Mercredi 14 mars 2018
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
L'avenir du transport ferroviaire - Audition de M. Jean-Cyril Spinetta
M. Hervé Maurey, président. - Nous sommes heureux d'accueillir Jean-Cyril Spinetta qui va nous présenter le rapport qu'il a remis au Premier ministre sur l'avenir du transport ferroviaire. Comme nous le savons tous, M. Spinetta a occupé d'importantes fonctions dans le domaine aérien. Le domaine ferroviaire lui apporte aujourd'hui une notoriété dont il se passerait peut-être. Le Gouvernement lui a demandé de mener une mission de réflexion sur l'avenir de notre système ferroviaire, notamment sur la stratégie de desserte du transport ferroviaire, sur la question du financement du réseau et sur l'ouverture à la concurrence.
Sur un grand nombre de points, nous sommes en phase avec ce que vous avez proposé dans votre rapport, notamment la régénération du réseau, la nécessité absolue de traiter la dette, même si sur ce point vous avez été relativement discret. Nous sommes également en phase avec l'indispensable modernisation de la SNCF.
Sur la question de l'ouverture à la concurrence, vous avez repris certains points qui figurent dans notre proposition de loi. Je pense notamment aux transferts de personnels, à la transmission des données et à la question du matériel roulant et des ateliers.
En revanche, certaines de vos propositions nous ont surpris, pour ne pas dire plus. Selon vous, le transport ferroviaire aurait toute sa place pour assurer les « transports du quotidien en zone urbaine et périurbaine et [les] dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises ». Au Sénat, nous estimons que les lignes ne peuvent être évaluées sous le seul angle économique : vous le savez, nous sommes très attachés à l'aménagement du territoire. Nous ne pouvons donc cautionner votre proposition de supprimer certaines petites lignes.
Nous différons également sur la question de l'ouverture à la concurrence : vous proposez un open access pour les lignes TGV, c'est-à-dire une concurrence totalement libre, pour ne pas dire débridée, ce qui conduirait à l'abandon des lignes moins rentables. Ce n'est pas la solution que nous préconisons dans notre proposition de loi. Dans le même temps, vous envisagez la conclusion de contrats de services publics par les autorités organisatrices de transport, ce qui atténuerait cet open access, mais cela signifierait que les voyageurs subiraient des ruptures de charge, et devraient changer de train au cours de leurs voyages. L'ouverture à la concurrence apporterait une moindre qualité de services à l'usager alors que nous faisons le pari inverse.
Nous avons deux autres désaccords. La date de l'ouverture à la concurrence, d'abord. Pourquoi avoir retenu 2023 ? Est-ce sous la pression de l'administration française ? Tout le monde estime que cette ouverture doit avoir lieu en 2019. Le rattachement de Gares et Connexions à SNCF Réseau, ensuite : cela ne nous paraît pas pertinent compte tenu de la dette de cette structure, même si vous proposez son allègement. En outre, SNCF Réseau subit une tutelle très forte de l'administration qui pourrait nuire à la gestion et à l'investissement s'agissant des gares.
M. Jean-Cyril Spinetta, auteur du rapport sur l'avenir du transport ferroviaire. - Merci de me permettre de m'exprimer sur le rapport que j'ai remis au Gouvernement en février dernier.
J'ai été frappé de l'extrême qualité des rapports rédigés par diverses personnalités ou par des parlementaires : rapport de M. Rivier, rapport des députés Savary et Pancher, proposition de loi de M. Nègre, rapport Grignon... Malgré cela, la décision publique est restée en quelque sorte paralysée.
Contrairement à une idée courante, le transport ferroviaire de voyageurs regagne d'importantes parts de marché. Mode de transport en déclin ? Depuis un point bas en 2000, il a regagné des parts de marché sur l'ensemble des offres de mobilité offertes aux Français. Il reste tout à fait moderne et il pourra encore se développer dans les années à venir.
Mon deuxième sujet d'étonnement a porté sur l'état du réseau ferroviaire français. Avec le réseau allemand, ce réseau est le plus important d'Europe : 29 000 kilomètres de lignes et 50 000 kilomètres de voies. Depuis près de 30 ans, il a souffert d'absence d'investissement en matière de renouvellement et de régénération. En 2005, le professeur Rivier avait été mandaté par la SNCF pour dresser un état du réseau : « Si la situation actuelle devait perdurer (les moyens alloués à la maintenance des infrastructures se réduisent de 3 % par an en valeur constante), ne subsisterait à l'horizon 2025 qu'un tiers du réseau ferré national. La totalité du réseau capillaire - les groupes UIC 7 à 9 - ne pourra plus être normalement exploitée dès 2011-2015 ». Les conclusions de ce rapport étaient sans aucune ambiguïté.
Concernant les dépenses de renouvellement et de régénération du réseau, la grande oubliée de 1980 à 2010 a été la région Ile-de-France. Il n'y a eu pratiquement aucun investissement sur ce réseau qui est de très loin le plus utilisé. Les chiffres sont aujourd'hui encore extrêmement préoccupants. L'effort consenti à partir de 2010, accru à partir de 2013, devra à l'évidence être poursuivi dans la durée.
Troisième sujet d'étonnement, l'importance des concours publics au secteur ferroviaire. Loin de baisser, ils n'ont cessé d'augmenter. Pour le groupe SNCF, les besoins annuels de financement sont de l'ordre de 22 milliards alors que les recettes commerciales sont un peu inférieures à 9 milliards. Les concours publics - subventions d'investissement et de fonctionnement - dépassent 10 milliards. Le déficit de financement s'élève donc à 3 milliards par an depuis 2013 et il ne cesse de se confirmer année après année.
Le montant de ces concours publics est, à mon sens, justifié, ils sont inhérents au modèle économique de ce mode de transport. Le constat est identique dans tous les pays européens. Il faut s'assurer cependant que chaque euro public investi engendre une valeur supérieure pour les usagers. Je vise les externalités positives : gains de temps pour les personnes, effets externes sur la pollution, gains de productivité pour les entreprises. Bref, l'ensemble des données socio-économiques qui permettent de justifier les investissements publics. Il faut aussi s'assurer que chaque euro public investi l'est de la manière la plus efficace.
C'est à partir de ces deux constats de bon sens que j'ai essayé d'articuler l'ensemble de mes propositions. Vous avez, monsieur le président, évoqué un premier sujet - écarté par le Gouvernement - concernant les petites lignes. Comparé aux autres réseaux européens, le nôtre est le seul qui comprenne des lignes classées de 7 à 9. Le professeur Rivier disait en 2005 : « Parmi les réseaux européens comparés, seul le réseau national français compte une telle proportion de lignes à faible trafic. Il y a lieu de s'interroger sur la pertinence du maintien d'un trafic très faible sur un système conçu pour un transport de masse ». Ce qui conduit à s'interroger sur le domaine de pertinence du transport ferroviaire. Il s'agit d'un transport de masse qui arrive au coeur des agglomérations, dont l'empreinte environnementale est faible, dont l'intensité capitalistique est considérable... tout comme les coûts.
J'ai donc regardé la fréquence d'utilisation du réseau français. Les chiffres sont impressionnants : 90 % du trafic a lieu sur 30 % du réseau et 2 % du trafic sur 45 % du réseau. Dans leur brutalité, ils amènent à se poser des questions.
Je n'ai jamais proposé de fermer les petites lignes, mais j'ai dit qu'il fallait en établir un bilan socio-économique. Voici ma recommandation n°1 : « Confier à SNCF Réseau la réalisation avant l'élaboration des prochains contrats de plan État-région d'un état des lieux de la partie la moins utilisée du réseau, présentant ligne par ligne l'état de l'infrastructure, le besoin de rénovation et le bilan socio-économique des investissements. » Il faut selon moi confier l'élaboration de la méthode d'évaluation à France Stratégie, et une contre-expertise sur les évaluations au Commissariat général à l'investissement. Je propose que le rapport sur ces évaluations soit transmis au Parlement.
Aujourd'hui, ces petites lignes sont menacées sans que personne ne le dise, car SNCF Réseau a décidé il y a quelques années qu'elle n'interviendrait plus sur leur régénération ni leur renouvellement - sauf si les régions décidaient d'investir. Dans ce cas, SNCF Réseau verse un forfait de 8,5 % du coût total du renouvellement et de la régénération. Cette politique signe la fermeture inévitable de nombreuses petites lignes. Il m'a semblé préférable de désigner objectivement les lignes à conserver, plutôt que de laisser faire de façon aveugle.
Le réseau est donc vieillissant et parfois en mauvais état. L'effort décidé en 2010 et amplifié en 2013 se traduit aujourd'hui par une augmentation de 2,5 à 3 milliards de la dette de SNCF Réseau chaque année. Des décisions doivent être prises pour que SNCF Réseau puisse assurer son programme d'investissement sans recourir aux facilités de la dette. J'ai proposé que le coût complet du réseau ferroviaire soit calculé, pour éclairer les décisions de l'État, des régions et des opérateurs. Ce coût complet qui est une réalité économique se situe entre 8 et 9 milliards par an. Aujourd'hui il est financé à moins de 3 milliards. Il serait sain que le coût soit connu, sous le contrôle de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer). Il ne faut pas rééditer l'impasse faite depuis une trentaine d'années sur le coût réel du réseau ferroviaire.
Vous m'avez également posé une question sur la dette : j'ai été précis dans ma recommandation, tout en ne citant pas de chiffres. Le sujet est complexe car si la dette est reprise par l'État, elle sera intégrée à la dette publique, mais elle pèsera aussi sur le déficit public annuel. Je n'ai pas voulu mettre le Gouvernement dans une situation difficile. En revanche, je propose que la reprise de dette par l'État permette à SNCF Réseau d'équilibrer ses flux de trésorerie avant 2026, qui est le terme du contrat pluriannuel actuel. Mais il faudra des efforts de productivité à hauteur d'au moins 1,2 milliard dans le cadre du contrat pluriannuel. En contrepartie de quoi je recommande de renforcer le programme d'investissements de 500 millions par an, soit un total de 3,5 milliards, sans avoir recours à la dette.
En outre, une fois que SNCF Réseau aura été transformée en société nationale à capitaux publics - sorte de société anonyme - la dette ne devra plus augmenter. Je propose d'instaurer un ratio entre la marge opérationnelle de SNCF Réseau et sa dette.
Vous m'avez interrogé sur la date d'entrée en vigueur de la concurrence. Je n'évoquerai pas le considérant 17-44. La France a plaidé depuis longtemps pour que les autorités organisatrices en matière de transport ferroviaire soient des autorités doubles, autorités régionales et autorité de l'État. Dès lors, l'État aurait son mot à dire sur le moment où la concurrence devrait s'exercer. J'ai proposé l'année 2019 et j'ai souhaité que les régions puissent le faire sans que des limitations dans la loi encadrent leur volonté d'avancer sur le sujet. Je suis resté fidèle à la position du Gouvernement français depuis l'origine, mais en laissant aux régions toute liberté.
La concurrence pose la question du maintien ou de l'amélioration de la compétitivité de l'opérateur historique. Pour les lignes à grandes vitesse, il m'a été suggéré une concurrence dans le marché et non pour le marché. Le système des franchises anglaises a été écarté par la plupart de mes interlocuteurs. En revanche, le système allemand a été plébiscité. Cette concurrence dans le marché, si elle s'exerce de manière effective, car les barrières à l'entrée sont considérables du fait des investissements capitalistiques, risque de mettre en cause la péréquation entre les lignes rentables et celles qui ne le sont pas. C'est pourquoi j'ai suggéré que des obligations de service public puissent être instaurées, conformément à ce qu'avait conclu le rapport Abraham en 2011, financées par une taxe de péréquation perçue sur tous les opérateurs. J'ai aussi proposé d'utiliser les dispositions de la directive européenne sur les accords-cadre pour définir des ensembles de lignes rentables et moins rentables qui seraient attribués aux opérateurs.
La question de la concurrence se posera surtout dans le secteur conventionné, notamment celui des TER. Il est certain que des concurrents se présenteront et qu'ils auront de l'ambition : des régions y auront sans doute recours avant 2023. Dès lors, le problème de la compétitivité de l'opérateur historique se pose. Ces marchés conventionnés sont, pour l'essentiel, des marchés de coûts salariaux. Les investissements sont pris en charge par les régions, achat de matériel, ateliers de maintenance. Aborder cette nouvelle phase avec un handicap sur les coûts salariaux est une menace considérable pour l'opérateur historique. En Allemagne, Deutsche Bahn a perdu environ 40 % des marchés dont les Länder allemands sont les autorités organisatrices. Il est difficile de disposer de chiffres précis, mais Jean-François Collin (ici présent) et moi avons estimé l'écart de compétitivité à 25 ou 30 %, ce qui est considérable. La convention collective nationale sur le temps de travail a été approuvée en 2016 et elle s'applique aux opérateurs privés. L'écart est de 10 %. Le dictionnaire des filières et des métiers explique une part de cette différence de compétitivité. Les syndicats en conviennent. Il faut donc renforcer les polyvalences et mieux adapter les emplois de la SNCF à la numérisation et à la digitalisation. Il y a aussi les déroulements de carrière et les classifications : le GVT augmente la masse salariale de plus de 2 % par an. C'est un problème considérable, qui doit être résolu, sinon il aggravera l'écart avec les concurrents futurs. Enfin, les sureffectifs et les coûts de structure pénalisent la SNCF.
Le dialogue social devrait permettre de mener à bien les évolutions nécessaires. Contrairement à ce que l'on dit, la SNCF dispose de tous les moyens pour y parvenir. La commission mixte du statut a aujourd'hui un rôle purement consultatif, reconnu par une décision du Conseil d'État et consacré par un décret. La SNCF peut donc réduire ses écarts de compétitivité. Autre question : faut-il continuer à embaucher au statut et garantir au personnel le statut actuel ? Il faudra ne plus embaucher qu'en dehors du statut ; du reste, il existe déjà un cadre conventionnel pour les 15 000 contractuels de la SNCF.
M. Gérard Cornu. - Votre rapport n'est pas de l'eau tiède : vous dressez un bilan sévère du secteur. Vous dites qu'il faudra dix ans d'efforts pour rattraper le retard pris depuis 1980. La priorité est, selon vous, les noeuds ferroviaires et les lignes les plus fréquentées. Vous dites également qu'il est nécessaire de faire un saut technologique pour augmenter la capacité des infrastructures avec l'ERTMS niveau 2.
Cet effort représente 3 milliards par an pendant dix ans. Or, vous excluez de poursuivre l'augmentation de la dette de SNCF Réseau. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), qui a subi l'abandon de l'écotaxe, dispose de 2,4 milliards de budget annuel mais elle s'occupe aussi du fluvial et des routes. Comment trouver les fonds nécessaires au renouvellement du réseau ?
Vous évoquez la fermeture des petites lignes, même si le Gouvernement a dit qu'il abandonnait cette idée. Pourtant, l'hypocrisie consistant à ne plus faire de travaux aboutira bien à des fermetures. Comment réaffecter ces petites lignes au fret ?
En tant que PDG d'Air France, vous avez connu des écarts de compétitivité considérables avec les compagnies du Golfe. Le même modèle est-il applicable à la SNCF ?
Mme Éliane Assassi. - Votre rapport constitue une attaque sans précédent contre tous les fondements du service public, notamment ferroviaire. Vous avez privilégié le seul angle comptable, hors de toute considération d'intérêt général, qu'il s'agisse d'aménagement du territoire, de droit à la mobilité ou de transition écologique. Vos propositions se traduiraient par un report du rail sur la route, à rebours de l'urgence climatique. Comment entendez-vous respecter la COP 21, alors que notre niveau d'émission en 2016 a été supérieur aux prévisions ? Comment croire que les régions pourront sauver les petites lignes alors que leurs dotations diminuent ?
L'ouverture à la concurrence va condamner la péréquation entre les lignes et va conduire à l'abandon des lignes non rentables, au grand dam des populations. L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire n'a pas été concluante. Pourquoi s'entêter ? La filialisation du fret va signer sa condamnation. C'est un non-sens écologique lorsqu'on sait que cinq wagons peuvent transporter l'équivalent de 35 camions de 32 tonnes.
Votre rapport est à charge contre le service public, contre les salariés, au-delà même de l'attaque contre leur statut.
M. Hervé Maurey, président. - M. Longeot sera le rapporteur de la proposition de loi que nous examinerons à la fin de ce mois.
M. Jean-François Longeot. - Vous serait-il possible de préciser votre proposition de moduler les péages pour inciter les entreprises ferroviaires à assumer les dessertes non rentables ? Cette modulation serait-elle efficace, au regard des contraintes financières qui pèsent sur le gestionnaire du réseau ? Disposez-vous de simulations économiques ? À quelle échéance souhaitez-vous transformer SNCF Mobilités en société anonyme ?
M. Claude Bérit-Débat. - Vous avez dit que le transport ferroviaire est un transport de masse, avec une empreinte environnementale faible et des coûts considérables. C'est particulièrement vrai pour les petites lignes mais, pour beaucoup d'entre elles, il s'agit de la seule façon de se déplacer dans des départements très ruraux. Les condamner conduirait à une politique contraire à l'aménagement du territoire et à la mobilité au quotidien. Faut-il remplacer les trains par des bus ? Mais quid des émissions de CO2 ? Nombre de territoires ne peuvent accepter une telle évolution.
M. Frédéric Marchand. - Avec l'ouverture à la concurrence, les entreprises ferroviaires vont avoir besoin d'une prévisibilité de trois à cinq ans pour leur permettre d'investir. Que pensez-vous de l'avis conforme aujourd'hui délivré par l'Arafer depuis 2011 ? Cet avis conforme me semble être un atout pour réussir cette ouverture à la concurrence.
M. Éric Gold. - Dans votre rapport, vous estimez que « la nécessaire organisation de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs constitue une occasion unique de moderniser le système ferroviaire français et de lui offrir une perspective de renouveau à l'heure où se multiplient les innovations dans le domaine de la mobilité ». Nous avons récemment auditionné Anne-Marie Idrac sur les enjeux des véhicules autonomes. Demain, à la RATP, certaines rames seront complètement automatisées. Or, je n'ai pas trouvé dans votre rapport trace de cette évolution : cette réflexion ne faisait-elle pas partie de votre lettre de mission ou bien cette solution technique n'est-elle pas envisageable pour les trains ?
M. Hervé Maurey, président. - J'ai volontairement donné la parole à chaque représentant de groupe politique. Je vous propose, monsieur Spinetta, de leur répondre.
M. Jean-Cyril Spinetta. - Les pages 33 à 39 du rapport ont été les plus difficiles mais les plus passionnantes à rédiger : elles sont consacrées au modèle économique du transport ferroviaire et au fait que ce mode de transport doit bénéficier de subventions. Je me suis livré à diverses comparaisons européennes : nos subventions sont plus élevées qu'en Allemagne et en Angleterre et un peu moins qu'en Suisse ou en Autriche, mais ces deux derniers pays ont des évolutions démographiques et des géographies assez différentes des nôtres. Ces subventions correspondent à la dimension de service public propre à ce mode de transport. Loin de moi l'idée de condamner le service public, madame Assassi, mais il faut lui donner toute sa dimension. Il faudra probablement vingt à trente ans d'efforts, monsieur Cornu, pour restaurer un réseau ferroviaire équivalent à celui de l'Allemagne, qui a 17 ans de moyenne d'âge contre 30 en France. Alors que leur réseau est plus moderne que le nôtre, les Allemands investissent beaucoup plus que nous en renouvellement. La restauration de notre réseau s'inscrira donc dans la durée. J'ai essayé d'identifier les points prioritaires : il s'agit des noeuds ferroviaires, à savoir les gares qui constituent aujourd'hui des goulots d'étranglement qui empêchent le réseau d'être utilisé au maximum de ses capacités. Je pense notamment à Lyon, Marseille, Toulouse... Dans le Sud-Est, les besoins de transport ferroviaire sont immenses : entre Fréjus et Vintimille, il devrait y avoir un train toutes les cinq à sept minutes, à l'instar des RER : nous en sommes loin. La modernisation de la signalisation permettrait aussi d'accélérer les cadences.
La commission Duron a tenté de définir les priorités en matière d'investissements nouveaux et un débat devrait avoir lieu pour indiquer où doivent porter les efforts. J'ai proposé que les 3 milliards d'investissements annuels soient augmentés de 500 millions, net des subventions reçues, afin de répondre aux besoins sociaux de nos concitoyens.
La SNCF n'aura pas à faire face à des compétiteurs semblables à ceux que j'ai rencontrés lorsque j'étais à la tête d'Air France. Cette concurrence s'exercera à l'intérieur des règles sociales françaises et c'est dans cet environnement qu'il faut considérer l'écart de compétitivité entre la SNCF et ses compétiteurs.
Vous m'avez posé plusieurs questions sur les lignes à grande vitesse. La lettre de mission abordait cette problématique : fallait-il continuer comme aujourd'hui, avec la desserte d'une quarantaine de gares et de 160 gares supplémentaires au nom de l'aménagement du territoire ? À mon avis, il ne faut pas chahuter le modèle actuel des TGV. En 2017, les résultats de ces lignes ont été en forte amélioration et le niveau de rentabilité couvre l'ensemble des coûts d'opération et d'investissement, c'est à dire le renouvellement des rames. Le transport à grande vitesse a trouvé son point d'équilibre économique. Je n'ai pas souhaité faire de propositions trop définitives en matière de concurrence dans ce domaine : pour le transport conventionné, la concurrence s'exercera rapidement, mais sans doute pas pour la grande vitesse. Le réseau à grande vitesse est d'ores et déjà ouvert à la concurrence sur les lignes internationales depuis plusieurs années, qu'il s'agisse de Paris-Bruxelles ou de Paris-Londres, et aucun concurrent ne s'est manifesté. Les barrières à l'entrée sont moins dues au niveau des péages qu'à l'intensité capitalistique du secteur. Pour être présent sur la ligne Paris-Lyon, il faut acheter de nombreuses rames (soit quelques centaines de millions d'investissement), avec le risque de ne pouvoir les réutiliser ailleurs si les bénéfices ne sont pas au rendez-vous, car il n'existe pas de standard européen. Les avions se revendent facilement, pas les rames de TGV.
Pour les péages, je suggère de passer d'une tarification au train par kilomètre à une tarification au chiffre d'affaires. Le président de SNCF Réseau, M. Jeantet, a esquissé cette évolution et l'Arafer s'y est dite favorable. La tarification du réseau se ferait sur des données incontestables ; sur les lignes peu rentables, elle diminuerait tandis qu'elle augmenterait sur les lignes rentables. En outre, cette tarification n'est pas contradictoire avec l'offre low cost au départ de Massy et de Marne-la-Vallée, de la gare Montparnasse et, demain, de la gare de Lyon - elle remporte un succès considérable. Cette tarification au chiffre d'affaires présente aussi l'avantage de mieux lier les intérêts du gestionnaire et de l'opérateur de réseau et de partager les risques entre les deux.
Sur les péages, j'ai suggéré de regarder de près la notion de saturation du réseau qui figure dans les directives européennes : il est possible dans certains cas de fixer des péages plus importants et donc d'améliorer les ressources de SNCF Réseau. D'autres pays ont suivi cette voie. Je propose aussi d'étudier de près la notion d'accord-cadre. Il y a une forme de contradiction dans les textes européens, sur l'organisation de la concurrence future. J'ai souligné l'intensité capitalistique du secteur : les rames coûtent cher et le risque économique est réel. Or, l'affectation des sillons, quasiment annuelle, est en permanence chahutée, remise en cause et modifiée. Je vois une contradiction entre des péages et des sillons en constante évolution et une intensité capitalistique qui impose une stabilité de la relation contractuelle. Les accords-cadre qui s'appliquent dans le fret ont tenu compte de cet aspect : d'après les textes européens, ils peuvent être conclus pour une durée de cinq ans. Lorsqu'on travaille sur un réseau dédié, comme l'est le TGV, on peut aller jusqu'à 15 ans. Je suggère l'affectation aux nouveaux entrants d'ensemble de lignes, rentables et moins rentables, je l'ai dit. On se rapprocherait de la notion de franchise.
Enfin, je reprends une proposition du rapport Abraham qui prévoyait une obligation de service public, avec l'instauration d'une taxe de péréquation payée par tous les opérateurs pour financer un fonds d'obligation de service public.
Avant de prendre des décisions définitives, il faudra voir comment se positionneront les futurs concurrents de la SNCF.
À l'avenir, la France devra affecter suffisamment de moyens au renouvellement du réseau : la notion de coût complet du réseau est essentielle. Le gestionnaire d'infrastructures ne dispose que de deux ressources : les péages payés par les opérateurs, les subventions versées par les autorités publiques. Pour éviter des dettes supplémentaires, il faudra que le coût complet du réseau soit assumé par ces deux sources de financement. Le TGV compense aujourd'hui le coût complet de son réseau. Les TER, non. L'État paye une redevance d'accès, les opérateurs une redevance de coût marginal et les autorités organisatrices une redevance de marché. Progressivement, le coût complet du réseau TER devra être couvert.
Dans le cadre du contrat pluriannuel qui la lie à l'État, SNCF Réseau a prévu des économies de fonctionnement et d'investissement qui s'élèveront en 2026 à 1,2 milliard. J'ai demandé à SNCF Réseau un effort supplémentaire de 200 millions. Lorsqu'on cumule les différents gains de productivités réalisés par SNCF Réseau à une augmentation progressive du niveau des péages, on arrive à un équilibre des flux de trésorerie de SNCF Réseau en 2024 ou en 2025, dès lors qu'un certain montant de dette serait repris par l'État. Ce dernier devrait libérer SNCF Réseau des frais financiers qui se montent aujourd'hui à 1,4 milliard par an. Avec une reprise de dette, SNCF Réseau pourrait financer la régénération du réseau sans dettes supplémentaires.
La logique du chiffre d'affaire permet de répondre à la question de M. Longeot sur la modulation des péages.
À mon sens, le plus tôt sera le mieux pour transformer SNCF Réseau en société anonyme. Il faut mettre fin à la facilité de la dette, déresponsabilisante pour tous les acteurs.
J'ai suggéré des bilans socio-économiques pour décider de la fermeture ou non de certaines petites lignes afin de sortir de la politique aveugle menée actuellement.
Au risque de choquer, je rappelle que le service public de la mobilité des personnes n'est pas exclusivement assuré par le ferroviaire, mais par tous les modes de transport. Les régions sont responsables du transport ferroviaire et routier depuis la loi NOTRe et elles effectueront les meilleurs arbitrages possibles. Quant à l'argument écologique, je ne le crois pas totalement pertinent : le bilan écologique des petites lignes n'est pas bon car les motrices fonctionnent le plus souvent au diesel et le bilan carbone par passager transporté est mauvais. Pensez aussi que des bus électriques assureront bientôt les déplacements.
La loi prévoit un avis conforme de l'Arafer : ce n'est pas à moi de dire ce qu'il convient de faire sur le sujet. L'Arafer doit être soucieuse de la qualité opérationnelle de SNCF Réseau.
Je n'ai pas examiné la question des rames autonomes. Je n'en avais hélas pas le temps. Je ne puis vous répondre, mais il y en aura certainement demain...
M. Rémy Pointereau. - Votre rapport prépare les esprits à la loi sur les mobilités, avec une dramatisation un peu excessive de la situation... Certes, les réseaux sont vieillissants mais vous auriez pu rappeler que la Deutsche Bahn a bénéficié de l'effacement total de sa dette après la réunification... Elle a pu repartir sur de bonnes bases.
De plus, votre rapport fait l'impasse sur la notion d'aménagement du territoire, ce qui va aggraver le sentiment d'abandon des territoires ruraux. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ; quand on veut fermer des lignes, on dit qu'elles manquent de voyageurs. Il suffit de réduire les cadences et la vitesse ! Je me réjouis que le Premier ministre ait refusé de fermer les 9 000 kilomètres de lignes sur des critères purement comptables et administratifs. Quelle est votre opinion ?
M. Guillaume Gontard. - Le transport ferroviaire est un formidable outil d'aménagement du territoire, bien plus durable que tous les autres moyens de transport, en émissions de CO2, en consommation d'énergie, bruit, consommation d'espace... Un Paris-Marseille en avion produit 160 grammes de CO2 par passager et par kilomètre. En train, c'est un peu moins de 9 grammes.
Vous avez dit que le bilan carbone des petites lignes n'était pas bon, mais cela dépend du nombre de personnes transportées. Je m'inquiète que vous n'abordiez pas dans votre rapport la problématique de l'environnement et du bilan carbone, thématiques qui sont pourtant soutenues par le président de la République. Nulle référence non plus au confort de l'usager. Vous semblez n'avoir abordé ce rapport que sous l'angle financier avec une recherche de rentabilité à court terme.
En quoi les mesures que vous proposez permettront-elles des déplacements plus respectueux de l'environnement et plus accessibles pour l'ensemble des usagers, sur tout le territoire ? En quoi pointer du doigt le statut des cheminots et créer des clivages améliorera-t-il le service public ? En quoi la suppression de 9 000 kilomètres de réseau secondaire permettra-t-il des déplacements plus vertueux et plus sécurisés ? En quoi la hausse des tarifs fera-t-elle du train le moyen de transport principal ?
M. Olivier Jacquin. - J'ai apprécié votre rapport, monsieur Spinetta, même si je le trouve un peu faible sur la place de l'usager. Vous m'étonnez toutefois lorsque vous semblez remettre en cause le bilan carbone du ferroviaire au motif que quelques locomotives fonctionnent encore au diesel et transportent peu de voyageurs. Ce n'est pas, me semble-t-il, la réalité du transport ferroviaire.
En creux, votre rapport met aussi en évidence les injonctions paradoxales adressées de longue date à la SNCF. Le Gouvernement lui demande à la fois de faire des économies et d'investir massivement, ce qui contribue à l'augmentation de la dette et au déficit d'entretien. La libéralisation et la transformation du statut de la SNCF vous semblent nécessaires pour protéger ce service de transport, mais, selon moi, vous n'analysez pas suffisamment les libéralisations qui ont eu lieu à l'étranger : certaines sont heureuses, d'autres très malheureuses. Quant à la libéralisation du fret en France, c'est plutôt un échec...
Alors que vous expliquez fort bien dans votre rapport le risque d'écrémage lié à la libéralisation - certains opérateurs privés pourraient venir s'emparer des lignes les plus rentables -, vous prônez subitement le libre accès à travers votre recommandation n° 25. Pour équilibrer le système, vous prévoyez une taxe de péréquation et la création d'une société de mise à disposition du matériel. Ce dispositif n'est-il pas extrêmement complexe ?
Le Premier ministre entend laisser les régions décider du sort des petites lignes. Mais de quels moyens celles-ci disposeront-elles pour prendre posément ces décisions ?
Enfin, que pensez-vous de la proposition de loi déposée par le président Hervé Maurey, qui vise notamment à permettre aux personnels transférés de conserver leur statut en cas de perte d'un marché par l'entreprise qui les emploie ?
Mme Christine Lanfranchi Dorgal. - Afin de renforcer la compétitivité du fret sur les itinéraires couverts par la route et le rail, que pensez-vous de l'idée d'une taxe sur les camions dont le produit serait affecté à l'entretien du réseau ferroviaire ?
De même, l'idée de diminuer les charges des transporteurs utilisant le mode rail-route vous semble-t-elle pertinente ?
Enfin, le 10 décembre 2017, sept des douze relations auto-train ont été fermées - Biarritz, Bordeaux, Brive, Toulouse, Briançon, Lyon et Narbonne. Que va-t-il advenir de ce moyen de transport respectueux de l'environnement et de la sécurité routière ?
Mme Nelly Tocqueville. - Je partage les inquiétudes de mes collègues sur la fermeture des petites lignes et la « quadruple peine » subie par les territoires ruraux.
Au-delà du constat qui s'impose à nous, nous regrettons la logique comptable particulièrement implacable du rapport. L'appréciation portée sur les « lignes d'un temps révolu » n'est guère valorisante, et l'organisation territoriale française n'est pas comparable à celle de l'Allemagne.
Vous suggérez que l'État ne consacre plus aucun crédit aux lignes dont l'intérêt socio-économique n'est pas démontré, ce qui se traduirait concrètement par leur fermeture. Les régions, très préoccupées par l'avenir du réseau de proximité, déplorent la vision parisiano-centrée de ce rapport.
Et que penser de votre proposition de remplacer ces lignes par des moyens de transport polluants alors que la France risque une condamnation européenne pour non-respect de ses engagements en matière d'amélioration de la qualité de l'air extérieur ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Votre rapport préconise un audit des petites lignes et la possible fermeture de certaines d'entre elles. Les conséquences sur les finances des régions seraient majeures, en plus du risque de fracture territoriale et de rupture d'égalité entre les citoyens. On peut craindre que l'activité de la SNCF ne soit à l'avenir scindée en deux, les lignes rentables étant confiées au privé, les lignes déficitaires restant à la charge des régions. Ne pourrait-on pas envisager plutôt de réinvestir les éventuels bénéfices dégagés par la branche LGV de la SNCF dans les lignes régionales assurant les « transports du quotidien », par l'intermédiaire d'un fonds de péréquation ?
Malgré 110 millions de voyageurs par an dans l'Hexagone, 30 millions à l'international et un chiffre d'affaires total de 6,6 milliards d'euros, la rentabilité de l'activité TGV n'est pas assurée selon SNCF Mobilités. Pour faire face aux problèmes des dessertes non rentables, votre rapport préconise une complémentarité accrue entre TGV et TER. Condamnez-vous les projets de création de gares nouvelles sur des tracés LGV dépourvus d'interconnexion avec le TER ?
M. Didier Mandelli. - La loi Macron a développé le transport par autocars dans une logique de complémentarité avec le train. En 2017, la filiale de la SNCF Ouibus a généré 70 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 35 millions d'euros de pertes. Aucune entreprise ne pourrait supporter durablement un tel déficit. La suppression de petites lignes de train pourrait-elle conduire à lever le verrou des 100 kilomètres fixé pour les bus ?
Après l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, l'État s'est engagé à développer les aéroports de Nantes et de Rennes. Alors que la nouvelle LGV met Rennes à 1h25 du centre de Paris, cette annonce est-elle réellement crédible dans une logique de complémentarité des moyens de transport ?
Mme Michèle Vullien. - Contrairement à mes collègues, je pense qu'il faut avoir le courage de réinterroger la pertinence des modes de transport, notamment des petites lignes. Un bus euro 5 ou 6 est en effet préférable à une motrice au fioul.
En revanche, il me semble que les emprises doivent rester publiques. Elles peuvent servir pour développer des pistes cyclables ou des voies piétonnes, pour faire rouler des bus à haut niveau de service - BHNS - ou, demain, des véhicules autonomes.
Il faut surtout déterminer qui réinterroge vraiment cette pertinence et d'où viennent les financements.
Mme Angèle Préville. - Élue d'un territoire rural, j'ai moi-même été émue à l'idée que l'on puisse abandonner les petites lignes. Ne faudrait-il pas renverser la logique et partir du principe qu'un territoire doit être irrigué, notamment par le rail ? Pourquoi ne pas profiter des infrastructures existantes et remplacer les motrices diesel par des motrices électriques, au lieu de vouloir faire rouler des bus électriques qui n'existent pas encore ?
Si les usagers se détournent du train, c'est surtout parce que la qualité de service se dégrade fortement. Horaires inadaptés, pannes, retards : je pourrais prendre l'exemple de la ligne Brive-Aurillac. Et le temps de trajet vers Paris est plus important que jadis avec le Capitole.
Déserts médicaux, fermeture des services publics et, demain, abandon des petites lignes : les territoires ruraux sont violemment bousculés. L'enjeu est majeur pour la France dans son ensemble.
M. Guillaume Chevrollier. - Votre rapport a le mérite de susciter le débat avant que le Gouvernement ne prenne des décisions sur des sujets sensibles. Au-delà de la question de la rentabilité des transports se pose celle de l'attractivité des territoires. Quelle alternative à la disparition du transport ferroviaire ? Le fret est un enjeu stratégique pour notre économie et pour l'environnement. Quelle stratégie proposez-vous dans ce domaine et quel lien avec les entreprises de transport routier ? Après l'abandon du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, comment envisagez-vous le développement du transport aérien dans le Grand Ouest ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le transport ferroviaire, système à la fois global et complexe, est impacté par de nombreux facteurs structurels, économiques, historiques, mais aussi affectifs. Les films projetés lors des 80 ans de la SNCF ont montré l'attachement des Français au transport ferroviaire.
Comment sanctuariser la nécessaire péréquation permettant d'éviter la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes dans le cahier des charges des appels d'offres ?
M. Jean-Pierre Corbisez. - Sur la gouvernance, le Premier ministre semble avoir fait sienne la proposition d'une transformation des trois entreprises actuelles en une société nationale à capitaux publics.
Toutefois, avec l'ouverture prochaine à la concurrence, cette fusion est-elle encore légale dans la mesure où les règles européennes obligent à conserver une entité distincte propriétaire des voies afin de garantir l'accès de celles-ci aux futurs concurrents ?
S'agissant des lignes régionales, qui contribuent à la survie de nos territoires, la solution ne serait-elle pas de placer dans les lots à la fois des lignes conventionnées et non conventionnées. La durée annuelle des contrats de délégation de service public n'est-elle pas à cet égard un facteur de blocage ?
M. Charles Revet. - Vous avez souligné que la France disposait, avec l'Allemagne, des meilleurs réseaux ferroviaires en Europe. La France possède toutefois, grâce au bon sens de nos aînés, un maillage serré de desserte des villes. Le tram-train ne pourrait-il pas être développé en complément pour irriguer le milieu rural ?
La France dispose aussi des plus grands ports d'Europe, mais leur développement passe par la containérisation du transport de marchandises par voie ferroviaire. Que pourrait-on faire en la matière ?
Enfin, faut-il aller jusqu'à la séparation complète de la gestion des lignes ferroviaires, de l'attribution des sillons et du transport de voyageurs ?
Mme Marta de Cidrac. - Comment vos propositions s'inscrivent-elles dans une cohérence globale des mobilités et de l'action publique en matière d'aménagement du territoire ?
La suppression des petites lignes concerne essentiellement les territoires ruraux. Pourtant, ils seront les premiers touchés par la limitation de vitesse sur les axes routiers, décidée pour des raisons de sécurité. Quel moyen de transport est-il plus sûr que le train, et quelles alternatives proposer ?
M. Jean-Marc Boyer. - En un mois, deux rapports nous ont été présentés, le rapport Duron et le vôtre, monsieur Spinetta. Vous faites le constat du caractère très déficitaire des petites lignes, avec comme perspective leur fermeture. Le rapport Duron entendait pour sa part freiner le développement de la grande vitesse et moderniser le réseau existant.
Vous estimez que le transport à grande vitesse est économiquement rentable, ce qui est rassurant. J'avais en effet cru comprendre le contraire lors de la présentation du rapport Duron...
Je ne vous parlerai pas de mon chef-lieu de canton, mais du Grand-Centre Auvergne Massif central, seul territoire national ne disposant pas aujourd'hui de lignes TGV, mais comptant de nombreuses petites lignes difficiles dans des zones montagneuses.
Quel est pour vous l'avenir de la desserte ferroviaire de ce territoire de 17 millions d'habitants qui compte des atouts économiques importants ?
M. Hervé Maurey, président. - Malheureusement, la Normandie ne compte pas non plus de lignes à grande vitesse !
M. Jean-Cyril Spinetta - On peut juger que c'est insuffisant, mais mon rapport aborde les aspects environnementaux. Je note par exemple que les transports représentent en France 30 % de la consommation d'énergie, mais le transport ferroviaire 0,6 % seulement.
Les zones de pertinence du transport ferroviaire que j'ai présentées tiennent également compte de son empreinte environnementale, un atout essentiel qui, à l'évidence, doit être pris en considération.
Je n'ai probablement pas eu le temps d'évoquer suffisamment le fret, même si j'y consacre quelques pages. Pour tenir compte des orientations bruxelloises, le précédent gouvernement avait, dans le cadre du contrat liant SNCF Réseau à l'État, demandé que les péages du fret soient relevés de 4,5 % en moyenne par an, alors même que les opérateurs, publics ou privés, sont en grande difficulté économique. Je suggère que les péages fret soient maintenus à un niveau inférieur au coût marginal, comme le permet la directive 2012/34.
Je propose également la création, au sein de SNCF Réseau, d'une filiale dédiée au fret. Beaucoup d'activités économiques dans notre pays, notamment les carrières, vivent grâce à une desserte ferroviaire leur permettant d'acheminer leur production. Or les relations entre SNCF Réseau et ces acteurs économiques sont insuffisantes pour l'heure.
Le fret ferroviaire SNCF a accumulé 4,3 milliards d'euros de pertes, ce qui représente 60 % de la dette portée par SNCF Mobilités. L'activité fret devra être recapitalisée et il est assez probable que les autorités européennes exigent sa filialisation, qui pourrait être aussi une opportunité de redémarrage pour le fret.
Le TGV est-il rentable ? L'année 2017 a marqué une amélioration considérable par rapport à la période 2008-2016, l'excédent brut d'exploitation passant de 537 millions d'euros en 2016 à près de 800 millions d'euros en 2017. C'est sur la base de ces derniers chiffres que j'ai formulé l'hypothèse de la rentabilité du TGV, à savoir la capacité d'assumer avec ses propres ressources l'ensemble des coûts d'opération et des investissements, sans s'endetter. C'est une perspective plausible pour les 5 années qui viennent, le seul point d'interrogation concernant l'effet de la concurrence sur la péréquation entre lignes rentables et non rentables.
Si le débat sur la rentabilité persiste, c'est parce que la SNCF applique une norme interne de rentabilité des capitaux investis de 8,5 % après impôts, à la demande de son actionnaire, contre 5,1 % pour les Allemands et 4,7 % pour les Italiens. Cette norme de rémunération du capital, fixée voilà plus de 10 ans, est aujourd'hui décorrélée de l'évolution des taux d'intérêt et mériterait sans doute d'être révisée à la baisse, ce qui permettrait à l'activité TGV de couvrir l'ensemble de ses coûts, opérations, investissements et rémunération du capital compris.
Vos préoccupations sur les petites lignes sont légitimes. Je me suis déjà longuement exprimé sur ce sujet. La lettre de mission du Premier ministre me demandait de travailler à « concours publics constants », une contrainte lourde qui ne me choque nullement et que j'ai voulu respecter à la lettre. Les concours publics sont de 14 milliards d'euros et ils augmentent régulièrement depuis des années.
L'état du réseau n'est pas optimal. Des efforts supplémentaires doivent porter en priorité sur les noeuds ferroviaires et la modernisation des lignes les plus utilisées.
Mes propositions ne me semblent pas en contradiction avec la notion de service public, nos concitoyens souhaitant disposer de services collectifs de qualité, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
Étant moi-même originaire d'un petit village corse et n'ayant pas toujours vécu à Paris, les notions d'aménagement du territoire et de ruralité ne me sont pas totalement inconnues. J'ai toutefois la conviction que le rail ne doit pas avoir l'exclusivité du service public de transport de personnes.
Le secteur conventionné - les TER -, c'est 1 milliard d'euros de recettes commerciales pour 4 milliards de coûts, dont 3 milliards de subventions. Par nature, la notion de rentabilité n'est pas pertinente pour ce service public, et j'ai moi-même eu tort d'utiliser ce mot dans mon rapport. La question est de savoir comment utiliser au mieux ces concours publics.
Sur le transfert des personnels, une question que nous avons étudiée en détail, je cède la parole à M. Colin, qui a beaucoup travaillé sur le sujet.
M. Jean-François Colin, membre de la mission sur l'avenir du transport ferroviaire. - Nous avons été guidés dans nos réflexions par la proposition de loi de MM. Maurey et Nègre ainsi que par le rapport de M. Dutheillet de Lamothe, président de la section sociale du Conseil d'État. Si un appel d'offres est gagné par un opérateur, les cheminots partiront avec un « sac à dos social » comprenant un certain nombre d'éléments, dont leur régime de retraite. Et si dans 10 ans, la SNCF regagne le lot, les cheminots reviendront à la SNCF en retrouvant tous leurs éléments statutaires, comme s'ils avaient poursuivi leur carrière dans l'entreprise.
M. Jean-Cyril Spinetta. - Nous proposons également de mieux articuler les responsabilités des régions sur les TER et celles des maires des grandes agglomérations sur les transports urbains. Les situations sont variables, mais tout le monde gagnerait à une meilleure coordination.
Je n'ai pas examiné personnellement la question de Notre-Dame-des-Landes. M. Rol-Tanguy a été chargé par Mme Borne de nouer des contacts avec l'ensemble des élus des régions Bretagne et Pays de la Loire sur ces sujets pour voir comment améliorer les systèmes de transport dans les territoires concernés.
S'agissant des grands ports, tous desservis par des lignes ferroviaires, la France a tardé à adapter son fret au gabarit mondial des containers. J'espère que cette erreur regrettable sera corrigée.
Le secteur du fret a beaucoup souffert ces dernières années, en partie à cause de la crise économique, mais les derniers chiffres sont plutôt satisfaisants, avec une augmentation des transports classiques et combinés ainsi que du mode rail-route. Beaucoup d'efforts restent à faire néanmoins.
Je ne sais pas quelles seront les décisions du gouvernement français en matière de structuration du groupe après la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire. La solution retenue en Allemagne a posé question au regard de l'obligation européenne de séparation du gestionnaire de réseau et de l'opérateur de mobilité, mais elle a été jugée conforme aux textes européens à deux reprises. On peut donc assurer une forme d'unité du groupe ferroviaire - elle me paraît bienvenue à titre personnel - tout en respectant une stricte indépendance comptable de ceux qui gèrent les « facilités essentielles » dont la concurrence a besoin - sillons, péages, gares, etc.
Les gares constituent une facilité essentielle et ne peuvent donc pas rester dans le giron de SNCF Mobilités. On peut envisager de les rattacher à l'EPIC de tête SNCF, comme le suggère M. Pepy. J'ai pour ma part fait le choix de les rattacher à SNCF Réseau, qui est déjà responsable des quais ou des souterrains. Ce choix permettrait de réduire la complexité organisationnelle et comptable de la structure, mais comporte aussi un risque si les investissements dans les gares devaient être stoppés en raison de l'ampleur de la dette de SNCF Réseau. J'émets toutefois l'hypothèse que l'État devrait reprendre une partie importante de la dette de SNCF Réseau, qui devrait pouvoir à l'avenir financer les investissements dont le réseau a besoin sans augmenter sa dette.
Enfin, SNCF Réseau comprend déjà A2C, une filiale de Gares et Connexions qui gèrent les aspects commerciaux et qui devrait être maintenue pour que les gares conservent leur dynamisme économique, notamment dans les grandes villes.
M. Gérard Cornu. - Il faut distinguer les grandes gares des petites gares, qui seront moins rentables et n'auront pas de concurrence au niveau de la mobilité.
M. Hervé Maurey, président. - Initialement, Louis Nègre et moi-même pensions également qu'il était logique de rattacher les gares aux infrastructures. Après réflexion, nous avons changé d'avis, pour deux raisons. Premièrement, la dette très élevée de SNCF Réseau risque de « plomber » le potentiel de développement de Gares et Connexions en France et à l'étranger. Deuxièmement, SNCF Réseau est soumis à une tutelle extrêmement forte de Bercy et de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, qui valide y compris les embauches.
Effectivement, si SNCF Réseau devient une SA dépourvue de tutelle et de dette et qu'elle peut recourir à l'emprunt pour investir, il en va différemment. Mais nous devrions avoir la certitude que toutes ces conditions sont réunies.
M. Jean-Cyril Spinetta. - Je vous rejoins sur ces préalables, monsieur le président. Ce sujet des gares se pose dans tous les pays, avec des réponses diverses. Les gares sont rattachées au gestionnaire du réseau en Autriche, en Espagne et en Grande-Bretagne. Je propose de rattacher Gares et Connexions à SNCF Réseau en préservant ses possibilités de développement commercial et en mettant en place une contractualisation pluriannuelle sur le modèle de celle qui existe pour le réseau ferré national.
Mme Bonnefoy a émis l'idée de réinvestir les excédents du TGV dans les petites lignes. Nous avons d'une part un secteur marchand, d'autre part un secteur conventionné et il ne me semble pas opportun de mélanger les deux.
Je souscris enfin aux propos de Mme Vullien sur la préservation des emprises publiques. C'est aussi ce que suggère le rapport Duron.
M. Olivier Jacquin. - Quels moyens pour les régions ?
M. Jean-Cyril Spinetta. - Je vous rappelle que ma mission était de travailler à concours publics constants !
M. Hervé Maurey, président. - Nous vous remercions vivement de votre présence parmi nous et des réponses que vous nous avez apportées, monsieur Spinetta.
Communications diverses
M. Hervé Maurey, président. - Nous procéderons prochainement à deux auditions préalables à des nominations en application de l'article 13 de la Constitution, celle du candidat pressenti pour la présidence de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores et aéroportuaires, l'ACNUSA, et celle du candidat pressenti pour la présidence du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport en France, l'AFITF.
Comme nous l'avions décidé la semaine dernière, nous allons nommer deux corapporteurs pour chacune de ces auditions.
Pour l'audition relative à l'ACNUSA, nous avons reçu les candidatures de M. Cyril Pellevat et de Mme Nicole Bonnefoy. Pour celle relative à l'AFITF, nous avons reçu les candidatures de M. Gérard Cornu et de M. Michel Dagbert.
Y a-t-il des observations ? Je n'en vois pas...
M. Hervé Maurey, président. - L'audition du candidat pressenti pour l'ACNUSA devrait être décalée à 18h le 20 mars, les questions d'actualité se déroulant finalement ce jour, et non le 22 mars.
Par ailleurs, je vous interroge pour savoir s'il est opportun de maintenir l'audition de Mme Borne le jeudi 22 mars au regard des difficultés de transport à prévoir éventuellement ce jour ?
M. Claude Bérit-Débat. - Vous connaissez mes réserves sur l'expérimentation que vous avez évoquée, monsieur le président. Quoi qu'il en soit, les membres de mon groupe ne voudraient pas qu'elle ait pour conséquence d'empêcher les autres commissaires de prendre la parole.
Je suggère par ailleurs que l'on reporte l'audition de Mme Borne prévue le 22 mars.
M. Hervé Maurey, président. - Nous partageons tous vos préoccupations, monsieur Bérit-Débat. Les rapporteurs devront être suffisamment brefs pour laisser le temps aux autres membres de la commission de s'exprimer.
N'oublions pas non plus que la personne auditionnée n'est pas encore en fonction et qu'il convient de l'interroger sur son parcours et son expérience, pour vérifier l'adéquation de son profil avec le poste, plutôt que sur la politique générale de l'organisme qu'elle envisage de présider, comme ce fut le cas lors de l'audition du candidat pressenti pour présider le conseil d'administration de l'Ademe.
Je vous propose enfin de reporter l'audition de Mme Borne.
La réunion est close à 12h15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.