Mercredi 11 avril 2018
- Présidence de Mme Vivette Lopez, vice-présidente -Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Visioconférence avec la Guyane
Mme Vivette Lopez, présidente. - Mes chers collègues, je souhaite tout d'abord excuser le président qui, souffrant, m'a demandé de le remplacer aujourd'hui.
Grâce à la visioconférence, nous partons cet après-midi en Guyane pour poursuivre nos investigations sur l'étude relative aux risques naturels majeurs, dont le premier volet est consacré à la prévention et à la gestion de crise. Je rappelle que notre collègue Guillaume Arnell est rapporteur coordonnateur de l'ensemble de l'étude qui comprendra deux volets, le second traitant des questions de reconstruction et d'organisation de la résilience des territoires. Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, sont co-rapporteur du premier volet. Le sénateur de Guyane, Antoine Karam, ainsi que Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais, Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion, sont également parmi nous.
Pour recueillir les informations nécessaires à dresser un état des lieux de la situation de l'ensemble des territoires au regard des risques naturels majeurs, nous avons entrepris un cycle de visioconférences qui nous a permis, jusqu'à présent, d'être à l'écoute de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna, de La Réunion et de la Nouvelle-Calédonie. Un déplacement aux Antilles fin avril permettra de faire le point pour Saint-Martin, Saint-Barthélemy, la Guadeloupe et la Martinique. Il nous faudra encore entendre Mayotte, ce que les événements en cours nous ont conduit à différer.
Pour l'heure, je salue au nom de la délégation nos interlocuteurs de Guyane qui se sont rendus disponibles pour faire le point avec nous. Si la Guyane n'est pas exposée au risque cyclonique comme la plupart des autres territoires ultramarins situés en zone tropicale, ni même au risque sismique, elle est néanmoins sous la menace d'autres aléas tels que les inondations, la submersion marine du littoral, les glissements de terrain ou encore les invasions de sargasses comme c'est le cas de façon massive ces derniers jours. Sur le plus long terme, la montée des eaux et l'érosion du trait de côte impacte également de plein fouet le territoire. Nous avons donc souhaité recueillir au plus près du terrain les observations et suggestions des acteurs en charge de la gestion des risques, étant entendu que nous traitons plus précisément aujourd'hui des questions de prévention et de gestion de crise, conformément à la trame de cadrage qui a été transmise à la préfecture à l'attention des intervenants.
Je vous propose maintenant que chacun se présente et vous remercie tous, j'y insiste, de rappeler vos nom et qualité à chaque prise de parole pour les besoins du compte rendu. C'est à vous !
M. Olivier Ginez, directeur de cabinet du préfet de Guyane. - Je tiens à remercier l'ensemble des partenaires réunis à la collectivité territoriale, pépinière innovante du territoire. Je profite de cette occasion pour remercier la vice-présidente de nous accueillir dans ses locaux. Le directeur adjoint de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), M. Didier Renard, dressera l'état des lieux des risques naturels majeurs en Guyane avant de laisser la parole aux acteurs de la prévention de ces risques que sont l'état-major de zone, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS), la gendarmerie et la police.
Le sujet qui nous intéresse aujourd'hui est d'actualité puisque la Guyane est frappée de plein fouet par l'échouage des sargasses. Les acteurs de la prévention des risques naturels tiennent cet après-midi même une visioconférence avec la direction générale des outre-mer et le cabinet de la ministre des outre-mer afin d'évaluer l'impact de cette crise sur l'activité économique et notamment sur la pêche. Si la Guyane n'est pas touchée par les ouragans, les cyclones et les aléas sismiques, elle n'est pas immunisée contre tous les risques naturels majeurs. Ces sujets ont été abordés lors du dernier comité départemental de prévention des risques naturels majeurs, présidé par moi-même et M. Didier Renard. Cette réunion a permis de dégager des axes clairs en termes de prévention et de planification des risques. Les acteurs étatiques sont tous mobilisés sur ces sujets, de même que les élus locaux. Pour autant, je me permettrai de signaler que l'implication des communes est très hétérogène. Rémire-Montjoly et Matoury, par exemple, sont très engagées sur ces sujets puisque, situées sur le littoral, elles sont particulièrement exposées aux risques naturels majeurs. Les autres communes, en revanche, ne s'inscrivent pas dans une démarche proactive, comme le montre le taux de réalisation des plans communaux de sauvegarde, parmi les plus faibles de France. Cet élément doit donc être pris en compte pour évaluer l'efficacité de la gestion et de la prévention des risques. Ce message ne s'adresse évidemment pas aux acteurs présents aujourd'hui, très mobilisés sur le sujets, mais aux autres communes qui doivent davantage s'impliquer aux côtés de l'État dans ce domaine.
M. Didier Renard, directeur adjoint de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL). - La Guyane est essentiellement soumise à deux aléas, en dehors des épisodes ponctuels d'invasion par les sargasses : les inondations dues à la submersion marine et au débordement des cours d'eaux et les glissements de terrain. Ce premier risque est bien connu puisque tous les plans de prévention du risque inondation (PPRI) sont aujourd'hui approuvés, à l'exception d'une commune. Les modèles numériques de terrain sont régulièrement actualisés pour garantir une connaissance optimale de cet aléa. En outre, la transposition de la directive européenne sur ce sujet a permis l'élaboration d'une stratégie locale de la gestion du risque inondation. Ce phénomène, qui frappe régulièrement le territoire, ne fait que des dégâts matériels. En revanche, les mouvements de terrains, qui sont moins connus, ont déjà provoqué des pertes humaines avec le glissement du mont Cabassou en 2000, dernier événement naturel meurtrier que la Guyane ait connu.
La DEAL intervient essentiellement en matière de prévention des risques en apportant son soutien à l'élaboration des PPRI et des plans de prévention des risques littoraux (PPRL). Nous avons également développé des outils tels que des plaquettes d'information et un site internet afin d'améliorer l'information des acquéreurs-locataires (IAL) sur l'exposition de leur habitation aux risques. Nous cherchons par ailleurs à intensifier notre collaboration avec les collectivités pour les aider dans la rédaction des PCS et documents d'information communaux sur les risques naturels majeurs (DICRIM). Il s'agit d'un enjeu important puisqu'à l'heure actuelle seule la commune de Sinnamary dispose d'un DICRIM. Enfin, nous mettons à jour le dossier départemental sur les risques naturels majeurs (DDRM). Le système de prévention des risques en Guyane est globalement satisfaisant, même si des moyens supplémentaires sont nécessaires pour maintenir son niveau d'efficacité.
La DEAL abrite par ailleurs une cellule de veille hydrologique collectant des données à l'échelle de la Guyane sur la pluviométrie et la hauteur des cours d'eau. Ces informations nous permettent d'émettre des bulletins d'alerte en cas de sécheresse ou d'inondations.
Mme Hélène Sirder, 1ère vice-présidente de la Collectivité territoriale de Guyane. - J'insiste sur le fait que la connaissance du territoire demeure encore insuffisante, en particulier en ce qui concerne le sous-sol. J'ai eu l'occasion de le rappeler hier à l'occasion d'une réunion avec une délégation interministérielle en déplacement sur le territoire et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les risques naturels majeurs sont multiples et protéiformes. En Guyane, l'anticipation et la réponse aux inondations transfrontalières et les inondations de plaines ne peuvent être envisagées de la même manière. Or, notre capacité à gérer ces différents aléas dépend directement de notre connaissance du terrain.
Lieutenant-colonel Daniel Polinacci, adjoint de l'état-major interministériel de zone (EMIZ). - Je suis chargé de la préparation et de la gestion des crises au sein du bureau de la sécurité civile de l'état-major interministériel de zone (EMIZ). Une crise s'anticipe non seulement par le travail de préparation présenté par la DEAL, mais aussi grâce à un système de veille et à l'information régulière des populations. Les dispositifs d'alerte et de gestion de crise jouent par ailleurs un rôle essentiel en matière de sécurité civile.
La veille météorologique est assurée par Météo France qui surveille notamment le risque de submersion au niveau du fleuve du Maroni en partenariat avec la DEAL et l'EMIZ. L'observatoire régional de l'air de Guyane (ORA) nous renseigne également sur la qualité de l'air au quotidien. Cette vigilance nous permet par exemple d'anticiper l'arrivée massive de poussières du Sahara qui peut produire une pollution aussi nocive que celle des grandes villes de France. À cela s'ajoute un dispositif de contrôle des niveaux d'eau en période de sécheresse car une baisse significative peut affecter négativement les stations de pompage et donc la qualité de l'eau distribuée à la population. Ce phénomène, appelé « biseau salé », s'est manifesté en 2009 lorsque la baisse du niveau des fleuves et des rivières a généré une intrusion d'eau saumâtre due aux marées dans les stations de pompage. Les principaux fleuves - le Maroni à l'ouest et l'Oyapock à l'est - sont donc doublement surveillés par la DEAL pour s'assurer que leur niveau ne soit ni trop bas ni trop élevé.
Pour exploiter cette veille, une astreinte téléphonique a été mise en place au sein de l'EMIZ qui reçoit de façon quotidienne tous les bulletins de vigilance. Nous informons l'ensemble des acteurs concernés par la gestion de crise ainsi que les communes exposées aux risques lorsque le seuil de vigilance verte est dépassé. Nous relayons l'alerte jaune produite par Météo France. À partir de l'alerte orange, les informations sont également relayées par les médias par le biais de la cellule d'information de la préfecture. En vigilance rouge, les messages de prévention sont assortis de recommandations, voire de consignes.
En ce qui concerne la gestion de crise, celle-ci repose sur l'organisation de la réponse de sécurité civile (plan ORSEC) déclinée en un dispositif générique et des dispositions spécifiques couvrant les aléas qui vous ont été présentés. La préfecture est le lieu de la coordination de la gestion de crise, le préfet étant le directeur des opérations de secours. Pour cela, le représentant de l'État s'appuie sur tous les moyens étatiques mais aussi sur les ressources des communes, y compris lorsque celles-ci ne disposent pas d'un plan communal de sauvegarde.
M. Olivier Ginez. - Je me permets d'indiquer que le premier directeur des opérations de secours sur le périmètre de sa commune est le maire.
Commandant Jean-Albert Lama, chef du groupement opérationnel du service départemental d'incendie et de secours (SDIS). - Dès que l'alerte nous est transmise, nous renforçons les centres de secours dans les secteurs impactés par l'événement à l'aide de moyens matériels supplémentaires. En cas d'inondations, par exemple, nous équipons ces centres de kits d'épuisement afin d'évacuer l'eau. Nous disposons également d'une section spécialisée sur le risque d'éboulement qui est intervenue récemment à Saint-Martin et à la Dominique. 43 sauveteurs-déblaiement peuvent ainsi être mobilisés en temps réel sur demande de la préfecture pour prodiguer les premiers gestes de secours en attendant les renforts éventuels en provenance des Antilles ou de l'hexagone. Nous organisons des exercices réguliers pour nous assurer que nos moyens d'intervention restent opérationnels.
M. Thierry Guiguet-Doron, directeur départemental de la sécurité publique (DDSP 973). - Le périmètre d'action de la police se limite à Cayenne, la gendarmerie étant compétente sur le reste du territoire. Nous sommes donc principalement confrontés aux risques d'inondation du littoral et de glissement de terrain qui peuvent nécessiter d'organiser les opérations d'évacuation préventive ou de confinement des populations, en collaboration avec le BRGM.
En termes de moyens humains, notre direction compte 370 agents chargés d'assurer la sécurité de Cayenne et peut bénéficier de l'appui d'un demi-escadron de gendarmerie mobile en cas de nécessité.
Capitaine Frédéric Thobois, adjoint au chef du bureau des opérations et de l'emploi, commandement de la gendarmerie (COMGEND). - Le centre opérationnel de la gendarmerie assure une veille continue. Nous sommes en capacité de projeter, outre les gendarmes départementaux, 7 escadrons de gendarmerie mobile. Au niveau des moyens logistiques, la gendarmerie est dotée de 2 hélicoptères qui peuvent être mobilisés en cas d'événement naturel majeur, de même que des véhicules blindés équipés de lames pour participer au déblaiement des routes.
La gendarmerie est également en capacité de monter un réseau de communication complémentaire en s'appuyant sur sa réserve de téléphones satellitaires. En cas de rupture des réseaux traditionnels publics, nous pouvons également déployer la bande latérale unique (BLU), c'est-à-dire la radio hertzienne.
Après le passage d'Irma, nous avons pu rapidement projeter un escadron de gendarmerie aux Îles du Nord pour installer des transmetteurs et remettre en état les moyens de communication et les systèmes informatiques. Nous avons également envoyé du personnel de soutien de l'état-major pour faire le lien entre la Guadeloupe et Saint-Martin.
Dr Gérald Egmann, conseiller médical à l'observatoire régional des urgences et des situations sanitaires exceptionnelles - direction de l'offre de soins et de l'autonomie (DOSA) à l'agence régionale de santé (ARS). - Nous souhaiterions que les épidémies soient intégrées à la problématique des risques naturels majeurs puisqu'il s'agit d'une véritable spécificité ultramarine. La Guyane est particulièrement exposée à ces phénomènes du fait de son isolement géographique et numérique, comme nous l'a récemment montré la rupture du câble Americas-II. Cette situation se traduit par des contraintes opérationnelles particulières qui bloquent l'action des services de l'État, notamment celle des services de secours. En outre, le système de santé guyanais est particulièrement vulnérable. Nous travaillons à l'élaboration de plans qui, bien souvent, restent théoriques et demandent une bonne connaissance de nos capacités de réaction en local. La Guyane dispose de 3 hôpitaux avec des services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) et des services d'urgence. Néanmoins, la situation est critique du point de vue des ressources humaines compte tenu du taux élevé de remplacement des effectifs de santé. Les Antilles, situées à 1 400 kilomètres, qui sont sinistrées depuis le passage d'Irma et l'incendie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe, ne peuvent pas venir en renfort en cas de crise majeure.
Nous travaillons également sur les problématiques de dotation en matériel de médecine de catastrophe spécifique aux outre-mer. À ce titre, un plan d'organisation de la réponse du système de santé (ORSAN) spécifique aux départements d'outre-mer est en cours d'élaboration. Des lots de postes sanitaires mobiles (PSM) devraient également être implantés dans ces territoires. Nous plaidons pour que la Guyane puisse bénéficier d'une dotation exceptionnelle à ce titre. Le matériel supplémentaire destiné à toute la région devrait alors être pré-positionné en Guyane, zone moins exposée que les Antilles aux risques naturels majeurs.
J'ajoute que toutes ces problématiques de gestion de risques ont été intégrées au sein du programme régional de santé récemment finalisé.
M. Jean Ganty, maire de Rémire-Montjoly. - L'expérience en matière de risques naturels majeurs de Rémire-Montjoly, commune de 24 000 habitants et de 41 kilomètres carrés, est assez édifiante. En 1999, trois plans de prévention des risques (PPR) ont été élaborés pour faire face aux inondations, aux mouvements de terrain et aux risques littoraux, en plus d'un quatrième document consacré aux risques technologiques. Ces plans ont été considérablement modifiés après l'effondrement du mont Cabassou en 2000 qui a causé la mort de 11 personnes. Je me permets d'ailleurs de souligner que cette catastrophe est d'origine anthropique. En conséquence, le nouveau PPR consacré aux mouvements de terrain a défini un cadre juridique beaucoup plus exigeant, affectant considérablement l'occupation des sols. Nous avons demandé qu'une étude soit menée pour actualiser la connaissance de ce phénomène et réviser le plan correspondant, sans succès. À l'heure actuelle, des habitants occupent toujours les zones à risque et sont donc en danger. Or, les pouvoirs publics peinent à maîtriser cette urbanisation sauvage.
En ce qui concerne les inondations, la commune de Rémire-Montjoly a souhaité se doter d'un plan d'exposition aux risques après la catastrophe de Vaison-la-Romaine en 1992, qui s'est par la suite transformé en PPR. Ces zones inondables doivent être prises en compte dans l'organisation de notre urbanisation, mais nous pensons qu'une évaluation pertinente et objective du dispositif actuel nous permettrait d'assouplir légèrement les contraintes qui pèsent aujourd'hui sur le foncier.
Enfin, le plan de prévention des risques littoraux (PPRL) revêt une importance particulière puisque la commune de Rémire-Montjoly accueille la plage la plus longue de Guyane et est donc concernée au premier chef par l'érosion du littoral. Ce phénomène freine considérablement notre capacité à valoriser le littoral et limite donc le développement économique de la commune. Par ailleurs, les habitants du littoral tentent, par leurs propres moyens, de lutter contre la disparition du trait de côte par différents moyens tels que l'enrochement. Ce PPR doit donc être conforté par une politique préventive ambitieuse. Or, il convient pour cela de renforcer les moyens humains et matériels des services météorologiques capables de fournir les informations nécessaires à l'anticipation de ce phénomène. Dans cette perspective, nous avons lancé deux études qui nous ont permis d'améliorer la connaissance de l'érosion côtière et d'identifier les moyens à mobiliser pour limiter son ampleur. Ces solutions doivent être mises en oeuvre par toutes les communes du littoral et non pas seulement à l'échelle de Rémire-Montjoly pour freiner significativement ce phénomène. En partenariat avec l'État et la collectivité territoriale de Guyane, nous avons lancé une expérimentation qui consiste notamment à améliorer l'utilisation du « stabiplage », ce coussin rempli de sable destiné à freiner la disparition du sable sur les plages. Les premiers tests ont en effet été peu concluants, car le stabiplage utilisé en Bretagne n'était pas adapté à l'environnement guyanais. La nouvelle version de cet outil, installée en décembre 2017, semble aujourd'hui fonctionner pour limiter l'érosion côtière. Si le succès de cette méthode est définitivement confirmé, nous chercherons à la généraliser à tout le littoral guyanais.
Au-delà de ces constatations, une réflexion globale doit être menée sur la situation du littoral guyanais. Il est en effet nécessaire d'imaginer une vraie politique de libération du foncier vers les terres intérieures car le niveau de densité humaine sur le littoral n'est pas soutenable au regard de l'élévation future du niveau de la mer. En tout état de cause, des moyens importants devront être dégagés pour financer des équipements lourds afin de maintenir l'habitat actuel des populations et d'espèces menacées comme les tortues.
Je conclurai en vous donnant quelques pistes d'améliorations possibles. Certaines communes comme Cayenne et Rémire-Montjoly appellent de leurs voeux depuis longtemps la création d'un observatoire des risques naturels en Guyane. De même, un dispositif réglementaire plus réactif et plus efficient doit être mis en oeuvre pour assurer la gestion volontariste du foncier occupé de manière illégale car la multiplication des habitats précaires en zones à risque identifiées par les PPR cause un enjeu majeur de sécurité des populations. En parallèle, Rémire-Montjoly se voit imposer la création de couloirs écologiques sur les monts, où la construction est donc interdite, et qui permettent en réalité aux immigrés clandestins de s'installer en montagne. Je me permets par ailleurs de répéter que les moyens des organismes de prévision météorologique devraient être significativement augmentés tant sur le plan humain que matériel. Enfin, l'État et les collectivités devraient encourager les propriétaires à se réapproprier leurs terrains. Tous ces enjeux, qui peuvent paraître indépendants les uns des autres, sont en réalité directement liés à l'amélioration de la prévention et de la gestion des risques naturels majeurs.
M. Éric Théolade, directeur des services techniques de la mairie de Cayenne. - Je tiens tout d'abord à excuser Madame le maire, en déplacement hors du département. Je me permets également de faire quelques rectifications. J'ai entendu le directeur de cabinet du préfet déplorer le manque d'implication général des communes guyanaises sur les risques naturels majeurs. Or, la ville de Cayenne est très active sur ces questions puisque nous travaillons en collaboration avec les services de l'État, par exemple sur la démolition des constructions illégales du mont Baduel. Par ailleurs, Cayenne est la première commune à s'être équipée d'un plan communal de sauvegarde. Ce document, ainsi que le DICRIM, sont actuellement en cours de révision.
J'approuve par ailleurs totalement les propos du maire de Rémire-Montjoly et me permettrai, en complément, d'attirer votre attention sur le plan de prévention du risque inondation (PPRI) de Cayenne. Ce plan a été élaboré à partir de la situation topographique de la ville en 1996 et ne correspond donc plus à la réalité de terrain actuelle. Nous sollicitons depuis plusieurs années la révision du PPRI qui devrait être finalisée en 2018. En parallèle, le processus d'identification des territoires à risque important d'inondation (TRI) n'est pas satisfaisant. En effet, compte tenu de la prise en compte de la montée des eaux, certains territoires ne sont plus classés TRI mais sont tout de même soumis aux mêmes contraintes que les zones à risque désignées par le PPRI. Ainsi, la demande de révision du PPRI visant à permettre l'autorisation de l'utilisation des sols sur certains fonciers pourrait s'avérer inutile puisque de nouvelles contraintes hors PPRI ont été ajoutées. Nous comprenons tout à fait qu'il faudrait se baser sur la topologie des TRI dont l'analyse topographique est plus fine que celle du PPRI. Nous ne comprenons pas, en revanche, que les obligations réglementaires continuent à s'imposer sur des zones qui ne sont pas classées TRI.
Par ailleurs, en termes de moyens humains, la police municipale de la ville de Cayenne est disponible à toute heure pour gérer les crises de sécurité civile à travers sa direction de la sécurité publique qui gère le plan communal de sauvegarde.
En outre, nous intégrons l'approche environnementale de la montée des eaux dans notre plan local d'urbanisme (PLU) qui est également en cours de révision. Une enquête publique a été récemment lancée sur ce sujet. Les opérations d'aménagement menées par la ville prennent à la fois en compte le projet d'aménagement du territoire et la stratégie de développement durable de la commune visant à reconquérir le front de mer. Ces opérations sont menées dans un cadre géographique particulièrement contraint puisque la ville de Cayenne, dont la superficie est de 24 kilomètres carrés, ne peut pas s'étendre davantage.
Mme Hélène Sirder. - J'aimerais revenir un instant sur le problème fondamental du manque de connaissance de notre territoire. Il est urgent d'améliorer notre compréhension des sols guyanais mais aussi du sous-sol pour nous permettre d'envisager un développement durable du territoire qui prenne en compte les risques naturels majeurs. Comme cela a été indiqué auparavant, les expertises qui ont été menées pour la Cour de cassation après la catastrophe de Cabassou ont révélé que l'éboulement survenu après de fortes pluies était au moins en partie dû à l'action humaine. Cette crise majeure a provoqué une prise de conscience à l'échelle du territoire en faveur de l'environnement.
En l'absence d'une étude scientifique, complète et détaillée sur le sujet, nous ne sommes pas en mesure de définir les solutions efficaces et adaptées à déployer pour faire face aux risques naturels majeurs. Ainsi, le PPRI élaboré dans l'urgence à la suite de l'effondrement du mont Cabassou s'est avéré trop restrictif et freine aujourd'hui l'aménagement du territoire en raison des contraintes fortes qui pèsent sur la construction. A contrario, les habitats sauvages en zones à risque se multiplient, comme l'a rappelé le maire de Rémire-Montjoly.
J'ajouterai que des grondements se font entendre régulièrement en Guyane, sans que personne ne sache d'où proviennent ces bruits inquiétants. De même, des tornades se forment parfois près de Maripasoula, mais ces phénomènes restent inexpliqués.
Je finirai en évoquant les évolutions climatiques qui sont intimement liées à notre sujet puisque certains mouvements de terrain sont causés par l'alternance de périodes de sécheresse et de réhydratation trop rapide des sols. Là encore, notre connaissance de ces phénomènes doit être améliorée.
M. Jean Ganty. - La question de l'érosion marine, à mon sens, est intimement liée à la situation environnementale au Brésil. Nous savons en effet que certains phénomènes naturels comme les sargasses envahissent la Guyane par l'Amazone, en provenance du Brésil. Il est donc urgent de définir une stratégie nationale et internationale, en collaboration avec notre voisin et s'appuyant sur une meilleure connaissance de la géomorphologie du littoral pour permettre une action coordonnée entre l'État, le conservatoire du littoral, les collectivités territoriales et les organismes scientifiques.
M. Olivier Ginez - Je me permets de rappeler qu'il n'a jamais été question, pour les services de l'État, de remettre en cause l'implication de la ville de Cayenne en matière de gestion des risques naturels. Je salue à ce titre l'action conjointe menée au mont Baduel qui s'inscrit dans une démarche de prévention. Les collectivités présentes aujourd'hui pour cette visioconférence sont les plus impliquées dans ce domaine, et je ne peux que regretter le manque d'investissement de la part des autres collectivités concernées. La plupart des collectivités n'envoient que des techniciens sans pouvoir décisionnel assister au comité départemental des risques naturels majeurs qui se tient une fois par an. Cette instance doit pourtant permettre de discuter, avec les élus, de l'élaboration et de la révision des plans de prévention des risques. Nous devons donc rétablir le dialogue avec les élus sur ces problématiques importantes sur lesquelles l'État et les collectivités doivent travailler en collaboration.
En ce qui concerne les grondements évoqués par la vice-présidente de la collectivité territoriale, un bruit anormal a effectivement été entendu au moment du décollage d'une fusée Ariane sur la plage de Rémire-Montjoly. Des rumeurs ont rapidement circulé sur l'origine de ce bruit. Les services de l'État sont mobilisés sur cette question, mais nous ne sommes pas en mesure, à l'heure actuelle, d'expliquer de manière scientifique ce phénomène.
Enfin, sur la question de l'habitat illégal, nous nous inscrivons dans une démarche préventive avec l'évacuation du mont Baduel précédemment évoquée. Cette opération devrait monter en puissance dans les jours qui viennent, mais nous avons là encore besoin de l'appui des parlementaires pour trouver les voies et moyens juridiques et administratifs pour traiter ces procédures plus rapidement.
M. Jean Ganty. - Je suis obligé de réagir à vos propos concernant l'absence des élus locaux aux réunions que vous organisez. Il convient de rappeler que lorsque les PPR ont causé des difficultés majeures, les élus se sont mobilisés pour demander la révision de ces plans. À Rémire-Montjoly, nous attendons toujours certaines de ces révisions et devons faire face à des riverains mécontents dont les terrains sont gelés depuis des années. Cela explique sans doute la faible participation des élus à vos réunions. Il y a une semaine, par exemple, j'ai reçu une administrée qui réclame depuis 10 ans au préfet la révision du PPR concernant la route de Suzini. Son terrain se situe dans une zone qui ne semble pas menacée par les risques naturels majeurs mais elle se voit tout de même privée de la capacité d'y construire. Les élus sont prêts à s'investir dans ces réunions, mais il faut pour cela qu'ils aient l'assurance d'obtenir des résultats concrets.
M. Olivier Ginez. - Je comprends que la dynamique de révision des PPR n'allait sans doute pas dans votre sens. En restant factuel et objectif, je constate que nous aurions pu engager des chantiers en faveur d'une révision de ces plans si les élus s'étaient rendus au comité départemental. Le préfet et moi-même sommes très ouverts à la discussion et nous vous encourageons donc à nous expliquer les raisons de votre absence.
M Geoffrey Aertgeerts, géologue régional, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). - Le BRGM intervient dans la caractérisation des aléas, en particulier les mouvements de terrain et les risques littoraux. Nous travaillons en étroite collaboration avec la DEAL avec qui nous co-pilotons l'observatoire de la dynamique côtière. Cette instance est chargée du suivi et de l'amélioration de notre connaissance du littoral par l'accumulation de données d'observation. Nous travaillons également avec la DEAL sur les mouvements de terrain et notamment les chutes de blocs. Nous sommes également confrontés dans ce domaine à un manque de connaissance sur le comportement hydro-géotechnique des sols. À l'heure actuelle, nous ne sommes donc pas en capacité de modéliser ce type d'aléa particulier. Il nous faut améliorer en particulier notre connaissance de la partie superficielle du sous-sol sur laquelle les aménagements sont réalisés.
M. Yves Clémenceau, responsable du service Météo France. - Météo France participe au dispositif de vigilance des événements météorologiques de la zone Antilles-Guyane qui diffère légèrement de celui en vigueur dans l'hexagone. Si le département de la Guyane n'est pas soumis au risque cyclonique, très présent aux Antilles, il est cependant exposé aux risques tels que les inondations et l'érosion côtière, comme cela a été rappelé.
Le système de vigilance est décliné selon un code couleur connu des populations : vert, jaune, orange et rouge, dont les critères sont adaptés au territoire. Les prévisionnistes de Météo France expertisent ces seuils et transmettent des bulletins de suivi à l'EMIZ de Guyane qui relaye l'information aux acteurs de la sécurité civile. Nous fournissons également des données observées et des prévisions de pluie à la cellule de veille hydrologique (CVH) qui les exploite pour anticiper les crues.
En ce qui concerne l'érosion côtière, je le rappelle, Météo France participe, avec le BRGM, à l'observatoire de l'érosion côtière. Dans cette perspective, la DEAL a chargé notre établissement de mener des études afin de connaître les durées de retour sur les événements de submersion marine côtière. Par ailleurs, de nouveaux produits tels que des modèles à mailles très fines devraient arriver sous peu afin de nous permettre de mieux quantifier les vagues à la côte et les surcotes. J'ajouterai que, malgré les progrès techniques en termes de modélisation, les moyens matériels d'observation restent limités. Jusqu'à récemment, la Guyane n'était dotée d'aucun houlographe et la DEAL a procédé en 2016 à l'implantation de deux houlographes au large de Kourou et de Cayenne qui ont connu quelques déboires. Ce manque de moyens limite considérablement notre connaissance du territoire. À l'heure actuelle, le Centre spatial guyanais dispose du seul radar météorologique du territoire et met ses données à disposition de Météo France. Il devrait être remplacé prochainement par un radar plus performant, mais ce nouvel outil ne sera tout de même pas en mesure de couvrir le territoire au-delà de la région Cayenne-Kourou. Ainsi, nous ne sommes pas en capacité d'apprécier les lames d'eau dans la zone entourant le fleuve du Maroni qui connaît pourtant une forte progression démographique.
M. Éric Théolade. - Il nous manque surtout de la donnée sur le temps long, puisque la dynamique côtière se caractérise par une alternance à long terme entre périodes de progradation et périodes de bancs de vase, provoquant des évolutions de la bathymétrie. Il convient de replacer les observations dans ce contexte pour en apprécier les effets sur le territoire.
M. Olivier Ginez. - Vous aurez compris, mesdames et messieurs les sénateurs, que nous vous avons parlé avec passion de la situation que nous connaissons en Guyane.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je vous adresse un salue particulier et fraternel. J'ai eu le privilège de découvrir les nombreux atouts de votre territoire lors de ma visite avec le Conservatoire du littoral. J'ai alors pu me rendre compte de la soudaineté des phénomènes orageux et des pluies diluviennes qui s'abattent brutalement sur les sols.
Je vous remercie d'avoir bien voulu nous exposer la situation avec une telle liberté de ton. Cela traduit votre volonté de faire progresser les choses en faveur de la population. Je me permets d'indiquer que je comprends la frustration des élus qui viennent parfois de loin pour faire part de leurs préoccupations mais ne trouvent pas d'interlocuteurs réceptifs.
Ma première série de questions porte sur l'information des populations. Quels moyens de communication mobilisez-vous pour informer le public avant et durant un événement naturel majeur ? Quelles difficultés rencontrez-vous dans ce domaine ? Au regard de l'immensité du territoire, parvenez-vous à toucher l'ensemble de la population ?
En outre, coopérez-vous avec le Brésil et le Suriname en matière de prévention et de gestion des risques naturels majeurs ?
Enfin, envisagez-vous le pré-positionnement de matériel de secours en Guyane pour améliorer la réponse opérationnelle en cas de catastrophe naturelle dans les Caraïbes ?
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Je tiens à féliciter le SDIS pour son implication et son efficacité dans la gestion des risques naturels majeurs, ainsi que la police et la gendarmerie dont j'ai noté la forte disponibilité. Je salue la présence de certains maires avec nous aujourd'hui mais regrette cependant l'absence des représentants de la ville de Kourou qui accueille un centre spatial de renommée internationale et est donc concernée au premier chef par les sujets que nous abordons ensemble.
J'ai noté, de la part des intervenants, une volonté de mieux faire, souvent freinée par un manque de moyens et d'accompagnement.
Au regard des risques de submersion marine et d'érosion côtière que vous nous avez décrits, et compte tenu du développement de l'habitat sur des zones exposées, le PLU peut-il être un outil pour mieux prendre en compte les zones habitables et les zones agricoles ? Le cas échéant, quelles mesures envisagez-vous de prendre, en tant que maires, pour assurer la sécurité des biens et des personnes ? J'ai par exemple noté que très peu de communes étaient dotées de DICRIM.
Un consensus semble se dégager autour du manque de données sur le foncier et la nappe phréatique ainsi que la nécessité de réviser le cadastre. Une réflexion est-elle lancée sur ces sujets ? Des solutions concrètes sont-elles envisagées ?
Le risque inondation a été longuement évoqué mais personne n'a soulevé le problème de la contamination par le mercure des eaux des fleuves en crue. Existe-t-il un risque de contamination pour la population ? Si oui, quels sont les dispositifs de prévention qui sont ou seront mis en place ? Les maires sont-ils associés à cette réflexion ?
Je finirai en vous remerciant pour votre présence nombreuse qui témoigne de l'importance que vous accordez à ces sujets. Notre rapport n'en sera que plus fidèle à la situation sur le terrain et à vos attentes.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Ma première interrogation rejoint celle de mon collègue le sénateur Guillaume Arnell en ce qui concerne la coopération régionale. Une réflexion commune est-elle lancée avec les pays voisins sur la question de la gestion du littoral et, plus généralement, sur la prévention des risques naturels majeurs ? À l'instar de ce qui se fait dans d'autres territoires ultramarins, existe-t-il des conventions en matière d'organisation des moyens de secours avec des pays de la région ?
J'aimerais par ailleurs revenir sur la question des moyens matériels à votre disposition pour faire face à un événement naturel majeur. Votre arsenal de secours doit-il être complété pour être parfaitement efficace ?
Le matériel d'observation météorologique semble également insuffisant pour couvrir l'ensemble du territoire. Quels outils devraient être déployés en Guyane pour remédier à cette situation ?
Enfin, quelles difficultés rencontrez-vous dans le processus d'élaboration des PCS et des DICRIM ? À quelle échéance ces documents devraient-ils être publiés ?
M. Jean-François Rapin. - Je souhaite prendre la parole en tant que sénateur mais aussi en tant que président de l'association des élus du littoral. Vous saluerez de ma part Madame le maire de Cayenne qui est actuellement en métropole pour rencontrer, avec une délégation d'élus ultramarins, la ministre des outre-mer. Cette rencontre, prévue hier, n'a finalement pas pu se tenir. L'association a tout de même fait en sorte que la délégation soit reçue au Secrétariat général de la mer. Cette anecdote montre la motivation des élus venus de loin pour échanger sur des problématiques importantes malgré les difficultés rencontrées.
Mon intervention s'adresse au maire de Rémire-Montjoly. Nous entrerons bientôt dans une phase de discussion avec l'État sur la qualification de l'érosion côtière. Vous avez dit, Monsieur le maire, que l'érosion côtière était un risque. Pourriez-vous me confirmer cela ? Aujourd'hui, on voudrait nous faire croire que l'érosion côtière n'est pas un risque mais qu'elle est au fondement d'un nouvel aménagement du territoire. Votre avis sur cette question, en tant que maire d'une commune particulière touchée par l'érosion côtière, est important. Je considère qu'il est essentiel de maintenir cette qualification de « risque ».
J'aimerais par ailleurs insister sur l'importance de la dimension sanitaire des risques naturels majeurs qui a été rapidement abordée. Je crois que, dans ce domaine, une politique préventive ambitieuse doit être déployée, et il convient, dans cette perspective, de s'interroger sur la manière dont le plan de service sanitaire porté par la ministre des solidarités et de la santé pourra s'appliquer en outre-mer, véritables territoires d'expérimentation.
M. Antoine Karam. - Je me réjouis de participer à ce moment d'échange important avec l'ensemble des acteurs concernés par les risques naturels majeurs. Cette réunion est d'autant plus importante que d'aucuns considèrent, à tort, que la Guyane n'est pas soumise à ces menaces. Au contraire, ces événements se multiplient sous l'effet, notamment, de la dégradation environnementale causée par l'homme et il convient donc de prendre les mesures nécessaires pour protéger ce vaste territoire de près de 84 000 kilomètres carrés qui compte 300 000 habitants. Le grondement entendu à Rémire-Montjoly, par exemple, pourrait avoir été causé par une micro-secousse sismique, ce qui montre que la Guyane, là encore, est pleinement concernée par la problématique des risques naturels majeurs.
En tant que membre de la délégation, je serai particulièrement attentif à ce que toutes les attentes dont vous nous avez fait part aujourd'hui soient reprises fidèlement dans le rapport.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - J'aimerais revenir un instant sur l'information de la population, et en particulier sur le problème des zones blanches. L'ensemble du territoire est-il couvert par les moyens de communication que vous mobilisez ?
M. Antoine Karam. - Ce point particulier a fait l'objet d'une question que j'ai récemment adressée au Gouvernement. La Guyane est une terre de paradoxe : les satellites lancés depuis Kourou inondent d'information toute la planète mais toute la population guyanaise n'a pas accès à l'eau courante, à l'électricité ni à internet. Ainsi, près de 30 % des Guyanais ne disposent pas de l'électricité. Des zones blanches existent à quelques dizaines de kilomètres seulement de la station spatiale et sur l'île de Cayenne, sans parler des vallées du Maroni et de l'Oyapock. Cette situation est particulièrement préoccupante pour la prévention et la gestion des risques naturels majeurs.
M. Olivier Ginez. - J'abonde dans le sens du sénateur Antoine Karam : la Guyane est une terre de paradoxe. Il y a quelques jours encore, le territoire s'est retrouvé coupé du reste du monde lorsqu'un navire de pêche a arraché sur son passage le câble Americas-II. Nous avons dû mobiliser toute une ingénierie collective et innovante pour rétablir les réseaux. Cette fragilité s'explique notamment par la domination de l'opérateur historique implanté sur tout le littoral. Les communications de radiotéléphonie sont particulièrement fragiles et peuvent causer des failles dans le dispositif d'alerte aux populations, même si, en cas de rupture des réseaux, les services de l'État et les collectivités sont évidemment pleinement mobilisés pour rétablir la situation le plus rapidement possible.
Les radiocommunications posent également problème puisque le réseau analogique est ancien, non sécurisé et peu fiable. Il ne permet donc pas aux services de l'État, au SDIS, aux forces de l'ordre, aux opérateurs de l'État et aux collectivités de communiquer entre eux de manière satisfaisante pour gérer la crise. Grâce au soutien de la gendarmerie, nous devrions bientôt être équipés d'un réseau TETRAPOL numérique, fiable et robuste, couvrant l'ensemble du littoral et au-delà grâce à un système de relais satellites. La Guyane devrait être entièrement couverte par ce réseau à l'horizon 2020 si les travaux débutent à la fin de l'année 2018.
Pour répondre à vos questions sur les relations avec nos voisins, l'accord de coopération en matière de secours, qui s'applique sur une bande de 150 kilomètres de large entre la Guyane et le Brésil de part et d'autre du fleuve Oyapock, a été publié au journal officiel le 6 avril 2018. Un accord sanitaire avec le Brésil et le Suriname est également en cours de réactivation, même si le processus est aujourd'hui balbutiant. Les services de l'État, l'ARS, l'EMIZ et les collectivités limitrophes sont engagés auprès de nos partenaires régionaux pour s'assurer que ce projet voie le jour.
Je pense par ailleurs que tous les acteurs réunis pour cette visioconférence sont favorables au pré-positionnement de moyens matériels en Guyane pour répondre à une catastrophe naturelle aux Antilles. Le territoire apparaît en effet comme une base arrière idéale puisqu'il est moins soumis aux risques naturels et dispose de moyens militaires conséquents avec une forte capacité de projection. Nous avons besoin de votre soutien dans cette perspective afin d'appuyer la création d'un état-major interministériel de zone Antilles-Guyane et d'un secrétariat général pour les affaires du ministère de l'intérieur (SGAMI) avec un prisme Antilles-Guyane pour gérer tous les matériels et moyens dont disposent ces territoires.
J'ai également pris note, grâce à nos échanges, de la nécessité de fluidifier la communication entre les services de l'État et les élus locaux en prenant en compte les contraintes de déplacement dues à l'immensité du territoire.
Je terminerai en vous disant que la ville de Kourou n'est pas représentée aujourd'hui car la salle est limitée en nombre de places mais nous pourrons bien sûr, si vous le souhaitez, organiser un échange avec Kourou et Sinnamary sur ce sujet.
Mme Marie-Christine Zeymes, responsable de l'état-major interministériel de zone (EMIZ). - Il existe effectivement une carence en termes d'information des populations puisque le système d'alerte n'est pas moderne et peu adapté aux crises à cinétique rapide telles que les inondations qui ont frappé Cayenne en avril 2017. Nous ne sommes pas en mesure d'alerter la population par SMS comme cela peut se faire dans l'hexagone. Nos messages sont donc diffusés par les stations de radio et de télévision du territoire. L'EMIZ travaille à l'élaboration d'un nouveau système d'alerte dont le coût reste encore à déterminer.
En matière de coopération transfrontalière, l'EMIZ est en charge des dossiers relatifs à l'organisation des secours et des soins d'urgence. Depuis septembre 2017, deux ateliers ont été mis en place avec le Suriname et le Brésil. Nous avons également lancé une réflexion commune avec les autorités surinamaises sur le risque inondation. Dans cette optique, l'EMIZ se rendra le 20 avril au conseil du fleuve pour échanger sur l'avancée des travaux.
M. Didier Renard. - Pour répondre à la question du sénateur M. Mathieu Darnaud, nous sommes actuellement en phase de démarrage du processus d'élaboration des DICRIM et des PCS. Nous constatons d'ores et déjà une certaine hétérogénéité entre les communes qui disposent d'une ingénierie technique solide et d'autres totalement démunies de ce point de vue. La DEAL apporte son soutien technique en accompagnant prioritairement les communes les moins dotées. La création de ces documents devrait pouvoir se faire dans un délai assez court.
J'aimerais également vous donner un exemple concret de projet de coopération régionale en matière de veille hydrologique. La DEAL travaille en collaboration avec le Suriname pour équiper l'un des principaux affluents du Maroni, la Tapanahoni, d'une cellule de mesure de débit et de hauteur d'eau. Nous espérons ainsi alimenter les riverains du Maroni des deux côtés du fleuve.
M. Jean Ganty. - Je réaffirme que le risque d'érosion côtière existe et se manifeste de manière cyclique. Je constate qu'au cours des 40 dernières années, nous avons perdu entre 100 et 200 mètres de plage et que certaines habitations sont emportées par la mer. La dangerosité de ce phénomène dépend de la conjonction de deux facteurs : la houle et les bancs de vase. Les différentes actions qui ont été prises par les riverains telles que l'installation de palplanches, les enrochements et quelques modestes digues n'ont pas pu stopper la disparition du sable. La dénivellation entre la plage et le reste du territoire s'élève aujourd'hui à près de 2 mètres. Le risque est certain, et il est prouvé par les observations à long terme.
Dr Gérald Egmann. - Le retour d'expérience des outre-mer en ce qui concerne les épidémies est intéressant à étudier car ces phénomènes sont susceptibles de se manifester en hexagone avec le réchauffement climatique. Les épidémies sont plus nombreuses en outre-mer et nous permettent de développer une expertise scientifique sur ces sujets. Tous les acteurs sont mobilisés sur le terrain pour faire face à ces crises. À titre d'exemple, les services de veille sanitaire, de démoustication et les hôpitaux sont très vigilants sur l'éventuel retour d'une épidémie de dengue.
Pour en revenir à la coopération régionale, nous nous réjouissons qu'un décret d'application ait enfin été pris pour officialiser le plan d'assistance mutuelle à la frontière, 6 ans après son élaboration. Nous espérons que cela se traduira par une coopération plus opérationnelle avec nos voisins, même si nous fonctionnons toujours dans un cadre asymétrique où nos partenaires n'ont pas toujours les moyens de leurs ambitions.
Enfin, la déclinaison outre-mer du plan d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles (ORSAN) a été intégrée au plan régional de santé. Nous réfléchissons actuellement, avec nos collègues des Antilles, à une déclinaison plus large, à l'échelle de toute la région, des mesures préconisées par la ministre des solidarités et de la santé.
M. Geoffrey Aertgeerts. - Je souhaite apporter quelques compléments au sujet de l'érosion côtière. Un risque correspond à la multiplication d'un aléa par un enjeu. Le littoral guyanais est particulièrement impacté par l'érosion des côtes, à Rémire-Montjoly mais aussi, depuis quelques années, à Kourou. Il s'agit d'un aléa cyclique indéniable et démontré. L'enjeu est également démontré, ce qui permet de qualifier l'érosion côtière de « risque naturel » au plan scientifique.
Commandant Jean-Albert Lama. - J'ajouterai que le SDIS a mené de nombreux exercices communs avec le Suriname concernant les opérations de sauvetage et de déblaiement. Nous nous ainsi pu intervenir conjointement sur l'effondrement d'une digue sur l'Oyapock. Nos échanges sont donc matériels - nous leur avons fourni quelques engins pour l'épuisement - mais aussi humains puisque nous participons à la formation de leurs équipes pour que nous puissions faire face ensemble à un événement majeur d'un côté ou de l'autre de la frontière. L'EMIZ est toujours informée de nos déplacements à l'étranger.
Mme Hélène Sirder. - Je conclus de nos échanges que nous devrions élaborer un plan de prévention des risques adapté au contexte particulier de la Guyane. Je soutiens la proposition de l'ARS d'inclure dans ce plan les risques sanitaires inhérents aux catastrophes naturelles.
Comme vous avez pu le constater, la coopération régionale est une dimension importante de la prévention et de la gestion des risques naturels majeurs compte tenu de la continuité géographique et écologique entre la Guyane, le Brésil et le Suriname. Nous apportons à nos voisins de la technicité sur ces sujets et tentons de renforcer progressivement cette coopération.
J'abonde également dans le sens du directeur de cabinet du préfet en ce qui concerne le projet de faire de la Guyane une base arrière pour secourir les Antilles. Le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et les menaces qu'ont fait peser Maria et José à sa suite nous ont rappelé la nécessité d'une telle entreprise en démontrant que le pré-positionnement du matériel en Martinique n'était pas une solution pérenne.
M. Olivier Ginez. - Pour répondre à la question de la sénatrice Mme Victoire Jasmin sur les plans communaux de sauvegarde, j'aimerais rappeler que nous nous appuyons essentiellement sur les bases légales et réglementaires prévues par les plans de prévention des risques pour procéder aux opérations d'expulsion et de démolition. Pour autant, pour satisfaire les contraintes en matière de relogement des populations déplacées, nous devons mettre en oeuvre une réelle politique d'accompagnement social et y consacrer les moyens nécessaires. Le PPR est donc l'un des outils pour lutter contre la prolifération de l'habitat spontané, mais ces opérations s'inscrivent dans le temps long.
Nous ne disposons pas, par ailleurs, de plan cadastral informatique (PCI) consultable par les opérateurs de l'État. L'absence de connaissance fine du sol limite notre capacité à combattre le fléau de l'habitat illégal qui prolifère si rapidement que nous devons régulièrement recourir à des prises de vue aériennes et satellitaires pour mesurer l'ampleur du phénomène et son développement sur les zones à risque. Nous avons donc besoin de moyens et de matériels pour pouvoir contrôler en permanence l'évolution de notre sol.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - De nombreuses personnes empruntent régulièrement les voies fluviales pour se déplacer, notamment des enfants. Dans ce contexte, existe-t-il des plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) adaptés pour chaque école ?
En outre, la Guyane, dont vous venez de nous exposer la situation particulière, me paraît être un territoire idéal pour mettre en place le contrat local de santé afin de résoudre les problématiques de santé publique.
M. Olivier Ginez. - Nous nous efforçons de décliner les PPMS dans tous les établissements scolaires, mais, sur le fond, notre capacité de contrôler les flux fluviaux, y compris le transport des jeunes enfants, reste très limitée.
M. Didier Renard. - Je ne partage pas ce constat car, au contraire, nous avons fait des progrès significatifs en termes de contrôle du ramassage scolaire fluvial. Les pirogues transportant des enfants sont aujourd'hui homologuées et équipées de gilets de sauvetage. Le système est sans doute perfectible mais il a fait ses preuves puisqu'aucun accident n'est à déplorer à ce jour.
Mme Marie-Christine Zeymes. - Les PPMS relèvent de la compétence du rectorat. À l'heure actuelle, peu de PPMS prennent en compte les risques naturels puisqu'ils se focalisent davantage sur les menaces d'attentats et d'intrusion. Les documents en cours d'élaboration et les documents déjà en vigueur, lors de leur révision, devront effectivement intégrer cette dimension.
M. Olivier Ginez. - En ce qui concerne les contrats locaux de santé, nous ne pouvons qu'abonder dans votre sens, Madame la sénatrice, car c'est un très bon outil pour répondre aux problématiques de relogement et d'accompagnement des populations. J'ai eu l'occasion d'en signer un récemment avec la commune de Macouria, et je pense que nous devons faire la promotion de ces contrats auprès de toutes les collectivités.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Je vous remercie d'avoir participé si nombreux à cette visioconférence. Si le système de prévention et gestion des risques naturels n'est pas parfait, tant du point de vue des relations entre les acteurs impliqués que de la connaissance du territoire, je salue tout de même les efforts que vous déployez ainsi que l'ingéniosité et la détermination dont vous faites preuve au quotidien pour améliorer la situation.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Nous sommes très heureux d'avoir pu passer deux heures en votre compagnie sur des sujets majeurs pour la Guyane. Je vous remercie de nous avoir livré avec franchise vos craintes, vos difficultés, vos forces et vos faiblesses. Comme vous avez pu le constater, nos collègues hexagonaux se sont pris de passion pour les outre-mer et sont des amplificateurs pour relayer au plus haut niveau les préoccupations des territoires ultramarins.
Cette réunion s'inscrit dans un cycle long d'auditions, de visioconférences avec les territoires et de déplacements au cours desquels nous avons pu, par exemple, échanger avec Météo France et le BRGM. Les compléments d'information très utiles qui nous ont été donnés par les représentants locaux de ces établissements corroborent ainsi le tableau général qui nous avait été brossé. Nous avons également auditionné les forces militaires qui nous ont fait part de la nécessité d'acter le renouvellement urgent du matériel de la zone Antilles-Guyane.
Enfin, à l'issue de cet entretien, je vous saurais gré de nous faire parvenir toutes les précisions que vous jugerez nécessaires à l'élaboration du rapport. La Délégation sénatoriale aux outre-mer a produit des travaux dont les propositions ont été reprises, et qui ont permis de défendre les intérêts des ultramarins, trop souvent isolés. Ce rapport sur les risques naturels majeurs, très attendu, ne fera pas exception.
Il ne vous a pas échappé que les risques sanitaires se sont spontanément greffés aux risques naturels majeurs au cours de cette audition. Nous sommes heureux d'avoir pu échanger avec vous sur ce sujet.
Je vous remercie pour la qualité de ces échanges et me permets d'indiquer que vous aurez bientôt l'occasion de rencontrer la délégation puisque les rapporteures de l'étude sur la jeunesse et le sport se rendront en Guyane du 3 au 6 mai prochain.
Jeudi 12 avril 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Risques naturels majeurs - Audition des acteurs du numérique
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de notre étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, nous recevons ce matin Mme Hélène Barthélémy, sous-directrice de l'innovation à la direction de la recherche et de l'innovation du Commissariat général au développement durable, M. Thomas Loison, président de l'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV), et M. Gaël Musquet, président de l'association Hackers against natural disasters.
Madame, messieurs, notre délégation a entrepris une étude en deux volets dont M. Guillaume Arnell est le rapporteur coordonnateur. Nous travaillons actuellement sur le premier volet, consacré à la prévention et à la gestion de crise. Le second portera sur la reconstruction et l'organisation de la résilience des territoires. Pour le premier volet, nos rapporteurs sont Mme Victoire Jasmin et M. Mathieu Darnaud.
Nous souhaitons que vous nous fassiez part de votre retour d'expérience et de vos analyses sur les outils numériques, notamment les réseaux sociaux, qui jouent un rôle de plus en plus prégnant dans les crises pour la gestion de l'urgence.
Vous jouez, en quelque sorte, un rôle de sécurité civile des médias sociaux en cas de crise majeure, en faisant circuler l'information, y compris vers les autorités publiques, et en mobilisant l'aide aux populations sinistrées. Nous l'avons récemment éprouvé lors du passage de l'ouragan Irma sur les Îles du Nord. Nous souhaitons donc examiner avec vous les enjeux, les usages et les perspectives de développement des outils numériques en matière de prévention et de gestion des risques naturels majeurs.
Mme Hélène Barthélémy, sous-directrice de l'innovation au Commissariat général au développement durable. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la sous-direction de l'innovation du Commissariat général au développement durable cherche à promouvoir l'innovation au service des politiques du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la cohésion des territoires. Notre positionnement est un peu particulier dans la mesure où nous réalisons 90 % de nos activités en liaison avec des entreprises.
Notre objectif est d'aider ces entreprises à faire avancer des projets qui nous intéressent. Dans ce cadre, nous étions en contact avec l'ancien pôle de compétitivité travaillant sur les risques.
Certains des produits et services que nous soutenons sont numériques. Au demeurant, tout est numérique, d'une certaine manière. Aujourd'hui, l'information est rarement traitée sous forme de parchemin...
La mission d'information géographique est assez récente. Elle développe une activité de plus en plus numérique et commence à acquérir une expertise en matière d'intelligence artificielle.
Le ministère de la transition écologique et solidaire a lancé l'initiative GreenTech verte, fortement tournée vers le numérique et dont une dimension, l'accès aux données, intéresse directement votre réflexion.
À la suite d'appels à projets, nous avons identifié un certain nombre d'entreprises dont nous espérons qu'elles seront les Google de demain. Dans le cadre du réseau d'incubateurs du ministère, nous les aidons à naître, à grandir et à devenir viables et pérennes.
Cet accompagnement est au coeur de la mission de ma sous-direction, de même que l'accompagnement de certains services sur des sujets très particuliers, comme l'intelligence artificielle ou les applications satellitaires, qui sont centrales pour votre sujet également.
Nous sommes donc plutôt des project-takers. Nous développons des synergies entre les porteurs de projet, accompagnons les pôles de compétitivité et identifions les projets que nous souhaitons faire financer dans le cadre des dispositifs interministériels, programme d'investissements d'avenir et fonds unique interministériel.
En d'autres termes, nous n'allons pas appeler les entreprises à travailler sur les risques en outre-mer. Mais si nous repérons un bon projet qui concerne ce sujet, que nous y croyons et que la direction générale de la prévention des risques y croit aussi, nous le défendrons pour qu'il soit financé. Je pense, par exemple, à Predict Services, un spin-off de Météo France qui développe des outils satellitaires pour prévoir les inondations et alerter les populations menacées ; cette entreprise est issue d'un pôle de compétitivité que nous avons financé.
Nous n'avons pas de stratégie spécifique pour l'outre-mer, ni pour les risques, mais nous soutenons tout ce qui nous semble intéressant ; et ce qui nous semble intéressant est presque toujours exploitable en outre-mer.
Les modèles économiques sont extrêmement divers : certaines entreprises travaillent avec des collectivités territoriales et des services départementaux d'incendie et de secours, d'autres ont un modèle basé plutôt sur les compagnies d'assurance. Les produits sont rarement achetés par les populations, mais ils peuvent l'être par des entreprises qui veulent se protéger.
S'agissant des actions internes au ministère, pour lesquelles nous sommes davantage pilotes, nous avons organisé un hackathon en collaboration avec la direction générale de la prévention des risques, en ouvrant des données liées aux risques. Cette initiative a permis de découvrir plusieurs projets, dont l'un est devenu tellement viable que l'entreprise nous a fait une offre de services, restée dans les cartons chez nous mais que les Britanniques ont utilisée : il s'agit d'identifier les zones où les déchets doivent être retirés en priorité. D'autres projets portent sur la prévention des risques, la surveillance par satellites et les outils de diffusion d'alertes.
Par ailleurs, le plan d'applications satellitaires vise à construire une stratégie du ministère pour utiliser ces applications chaque fois qu'elles sont pertinentes. Ce projet a été conçu en partant des besoins des services, en direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) ou dans les services centraux. Dans ce cadre, nous avons identifié environ 150 besoins, dont une quarantaine concernait les risques. Parmi ceux-ci, plusieurs sont liés à l'outre-mer : quand il est question de volcans, le domaine d'usage est plutôt ultramarin... Reste que ce ne sont pas forcément ces projets qui ont été retenus comme prioritaires, compte tenu de la stratégie générale du ministère et des moyens des services.
Les données satellitaires, comme les données Copernicus, sont déjà ouvertes en droit et même en fait, mais ce n'est pas pour autant que les personnes savent s'en emparer. Un travail important est à mener à cet égard, en liaison avec le Centre national d'études spatiales (CNES). Il y a deux ans, nous avions commandé au pôle SAFE un vade-mecum des données PEPS (Plateforme d'Exploitation des Produits Sentinel), avec une identification des entreprises susceptibles de les valoriser. C'est typiquement le genre de démarches qu'on peut aussi mener.
M. Thomas Loison, président de l'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel. - Mesdames, messieurs les sénateurs, vous excuserez mon franc-parler ; il faut parfois dire les choses clairement...
L'association que je préside, Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel, ou VISOV, vise à promouvoir l'utilisation des médias sociaux en gestion d'urgence, les MSGU.
Dans cette salle, je constate que nous avons tous un smartphone, parfois une tablette, à portée de main. Aujourd'hui, pour transmettre des informations, le bon canal n'est plus forcément un journal ou la télévision, mais ce que nous avons avec nous 98 % du temps. Il ne faut cependant pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, car le canal peut ne pas fonctionner...
La genèse des social media in emergency management est liée à des risques naturels, en différents endroits de la planète, mais ces outils fonctionnent plutôt bien pour couvrir n'importe quel risque.
Ceux qui, en 2012, ont été les premiers à comprendre l'importance des réseaux sociaux dans la gestion de crise étaient considérés comme fous. Deux ans plus tard, VISOV était officiellement créée.
Aujourd'hui, notre association s'occupe de sécurité civile sans avoir aucun agrément, puisque nous n'entrons dans aucune catégorie. Nous sommes pourtant conventionnés avec le ministère de l'intérieur, via le centre opérationnel de gestion interministérielle de crise, et le ministère de l'environnement, via la cellule ministérielle de veille opérationnelle et d'alerte. En outre, nous sommes en cours de conventionnement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, dans le cadre des crises et attentats touchant les populations françaises et francophones dans le monde.
La révolution numérique qui pousse à ces évolutions, nous la représentons sous la forme d'une pyramide de Maslow 2.0. À la base, les besoins physiologiques sont le téléphone, la télé, le Wifi et les batteries. Dès qu'on arrive à 5 % de batterie, les pulsations cardiaques commencent à s'accélérer, parce qu'on va être coupé du monde ! En Guadeloupe, la problématique de l'alimentation électrique s'est posée. Au-delà du cyclone, les rumeurs et la crise sont venues surtout d'un manque de communication et de la pression de la métropole ; il a fallu gérer davantage la population métropolitaine que la population guadeloupéenne...
Plus haut dans la pyramide, on trouve Facebook et les autres réseaux qui répondent aux besoins d'appartenance. Quand je vois quelque chose de grave, il faut que je poste pour me donner de l'importance... Ces réseaux sont aujourd'hui un défouloir : en l'absence de communication officielle, d'autres communiqueront, d'une manière difficile à maîtriser.
Nos volontaires sont 150 bénévoles. Nous n'avons aucun salarié et ne touchons aucun argent ; tous nos conventionnements sont faits à titre gracieux, et toutes les présentations que nous faisons pour promouvoir l'utilisation de ces outils au service de la protection des populations sont gratuites.
Nous assurons trois missions principales. D'abord, l'appui ou le renfort technique et méthodologique en matière de monitoring des réseaux sociaux, de façon très large ; dans les îles, par exemple, nous avons beaucoup travaillé avec des webcams lors du cyclone. Ensuite, l'assistance aux sinistrés : nous sauvons des vies. Ainsi, lors d'Irma, nous avons détecté une personne qui avait accouché pendant le cyclone. Enfin, la diffusion de la culture de sécurité civile : il est en effet très important de préparer les populations en amont des événements. L'action de l'association HAND est également très importante dans ce domaine.
Les médias sociaux permettent la diffusion de conseils, d'une culture du risque et de consignes et alertes. Par exemple, quand on découvre que les gens sortent au moment du passage de l'oeil du cyclone, on les avertit qu'ils sont en danger. Ils permettent aussi de récupérer de l'information et de prendre le pouls de la population : en Guadeloupe, nous avons fait un gros travail d'apaisement pour permettre aux autorités de gérer la crise au mieux. Grâce aux médias sociaux, on détecte également les rumeurs - on a vu en Guadeloupe qu'elles pouvaient se propager très vite. Plus vite elles sont détectées, plus vite on peut les combattre.
Notre bureau est constitué d'une dizaine de personnes. Nous fonctionnons avec des team leaders qui dirigent les volontaires. Ceux-ci vont chercher de l'information : en quinze minutes, nous sommes capables de mobiliser cinquante personnes pour surveiller les réseaux sociaux, avec l'objectif de sauver et de protéger des vies.
Une fois l'événement détecté, nous prenons contact avec les autorités, puis nous déclenchons la constitution d'une équipe de soutien opérationnel virtuel. Nous nous efforçons d'aider la population, en allant toujours dans le sens des autorités ; nous n'irons jamais contre une préfecture.
À l'occasion d'Irma, cinquante bénévoles se sont mobilisés pendant 700 heures, ce qui est considérable. Nous étions sur les réseaux sociaux quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
L'anticipation et la communication sont importantes : il faut diffuser les consignes et la liste des abris sûrs. Lors d'Irma, nous avons aussi mis en place un formulaire permettant aux personnes de signaler leur position quand elles n'étaient pas dans un abri officiel.
Pendant l'événement, nous travaillons avec une cartographie en direct sur laquelle nous injectons toutes les informations récupérées sur les réseaux sociaux, et nous diffusons des messages invitant à ne pas propager les fake news. Pour rassurer les citoyens, nous les encourageons à utiliser le safety check. Nous les invitons également à activer leur Wifi, pour faciliter la communication des personnes alentour.
En Guadeloupe, nous avons aussi élaboré un formulaire pour les personnes en recherchant une autre, afin de contribuer à réduire l'inquiétude. Un soir, nous avons rappelé 700 personnes qui avaient signalé une personne manquante ! Les personnes retrouvées étaient indiquées sur la carte par des pastilles vertes afin de rassurer la population.
Notre crédibilité est attestée par ceux qui nous font confiance : des préfectures, dont celle de la Guadeloupe, des conseils départementaux et des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) - nous sommes actuellement en contact avec celui de la Guadeloupe -, mais aussi les provinces belges du Brabant wallon et de Luxembourg.
M. Gaël Musquet, président de l'association Hackers against natural disasters. - La dernière fois que je suis venu au Sénat pour parler de gestion de crise, de réseaux sociaux et de mobilisation citoyenne, le 11 janvier 2012, dans le contexte des séismes qui avaient touché Haïti et le Japon, on parlait déjà des médias sociaux en gestion d'urgence.
J'ai servi l'État pendant six ans, au sein du réseau scientifique et technique du ministère de l'écologie. Dans ce cadre, j'ai pris conscience des capacités que donne internet pour projeter des compétences scientifiques et techniques.
Au moment du séisme en Haïti, nous nous sommes rendu compte que les ONG et les gouvernements ne disposaient pas de carte de Port-au-Prince, une donnée de base. Avec la communauté OpenStreetMap et des centaines de personnes, nous avons commencé à cartographier Haïti. Nous avons poursuivi ce travail lors de toutes les crises qui ont touché le monde, jusqu'à des épidémies comme Ebola, le chikungunya, le zika et la dengue.
Comme M. Loison, je parlerai franc : nous en avons eu un peu assez d'être les gentils technophiles que l'on appelle à la rescousse quand tout va mal, sur des territoires dont on sait qu'ils sont touchés par des crises de manière récurrente.
En 2011, quand l'UNESCO a proposé que nous participions, en tant que citoyens, à l'exercice Caribe Wave, nous avons pris conscience de l'importance de se préparer en amont des crises. Ces autorités supranationales étaient conscientes que des crises localisées, avec les moyens de transport et le numérique, peuvent très vite devenir mondiales- songeons à Ebola et à l'hystérie des capitales européennes chaque fois qu'une infirmière ou un médecin revenait malade.
Parce que, sans énergie ni télécommunications, tout cela ne fonctionne pas, nous avons créé Hackers against natural disasters, ou HAND. Un hacker est une personne bienveillante, curieuse et qui doute : il remet en cause les systèmes tels qu'ils fonctionnent et les détourne de leur usage premier, pour les rendre plus sûrs.
HAND est une fédération de citoyens, professionnels, militaires ou sapeurs-pompiers, qui mettent en commun leurs compétences scientifiques et techniques en amont des crises. De 2011 à 2014, nous avons fait l'exercice Caribe Wave depuis Paris, mais la mobilisation en Guadeloupe ne suivait pas parmi la population. Imaginez que, aujourd'hui encore, des personnes aux Antilles ignorent qu'elles sont exposées au risque de tsunami... Elles ne sont pas informées, encore moins formées aux attitudes à adopter.
Elles ne seront pas non plus alertées parce que notre pays ne dispose pas aujourd'hui de systèmes d'alerte des populations. Votre collègue Jean-Pierre Vogel a publié l'année dernière un excellent rapport sur cette question. Une application mobile a bien été développée, mais nous ne disposons pas d'une infrastructure permettant aux autorités de contacter massivement les populations menacées sur leur téléphone mobile, qui est le récepteur radio le plus utilisé aujourd'hui. Cette infrastructure a été inventée à Sophia Antipolis, puis déployée à Paris en 1997. Pourtant, la France reste l'un des rares pays à ne pas avoir déployé les réseaux d'alerte cellulaire.
L'île de Saint-Martin paraît lointaine, mais je travaille en ce moment sur les feux de forêt : il y en a eu 2 230 dans le sud de la France l'année dernière, et plus de 22 000 personnes ont dû être déplacées, dont 12 000 en une nuit dans le Var. Or, les technologies que je vais déployer dans le sud de la France sont les mêmes que je déploie en Guadeloupe.
Depuis que je suis enfant, on me dit que mon île, la Guadeloupe, est un laboratoire, une sentinelle du changement climatique. Pourtant, nous sommes à chaque fois les derniers à disposer des technologies les plus récentes ! Nous sommes les derniers à avoir la 4G et nous serons les derniers à expérimenter la 5G...
Tous les ans, nous projetons une équipe - 6 personnes en 2015, 12 en 2016, 16 en 2017, 26 cette année - de community managers, radioamateurs et journalistes pour des exercices, non pas à Pointe-à-Pitre ou à Jarry, où l'on sait que les forces se concentreront, parce qu'il y a des touristes et les institutions, mais à Marie-Galante ou à La Désirade, en situation de précarité énergétique et numérique. Alors que Maria a seulement égratigné Marie-Galante, les élus sont restés trois jours sans avoir de nouvelles de la préfecture, qui est à trente kilomètres ! Ce n'est pas un problème technologique, mais un problème de conduite des politiques publiques industrielles.
L'exercice Caribe Wave est l'un des plus importants dans le monde : 850 000 personnes évacuées. Vous, sénateurs, élus, devez être sur le terrain, au côté des populations pendant l'exercice !
Enfant, j'ai été marqué par la tristesse des gens après le cyclone Hugo. C'est pour ne plus la revoir que j'ai suivi une formation de météorologue. Aujourd'hui, c'est un peu un rêve que je réalise en déployant nos drones marins ou en affrétant des avions sur Marie-Galante pour la reconnaissance aérienne. Nous devons être capables de faire des catastrophes naturelles un terreau d'innovations ! Permettez-moi de vous montrer une brève vidéo que nous avons réalisée pour l'illustrer.
On peut citer également des exemples intéressants à l'étranger, comme la plateforme Familia Preparada au Chili qui permet d'identifier très rapidement les points de regroupement.
Les territoires insulaires doivent impérativement promouvoir le radioamateurisme. Nous ne pouvons plus rester coupés du monde pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours avec les technologies radio actuelles. Les industriels du web français doivent également se mobiliser, à l'image de Qwant, le moteur de recherche français, qui a fourni du matériel et formé des étudiants en informatique à Marie-Galante. Ils assurent la supervision du trafic aérien et maritime dans la zone.
Nous travaillons aussi avec des sociétés de cartographie et de nombreux partenaires locaux, notamment le FabLab Tilt à Saint-Martin, qui sont légitimes pour porter des stratégies de résilience.
Les exercices annuels de Caribe Wave ont permis d'affréter des bateaux pour Saint-Martin, d'envoyer du matériel à la Dominique ou de superviser les secours à Marie-Galante, dont nous étions sans nouvelle. Grâce aux panneaux solaires, nous avons pu aussi avoir de l'énergie pour déployer les réseaux de communication, première demande des habitants de Saint-Martin avec l'eau et l'alimentation.
M. Michel Magras, président. - Je suis impressionné par vos présentations, messieurs, et j'avoue ma part d'ignorance sur votre travail. Vos interventions seront déterminantes pour notre rapport, dont l'objectif est d'avancer des propositions d'amélioration du système actuel.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - J'ai été particulièrement sensible à vos deux exposés et j'aimerais rester en contact avec vous. Je reste particulièrement affecté par l'ampleur de notre impréparation, alors même que nous connaissions les risques. Voir l'incapacité des pouvoirs publics à répondre à la détresse des gens dans un monde d'aussi grande technologie me laisse perplexe.
Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - Étant tous connectés désormais, nous pouvons soulever des problèmes, mais aussi relayer vos propositions. Tous les citoyens ont un rôle à jouer à cet égard.
Je me réjouis de constater que le SDIS et la préfecture de Guadeloupe ont compris l'intérêt de vos actions. J'ai moi-même participé aux exercices de Caribe Wave en tant que déléguée à la sécurité de ma commune de Morne-à-l'Eau et j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de mener des actions de sensibilisation en matière de prévention.
Je n'ai pas compris vos remarques sur l'isolement de Marie-Galante : l'île ne dispose-t-elle pas d'un réseau satellitaire ?
J'ai souvent participé à des simulations au cours desquelles nous devions à la fois répondre et envoyer des informations. Ma commune n'a pas été impactée par les derniers ouragans, mais nous avons quand même procédé à un retour d'expérience avec les services techniques, en lien avec la préfecture. Les élus de Marie-Galante n'ont-ils pas fait de même ?
M. Gaël Musquet. - Nous n'arrivions pas à faire fonctionner le matériel. Le problème des téléphones satellites et de tous les systèmes d'alerte, c'est qu'ils doivent être utilisés régulièrement pour être opérationnels. La problématique de la formation des élus et des services est centrale.
On a aussi découvert, à Saint-Martin, que les faisceaux satellitaires pouvaient être saturés. Télécoms Sans Frontière et nous-mêmes avons servi de base arrière pour utiliser d'autres satellites moins sollicités.
Enfin, si vous n'avez pas d'énergie pour alimenter les terminaux, vous obtenez rapidement un effet domino.
On attend énormément de l'État et des préfectures, mais la loi renforçant la sécurité intérieure précise que tout le monde a un rôle à jouer, dès les premières heures.
Au demeurant, il ne s'agit pas seulement d'un problème ultramarin. Lors de la dernière crue de la Seine, on a perdu 30 à 40 % des capacités de télécommunications à Paris. Une coupure de courant dans l'un des arrondissements de la capitale et c'est l'effet domino assuré. Les Parisiens ne sont pas mieux préparés aux crises que les habitants de Marie-Galante ou de Saint-Martin. Les citoyens ne connaissent ni les centres d'hébergement d'urgence, ni la marche à suivre pour obtenir des informations.
L'outre-mer peut servir de laboratoire. Il faut mettre en oeuvre des moyens de communication simples et mener une politique volontariste de recrutement et de formation des radioamateurs. La France compte 1 radioamateur pour 7 000 habitants, contre 1 pour 400 aux États-Unis, alors que les risques sont similaires.
M. Michel Magras, président. - Notre délégation ne cherche pas à jeter la pierre, mais à élaborer des propositions constructives et utiles pour l'avenir.
Le système satellitaire n'est utilisable que de façon limitée et à des coûts exorbitants pour le commun des mortels. Seuls les collectivités et certains professionnels peuvent s'équiper.
Pour ma part, j'ai été surpris de voir que WhatsApp, Facetime ou Facebook Messenger continuaient de fonctionner, mais pas d'autres applications. Et je suis redevenu autonome du jour au lendemain en rebranchant mon système photovoltaïque.
Vous dites avoir conclu une convention avec la préfecture de Guadeloupe, mais quid des autres territoires de la République ? Êtes-vous également en relation avec les radioamateurs de Saint-Barthélemy ? Au lendemain du cyclone, les communications étaient coupées avec la Guadeloupe et c'est un radioamateur qui est resté en relation permanente avec le National Hurricane Center (NHC), le centre américain des ouragans.
Enfin, s'agissant de l'implication des élus sur la voie publique, je vous garantis que l'on sait faire !
M. Gaël Musquet. - Je suis hébergé en tant que civil hacker par l'escadre aérienne de commandement et de conduite projetable à Évreux - base aérienne 105 -, qui compte 600 transmetteurs radio, des chiffreurs et des météorologues.
Pendant Caribe Wave, on a pu discuter avec Cherbourg, Hawaï et le Japon juste avec une radio et une antenne décamétrique. On est capable de se passer du satellite, les radioamateurs le prouvent tous les jours.
Le coût de l'opération n'est pas négligeable : 50 000 euros cette année pour projeter des avions, des bateaux, des drones. Nous avons été financés par Qwant, la Caisse d'épargne Provence-Alpes-Corse ainsi que la Fondation de France et la Fondation luxembourgeoise du Grand-Duc. Nous sommes aussi beaucoup aidés par les militaires.
En revanche, je n'ai jamais réussi à lever ne serait-ce qu'un millier d'euros auprès des entreprises ultramarines, qui nous renvoient systématiquement vers l'État ou la région. Il est très difficile de mobiliser pour des actions de prévention et pour des crises hypothétiques.
Chez HAND, il n'y a que des bénévoles et nous pouvons agir avec quelques dizaines de milliers d'euros seulement. Nous serons ainsi à La Réunion, avec VISOV, pendant une semaine à partir du 4 septembre prochain pour participer aux opérations d'Indian Ocean Wave sur l'île : 2,1 millions de personnes seront évacuées en 48 heures dans tout l'océan Indien.
M. Michel Magras, président. - Il faut absolument que vous disposiez de financements pérennes. La Fondation de France est aussi l'organisme par lequel toute la solidarité vers l'outre-mer a transité, avec la Croix-Rouge. On nous a annoncé un montant compris entre 10 et 13 millions d'euros, mais on n'en connaît pas l'utilisation.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Chaque année, La Réunion est frappée par des cyclones ou des dépressions tropicales. Mayotte n'est pas à l'abri non plus. Quel est plus précisément votre retour d'expérience sur l'océan Indien ?
M. Gaël Musquet. - Nous devons développer des synergies et des solidarités entre îles voisines. Nous accomplissons un travail de fond d'identification des technophiles, hackers et autres développeurs dans les îles de La Réunion, de Mayotte, de Maurice et de Rodrigue.
Indian Ocean Wave a lieu tous les deux ans : c'est le plus gros exercice au monde. Mayotte a été l'un des rares territoires français à faire l'exercice voilà deux ans, La Réunion le fera cette année.
En Guadeloupe, les hôteliers n'ont pas voulu participer à l'exercice Caribe Wave pour ne pas effrayer les touristes. Dans l'océan Indien, une mention tsunami ready est affichée au fronton des établissements. Les salariés des hôtels sont formés et il y a même des stratégies de récupération des personnes à mobilité réduite en cas de tsunami. Ces territoires plus pauvres que les nôtres sont paradoxalement plus pragmatiques et montrent l'exemple.
Mon premier essai de drone dans les Caraïbes a eu lieu en Haïti, en 2013, après le passage de l'ouragan Sandy. La législation sur les drones est moins contraignante dans ces pays et on peut plus facilement procéder à des expérimentations. On le fera aussi prochainement à Zanzibar.
M. Maurice Antiste. - Je pensais que nous étions à la pointe dans ma commune de Le François en Martinique, notamment parce que nous avions développé une plateforme communautaire sur mobile en cas de tsunami. Après avoir entendu vos retours d'expérience, je me dis que la pointe est émoussée ! Je ne connaissais même pas votre existence : c'est grave pour moi, mais aussi pour vous... Comment expliquer que vous ne soyez pas davantage connus dans des zones à risques comme les nôtres ?
Quoi qu'il en soit, nos échanges de ce matin auront certainement un poids considérable dans notre rapport, et je souhaiterais que nous puissions les prolonger.
M. Thomas Loison. - Pour une association de bénévoles, le seul moyen de développer sa notoriété est de s'appuyer sur des influenceurs : communes, médias... Mais ils ne veulent généralement apprendre à nager que lorsqu'ils ont déjà la tête sous l'eau. C'est un peu tard. Il faut préparer en amont des outils de communication simples pour le citoyen, et aussi les utiliser régulièrement.
Si une commune fait appel à nous pour chercher des informations ou conseiller les citoyens, on le fera, avec ou sans convention.
M. Michel Magras, président. - Les conventions permettent toutefois d'avoir des financements pérennes.
M. Thomas Loison. - Nous sommes tous bénévoles et nous n'avons souvent besoin que d'un forfait 4G pour agir. Certains travaillent même en EDGE quand ils ont épuisé leur forfait !
Mme Vivette Lopez. - Je parlerai franc à mon tour.
Je fais partie du vieux monde. Je ne suis ni sur Instagram, ni sur Twitter, ni sur Facebook. Comment faisait-on avant le développement de tous ces systèmes ? N'est-il pas illusoire de penser qu'ils peuvent résoudre tous les problèmes ?
Vous disiez que les pays les plus pauvres s'en sortaient parfois mieux, mais c'est peut-être aussi parce que leurs habitants sont moins assistés, plus solidaires, plus inventifs. On ne peut plus se passer aujourd'hui des systèmes d'information, mais il est parfois préférable de se réunir entre voisins pour trouver des solutions.
M. Michel Magras, président. - L'un n'empêche pas l'autre !
M. Gaël Musquet. - J'ai beaucoup appris avec les anciens. J'ai travaillé avec des chasseurs d'ouragans et de tornades.
Je connais bien la Martinique. J'ai déployé des réseaux radio sur les flancs du volcan, entre Le Morne-Rouge et l'observatoire de Fonds-Saint-Denis. Il y a là-bas des techniciens hors pair, mais ils sont noyés dans la paperasse et n'ont plus le temps de faire du terrain.
Parfois - ce fut mon cas -, votre administration ou votre entreprise ne vous permet plus d'innover et vous êtes obligés de passer à d'autres modes d'action, notamment associatifs.
Il est difficile pour nous, scientifiques et techniciens, d'avoir l'aura d'un sportif de haut niveau ou d'un artiste. Mais nous essayons de rendre aussi festive que possible la préparation de nos exercices.
Je souhaite enfin évoquer deux scientifiques qui m'ont particulièrement marqué.
Gustave Ferrié fut le premier à utiliser la radio pour contacter la Guadeloupe lors de l'éruption de 1902 en Martinique, qui causa 32 000 morts. Cette catastrophe a permis à Ferrié d'affiner ses émetteurs radio et de les déployer sur la tour Eiffel, qui échappa de ce fait au démontage. Les applications furent nombreuses, notamment le calcul des longitudes, qui donnera plus tard naissance au GPS.
Raoul Georges Nicolo, grand scientifique guadeloupéen, fut une figure de l'ombre du nucléaire et de l'énergie en France. Voilà plus de trente ans, il incitait déjà les Guadeloupéens à développer des systèmes propres et à s'affranchir des réflexions européennes. C'est ce que j'essaye de faire, le but étant aussi de rendre ces territoires indépendants des technologies existantes.
Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - On le sait peu, mais Nicolo a notamment inventé la télécommande !
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Sincèrement, messieurs, outre les informations complémentaires que vous pourrez nous transmettre par écrit, nous avons vraiment envie de vous auditionner de nouveau ! Trouvons le temps de nous revoir !
Nous avons l'impression, dans notre bulle, d'être à l'avant-garde, mais nous ignorons que des gens réfléchissent dans l'ombre et qu'ils pourraient nous être d'un précieux secours.
M. Michel Magras, président. - Je souhaiterais aussi que nous puissions nous revoir. Malheureusement, notre programme est déjà très chargé.
Pour des îliens qui ont vécu concrètement et douloureusement ces phénomènes climatiques, les solutions concrètes que vous avancez sont très rassurantes. Elles seront une source précieuse pour notre rapport.
La continuité numérique est pour moi le meilleur moyen de lutter contre l'isolement lié à l'insularité. J'appartiens aussi au vieux monde de par mon âge, mais je n'en suis pas moins très intéressé par les possibilités offertes par le nouveau !
Je vous remercie de votre présence parmi nous ce matin, messieurs.
Risques naturels majeurs - Audition des acteurs humanitaires
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir les représentants de deux organisations humanitaires incontournables dans la gestion des crises majeures déclenchées dans les outre-mer par les aléas naturels : la Croix-Rouge française et la Fédération nationale de protection civile (FNPC).
Pour la Croix-Rouge française, nous entendrons M. Alain Rissetto, directeur de l'urgence et des opérations, Mme Clélia Grabli, chargée de projets outre-mer à la direction régionale outre-mer et Mme Ana Chapatte, responsable de zone Caraïbes, océan Indien, Asie Pacifique, Moyen-Orient, Europe à la direction des relations et opérations internationales. Et pour la FNPC, M. Alain Lascombes, vice-président chargé de l'opérationnel et du développement international. Mesdames, messieurs, je rends hommage au rôle éminent que vos organismes jouent sur nos territoires lors des crises, car nos populations dans les outre-mer bénéficient régulièrement de votre assistance et du réconfort que vous prodiguez.
La délégation sénatoriale aux outre-mer mènera, sur les deux années à venir, une étude sur les risques naturels majeurs dans les territoires ultramarins, comprenant deux volets : la prévention des risques et la gestion des événements ; les problématiques de reconstruction, d'adaptation et de résilience des territoires. Ont été désignés M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur de l'étude, M. Mathieu Darnaud et Mme Victoire Jasmin, rapporteurs.
Je donne maintenant la parole à M. Alain Lascombes.
M. Alain Lascombes, vice-président de la Fédération nationale de protection civile (FNPC) chargé de l'opérationnel et du développement international. - La Fédération nationale de protection civile est constituée d'associations départementales et complète son réseau sur le territoire métropolitain ou ultramarin par des antennes locales. Elle compte 313 bénévoles pour l'arc caribéen et 368 bénévoles pour le Pacifique. Pour le transport, elle a à sa disposition essentiellement des véhicules légers ainsi qu'un véhicule sanitaire sur la Martinique.
Un travail considérable a été fait par Line-Rose Arrouvel, présidente de la protection civile de la Martinique. Notre réflexion s'est également appuyée sur le très précieux rapport du sénateur Roland Courteau consacré aux tsunamis et aux tremblements de terre. L'idée était d'alerter au mieux les populations.
Nous avons dû déterminer la nature exacte des risques sur ces territoires, et réfléchi aux moyens d'alerte en amont de l'événement, le gros problème étant le manque d'énergie. Nous avons évalué le temps nécessaire aux équipes pour se mettre en place et tenté de déterminer les principales difficultés. Nous essayons de mettre en oeuvre tous les moyens pour sensibiliser la population aussi bien au risque sismique, volcanique ou de tsunami ; nous avons beaucoup de difficulté à faire comprendre à la population qu'il existe un risque, celle-ci ne faisant pas souvent l'effort de prendre connaissance des consignes pourtant diffusées par les autorités. Un gros travail est à faire au niveau des écoles. Des réunions publiques pourraient également nous permettre d'expliquer aux uns et aux autres comment détecter un danger et comment s'en prémunir.
Il convient également de demander aux personnes susceptibles d'être victimes de préparer l'après. Par exemple, il faut avoir de l'eau. Cela a été le gros problème à Saint-Martin. Il faut faire comprendre aux gens la nécessité de faire des réserves.
En ce qui concerne plus précisément les blessés, il faut apprendre à faire les gestes qui sauvent en attendant les secours. Ces gestes simples peuvent s'apprendre en deux heures. Chose surprenante, la population n'est pas non plus préparée à rejoindre les lieux de refuge. Les plans d'intervention, sur lesquels nous travaillons déjà avec les préfectures et sous-préfectures, mériteraient d'être encore affinés. Les exercices sont indispensables, nous n'en faisons pas suffisamment. Il faut notamment que l'éducation nationale s'implique pour que la culture du risque soit enseignée au sein des établissements scolaires.
En ce qui concerne la gestion de la crise, nous avons d'excellentes relations avec les autorités administratives, d'autant que notre principe est de nous mettre à leur disposition. L'alerte est donnée par la préfecture, qui nous demande d'intervenir. Quelque temps après, nous faisons un retour d'expérience. Mais c'est trop rare. Sur Saint-Martin, par exemple, nous n'avons pas encore eu le temps de le faire.
Nous avons aussi mis l'accent sur les communications téléphoniques. Nous espérons pouvoir conclure une convention avec VISOV, comme nous avons passé une convention avec la Fédération nationale des radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC) pour officialiser la coopération mise en place avec eux à Saint-Martin, où ils nous ont permis de communiquer avec le reste du monde, notamment avec la salle de crise au ministère de l'intérieur. De la même façon, il est nécessaire d'activer les réseaux, pas forcément techniques, mais aussi humains. Les associations en place sur le terrain peuvent nous dire ce qui se passe sur les lieux pour que nous puissions affiner l'envoi de notre matériel. À Saint-Martin, nous avions besoin non pas de pompes à eau, mais de tronçonneuses pour dégager les gravats des structures écroulées.
Quelles sont les difficultés rencontrées ? Bien souvent, il s'agit d'un problème de coordination et de communication, rendues difficiles avec les autorités sur place qui ne disposaient plus de locaux : la sous-préfète, par exemple, a été hébergée à l'ANPE. Nous avons surtout travaillé en coordination avec le groupe des pompiers de la sécurité civile, avec lesquels nous sommes en totale complémentarité. Nous appliquions les instructions données par les autorités locales. Nous avons aussi dû faire face sur place à de fausses informations. Nous avons été envoyés sur des lieux où cela n'avait pas d'utilité, faute de pouvoir vérifier l'information. Nous comptons beaucoup sur la population. À force de passer à Grand-Case ou à Marigot, nous avons fait connaissance avec un certain nombre de sinistrés qui nous servaient utilement d'interlocuteurs. Mais un tel réseau prend du temps à développer.
Vous m'avez interrogé sur les partenariats internationaux, difficiles à mettre en place en raison de problèmes de coordination ou de langue. Plusieurs questions se posent : qui est juridiquement décideur ? Les moyens engagés par d'autres services sont-ils compatibles avec les nôtres ? Ne font-ils pas doublon ? Les techniques employées par les autres pays sont-elles transposables avec des effectifs français ? Les missions peuvent être différentes. En France, certaines associations font un peu de tout : de l'aide à la personne, du soin, du déblaiement, du sauvetage, etc. Or, certaines associations étrangères ne font que du soin, même si, à Haïti, elles recensaient aussi les enfants qui pouvaient être adoptés. Les temps d'intervention sont également différents. Nous préconisons de ne pas dépasser 17 à 21 jours ; mais cela a un coût parce qu'il faut payer le voyage des bénévoles qui relèvent les équipes. Or, notre fédération ne reçoit pas de subventions.
La spécificité des territoires ultramarins, c'est déjà la distance. Le 6 septembre 2017 survient Irma. Les premiers sauveteurs antillais arrivent sur place seulement le 9 septembre. Quatre à cinq jours après, les métropolitains viennent en renfort.
Autre difficulté, l'octroi de mer que nous payons sur tout ce que nous apportons, soit 20 % de taxes, y compris lorsque nous faisons passer des diplômes de secourisme !
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Ce n'est pas normal !
Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - Systématiquement ?
M. Alain Lascombes. - Tout à fait, Line-Rose Arrouvel se plaint depuis des années ! Nous sommes donc obligés de tricher : nous disons qu'il s'agit de dons, mais ça ne passe pas toujours.
M. Michel Magras, président. - Chez moi, à Saint-Barthélemy, l'octroi de mer et la TVA n'existent pas. En revanche, il existe un droit de quai, que la collectivité peut décider de ne pas appliquer.
M. Alain Lascombes. - J'en prends bonne note ! L'autre difficulté est le manque d'eau dans de nombreuses îles : il conviendrait donc de réfléchir à un moyen de stockage.
Pour contourner le problème de la distance, nous voulons créer des bases locales. La première d'entre elles sera créée fin mai ou début juin en Martinique. Elle devra être conforme aux normes internationales INSARAG/ONU. Cette labellisation nous permet de travailler avec d'autres pays dans le cadre des Nations unies, mais elle a un coût : 72 000 euros par lot.
Lorsqu'un événement grave est annoncé, il convient de l'anticiper. Pendant que les structures fonctionnent encore, il faut envoyer une équipe sur place. Nous l'avons fait pour la deuxième tornade sur Saint-Martin, aux conséquences moins graves que la première. Nous devons également pouvoir nous appuyer sur un recensement préalable, afin de trouver des hébergements sûrs pour nos effectifs, que nous avons eu beaucoup de mal à loger. Il est également important de trouver des véhicules, ceux des SIVOM et des communautés d'agglomération étant monopolisés. À Saint-Martin, les gendarmes nous ont conseillé de nous servir des voitures abandonnées !
Il est également essentiel de former des personnes pour s'occuper spécifiquement de ce genre de crises sur place. Au mois de mai, Paul Francheterre se rendra sur place pour former 40 personnes, dont 8 appelées à devenir à leur tour formatrices au sauvetage, au déblaiement, etc. Des équipes sont spécialisées dans le soutien sociopsychologique. Nous sommes ainsi intervenus au moment de l'accident de Millas et après l'attaque du Super U de Trèbes. Nous préparerons donc des Martiniquais et des Guadeloupéens à la prise en charge psychologique, en nous appuyant pour cela sur un certain nombre de référentiels.
Nous faisons également de gros efforts pour impliquer les centres d'accueil. Sans parler des problèmes d'éclairage à gérer : il faut apporter des groupes électrogènes pour mettre rapidement des projecteurs en place.
M. Michel Magras, président. - Nous vous remercions pour ce tour d'horizon très complet.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Qui ne concerne pas tous les territoires !
M. Alain Lascombes. - Pour vous rassurer, le deuxième groupe INSARAG sera installé à La Réunion pour toute la zone.
M. Maurice Antiste. - Je précise que je ne visais pas la Croix-Rouge quand j'ai regretté l'absence de contact, car chacun sait que la Croix-Rouge est le premier partenaire en cas de catastrophe naturelle !
M. Alain Rissetto, directeur de l'urgence et des opérations de la Croix-Rouge française. - Merci de nous permettre de partager avec vous nos réflexions. Nous sommes entendus aujourd'hui au titre d'une association agréée de sécurité civile, mais j'aimerais aller au-delà.
La Croix-Rouge a une double particularité : elle appartient à un mouvement international réunissant 190 sociétés nationales ; elle a le statut particulier d'auxiliaire des pouvoirs publics. Elle compte 60 000 bénévoles, répartis sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones ultramarines, 18 000 salariés et plus de 650 établissements, essentiellement dans le domaine sanitaire et médico-social.
Contrairement à nos amis de la protection civile, nous sommes non pas une fédération mais une association à responsabilité unique : il existe dans chaque département une délégation territoriale dont le président est désigné après des élections internes. Nous ne sommes pas une multitude d'associations départementales. Les délégations territoriales sont organisées selon deux modèles, celui des unités locales ou celui des antennes. Pour faire fonctionner cette mécanique, nous sommes 500 au siège, réunis dans un certain nombre de directions opérationnelles : une direction de coordination pour le milieu des bénévoles, une direction des relations et des opérations internationales - Ana Chapatte aura d'occasion d'en dire deux mots -, une direction outre-mer et une direction de l'urgence et des opérations créée voilà deux ans.
Pour pouvoir pratiquer en tant qu'association de sécurité civile, il est nécessaire d'avoir un agrément national délivré par le ministère de l'intérieur. Toutes les délégations territoriales, y compris les délégations ultramarines, ont un agrément pour les opérations de soutien aux populations sinistrées. Pour ce qui concerne les dispositifs prévisionnels de secours, il y a près de 85 délégations territoriales.
Nous avons signé une convention-cadre avec la direction générale de la sécurité civile, déclinable avec les préfectures, notamment pour le soutien aux populations. Sur le plan international, la Croix-Rouge française, dans la zone Caraïbes, a signé une convention avec la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
La préparation et la réponse à l'urgence font partie de nos coeurs de métiers. Une de nos priorités est d'apporter une réponse en cas de crise et pas uniquement de catastrophe, y compris en cas de crise sociale, comme à Mayotte récemment. Dans le cadre des objectifs prioritaires définis, toutes les délégations territoriales doivent élaborer un plan territorial de l'urgence. Ce travail consiste à définir le rôle de la Croix-Rouge à la suite d'une crise, en fonction de nos capacités, de nos savoir-faire et des attentes des pouvoirs publics ainsi que des secours publics, puisque nous travaillons conjointement avec eux.
Nous avons défini en interne un certain nombre d'outils : des statuts et trois règlements spécifiques, dont un spécialement destiné aux opérations menées par la Croix-Rouge française lors de situations d'exception. Nous avons aussi un certain nombre de schémas opérationnels, avec une catégorisation des opérations. Le fait d'avoir un agrément national nous oblige en effet à avoir une qualité de réponse égale sur tous les territoires, y compris dans les zones ultramarines. Or, nos moyens ne sont pas les mêmes qu'en métropole, cela fait partie de nos faiblesses.
Une opération d'envergure départementale est une opération de niveau 1. Elle est gérée par les acteurs départementaux de la Croix-Rouge, sous l'autorité du président départemental. Ils ont obligation de rendre compte à l'autorité nationale. La même opération peut être de niveau 2 - nous conviendrons alors d'un renfort de cadres opérationnels nationaux - ou de niveau 3 - elle sera alors pilotée directement par l'autorité nationale. Enfin, une opération de niveau 4 est une opération d'envergure nationale. Les trois ouragans dans les Antilles étaient-ils de niveau 4 ? Pas tout à fait. Compte tenu de notre spécificité à l'international, nous avons quatre niveaux de réponse à l'international, avec des niveaux 5, 6, 7 et 8 fondés sur le même concept, et un niveau 9, quand la direction internationale et la direction nationale sont concernées par le même événement. Pour Irma, nous avons donc déclenché une opération de niveau 9.
Nous disposons d'un pôle de 70 cadres opérationnels nationaux, capables de se projeter en métropole ou sur toutes les zones ultramarines. Puis nous avons intégré dans le système international des équipes de réponse aux urgences humanitaires (ERU).
La Croix-Rouge française travaille sur quatre thématiques : le WASH, c'est-à-dire le rétablissement de l'eau, le problème des abris, la logistique, le médical.
Pour Irma, la particularité était double : nous étions sur un territoire français avec une organisation des secours française, qui est une organisation très particulière ; mais nous avons mêlé à cette action, dans la réponse au soutien aux populations, toutes nos équipes spécialisées dans les grands événements à l'international.
Sur la question de la préparation, nous avons enfin un prépositionnement des moyens, avec des bases logistiques dans tous les départements métropolitains. Dans les zones ultramarines, nous avons deux plateformes d'intervention régionales : la plateforme d'intervention régionale Amériques Caraïbes (PIRAC) et la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI). Par ailleurs, nous avons une base logistique installée dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie.
Dernier élément, il existe des formations spécifiques à la Croix-Rouge : une formation d'une journée pour tous les acteurs bénévoles ou salariés engagés sur une opération ; une formation de cadre opérationnel de deux jours ; une formation de cadre opérationnel national de cinq jours ; plus des formations complémentaires, à la fois pour les équipes internationales et pour les équipes nationales.
Si je reprends les derniers chiffres, 500 personnes sont engagées sur les territoires ultramarins.
Irma a été une très grande opération pour nous. Nous avons pu l'anticiper et organiser une téléréunion avec toute la direction du siège, les délégations d'outre-mer et la plateforme d'intervention. Nous avons réuni la première cellule de crise le 4 septembre, soit quarante-huit heures avant l'impact. Nous avons alors pris deux décisions importantes : faire partir sur la zone des cadres opérationnels nationaux et préparer un détachement de la Croix-Rouge française. L'ouragan est passé sur la zone dans la nuit de mardi à mercredi. Le mercredi matin, le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) nous a proposé d'embarquer du personnel à bord d'un avion. Dix-sept personnes sont donc parties le mercredi soir dans le premier détachement de sécurité civile. L'avion est arrivé le jeudi matin en Guadeloupe, puis une partie de l'effectif est passée avec les troupes de sécurité civile sur l'île de Saint-Martin, où nous avons installé un réseau de télécommunications propre à la Croix-Rouge.
Il y a eu trois niveaux de réponse. D'abord, la réponse immédiate, qui a été donnée par les acteurs locaux. Ensuite, la plateforme d'intervention est entrée en action. Enfin, nous avons déclenché les renforts de métropole. Dans la phase d'urgence, qui pour nous est allée jusqu'à fin octobre, 500 personnes sont parties de métropole pour venir renforcer les actions de la Croix-Rouge sur la zone Irma.
Nous avons mis en place des actions traditionnelles, notamment pour la gestion de l'eau. Nous avons des machines de traitement de l'eau au sein de la PIRAC, mais nous n'avons pas pu les utiliser, car il n'y a pas d'eau de surface sur Saint-Martin. De plus, la machine de désalinisation a été détruite. Nous avons donc dû distribuer des bouteilles d'eau, fournies par l'État. Grâce à notre partenariat avec Veolia, nous avons pu avoir 12 tankers, répartis équitablement sur six zones.
Nous nous sommes aussi rendus dans les 9 centres de mise à l'abri, qui très rapidement sont devenus des centres d'hébergement d'urgence, d'autant qu'il a été question très vite de la menace de Jose. Sans parler de Maria !
On a estimé que plus de 5 000 personnes avaient quitté le territoire de Saint-Martin. Elles sont arrivées à Pointe-à-Pitre, ce qui n'a pas été sans poser deux types de difficultés : l'organisation du départ de Saint-Martin et la gestion d'un afflux massif. Nous avons également un peu participé aux soins.
Je vous le disais tout à l'heure, l'organisation des secours en France est très particulière. Elle est fondée sur la notion de médicalisation en amont et de secours à personne. Il aura fallu attendre 1995 et l'attentat du RER B à Saint-Michel pour commencer à parler de soutien psychologique. Les plans de secours pour la prise en charge des impliqués ou des sinistrés ne sont pas bien formalisés. C'est seulement depuis la loi de modernisation de la sécurité civile que les associations agréées de sécurité civile sont chargées d'une mission spécifique dans le cadre de l'agrément B, à savoir l'agrément de soutien aux populations sinistrées.
J'ai eu l'occasion de dire devant la Société française de médecine de catastrophe que la réponse n'était pas avant tout médicale : il a fallu surtout s'occuper du soutien aux populations. Voilà pourquoi nous revendiquons d'être non seulement le troisième acteur des secours, mais surtout - et j'adresse un clin d'oeil à mon collègue de la FNPC -les principaux acteurs du soutien aux populations.
Nous avons eu l'occasion de faire un riche retour d'expérience de la phase d'urgence, qui a duré du 6 septembre au 31 octobre, à laquelle a succédé la phase de post-urgence immédiate et de reconstruction. Comment passer d'une phase à l'autre, continuer l'action tout en réduisant le calibre de l'intervention ? Il était important que nos activités traditionnelles à Saint-Martin puissent reprendre, qu'il s'agisse du bus santé ou des maraudes.
Le dernier champ est la préparation des citoyens. Nous sommes loin des résultats escomptés dans la loi de modernisation de la sécurité civile, qui date de 2004 ! La préparation de la population nécessite un changement d'état d'esprit du citoyen, mais aussi la prise en compte par les pouvoirs publics et les secours publics de la dimension du soutien à la population. Pour ce qui nous concerne, nous avons créé voilà quelques années une initiation à la réduction des risques, qui est un module de sensibilisation pour limiter les conséquences d'une catastrophe. Dans chacune des zones, nous avons développé des plans de préparation du citoyen adaptés à la réalité locale.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie de toutes ces précisions fort utiles. Nous avons besoin de vos retours pour être aussi exhaustifs que possible dans notre rapport.
Mme Ana Chapatte, responsable de zone Caraïbes, océan Indien, Asie Pacifique, Moyen-Orient, Europe, à la direction des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française. - J'appartiens à la direction des opérations internationales, mais je suis chargée des plateformes d'intervention régionales, donc de la PIRAC et de la PIROI. Nous avons la chance de faire partie du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui compte 190 sociétés nationales. Dans le cas d'Irma, nous avons été appuyés par les autres Croix-Rouges, ce qui nous a permis d'intervenir à l'international alors que nous étions déjà pris par une action nationale. Par exemple à Saint-Martin, nous avons essayé de soutenir nos collègues de la Croix-Rouge hollandaise. Nous sommes aussi intervenus lors du passage des trois cyclones en soutien aux îles voisines : Saint-Kitts-et-Nevis, Barbuda ou l'île de la Dominique. Notre maillage régional nous permet une entraide. La Croix-Rouge hollandaise a ainsi puisé dans ses stocks pour aider le côté français de Saint-Martin. Idem dans la zone de l'océan Indien où environ 500 tonnes de stocks sont prépositionnées à l'île Maurice, aux Seychelles, à Madagascar, aux Comores et à Mayotte, ce qui permet une entraide en cas de catastrophe importante, par exemple à La Réunion.
Nous avons insisté sur l'importance d'être bien préparés, de pouvoir disposer d'une ressource humaine, de salariés ou de bénévoles connaissant le métier et se trouvant déjà sur place. Il est également essentiel d'avoir des stocks et du matériel prépositionnés. Dans les Caraïbes, nos stocks sont prépositionnés en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
De surcroît, nous travaillons à la sensibilisation des populations, particulièrement des écoliers, aux risques de catastrophe - cyclone, inondation, tremblement de terre, etc. Nous avons notamment mis en place le programme « Paré pas Paré » à La Réunion pour les enfants de CM1 et de CM2. Nous sommes en train de développer le même type de programme pour Saint-Martin et la Guadeloupe. Nous espérons démarrer le projet en fin d'année ou en début d'année prochaine.
Mme Clélia Grabli, chargée de projets outre-mer à la direction régionale outre-mer de la Croix-Rouge française. - La Croix-Rouge française est le seul acteur associatif présent sur les douze territoires ultramarins.
Nous sommes présents à travers trois niveaux d'intervention : les délégations territoriales, qui mènent des actions traditionnelles, qu'elles soient d'urgence ou sociales, en faveur des populations les plus vulnérables ; les plateformes d'intervention régionales ; les établissements et directions territoriales, qui couvrent le champ médico-social et sanitaire, avec des activités salariées.
La prévention et la gestion des risques et des crises sont au coeur de notre nouvelle stratégie outre-mer, validée en décembre dernier. Au-delà des catastrophes naturelles, cette réflexion porte, de façon globale, sur toutes les crises : sociales, sanitaires, politiques et institutionnelles.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je vous remercie, mesdames, messieurs, de nous avoir livré vos retours d'expérience, particulièrement sur Saint-Martin, dont je suis l'élu.
La protection civile était présente sur notre territoire voilà quelques années, mais, à la suite de certains déboires, elle s'en est absentée. Depuis son retour, les choses sont beaucoup plus positives.
Le renchérissement lié à l'octroi de mer constitue une difficulté pour le réacheminement des produits à partir de Pointe-à-Pitre et je remercie le département de la Guadeloupe, qui a pris le relais pour débloquer la situation.
En l'absence d'organisation et dans le chaos dû aux dégâts occasionnés, nous avons eu à déplorer la prise de contrôle de l'opération par les militaires, qui n'ont pas d'autre interlocuteur que le ministère des armées : quels que soient votre statut et votre implication sur le terrain, vous n'avez alors pas droit à la parole. Ce dispositif doit être assoupli.
La Croix-Rouge française aussi a rencontré par le passé certaines difficultés - nos territoires ne sont pas faciles. Mais, à l'occasion d'Irma, elle a démontré l'importance de son implantation locale. De nombreux dons ont transité par elle. Les collectivités territoriales ont une vision très large, qui inclut la reconstruction, mais la Croix-Rouge se concentre sur l'assistance et l'aide aux personnes. Son rayonnement international est précieux, en particulier sur ce territoire où la coopération passe d'abord par de petites unités, comme les établissements hospitaliers. Pour avoir vécu la situation sur place, je sais ce que la Croix-Rouge a apporté et comment est perçue son action, qui se poursuit.
Mme Victoire Jasmin, rapporteur. - Monsieur Lascombes, pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur la norme INSARAG, ainsi que sur le problème de l'octroi de mer ?
S'agissant de la préparation des citoyens, je pense que nous avons besoin de tous les moyens. Les moyens numériques et humains sont complémentaires. La loi de modernisation de la sécurité civile est, à ma connaissance, le seul texte qui parle de l'importance des voisins.
En tant qu'ancienne déléguée à la sécurité de ma commune, je voudrais aussi savoir ce que vous attendez des élus. Comment faire pour préparer les citoyens autrement ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nos interlocuteurs ont été tellement exhaustifs que nous n'avons plus de questions à poser...
Les fake news font de vrais dégâts dans nos territoires. Une réflexion nationale est en cours pour les pénaliser : certains pensent que l'arsenal existant est suffisant pour sévir, d'autres refusent une législation au nom de la liberté d'expression. Monsieur Lascombes, l'exemple que vous avez mentionné montre les répercussions dramatiques que peuvent avoir ces fausses nouvelles. Quelle est votre opinion sur les discussions en cours ?
M. Alain Lascombes. - La vérification des informations est fondamentale mais, en situation de crise, le temps manque. La seule façon de vérifier une nouvelle, c'est d'aller sur site, ce qui distrait des moyens. Peut-être une meilleure coordination avec la police et la gendarmerie nous permettrait-elle de nous assurer plus rapidement de la fiabilité des informations.
Il a fallu attendre la réforme du code pénal de 1994 pour que les personnes qui lancent de fausses alertes puissent être poursuivies. On attend encore pour le reste. Actuellement, le déclenchement de secours sans raison valable peut déjà être poursuivi.
M. Maurice Antiste. - Je voudrais savoir quelle est la part des professionnels et celle des bénévoles dans vos activités.
Par ailleurs, je sens que vos deux associations souffrent d'un engagement insuffisant de l'État. Vous serait-il utile que nous interpellions l'État sur vos ressources ? La Société nationale de sauvetage en mer souffre du même problème.
M. Alain Rissetto. - Nous avons une grande majorité de bénévoles, mais je ne les opposerai pas à ce que vous appelez des professionnels ; voilà quarante-cinq ans que je milite pour que le bénévolat ne soit pas synonyme d'amateurisme. Aujourd'hui, grâce à la formation de nos bénévoles, la place de la Croix-Rouge est clairement identifiée même en métropole sur les accidents catastrophiques à effet limité.
Dans nos implantations, en revanche, travaillent des personnels salariés. Mais autour de ce noyau salarié se constitue aussi une structure de bénévoles. Au total, nous sommes à plus de 85 % des bénévoles.
Il serait bon que les associations agréées de sécurité civile soient invitées à travailler sur les plans communaux de sauvegarde ; c'est un exemple de ce que nous pouvons attendre des élus.
Les fake news sont bien évidemment un problème. Quatre jours après le passage d'Irma, j'ai failli ordonner le confinement de tous nos personnels sur Saint-Martin parce que le sous-préfet me disait de ne pas faire prendre de risques à nos équipes. Les fausses informations peuvent avoir des conséquences opérationnelles.
Nous sommes à un moment charnière où tout le monde commence à prendre en compte la nécessité d'une meilleure préparation collective pour le soutien aux populations, y compris en cas d'attentat. Dans ce contexte, vous seriez nos ambassadeurs en relayant cette nécessité.
M. Alain Lascombes. - On a prétendu que les détenus s'étaient échappés de la prison de Saint-Martin et qu'ils semaient la terreur en ville. Or, c'était faux. Les autorités administratives ont incité les acteurs associatifs à se cacher pour ne prendre aucun risque... Nous attendons que les élus prennent leurs responsabilités et tapent du poing sur la table, notamment pour accélérer le déroulement des opérations.
M. Michel Magras, président. - Message reçu cinq sur cinq, même si nous restons sous l'autorité de l'État dans ces situations.
La gendarmerie, sous le commandement du général Jean-Marc Descoux, a fait un travail remarquable, avec les pompiers et les autres acteurs.
Nous savons que nous ne pourrons pas compter sur une aide extérieure immédiate du fait de notre éloignement et nous avons l'obligation d'agir.
M. Alain Rissetto. - L'élan de solidarité est indispensable, mais le renfort associatif doit être organisé et coordonné. Il ne faut pas laisser n'importe qui faire n'importe quoi dans n'importe quelles conditions. C'est pourquoi l'État a réfléchi à un agrément international en matière de sécurité civile.
M. Michel Magras, président. - La population sinistrée a besoin de savoir qui sont les chefs, qui coordonne, qui décide, qui rassure. C'est une clef dans la gestion des crises de pouvoir identifier les responsables.
En matière de prévention, nous devons obliger le citoyen à recevoir l'information, par exemple en envoyant des messages diffusés sur tous les téléphones et que vous êtes obligés de lire avant de pouvoir utiliser votre appareil.
Après les ouragans, nous n'avons jamais vu un tel élan de solidarité, à tous les niveaux. Mais vous avez raison, il faut passer par des organismes reconnus, et c'est pourquoi nous avons décidé sans délai de confier la gestion des dons à la Fondation de France et à la Croix-Rouge.
La rapidité de décision est une autre clef. Il faut pouvoir obtenir rapidement les autorisations, notamment en matière aérienne. On fait immédiatement intervenir un inspecteur de l'aviation civile pour savoir si les pistes sont praticables, mais il faut ensuite aller vite. Les Canadiens n'ont sollicité aucune autorisation pour venir récupérer leurs ressortissants dans la partie néerlandaise de Saint-Martin.
M. Alain Rissetto. - J'attire votre attention sur la nécessité d'informer aussi les sans-abris. Dans la phase préparatoire, avant le 6 septembre, nous avions mené des actions auprès de cette population.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Nous sommes habitués à faire des provisions, mais nous avions sous-estimé l'ampleur du phénomène. Après Luis, nous pensions avoir tout connu. Les médias invitent chaque année les populations à faire des réserves. Nous devons continuer ce travail de pédagogie, plus difficile auprès de la population précarisée.
Enfin, je ne voudrais pas conclure cette audition sans évoquer les pillages, honteux, qui se sont déroulés à Saint-Martin et qui ont porté préjudice à la bonne coordination des secours. L'armée, la gendarmerie et la police territoriale ont été dans l'incapacité de garantir la sécurité de notre petit territoire à cause de quelques malfrats, qui ont même cassé des pharmacies et des écoles. Nous devons en parler aussi dans les retours d'expérience.
M. Michel Magras, président. - Dans la suite de nos travaux, nous effectuerons un déplacement aux Antilles sur la problématique des risques majeurs et nous rencontrerons les représentants de la Croix-Rouge et de la protection civile en Martinique et en Guadeloupe.
Nous vous remercions vivement pour la qualité de vos interventions et vous invitons, mesdames, messieurs, si vous le souhaitez, à nous transmettre des documents complémentaires.