- Mardi 10 avril 2018
- Mercredi 11 avril 2018
- Audition de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté
- Proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016-943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen - Désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Nomination d'un rapporteur
Mardi 10 avril 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen - Examen des amendements au texte de la commission
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Alain Richard, rapporteur. - Mon amendement n° 78 est un amendement de coordination. Je propose que le projet de loi entre en vigueur dès le lendemain de sa publication, ce qui me semble plus clair qu'une entrée en vigueur « à l'occasion d'un prochain renouvellement général des représentants au Parlement européen ».
L'amendement n° 78 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - Mon amendement n° 79 poursuit le même objectif de coordination.
L'amendement n° 79 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur. - Idem pour mon amendement n° 80.
L'amendement n° 80 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
Article additionnel après l'article 1er
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 1 et 47 visent à abaisser le seuil d'éligibilité pour les élections européennes de 5 % à 3 % des suffrages exprimés. Ils sont contraires à la position de la commission.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 1 et 47.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 56 tend à supprimer l'article 1er pour maintenir le système actuel des huit circonscriptions interrégionales, écarté par la commission.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 56.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 11 et 57 remplacent la circonscription nationale, que nous avons adoptée la semaine dernière, par treize circonscriptions régionales.
Les amendements nos 59, 23 rectifié bis, 22 rectifié ter, 34 et 77 suivent la même logique. Qu'il s'agisse de créer une circonscription pour les Français de l'étranger ou une circonscription ultramarine, ils tendent tous à fractionner la circonscription nationale et sont donc contraires à la position de la commission.
La commission demande le retrait des amendements nos 11, 57, 59, 23 rectifié bis, 22 rectifié ter, 34 et 77 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 2 mentionne « le territoire de la République » comme une circonscription pour les élections européennes et non « la République », ce qui risquerait de créer des confusions pour les Français de l'étranger. Il paraît donc préférable de s'en tenir à la rédaction actuelle.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 60 prévoit une circonscription spécifique pour les Français établis hors de France. Avis défavorable. Idem pour l'amendement n° 43 qui tend à créer des sections électorales en outre-mer.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 60 et 43.
Articles additionnels après l'article 1er
M. Alain Richard, rapporteur. - M. Leconte, pour l'amendement n° 35, propose d'autoriser les candidats à faire figurer un « spitzenkandidat », ou « candidat tête de liste à l'échelle européenne », sur leur déclaration de candidature et sur leur bulletin de vote. Néanmoins, une telle mention serait facteur d'ambiguïté, voire de discrimination entre les listes car certaines n'auront pas désigner de « spitzenkandidat ».
La commission demande le retrait de l'amendement n° 35 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 36 et 54 soulèvent une question nouvelle et originale. Ils visent à donner un droit de regard au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur les émissions diffusées par les services de radio et de télévision pendant les consultations citoyennes organisées par le Gouvernement sur les sujets européens. Or les consultations citoyennes n'auront pas nécessairement lieu dans les médias et comprendront, par exemple, l'organisation de réunions publiques. Quid dans ce cas du droit de regard du CSA ? Je suggère que la commission demande l'avis du Gouvernement.
M. Jean-Yves Leconte. - Et quel serait votre avis si nous rédigions cet amendement autrement, par exemple en mentionnant la manière dont les consultations citoyennes sont reprises dans les médias ? Notre crainte est que ces consultations deviennent, en réalité, une forme de campagne électorale...
M. Alain Richard, rapporteur. - Quelles que soient les conclusions de ces consultations, le CSA exercera une surveillance au cours des six mois précédant les élections européennes afin de s'assurer que les règles d'équité et de pluralisme seront bien respectées.
M. Pierre-Yves Collombat. - Nous constatons là les effets pervers de l'abandon de la répartition égale des temps de parole entre les différents partis pendant la campagne officielle. Ce principe était trop simple ! En toute logique, cet abandon devrait nous conduire à entrer dans des discussions interminables pour respecter le principe de pluralisme. À vouloir raffiner, et surtout chercher à influencer le scrutin, on en arrive à des situations inextricables ! Sur le fond, pourquoi refuser l'intervention du CSA dans ces consultations citoyennes ? Cette magnifique et très haute autorité n'est-elle pas chargée de faire respecter la morale publique ? Tout cela n'est pas très cohérent.
M. Alain Richard, rapporteur. - Pendant les consultations citoyennes, qui doivent se tenir entre octobre et avril 2018, il n'y aura pas encore de liste de candidats aux élections européennes de 2019. Or le rôle du CSA est de s'assurer de l'équité de traitement entre les listes de candidats !
M. Pierre-Yves Collombat. - Il y aura la pression des forces politiques !
M. Simon Sutour- Les consultations citoyennes ne méritent pas que nous en parlions des heures ! Je vous renvoie sur ce sujet au rapport que j'ai présenté il y a quelques semaines devant la commission des affaires européennes. J'en attends très peu de résultats...
M. Philippe Bas, président. - C'est une demande d'avis du Gouvernement qui, s'il est défavorable, vous conduira à donner un avis également défavorable ?
M. Alain Richard, rapporteur. - Certes.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 36 et 54.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 48 tend à supprimer l'article 2 du projet de loi. Les auteurs de cet amendement s'opposent à toute évolution du droit audiovisuel de la campagne des élections européennes. Avis défavorable car le régime actuel me semble contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n° 48.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 10 et 16 visent à supprimer complètement la campagne audiovisuelle officielle des élections européennes. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 10 et 16.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 42 prévoit que la taille des professions de foi de chaque liste est inversement proportionnelle au temps qui lui est attribué au titre de la propagande audiovisuelle. Cet amendement me semble relever du domaine réglementaire, cette question étant réglée par l'article R. 29 du code électoral.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 42 au titre de l'article 41 de la Constitution.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 3, 72, 49, 4, 37, 30, 38, 61, 5, 67 et 68 proposent d'autres modalités de partage du temps d'émission entre les listes de candidats aux élections européennes dans la campagne officielle à la radio et à la télévision.
Pour mémoire, le système adopté par la commission prévoit une première fraction de deux heures réparties par les présidents de groupe de l'Assemblée nationale et du Sénat, au prorata de leur nombre de députés et de sénateurs, une deuxième fraction de trois minutes par liste de candidats, ainsi qu'une troisième qui permettra au CSA de corriger d'éventuels déséquilibres dans la répartition du temps d'émission.
Ces amendements sont tous contraires à la position de la commission. L'amendement n° 30 déposé par notre collègue Max Brisson me semble toutefois intéressant. Il vise, plutôt que de passer par les présidents de groupe, à donner directement la possibilité à chaque député et sénateur de préciser à quelle liste de candidats il souhaite que l'on attribue un temps d'émission. Il inclut également les parlementaires européens dans le dispositif. Avis favorable.
M. Pierre-Yves Collombat. - Même si l'on retient le principe de l'équité dans la répartition du temps d'émission, le fait de choisir le nombre de parlementaires et de faire intervenir les présidents de groupe est parfaitement arbitraire ! Si l'on veut tenir compte du poids politique des différentes formations, c'est une façon très spécieuse de le mesurer. Cela ressemble à du trafic !
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 3, 72, 49, 4, 37, 38, 61, 5, 67 et 68, et un avis favorable à l'amendement n° 30.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 39 et 46 rectifié tendent à préciser quels sont les services de radio ou de télévision du service public tenus de participer à la campagne audiovisuelle officielle. Notre collègue David Assouline propose que seuls les services « à vocation généraliste » soient concernés. S'agit-il d'une définition suffisante ? Seraient notamment visées France 2, France 3, France Inter, France Ô., mais ce périmètre n'est pas certain. C'est un sujet dont nous discuterons peut-être jusqu'en commission mixte paritaire. En l'état, je demande l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 39 et 46 rectifié.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 17 et 50 visent à supprimer l'article 2 bis relatif au temps d'émission pour la campagne officielle des élections législatives, ce qui n'est pas la position de la commission.
La commission émet un avis défavorable aux amendements de suppression nos 17 et 50.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 40 tend à octroyer du temps complémentaire au CSA pour la répartition de ce temps d'émission. Or nous nous étions entendus la semaine dernière pour respecter une certaine réserve républicaine concernant les élections législatives.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 40.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 51 et 69 sont contraires à la position de la commission. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 51 et 69.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 41 et 76 portent, comme à l'article 2, sur le périmètre des chaînes de la campagne officielle audiovisuelle. Par cohérence, je propose de demander l'avis du Gouvernement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 41 et 76.
Article additionnel après l'article 2 bis
M. Alain Richard, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement n° 70 et, à défaut, émettrai un avis défavorable. Il est sans doute souhaitable de promouvoir l'information relative à l'actualité politique européenne dans les médias, mais est-ce le bon véhicule législatif pour introduire une obligation nouvelle à l'audiovisuel public ?
Mme Josiane Costes. - Par cet amendement, je souhaitais insister sur le fait que les problématiques européennes sont surtout discutées lors des élections européennes. Il est dommage que nous n'en entendions plus guère parler ensuite. Dans ces conditions, comment inciter les Français pour qu'ils aillent voter lors des élections européennes ?
La commission demande le retrait de l'amendement n° 70 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 32 et 33 sont de coordination avec la création d'une circonscription ultramarine, que nous avons rejetée à l'article 1er.
La commission demande le retrait des amendements nos 32 et 33 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 26, 6, 12 et 52 proposent de réduire le plafond des dépenses électorales pour les élections européennes, ce qui est contraire à la position de la commission.
L'amendement n° 26 de M. Brisson propose de diviser le plafond par 13.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 26, 6, 12 et 52.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 27 et 44 sont de coordination avec la création de treize circonscriptions régionales ou d'une circonscription ultramarine. Demande de retrait ou avis défavorable, par cohérence avec notre position à l'article 1er.
La commission demande le retrait des amendements nos 27 et 44 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 7 consiste à interdire aux partis et groupements politiques de soutenir financièrement plusieurs candidats aux élections européennes. Il est contraire au principe de libre activité des partis politiques garanti par l'article 4 de la Constitution.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Article additionnel après l'article 3 bis
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 66 de Mme Costes, tendant à favoriser le vote des étudiants, est en partie satisfait, puisque les jeunes âgés de moins de 26 ans peuvent se maintenir sur la liste électorale soit dans leur lieu de résidence familiale soit là où ils poursuivent leurs études.
Mme Josiane Costes. - Nous souhaitons également ouvrir le vote électronique aux étudiants, pour les inciter à participer au scrutin.
M. Alain Richard, rapporteur. - Il y a eu des rapports du Sénat sur le sujet...
M. Philippe Bas, président. - ... nos collègues Jacky Deromedi et Yves Détraigne y travaillent actuellement !
M. Alain Richard, rapporteur. - Le vote électronique semble soulever des difficultés en termes de sécurité.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 66 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 4
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements nos 28, 31, 45, 24 rectifié bis, 74 rectifié, 19, 20, 25 rectifié ter, 29, 55 et 75 rectifié sont soit de coordination avec la création de plusieurs circonscriptions, soit des amendements imposant des obligations pour la constitution des listes de candidats. L'amendement n° 25 rectifié ter est le plus contraignant. Le système proposé est extrêmement rigide pour la constitution des listes : les seize premiers candidats devraient être issus de régions différentes. Cela pourrait exclure la possibilité qu'il y ait des personnes qui ne sont pas des ressortissants français sur les listes. De même, ce type de dispositions est contraire au principe de liberté de candidature, garanti par la Constitution. Avis défavorable à tous ces amendements.
M. Philippe Bas, président. - L'amendement n° 75 rectifié ne me paraît pas comporter ces inconvénients. Il prévoit que les listes soient composées alternativement de candidats domiciliés dans des régions différentes...
M. Jean-Yves Leconte. - Selon quels critères ?
M. Alain Richard, rapporteur. - Cela revient au même en imposant des obligations contraignantes dans la constitution des listes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Oui.
M. Alain Richard, rapporteur. - Cela inciterait également les partis politiques à placer en tête de la liste des candidats issus des régions les plus peuplées (Île-de-France, Auvergne Rhône-Alpes, etc.) au détriment des régions les moins peuplées.
M. Simon Sutour. - Il faut laisser à ceux qui composent les listes la faculté d'y inscrire les candidats qu'ils souhaitent.
M. Philippe Bas, président. - En résumé, si le principe de la circonscription nationale est adopté, il est donc très difficile de « territorialiser » les listes de candidats...
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 28, 31, 45, 24 rectifié bis, 74 rectifié, 19, 20, 25 rectifié ter, 29, 55 et 75 rectifié.
M. Alain Richard, rapporteur. - Les amendements identiques nos 62 et 63 sont des solutions intermédiaires : ils ne proposent pas de répartition géographique des candidats mais souhaitent que la présentation de la liste et le bulletin de vote mentionnent la région où le candidat a son domicile. Ce n'est pas une contrainte pour la constitution de la liste et c'est une information utile pour les électeurs. Pour empêcher les manoeuvres de dernière minute, c'est la mention du domicile au sens du droit civil qui est prévue par les auteurs. Donc, en cas de contestation, le juge judiciaire serait compétent. Je suis enclin à suggérer à nos collègues de mentionner le lieu d'inscription sur les listes électorales et non le domicile, ce qui « ramènerait » le contentieux devant le juge de l'élection. Le domicile, au sens du droit civil, n'est jamais utilisé comme un critère du droit électoral.
M. Patrick Kanner. - On complique beaucoup les choses ! C'est une liste de candidats nationale que le projet de loi propose, peu importe d'où viennent Dupont ou Durand inscrits sur la liste. C'est aux électeurs de se déterminer politiquement.
M. Pierre-Yves Collombat. - Oui, c'est exact !
M. Alain Richard, rapporteur. - Selon les auteurs de ces amendements, pour que les électeurs puissent choisir en connaissance de cause, il faut mentionner leur région d'origine dans la déclaration de candidature et sur le bulletin de vote.
M. Patrick Kanner. - Gardons le caractère politique de cette élection, souhaité par le Gouvernement, et que nous partageons, celui d'une liste nationale pure.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ces amendements sont contraires à l'esprit du projet de loi, qui est d'élire sur une liste nationale les représentants de la France au Parlement européen et non pas les représentants de tel ou tel endroit. Pourquoi prévoir des complications invraisemblables ?
M. Simon Sutour. - Simple boutade : si ces amendements étaient adoptés, l'on verrait sur toutes les listes de candidats aux élections européennes « Île-de-France, Île-de-France, ... »
M. François Bonhomme. - Il n'est pas certain que ce soit la bonne réponse mais c'est une vraie question. Certains candidats « hors-sol » se promenaient dans les actuelles circonscriptions interrégionales, ce qui n'était pas à la hauteur de ce que l'on était en droit d'attendre du scrutin. Ces amendements sont un moyen de signaler des dérives de partis politiques, par rapport à l'assise territoriale des candidats. L'inscription du domicile est une forme de garantie et une façon de mettre en exergue des candidats qui n'ont aucun scrupule à faire du « tourisme électoral ». Cela n'empêchera pas le phénomène, peu glorieux pour les élections européennes, mais cela peut le limiter...
M. Pierre-Yves Collombat. - La notion de « tourisme électoral » n'a pas de sens dans une circonscription électorale unique...
La commission demande le retrait des amendements identiques nos 62 et 63 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 21 porte sur le même sujet. Même avis, par cohérence.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 21 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 58 est satisfait par le droit en vigueur : les bulletins de vote et les professions de foi peuvent déjà comporter le logo des partis politiques européens.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 58 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 13, contraire à la position de la commission.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 13.
Articles additionnels après l'article 4
M. Alain Richard, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 14. Cet amendement vise à s'assurer du consentement des candidats aux élections européennes lorsque leur liste est retirée. Néanmoins, nous n'avons constaté aucune difficulté de ce type lors des précédents scrutins.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 14.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 15 porte sur un sujet dont avons déjà débattu en commission, en concluant à un rejet.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 15 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 18 propose que le remplacement d'un député européen se fasse non pas par le premier candidat non élu, mais par le premier candidat non élu de même sexe. Demande de retrait car cela pourrait avoir des effets contreproductifs en termes de parité, notamment lorsqu'une liste de candidats ne compte qu'un seul élu de sexe masculin.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 18 et, à défaut, y sera défavorable.
Article additionnel après l'article 5
La commission demande le retrait de l'amendement n° 71 et, à défaut, y sera défavorable.
Article additionnel après l'article 6
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 64 traite de l'éducation civique et vise à ajouter dans le code de l'éducation la mention des droits et des devoirs du citoyen « en France et au sein de l'Union européenne ». C'est une idée qui a beaucoup de mérites, mais qui pose la question des valeurs de citoyen mondial, qui existent certainement ; et surtout, est-ce bien l'objet de ce projet de loi ?
Mme Josiane Costes. - La question européenne n'est pas suffisamment présente dans les programmes d'éducation civique et morale, notamment dans les collèges. Lorsqu'ils atteignent l'âge de 18 ans, on s'étonne que ces jeunes n'aillent pas voter...
M. Alain Richard, rapporteur. - Pour aller dans votre sens, j'ai relevé que le taux d'abstention des 18-25 ans aux élections européennes sont encore beaucoup plus élevés que le taux d'abstention moyen de l'ensemble des électeurs inscrits.
M. Philippe Bas, président. - C'est une question importante. Le débat aura lieu en séance.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 64 et, à défaut, y sera défavorable.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement de suppression n° 8 est identique à mon amendement n° 80, que nous avons précédemment adopté.
La commission émet un avis favorable à l'amendement de suppression n° 8.
M. Alain Richard, rapporteur. - L'amendement n° 65 vise à reprendre la rédaction initiale du projet de loi, qui entrerait en vigueur « sans préjudice » de la création de circonscriptions transnationales. La commission a supprimé cette disposition en l'estimant non normative. En toute logique, il nous faudrait saisir le Président du Sénat pour soulever l'irrecevabilité de l'amendement. En cas de désaccord avec le Gouvernement, le Conseil constitutionnel aurait huit jours pour trancher, ce qui suspendrait notre débat.
Mme Josiane Costes. - Comme vous le savez, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen (RDSE) est pro-européen. C'est dans cet esprit que nous avons déposé cet amendement, en faveur de la circonscription transnationale. Je suis prête à le retirer avant la séance, au regard de la difficulté juridique soulevée par le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur. - Je comprends l'intérêt de votre position, en faveur de la circonscription transnationale. J'observe simplement qu'il n'y a aucune fédération, dans le monde, qui applique un tel système.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission donne les avis suivants sur les autres amendements de séance :
La réunion est close à 9 h 50.
Mercredi 11 avril 2018
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté
M. Philippe Bas, président. - Nous accueillons Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. La présentation de son rapport annuel nous offrira également l'occasion d'échanges sur divers projets législatifs relatifs à des sujets relevant de sa compétence.
Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. - Je vous remercie. Vous recevrez chacun prochainement notre rapport d'activité pour l'année 2017, qui traite, plus encore que les précédents, de thèmes dont le Parlement aura à débattre dans les prochains mois. Ma présentation synthétique abordera les problématiques relatives à la prison, à l'asile et à l'immigration. Ce dixième rapport annuel retrace la visite, en 2017, de 150 établissements : prisons, hôpitaux psychiatriques concernés par l'hospitalisation d'office, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés et, depuis la loi du 26 mai 2014 qui a élargi nos compétences, procédures de reconduite à la frontière. Il conclut à un recul des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, notamment dans les prisons.
Nous avons visité 21 établissements pénitentiaires, tous pour la deuxième ou la troisième fois, et, sans exception, nous y avons constaté une inquiétante surpopulation carcérale.
Nous avons publié, en février 2018, un rapport relatif à l'impact de ce phénomène sur les droits fondamentaux des prisonniers. Entre 2016 et 2017, la densité carcérale est passée de 114 % à 117 %, proportions qui s'établissent respectivement à 136 % et 141 % dans les maisons d'arrêt. En Ile-de-France, ainsi que dans certains établissements du Sud de la France et de grandes agglomérations, le taux d'occupation peut atteindre 200 %. La France compte, au 1er mars 2018, 69 879 détenus, dont plus de 20 000 en détention provisoire, dont certains campent sur l'un des 1 640 matelas au sol installés dans nos prisons. Cette situation empêche la prison de mener convenablement sa mission essentielle de réinsertion des détenus et ne lui permet pas d'assurer le respect de leurs droits fondamentaux en matière d'hygiène, de dignité, de santé et de maintien des liens familiaux. C'est dire combien la France a besoin d'une politique publique de réduction de la population carcérale ! Le Président de la République l'a évoquée lors de son discours prononcé à Agen le 6 mars dernier à l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).
La situation est également préoccupante pour les détenus mineurs, au nombre, sans précédent, de 842 au 1er mars 2018. La surpopulation carcérale guette également ces établissements, qui, par ailleurs, accueillent près de 50 % de mineurs étrangers isolés emprisonnés pour des délits souvent mineurs. L'incarcération représente, pour certains magistrats, la solution à l'accueil défectueux des mineurs non accompagnés : votre commission pourrait utilement s'intéresser à cette dérive.
La psychiatrie, dont aucun projet de loi n'envisage à ma connaissance de se saisir prochainement, constitue, à mon initiative, une priorité de mon mandat : la privation de liberté est, dans les établissements qui en relèvent, tout aussi attentatoire aux droits fondamentaux, bien que peu connue du grand public et rarement débattue au Parlement. Nous nous sommes rendus, en 2017, dans 30 hôpitaux psychiatriques, dans lesquels nous avons observé un respect très insuffisant des droits fondamentaux des malades. Les hospitalisations sans consentement ont doublé depuis dix ans. Elles peuvent entraîner, à l'égard des personnes concernées, des mesures particulièrement attentatoires aux libertés, à l'instar de l'isolement et de la contention. Nous avons d'ailleurs été amenés, en 2016 pour un établissement situé à Bourg-en-Bresse et en 2018 pour l'hôpital de Saint-Etienne, à émettre des recommandations en urgence au ministre de tutelle. Des malades, pourtant hospitalisés librement, étaient attachés sur un brancard pendant huit jours au service des urgences, faute de place en psychiatrie ! La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a pourtant encadré ces interventions, mais elle semble encore loin d'être appliquée dans tous les établissements. Il est urgent que le corps médical s'y attèle !
S'agissant des migrants, je vous ai adressé un courrier voici quelques jours vous alertant sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif, qui prévoit notamment de porter à 90 jours, voire à 135 jours dans certaines situations, le temps de rétention autorisé, établi actuellement à 45 jours. Le nombre de placements en rétention ne cesse de croître et le traitement des enfants en ces lieux nous inquiète tout particulièrement ; il mériterait d'être inclus dans ce texte. De 41 en 2013, leur nombre dépasse désormais 300, dont des nourrissons et de très jeunes enfants ! Lors de notre visite du centre du Mesnil-Amelot, il y a quelques jours, nous avons constaté qu'un bébé prématuré vivait depuis dix jours dans un lieu où la température de dépassait pas dix degrés !
Nous nous sommes rendus, en 2017, dans quatre services de
police aux frontières, quatre zones d'attente et six centres de
rétention administrative. Ces derniers, à une exception
près, ne présentaient nullement les garanties d'accueil
suffisantes en matière d'hygiène, d'accès à l'air
libre, de surface disponible, de prise en charge médicale et
psychiatrique et d'activités proposées. Par ailleurs, la
notification des droits, en raison notamment de la barrière de la
langue, apparaît inadaptée et trop formelle. Pire, nous avons
constaté, en visitant les locaux de la police aux frontières de
Menton en septembre dernier, l'apparition d'une nouvelle forme de privation de
liberté à l'encontre des migrants, qui s'organise hors de tout
cadre légal. Certes, la frontière franco-italienne subit une
pression migratoire inhabituelle
- 20 000 personnes l'ont franchie
au cours des huit premiers mois de l'année 2017 -, mais ce
phénomène ne justifie nullement que les personnes
interpellées après 19 heures se trouvent dans l'obligation
de passer la nuit dans un local de police sale et mal équipé,
alors qu'aucune réglementation ne prévoit une telle
procédure. Les personnes interpellées en journée sont
invitées à se présenter aux autorités italiennes ou
reconduites à la gare pour un retour immédiat ! En outre,
les mineurs ne font l'objet d'aucune protection spécifique. Il doit
être mis fin à cette zone de non droit ! Dans ce contexte,
les évolutions annoncées du droit des étrangers me
semblent inquiétantes au regard du respect des droits fondamentaux,
notamment l'augmentation de 16 à 24 heures de la durée de retenue
autorisée pour vérifier la légalité du
séjour, soit, symboliquement, celle d'une garde à vue alors que
le séjour illégal n'est plus un délit depuis 2012. Nous
sommes favorables, s'agissant de la durée de séjour en centre de
rétention, à un maintien de la limite à 45 jours, voire
à sa réduction à 32 jours, comme autrefois. En effet,
nous constatons que, si les services n'ont pas, dans un délai de dix
à douze jours, renvoyé un individu dans son pays d'origine en
raison du refus de ce dernier de le reconnaître comme un ressortissant,
ils n'atteindront jamais cet objectif. J'ai cru néanmoins comprendre que
le Gouvernement espérait, avec la fixation du temps maximal de
rétention à 90 jours et la nomination d'un ambassadeur ad
hoc, faire pression sur les pays concernés.
M. Philippe Bas, président. - Il est certain que lorsque l'on souhaite établir un rapport de force, il n'est rien de mieux que de faire appel à un diplomate...
Mme Adeline Hazan. - C'est une évidence ! Seulement 3,7 % des personnes sont libérées à l'expiration du délai légal, tandis que 53 % des rétentions sont annulées par le juge judiciaire, le juge administratif ou la préfecture, preuves, s'il en était besoin, du dysfonctionnement de cette procédure ! Je vous rappelle que le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a demandé, dans une lettre en date du 8 mars 2018, qu'il soit mis fin à la rétention des mineurs et s'est inquiété de l'allongement précité à 90 jours. Depuis la création du contrôle général des lieux de privation de liberté en 2007, 58 centres de rétention ont été visités : chaque fois, nous avons constaté l'effet délétère des conditions d'accueil sur les personnes détenues.
Nous nous sommes également rendus, en 2017, dans 22 locaux de garde à vue, où, à nouveau, ont été observées des atteintes aux droits des personnes, notamment en matière d'hygiène : locaux inadaptés, couvertures usagées, absence de produits d'hygiène, etc. Les services visités appliquaient systématiquement, au nom d'un principe de précaution maximum, des mesures de sécurité destinées à des individus agités. À titre d'illustration, les objets personnels étaient confisqués quel que soit l'état d'excitation ou d'anxiété de l'individu : les femmes étaient ainsi privées de soutien-gorge pour éviter un passage à l'acte suicidaire, dont aucun, à ma connaissance, ne s'est pourtant produit par ce moyen dans un local de garde à vue. Dans les gendarmeries de taille modeste, où la surveillance de nuit se limite à quelques rondes, les personnes demeurent en outre plusieurs heures en cellule sans possibilité d'appel. Nous proposons à cet égard qu'un transfert soit organisé pour la nuit vers les locaux d'une gendarmerie plus importante ou de la police.
Nous avons enfin visité 5 centres éducatifs fermés, dont 3 faisant apparaître de graves difficultés : équipe éducative en crise, inexpérience d'un directeur tout juste intégré à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), absence de projet éducatif, implication insuffisante des familles et des éducateurs extérieurs au centre, instabilité professionnelle, etc. Une réforme d'ampleur est indispensable ; constat que nous partageons avec la PJJ. Pourtant, rien ne semble encore évoluer...
Au mois de novembre 2017, à l'occasion du colloque saluant les dix ans de l'institution, j'ai rappelé que, si le contrôleur général des lieux de privation de liberté appartient désormais au paysage institutionnel, les atteintes aux droits fondamentaux persistent d'autant plus que le climat sécuritaire s'épanouit dans notre société. L'équilibre indispensable entre la protection de la sécurité et le respect des droits s'étiole dans les établissements que nous contrôlons, comme dans la société : l'atteinte aux droits n'est plus proportionnelle au risque. Nos visites annuelles, ainsi que les 4 000 courriers que nous recevons chaque année, dont une proportion en augmentation provenant de professionnels en poste dans les hôpitaux psychiatriques, en représentent la preuve. Au Parlement de rétablir l'équilibre dont notre société a besoin !
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat poursuit une vocation particulière en matière de défense des libertés, illustrée dans le récent ouvrage de notre collègue François Pillet intitulé Le Sénat, gardien des libertés. Nous avons donc à entretenir des relations privilégiées avec le contrôleur général des lieux de privation de liberté et sommes attentifs à vos observations, qui s'enracinent dans de nombreux déplacements. Le périmètre de vos interventions et les moyens dont vous disposez vous semblent-ils adaptés à votre mission ? Comment juger qu'une contrainte est justifiée par rapport à la situation qu'il convient de gérer ? Votre prédécesseur s'était inquiété de la situation des personnes accueillies en établissement d'hébergement pour personnes âgées (Ehpad), qui ne ressortent pas de votre compétence. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
Mme Adeline Hazan. - Je suis extrêmement attachée aux échanges avec le Parlement. Lors de la fusion de diverses entités pour ériger le Défenseur des droits en 2011, l'Assemblée nationale y avait intégré le contrôleur général des lieux de privation de liberté au processus. Fort heureusement, le Sénat nous a permis de conserver notre indépendance ; je ne l'oublie pas. Nous n'intervenons en effet pas selon la même philosophie : le Défenseur des droits est un médiateur entre les citoyens et l'administration, tandis que nous sommes nés de la recommandation de l'Organisation des nations unies (ONU) de créer un mécanisme national de prévention. De fait, nous ne réglons pas, sauf indirectement, des situations individuelles mais constatons des manquements pour qu'ils ne se renouvellent pas. À cet effet, après une visite, nous adressons un rapport complet à l'établissement assorti, le cas échéant, de recommandations. Une fois sa réponse reçue, nous envoyons le rapport au ministre de tutelle avant de le rendre public. La procédure dure un peu moins d'une année. Lorsqu'une atteinte grave est constatée, comme à Bourg-en-Bresse ou à Saint-Etienne, nous envoyons en urgence une recommandation au ministre concerné. Nous disposons, pour mener à bien nos missions, de quarante contrôleurs, dont vingt seulement à temps plein, qui passent environ quinze jours par mois en visite de une à deux semaines en immersion totale. Le secret professionnel ne peut leur être opposé. Depuis la loi précitée de 2014, les dossiers médicaux eux-mêmes peuvent être consultés par un contrôleur dès lors qu'il s'agit d'un médecin. Nos équipes sont très occupées mais, en toute franchise, nos moyens sont globalement suffisants.
La loi du 30 octobre 2007 qui nous a institués a limité notre compétence aux lieux privatifs de liberté sur décision de l'autorité publique et aux établissements psychiatriques pour leur activité relative à l'hospitalisation d'office. Les Ehpad en sont donc exclus. Mon prédécesseur, Jean-Marie Delarue, souhaitait effectivement les intégrer à notre périmètre d'intervention. Je n'y suis pour ma part pas favorable car l'hébergement des personnes âgées dans ces établissements ne relève pas d'une contrainte de même nature, sans méconnaître le fait que les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux ne s'en préoccupent pas suffisamment. Il conviendrait à mon sens plutôt d'installer une autorité indépendante en charge du contrôle des Ehpad. Si d'aventure cette mission nous était confiée et dans la mesure où la France compte 7 000 Ehpad, nos moyens devraient évidemment être augmentés.
En tant que contrôleure générale des lieux de privation de liberté, je suis particulièrement choquée de la situation découverte dans certains hôpitaux psychiatriques. Pensez qu'à Bourg-en-Bresse comme à Saint-Etienne, la Haute autorité de santé (HAS) avait réalisé un contrôle quelques semaines avant notre visite sans constater de manquement ! Je vais prochainement m'en ouvrir à la ministre de la santé. Nous nous sommes ainsi rendus à Saint-Etienne le 15 janvier dernier ; or, en novembre 2017, sept personnes de la HAS n'avaient vu aucun obstacle à la certification des soins réalisés dans l'établissement... Cela étant, depuis notre passage, l'hôpital s'est montré particulièrement réactif : le directeur a fait cesser la pratique des entraves aux brancards dans le service des urgences et a ouvert des lits supplémentaires en psychiatrie. Qui veut, peut donc...
M. Philippe Bas, président. - Merci, madame, de votre réponse raisonnable à ma question relative à votre périmètre de compétence.
M. François Pillet. - J'ai le privilège d'appartenir à la commission des lois depuis environ dix ans et jamais je n'ai manqué la présentation du rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Or, celle-ci est, de loin, la plus alarmante qu'il m'ait été donné d'entendre. Est-ce à dire que la situation s'est véritablement aggravée depuis deux ou trois ans ? Certaines situations décrites, inacceptables, m'horrifient. Vous avez indiqué que le recours à l'hospitalisation psychiatrique sans consentement avait doublé en dix ans : existe-il, selon vous, des abus dans la décision-même d'hospitaliser ? À l'issue de vos recommandations, y aura-t-il des poursuites juridictionnelles, notamment pénales, pour sanctionner certains faits ?
M. Alain Marc. - Comment expliquez-vous une telle augmentation du nombre de mineurs détenus ? Faut-il y voir un essor de la délinquance juvénile ou la conséquence d'une plus grande sévérité des juges ? Est-il nécessaire d'ouvrir de nouvelles places de prison à cet effet ? Les 7 000 places de prisons promises par le Gouvernement à échéance 2022, dont le calendrier de réalisation ne nous était pas apparu réaliste lors de la dernière loi de finances, peuvent-elles vraiment permettre un recul sensible de la surpopulation carcérale ? Comment, enfin, mieux prendre en charge les femmes détenues, souvent accompagnées d'enfants ? Faut-il créer de nouveaux quartiers, voire de nouveaux établissements ?
Mme Brigitte Lherbier. - J'ai, pendant trente ans, exercé comme universitaire. Sachez que, chaque année, votre rapport d'activité était présenté aux étudiants de l'institut d'études judiciaires (IEJ) de ma faculté, qui se destinent aux métiers d'avocat, de commissaire de police et de magistrat. Notre commission s'est à plusieurs reprises rendue dans des prisons où, chaque fois, il apparaissait que la proportion de détenus relevant d'une prise en charge psychiatrique était extrêmement élevée. Les soins dans ce domaine sont-ils suffisants en prison ? Par ailleurs, lors d'un déplacement au centre de rétention administrative de Lesquin, je me suis interrogée sur la raison pour laquelle certains problèmes réglés par le centre ne l'avaient pas été en prison. Enfin, la situation des mineurs isolés est, dans le Nord de la France, particulièrement préoccupante et les places manquent dans les structures adaptées.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - J'apprécie tout particulièrement le fait que vous nous adressiez des courriers réguliers. Une récente enquête de l'Institut français de l'opinion publique (IFOP) établit que, depuis 2000, le regard des Français sur la prison s'est profondément dégradé : 48 % pensent que la prison doit avant tout priver les détenus de liberté (+ 28 points), 72 % sont favorables au renforcement des programmes de réinsertion en prison (- 17 points) et 50 % considèrent que les détenus sont trop bien traités (+ 32 points). Que pensez-vous de ces résultats ? Lors du conflit qui opposait cet hiver le Gouvernement au personnel pénitentiaire, Nicole Belloubet a évoqué devant notre commission la nécessité de revoir l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 relatif à la pratique de la fouille intégrale en prison, pour laquelle, lorsqu'elle était systématique, la France a été condamnée. Quelle est votre position sur cette hypothèse ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci, Monsieur le Président, d'avoir rappelé le rôle insigne du Sénat en matière de défense des libertés publiques. Ma question est d'ordre juridique : vous nous avez appelés, Madame, à rejeter certaines dispositions du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Il me semble pourtant, à la lecture de l'article premier de la loi du 30 octobre 2007, que votre mission consiste à contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Pourquoi, dès lors, vous piquez-vous de donner un avis sur des décisions qui relèvent de la responsabilité du législateur ?
Mme Esther Benbassa. - Je partage votre analyse sur les différents thèmes abordés par votre présentation. Je visite, à mon initiative, environ un centre de rétention toutes les trois semaines et dresse un constat similaire au vôtre. À Lyon, récemment, j'ai ainsi été surprise de la provenance des personnes détenues : pour 30 % d'entre eux, les « retenus », viennent de la prison ; 30 % de garde à vue et le reste attendent dans le cadre d'un contrôle d'identité. Jamais je n'ai constaté un taux de « retenus » si élevé ! Dans la majorité des centres, j'ai pu observer des problèmes de santé (les rares médecins et les infirmières sont débordés) et de nourriture. Dans la mesure où certains ne mangent pas de viande, il faudrait servir davantage de poisson ! J'ai également alerté la garde des sceaux sur les conditions de détention à la prison de Villefranche-sur-Saône : alors que l'établissement n'accueille que des détenus condamnés à de courtes peines, généralement inférieures à un an, 6 suicides y ont eu lieu l'an passé. Quant à la zone d'attente de Lyon, la situation est kafkaïenne ! Lors de ma visite, il n'y avait qu'un seul détenu, collé à la télévision en l'absence d'autre activité. Les demandes d'asile s'y effectuent au téléphone, sans aucune intimité, et ces mêmes appareils ne permettent pas d'appeler un mobile. Je vous remercie enfin, Madame, d'avoir accepté notre invitation à intervenir lors de notre colloque sur la psychiatrie en prison.
Mme Adeline Hazan. - Monsieur Bonnecarrère, l'article premier de la loi du 30 octobre 2007 n'est pas exclusif de contacts avec le Parlement. Je suis d'ailleurs souvent invitée à donner mon avis sur un projet de loi. Je suis, par exemple, entendue cette semaine à trois reprises par le Parlement : outre notre rencontre de ce matin, je m'exprimerai demain devant la commission d'enquête sénatoriale sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique et, à l'Assemblée nationale, sur la problématique des fouilles en prison. Le Parlement semble donc se préoccuper de mon avis, de même, d'ailleurs, que le président de la République et le Premier ministre. Je ne crois en conséquence pas outrepasser ma mission.
Je ne puis affirmer, monsieur Pillet, avoir déjà été confrontée à des cas d'hospitalisation d'office abusive. Il est en revanche exact que leur nombre croît en raison de troubles mentaux de plus en plus fréquents et du manque de structures de prise en charge en amont, à l'instar des centres médico-psychologiques (CMP) qui manquent cruellement de moyens. En outre, la réforme portée par la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, en créant une nouvelle forme d'hospitalisation sans consentement « en cas de péril imminent », a contribué à la multiplication des hospitalisations forcées. Auparavant, les familles étaient contactées systématiquement et pouvaient parfois convaincre la personne malade de se faire soigner librement.
Monsieur Marc, l'augmentation du nombre de mineurs détenus est davantage la conséquence d'une plus grande sévérité des tribunaux, même si l'on observe un rajeunissement des jeunes délinquants. Par ailleurs, l'absence de prise en charge adaptée des mineurs isolés par les départements conduit certains magistrats à voir dans la détention une solution à leur situation. Quant à la création annoncée de 7 000 nouvelles places de prison, je ne la juge pas crédible, sans compter que le taux de remplissage des prisons ne diminue pas en proportion de l'ouverture de nouvelles places. C'est un cercle vicieux ! Il y a trente ans, la France comptait 30 000 places. Elle en dispose désormais de 60 000 alors que la surpopulation n'a jamais été si élevée. L'incarcération représente, en quelque sorte, une solution de facilité pour des magistrats qui ne disposent pas, dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, des moyens d'apporter un éclairage suffisant sur la personnalité de l'accusé en vue de proposer une peine adaptée à chacun.
M. Philippe Bas, président. - Ce débat est majeur. Nous avons adopté, le 24 octobre dernier, une proposition de loi de programmation prévoyant l'ouverture de 15 000 places de prison supplémentaires. Votre argument sur la corrélation entre l'augmentation des capacités d'emprisonnement et le taux de remplissage des prisons est connu, mais il ne repose sur aucune donnée scientifique, d'autant que d'autres facteurs interviennent. Il est en revanche exact que des peines sont prononcées sans tenir compte, ni de la situation personnelle de l'accusé, ni du nombre de places disponibles en prison. Après avoir cru jusqu'en 2012, le recours aux peines alternatives s'est stabilisé. Surtout, la prison ne prépare pas suffisamment à la réinsertion via, par exemple, des formations. Ne raisonnons pas seulement en termes d'alternatives à l'emprisonnement mais utilisons l'ensemble des leviers à notre disposition !
Mme Adeline Hazan. - Je pense que de nouvelles places s'imposent mais les 7 000 places promises pour la fin du quinquennat - la promesse initiale était de 15 000 sur la période - représentent un objectif ni réaliste ni souhaitable. Je rencontre souvent des magistrats, qui estiment ne pas avoir à tenir compte des places disponibles en prison lorsqu'ils prononcent une peine. J'en suis choquée ! Je propose a contrario d'instaurer un système de régulation carcérale, qui existe d'ailleurs dans certains établissements comme celui de Dijon : dans le cadre d'un dialogue entre les magistrats et la prison, des aménagements de peine peuvent être prononcés pour certains détenus, afin de permettre à de nouveaux condamnés d'intégrer la prison dans des conditions d'accueil satisfaisantes. Le président de la République a évoqué cette possibilité dans son discours d'Agen, mais, hélas, elle n'est pas concrétisée dans le projet de loi. Je le regrette car la mise en place d'un tel dispositif ne repose dès lors que sur la bonne volonté des parties concernées. Il est malheureux que l'opinion publique ne saisisse pas que la prison échoue en matière de réinsertion : la société est en danger lorsque croit le risque de récidive !
M. Philippe Bas, président. - Vous trouverez dans nos rangs un large accord sur ce dernier point, mais peu admettront que soit pris, par manque de place, le risque d'une sortie anticipée pour laisser entrer un nouveau détenu dans un établissement. L'examen de la situation du détenu libérable doit primer sur les impératifs de gestion des places de prison !
M. Alain Marc. - Il y a trente ans, la France ne disposait peut-être que de 30 000 places, mais comptait aussi dix millions d'habitants de moins ! La création de 7 000 nouvelles places est simplement proportionnelle à la croissance démographique.
Mme Adeline Hazan. - Vous avez également évoqué, monsieur Marc, la prise en charge des détenues féminines. Si elles ne représentent que 3,5 % des prisonniers, leurs conditions de détention n'en sont pas moins inadaptées et défaillantes. Le quartier des femmes se trouve souvent au fond de la prison. Il existe une règle dans la pénitentiaire où les femmes ne peuvent pas croiser des hommes, même pour aller à la salle de sports. Pour cette même raison, leur accès aux unités médico-sanitaires est souvent limité à une demi-journée par semaine. C'est une double peine que d'être femme en prison !
Madame Lherbier, la psychiatrie en prison progresse, mais elle demeure insuffisante, d'autant que les problèmes mentaux y sont légion : 70 % des détenus présentent un trouble psychiatrique et 25 % à 27 % une psychose grave, selon la dernière étude épidémiologique menée en 2004. La prison n'est pas adaptée à ces profils ! Les personnes concernées en pâtissent et les surveillants ne peuvent gérer de telles problématiques. Le législateur doit se saisir du sujet ! L'Assemblée nationale a d'ailleurs créé un groupe de travail à cet effet. Certes, la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) constitue une avancée positive, mais elles demeurent encore en nombre insuffisant.
Concernant la question posée par Marie-Pierre de la Gontrie sur la dégradation spectaculaire du regard de la population sur les prisons, l'enquête de l'IFOP et de la fondation Jean Jaurès me semble témoigner d'une méconnaissance par la population de ce qui se passe véritablement en prison. Je suis frappée, par exemple, de l'état de choc dans lequel une première visite en prison plonge certains parlementaires. La pédagogie est insuffisante sur ce sujet. Il serait bon que la population visite les prisons - c'est difficile, évidemment.
Il y va également, bien sûr, d'un durcissement global de la population autour d'une demande de sécurité, depuis les attentats de 2015 notamment. Il faut faire davantage de pédagogie sur la surpopulation carcérale, sur le traitement des détenus en prison, et surtout sur l'inutilité des courtes peines, qui ne servent qu'à désocialiser davantage les personnes qui y sont condamnées.
S'agissant de l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, les syndicats pénitentiaires demandent sa suppression pure et simple de façon récurrente.
Avant 2009, des fouilles intégrales, à nu donc, pouvaient être effectuées à n'importe quel moment, pour n'importe quelle raison. La loi de 2009 me semblait équilibrée : une fouille était justifiée lorsqu'on pouvait soupçonner une personne, selon des critères précis, de chercher à introduire un objet interdit dans l'établissement. Cet article 57 a été modifié en 2016. Je m'étais d'ailleurs adressée aux membres de la commission mixte paritaire pour leur dire qu'une telle modification me semblait une régression importante. Dans sa nouvelle mouture, l'article 57 dispose en effet, que dès lors qu'une suspicion existe dans l'établissement, le directeur peut ordonner des fouilles intégrales aléatoires, pour tout le monde, pour une période de temps déterminée. Une telle disposition autorise en réalité les fouilles intégrales de façon permanente : le directeur prend une décision pour un mois, après quoi, la suspicion n'étant pas levée - il existe toujours, par définition, des raisons de soupçonner l'introduction d'objets interdits -, cette décision est renouvelée pour un mois, etc.
Telle est la position que je tiendrai, devant le groupe de travail de l'Assemblée nationale qui travaille actuellement sur la question des fouilles en prison. La demande des organisations syndicales pénitentiaires me semble totalement infondée, d'autant qu'aucune hausse de l'introduction d'objets interdits n'a été prouvée après la promulgation de la loi de 2009.
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous avons deux textes de loi à examiner d'ici 13 heures. Vous êtes encore dix inscrits pour échanger avec Mme Hazan. Le sujet est de très grande importance ; nous avons d'ailleurs mis en place une mission d'information sur l'exécution des peines, qui permettra d'approfondir une partie des questions posées.
Je vous propose de faire chacun un énorme effort en acceptant de ne prendre la parole qu'une minute, après quoi Mme Hazan pourra nous répondre pendant une dizaine de minutes. Je ne peux pas déplacer les dates prévues pour l'examen en séance des textes que nous devons examiner ce matin. Le débat a déjà été d'une grande ampleur autour du rapport de Mme Hazan, et notre capacité à nous renouveler dans les questions que nous posons a tout de même ses limites.
Je ne doute pas que nous parvenions à être concis. M. Collombat, qui est orfèvre en la matière, va pouvoir donner le bon exemple.
M. Pierre-Yves Collombat. - Incapable de me livrer à cet exercice, je passerai mon tour, non sans avoir fait remarquer qu'il faudrait peut-être que nous réfléchissions à nos ordres du jour. Celui de ce matin est intenable !
M. François Grosdidier. - Puisqu'il faut aller vite, vous me pardonnerez de manquer de nuance, à mon grand regret, et certainement au vôtre.
Ce rapport est alarmant. Ce n'est pas la première fois que l'on tire la sonnette d'alarme ! M. Delarue l'avait fait ; des rapports sénatoriaux allaient dans le même sens. Et les exécutifs successifs n'ont jamais entendu ces alarmes.
La surpopulation carcérale s'accroît et les
conditions de détention sont indignes
- nous en sommes tous
d'accord. Depuis longtemps d'ailleurs, l'État ne donne pas à ses
services régaliens les moyens de leurs missions. Nous en faisons le
constat dans le cadre de la commission d'enquête sur l'état des
forces de sécurité intérieure, mais c'est pire dans la
justice. Et dans l'administration pénitentiaire, on est au pire du
pire !
Mme Adeline Hazan. - Absolument !
M. François Grosdidier. - De ce constat, néanmoins, nous ne tirons pas la même conclusion. Votre solution est la déflation carcérale : moins de gens en prison. Il nous apparaît que, si de plus en plus de mineurs sont détenus, c'est que les mineurs sont de plus en plus nombreux à être de plus en plus violents de plus en plus tôt. Il faut donc construire des prisons. Or les programmes de construction ont toujours fait l'objet d'un « stop and go » au gré des alternances politiques.
Je veux mentionner un autre problème que vous ne traitez pas. On est toujours dans l'opposition et la recherche d'équilibre entre l'autorité de l'État et les droits et libertés des détenus. Mais les prisons sont les premières zones de non-droit ! Les premières victimes de ce non-droit sont les détenus les plus faibles, parce que s'y exerce la loi de la jungle.
Lorsque des policiers sont venus suppléer les surveillants en grève, on leur a demandé de laisser passer le cannabis ! Cette situation de non-droit est d'abord préjudiciable aux prisonniers.
Notre administration pénitentiaire est aujourd'hui trop faible, sur le plan quantitatif et sur le plan qualitatif. Elle n'a pas de qualification judiciaire, en matière de répression, et pas non plus de qualification professionnelle en matière d'insertion. Dans beaucoup de pays étrangers, les surveillants savent instaurer un dialogue. Dans les prisons françaises, la formation professionnelle reste très marginale. Nous avons besoin d'une administration pénitentiaire à la fois forte, ferme et généreuse, capable d'instaurer un dialogue avec les prisonniers.
M. Jean-Yves Leconte. - Madame Hazan, avez-vous pu, au cours de cette année, suivre la question des raccompagnements et des éloignements des étrangers ? Disposez-vous des moyens suffisants pour effectuer un tel suivi ? Quelle est votre appréciation de la situation dans les centres de rétention administrative, en termes de conditions de travail des agents de la police aux frontières (PAF), depuis octobre notamment ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Je garde le souvenir de ce matin où j'ai passé deux heures avec tous les surveillants du centre pénitentiaire de Saran. Tous ou presque m'ont dit avoir été victimes de violences, soit verbales soit physiques. J'ai même entendu des paroles très dures s'agissant de certains avantages accordés aux détenus. Il y a un vrai problème ! On doit s'occuper de la condition des surveillants, notamment en termes d'effectifs. Quid de la formation des personnels qui vont exercer cette mission ?
Concernant la lutte contre la radicalisation, j'ai reçu l'aumônier national musulman ; beaucoup d'aumôniers sont bénévoles. Dans les prisons, comme dans les hôpitaux et comme aux armées, les aumôniers sont agréés par l'État. Comment cet agrément se déroule-t-il ? Quelles garanties a-t-on de la fiabilité du discours tenu par les aumôniers ?
M. Dany Wattebled. - Environ 500 personnes sont incarcérées en raison de faits en lien avec le terrorisme islamique ; 1 200 autres détenus présenteraient des signes de radicalisation. Comment adapter les moyens, en matière de parc immobilier et de personnel notamment, à la prise en compte de cette menace particulière ?
Mme Muriel Jourda. - Nous n'avons pas parlé d'un des acteurs extrêmement importants de la détention après condamnation : le juge de l'application des peines. Avez-vous observé des dysfonctionnements dans cette institution ?
M. François-Noël Buffet. - Je ne suis pas très à l'aise dans cette réunion. Je ressens une forme de confusion : avec tout le respect que je vous dois, Madame Hazan, soit vous êtes une autorité de constat et de contrôle, soit vous êtes juge de l'opportunité des politiques publiques. Ce sont deux rôles différents.
De ce point de vue, je rejoins les propos tenus par Philippe Bonnecarrère. Madame Hazan, vous remettez en cause les départements s'agissant de la prise en charge des mineurs ; or nous étions encore avant-hier dans un département français pour constater que ledit département, comme tous les autres, fait tous les efforts nécessaires.
S'agissant de la rétention, force est de constater que la crise migratoire de 2015 a produit des effets sur le nombre de personnes détenues. Ce qui m'inquiète le plus, c'est la question des moyens budgétaires. En visitant les centres de rétention de notre pays, on regrette parfois leur état et les conditions d'accueil qui sont faites à ceux qui s'y trouvent. C'est évident ! En revanche, vous ne dites rien sur les moyens que l'État doit mobiliser, sur le plan budgétaire, pour remplir correctement cette mission et remédier à cette difficulté. Ce point relève pourtant pleinement du devoir de contrôle de votre autorité.
Mme Josiane Costes. - Merci pour votre rapport. Concernant le fonctionnement des CEF, les centres éducatifs fermés, vous avez pointé des difficultés graves. Il est question d'en ouvrir vingt supplémentaires. Quelles sont les difficultés que vous avez constatées ? Comment améliorer le suivi des jeunes qui sortent de ces CEF ?
M. François Bonhomme. - Ma question, comme celle de Dany Wattebled, porte sur les mesures d'adaptation prises concernant les personnes incarcérées pour des activités en lien avec le terrorisme islamique.
Mme Françoise Gatel. - Il existe à Rennes un centre pénitentiaire pour les femmes, notamment celles condamnées à de longues peines. Le personnel y fait état d'une différence de comportement entre les personnes condamnées à de courtes peines et celles qui sont condamnées à de longues peines. Les difficultés que l'on constate de manière générale, dans la société, concernant l'évolution des comportements, se retrouvent en prison : les phénomènes d'instabilité ou d'irritabilité psychologique sont fréquents, ce qui rend difficile le travail avec les personnes concernées.
Par ailleurs, je suis surprise que vous vous interrogiez sur la possibilité que votre champ de compétences couvre les Ehpad, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Les Ehpad ne sont pas des lieux de privation de liberté. Certes, les personnes qui s'y trouvent doivent être protégées, vu leur état de dépendance. Mais ne pensez-vous pas qu'il existe de vraies compétences, en la matière, dans les ARS, les agences régionales de santé, et dans les départements ?
Mme Adeline Hazan. - Je mets d'abord fin à une fausse polémique : je n'ai jamais mis en cause les conseils départementaux ; j'ai au contraire dit qu'ils n'avaient pas les moyens, actuellement, de prendre en charge les mineurs non accompagnés. Ce n'est pas une mise en cause, c'est un constat !
M. Alain Marc. - C'est le Sénat qui a sauvé les départements !
Mme Adeline Hazan. - La loi d'octobre 2007 n'étant manifestement pas assez connue dans cette enceinte, je voudrais relire à votre intention, son article 10 : « Dans son domaine de compétences, le contrôleur général des lieux de privation de liberté émet des avis, formule des recommandations aux autorités publiques et propose au Gouvernement toute modification des dispositions législatives et réglementaires applicables. Après en avoir informé les autorités responsables, il rend publics ces avis, recommandations ou propositions, ainsi que les observations de ces autorités. »
Je suis donc parfaitement dans ma compétence lorsque j'indique qu'une disposition de la loi a des conséquences ou que l'adoption d'un projet ou d'une proposition de loi pourrait avoir des conséquences qui ne me semblent pas conformes aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Je suis très étonnée de cette fausse polémique, qui nous prend du temps alors que le temps nous est compté.
Un mot sur le budget du ministère de la justice, qui se situe entre 8 et 9 milliards d'euros ; je pense qu'il pourrait facilement être augmenté de moitié, voire doublé. Le budget de l'administration pénitentiaire est de 3,5 milliards d'euros ; c'est insuffisant pour régler les problèmes. Ce budget a été sacralisé cette année ; j'appelle la représentation nationale à faire en sorte qu'il soit augmenté. La France consacre 72 euros par an et par habitant à la Justice ; en Allemagne, ce montant s'élève à 140 euros, soit le double, ce qui rend les choses plus faciles à gérer.
Bien sûr, Monsieur Sueur, les problèmes des surveillants sont énormes. Ils ne peuvent plus exercer leurs missions dans de telles conditions, notamment dans les maisons d'arrêt : à Fresnes, à Nanterre, à Fleury, on compte un surveillant pour cent détenus ! Autrement dit, le surveillant ouvre et ferme la porte, c'est tout. Aucune prise en charge ne peut s'effectuer.
Les questions de formation sont bien sûr un véritable sujet. On nomme dans les plus grandes prisons d'Île-de-France des surveillants qui sortent de l'école. À Fresnes ou à Nanterre, 70 % des surveillants sont des stagiaires !
Concernant la radicalisation, il va falloir revoir le statut des aumôniers musulmans. Un problème de recrutement se pose : c'est une évidence. Ces aumôniers ne sont pas salariés par l'organisation de leur religion, à la différence des aumôniers protestants ou catholiques, puisque leur religion n'est pas organisée de la même façon. Ils ne touchent donc qu'un défraiement minime de la part de l'administration pénitentiaire, 400 euros par mois, sans que soient remboursés leurs frais de déplacement. Autrement dit, remplir cette mission coûte de l'argent à certains !
M. Jean-Pierre Sueur. - Existe-t-il bel et bien une procédure formelle d'agrément, assortie d'un contrôle de connaissances ?
Mme Adeline Hazan. - Absolument.
M. Jean-Pierre Sueur. - En êtes-vous sûre ?
Mme Adeline Hazan. - Cette procédure ne me paraît pas suffisante, et je pense qu'il existe un problème de recrutement, qui est en train d'être pris en charge.
S'agissant du juge de l'application des peines, le dysfonctionnement réside dans l'insuffisance totale des effectifs. Les juges de l'application des peines ne peuvent pas effectuer leurs missions, les services de prévention étant dans l'incapacité d'y consacrer le temps nécessaire.
Sur la radicalisation, il est très difficile de répondre en une minute. En deux mots : c'est un sujet extrêmement complexe. Personne n'a trouvé de solution. Nous sommes en train de tâtonner pour savoir s'il faut regrouper les détenus radicalisés ou les disperser dans la détention normale.
M. Philippe Bas, président. - Madame, à en juger par l'intérêt que nos collègues ont manifesté pour cette audition, il faudra, l'année prochaine, que nous puissions y consacrer davantage de temps.
Mme Adeline Hazan. - Avec plaisir. Je suis auditionnée demain par la commission d'enquête du Sénat sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État islamique.
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat sera ainsi dûment informé de vos réflexions sur le sujet.
Proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016-943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je commencerai par citer une excellente source, à savoir un rapport d'avril 2015, que j'ai moi-même commis avec notre ancien collègue Michel Delebarre. Nous y soulignions qu'en dépit des atouts du droit français des entreprises, les risques pouvant résulter de la confrontation entre le système juridique français et certains systèmes étrangers, en particulier anglo-saxons, étaient certains concernant le secret des affaires. Les innovations des entreprises françaises apparaissaient vulnérables, en particulier faute d'un régime efficace de protection du secret des affaires. Ce constat demeure malheureusement toujours valable.
Toutefois, la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui devrait permettre de surmonter la première de ces difficultés majeures et de placer, sur ce point, les entreprises françaises dans des conditions d'égalité avec les autres entreprises de l'Union européenne.
Je déplore qu'il ait fallu attendre la transposition d'une directive, de surcroît à la fin du délai de transposition, alors que la directive date de juin 2016, pour que nous nous dotions enfin d'un régime de protection légale du secret des affaires en droit français. Il faut relever le paradoxe selon lequel, alors qu'il a fallu attendre des années pour que notre pays puisse se doter d'un tel régime, nous devons aujourd'hui examiner dans des délais extrêmement brefs le texte qui concrétise cette longue attente.
Cette transposition doit être la première étape dans la mise en place d'un dispositif global de protection du secret des affaires pour les entreprises françaises.
Attendu depuis longtemps, la création d'un tel régime de protection du secret des affaires ne saurait pour autant ignorer le rôle des journalistes, des lanceurs d'alerte ou encore des représentants des salariés dans l'information de la société civile. Un équilibre doit être trouvé entre les exigences également légitimes de protection du secret des affaires et d'information des salariés et des citoyens. À cet égard, aucun malentendu ne doit être artificiellement entretenu. L'élaboration de cette directive avait donné lieu à d'importantes controverses. Elles ont été largement dissipées à l'occasion de la transposition. Les amendements que je vous proposerai devraient permettre de lever définitivement, s'ils sont adoptés, tous les malentendus.
Aux termes de la directive, « les secrets d'affaires sont l'une des formes de protection de la création intellectuelle et des savoir-faire innovants les plus couramment utilisées par les entreprises, et en même temps ils sont les moins protégés par le cadre juridique existant. »
Dans certains domaines bien circonscrits, le droit français, lui, ne connaît que la notion traditionnelle de secret industriel et commercial, et, dans de rares cas, la notion de secret des affaires. Quelques dispositifs épars et sectoriels ne constituent pas une protection générale contre l'obtention illicite de secrets d'entreprises non légalement protégés.
Le constat est donc clair : il manque à la législation française un tel dispositif général et transversal garantissant une vraie protection des informations confidentielles détenues par les entreprises françaises. Le constat de la carence du droit français en la matière est connu depuis longtemps, de sorte que les initiatives n'ont pas manqué. Aucune, toutefois, n'a pu aboutir jusqu'à présent.
J'en citerai deux, particulièrement emblématiques : en novembre 2011, le député Bernard Carayon, que j'ai entendu en audition, déposa une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, adoptée par l'Assemblée nationale le 23 janvier 2012. Cette proposition de loi, qui ne comportait qu'une dimension pénale visant à dissuader plus fortement la captation illicite de secrets d'entreprises par leurs concurrents, était controversée dans les milieux économiques ; ce texte est demeuré sans suite devant notre assemblée.
En juillet 2014, quelques mois après la présentation de la proposition de directive par la Commission européenne en décembre 2013, le député Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déposa une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, comportant, elle, un volet civil et un volet pénal. Quelques mois plus tard, les dispositions de cette proposition de loi furent introduites par l'Assemblée nationale, en première lecture, au stade de la commission, dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, avant d'en être retirées dès la discussion en séance, au vu de la vive controverse médiatique qu'elles suscitèrent.
Aujourd'hui, le contexte n'est plus le même, a fortiori depuis qu'existe l'obligation de transposition d'une directive européenne.
La directive définit le détenteur légitime d'un secret d'affaires par le contrôle qu'il exerce sur ce secret. Elle définit l'information protégée en tant que secret d'affaires par trois critères : elle n'est pas généralement connue ou aisément accessible à des personnes familières du type d'informations en cause ; sa valeur commerciale résulte de son caractère secret ; son détenteur légitime met en oeuvre des mesures raisonnables destinées à la garder secrète. La directive définit en outre des cas d'obtention licite d'un secret, la création indépendante et l'ingénierie inverse notamment.
La directive précise également les cas d'atteinte au secret des affaires sans le consentement du détenteur légitime, sous réserve des dérogations concernant les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés, ainsi que la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit européen ou national.
La directive détaille par ailleurs les différentes mesures susceptibles d'être décidées par les autorités judiciaires pour préserver le secret des affaires ou sanctionner une atteinte à ce secret, qu'il s'agisse de mesures provisoires ou conservatoires, de mesures d'injonction, de mesures dites correctives ou de l'octroi de dommages et intérêts. Elle prévoit aussi des mesures de protection du secret des affaires au cours des procédures judiciaires.
Le principe de la directive est celui de l'harmonisation minimale : chaque État membre conserve la faculté, lors de la transposition, d'accorder une protection plus importante aux entreprises au titre du secret des affaires.
Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d'une transposition a minima, voire, dans certains cas, d'une transposition en-deçà des exigences de la directive. La proposition de loi comporte des choix rédactionnels qui sont au plus près de la directive, au détriment, parfois, de la lisibilité et de la qualité rédactionnelle. Parfois, a contrario, elle s'écarte significativement de la directive, sans que la raison en soit compréhensible, au risque d'affaiblir de façon importante la protection du secret des affaires prévue par le texte européen. Tel est le cas notamment pour la définition du détenteur légitime du secret, pour la caractérisation de l'obtention illicite du secret, ou encore pour la portée juridique de l'exception à la protection du secret pour les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés.
Je constate, donc, que la directive est transposée a minima dans la présente proposition de loi, comme l'intitulé de cette dernière en rend d'ailleurs compte. On peut le regretter, car il y va de la compétitivité des entreprises, et donc de l'activité et de l'emploi sur notre territoire.
À ce titre, j'ai spécialement voulu étudier, au cours de mes auditions, l'opportunité d'introduire un volet pénal dans la proposition de loi, par analogie avec le droit de la propriété industrielle, lequel permet aux personnes s'estimant lésées d'agir soit par la voie civile soit par la voie pénale. Un tel volet pénal ne viserait évidemment ni la presse ni les lanceurs d'alerte ni les représentants des salariés, déjà exemptés des obligations résultant du secret des affaires, mais des auteurs de graves atteintes au secret des affaires poursuivant des buts exclusivement économiques, c'est-à-dire le pillage informationnel des entreprises françaises.
Ne relevant pas de la compétence de l'Union européenne, l'introduction d'un volet pénal n'est par définition ni évoquée ni exclue par la directive. Seule l'Italie aurait publiquement annoncé sa volonté de transposer la directive en y ajoutant un volet pénal.
Au cours des auditions que j'ai menées, j'ai également voulu aborder deux sujets connexes se rattachant directement à l'objectif d'une protection renforcée du secret des affaires des entreprises françaises.
Le premier est la modernisation de la « loi de blocage » de 1968, complétée en 1980, relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, qui vise à protéger les informations stratégiques détenues par les entreprises françaises. Cette loi interdit à toute personne de communiquer à des autorités étrangères des informations d'ordre économique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France, sous peine de six mois d'emprisonnement et de 18 000 euros d'amende.
Il existe un débat récurrent sur l'utilité de cette loi. Certains, qui la considèrent comme inutilisée, et donc comme inutile, en suggèrent l'abrogation pure et simple. Pour ne pas être écartées de certains marchés étrangers, des entreprises françaises acceptent de transmettre les informations demandées par des autorités administratives ou judiciaires étrangères, en méconnaissance de ses dispositions.
Il ressort des auditions que j'ai pu mener que l'expérience est très variable selon les entreprises : certaines grandes entreprises françaises y auraient recours régulièrement pour se protéger des exigences très intrusives des autorités de certains États étrangers. S'impose, à tout le moins, la nécessité de moderniser et de clarifier plusieurs points de cette loi. Le Gouvernement envisagerait de procéder à un tel travail dans le cadre de la future loi « PACTE ».
L'autre thème que j'ai souhaité aborder est celui de la protection des avis juridiques internes aux entreprises. En la matière, l'alternative est là encore bien connue, et ce depuis longtemps, entre la création d'un statut d'avocat salarié en entreprise, tel qu'il peut exister dans de nombreux États étrangers, et la mise en place d'un privilège de confidentialité, ou legal privilege, au bénéfice des juristes d'entreprises, à la condition que ceux-ci relèvent d'un cadre spécifique confinant à la création d'une nouvelle profession réglementée, sur le modèle de ce qui a été mis en place en Belgique ou en Pologne.
Nombre d'entreprises étrangères peuvent opposer le secret de l'avocat, dans le cadre de certaines procédures administratives ou contentieuses, afin de protéger leurs avis juridiques internes, mais tel n'est pas le cas des entreprises françaises, dont certaines ont tendance, aujourd'hui, à délocaliser leurs directions juridiques pour pouvoir bénéficier d'une telle protection. L'enjeu est donc celui de la compétitivité des entreprises françaises, mais aussi de l'attractivité de la place juridique de Paris. Sur ce sujet, j'envisage de présenter prochainement une initiative législative.
Les amendements que je vais proposer visent à poursuivre un quadruple objectif : transposer plus fidèlement la directive ; améliorer la protection du secret par l'ouverture d'une action pénale en cas de détournement d'une information protégée à des fins exclusivement économiques, c'est-à-dire renforcer la portée dissuasive de la législation française en matière de secret des affaires vis-à-vis de certains intérêts étrangers, qui pourraient considérer que la simple voie civile ne représente pas une réelle menace de sanction ; mieux garantir la liberté d'expression des journalistes, des lanceurs d'alerte et des représentants des salariés ; préciser la rédaction et clarifier les procédures mises en place dans la proposition de loi.
M. Philippe Bas, président. - Merci, Monsieur le rapporteur, de cette présentation très complète...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - ... et très rapide, à la mitraillette !
M. Philippe Bas, président. - ... et de cette synthèse de vos quatre objectifs.
M. Pierre-Yves Collombat. - Puisque je tiens un spécialiste, j'en profite... Ce texte me plonge dans des abîmes de réflexion. Me frappe d'abord le caractère extensif et passablement tautologique de la définition de l'information protégée : on commence par déclarer confidentielle une information ; elle acquiert de ce fait une valeur commerciale ; il faut donc la protéger. C'est imparable !
Deuxième sujet de méditation : j'avais cru comprendre que, selon la définition du manuel du petit libéral, le fonctionnement optimal des marchés suppose qu'il n'y ait pas de déséquilibre dans la transmission de l'information. Tous les malheurs qui nous arrivent seraient dus à une transmission déséquilibrée de l'information ; or, en l'occurrence, on organise le déséquilibre ! Le dispositif que vous préconisez me fait davantage penser à l'organisation d'une société de corporations qu'il ne répond aux fondamentaux d'une société libérale. Je suis donc un peu gêné de ce double langage : d'un côté, on généralise la concurrence ; de l'autre, on l'empêche de fonctionner correctement.
Ces questions vous sembleront peut-être métaphysiques, mais je saurais gré à notre spécialiste de clarifier ce point.
M. Philippe Bas, président. - M. Bonnecarrère a réalisé, au nom de la commission des affaires européennes, un rapport d'information sur cette proposition de loi, dans le cadre de la procédure expérimentale que nous mettons en oeuvre pour éviter les surtranspositions inutiles - je dis bien inutiles, car nous surtransposons parfois délibérément, pour rendre la loi française meilleure et plus efficace que le droit européen.
Je lui donne donc la parole à ce titre.
M. Philippe Bonnecarrère. - Vous connaissez, mes chers collègues, le protocole expérimental par lequel il a été convenu que la commission des affaires européennes étudierait les textes d'origine européenne avant leur examen par les commissions saisies au fond. Nous en sommes aujourd'hui, en quelque sorte, à l'acte III de cet exercice, le premier acte ayant eu lieu devant votre commission, avec une intervention de Simon Sutour.
Cette proposition de loi trouve son origine dans un débat européen intitulé « stratégie de l'Union européenne pour 2020 », et sa base légale dans l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : comment protéger nos entreprises et leurs avantages concurrentiels ? Ce processus législatif a commencé en 2010, lorsque la Commission européenne s'est saisie. On doit la première mouture de la directive à Michel Barnier, alors commissaire européen au marché intérieur et aux services. Le 28 novembre 2013 a lieu un premier examen par le Parlement européen, avant son renouvellement. À partir de 2014, la commission des affaires juridiques du Parlement européen, dans sa nouvelle composition, a longuement discuté du texte.
Parallèlement, la commission des affaires européennes et la commission des lois du Sénat travaillaient. Notre collègue Sophie Joissains a présenté en juin 2014 une proposition de résolution européenne, devenue résolution du Sénat. Nous avions souhaité une harmonisation, que nous voulions, à l'époque, minimale, de la définition des secrets d'affaires dans l'Union européenne. Nous avions approuvé la reprise d'une définition du secret d'affaires figurant dans des accords en matière de propriété intellectuelle négociés dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
Plus récemment, en juillet 2015, notre collègue Claude Kern a présenté une communication après que la commission des affaires européennes eut organisé un entretien avec celle qui était alors, sur ce sujet, rapporteur au Parlement européen, Mme Constance Le Grip.
En résumé, le suivi des textes européens, dans notre maison, est bon ; il s'effectue en coordination entre les commissions saisies au fond et la commission des affaires européennes. La durée de gestation, qui est de huit années pour ce texte, montre que chacun y a prêté attention !
Je vais directement au point le plus important, pour l'opinion publique et pour la commission des affaires européennes, à savoir les réactions soulevées par la directive et par la proposition de loi. Protéger le secret des affaires, est-ce ou non faciliter la dissimulation des turpitudes ? Le secret des affaires peut-il priver les lanceurs d'alerte et la presse du droit d'informer sur des sujets d'intérêt général ?
Les auteurs de la directive se sont attachés à confirmer que le droit à l'information n'est pas remis en cause. Aucune procédure pour atteinte au secret des affaires n'est recevable lorsque le secret d'affaires obtenu, utilisé et révélé l'a été au titre du droit à la liberté d'expression et d'information ; même chose s'il s'agit de révéler une faute, un acte répréhensible, une activité illégale, dans le but de protéger un intérêt général.
L'Assemblée nationale a retravaillé ce sujet de manière pertinente, avec une référence explicite à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à la protection de l'environnement ; elle a introduit une clause dite « anti-bâillon », qui est un mécanisme d'amende civile.
La commission des affaires européennes considère que le texte, au terme de huit années de maturation, est désormais bien équilibré, ce qui explique que nous l'ayons approuvé à l'unanimité. Je vous prie donc très respectueusement de veiller à ce que ne soient pas adoptées des mesures qui pourraient être perçues, à tort ou à raison, comme défavorables à la liberté d'informer.
Je remercie notre rapporteur pour le travail réalisé et pour la loyauté dont il a fait preuve en faisant référence à deux sujets périphériques, à savoir l'examen de la « loi de blocage » et la question de l'avocat en entreprise. Ces deux sujets intéressants ne s'inscrivent pas directement dans l'objet de la transposition. Tout en étant aussi attentif que vous, monsieur Frassa, à ces sujets, j'apprécie que vous ayez résisté à la tentation d'une surtransposition, fût-ce une surtransposition « positive » !
M. Jacques Bigot. - Je salue le travail effectué par le rapporteur. Je ne sais si ce qualificatif doit s'appliquer au rythme d'élocution adopté ce matin ou aux contraintes qui ont pesé sur le travail accompli, mais ce texte nous arrive dans des conditions assez déplorables d'extrême rapidité.
Il me semble incompréhensible que le Gouvernement n'ait pas lui-même présenté un projet de loi, auquel aurait obligatoirement été jointe une étude d'impact. Le président de l'Assemblée nationale a quand même pris la précaution de solliciter l'avis du Conseil d'État, ce qui est toujours utile ; mais il s'agit d'une proposition de loi émanant d'un groupe, fût-il majoritaire, de l'Assemblée nationale, et qui nous arrive dans des délais extrêmement serrés.
M. Philippe Bas, président. - Je salue la capacité de mobilisation de notre rapporteur, car ce texte - vous avez tout à fait raison, mon cher collègue - a été introduit dans le processus législatif dans des conditions qui ne sont pas habituelles, pour dire les choses avec pudeur...
M. Jacques Bigot. - L'application de ce texte, quelle que soit sa rédaction, posera beaucoup de problèmes, il y aura besoin d'un travail d'interprétation par la jurisprudence. La directive a été élaborée de manière consensuelle après plusieurs années de travaux et d'échanges. La proposition de loi qui nous est soumise est assez proche de la directive, trop proche, même, sur certains points ; des adaptations au droit national - la directive le permet - sont nécessaires.
La complexité tient à l'articulation entre deux questions : celle de la définition du secret des affaires et de l'information protégée, d'une part ; celle, d'autre part, de la liberté d'expression, de la liberté de la presse, du droit à l'information, de l'intérêt général, de la transparence. Certains souhaiteraient qu'on limite strictement la violation du secret des affaires aux cas d'actions contre des concurrents, mais les choses sont beaucoup plus compliquées. Quant aux lanceurs d'alerte, ils font déjà l'objet d'une protection dans notre droit, avec la loi « Sapin 2 ». Le Conseil d'État dit bien dans son avis que nos textes contiennent déjà toute une série de dispositions conformes à la directive.
Monsieur le président, je suis soucieux. Nous avons commencé, ce matin, par une audition longue et passionnante. Nous devons désormais examiner deux textes, dont le second n'est pas moins intéressant que le premier. Sur le présent texte, nous aurons des questions à poser, amendement par amendement et alinéa par alinéa. Je n'y peux rien si le Gouvernement nous impose ce rythme de travail ! Le choix de procéder via une proposition de loi émanant d'un groupe est un artifice absolu, utilisé pour contourner l'obligation de l'étude d'impact.
M. Philippe Bas, président. - Nous allons tout faire pour essayer d'aboutir dans la matinée. Nous devons nous mettre en situation de présenter un texte en séance, tout en examinant chaque disposition de manière approfondie. Je pense néanmoins que nos chances de réussir dès ce matin sont bonnes !
M. Jean-Pierre Sueur. - Il serait cohérent, me semble-t-il, que notre commission, sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, que nous examinerons bientôt, demande à être saisie pour avis.
M. Philippe Bas, président. - C'est bien là mon intention.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce texte soulève des interrogations sur la notion de lanceur d'alerte. Le Défenseur des droits a été consacré protecteur des lanceurs d'alerte dans la loi « Sapin 2 ». Or les définitions présentes dans chaque texte ne sont pas identiques. Monsieur le rapporteur, avez-vous entendu le Défenseur des droits ?
Il convient de considérer que l'optimisation fiscale n'est pas un secret d'affaires. Je comprends la préoccupation qui consiste à protéger l'activité économique. Toutefois, les inquiétudes n'ont pas été levées sur tous les sujets liés à la liberté d'informer. Je pense notamment à la manière dont les tribunaux de commerce interprètent ladite liberté. L'adoption de ce texte pourrait être un moyen de renforcer un certain nombre de dispositions qui constituent aujourd'hui des obstacles lourds à la liberté d'informer. Je citerai une décision du tribunal du commerce de Paris, du 22 janvier 2018, qui ordonne aux éditions Croque Futur de retirer de leur site internet l'article du 10 janvier 2018 intitulé « Exclusif : Conforama serait placé sous mandat ad hoc », sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard. Il me semble pourtant que ce type d'article relève absolument de la liberté d'informer. S'il existe, dans les dispositions législatives actuelles, des textes qui conduisent à bloquer cette liberté, il faudrait que nous nous saisissions de ce sujet.
Par conséquent, eu égard à la vitesse à laquelle nous sommes contraints d'examiner cette proposition de loi et aux inquiétudes soulevées concernant la liberté d'informer, il me semble que notre commission devrait créer une mission d'information sur la liberté d'informer face aux dispositions du code de commerce.
M. Philippe Bas, président. - Le bureau de la commission en délibérera au cours d'une prochaine réunion.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
M. Jacques Bigot. - L'amendement COM-4 n'est pas purement rédactionnel : les mots choisis sont précis ; ils peuvent modifier une définition. Je souhaite donc que cet amendement soit présenté par notre rapporteur. Pourquoi remplace-t-on les mots « l'ensemble des caractéristiques suivantes » par les mots « trois critères » ? Ces trois critères doivent-ils seuls être remplis ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Je souhaiterais obtenir un début de réponse à mes questions, d'autant que l'article 1er porte sur la définition de ce qui est protégé. Certes, le temps presse, mais je préfèrerais ne pas faire de la figuration...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - La définition du secret est celle de la directive. Elle est certes perfectible, mais elle nous contraint. Ce sont les rédacteurs de la directive qui l'ont écrite.
M. Pierre-Yves Collombat. - À quoi servons-nous, alors ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - À transposer cette directive ! Quant au débat métaphysique...
M. Pierre-Yves Collombat. - ... il est important !
M. Philippe Bas, président. - Les débats métaphysiques m'intéressent aussi ! Néanmoins, l'intérêt des textes européens est que les mêmes règles s'appliquent dans tous les pays de l'Union européenne. Si nous nous distinguons sur un point qui relève du champ d'application même de la directive, c'est-à-dire la définition du secret, alors nous ne sommes plus en train de transposer, mais de faire une loi nationale, sans tenir compte des prescriptions du législateur européen.
M. Pierre-Yves Collombat. - L'objet est de protéger le secret des affaires. La question qui me préoccupe est celle de la définition du secret des affaires ! Si la définition extensive et tautologique de la Commission européenne est intangible, je me tais. On peut même faire un vote bloqué !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Cette définition a vingt-quatre ans : elle date de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, annexé à l'accord instituant l'OMC de 1994. Si, métaphysiquement, quelque chose vous dérange dans les trois critères de la définition, on peut en discuter pendant des heures, mais ça ne changera rien !
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est l'enchaînement de ces critères qui m'interroge !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je réponds à M. Bigot : ce ne sont pas des caractéristiques, mais des critères. Il s'agit donc d'une précision, d'une clarification rédactionnelle.
L'amendement COM-4 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Tous les secrets d'affaires n'ont pas une valeur commerciale. Dans le monde des entreprises numériques, il existe des secrets d'affaires - je ne citerai que les algorithmes - qui n'ont aucune valeur commerciale, mais dont la valeur économique, en revanche, est importante. Je détaille cette distinction dans l'objet de l'amendement COM-5 - M. Bigot appréciera. La valeur économique embrasse un champ beaucoup plus large que celui de la valeur commerciale ; j'ai donc préféré la première à la seconde.
M. Jacques Bigot. - Monsieur le rapporteur, ce faisant, vous quittez le domaine de la directive : vous surprotégez. Je ne sais ce qu'en pense M. Bonnecarrère au nom de la commission des affaires européennes, mais la directive parle bien de valeur commerciale, et non de valeur économique.
La fraude fiscale représente une valeur économique pour le banquier qui masque la liste de ses clients, pas une valeur commerciale ! Je comprends bien votre volonté d'extension, mais vous quittez le champ de la directive, ajoutez une protection supplémentaire et posez un nouveau problème. Le mot choisi n'est pas innocent.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je vous renvoie, monsieur Bigot, à l'article premier de la directive : « les États membres peuvent prévoir une protection des secrets d'affaires contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites plus étendue que celle qui est requise par la présente directive ».
L'amendement COM-5 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-6 supprime une mention non seulement inutile, mais source d'insécurité juridique, laissant croire que la simple mention du caractère confidentiel d'une information suffirait à justifier devant un juge que des mesures de protection raisonnables d'un secret des affaires auront été prises par son détenteur légitime.
M. Jacques Bigot. - Par rapport à la directive, le texte de la proposition de loi ajoute un élément : il suffirait à celui qui veut pouvoir être reconnu comme détenant un secret des affaires de déclarer le caractère confidentiel de l'information... Je pense que c'est une erreur. Il est ainsi démontré que votre travail, monsieur le rapporteur, est nécessaire. Nous soutiendrons cet amendement.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous passons à l'amendement COM-7 : c'est l'un de nos points de divergence avec le texte issu de l'Assemblée nationale.
La directive présente un dispositif en trois temps : le détenteur légitime, l'obtention licite du secret des affaires, l'obtention illicite. Or, dans la proposition de loi, la notion de détention légitime est mélangée à celle d'obtention licite, la question de l'obtention illicite étant traitée séparément. On perd ainsi une part essentielle de la définition du détenteur légitime : celui qui a le contrôle du secret des affaires.
L'amendement COM-7 remplace les alinéas 13 et 14 par la définition du détenteur légitime telle qu'elle est prévue dans la directive, à savoir « celui qui contrôle de façon licite le secret des affaires ». Est ainsi rétablie la « triplette » de la directive.
M. Jacques Bigot. - Je reviens sur le protocole de saisine de la commission des affaires européennes. Cette dernière a donné un avis - elle a jugé que la transposition n'était pas une surtransposition. Cela étant, le texte que nous examinerons en séance sera celui de la commission des lois, donc pas celui qui a été examiné par M. Bonnecarrère. Il serait donc utile que notre collègue puisse se prononcer en séance non pas sur la transposition faite par l'Assemblée nationale, mais sur celle qui aura été faite par notre commission.
M. Philippe Bas, président. - Merci de ces observations, mais nous respectons nos procédures.
M. Alain Richard. - Nos textes et nos usages prévoient une consultation de la commission des affaires européennes, mais cette dernière n'est pas une commission permanente dotée d'un pouvoir législatif. Si nous suivions la proposition de M. Bigot, nous assimilerions la commission des affaires européennes à une commission permanente et législative ; or une telle décision, qui n'a été délibérée par personne, est au moins du niveau d'une loi organique.
L'amendement COM-7 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-8 précise les limites de l'obtention licite d'un secret des affaires par ingénierie inverse, comme le fait l'article 3 de la directive.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-9 remédie à une incohérence de la proposition de loi concernant les mesures de protection du secret que son détenteur légitime doit mettre en place s'il veut pouvoir se prévaloir du dispositif légal de protection du secret des affaires. Il clarifie en outre le texte et le rend plus conforme à l'article 4 de la directive.
L'amendement COM-9 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - En l'état actuel de sa rédaction, la proposition de loi assurerait une protection inférieure à celle prévue par la directive en cas de mise sur le marché d'un produit résultant d'une atteinte au secret des affaires. La suppression du mot « significative » prend ainsi tout son sens. L'amendement COM-10 assure donc la conformité de la proposition de loi à la directive.
M. Jacques Bigot. - Par rapport à la directive, votre proposition surprotège le secret des affaires. Nous ne sommes pas d'accord.
M. Philippe Bas, président. - C'est bien l'intention, parfaitement claire, de notre rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Si l'on conserve le mot « significative », le texte n'est pas conforme à l'article 4 de la directive.
L'amendement COM-10 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - La proposition de loi précise, de façon cohérente, que l'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret des affaires est illicite lorsqu'elle est le fait d'une personne qui savait ou aurait dû savoir que ledit secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d'une autre personne qui l'utilisait ou le divulguait de façon illicite. Ce sont les mots « ou aurait dû savoir » que l'amendement COM-1 veut supprimer.
En tout état de cause, il appartient au juge, s'il est saisi d'une atteinte alléguée au secret des affaires, d'apprécier si la personne qui a utilisé un secret de façon illicite savait ou aurait dû savoir, compte tenu des circonstances, que l'obtention initiale du secret était illicite.
Ce type de formulation au conditionnel est connu du droit français, par exemple à l'article 2224 du code civil, lequel fixe la règle de droit commun de la prescription en matière civile : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »
De plus, cette formulation est expressément requise par l'alinéa 4 de l'article 4 de la directive. Avis défavorable sur cet amendement.
M. Jacques Bigot. - Cette suppression proposée par notre collègue Claude Raynal me paraît saine : elle évitera un contentieux important, notamment pour les lanceurs d'alerte. Écrire « la personne aurait dû savoir au regard des circonstances » plutôt que « la personne savait », c'est ouvrir un champ d'interprétation qui peut être extrêmement limitatif.
L'équilibre est à trouver entre la protection du secret des affaires et le droit à l'information ; une trop forte protection risquerait d'être dangereuse. Je pense à des alertes lancées à propos de produits infectés : certaines informations ont été obtenues dans des conditions que certains trouvent contraires au droit.
Notre collègue Raynal a raison de proposer cet amendement.
M. Alain Richard. - J'argumenterai en sens inverse. Il s'agit d'un texte pénal ; or on ne peut incriminer personne si le texte pénal n'a pas explicitement prévu un comportement sanctionnable.
La personne qui souhaite transgresser le secret des affaires aura tout loisir, devant le juge, pour dire qu'elle ne savait pas qu'elle avait telle ou telle obligation. Le juge doit avoir la capacité de contrebalancer cette allégation tactique injustifiée en répondant : compte tenu des circonstances, vous deviez le savoir !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il s'agit du code de commerce, pas du code pénal !
M. Alain Richard. - Mais cette décision a bien des conséquences pénales !
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-12 précise les contours des exceptions à la protection du secret des affaires et clarifie la proposition de loi, tout en respectant davantage le texte de la directive. Il redécoupe le texte en introduisant des articles du code spécifiques pour les journalistes, pour les lanceurs d'alerte et pour les représentants des salariés.
Le texte initial de l'alinéa 29 commençait par les mots : « Le secret des affaires n'est pas protégé... », introduisant une source de doute permanent sur les conséquences juridiques de cette absence de protection. Cette non-protection ne vaut que dans le cadre de l'exercice d'actions judiciaires spécifiques. Il était donc préférable d'écrire que le secret des affaires n'est pas opposable, plutôt que pas protégé, dans de tels cas.
M. Jacques Bigot. - Si nous prenions le temps d'examiner cet amendement, nous verrions que nous sommes au coeur de l'un des problèmes que pose la directive, sur lequel nous interpellent notamment des journalistes.
Ma remarque vaut aussi pour les deux amendements suivants : peut-être est-ce une proposition cohérente, mais vous restreignez, mon cher collègue...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Non ! J'élargis et je renforce ! Démontrez-moi que je restreins !
M. Jacques Bigot. - Ma lecture est différente de la vôtre !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Très différente !
M. Jacques Bigot. - Nous aurons ce débat en séance ; je me contente, ici, de dire que nous ne voterons pas ces amendements.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je ne peux accepter qu'on dise que je restreins un droit alors que je le clarifie, le protège et l'encadre ! J'attends votre démonstration, monsieur Bigot !
L'amendement COM-12 est adopté, ainsi que l'amendement COM-13.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-14 renforce plus clairement la protection dont bénéficient les journalistes vis-à-vis du secret des affaires dans l'exercice de leurs fonctions d'information du public, via une rédaction plus explicite que celle de la directive.
M. Jacques Bigot. - Le texte de la proposition de loi protège l'exercice en général du droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse. Monsieur le rapporteur, vous réduisez cette mention à l'exercice de ce droit « par les journalistes, dans le cadre de leurs fonctions ». C'est beaucoup plus restrictif !
M. Philippe Bas, président. - Je partage cette interprétation. Telle est bien l'intention de notre rapporteur : que les journalistes ne soient protégés qu'en tant qu'ils exercent leurs fonctions, pas en dehors de leurs fonctions...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'alinéa 31 ne vise que les journalistes ; qui d'autre pourrait-il viser, monsieur Bigot ? La liberté de la presse ne concerne que les journalistes.
M. Jacques Bigot et Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Non !
M. Philippe Bas, président. - Il s'agit en effet, comme l'a dit M. Bigot, de bien circonscrire la protection des journalistes à l'exercice de leur activité professionnelle.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nous sommes ici dans le code de commerce et non dans le champ de la loi du 29 juillet 1881, qui ne protège pas que les journalistes. La liberté d'informer ne se traite pas devant le tribunal de commerce.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Quoiqu'il arrive, cela se terminera peut-être au tribunal de grande instance. Cet amendement présente l'intérêt de préciser une disposition floue de l'alinéa 31. J'ai vu le syndicat national des journalistes (SNJ), qui n'était pas satisfait de la rédaction actuelle. D'où cette proposition, faite non pas pour restreindre, mais pour améliorer la prise en compte de leur profession. Cela dit, je suis prêt à retirer cet amendement...
M. Philippe Bas, président. - La loi de 1881 ne protège pas seulement les journalistes, mais aussi les directeurs de publication, avec des procédures pénales particulières. Pourrions-nous réfléchir encore une semaine, afin d'adopter cet amendement la semaine prochaine, moyennant un réexamen ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je n'y vois pas d'objection. Nous pouvons travailler d'ici la semaine prochaine sur le sujet.
M. Philippe Bas, président. - Nous allons vous libérer, puisque vous avez une obligation incontournable.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Merci, je présente néanmoins l'amendement COM-15. L'alinéa 32 mêlait en une seule phrase le texte de la directive et celui de la loi « Sapin 2 ». Il nous est apparu beaucoup plus clair de séparer les deux régimes, pour protéger les lanceurs d'alerte sous ce double dispositif.
Pour répondre à M. Leconte, le Défenseur des droits nous a adressé une contribution écrite, pour souligner la disparité entre ces deux régimes. À ce stade, il n'y a pas de réelle solution juridique que l'on puisse trouver dans les délais, la seule piste existante étant la proposition de directive sur les lanceurs d'alerte en cours d'élaboration.
Sur l'affaire Conforama que vous avez citée, monsieur Leconte, la cour d'appel a été saisie.
Les termes « y compris » figurant dans cet alinéa 32 pouvant faire l'objet d'une interprétation restrictive ou ampliative, il m'a paru plus clair de bien distinguer les deux possibilités, qui ne couvrent pas les mêmes champs d'application.
M. Jacques Bigot. - Merci pour ces précisions. Vous avez raison. Il convient toutefois de considérer l'amendement suivant COM-2 de M. Raynal. L'ajout de la condition de bonne foi auquel procède votre amendement ne me paraît pas nécessaire et peut mettre en difficulté celui qui a voulu protéger l'intérêt général.
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
M. Philippe Bas, rapporteur, en remplacement de M. Christophe-André Frassa. - Néanmoins, s'il le fait de mauvaise foi, il y a là une intention maligne qu'il n'y a pas lieu de protéger.
M. Jacques Bigot. - Puisque vous ne prenez pas en considération l'amendement COM-2, je m'abstiens sur l'amendement COM-15.
L'amendement COM-15 est adopté.
L'amendement COM-2 devient sans objet.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-16 supprime des mentions inutiles à la fin de l'alinéa 33.
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-3, qui part d'une bonne intention mais est inutile, car des données personnelles ne peuvent pas être considérées juridiquement comme des secrets d'affaires.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-17 précise les règles de prescription en matière d'action civile relative à une atteinte au secret des affaires, ainsi que le prévoit l'article 8 de la directive.
L'amendement COM-17 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement de codification et de précision COM-18 concerne les mesures provisoires ou conservatoires déterminées par décret en Conseil d'État, que pourra prendre le juge.
L'amendement COM-18 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-19 supprime le renvoi au terme inapproprié de redevance relevant du droit de la propriété industrielle, inapplicable en matière de protection du secret des affaires.
L'amendement COM-19 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-20 harmonise les règles d'indemnisation des différents chefs de préjudice en cas d'atteinte au secret des affaires avec celles prévues par le code de la propriété intellectuelle en cas de contrefaçon, dont elles sont manifestement inspirées, afin d'éviter tout risque de jurisprudence divergente.
L'amendement COM-20 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-21 supprime l'amende civile spécifique destinée à sanctionner les personnes qui engageraient abusivement une action relative à une atteinte au secret des affaires.
L'amende prévue par le code de procédure civile en cas de procédures abusives, qui serait de toute façon applicable, n'est presque jamais prononcée par les juges. Les montants envisagés soulèvent un problème de constitutionnalité au regard du droit au recours, mais aussi du principe de proportionnalité des peines.
M. Philippe Bonnecarrère. - La commission des affaires européennes ne revendique aucunement d'écrire la loi à la place des commissions permanentes et elle s'en tient aux propositions de résolution qui peuvent être adoptées par le Sénat.
Néanmoins, cet amendement risque de rompre l'équilibre du texte issu du double travail du Parlement européen et de l'Assemblée nationale, en supprimant une clause dite « anti-bâillon », prévoyant un dispositif de sanction spécifique applicable au titulaire ou prétendu titulaire de secrets des affaires qui engagerait une action abusive à l'encontre de celui qui procèderait à leur révélation.
Adopter cet amendement serait contre-productif : il pourrait être considéré comme attentatoire à la liberté d'information. De plus, l'article 700 du code de procédure civile n'établit pas à proprement parler une amende civile, mais une prise en charge des frais qui ne sont pas compris dans les dépens. Les tribunaux prononcent en continu des condamnations sur le fondement de cet article. Cela n'a rien d'exceptionnel. Ce dispositif d'amende civile sera perçu comme protecteur de la liberté d'information.
Je n'y vois de surcroît aucune inconstitutionnalité. L'alinéa 71 de cet article plafonne cette amende à 20 % des dommages et intérêts et sinon à 60 000 euros ; dans le cadre de l'appréciation des tribunaux, ce contrôle de l'autorité judiciaire met à l'abri de toute critique constitutionnelle.
Je vous invite donc à rejeter cet amendement, portant atteinte à l'équilibre, élaboré au fur et à mesure de l'élaboration de ce texte par le Parlement européen puis par l'Assemblée nationale, entre la protection du secret des affaires et la liberté d'information.
M. François Pillet, président. - Nous faisons du droit provisoire, puisque le projet de réforme de la responsabilité civile contient d'importantes dispositions sur les amendes civiles. Cela dit, faire du droit provisoire ne nous empêche pas de faire du droit...
M. Jacques Bigot. - Nous sommes là au coeur du problème posé par ce texte : protéger le secret des affaires, ce qui est économiquement nécessaire, et en même temps veiller au respect de la liberté de la presse et à la possibilité d'informer, les organes de presse craignant la multiplication des poursuites judiciaires. S'exposer à ces procès coûte très cher. Même s'ils remportent ces contentieux, c'est un frein évident. D'où le danger de remettre en cause le dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Je rejoins les propos de M. Bonnecarrère : il faut préserver cet équilibre. Si cet amendement n'est pas retiré, nous voterons contre.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci d'avoir ouvert ce débat, en tant que membre de la commission des lois, et non en tant que représentant de la commission des affaires européennes. Le Parlement européen n'a jamais délibéré sur ce dispositif de sanction des procédures dilatoires ou abusives, qui résulte d'une initiative de l'Assemblée nationale. Vous pourriez donc le critiquer au nom de la commission des affaires européennes, puisqu'il ajoute à la directive, sans venir de l'Europe...
Je suis assez fermement en désaccord avec votre position sur la question constitutionnelle. Par une décision du 27 octobre 2017, dans une situation comparable, le Conseil constitutionnel a censuré une sanction potentiellement disproportionnée, et sans lien avec la nature du comportement qu'on voulait sanctionner. Le montant de l'amende est ici calculé en proportion de celui des dommages et intérêts. Je comprends qu'il y aura une réflexion pour empêcher une entreprise de mauvaise foi d'entraver un lanceur d'alerte ou un journaliste qui veut divulguer des informations, en étant, lui, de bonne foi, mais le moyen employé ici me paraît inconstitutionnel.
Monsieur Bonnecarrère, précisons qu'il existe deux dispositions du code de procédure civile : l'article 700, que vous avez mentionné, concernant les frais ; je faisais référence à l'article 32-1, qui prévoit des amendes civiles pour procédure abusive qui, elles, ne sont presque jamais prononcées.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt ! Nous allons voter dans un instant un article central, et nous discuterons en séance des fameuses « procédures bâillons ». Arrêtons de croire que tout le monde est pur, dénué d'intention de faire pression sur la presse. Tout le monde connaît ces émissions qui ont fait l'objet de procédures, avec des demandes financières considérables, pour amener à une forme d'autocensure. Ne nous masquons pas derrière des prétextes juridiques !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il faudrait un jour que nous cessions nous-mêmes de considérer que des objections constitutionnelles sont des prétextes juridiques ! La Constitution, ce sont nos droits fondamentaux et nous sommes dans notre mission, à la commission des lois, quand nous disons qu'une disposition est inconstitutionnelle, parce que nous avons à protéger les droits fondamentaux.
M. Pierre-Yves Collombat. - C'est au Conseil constitutionnel de le dire et il ne s'en prive pas !
M. Philippe Bas, rapporteur. - En ultime recours !
M. Pierre-Yves Collombat. - Comment anticiper des décisions qui sont tellement insaisissables ? Je ne me risquerais pas à imaginer ce qu'elles seraient. L'acharnement juridique est un vrai problème : il y a des spécialistes et l'on ne peut rien dire concernant leurs pratiques qui ne finisse devant le tribunal ! Il s'agit de museler les critiques par des pénalités qui sont loin d'être négligeables.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je le répète, le Conseil constitutionnel n'est que l'ultime rempart de la protection des droits fondamentaux. Veillons nous-mêmes au respect de la Constitution, qui, loin d'être un chiffon de papier, est l'essentiel, dans un État de droit et en démocratie.
L'amendement COM-21 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-22 rectifié est de précision rédactionnelle.
L'amendement COM-22 rectifié est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-23 précise les modalités selon lesquelles le juge peut donner droit à une demande de protection d'une pièce au titre du secret des affaires au cours d'une procédure judiciaire.
L'amendement COM-23 est adopté ainsi que les amendements COM-24, COM-25 et COM-26 .
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-27 instaure un délit spécifique d'espionnage économique, dénommé « détournement d'une information économique protégée ». Seraient prévues des peines complémentaires et des peines applicables aux personnes morales.
Ce délit est d'une portée plus dissuasive que la simple action civile à l'égard de certains intérêts économiques étrangers cherchant à se procurer de façon illicite des informations protégées détenues par des entreprises françaises. Les incriminations pénales existantes ne suffisent pas.
M. Philippe Bonnecarrère. - C'est le second amendement ayant une influence assez forte sur l'équilibre de ce texte. Je suis très réservé sur la création d'un tel délit. Ce n'est pas une surtransposition, puisque la directive a explicitement prévu la possibilité pour les États qui le souhaitent de créer un outil pénal.
Je suis très dubitatif quant à la demande des milieux économiques eux-mêmes d'introduire une pénalisation complémentaire de la vie économique. Celle-ci utilise les procédures civiles, indemnitaires, commerciales, mais les procédures pénales sont beaucoup plus longues.
Puisque nous devons faire du droit de bonne qualité, créer une infraction pénale avec une définition aussi peu robuste - euphémisme ! - que celle d'avantage de nature économique me paraît assez dangereux.
Je ne vous cache pas que cette création sera clairement perçue par tout notre environnement comme un renoncement à l'équilibre qui avait été recherché entre la protection du secret des affaires et la liberté d'information. On va introduire dans le débat, fût-ce pour de bons motifs, une inquiétude chez ceux qui estiment justifié de rompre le secret des affaires.
Autant un dispositif civil très robuste me paraît parfaitement adapté, autant la prudence s'impose : si nous ne légiférons pas pour l'opinion publique, celle-ci ne manquera pas d'interpréter négativement une telle mesure.
M. Jacques Bigot. - Tel qu'il est formulé, ce délit ne mettra pas en difficulté les lanceurs d'alerte ni les journalistes. Cet article est jusqu'à présent entièrement inséré dans le code de commerce, afin de protéger l'entreprise contre des concurrents déloyaux. On va rajouter du droit pénal dans le monde économique, ce sur quoi je suis assez réservé, et l'on ouvre, ce faisant, un champ de débats compliqués devant le juge pénal, alors que devant le tribunal de commerce, l'entreprise pourra être condamnée à de lourds dommages et intérêts. Je recommande une extrême prudence sur cette nouvelle disposition pénale.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Comme président, cette année, de la délégation parlementaire au renseignement, je puis vous assurer que tous les services de renseignement français et tous les ministères concernés, ceux de l'économie, de la défense ou de l'énergie, témoignent de l'agressivité sans précédent des comportements d'espionnage économique et de la fragilité relative de nos entreprises, face à une concurrence qui utilise tous les moyens pour mettre en péril leurs secrets, je dis bien tous les moyens.
Cette rédaction écarte toute poursuite pour les lanceurs d'alerte, puisque seuls peuvent être poursuivis ceux qui retirent un avantage de nature exclusivement économique. Il y a un intérêt national fort à la création de ce délit, qui sera un instrument de protection de nos entreprises dans le climat de compétition exacerbée qu'elles connaissent.
Monsieur Bonnecarrère, si nous devions reprendre tous les équilibres trouvés à l'Assemblée nationale, nous n'aurions plus qu'à voter conformes tous les textes ! Nous avons notre propre conception de l'équilibre à atteindre et cet amendement renforce cet équilibre.
L'amendement COM-27 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. Philippe Bas, président. - Par cohérence, je vous propose de modifier l'intitulé de la proposition de loi.
L'amendement COM-28 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Arnaud de Belenet. - Nous siégeons sans discontinuer depuis trois heures et quart : il est 12 h 15 et je dois quitter cette réunion, où mon groupe ne sera plus représenté, ainsi que d'autres groupes. Pourrions-nous reprendre nos travaux vers 18 heures ?
M. Philippe Bas, président. - J'aimerais pouvoir vous donner satisfaction, mais quelle que soit la solution retenue, elle présentera des inconvénients. Nous sommes à un horaire où il est convenable et habituel de siéger. Beaucoup de collègues m'ont signalé leurs difficultés à revenir ce soir. Essayons donc d'aller jusqu'au bout de ce texte, qui porte sur un sujet que nous avions examiné en détail en février 2017.
M. François Bonhomme, rapporteur. - En effet, le sujet n'est pas nouveau. Cette proposition de loi du député Richard Ferrand et de plusieurs de ses collègues, adoptée le 30 janvier dernier par l'Assemblée nationale, est relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes.
La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République - dite loi NOTRe - a prévu le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération, au 1er janvier 2020. Ce transfert suscite des inquiétudes légitimes chez les élus locaux, comme nos collègues et anciens collègues Mathieu Darnaud, Pierre-Yves Collombat, Michel Mercier et René Vandierendonck l'avaient relevé dans le cadre de la mission de contrôle et de suivi des dernières lois de réforme territoriale, mise en place par notre commission des lois en novembre 2015.
Pour tenter de répondre à ces inquiétudes, le Sénat a adopté, à l'unanimité, la proposition de loi de nos collègues Bruno Retailleau et Philippe Bas, qui prévoyait le maintien de ces deux compétences dans les compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d'agglomération. C'était le 23 février 2017. Lors de son examen par l'Assemblée nationale, le 12 octobre 2017, et malgré le soutien du rapporteur de la commission des lois, Fabrice Brun, et de l'ensemble des groupes politiques, à l'exception du groupe majoritaire, cette proposition de loi a fait l'objet d'un renvoi en commission. Pourtant, comme au Sénat, les débats à l'Assemblée nationale ont mis en exergue les difficultés spécifiques rencontrées dans certains territoires, en particulier de montagne ou en zone rurale, où le périmètre de l'intercommunalité ne permet pas toujours d'envisager une gestion efficace à la suite du transfert de ces compétences à l'horizon 2020.
Dans ce contexte et dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, un groupe de travail de huit députés et de huit sénateurs a été constitué auprès de Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, pour présenter des propositions consensuelles en vue de répondre à ces difficultés. Ces travaux ont conduit au dépôt puis à l'adoption de la proposition de loi de l'Assemblée nationale que nous sommes appelés à examiner.
La philosophie sur laquelle repose cette proposition de loi est différente de celle du texte adopté par le Sénat à l'unanimité le 23 février 2017. En effet, alors que la proposition de loi sénatoriale maintenait « l'eau » et « l'assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes et d'agglomération, en laissant aux élus locaux le soin de décider l'opportunité d'un tel transfert, au nom du principe de subsidiarité, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale conserve le principe du transfert de ces deux compétences, mais en aménage le calendrier pour les seules communautés de communes.
La proposition de loi est composée de trois articles.
L'article 1er permet à des communes membres d'une communauté de communes n'exerçant pas les compétences « eau » et « assainissement », à la date de publication de la loi, à titre optionnel ou à titre facultatif, de différer leur transfert à la condition que ces communes représentent au moins 25 % des communes membres et 20 % de la population de l'intercommunalité. Dans ce cas, le transfert obligatoire interviendrait au plus tard le 1er janvier 2026, au lieu du 1er janvier 2020.
Ce dispositif s'inspire de celui prévu à l'article 136 de la loi ALUR qui permet à des communes de s'opposer au transfert de la compétence « élaboration du plan local d'urbanisme » à l'intercommunalité à fiscalité propre dont elles sont membres. Contrairement à celui-ci, le dispositif proposé par l'article 1er permet aux communes membres d'obtenir un simple report du transfert, et non d'y faire obstacle, afin de laisser un délai supplémentaire aux élus locaux pour l'organiser. En revanche, ce dispositif ne s'appliquerait pas aux communes membres des communautés d'agglomération, au motif que 70 % d'entre elles ont déjà bénéficié du transfert de ces deux compétences et que les 30 % restantes demanderaient le maintien du statu quo, selon Mme Chalas, rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale, que j'ai rencontrée.
L'article 2 prévoit, outre des coordinations, l'inclusion de la gestion des eaux pluviales et celle des eaux de ruissellement des zones urbaines au sein de la compétence « assainissement », pour toutes les catégories d'intercommunalités.
L'inclusion des eaux pluviales dans la compétence « assainissement » se prévaut d'une jurisprudence du Conseil d'État relative aux compétences des communautés urbaines. Toutefois, ce rattachement ne va pas de soi pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération, et soulève des difficultés, tant juridiques que techniques.
Tout d'abord, la décision du Conseil d'État du 4 décembre 2013 sur laquelle se fonde l'analyse du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale est antérieure à la loi NOTRe, et n'apporte pas un éclairage suffisant et pertinent sur la portée de ses dispositions.
Ensuite, le cas d'espèce à l'origine de cette décision s'applique à un contexte particulier : la communauté urbaine de Marseille Provence Métropole était dotée d'un réseau unifié de collecte des eaux usées et des eaux pluviales. En outre, rien n'indique que le Conseil d'État, dans sa décision, ait rattaché la compétence « gestion des eaux pluviales » à l'« assainissement » plus qu'à la compétence « eau » puisqu'il l'attribue à l'« eau et assainissement » dans sa globalité.
Par ailleurs, le service public de gestion des eaux pluviales urbaines est distinct de celui de l'assainissement. Et les articles du code général des collectivités territoriales relatifs au service public de l'assainissement ne font référence qu'aux eaux usées et non aux eaux pluviales.
Enfin, la nature et le régime juridique de ces deux services publics sont différents : la gestion des eaux pluviales urbaines correspond à un service public administratif (SPA), dont le financement repose sur le budget général de la collectivité compétente, aucune recette spécifique ne lui étant attribuée ; le service public de l'assainissement est un service public industriel et commercial (SPIC), financé, à ce titre, par un budget annexe, équilibré par les redevances acquittées par les usagers.
Enfin, le rattachement de la gestion des eaux pluviales dans les zones urbaines à l'« assainissement » soulève également des difficultés techniques. Si, dans certains territoires, il existe une cohérence entre les réseaux d'assainissement et les réseaux d'eaux pluviales, dans d'autres, la gestion des eaux pluviales peut être plus efficacement assurée en lien avec d'autres compétences, comme la gestion de la voirie, laquelle peut relever d'autres échelons territoriaux, tels les départements, mais aussi la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations - la Gemapi -, la gestion des espaces verts ou encore l'urbanisme. Selon des données de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement de 2008, les réseaux séparatifs représenteraient environ les deux tiers des réseaux, le tiers restant étant des réseaux unitaires qui tendent à se réduire.
Le rattachement de la gestion des eaux de ruissellement à l'« assainissement », apparaît tout aussi injustifié. Les difficultés soulevées précédemment s'appliquent également. Sous couvert de précision et de coordination avec la jurisprudence du Conseil d'État, la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée va au-delà, en rattachant, sans le justifier, la gestion des eaux de ruissellement à la compétence « assainissement ». Or il n'en est rien puisque le Conseil d'État n'a pas abordé la question du rattachement des eaux de ruissellement à l'assainissement et s'est prononcé uniquement sur celle des eaux pluviales. Lors de l'examen de la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités locales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, notre rapporteur, Mathieu Darnaud, s'était interrogé sur le rattachement de la gestion des eaux de ruissellement à la Gemapi. Notre commission, à son initiative, avait finalement opté pour le financement d'actions y concourant par la taxe Gemapi, mais la commission mixte paritaire n'a hélas pas retenu cette disposition.
Enfin, l'article 3 vise à assouplir les règles de représentation-substitution des communes au sein des syndicats exerçant les compétences « eau » et « assainissement », et à permettre aux syndicats regroupant deux intercommunalités à fiscalité propre de bénéficier de ce dispositif. Cet assouplissement bienvenu permet de préserver de nombreux syndicats existants et d'assurer la continuité des services rendus aux usagers. Cette disposition est très attendue par les élus locaux.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons effectivement adopté une proposition de loi à l'unanimité, puis l'Assemblée nationale a décidé d'un renvoi en commission pour ne pas avoir à en délibérer. À l'approche du Congrès des maires, en lien avec la ministre Jacqueline Gourault, une nouvelle proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale. Nous avons subi un double affront : premièrement, le texte du Sénat n'a pas été discuté ; deuxièmement, une proposition de loi d'origine gouvernementale a été adoptée d'abord par l'Assemblée nationale, alors que les projets de loi relatifs aux collectivités territoriales sont déposés en premier lieu sur le Bureau du Sénat.
Je suis prêt à passer sur ce contexte général. Encore faudrait-il que le texte adopté par l'Assemblée nationale fût compatible avec nos propres attentes, qui ne sont que le reflet de celles des élus locaux de notre pays, dont la plupart ne refusent pas par principe le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes mais, avec des arguments tout à fait pertinents, veulent que ce transfert ne soit qu'optionnel. En outre, nous avons voté ce que les technocrates appellent la « sécabilité », c'est-à-dire la possibilité pour les communes de transférer l'« assainissement », tout en conservant la gestion des eaux pluviales. Enfin, nous avions élargi ces dispositions aux « fausses » communautés d'agglomération qui découlent de la loi NOTRe et qui sont en réalité composées de communes rurales - j'en connais une dont la ville principale compte 9 000 habitants ! Le texte que nous examinons ne permet pas à ces communautés d'agglomération rurales de bénéficier d'un assouplissement pour le transfert de ces compétences.
J'ai pris l'attache de la ministre pour évoquer ce sujet, j'ai essayé de la convaincre, elle m'a opposé sur la plupart de mes questions une fin de non-recevoir.
Dans ces conditions, la proposition de notre rapporteur, consistant à réintroduire la proposition de loi sénatoriale adoptée en février 2017, à l'unanimité, dans le présent texte, est la meilleure solution. Si nous nous contentons de modifier le texte adopté par l'Assemblée nationale, nous ne parviendrons de toute façon à aucun accord.
M. Mathieu Darnaud. - J'ajouterai un troisième affront. Nous avons, dans un esprit consensuel et qui se voulait constructif, accepté la démarche proposée par la ministre, laquelle souhaitait que des sénateurs et des députés se retrouvent pour converger, en essayant d'épouser au maximum les problématiques posées dans le texte adopté à l'unanimité par le Sénat. Le Gouvernement devait déposer un texte censé se rapprocher du nôtre à l'issue de ces deux mois d'échanges... Quelle ne fut pas notre surprise de voir, non pas un projet de loi déposé par le Gouvernement, mais une proposition de loi des députés MM. Ferrand et Fesneau d'origine gouvernementale et je m'associe pleinement à vos propos, Monsieur le Président !
Sur le fond, notre volonté était de répondre à une problématique largement partagée, non issue d'un petit comité, parce qu'elle découle des lois de réforme territoriale. Nous avons visité, et Pierre-Yves Collombat pourra le confirmer, la plupart des territoires de France. La première préoccupation des maires, des élus municipaux et intercommunaux était cette question du transfert des compétences « eau » et « assainissement ». C'est pourquoi nous avons adopté à l'unanimité la proposition de loi de MM. Retailleau et Bas qui tentait de répondre aux inquiétudes des élus locaux. C'était d'ailleurs le dernier de la précédente législature.
Dans mon département, dont la préfecture, Privas, compte 8 300 habitants, nous avons une communauté d'agglomération, avec une petite problématique péri-urbaine, mais surtout une problématique essentiellement rurale. Le contournement dont nous avons fait l'objet n'est pas très vertueux. Nous avons examiné parallèlement le texte sur la compétence Gemapi, à laquelle Pierre-Yves Collombat a souhaité rattacher la gestion des eaux de ruissellement. Le Gouvernement et la rapporteure de l'Assemblée nationale nous avaient promis la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement dans les deux mois, soit en février 2018, en vue de l'examen du futur texte présenté par le Gouvernement sur l'« eau » et l'« assainissement », que nous sommes en train d'examiner. Or ce rapport n'est toujours pas déposé et l'examen est bien avancé.
Il eût été normal que le texte voté à l'unanimité au Sénat y revînt, vous avez bien fait de le rappeler. Passons sur la perte de temps : ici même, dans cette salle Clemenceau, le 17 juillet dernier, le président de la République, lors de la Conférence nationale des territoires, déclarait, en réponse à l'interpellation du président du Sénat, et en présence de François de Rugy, que ce texte serait inscrit à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale. Plutôt que d'adopter un renvoi en commission, il eût été beaucoup plus rapide de reprendre le texte du Sénat, quitte à l'amender au regard des conclusions de notre groupe de travail. Oui, nous sommes face à un double, voire un triple affront, par rapport aux usages parlementaires notamment. La proposition de notre rapporteur a vocation à être plébiscitée.
M. Philippe Bas, président. - Puis-je considérer que votre intervention vaut pour l'examen des amendements ? Et je vous demande, mes chers collègues, d'être aussi synthétiques que possible, sur ce sujet bien connu de nous tous, afin d'adopter la proposition de loi modifiée avant de nous séparer, car nous ne savons pas à quelle heure la séance de cet après-midi va se terminer ni combien de nous pourront être présents à l'issue.
Mme Laurence Harribey. - Je suis d'autant plus sensible à votre conseil que je ne pourrai pas me libérer en fin de journée ! Sur la forme, nous pouvons être tous d'accord sur ce qui vient d'être dit. Sur le fond, il s'agissait de rationaliser l'exercice des compétences « eau » et « assainissement » pour rendre un meilleur service aux usagers ; de disposer des infrastructures nécessaires pour la qualité de l'eau, sachant que chaque exemple peut être confronté à un contre-exemple localement, enfin, de prendre en compte la totalité du cycle de l'eau.
La méthode du groupe de travail n'était pas inintéressante. Sa conclusion était que le niveau intercommunal était pertinent mais devait donner lieu à des assouplissements nécessaires. Le texte y répond partiellement, avec : un délai supplémentaire, de huit ans à compter de cette année, pour préparer le transfert de ces compétences ; le refus de ces transferts par la minorité de blocage, qui a donné des résultats pour les plans locaux d'urbanisme ; l'assouplissement du dispositif de représentation-substitution pour les syndicats mixtes qui rassembleraient deux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il y a aussi des améliorations insuffisantes, d'où nos amendements portant sur deux problèmes soulignés par notre collègue : l'extension du dispositif de la minorité de blocage aux communautés d'agglomération, puisqu'elles sont beaucoup plus nombreuses que nous l'imaginions lors du débat sur la loi NOTRe et beaucoup d'entre elles relèvent d'une problématique essentiellement rurale ; la « sécabilité » entre « assainissement » et « gestion des eaux pluviales » , qui n'est pas si technocratique sur le terrain...
Donnons du sens au pragmatisme et répondons aux enjeux des territoires : nous pouvons faire évoluer ce texte de manière satisfaisante. S'il devait y avoir un retour au texte de 2017 que nous avons voté, nous en tirerions ensuite les conséquences.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je veux simplement revenir sur la commission mixte paritaire de la loi NOTRe. Nos amis députés ont dit : « il faut que l'unification des compétences des communautés de communes soit faite en 2018 ». Nous avons sauté au plafond, en répondant : « chers amis, vous ne connaissez pas la réalité ! » Pour arriver à cette compétence unique, il faut d'abord établir un diagnostic, regarder l'état des réseaux, puis mener de grandes discussions, parce qu'il y a Suez, Véolia, avec les concessions, les affermages... Nous avons donc proposé la date de 2020, tout en prévenant que nous serions obligés de légiférer à nouveau. Par conséquent, les choses étant ce qu'elles sont, nous avons en effet voté la proposition de loi de M. Retailleau, de manière unanime, parce que le recours à une compétence optionnelle était la moins mauvaise solution, face à cette échéance impossible de 2020. Je partage tout ce que vous avez exposé, Monsieur le président, notamment sur la procédure.
Je suis allez voir Jacqueline Gourault, lui rappelant qu'elle avait voté ce texte avec nous. Cette date de 2026 nous donne huit ans supplémentaires pour préparer les transferts, le temps de faire du travail sérieux, avec les garanties qui ont été exposées. La solution nous paraît acceptable et nous la défendrons si elle est adoptée par le Sénat. Elle tient la route...
Mme Catherine Di Folco. - Non.
M. Jean-Pierre Sueur. - ... pour aller vers une cohérence nécessaire. Sinon, nous soutiendrons la position du Sénat, si elle consiste à revenir à celle de 2017. Sur les amendements qui vont dans ce sens, nous nous abstiendrons et, pour le vote final, nous voterons pour.
M. Philippe Bas, président. - C'est très clair.
Mme Françoise Gatel. - Je soutiens votre brillante plaidoirie, Monsieur le Président, et celle de Mathieu Darnaud. Nous sommes face à une nouvelle métastase de la loi NOTRe.
Le sujet a été très mal engagé, et la situation s'est aggravée. Quelle que soit la justesse du choix que nous avions fait, reconnaissons que le monde a changé. Certains, du « nouveau monde » - pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ! - nous mettent dans des difficultés énormes.
Le groupe UC considère majoritairement qu'il est inacceptable d'avoir fait d'un sujet technique une sorte d'OVNI, en tout cas un objet politique détérioré et inefficace. Je serais ravie que nous puissions croire qu'il sera suffisant de revoter le texte de février 2017. Mais je m'interroge sur l'atterrissage final. J'en ai discuté avec des élus locaux et notamment des représentants de l'Association des Maires de France, en sachant que les élus n'ont pas une position unique, ce qui ajoute à la difficulté. Sans renoncer à l'efficience qui nous est chère, nous pourrions être favorables au texte qui invente une minorité de blocage - curieuse façon de construire un esprit communautaire, certes, preuve que l'on ne sait plus à quel saint se vouer ! Restent la question de la gestion des eaux pluviales, et celle de l'élargissement du dispositif proposé aux communautés d'agglomération. Au pire, il faut préférer le moins pire... Nous voterons contre l'amendement du rapporteur, je plaide coupable, car son travail est excellent et j'en suis désolée. Nous verrons comment les choses avanceront dans l'hémicycle.
M. Alain Marc. - Il est désolant de constater que des gens qui fustigeaient « l'ancien monde » se comportent ainsi ! Nous avions un texte excellent, très pragmatique, technique. Il était inutile d'inventer quelque chose pour montrer une prééminence. À tout pêcheur miséricorde ! Ce sujet sera au coeur des campagnes électorales pour les élections municipales, en mars 2020 s'il n'y a pas de report. J'aurai quelques amendements pragmatiques, mais je voterai la proposition de notre rapporteur. Notre excellent texte aurait pu être voté conforme par l'Assemblé nationale et ainsi directement appliqué...
M. Loïc Hervé. - Je fais mien le propos de Françoise Gatel au nom du groupe UC et je voterai en conséquence. J'entends la litanie des regrets. Je fais partie des quarante-neuf sénateurs qui n'ont pas voté la loi NOTRe et je m'en honore aujourd'hui, comme Sophie Joissains. Nous en payons encore aujourd'hui les conséquences. Je regrette néanmoins les conditions de notre débat de ce matin. Nous sommes très sollicités par les élus locaux sur ce sujet et, après quatre heures de débat, nos rangs sont clairsemés. Nous avons un devoir d'exemplarité et de pédagogie. Oui, je le regrette, même si nos collègues qui ont dû partir ont de bonnes raisons, il est fâcheux de délibérer dans ces conditions, car nous voulons faire un travail législatif de grande qualité. Nous, centristes, sommes présents, mais l'ensemble de nos collègues devraient participer à notre discussion sur ces questions si importantes. Les comptes rendus de notre commission sont publics et lus par les élus locaux. Je tenais à ce que mes propos y figurent.
M. Philippe Bas, président. - Oui, je déplore que la saturation de l'agenda parlementaire n'ait pas permis d'étaler sur plusieurs séances l'examen de l'ensemble de ces textes et l'audition de Mme Hazan ; je regrette aussi que tous nos collègues n'aient pas pu rester jusqu'à la fin de cette matinée de travail, tout en remerciant les présents.
Mme Nathalie Delattre. - N'oublions pas de remercier le rapporteur pour la qualité de son travail. Nous avons tous en mémoire la manière dont le transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération a été intégré à la loi NOTRe, ainsi que les affronts que vous avez rappelés, Monsieur le Président. Nous avons tous été sollicités par les maires, très inquiets de l'échéance de 2020 ; celle de 2026 semble plus acceptable, mais soulève toujours des questions. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements. Néanmoins, au nom du groupe RDSE, et après Françoise Gatel et Loïc Hervé, je m'interroge sur la stratégie que nous devons adopter. En rétablissant la proposition de loi adoptée en 2017 à l'unanimité, ne faisons-nous pas le choix pour autant d'une commission mixte paritaire non conclusive, donc d'un retour au texte voté en première lecture par les députés, qui nous priverait de modifications « pratico-pratiques » que nous pourrions apporter ?
Nous proposons plusieurs améliorations : pour élargir le bénéfice de l'article 1er aux communautés d'agglomération ; en faveur de la sécabilité de l'« assainissement » et de la suppression du rattachement de la gestion des eaux de ruissellement à celui-ci. Lors de l'adoption de la loi du 30 décembre 2017, le Gouvernement s'était engagé à remettre un rapport sur cette dernière question, rappelons-le ! Donc, le groupe RDSE votera contre l'amendement du rapporteur et nous verrons ensuite ce que nous ferons en séance publique s'il est adopté.
M. Pierre-Yves Collombat. - Les positions évoluent... Je n'ai pas voté la loi NOTRe. Je suis donc assez cohérent : je suis entièrement d'accord avec les positions de notre rapporteur. Si on ne le fait pas, et c'est pourquoi j'ai voté contre la loi du 30 décembre 2017 sur la Gemapi, nous n'aurons aucun financement de la protection contre les eaux de ruissellement, problème fondamental qui concerne au moins la moitié du pays.
Il ne s'agit pas de discourir, comme l'avait fait Jacqueline Gourault, sur la protection de l'environnement, mais de savoir si l'on veut protéger nos concitoyens ou pas...
Cette proposition de loi est un rideau de fumée, un report. Le deuxième alinéa de l'article 1er, difficile à comprendre, signifie qu'à tout moment, d'ici 2026, les présidents des intercommunalités peuvent surseoir à la prorogation du transfert. C'est un monument ! C'est tellement mal rédigé... Ce n'est pas un problème de temps de réflexion mais de volonté politique. L'actuelle majorité de l'Assemblée nationale, donc le Premier ministre et le Président de la République, ne veulent pas bouger, ce sont des gens forts, responsables, « nouveaux » ! Ils ne bougeront que s'ils ne peuvent pas faire autrement.
Quant à la division des élus locaux, elle existe, entre un bon nombre d'intercommunalités, l'Assemblée des Communautés de France (ADCF) ayant évolué, dans le bon sens. Si la plupart des élus locaux étaient là, ils voteraient en faveur de la proposition du rapporteur.
Mme Sophie Joissains. - Je voterai avec le rapporteur. J'entends les arguments pertinents et pragmatiques des membres de mon groupe, mais j'ai vécu l'offense, personnellement, il y a quelques jours, sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, et il me semble que ce n'est pas en réduisant sa créativité et son travail que le Sénat pourra se faire entendre.
Je déposerai un amendement en séance sur le périmètre métropolitain, sur le cas particulier de la métropole Aix Marseille Provence, qui fait six fois la surface de la métropole de Lyon et a retransféré aux communes par convention de gestion les compétences transférées. Cet amendement avait été adopté en février 2017 à l'unanimité.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Philippe Bas, président. - Vos positions ont exprimé, je suppose, également votre sentiment sur les quatre amendements identiques qui, à l'article 1er, font de la gestion de l'eau et de l'assainissement une compétence optionnelle pour les communautés de communes et d'agglomération, auparavant soumise par le texte à un transfert obligatoire.
- Présidence de M. François Pillet, vice-président -
M. François Bonhomme, rapporteur. - Mon amendement COM-38 propose effectivement de maintenir les compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d'agglomération. Il supprime en conséquence le dispositif de la minorité de blocage, permettant aux communes de différer le transfert de ces compétences au 1er janvier 2026. Les amendements COM-3, COM-14 et COM-33 lui sont identiques.
Les amendements identiques COM-38, COM-3, COM-14 et COM-33 sont adoptés.
Les amendements COM-4, COM-36, COM-13, COM-31, COM-25, COM-15, COM-34 rectifié, COM-10, COM-27, COM-26, COM-6, COM-7, COM-11, COM-1 et COM-5 deviennent sans objet.
Articles additionnels après l'article 1er
Les amendements COM-8, COM-16, COM-17 et COM-18 deviennent sans objet.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Les amendements COM-19, COM-24, COM-2 et COM-23 traitent des régies uniques mises en place pour les services de l'eau et de l'assainissement. Ils sécurisent leur existence ou les budgets uniques, qui ont pu être mis en place par les communes. Souhaitant disposer d'un délai supplémentaire pour analyser ces dispositions, je propose à leurs auteurs de les redéposer en séance publique. Je suis donc, à ce stade, défavorable à leur adoption.
Les amendements COM-19, COM-24, COM-2 et COM-23 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-35 devient sans objet.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Mon amendement COM-39 propose de supprimer le rattachement de la « gestion des eaux de ruissellement » à l'« assainissement », en attendant la remise du rapport que le Gouvernement doit nous remettre sur cette question en application de l'article 7 de la loi du 30 décembre 2017. Cet amendement propose également la sécabilité de l'« assainissement » et de la « gestion des eaux pluviales » pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération.
L'amendement COM-39 est adopté.
Les amendements COM-28, COM-9, COM-12 et COM-30 rectifié deviennent sans objet.
Intitulé de la proposition de loi
M. François Bonhomme, rapporteur. - Par cohérence avec les amendements adoptés à l'article 1er, mon amendement COM-37, identique aux amendements COM-29 et COM-32, modifie l'intitulé de la proposition de loi pour y mentionner explicitement les communautés d'agglomération.
Les amendements identiques COM-37, COM-29 et COM-32 sont adoptés.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen - Désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, Alain Richard, François Bonhomme, Mme Catherine Di Folco, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Yves Leconte et Didier Marie comme membres titulaires et de Mmes Eliane Assassi, Josiane Costes, Jacky Deromedi, Muriel Jourda, MM. Victorin Lurel, Hervé Marseille et Mme Catherine Troendlé comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire.
Nomination d'un rapporteur
M. François-Noël Buffet est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 714 (Assemblée nationale, XVe législature) pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif, sous réserve de sa transmission.
La réunion est close à 13 h 10.