COMMISSIONS MIXTES PARITAIRES
Jeudi 5 avril 2018
- Présidence de M. Jean-François Husson, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi renforçant l'efficacité de l'administration pour une relation de confiance avec le public
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de renforçant l'efficacité de l'administration pour une relation de confiance avec le public s'est réunie au Sénat le jeudi 5 avril 2018.
Elle a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau, constitué de M. Jean-François Husson, sénateur, président, Mme Sophie Errante, députée, vice-présidente, Mme Pascale Gruny, sénatrice, et M. Jean-Claude Luche, sénateur, rapporteurs pour le Sénat, et M. Stanislas Guerini, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Avant de passer la parole à la présidente puis aux rapporteurs, je voudrais donner quelques éléments d'appréciation sur la tâche qui pèse sur notre CMP et quelques précisions de procédure.
Nos deux assemblées ont adopté conformes 10 articles du projet de loi. Ils ne figurent donc plus dans notre liste d'articles à examiner qui comprend encore 89 articles restant en discussion auxquels s'ajoute l'intitulé du projet de loi.
Je vous rappelle que l'objet de la réunion de la CMP est de « proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » selon les termes de l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire les dispositions « qui n'ont pas été adoptées dans les mêmes termes par l'une et l'autre assemblée » à l'exclusion donc de toute disposition additionnelle.
S'agissant des modalités de vote, les suppléants ne sont appelés à voter que dans la mesure nécessaire au maintien de la parité entre les deux assemblées et en cas d'égalité de voix, la proposition de rédaction ou l'article n'est pas adopté.
Je vous rappelle enfin et surtout qu'il n'y a pas d'accord partiel en CMP.
Mme Sophie Errante, députée, vice-présidente. - Je veux évoquer l'esprit qui a présidé à nos travaux à l'Assemblée nationale. Nous avons passé beaucoup de temps sur ce texte, y compris en amont puisqu'il s'agissait d'une co-construction. Notre commission spéciale a mené des travaux de bonne qualité, parvenant parfois à des consensus en retenant de nombreux amendements, et l'examen du texte s'est traduit, dans l'hémicycle, par une adoption à une forte majorité, avec 405 voix pour l'adoption. Nous sommes donc satisfaits de cette première étape.
Cette CMP vise à rechercher un consensus que nous souhaitons tous, pour voir les dispositions de ce texte mises en oeuvre le plus rapidement possible, sans toutefois confondre vitesse et précipitation. Il reste, en effet 89 articles en discussion : à nos rapporteurs de nous dire dans quel état d'esprit ils abordent cette CMP.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Le débat au Sénat a également été très constructif et a débouché sur une adoption quasi unanime du projet. L'ensemble des groupes nous ont dit souhaiter une CMP conclusive, de même que le ministre à la fin de nos débats, qui a par ailleurs indiqué que l'entrée en application effective des dispositions du texte devrait intervenir à la fin du 1er semestre 2019.
Mme Pascale Gruny, sénatrice, rapporteur pour le Sénat. - Je voudrais prendre quelques instants pour présenter la position adoptée par le Sénat sur les articles dont j'ai la charge.
S'agissant de l'article 2, qui crée un « droit à l'erreur » et un « droit au contrôle » des usagers dans leurs relations avec l'administration, le Sénat partage pleinement l'objectif de simplifier les démarches des usagers avec l'administration et n'a en conséquence pas souhaité bouleverser le dispositif proposé, mais plutôt le préciser et le rendre plus incitatif. Ainsi, pour le droit à l'erreur, le Sénat a jugé indispensable que l'administration soit tenue d'inviter l'usager à régulariser sa situation dès lors qu'elle s'aperçoit d'une erreur, pour éviter que ce droit ne bénéficie qu'aux administrés les mieux informés. Le Sénat a également expressément défini les manoeuvres frauduleuses, dans la continuité de la définition de la mauvaise foi introduite par l'Assemblée nationale. De même, pour le droit au contrôle, le Sénat a souhaité, d'une part, fixer un délai, de six mois, dans lequel l'administration doit y procéder et, d'autre part, prévoir que les « conclusions expresses » rédigées par l'administration ne sont opposables que si celle-ci s'est prononcée en toute connaissance de cause.
Dans la continuité de l'article 2, le Sénat a également souhaité étendre le bénéfice du droit à l'erreur aux collectivités territoriales et à leurs groupements, en introduisant un article 2 bis A. Si, effectivement, le rôle de conseil des préfectures auprès des collectivités territoriales est indispensable, les services de l'État n'ont plus forcément les moyens d'apporter l'appui juridique et l'expertise dont ont cruellement besoin les plus petites communes, souvent démunies face à la complexité et la multiplicité des procédures. J'ajoute que cette disposition ne risque pas de diluer le dispositif initial, dans la mesure où elle s'appliquerait dans les mêmes conditions limitatives que celles de l'article 2.
S'agissant des sujets fiscaux, je commencerai, paradoxalement, par évoquer un article qui n'est plus en discussion dans le cadre de la CMP : nous avons en effet choisi d'adopter conforme l'article 4, qui contient la « garantie fiscale » introduite à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale. Celle-ci prévoit que tout point examiné lors d'un contrôle fiscal et n'ayant pas fait l'objet d'un redressement serait considéré comme tacitement validé par l'administration. Il s'agit pour nous d'une question de principe.
Nous avons ensuite complété cette « garantie tacite » par une « garantie explicite » : à l'issue d'un contrôle, le courrier adressé au contribuable mentionnera expressément les points que l'administration a validés. Le Gouvernement est favorable à cette mesure qui figure à l'article 4 bis A - il l'a même étendue aux droits de douane aux articles 14 et 14 bis.
S'agissant de la « relation de confiance » prévue à l'article 7, le Sénat a modifié le périmètre de l'habilitation donnée au Gouvernement. Notre objectif est de préserver l'esprit initial de cette expérimentation, qui risque, sinon, d'être détournée au profit d'une énième procédure de rescrit ou d'une sorte de pré-contrôle fiscal.
Le Sénat a également souhaité aller plus loin dans le « droit à l'erreur » dans plusieurs domaines fiscaux, dès lors que la bonne foi n'est pas en cause. J'évoquerai par exemple la mise en oeuvre du prélèvement à la source par les PME de moins de 21 salariés à l'article 4 bis AA ou encore l'assouplissement des délais -purement formels- pour bénéficier de la TVA réduite sur les travaux d'amélioration des logements, à l'article 3 bis AA, ou du « Pacte Dutreil » pour la transmission d'entreprises familiales à l'article 4 quinquies.
Enfin, l'ouverture à tous des données relatives aux mutations foncières prévue à l'article 4 ter ne nous semble acceptable qu'à la condition qu'elle soit assortie de toutes les garanties nécessaires en termes de protection de la vie privée et des données personnelles. Celles-ci existent aujourd'hui et il est incompréhensible que le Gouvernement souhaite les supprimer.
Nous devrions parvenir à un accord sur les dispositions sociales du texte. Le Sénat a ajouté deux articles, dont un à mon initiative, visant à lutter contre le sentiment d'incompréhension qu'éprouvent trop souvent les entreprises face aux contrôles des Urssaf. Il me semble que ces articles 7 ter et 16 bis s'inscrivent dans une logique de confiance entre l'administration et les entreprises et que nous devrions nous rejoindre autour de cet objectif.
S'agissant de la médiation dans le champ de la sécurité sociale telle qu'elle est prévue aux articles 17, 17 bis A et 17 bis B, le Sénat a souhaité être attentif à ce que l'intervention du législateur ne vienne pas perturber des dispositifs créés à l'initiative des acteurs et qui fonctionnent de manière satisfaisante.
La rédaction de l'article 29 relatif à l'expérimentation des prestations de « relayage » du proche aidant peut être améliorée mais nous ne devrions pas avoir de désaccord de fond sur ce point.
À l'inverse, nous avons refusé, à l'article 26 bis, de donner au Gouvernement carte blanche pendant dix-huit mois pour réformer le cadre juridique des modes de garde des jeunes enfants, habilitation qui n'a manifestement pas sa place dans ce texte.
Je souhaiterais enfin mentionner deux autres apports du Sénat, concernant l'article 38 du projet de loi.
En premier lieu, sur les cultes. Ces dispositions ont suscité beaucoup de commentaires, notamment celle qui concerne les immeubles de rapport. Je tiens à rappeler que le Sénat n'a fait que reprendre mot pour mot la disposition prévue par le projet de loi initial du Gouvernement déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Sur le fond, je rappelle également que les ressources tirées de la gestion d'un immeuble acquis à titre gratuit par une association cultuelle ne peuvent être affectées qu'à l'exercice exclusif du culte, conformément à la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État.
En second lieu, le Sénat a adopté un amendement modifiant la loi du 11 octobre 2013 pour la transparence de la vie publique, en vue d'exclure les responsables locaux du champ d'application de ses dispositions relatives aux relations entre les représentants d'intérêts et les responsables publics. L'extension de ces dispositions aux élus locaux n'aurait, à mon sens, qu'une faible valeur ajoutée. En effet, l'objectif premier du répertoire numérique est de faire la transparence sur l'influence des représentants d'intérêts sur l'élaboration de la loi et du règlement national, ce que des relations quotidiennes qui se nouent sur les territoires ne sont assurément pas. Cet avis est partagé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui m'a alertée sur le sujet, confirmant des inquiétudes déjà exprimées sur son incapacité à faire face à ce surcroît d'activité au 1er juillet 2018.
Pour conclure, nous sommes donc dans un état d'esprit constructif, et nous inscrivons clairement dans le souhait de faire aboutir la commission mixte paritaire, et de surmonter, pour ce faire, les points de désaccord qui pourraient exister.
M. Jean-Claude Luche, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Je voudrais à mon tour présenter les principaux apports du Sénat sur les articles dont j'ai eu la charge. Ces apports n'ont eu d'autre objectif que de conforter le texte en le rendant plus opérationnel.
C'est ainsi qu'à l'article 10, le Sénat a adopté, sur la proposition du Gouvernement, quatre rescrits spécifiques plutôt que de créer un régime général de rescrit dont la pertinence n'était pas démontrée et dont les contours étaient renvoyés à des décrets.
À l'article 12, nous avons souhaité rendre plus effectif le droit au certificat d'information, notamment en l'enserrant dans des délais plus conformes à son objet, et avons consolidé, à l'article 12 bis, un apport du rapporteur de l'Assemblée pour expérimenter la cristallisation des règles présentées dans le certificat.
Nous avons préféré supprimer l'article 15 bis, qui instaurait à titre expérimental le principe d'un référent unique doté d'un pouvoir de décision dans les maisons de services au public, eu égard aux difficultés concrètes de mise en oeuvre qui nous sont remontées du terrain par la voix des collectivités territoriales, mais aussi du groupe La Poste, principaux gestionnaires des maisons de services au public.
À l'article 16, nous avons jugé que la durée cumulée des contrôles administratifs sur les petites et moyennes entreprises (PME) devait être modulée selon la taille des entreprises et qu'il était parfaitement possible, sans complexifier l'expérimentation, d'abaisser le plafond à six mois sur une période de trois ans pour les très petites entreprises (TPE).
Nous avons également encadré, à l'article 19, l'expérimentation sur les chambres d'agriculture en prévoyant l'accord des chambres départementales pour les transferts de compétences et de personnels, et avons approuvé, à l'article 26, la possibilité de déroger à certaines règles de la construction.
À l'article 31, le Sénat a souhaité simplifier l'expérimentation d'un rescrit juridictionnel sans surcharger les tribunaux administratifs, tout en adhérant à l'objectif de sécuriser les grands projets que poursuit cet article.
Nous nous sommes, en revanche, opposés, à l'article 33, à l'expérimentation généralisée d'une procédure de consultation du public par voie électronique qui se substituerait à l'enquête publique pour les projets agricoles soumis à autorisation environnementale ayant fait l'objet d'une concertation préalable avec garant. La concertation préalable et l'enquête publique sont en effet deux procédures de nature différente, l'enquête publique favorise l'acceptabilité des projets et sa dimension « présentielle » sur le terrain est importante.
L'article 34 sur les énergies marines renouvelables faisait consensus jusqu'à ce que le Gouvernement nous présente, en séance, un amendement permettant de remettre en cause le résultat d'appels d'offres passés qui a légitimement suscité un grand émoi chez les acteurs de la filière, parmi les élus et dans les territoires concernés. Cet amendement a été massivement rejeté sur tous les bancs, nombre d'entre nous ayant considéré qu'un partage des profits était certes souhaitable pour éviter toute rentabilité excessive aux dépens de la collectivité, mais qu'il ne pouvait résulter que d'une négociation avec les porteurs de projets.
Aux articles 35 bis et 35 ter, nous avons souhaité réduire à deux mois les délais de recours contre les installations classées et avons cherché à limiter les recours abusifs contre ces mêmes installations.
Enfin, aux articles 40 et suivants, nous avons allégé le texte d'un certain nombre de rapports dont nous doutions de la plus-value réelle mais qui pourraient, pour certains d'entre eux du moins, être réintroduits sans difficulté si la réussite de cette commission mixte paritaire en dépendait...
Ces différents apports témoignent, comme l'a dit ma collègue Pascale Gruny, de l'état d'esprit constructif qui a présidé à nos travaux et dont nous espérons qu'il se prolongera lors de cette commission mixte paritaire. Les quelques points de désaccord entre nous pourraient, à mon sens, être facilement surmontés si la volonté d'aboutir était partagée ; de notre côté, nous y sommes prêts.
M. Stanislas Guerini, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je souscris à ce qu'a dit notre présidente de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Le Sénat a également bien travaillé. Dans l'une et l'autre de nos assemblées, la volonté est de voir cette CMP aboutir. Notre travail préparatoire a permis d'identifier, sur les quatre-vingt-dix modifications introduites par le Sénat, une trentaine de points de difficulté, dont une quinzaine sont pour nous bloquants. Je vous propose de rappeler ces points par souci d'efficacité et pour faciliter notre discussion.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. -J'espère que cela permettra de bien aborder les différents points qui semblent bloquants, conformément aux éléments que vous nous avez transmis hier après-midi.
M. Stanislas Guerini, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Tout à fait, je vais d'ailleurs vous présenter directement les points qui me semblent bloquants.
Il s'agit, à l'article 2, de l'inclusion dans le droit à l'erreur des sanctions prononcées au titre de la politique agricole commune (PAC) et sur le fondement du code de l'environnement ; à l'article 2 bis A, de l'extension du droit à l'erreur aux collectivités territoriales ; à l'article 4 bis AA, du droit à l'erreur pour les entreprises de moins de 21 salariés s'agissant du prélèvement à la source ; à l'article 4 quinquies, des dispositions relatives au Pacte Dutreil, que nous préférerions voir introduites dans la future loi « Pacte » ; à l'article 11, de la suppression de l'expérimentation du principe d'approbation tacite des prises de position formelles de l'administration ; à l'article 15 bis, de l'expérimentation, dans les maisons de services au public, du référent unique doté d'un pouvoir de décision ; à l'article 16, de la limitation de la durée de contrôle des TPE ; des mesures relatives aux cultes introduites, aux articles 25, 25 bis et 38, car nous souhaitons maintenir l'équilibre trouvé à l'Assemblée nationale ; à l'article 26, de la durée de l'habilitation pour la réécriture du code de la construction et de l'habitation, que nous souhaitons maintenir à dix-huit mois car il s'agit d'un travail lourd ; à l'article 33, de la suppression de l'expérimentation d'une consultation du public par voie électronique dès lors qu'il y a eu concertation préalable. Sur les autres points de divergence, il nous sera moins difficile, nous semble-t-il, de trouver un accord.
Reste, cependant, la question de l'article 34, non pas tant sur les dispositions introduites par le Sénat que sur l'amendement gouvernemental rejeté en séance publique concernant les appels d'offres passés pour la construction d'éoliennes en mer. Nous partageons, je crois, l'idée qu'une renégociation des conditions tarifaires n'est pas illégitime mais que la forme de cet amendement ne convenait pas, pas plus à vous qu'à nous. J'en fais quand même un point de difficulté pour la réussite de la CMP car il est à mon sens nécessaire de conserver une possibilité de renégociation, ce qui implique une modification législative ; or, si nous devions aboutir à un accord aujourd'hui, il serait nécessaire de retenir la version proposée par le Gouvernement, sachant qu'en nouvelle lecture, nous serions favorables à retravailler le dispositif en l'amendant. Des discussions sont d'ailleurs en cours avec les différents acteurs concernés.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Le sujet que vous évoquez soulève un problème de recevabilité juridique. Cette disposition ne peut en effet être introduite en CMP puisqu'elle n'a pas été adoptée et ne figure donc pas parmi les dispositions restant en discussion, qui sont les seules à pouvoir être examinées par la CMP. Je le redis, nous souhaitons aboutir. Aussi, je vous propose que nous nous penchions à présent sur les points que vous avez évoqués.
M. Stanislas Guerini, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes d'accord sur la méthode mais pas sur la recevabilité juridique de l'amendement gouvernemental, qu'il nous paraît au contraire possible d'introduire dans la rédaction que nous retiendrions, étant entendu qu'il nous sera loisible d'y revenir en nouvelle lecture. Si ce point doit être pour vous bloquant, mieux vaut le dire tout de suite, et conclure au désaccord. L'éolien était d'ailleurs un point de discussion important à l'Assemblée nationale et avait notamment pesé, me semble-t-il, dans l'abstention du groupe Les Républicains sur ce texte.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Je prends acte de vos précautions oratoires. C'est l'honneur des assemblées que d'aller au bout de leurs travaux. C'est notre responsabilité, aussi, et je vous propose que nous engagions la discussion, sauf si certains de nos collègues souhaitent prendre la parole.
M. Julien Bargeton, sénateur. - Il est vrai que le Sénat a mené un travail intéressant, notamment avec la procédure d'examen en commission retenue sur certains articles et le filtrage énergique des amendements qui a permis de bien travailler en commission spéciale. Pour autant, je ne partage pas l'idée que la position du Sénat aurait été uniforme sur ce texte. Personnellement, je n'ai pas toujours suivi l'avis de la commission spéciale et en séance publique, des amendements ont été ajoutés dont certains n'avaient pas toujours le soutien de la commission spéciale. Au final, on constate une grande divergence dans les textes que nous avons adoptés. Même si nous avions envie de voir cette CMP aboutir, il y a loin de la coupe aux lèvres. Certaines divergences me semblent, de fait, insurmontables, sur des sujets comme le droit à l'erreur pour les collectivités territoriales, les cultes, l'éolien en mer... Je le dis d'autant plus à regret qu'à mon sens, bien des apports du Sénat mériteraient d'être préservés.
Le rapporteur Guerini a été bienveillant dans sa présentation en ne mentionnant que onze points bloquants mais il en est aussi beaucoup d'autres qui présentent des difficultés, comme je l'ai rappelé lors de mon explication de vote au point que le groupe La République en marche a fini, au Sénat, par s'abstenir. Le rescrit, le droit à l'erreur, le référent unique représentent autant d'avancées mais l'écart était devenu trop important entre nos deux versions. Ce texte, par sa nature, aurait pu déboucher sur un consensus mais le déroulement des débats a rendu l'exercice très difficile, voire insurmontable.
Mme Michelle Meunier. - Il me semble que nous en sommes déjà aux explications de vote sans avoir réellement commencé nos travaux...
La commission spéciale du Sénat a, comme celle de l'Assemblée nationale, beaucoup travaillé, avec la volonté d'avancer sur toutes les composantes d'un texte qui suscitait beaucoup d'attentes. Le groupe socialiste n'a pas changé d'attitude mais au-delà de notre volonté d'avancer, je perçois des dissonances sur bien des articles, parmi lesquels l'article 34, dont l'impact en matière économique et d'aménagement du territoire est notable. Nous sommes prêts à faire un pas supplémentaire mais si de votre côté, vous jugez que le consensus n'est pas possible parce que vous avez déjà autre chose en tête, mieux vaut le dire tout de suite.
Mme Stéphanie Kerbarh, députée. - En tant que députée de Seine-Maritime, où nous avons un projet important d'éoliennes en pleine mer - offshore - à Fécamp, je rejoins les propos de Mme Meunier.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Je ne peux pas ne pas répondre : nous n'avons pas été élus pour faire du théâtre et je pense que nous avons des choses à nous dire. L'article 34 n'était plus dans les points bloquants, mais peu importe : si nous voulons y arriver, nous y arriverons.
Je vous propose donc de vous donner l'état d'esprit du Sénat sur les différents points que le rapporteur de l'Assemblée a évoqués.
Sur l'article 2, qui porte sur le droit à l'erreur et le droit au contrôle, nous sommes prêts, pour faire aboutir la CMP, à renoncer aux dispositions introduites au Sénat en séance, c'est-à-dire l'inclusion dans le droit à l'erreur des sanctions prononcées au titre de la PAC laissées à l'appréciation des États membres et des sanctions administratives prononcées sur le fondement du code de l'environnement à l'encontre des exploitants d'installation qui n'ont pas été dûment autorisées ou enregistrées.
Sur l'article 2 bis A, qui concerne le droit à l'erreur des collectivités territoriales, nous sommes disposés à proposer une rédaction de compromis, en restreignant son champ d'application à certaines communes et groupements de communes via l'introduction d'un seuil. Le ministre des relations avec le Parlement m'a dit hier que, pour avoir été maire, il trouvait que cette possibilité offerte aux collectivités territoriales était bienvenue.
Pour faire aboutir la CMP, nous sommes également prêts à supprimer l'article 4 bis AA, sur le prélèvement à la source, ainsi que l'article 4 quinquies, relatif au pacte Dutreil.
Nous sommes prêts, de la même façon, à revenir sur la suppression de l'article 11, qui prévoit d'expérimenter l'acceptation tacite de propositions de rescrit.
Sur l'article 15 bis, qui porte sur l'expérimentation du référent unique dans les maisons de services au public, nous sommes disposés à rétablir la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale à condition de prévoir l'accord de tous les participants signataires de la convention-cadre. Cette rédaction permettrait qu'aucun participant à une maison de services au public - comme la Poste dans les départements ruraux - ne soit contraint par le nouveau dispositif du référent unique, tout en préservant l'apport de l'Assemblée nationale.
Sur l'article 16, qui touche à l'expérimentation du plafonnement de la durée des contrôles administratifs sur les PME, nous sommes prêts à renoncer à la modulation du plafonnement au profit des TPE, là encore dans la volonté de faire aboutir nos travaux.
Sur l'article 25, nous sommes disposés à supprimer la disposition ajoutée en séance sur le plan de financement obligatoire pour la construction de lieux de cultes.
Sur l'article 26, qui organise le « permis de faire », nous sommes d'autant plus disposés à revenir à la rédaction de l'Assemblée que nous l'avions approuvée sur le principe mais avions simplement ramené la durée de l'habilitation de dix-huit à douze mois.
Sur l'article 33, qui simplifie les modalités de consultation du public en matière d'installations classées agricoles, nous pourrions là aussi proposer une rédaction de compromis qui restreindrait le champ de cette expérimentation à certaines régions, comme le prévoyait le texte initial du Gouvernement, tout en reprenant les modifications proposées par le Gouvernement dans son amendement de rétablissement déposé au Sénat s'agissant des modalités d'affichage des avis d'ouverture de la participation du public.
Sur l'article 38, nous sommes enfin disposés à rétablir le texte de l'Assemblée sur les cultes et à proposer une rédaction de compromis sur l'inclusion des responsables publics locaux dans le champ d'application du répertoire numérique des représentants d'intérêts, en reportant son entrée en vigueur au 1er janvier 2022, pour éviter d'abroger la mesure.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à la connaissance des membres de la CMP et qui attestent de notre volonté de lever les points de blocage qui nous ont été communiqués hier par le rapporteur de l'Assemblée nationale, à qui je cède bien volontiers la parole.
M. Stanislas Guerini, député, rapporteur. - Merci pour cette volonté d'avancer. Je note toutefois que deux points de blocage fort subsistent. D'abord, sur le droit à l'erreur entre administrations. Le principe de votre proposition nous semble contraire à l'esprit du texte, qui concerne la confiance entre l'administration et ses usagers, particuliers ou entreprises. Un droit à l'erreur entre administrations pourrait même nuire à l'usager final, comme cela avait pu être évoqué par le Gouvernement lors des débats : ce pourrait être le cas si l'usager pâtissait de l'erreur d'une administration, en l'occurrence d'une collectivité, et que cette dernière ferait valoir son droit à l'erreur vis-à-vis d'une autre administration. J'entends les difficultés des petites communes mais cela reste un point de blocage principiel, que je réaffirme.
Deuxième sujet : l'éolien, que je n'avais certes pas repris dans la liste des articles qui nous posaient problème puisque ce ne sont pas les modifications apportées par le Sénat qui sont en cause, mais dont il a toujours été clair, dans mon esprit, qu'il s'agissait d'un point de blocage potentiel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai souhaité le mentionner dès le début de nos discussions. Il y a un vrai besoin de renégociation et en l'état, nous serions donc contraints de reprendre la rédaction de l'amendement tel que proposé par le Gouvernement au Sénat. Il me semblerait toutefois préférable de réécrire l'amendement du Gouvernement afin que ce dernier puisse clarifier ses intentions vis-à-vis de la filière de l'éolien offshore. Il ne s'agit pas de mettre à bas cette filière ni de différer dans le temps la réalisation de ces parcs éoliens. Pour avoir eu de nombreux échanges avec le Gouvernement ces derniers jours sur le sujet, l'idée serait, sur les projets les plus matures techniquement, de renégocier, par exemple, les conditions de financement de la dette, ce qui permettrait, à périmètre technique constant, de gagner près de 40 euros par MWh. Pour les projets plus lointains qui seront mis en service à l'horizon 2023-2024, une renégociation technique serait possible sans en différer la « sortie de mer ».
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Dois-je comprendre que vous convenez à présent de la difficulté juridique que j'avais soulevée, ou alors êtes-vous en mesure de nous proposer un amendement ? Sommes-nous dans un jeu de dupes ? Vous êtes en relation permanente avec le Gouvernement !
Mme Sophie Errante, députée, vice-présidente. - Je rejoins les propos du sénateur Bargeton. C'est l'esprit même du texte qui est modifié, et jusqu'à son titre : nous aurions à revenir au texte adopté par l'Assemblée. Vous nous présentez une version qui en est très éloignée. Nos points d'achoppement ne sont pas conciliables, et nous ne pouvons pas aboutir à une CMP conclusive. Il faut une nouvelle lecture car nous n'arriverons pas à nous mettre d'accord.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - J'entends cette fin de non-recevoir. Je n'ai aucun problème avec la divergence des opinions, mais ne dites pas que nous avons réécrit complètement le texte : nous nous sommes vus, nos équipes ont travaillé, et il ne restait plus qu'une douzaine d'articles sur les 89 encore en discussion, sur lesquels nous étions prêts à faire des concessions.
Mme Pascale Gruny, sénatrice. - Je suis très étonnée car ce n'est pas la première CMP à laquelle je participe. Quand on a des points de blocage, on fait des propositions. Nous en faisons, vous ne nous proposez rien ; vous arrivez même, si j'ose dire, les mains dans les poches, sans un amendement. Je trouve cette attitude très choquante ! Sur ce texte très attendu, le Sénat a beaucoup travaillé. Ce que nous ressentons de votre part, c'est du mépris. Je suis très déçue. Sur l'article 34, il y a des attentes énormes. Certes, votre objectif est de modifier des contrats, mais il faut penser aux conséquences sur les entreprises de la filière. Au Sénat, nous avons la culture du consensus. Vos propos sont cinglants, madame la vice-présidente.
M. Jean-Claude Luche, sénateur, rapporteur. - Je suis aussi surpris par vos propos, madame la vice-présidente. Sur tous les points qui vous posaient problème, nous avons accepté d'aller dans votre sens, ce qui était un geste très fort de la part du Sénat. Cet article 34 est au coeur de nos discussions : mettez-vous donc d'accord entre vous sur l'issue que vous voulez donner à ce problème ! Pour l'heure, il nous semble que vous l'utilisez comme un moyen de faire échouer une CMP à laquelle nous sommes venus pleins de bonne volonté. Les efforts que nous pouvions faire ont été faits. Dites-nous donc clairement que vous êtes entrés dans cette salle en sachant que nous n'aboutirions pas. Je vois que vous acquiescez. Je le regrette, car le Sénat a fait un effort.
Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Je suis déçue aussi. L'article 34 ne concerne pas que la Loire-Atlantique ! Cette remise à plat annule tout. Il n'y a pas que l'article 34 dans ce texte, et le Sénat a fait preuve d'un état d'esprit très constructif en étant force de proposition pour rapprocher les positions de nos deux assemblées. Que signifie réellement votre volonté d'aboutir dans ces conditions ? Je ne veux pas dramatiser mais ce n'est pas très bon signe pour le débat parlementaire dont on parle tant en ce moment. C'en est même navrant.
M. Arnaud Viala, député. - Le groupe Les Républicains de l'Assemblée s'est abstenu sur ce texte alors qu'il avait contribué à l'enrichir et, sur nombre d'articles, avait fait des concessions pour aboutir à un accord. Mais sur l'éolien, nous avons eu deux déconvenues. D'abord, l'exposé des motifs de l'article 34 était trompeur : sous couvert de mesures sur l'éolien offshore, il faisait passer des mesures sur l'éolien terrestre. Puis, dans le cours de la discussion, au lieu de rectifier ce problème, vous avez fait en sorte de nous imposer quelque chose dont nous ne voulions pas. Je constate que les efforts du Sénat ne permettent pas d'aboutir mais regrette que la décision de faire échouer la CMP ne nous ait pas été annoncée en amont : avec nos agendas, nous pouvons nous passer de telles tergiversations pour aboutir à un échec mais que l'on ne s'y méprenne pas : notre abstention était essentiellement motivée par ces dispositions sur l'éolien.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - N'oublions pas qu'il s'agit d'un texte qui vise à rétablir la confiance...
Mme Sophie Errante, députée, vice-présidente. - J'ai conduit cette commission spéciale sans mépris et en respectant l'avis de chacun, mais n'essayez pas de faire passer des vessies pour des lanternes : vous avez considérablement modifié notre texte ! Quand on veut aboutir à une CMP conclusive - j'en ai connu - on travaille en bonne intelligence auparavant pour co-construire un compromis. Un texte issu de CMP doit ensuite être voté par les majorités que nous représentons. Actuellement, je ne peux m'engager à faire accepter un tel compromis à l'Assemblée.
M. Gaël le Bohec, député. - Nous devons défendre le texte voté dans notre assemblée où, même sans les élus de la République En Marche, il a recueilli une centaine de voix favorables, contre une quarantaine d'opposition. Si vous y faites 89 changements, c'est beaucoup !
M. Stanislas Guerini, député, rapporteur. - Aucun mépris non plus : je suis cordial, constructif et pragmatique. Nous avions, en amont, repéré nos points de désaccord. Nous n'arrivons pas les mains dans les poches : sur l'éolien, la CMP pourrait adopter l'amendement du Gouvernement et dans l'hypothèse d'une nouvelle lecture nous aurons l'opportunité de retravailler le dispositif. Telle est notre position.
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Merci. Je vous répète en tout cas que, sur l'éolien, il y a une grande fragilité juridique au niveau constitutionnel. Je constate que c'est d'ailleurs ce sujet qui a également posé problème à l'Assemblée nationale, et c'est lui qui aujourd'hui pollue complètement notre débat. Je vous invite par ailleurs à reconsidérer ce que vous appelez un point de blocage s'agissant du droit à l'erreur au profit des petites collectivités, et nous sommes à votre disposition pour en discuter. J'ai compris le fait majoritaire, que je connais bien. Ce n'est certes pas le texte-phare du Gouvernement...
Mme Sophie Errante, députée, vice-présidente. - Nous avons fait campagne dessus, tout de même...
M. Jean-François Husson, sénateur, président. - Quand on veut créer un nouveau climat de confiance, cela crée des obligations. Nous avons apporté notre contribution. J'en appelle à notre responsabilité collective. Je constate que nous ne pouvons aboutir à un accord - et j'aurais aimé en être averti plus tôt. Peut-être connaîtrons-nous un jour le fin mot de cette attitude. Je vous remercie et vous souhaite une bonne journée.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi.
La réunion est close à 10 h 15.
Vendredi 6 avril 2018
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente -La réunion est ouverte à 10 h 05.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection des données personnelles s'est réunie à l'Assemblée nationale le vendredi 6 avril 2018.
Elle a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau, constitué de Mme Yaël Braun-Pivet, députée, présidente, M. Philippe Bas, sénateur, vice-président, de Mme Paula Forteza, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale, et de Mme Sophie Joissains, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.
La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
Mme Yaël Braun-Pivet, députée, présidente. - Le projet de loi relatif à la protection des données personnelles a pour objet d'adapter la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 - qui a longtemps été un modèle de législation en la matière à l'international - au nouveau cadre réglementaire adopté au niveau européen. Ce texte a été examiné dans chacune des deux assemblées.
Je cède la parole successivement à Mmes Sophie Joissains, rapporteure pour le Sénat, et Paula Forteza, rapporteure pour l'Assemblée nationale.
Mme Sophie Joissains, rapporteure pour le Sénat. - Avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, nous nous sommes réunies deux fois et avons eu une discussion très constructive : c'est pourquoi je pense qu'il est possible aujourd'hui de trouver un compromis.
Mme Paula Forteza, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - En première lecture, la majorité a souhaité inscrire dans ce texte plusieurs sujets importants, qui constituent en quelque sorte des « marqueurs » de l'orientation que nous avons voulu donner à ce projet de loi et qui ont été largement soutenus sur tous les bancs, puisque le projet de loi a été adopté à 523 voix.
La première priorité est la conciliation de l'exigence de protection des intérêts de l'enfant avec la nécessaire adaptation de la législation à la réalité des pratiques numériques. C'est pour cela que nous avons abaissé de 16 à 15 ans le seuil de consentement des mineurs au traitement de leurs données sur les réseaux sociaux, et cette proposition a recueilli, à l'Assemblée nationale, un très large consensus. Il s'agissait de la mesure sur laquelle l'ensemble des sensibilités politiques s'est retrouvé. Le Sénat n'a cependant pas conservé cette disposition.
Le deuxième sujet important est le renforcement des capacités d'action des citoyens face aux atteintes à la protection de leurs données personnelles. C'est pour cette raison que nous avons défendu l'extension de l'action de groupe en matière de protection des données personnelles à la réparation des préjudices matériels et moraux. Mais le Sénat a limité la portée de cette évolution, en différant de deux années, au 25 mai 2020, l'entrée en vigueur du dispositif et en soumettant à un agrément délivré par l'autorité administrative la faculté pour une association d'exercer une action de groupe. Dans un souci d'équilibre général du texte entre la responsabilisation des acteurs traitant des données et les droits ouverts aux citoyens, ce report ne nous semble pas possible.
Le troisième axe essentiel de nos travaux est de favoriser une plus grande protection des personnes face au profilage. C'est l'objet de l'article 14 relatif à la transparence des algorithmes utilisés par l'administration, sur lequel nous avions trouvé un dispositif qui nous paraissait équilibré et clarifiant les conditions ainsi que les garanties minimales applicables en cas de mise en oeuvre d'un traitement algorithmique. Notre objectif a été de rendre l'article le plus intelligible possible pour que les citoyens en saisissent bien la portée et que leurs droits soient clairement établis. Toutefois, le Sénat a sensiblement modifié ce dispositif dans son ensemble.
La dernière orientation majeure de nos travaux est le renforcement de l'expertise du Parlement en matière de protection des données personnelles. En première lecture, nous nous étions assez largement retrouvés autour de la possibilité nouvelle pour les présidents de commissions et de groupes parlementaires de saisir pour avis la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur une proposition de loi. C'est un enjeu majeur à l'heure de la digitalisation de l'ensemble des secteurs d'activités de la société. Nous voyons déjà que la plupart des textes qui se présentent à nous comportent des dispositions relatives au numérique. Il est donc essentiel de donner les clés de compréhension au Parlement. Cette disposition a cependant été supprimée par le Sénat, alors qu'elle constituait pour nous un élément important de revalorisation des moyens du Parlement et des droits de l'opposition.
À ces points se sont ajoutés au moins trois autres sujets de désaccord assez profond.
Le premier sujet de désaccord est le fléchage du produit des amendes et astreintes prononcées par la CNIL. Dédié au financement de l'assistance apportée par l'État aux responsables de traitement et à leurs sous-traitants, un tel fléchage, par son caractère systématique, ne nous paraît ni opportun, ni compatible avec les règles budgétaires fixées par la loi organique relative aux lois de finances.
Le deuxième désaccord porte sur l'encadrement des traitements de données pénales par des organismes privés. Si nous retenions le texte voté par le Sénat, l'action des associations de victimes et d'aide à la réinsertion se trouverait fragilisée. De plus, l'open data des décisions de justice deviendrait quasiment impossible à mettre en oeuvre compte tenu des exigences posées par le Sénat en la matière.
Le dernier sujet porte sur les règles applicables aux fichiers de police et de justice. Plusieurs des dispositions introduites par le Sénat nous semblent soit contraires à la directive européenne - notamment certaines obligations de moyen qui ont été transformées en obligations de résultat - soit en surtransposer le contenu. Or notre objectif en la matière est de ne pas fragiliser à l'excès l'action des services en matière pénale.
Enfin, des divergences d'appréciation entre l'Assemblée nationale et le Sénat se sont fait jour sur la question de la prise en compte de la spécificité des collectivités territoriales. Il ne fait aucun doute que les collectivités territoriales, surtout les plus petites, doivent voir leurs besoins et spécificités pris en compte dans la manière d'appliquer les nouvelles règles, tout comme c'est le cas pour les entreprises. La CNIL nous a d'ailleurs indiqué qu'elle multipliait et multiplierait, dans les prochains mois, les efforts d'accompagnement des acteurs qui disposent de faibles moyens en vue de faciliter leur mise en conformité. La CNIL n'ayant plus simplement un rôle d'organe de contrôle et ayant à coeur de remplir cette nouvelle mission d'accompagnement, elle insiste beaucoup sur cette nouvelle activité. Le Sénat a proposé plusieurs dispositifs à destination des collectivités territoriales, dont la création d'une dotation communale et intercommunale pour la protection des données personnelles et l'exemption d'astreintes et d'amendes administratives. Aucune de ces deux propositions ne nous semble acceptable.
Le principe de l'exemption soulève en lui-même de sérieuses objections de principe, notamment au regard du principe d'égalité ainsi que de la sensibilité et de la quantité de données personnelles collectées et traitées par les collectivités territoriales.
Il est utile de rappeler que les collectivités territoriales détiennent des données telles que la composition des familles, qui peuvent par exemple révéler l'orientation sexuelle des individus, des données relatives aux aides financières - prestations sociales, allocations ou bourses - ou encore des données de santé, toutes sensibles. Il ne faut pas déresponsabiliser ces acteurs : même s'ils méritent effectivement une attention particulière, ils ne peuvent pas avoir de traitement différent par rapport à d'autres acteurs publics (hôpitaux, organismes indépendants) et, plus généralement, aux acteurs économiques, notamment les petites et moyennes entreprises.
Les amendes et les astreintes sont un élément central du changement de paradigme et du nouvel équilibre proposé par le règlement européen, qui consiste à alléger au maximum les formalités préalables et à responsabiliser les acteurs. Dans ces conditions, ce sont bien les pénalités financières qui servent d'éléments dissuasifs pour garantir que les différents acteurs mettront tout en oeuvre pour protéger les données personnelles et sécuriser leurs systèmes de traitement.
Compte tenu de l'ensemble de ces divergences, et malgré le travail intense que nous avons mené avec la rapporteure du Sénat pour rapprocher nos points de vue, il ne me paraît donc pas possible d'aboutir à un accord.
Mme Sophie Joissains, rapporteure pour le Sénat. - Le Sénat a abordé ce texte complexe, technique et urgent dans un esprit d'ouverture : tout en approuvant les grandes orientations du projet de loi initial et la plupart des apports de l'Assemblée nationale, sauf exceptions ponctuelles, notre assemblée s'est attachée, d'une part, à mieux accompagner les petites structures - c'est-à-dire les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que les collectivités territoriales - dans la mise en oeuvre de leurs nouvelles obligations et, d'autre part, à renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.
Nous avons d'abord tenu à répondre aux attentes et aux vives inquiétudes des petites structures que sont les TPE-PME et les collectivités territoriales. Leurs représentants nous ont tous confié qu'ils ne seraient absolument pas prêts pour l'entrée en vigueur du règlement européen le 25 mai prochain. C'est donc en pensant à elles, et pour mieux les accompagner, que le Sénat a voulu dégager de nouveaux moyens financiers, en « fléchant » le produit des amendes et astreintes prononcées par la CNIL à leur intention, et en créant une dotation communale et intercommunale pour la protection des données personnelles. Le Sénat a également voulu faciliter la mutualisation des services numériques entre collectivités, réduire l'aléa financier pesant sur ces dernières en supprimant la faculté pour la CNIL de leur imposer des amendes administratives et en reportant de deux ans l'entrée en vigueur de l'action de groupe en réparation en matière de données personnelles, et encourager la diffusion d'informations et l'édiction de normes de droit souple par la CNIL, adaptées aux besoins et aux moyens des collectivités comme des TPE-PME.
Il a paru indispensable au Sénat de reconnaître la spécificité des collectivités territoriales. Elles sont responsables de nombreux traitements sur lesquels elles n'ont pas prise, car ils découlent d'obligations légales ou de compétences transférées (fichier d'état civil, fichier des cantines scolaires, fichiers d'aide sociale, listes électorales, fiscalité locale, cadastre...). Il faut entendre l'inquiétude de nos élus locaux : ils ne sont absolument pas préparés, ni même informés. Ils découvrent tardivement qu'ils sont sous la menace de sanctions pécuniaires de la CNIL et pourraient être mis à terre par une condamnation trop lourde dans le cadre d'une action de groupe - sans compter les risques d'abus de droit, de quérulence ou d'extorsion auxquels ils nous ont dit être parfois exposés. Je ne veux pas anticiper sur nos discussions, mais, sur un sujet aussi sensible que les sanctions infligées aux collectivités, je ne comprends pas que le groupe majoritaire de l'Assemblée nationale aille jusqu'à refuser certaines mesures de bon sens, unanimement adoptées au Sénat, soutenues par toutes les grandes associations d'élus, et même acceptées par le Gouvernement. Les élus locaux jugeront...
Le Sénat a également souhaité rééquilibrer certains éléments du dispositif pour renforcer la protection des droits et libertés des citoyens. Adoptant des propositions largement transpartisanes - émanant de tous les groupes politiques - et fidèle à son rôle traditionnel de chambre des libertés, le Sénat a proposé de rétablir l'obligation d'autorisation préalable des traitements de données portant sur les infractions, les condamnations et les mesures de sûreté, et de préciser les conditions d'extension de la liste des personnes autorisées à mettre en oeuvre ces traitements. Il a également proposé d'encourager le recours aux technologies de chiffrement des données pour assurer leur sécurité, de conserver le droit général à la portabilité des données, personnelles comme non personnelles, pour permettre de faire véritablement jouer la concurrence entre services en ligne, de s'assurer que les utilisateurs de terminaux électroniques aient le choix d'y installer des applications respectueuses de la vie privée, d'encadrer plus strictement l'usage des algorithmes par l'administration pour prendre des décisions individuelles et de renforcer les garanties de transparence en la matière, par exemple pour les inscriptions à l'université avec le dispositif « Parcoursup ». Pourquoi les étudiants n'auraient-ils pas le droit d'accéder aux informations nécessaires pour comprendre les raisons d'un refus d'inscription dans une université de leur choix ? Le consensus qui s'est dégagé en commission comme en séance témoigne de la justesse de notre approche et de la qualité du travail sénatorial sur ce texte.
Je veux, pour conclure, vous le dire très franchement : je regrette vivement qu'un accord ne soit pas possible ce matin. Ce n'est pas de notre fait. Le Sénat n'a pas ménagé ses efforts tout au long de cette semaine comme en témoignent les deux rencontres avec mon homologue à l'initiative de nos deux présidents, que je souhaite remercier pour leur intervention. Plus de trois longues heures de négociations au total nous ont permis de balayer l'ensemble des 43 articles du texte, d'aplanir nos principales divergences, de rapprocher nos points de vue et même d'échanger des propositions de rédaction. Nous avions l'espoir hier d'un compromis global, mis sur la table et accepté par le Sénat, au prix de concessions réciproques, mais malgré tous nos efforts, nous avons appris tardivement que l'Assemblée nationale ne voulait plus de ce compromis ou, plus exactement, que le groupe majoritaire ne souhaitait pas, par principe, transiger avec le Sénat. Nous en prenons acte, mais nous regrettons le manque de considération pour les travaux du Sénat et le manque de responsabilité s'agissant d'un texte d'adaptation au droit européen qui doit être adopté rapidement. Le Sénat continuera à défendre, en nouvelle lecture, et au besoin devant le Conseil constitutionnel, la position largement consensuelle dans notre assemblée : nous étions prêts au compromis mais nous refuserons tout recul pour nos libertés publiques, nos entreprises et nos collectivités territoriales.
M. Rémy Rebeyrotte, député. - Je me réjouis que nous abordions aujourd'hui ce sujet très important de la protection des données personnelles. Nous savions que le Sénat souhaiterait prendre en compte la situation particulière des collectivités territoriales, comme il le fait régulièrement sur de nombreux sujets.
Nous ne sommes cependant pas favorables à ce que les collectivités territoriales échappent à l'équilibre général du texte. Celui-ci prévoit déjà des obligations allégées pour les structures de moins de 250 salariés. En revanche, lorsqu'une collectivité territoriale compte plus de 250 agents, cela signifie qu'elle dispose déjà d'un niveau d'organisation suffisant, avec des structures et des équipes de 5 à 6 personnes référentes en matière d'informatique et de fichiers. De nombreuses collectivités se préparent déjà à l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, avec la désignation d'un délégué à la protection des données. Le fait pour un élu de disposer d'agents responsables de la gestion des fichiers à ses côtés est d'ailleurs sécurisant.
De plus, l'application de la nouvelle réglementation permettra de prévenir les risques de dérives, comme cela a été le cas dans une ville du sud de la France où un élu avait commencé à établir un fichier comportant des données ethniques pour gérer ses structures scolaires. Ceci est particulièrement important dans le domaine des fichiers où un lien peut facilement être fait entre la technique et des considérations politiques.
Il est donc essentiel que les collectivités territoriales les plus importantes bénéficient des apports du texte et adaptent leur organisation, notamment pour se garantir d'éventuelles dérives.
Certes, le maire pourra être condamné pénalement mais la durée de la procédure, ainsi que le fait que la condamnation soit uniquement personnelle, en limitent l'efficacité, ce qui ne permettra pas de remettre en cause l'organisation défaillante. Nous souhaitons, comme la CNIL, que les communes puissent faire l'objet de sanctions financières, ce qui obligera le maire à venir s'expliquer devant le conseil municipal. Dans ce domaine, j'estime que l'exécutif d'une collectivité territoriale a une responsabilité aussi importante que celle d'un chef d'entreprise.
L'État n'est nullement exonéré des obligations prévues par le texte. Les particularités s'expliquent par le fait qu'il gère des fichiers régaliens, d'ailleurs très encadrés. Dans de nombreux autres domaines, il est soumis aux obligations générales prévues par le texte.
Il s'agit de retenir une démarche d'exemplarité et de ne pas exonérer les élus locaux d'obligations qui s'imposent aux autres acteurs. Cette exemplarité vaut aussi au niveau européen : il ne faudrait pas exclure de la nouvelle réglementation des pans entiers de la vie sociale de notre pays.
Mme Paula Forteza, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes d'accord pour soutenir les collectivités territoriales dans leurs efforts d'adaptation au règlement européen et les aider à renforcer la sécurité de leurs systèmes de gestion des fichiers mais pas pour les exempter de la nouvelle réglementation, ce qui enverrait un signal négatif aux citoyens.
M. Jean-Yves Leconte, sénateur. - Je regrette que nous n'ayons pas pu parvenir à un accord car j'ai entendu des arguments de bon sens. La question des collectivités territoriales est essentielle. Il est normal de renforcer les garanties s'agissant du traitement de certaines données, comme les images recueillies par la vidéosurveillance. De manière plus générale, compte tenu des capacités actuelles des traitements et du nombre de fichiers concernés, le point essentiel du règlement européen n'est pas la sanction mais la prévention, qui implique des actions de formation et d'analyse des risques. Il faut faire de la pédagogie, même pour les données les plus basiques.
Le Sénat avait proposé des évolutions s'agissant de la certification des objets connectés, de la transparence des algorithmes utilisés pour les admissions dans l'enseignement supérieur et de l'obligation de chiffrement, à chaque fois que possible, pour protéger les données personnelles. Nous changeons actuellement de paradigme ; les objets connectés sont par exemple une nouvelle source de risques.
La position de l'Assemblée nationale, qui refuse de prendre en compte les apports du Sénat, malgré des échanges fournis entre les rapporteures, ne correspond pas à l'esprit d'une commission mixte paritaire. Ce ne sont pas les présidents de groupe qui doivent décider en fonction de l'importance numérique des parlementaires. Cette attitude conduit à écarter certaines avancées importantes et à retarder la transposition du règlement européen.
Mme Constance Le Grip, députée. - Au nom du groupe Les Républicains, je regrette qu'aucun accord ne puisse être trouvé. Nous sommes sensibles au travail accompli par le rapporteure du Sénat et par l'ensemble des sénateurs, qui avait permis de renforcer la protection des libertés individuelles et de prendre en compte l'intérêt des collectivités territoriales. Je ne dispose pas du détail des discussions entre les rapporteures et des compromis envisagés mais je regrette cet échec qui ne permet ni d'assurer la transposition dans les délais fixés par le règlement européen ni de renforcer les libertés individuelles, alors que plusieurs scandales récents en ont illustré la nécessité.
Mme Christine Hennion, députée. - Nous serions très heureux de trouver un compromis avec le Sénat, au regard de l'importance de ce texte dans un siècle où le numérique a pris l'importance que l'on sait. Quand je vous écoute, j'ai l'impression que les collectivités territoriales découvrent le sujet de la protection des données personnelles alors que la loi encadre ces questions depuis 1978 et que la CNIL veille à sa bonne application... On ne part donc pas de rien.
Je suis pour ma part attachée au principe de responsabilité. Il y a eu des avancées au Sénat, dont nous tiendrons compte. Toutefois, plusieurs lignes rouges ont été franchies, ce qui nous empêche de parvenir à un accord.
Mme Sophie Joissains, rapporteure pour le Sénat. - En vous entendant, j'ai le sentiment que nous ne parlons pas du même texte ! Il n'est pas question d'exempter les collectivités territoriales de leurs obligations mais, simplement, de faire en sorte que le public ne taxe pas le public, en exonérant l'État comme les collectivités du paiement des amendes. La responsabilité des collectivités, mais aussi la responsabilité pénale des maires, continuera à pouvoir être engagée.
Nos collègues députés n'ont pas une conscience claire de ce qu'est une collectivité ; nous, nous pensons aux plus petites d'entre elles et avons le souci de ne pas traiter indifféremment une commune et une entreprise.
Mme Christine Hennion, députée. - L'objectif de ce texte réside dans la protection des citoyens, pas celle des collectivités...
Mme Paula Forteza, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je tiens à souligner la qualité du travail de nos collègues sénateurs. Ces apports importants seront pris en considération et ils pourront être intégrés lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. J'observe cependant que, sur la question des exemptions, nos collègues n'ont pas fait de pas vers nous. Il n'est pas acceptable pour nous de poser un principe de déresponsabilisation des collectivités territoriales.
M. Philippe Bas, vice-président. - S'il y a un texte sur lequel je ne m'attendais pas à un désaccord, c'est bien celui-là. Tout d'abord en raison de sa nature : il s'agit d'adapter notre droit à un règlement européen, sur lequel notre marge de manoeuvre est très faible. Ensuite parce que c'est un texte dont chacun reconnaît l'utilité et qui arrive à point nommé. Nous partageons tous la conviction que ce règlement va nous donner plus de force pour lutter contre les abus et permettre aux citoyens européens d'être mieux protégés.
Le sujet sur lequel nous butons est devenu un abcès de fixation disproportionné. Une commune, même si elle a le même nombre de collaborateurs qu'une entreprise, n'est en pas une, nous pourrions tous en convenir ! Elle a des missions de service public, elle est soumise à des contrôles spécifiques, comme le contrôle de légalité. Il existe des fondements théoriques et pratiques solides à un traitement différencié des communes. Ce sont des entités de nature profondément différente, ce qui justifie de les traiter différemment. Par conséquent, on ne peut qu'être surpris de votre exigence d'uniformisation des règles.
Nous butons sur ce point, alors que les points de convergence sur le texte étaient nombreux, et que nos deux rapporteures s'étaient montrées prêtes à aplanir certaines difficultés. Je pense en particulier à l'âge du consentement au traitement des données personnelles, à l'action de groupe ou encore à l'avis de la CNIL sur les propositions de loi, autant de sujets sur lesquels le Sénat était prêt à se rallier à la position de l'Assemblée nationale. Formaliser les demandes d'avis à la CNIL dans la loi, nous n'en voulions pas, parce que c'est superflu : elle peut être saisie par tout parlementaire à tout moment. Mais ce n'aurait pas été la première fois que nous aurions inscrit dans la loi des dispositions superfétatoires, afin de nouer par ailleurs d'utiles compromis...
Il y a aussi des dispositions qui nous séparent mais sur lesquelles - puisque vous parlez beaucoup au nom de nos concitoyens - vous pourriez aussi faire vôtre notre position. Je n'aimais pas le tirage au sort pour la sélection à l'entrée à l'université, mais substituer à ce système des algorithmes dont la définition et les critères sont cachés aux étudiants, qui vont se voir refuser l'entrée à l'université en application de ces algorithmes, ce n'est pas une grande preuve de la force de conviction qui s'attache à la protection des libertés et que vous avez essayé de mettre de votre côté.
Honnêtement, arriver, par accident, à ne pas s'entendre sur un texte important, où notre marge de manoeuvre est faible et sur lequel la protection des libertés et la défense des collectivités territoriales auraient pu nous réunir, nous allons avoir beaucoup de mal à l'expliquer. Ce que, en revanche, nous n'aurons pas de mal à expliquer, nous sénateurs, lorsque nous écrirons aux maires pour leur rendre compte de nos travaux, c'est l'incompréhension dont le législateur aura fait preuve à l'égard des communes. Ce que nous aurons par ailleurs du mal à expliquer à l'Europe, c'est que nous ne tiendrons pas la date du mois de mai pour l'adoption de ce texte, puisque je vous rappelle - et le Sénat est très attaché à cette procédure, je tiens à le souligner dans le contexte à venir de la révision constitutionnelle - qu'après l'échec de la commission mixte paritaire, il y a une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, une nouvelle lecture au Sénat et enfin la lecture définitive par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement sera sans doute ravi de devoir modifier l'ordre du jour prioritaire pour tenir compte de cet échec que lui-même n'avait pas anticipé...
Je ne suis pas du tout en colère mais je tiens à souligner qu'à l'avenir il nous faudra être attentif à ne pas nous diviser inutilement et à préparer les commissions mixtes paritaires de telle manière qu'elles aboutissent, dans l'intérêt général.
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. - Cet échec annoncé n'est pas le fruit d'un accident. La commission mixte paritaire a été précédée de longs échanges entre les rapporteures, qui n'ont pas permis d'aboutir à un compromis total sur l'ensemble des dispositions du texte restant en discussion. Le président Philippe Bas et moi-même n'avons pas non plus ménagé nos efforts pour aider les rapporteures à trouver un accord. Malheureusement cela n'a pas été possible.
Le rôle de la commission mixte paritaire n'est pas seulement de trouver un accord qui satisfasse ses membres mais de parvenir à un texte susceptible d'être voté par les deux assemblées. Or, il est apparu que l'accord qui aurait pu être souhaité, en tout cas celui que vous nous proposiez, n'était pas acceptable par la majorité de l'Assemblée nationale. Il faut respecter l'esprit de nos institutions selon lequel la commission mixte paritaire a besoin de voir ses conclusions approuvées par chacune des assemblées.
Je vous rappelle que, depuis le début de la législature, pour ce qui concerne les textes renvoyés à la commission des Lois, sept commissions mixtes paritaires se sont tenues dont six ont abouti. Le dernier échec remonte au mois de juillet 2017. Cela témoigne d'une volonté partagée de trouver des convergences. Mais, si dans la très grande majorité des cas, les commissions mixtes paritaires aboutissent, cela ne peut être à n'importe quel prix.
Nous espérons pouvoir respecter la date d'entrée en vigueur que nous impose le règlement européen. C'est pourquoi ce projet de loi sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dès jeudi prochain, après avoir été examiné par la commission des Lois mardi après-midi.
M. Philippe Bas, vice-président. - Je ne vous cache pas que nous nous posons des questions quant à la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi, que nous soumettrons au Conseil constitutionnel, d'où notre crainte relative au non-respect du calendrier.
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. - Je vous remercie. Je constate donc l'échec de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection des données personnelles.
La réunion est close à 10 h 55.