, être raisonnablement établi à l'aune des impératifs de défense nationale. Certaines limites ne doivent, à cet égard, pas être franchies, notamment si la divulgation d'informations à la délégation, et bien que ses membres soient habilités, mettait en péril notre coopération avec des services étrangers ou si la sécurité publique devait en pâtir. À cet effet, l'amendement que vous proposera le rapporteur, s'il élargit le champ des informations dont peut avoir connaissance la délégation parlementaire au renseignement, prend soin de préciser que le Gouvernement dispose de la capacité, par exception d'en interdire la divulgation. Le renseignement constitue un domaine hautement sensible de l'action publique, dont le contrôle parlementaire ne peut rester au milieu du gué. Pendant quatre ans, comme membre de droit de la délégation, j'ai observé l'institution adopter un rythme de croisière au fil d'auditions fort intéressantes, mais trop formelles pour ressortir d'un véritable contrôle. Lors de la création de la délégation par la loi du 9 octobre 2007 puis de l'élargissement progressif de ses compétences, les débats parlementaires ont insisté sur la confiance qui devait émaner de l'institution. Or, à mon sens, cette nécessaire confiance ne doit pas annihiler toute matérialisation de sa mission de contrôle. Je ne vous cache pas que le coordonnateur national au renseignement ne s'est guère montré enthousiaste s'agissant de notre proposition d'amendement, qui, pour l'essentiel, reprend la proposition de loi que j'ai déposée avec nos collègues Christian Cambon et François-Noël Buffet. Le Premier ministre, pour des raisons compréhensibles, ne pouvait, pour sa part, s'y montrer par trop défavorable... Si notre commission adoptait cette disposition et qu'elle était suivie à la fois par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie au fond du projet de loi, et par le Sénat, certains ajustements pourraient toutefois s'avérer nécessaires.
M. Yves Détraigne. - Mon intervention sera brève : je souhaite féliciter notre collègue Philippe Bonnecarrère pour la qualité pédagogique de son exposé.
M. Jean-Yves Leconte. - Je joins, monsieur le rapporteur, mes remerciements à ceux de nos collègues pour la clarté de vos explications. Ma première question porte sur l'éligibilité des militaires. Au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 28 novembre 2014, qui a jugé non conforme à la Constitution l'incompatibilité générale entre le statut de militaire en service et l'exercice d'un mandat municipal, le projet de loi ne se montre guère ambitieux. Ne conviendrait-il pas de doter les militaires d'un statut similaire à celui des ressortissants européens ? Les règles qui leur sont applicables ne se justifient, en effet, que par la tradition...
Je m'interroge également sur le champ d'application de l'article 23 relatif aux prélèvements salivaires réalisés en opérations extérieures (OPEX), actuellement limités aux personnes décédées ou capturées. Dans le cadre de l'élargissement de leur autorisation, qui conduira naturellement à la multiplication du nombre de prélèvements, quelles garanties de contrôle s'appliqueront au fichier qui les recensera ? Ne serait-il pas, par ailleurs, plus prudent de limiter cet élargissement aux seules activités militaires faisant l'objet d'une information du Parlement ?
M. Alain Richard. - Je suis favorable aux propositions de notre rapporteur, comme aux dispositions de la proposition de loi relative à la délégation parlementaire au renseignement, à l'exception de la possibilité qui lui serait donnée d'entendre des membres des services de renseignement. Il n'est certes pas interdit d'espérer pour entreprendre, mais je serais fort déçu que le Gouvernement y donne un avis favorable.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Il est exact, monsieur Leconte, et je n'en ai pas fait mystère dans ma présentation, que la suite donnée à la décision du Conseil constitutionnel par l'article 18 du projet de loi peut être jugée a minima. Il a été estimé par le juge constitutionnel « qu'eu égard au nombre de mandats municipaux avec lesquels l'ensemble des fonctions de militaire de carrière ou assimilé sont ainsi rendues incompatibles, le législateur a institué une interdiction qui, par sa portée, excède manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts » et la limitation ainsi posée est seule prise en considération par le texte. Toutefois, jamais je n'ai entendu un militaire se plaindre des règles qui lui étaient appliquées en la matière. En outre, le fait de se voir confier des fonctions exécutives locales me semble, par exemple, modifier la perception du rôle du militaire en matière de conflits d'intérêts.
M. Jean-Yves Leconte. - Ma proposition d'alignement du statut électoral des militaires sur celui des ressortissants de l'Union européenne visait davantage la prise en compte du nombre d'habitants de la ville considérée que la fonction exercée par le militaire lui-même.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Lorsqu'un citoyen britannique réside dans un village français, il ne peut être que conseiller municipal, à l'exclusion donc de toute fonction exécutive. Cette limitation se rapproche de celle proposée pour les militaires en exercice, qui ne pourront, par exemple, pas être grands électeurs en l'état actuel du texte.
Le fichier Biopex qui recense les prélèvements salivaires réalisés en OPEX est un fichier classé et non publié, afin de garantir la confidentialité des informations qui y figurent. Par ailleurs, dans la mesure où il n'est pas de déclaration de guerre sans information du Parlement, l'élargissement de ces prélèvements aux seules OPEX me semble présenter toutes les garanties nécessaires.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 18
L'amendement de rédaction et d'harmonisation COM-119 est adopté.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Je vous ai longuement présenté, dans mon propos liminaire, l'objet des amendements COM-114, COM-116 et COM-115.
Les amendements COM-114, COM-116 et COM-115 sont adoptés.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement COM-117 renforce les prérogatives de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) en matière de contrôle des essais de matériels de renseignement par les armées. Elle aura ainsi la possibilité, à la seule fin de s'assurer du respect des conditions prévues par la loi, de se faire présenter sur place les capacités d'interception ayant fait l'objet d'un test.
L'amendement COM-117 est adopté.
Chapitre III ter
L'amendement de coordination COM-120 est adopté.
Article additionnel après l'article 22 bis
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Nous avons précédemment débattu de l'élargissement des prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, qui fait l'objet de l'amendement COM-118.
L'amendement COM-118 est adopté.
Article 24
L'amendement rédactionnel COM-112 est adopté.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement COM-113 revient à la rédaction en vigueur de l'article L. 4125-1 du code de la défense, qui fixe expressément dans la loi les hypothèses dans lesquelles les contentieux formés par les militaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle n'ont pas à être précédés d'un recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Le projet de loi prévoit, en effet, que les exceptions à l'obligation de RAPO soient fixées par décret en Conseil d'État, en fonction de l'objet du litige. Or le RAPO étant susceptible de retarder la saisine du juge, il appartient au législateur de déterminer les hypothèses dans lesquelles ce RAPO doit être exclu.
L'amendement COM-113 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
La réunion est close à 10 heures.
Mercredi 16 mai 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Audition de M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, sur son rapport annuel d'activité pour 2017
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits. - Merci de m'accueillir une nouvelle fois pour vous présenter mon rapport annuel d'activité, comme le prévoit la loi organique du 29 mars 2011. Comme elle l'indique aussi, je présente également chaque année en novembre un rapport sur les droits de l'enfant : celui pour 2018 portera sur la petite enfance, à savoir les enfants de zéro à sept ans. C'est la première fois que nous nous pencherons sur les droits des plus petits.
Dans deux mois, je serai installé dans ces fonctions depuis quatre ans. Mon mandat de six ans non renouvelable prendra fin en juillet 2020.
J'en viens à la place et au rôle du Défenseur des droits. J'ai intitulé mon éditorial : « Ne jamais détourner le regard ». Le Défenseur des droits est une institution républicaine dont la principale vocation est de casser l'indifférence alors que notre société est extrêmement complexe et conflictuelle et que bon nombre de personnes restent sur le bord du chemin.
Le Défenseur des droits est une institution parfaitement ouverte, neutre et gratuite qui répond à toutes les questions qui lui sont posées dans le cadre de ses cinq compétences. Il est là pour écouter, prêter attention, apporter considération, comme aurait dit la philosophe Simone Weil. L'effectivité des droits est source d'égalité et de solidarité.
En 2017, nous avons traité 140 000 saisines dont un tiers était des demandes d'informations, que nous avons renvoyées aux services compétents, et deux tiers - soit 93 000 dossiers - des réclamations. Nous en avons traité 88 500 et 77 % d'entre elles l'ont été par nos 498 délégués territoriaux qui tiennent 836 points d'accueil, y compris les permanences dans les lieux de détention, et 23 % par le siège. 78 % des dossiers se sont réglés à l'amiable.
Au cours de l'année 2017, nous avons présenté 137 observations devant diverses juridictions, des tribunaux de la sécurité sociaux à la Cour européenne des droits de l'homme.
Nous comptons 250 personnes au siège, dont 78 % de femmes qui sont bien réparties dans toutes les catégories de la fonction publique, notamment aux plus hauts échelons.
Notre budget se monte à 22,5 millions d'euros, soit 7 millions de moins qu'en 2016, mais cela est dû au fait que nous avons rejoint les bâtiments Ségur-Fontenoy - d'où des loyers très coûteux en moins - et que nous avons mutualisé certaines tâches avec les services du Premier ministre.
Néanmoins, la situation financière de l'institution est préoccupante : chaque année, l'activité augmente de 8 % et des missions nouvelles lui sont confiées, comme l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, la mise en oeuvre de la médiation préalable obligatoire pour certains contentieux administratifs en matière sociale : RSA et APL. En outre, le président de l'Assemblée nationale nous a demandé un rapport spécifique sur le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie, en raison de notre compétence « déontologie de la sécurité ». A contrario, comme toutes les autorités administratives indépendantes, nous sommes soumis à un plafond d'emplois et de dépenses. En trois ans, j'ai perdu 13 emplois, d'où de réelles difficultés de fonctionnement. Je chercherai donc à obtenir des moyens supplémentaires en 2019 afin que le Défenseur des droits continue à exercer les missions qui sont les siennes.
La justice joue un rôle de baromètre social et elle est amenée à régler certaines questions qui ne l'ont pas été par les politiques publiques. Quant à lui, le Défenseur des droits porte un regard unique sur notre société : nos recommandations sont l'illustration des difficultés que connaissent les personnes qui vivent dans notre pays, notamment les plus démunies. Nos études objectivent certaines situations. Dès 2014, nous avions publié un rapport sur le harcèlement sexuel où nous démontrions que seul un cinquième des personnes harcelées avaient réagi et que seul 5 % portaient plainte. Au printemps 2016, nous avons conduit une grande étude sur l'accès aux droits ce qui a permis de comprendre comment nos concitoyens percevaient l'action des pouvoirs publics tant en matière d'accès au logement que de rapport avec les forces de police et de gendarmerie. J'ai ainsi proposé de créer un grand Observatoire national des discriminations et Jean-Louis Borloo a repris cette idée dans son récent rapport.
Le Défenseur des droits peut ainsi identifier les maux collectifs dont souffre notre société : nous mesurons un certain repli identitaire, des rapports de domination, un sentiment d'inutilité - ce que j'ai appelé « l'aquoibonisme » - et l'impression de ne pas appartenir à la République. Ces maux doivent être jugulés, ce que nous essayons de faire. Nous déplorons le retrait et l'éloignement des services publics ; c'est d'ailleurs le thème majeur de notre rapport pour 2017. Ainsi en est-il de la fermeture des services publics mais aussi du retrait des personnes humaines remplacées par des formulaires en ligne. Les activités d'accueil, d'orientation et de renseignement sont de moins en moins bien assurées, y compris dans les services sociaux où les usagers sont souvent les plus démunis et où la complexité des règlementations est de plus en plus grande. Le Défenseur des droits permet de cheminer dans le labyrinthe que sont devenus certains services.
Les politiques de simplification parviennent souvent à des résultats inverses aux buts recherchés : ainsi en est-il des démarches purement déclaratives pour les allocations familiales : au titre de la lutte contre la fraude, les services viennent, des années plus tard, demander des comptes aux assurés sociaux. De même, le système de la décision tacite a subi de telles dérogations que plus personne ne sait ce qui ressort ou non du tacite. Enfin, la dématérialisation est en train de prendre la place des agents des services publics mais cela pose le problème de l'accès aux droits pour tous car 20 % de la population a des difficultés avec l'informatique. Le sondage qui a été réalisé pour la préparation du plan Cap 22 auprès de 17 000 fonctionnaires a mis en lumière le problème de la dématérialisation. Je vous renvoie aussi au plan préfecture nouvelle génération avec les cartes grises et les permis de conduire en ligne : en octobre, le Défenseur des droits s'était inquiété, à juste titre, de la bascule intégrale prévue le 6 novembre.
Nous devons accompagner systématiquement la dématérialisation par la mise à disposition d'agents afin d'aider ceux qui rencontrent des difficultés. Le lien humain entre le service public et l'usager doit être préservé. Le service public à la française est celui qui permet d'accéder aux droits, ce qui n'est pas le cas dans nombre de pays. Mais si le périmètre de notre service public se réduit, il en va de même pour l'accès aux droits, notamment pour les plus démunis.
Pour ce qui est des discriminations, nous avons obtenu d'excellents résultats pour les employés étrangers de la SNCF : la cour d'appel a condamné la société nationale à verser 185 millions d'euros à ces personnes qui ont été discriminées depuis les années 1980. Nous avons également travaillé sur les discriminations subies par les employés des hôpitaux, sur celles à l'encontre des femmes, surtout lorsqu'elles reviennent de congés maternité. Nous venons enfin de publier une étude à la demande des jeunes avocats sur les discriminations dans cette profession.
Pour nous, les droits fondamentaux sont un absolu. Notre mission n'est pas de prendre en compte le principe de réalité. C'est pourquoi sur les questions de liberté ou de droit des étrangers, nous prenons des positions parfois à contre-courant des politiques voulues par le Gouvernement, le Parlement ou les administrations. Demain matin, je viendrai présenter au Sénat notre avis sur le projet de loi « asile et immigration ».
Les 250 personnes qui travaillent au siège sont des experts juristes de grande qualité et leurs avis sont souvent écoutés. Ainsi, en plein débat sur la présomption irréfragable de culpabilité en matière de violences sexuelles, je suis venu en novembre devant la mission sénatoriale rappeler les droits de la défense.
M. Philippe Bas, président. - Et vous avez été entendu !
M. Jacques Toubon. - Tout à fait.
En décembre dernier, nous avons publié le guide de l'aménagement raisonnable pour les personnes handicapées : ce document est irréfutable et aucun chef d'entreprise ou aucune collectivité ne peut prétendre qu'il ou qu'elle ne sait pas quelles sont ses obligations. En l'espèce, la fonction publique n'est pas toujours exemplaire.
Le Défenseur des droits est la marque de l'expertise, de la liberté, de l'indépendance. Nous voulons défendre et promouvoir les droits et libertés fondamentales de manière inconditionnelle et universelle. Ces droits sont un trésor que chaque homme et chaque femme possède et que nul ne doit impunément bafouer.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour votre présentation. Vous traitez une masse d'affaires impressionnante et vous rendez des services incontestables à nos concitoyens. Grâce à vos collèges, ils disposent d'une capacité d'action appréciable.
M. Jacques Toubon. - Nous avons trois collèges composés de personnalités qualifiées et la loi organique prévoit que le Défenseur des droits nomme auprès de lui quatre adjoints : j'ai ainsi auprès de moi Mme Geneviève Avenar, déléguée générale aux services publics, mais aussi Défenseure des enfants. Elle est cette année présidente de l'association européenne des défenseurs des enfants, au niveau du Conseil de l'Europe. M. Patrick Gohet est en charge de la lutte contre les discriminations. Mme Claudine Angeli-Troccaz est en charge de la déontologie et de la sécurité et elle va présider le collège consultatif dont j'ai parlé.
M. Philippe Bas, président. - Vous nous avez dit que 78 % des litiges que vous traitez sont réglés à l'amiable. C'est un beau résultat.
Pour ce qui concerne les libertés, vous avez une position de vigie...
M. Jacques Toubon. - Et parfois de tocsin !
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat, qui ne cesse de défendre la nécessité des contre-pouvoirs, a des divergences d'appréciation et se demande si le Défenseur des droits n'empiète pas parfois sur le rôle du législateur.
M. Jacques Toubon. - Nos convergences sont plus importantes que nos divergences.
M. Philippe Bas, président. - Cette alliance doit être fortifiée, ce qui n'empêche pas que nous puissions avoir des approches légèrement différentes, notamment à l'occasion de l'examen du projet de loi « asile et immigration ».
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Merci pour votre rapport où j'ai découvert votre programme des jeunes ambassadeurs.
M. Jacques Toubon. - Il y a aussi le programme Educadroit en direction des jeunes.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Comment mieux faire connaître ces programmes ?
Pour le droit des étrangers, vous évoquez les difficultés rencontrées par les demandeurs d'asile, notamment syriens, pour obtenir des visas. La Cour européenne des droits de l'homme est d'ailleurs saisie de cette question. Vous vous êtes exprimé sur le placement des enfants en rétention. Que pourriez-vous nous dire du texte « asile et immigration » dont nous allons être saisis dans les prochains jours ?
Du fait de l'état d'urgence, vous vous êtes inquiété de la logique de suspicion et vous avez été saisi d'une centaine de réclamations. Quel en est le bilan ?
Grâce à notre commission, le Parlement contrôle certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : quelle est votre analyse des premiers mois d'application de ce texte ?
Enfin, je n'ai pas trouvé beaucoup d'éléments sur les contrôles d'identité par les forces de police.
M. Jacques Toubon. - Nul n'est capable de dire combien de contrôles d'identité sont effectués dans notre pays !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - D'où la question de l'attestation de contrôle d'identité et des caméras-piétons. D'où des questions sur les discriminations lors des contrôles d'identité.
M. Alain Marc. - Votre institution est peu connue dans les territoires. Un fonctionnaire départemental a récemment pris sa retraite et il est devenu votre délégué aveyronnais. Lors de leur formation, les assistants sociaux devraient connaître les actions que vous menez.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je me rappelle du temps où, à l'Assemblée nationale, M. Toubon et moi-même bataillions avec fougue sur des questions de droit et de société. Il est assez réconfortant de constater que l'on peut avoir plusieurs vies et que les opinions peuvent évoluer avec le temps.
Les correspondants du Défenseur des droits dans mon département et dans ma région m'ont fait part des difficultés matérielles qu'ils rencontraient dans les préfectures. Certains ont du mal à avoir des locaux, des permanences téléphoniques et même à envoyer leur courrier. Ne faudrait-il pas demander au Premier ministre de vous accorder des moyens financiers suffisants pour aider ces correspondants qui sont des quasi-bénévoles ?
M. Jacques Toubon. - Ils perçoivent une indemnité de 470 euros par mois.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce sont des fantassins de la République.
J'ai lu tout ce que vous avez publié concernant la loi « asile et immigration ». Parmi les déboutés du droit d'asile en France, seuls 6 à 7 % quittent le territoire. Et ils sont 14 % à partir de notre pays lorsqu'ils reçoivent une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le projet de loi dont nous sommes saisis ne fera sans doute pas bouger ces chiffres, ce qui rejoint l'analyse de Gérard Foux dans son livre : Ils resteront. Bien sûr, il faut des règles, mais n'y a-t-il pas beaucoup de vanité à croire qu'avec cette nouvelle loi, les déboutés seront plus nombreux à quitter notre sol ?
Enfin, nous devrions instaurer un droit imprescriptible de pouvoir remplir toutes les déclarations et démarches sur papier. Nos concitoyens démunis devant le numérique doivent être aidés en mairie ou en sous-préfecture pour qu'ils puissent accomplir leurs démarches administratives.
M. François Grosdidier. - Heureusement que nous évoluons tous, mon cher collègue Sueur, afin de mieux concilier liberté et sécurité.
Je salue l'action du Défenseur des droits à l'égard de la protection des enfants : cela rassurera ceux qui s'étaient inquiété de la disparition du Défenseur des enfants. Hélas, le plus souvent les enfants maltraités ne sont pas détectés, souvent à cause du cloisonnement des services sociaux qui s'abritent derrière le secret professionnel. Avez-vous des propositions en ce domaine ? La maltraitance à l'égard des enfants doit être mieux appréhendée.
Ma deuxième question porte sur les rapports entre la police et le public - une commission d'enquête du Sénat traite d'ailleurs actuellement de ce sujet, et vous êtes venu livrer vos analyses devant cette commission.
Nos forces de l'ordre souffrent d'une grave surcharge de travail administratif. Ce dernier absorbe aujourd'hui les deux tiers de leur temps. Je m'interroge également à propos des contrôles d'identité : on se demande parfois comment ils sont organisés...
Les caméras-piétons placées dans les véhicules des forces de l'ordre sont encore trop peu nombreuses, rarement employées par la gendarmerie et réservées aux zones de sécurité prioritaires, les ZSP. Or elles sont très utiles. L'enregistrement systématique des images évite les mises en cause injustifiées des forces de l'ordre, limite les abus qu'elles pourraient commettre, protège la hiérarchie face aux dérapages des subordonnés et donne aux juges des éléments objectifs pour trancher. Avez-vous formulé des observations à cet égard ?
Enfin, je salue le travail accompli par l'Observatoire des discriminations : l'acte de discrimination est, en soi, un phénomène très subjectif. Il est donc nécessaire d'objectiver tout particulièrement la manière dont on l'étudie.
Mme Brigitte Lherbier. - Je confirme les propos d'Alain Marc : beaucoup de jeunes de vingt-cinq ans ignorent l'existence du Défenseur des droits, et c'est on ne peut plus regrettable.
De plus, je renchéris sur les propos de M. Grosdidier. Dans les conseils de famille des pupilles de l'État, les enfants placés sont trop souvent oubliés pendant des années. Ils deviennent pupilles de l'État, donc adoptables, à l'âge de dix ans, et alors il est trop tard pour qu'ils trouvent l'amour dans une famille. L'adoption n'est pas à la mode, mais elle est peut être une étape majeure dans le parcours de ces enfants, et elle n'est pas anticipée. Pourquoi le Défenseur des droits ne traite-t-il pas de ce problème en amont ?
De plus, lorsqu'ils ont été abusés, ou plus largement lorsqu'ils ont subi des problèmes physiques dans leur jeunesse, ces enfants ne sont pas toujours suffisamment indemnisés. À ce titre, monsieur le Défenseur des droits, votre rôle est d'autant plus important qu'ils n'ont personne d'autre que vous pour les protéger !
M. Jacques Toubon. - Je commencerai par répondre à la dernière question : elle traite du premier âge de la vie, celui sur lequel, au fond, tout repose - je parle sous le contrôle de Mme la Défenseure des enfants.
Avec la proposition de loi Meunier-Dini, puis avec la loi de 2016, le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet. Bien entendu, le Défenseur des droits est compétent en la matière, lorsqu'un problème survient entre un service public, notamment départemental, et des personnes privées. En revanche, nous ne réglons pas les litiges survenant entre tel ou tel membre d'une famille, et pour cause, ces derniers sont de caractère privé.
J'ai pris mes fonctions de Défenseur des droits au moment où venait d'être publié le rapport relatif à l'affaire Marina : il s'agissait du calvaire de Marina Sabatier, une petite fille qui est morte après avoir été martyrisée pendant des années. C'est l'une des affaires qui ont provoqué la proposition de loi Meunier-Dini, puis la loi de 2016, et les actions actuellement menées. Je précise toutefois que cette enfant ne faisait l'objet d'aucune prise en charge publique.
En la matière, certaines décisions sont difficiles à prendre. Je relève, à ce titre, qu'il faut être extrêmement attentif à la corporation des travailleurs sociaux. Il n'en existe pas moins des réponses légales.
Je vous renvoie à une affaire survenue, l'an dernier, en Seine-Saint-Denis : on a constaté qu'une femme avait accouché quatre fois à l'hôpital public sans avoir fait l'objet du moindre suivi de grossesse. Nous avons formulé à ce titre une recommandation extrêmement importante. Elle résume la complexité du sujet, qu'il s'agisse des relations entre les différents services relevant de l'État, des départements et des hôpitaux, des relations avec les familles, du rôle des travailleurs sociaux, etc.
Madame Lherbier, la loi de 2016 facilite la procédure de délaissement parental, mais on ne sait pas encore comment ces dispositions vont être mises en oeuvre. À plusieurs reprises, nous avons appelé l'attention sur ce sujet. J'ajoute que nous préconisons une remise à plat de la question de l'adoption en France. Notre pays a encore beaucoup à faire en la matière et, aujourd'hui, nous sommes bel et bien dans une impasse.
Monsieur Marc, notre enquête de 2016 nous a permis de mesurer la faible notoriété du Défenseur des droits. Nous faisons de nombreux efforts de communication, malgré nos faibles moyens budgétaires. En 2016, nous avons mené une campagne sur les réseaux sociaux. À l'automne 2017, nous avons eu recours aux radios indépendantes et aux radios locales, avec des retours assez satisfaisants.
Le plus important, c'est d'accentuer l'effort de formation. Nous formons les avocats, dans le cadre d'un accord conclu avec le Conseil national des barreaux. Nous devons former davantage encore les travailleurs sociaux. Mes adjoints se déploient partout en France pour participer à des colloques et à des séminaires. Chaque année, nous formons plus de 5 000 policiers à la question des discriminations, à la déontologie de la sécurité. En outre, l'été prochain, nous allons mener une campagne, de concert avec les réseaux d'autoroutes, notamment avec Vinci, pour faire mieux connaître les droits des enfants. Nous emploierons, en particulier, la fréquence 107.7.
Bien entendu, il faut prendre en compte les difficultés matérielles auxquelles nos délégués font face. Ils peinent à être accueillis dans certains bureaux. Les maisons de la justice et du droit ne se sont pas étendues tant que prévu, notamment faute de moyens à la Chancellerie. Je remercie par avance le Sénat de tout ce qu'il pourra faire pour insister sur ces enjeux.
À la suite de Jean-Pierre Sueur, je souligne les problèmes que soulève la dématérialisation : il faudrait inscrire dans la loi une disposition d'ordre général créant une obligation d'accompagnement ou imposant une solution de substitution, au profit des usagers, lors de la mise en oeuvre d'une mesure de numérisation, de virtualisation ou de dématérialisation. Le Parlement devrait manifester clairement sa volonté de ne pas laisser tomber - je dis les choses comme elles sont - celles et ceux qui n'ont pas accès à Internet : les intéressés représentent tout de même 20 % de la population, soit 10 millions de personnes.
Le droit d'asile et les demandeurs d'asile sont mal traités par le projet de loi en cours de discussion. Ce texte réduit un certain nombre de droits fondamentaux, dont le droit au recours. De surcroît, il oublie complètement la phase préalable d'accueil, avant que les personnes mettant le pied en France ne soient appréhendées, d'une manière ou d'une autre, dans une filière administrative. Dans sa décision du 31 juillet 2017, le Conseil d'État l'a clairement relevé : les traitements que ces demandeurs subissent sont « inhumains » et « dégradants », pour ne pas dire barbares.
Pour ce qui concerne la phase préalable, ce projet de loi n'est pas utile ; pour le reste, il constitue un moyen de dissuasion et ne facilitera pas les expulsions.
Depuis 1974, on parle d'immigration zéro, et, selon les pointages, ce projet de loi est le vingt-sixième ou le vingt-huitième texte du genre... L'application inconditionnelle et absolue des droits fondamentaux à toute personne qui met le pied sur le sol de France devrait être le fondement de toute action. Sur cette base, on peut mettre en oeuvre des procédures légales.
Or, aujourd'hui, des dizaines de milliers de personnes sont considérées comme invisibles. On ne veut pas ou on ne veut plus les voir, mais elles sont bien là. Leur venue est un mouvement de l'histoire, que l'on n'arrêtera pas. L'Europe a ensemencé le monde. Depuis un siècle, elle a accueilli énormément de personnes venant du monde entier ; c'est là une mission historique et, pour elle, c'est aussi un moyen de ne pas insulter l'avenir.
J'en viens aux relations entre la police et la population.
Madame de la Gontrie, je vous invite à lire la page 114 de mon rapport : j'y fais état de l'enquête relative aux contrôles d'identité. Il arrive que ces derniers soient discriminatoires, et la Cour de cassation l'a relevé en 2016 dans un arrêt historique : elle a reconnu la faute de l'État pour certains contrôles qualifiés de « subjectifs ». Aujourd'hui, la réponse apportée par le Gouvernement, ce n'est pas l'enregistrement des contrôles d'identité, comme nous l'avions proposé ; ce sont les caméras-piétons.
À ce propos, je me suis entretenu avec le directeur général de la police nationale. Le plan caméras-piétons semble se déployer de manière assez satisfaisante, y compris dans les transports publics relevant de la RATP et de la SNCF, sous l'empire de la loi Savary, relative à la sécurité dans les transports. Nous pourrons probablement mesurer assez vite l'effet de cette mesure, et vous pourrez interroger le ministre de l'intérieur à ce sujet lors des prochains débats budgétaires.
Pour ce qui concerne l'état d'urgence, quatre décisions prises par le Conseil constitutionnel au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité ont permis d'obtenir une vision juridique. En dehors de ces éléments, nous ne disposons pas d'une véritable évaluation. Cela étant, nos recommandations ont été suivies par la police et par la gendarmerie, qu'il s'agisse de la manière de traiter les enfants, par exemple lors des perquisitions de nuit, ou d'assurer les indemnisations des personnes ayant subi des dommages.
L'état d'urgence n'était probablement pas nécessaire, sinon en tant que réponse politique. En 2020, le Parlement évaluera les dispositions de la loi du 30 octobre 2017, pour les maintenir ou non : à ce titre, il a pris une mesure de sagesse à l'initiative du Sénat.
Enfin, monsieur Grosdidier, les discriminations ne relèvent pas d'une quelconque appréciation subjective : en France, elles sont traitées par la loi dans des conditions juridiques extrêmement précises. Je pense, à ce propos, aux observations que nous avons formulées quant aux cas de harcèlement sexuel observés dans une entreprise de nettoyage travaillant à la gare du Nord, à Paris.
Les discriminations ne font plus l'objet d'un discours global, comme dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Je précise que l'on a trop souvent tendance à réduire cette action à la politique de la ville, alors qu'elle doit être appliquée partout ; elle doit faire l'objet de mesures fortes de la part du Gouvernement et ne doit subir aucun recul.
Si les dispositions du projet de loi « ÉLAN » étaient maintenues pour ce qui concerne l'accessibilité des logements pour les personnes handicapées, nous subirions un retour en arrière, non pas de douze, mais de plus de quarante ans ! C'est en effet en 1975 qu'a été instaurée la notion d'accessibilité universelle, en lieu et place des quotas de logements pour personnes handicapées. On ne saurait reculer pour ce qui concerne cet instrument d'égalité.
M. François Bonhomme. - Monsieur le Défenseur des droits, je salue les efforts de lutte contre les discriminations et les nouveaux outils développés à cet égard. Mais, sauf erreur de ma part, votre rapport ne traite pas de certaines discriminations d'origine religieuse subies par les femmes : au nom de l'islam, ces dernières peuvent être exclues de divers lieux de sociabilité, notamment les cafés. Ces phénomènes ont été observés à Sevran, à Trappes, à Rillieux-la-Pape, ils ont fait l'objet de livres et de reportages. Ce sujet est essentiel, et il devient de plus en plus prégnant.
M. Jacques Toubon. - J'ai été, l'an passé, saisi du cas d'une université non mixte, et j'ai souligné qu'une telle structure n'était pas légale. J'ajoute que, pour ce qui concerne les droits des femmes, nous luttons contre de nombreux phénomènes, notamment l'excision. Toutefois, pour l'heure, je n'ai pas été saisi des cas de discriminations que vous évoquez, et qui semblent relever davantage de questions politiques ou sociales que des droits. Peut-être traiterons-nous de ce sujet dans un autre rapport, si nous en sommes saisis.
Naturellement, je reste à la disposition de la commission des lois pour tous les détails qu'elle souhaiterait obtenir.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour toutes ces précisions.
Nomination de rapporteurs
Mme Marie Mercier est nommée rapporteur sur le projet de loi n° 778 (A.N., XVème lég.) renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, sous réserve de sa transmission (procédure accélérée).
MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne sont nommés rapporteurs sur le projet de loi n° 463 (2017-2018) de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et sur le projet de loi organique n° 462 (2017-2018) relatif au renforcement de l'organisation des juridictions (procédure accélérée).
M. Mathieu Darnaud est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 466 (2017-2018) relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud.
Mme Françoise Gatel est nommée rapporteur sur la proposition de loi n° 30 (2017-2018) tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d'une formation les qualifiant à l'exercice de ce culte, présentée par Mme Nathalie Goulet, M. André Reichardt et plusieurs de leurs collègues.
M. Dany Wattebled est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 337 (2017-2018) relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, présentée par M. Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale - Délégation au fond de l'examen d'articles
M. Philippe Bas, président. - Je vous propose de déléguer au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les articles 1er à 7 qui composent le titre Ier de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale et tendent à prévoir la création d'une Agence nationale pour la cohésion des territoires.
La commission décide de déléguer au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les articles 1er à 7 de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale.
Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude - Échange de vues sur une éventuelle saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis
La commission des lois demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 385 (2017-2018) relatif à la lutte contre la fraude (procédure accélérée), et nomme Mme Nathalie Delattre rapporteur pour avis sur ce projet de loi.
Création d'un groupe de travail sur l'amélioration de l'efficacité des fiches S - Communication
M. Philippe Bas, président. - À la suite de l'attentat commis à Paris samedi dernier, le débat relatif au fichier des personnes recherchées et aux fiches S qui en constituent une composante a connu de nouveaux rebondissements.
Pour apporter un tant soit peu de rationalité à ce débat et, ainsi, éclairer nos concitoyens, je vous propose d'adopter une méthode de travail à la fois souple, rapide et collégiale, en créant un groupe de travail pluraliste, ou task force - pardonnez-moi cet anglicisme - sur l'amélioration de l'efficacité des fiches S.
Avec votre accord, nous confierons la conduite de cette réflexion à François Pillet, qui, chacun le sait, est profondément attaché au respect des libertés publiques comme à la sécurité de nos concitoyens. Je remercie chacun des groupes politiques ici représentés de bien vouloir désigner en outre, d'ici à la semaine prochaine, un représentant pour ce groupe de travail.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - S'agit-il uniquement des fiches S ?
M. Philippe Bas, président. - Il faut tenir compte de toutes les catégories regroupées au sein du fichier des personnes recherchées, même si les fiches S feront l'objet d'un examen tout particulier. Le but est d'assurer un examen technique et d'évaluer l'efficacité de l'instrument dans son ensemble.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous sommes un certain nombre à éprouver de l'inquiétude face aux déclarations réitérées, émanant, notamment, de personnalités politiques, selon lesquelles les fichés S devraient être systématiquement expulsés ou connaître un autre traitement répressif. Chacun le sait, si l'on figure dans un fichier ou dans un autre, l'on n'est pas pour autant coupable de quoi que ce soit. Il s'agit là d'un véritable sujet pour notre société, et il faut chercher des solutions de substitution. C'est pourquoi je salue la création de ce groupe de travail.
M. Philippe Bas, président. - Comme dans le cas du groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, lequel a été animé par Marie Mercier, les conclusions devront être remises dans les deux mois.
Dématérialisation des documents de travail de la commission - Communication
M. Philippe Bas, président. - Jacques Toubon l'a dit clairement : lorsqu'une procédure est dématérialisée, chacun doit pouvoir continuer à travailler sur des documents papier.
M. Alain Marc. - En milieu rural, 20 % de la population continue à ne pas employer les procédures dématérialisées, notamment les personnes âgées.
M. Philippe Bas, président. - En l'occurrence, ce dont je parle, c'est de la dématérialisation des documents de travail de notre commission, singulièrement des liasses d'amendements.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Cela concerne aussi nos concitoyens !
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, à compter du 30 mai prochain, les documents figurant dans nos réunions seront disponibles en format dématérialisé, via l'application Déméter. Toutefois, si vous ne souhaitez pas utiliser ce dispositif pour le moment, signalez-vous auprès du service de la commission pour conserver vos liasses d'amendements en papier.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je plaide pour le maintien de la publication de tous les rapports. En pleurant, on parvient difficilement à obtenir quelques exemplaires pour la commission auprès du service de la distribution, mais, pour le reste, il est devenu très difficile d'obtenir la version imprimée d'un rapport. Un rapport du Sénat peut aussi devenir un ouvrage de référence...
M. Philippe Bas, président. - C'est le cas !
M. Jean-Pierre Sueur. - Tous les rapports devraient être imprimés. Cela ne ruinerait pas le Sénat...
M. Alain Richard. - Pour ma part, je n'ai jamais eu de difficulté à obtenir un rapport imprimé.
M. Philippe Bas, président. - À la suite de notre précédente réunion de commission sur le sujet et d'une intervention de M. Sueur, j'ai écrit au Président du Sénat, alors que la décision avait été prise de ne plus imprimer les rapports au-delà d'un certain nombre d'exemplaires, pour lui demander de conserver la possibilité d'obtenir, si l'on en fait la demande, la communication de rapports imprimés.
M. Pierre-Yves Collombat. - On déplore que les travaux du Sénat et du Parlement soient méconnus de l'opinion. Beaucoup de gens sont habitués à utiliser des exemplaires imprimés. Tout dématérialiser n'est pas une bonne idée.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - On peut toujours imprimer un rapport sur son imprimante si on le souhaite !
M. Pierre-Yves Collombat. - L'économie sera dérisoire pour le Sénat. La mesure n'est rien de plus qu'une coquetterie !
M. Philippe Bas, président. - Nous pourrons toujours demander l'impression de rapports pour en assurer la distribution auprès de nos correspondants. Enfin je vous rappelle que, par défaut, les amendements seront désormais disponibles de manière dématérialisée sur votre tablette numérique par le biais de l'application qui leur est consacrée, sauf si vous souhaitez les obtenir dans leur version imprimée.
Bilan annuel de l'application des lois - Communication
M. Philippe Bas, président. - Au cours de la séance du 5 juin, qui sera présidée par le Président du Sénat, chaque président de commission présentera un bilan de l'application des lois que sa commission a eu à suivre au cours de l'année parlementaire 2016-2017. Au 31 mars 2018, le taux d'application des 24 lois promulguées au cours de cette année parlementaire et examinées au fond par la commission des lois, c'est-à-dire le ratio entre le nombre de mesures d'application attendues et le nombre de mesures prises, s'est élevé à 72 %, soit un taux identique à celui de l'année passée. Toutefois, les délais dans lesquels ces mesures sont publiées sont parfois plus longs que les délais d'adoption des lois elles-mêmes. Presque un tiers des mesures prises pour l'application des lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2016-2017 et envoyées au fond à notre commission l'ont été plus de six mois après la promulgation de la loi. Ce taux élevé témoigne de l'inanité de vouloir à tout prix accélérer la navette parlementaire, au détriment du droit d'amendement et de la qualité de la loi, si le Gouvernement n'est pas en mesure de prendre dans des délais raisonnables les textes réglementaires nécessaires !
L'inflation législative, mal bien connu et régulièrement dénoncé, est restée forte. L'exemple le plus criant est celui de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dont le nombre d'articles est passé de 15 dans le projet de loi initial à 148 dans le texte final, soit un coefficient multiplicateur du nombre d'articles au cours de la navette parlementaire de 9,9 ! Si chacun porte sa part de responsabilité dans ce phénomène, celle du Gouvernement est grande. Ainsi, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est passée de 54 à 115 articles, du fait notamment de l'insertion par l'Assemblée nationale de 55 articles additionnels en première lecture, dont les deux tiers à l'initiative du Gouvernement.
On ne peut également que regretter l'absence de
publication de deux mesures d'application de la loi du 7 octobre 2016 pour une
République numérique : l'une pour permettre à toute
personne de définir des directives relatives à la conservation,
à l'effacement et à la communication de ses données
à caractère personnel après son décès
- ce que l'on appelle aussi la « mort
numérique » -, l'autre pour fixer la liste des
pièces justificatives que les personnes n'ont plus à produire
lorsqu'une administration détient déjà ces
informations
- c'est la mise en oeuvre du principe « dites-le
nous une fois ».
Enfin, je note que l'ordonnance tendant à créer une « banque de la démocratie », prévue par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, ne sera probablement pas publiée dans le délai d'habilitation prévu par la loi, soit avant le 15 juin 2018. Nous ne sommes pas surpris. Nous avions alerté le Gouvernement lors de l'examen de ce texte sur le manque de précision de l'habilitation et sur les difficultés au regard de la neutralité que l'État doit respecter en matière de compétition électorale.
La réunion est close à 10 h 15.