- Jeudi 8 mars 2018
- Consultation des entreprises sur les sur-transpositions des normes européennes : communication de M. Jean Bizet et Mme Élisabeth Lamure
- Projet de loi pour un État au service d'une société de confiance - Communication de Mme Élisabeth Lamure sur les dispositions intéressant les entreprises et propositions d'amendements
Jeudi 8 mars 2018
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Consultation des entreprises sur les sur-transpositions des normes européennes : communication de M. Jean Bizet et Mme Élisabeth Lamure
M. Jean Bizet, président. - Bienvenue aux membres de la commission des affaires européennes et de la délégation aux entreprises. Je me réjouis que nous ayons mis au point une plateforme de consultation des entreprises sur la sur-transposition des normes européennes. Nous sommes au coeur de l'actualité et de notre mission première de parlementaires pour développer un environnement favorable aux chefs d'entreprises, créateurs de richesse.
La sur-transposition des textes européens en droit français est une préoccupation constante de nos entreprises, qu'elle place dans une position concurrentielle parfois défavorable. Le Gouvernement a indiqué vouloir cantonner strictement ces mesures. La délégation aux entreprises et la commission des affaires européennes ont saisi l'occasion offerte par le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), dont deux articles reviennent sur deux ensembles de sur-transpositions, pour lancer une consultation en ligne auprès des entreprises afin d'identifier précisément les obligations qui pèsent sur elles et constituent, en tout ou partie, une sur-transposition du droit européen. Au-delà, cette consultation nourrira la vigilance que le Sénat entend exercer sur ce sujet.
Avec quelques années de recul, il apparaît que la France a souvent été très absente en amont de l'écriture des livres verts ou des livres blancs européens et a laissé s'écrire les directives, voire les règlements. Lorsqu'elle en prenait conscience, pour se rattraper, elle donnait libre cours à sa créativité en faisant de la sur-transposition. Nous étions alors à contre-courant du monde anglo-saxon.
Plus de trente entreprises ou fédérations professionnelles nous ont répondu, de la TPE au MEDEF. Plusieurs domaines sont concernés : l'information des consommateurs, les obligations en matière d'environnement et de santé, les règles applicables aux marchés publics, les normes en matière de santé et de sécurité au travail, de sécurité alimentaire, ou la gestion des entreprises.
Pour les obligations environnementales, qui font l'objet de sur-transpositions patentes, le projet de loi ESSOC allège les modalités de consultation publique concernant de nouvelles installations ou la modification ou l'extension d'activités, installations, ouvrages ou travaux existants.
Avec les consultations publiques, les évaluations environnementales et les études d'impact sont au coeur des cas de sur-transposition relevés par les entreprises. Le droit français génère un alourdissement de la charge administrative et un allongement des procédures, notamment dans le domaine énergétique. Plusieurs participants ont également relevé que c'était aux entreprises de décrire les incidences de l'installation ou de l'aménagement sur l'environnement quand le droit européen confie cette charge aux États.
La notion même de projet diffère entre le droit européen et le droit français. Le code de l'environnement retient une interprétation plus large que celles de la directive et de la jurisprudence européenne, qui conduit à mettre en avant des projets globaux et donc une procédure d'évaluation lourde. Nous avons tous, dans le secteur agricole, des exemples d'études d'impact environnemental longues et lourdes financièrement. En matière de raccordement à des flux d'énergies renouvelables, le droit national impose l'actualisation des études d'impact lorsque les incidences sur l'environnement n'ont pu être complètement appréciées avant l'octroi de l'autorisation. Le droit européen ne prévoit pas une telle actualisation. De même pour les exigences en matière d'évaluation environnementale en cas de modification ou d'extension de projets, là encore en décalage avec le droit européen.
Ces quelques exemples ne doivent pas conduire à juger tout écart avec la norme européenne comme autant de sur-transpositions. La question du seuil d'enclenchement des études d'impact a ainsi été soulevée. Les seuils français d'enclenchement de ces études sont jugés trop bas, mais le droit européen laisse une marge d'appréciation aux États membres.
Des contraintes résultant de sur-transpositions dans le domaine environnemental peuvent également avoir des incidences sur la compétitivité d'une filière. Sauf exception, le droit européen exclut des opérations de traitement de déchets les sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine. Le droit national ne reprend pas cette exclusion, ce qui place la filière française de transformation des sous-produits animaux dans une forme d'insécurité juridique et la fragilise vis-à-vis de ses concurrents européens, au moment d'une possible conclusion de l'accord avec le Mercosur. La filière viande rouge est potentiellement la plus impactée. Cette mesure de sur-transposition dans les abattoirs n'allège pas les coûts d'abattage de la filière française.
Dans le domaine de la santé, les représentants de l'industrie des technologies médicales ont particulièrement attiré notre attention sur les obstacles à la recherche clinique résultant de la sur-transposition des directives européennes. Là encore, celle-ci n'est pas sans incidence sur la compétitivité de la filière et l'emploi en son sein.
En droit européen, le régime d'autorisation de la recherche clinique porte ainsi exclusivement sur les dispositifs médicaux non marqués CE. Un produit marqué CE, utilisé dans ses indications, ne peut donc pas relever d'un régime d'autorisation de recherche. En France, la recherche sur un tel produit relève à la fois d'une procédure d'autorisation et d'un avis du comité d'éthique. En droit européen, les États membres peuvent autoriser les fabricants à entamer les investigations cliniques sur les dispositifs médicaux non marqués CE immédiatement après l'accord du comité d'éthique. La France impose un délai de 55 jours pour l'autorisation. Les règles françaises en cas d'incidents liés à la mise en oeuvre d'investigations cliniques diffèrent des dispositions européennes. Quant à l'obligation de déclaration à l'Agence nationale de sécurité des médicaments de certains dispositifs médicaux préalablement à leur mise en service sur le territoire, elle n'est pas prévue par la directive.
Les industriels du secteur sont vigilants sur l'entrée en vigueur en 2020 d'un règlement adopté en 2017 qui devrait rendre caduques un certain nombre des dispositions du code de la santé publique, notamment en matière de publicité des dispositifs médicaux, alors que la France interdit ou encadre fortement le contenu de ces publicités.
Deux cas supposés de sur-transposition relevés appellent des réserves. L'un concerne les paquets de cigarettes et l'autre la mention du débit d'absorption spécifique, qui quantifie les ondes auxquelles nous sommes exposés en utilisant notre téléphone mobile. Les mesures adoptées par la France se justifient par un impératif de santé publique, la Commission laissant en la matière une marge de libre appréciation aux États membres.
Les mentions obligatoires qu'impose le code de la consommation sur la publicité et l'information des consommateurs en matière de crédit immobilier et de crédit à la consommation, qui s'ajoutent à celles que prévoient les directives, sont particulièrement nombreuses. Or leur accumulation est susceptible de produire l'effet inverse de celui recherché et crée des difficultés opérationnelles pour les annonceurs, agences ou média.
Sont ainsi relevées : la mention obligatoire, dans la publicité pour un crédit immobilier, du délai de rétractation et du droit à remboursement des sommes versées au titre de la promesse de vente en cas de non obtention du prêt, alors que cette information figure dans l'information précontractuelle et contractuelle ; trois mentions obligatoires sur le coût du crédit à la consommation, alors que la directive n'en prévoit aucune ; ou encore l'obligation d'indiquer la qualité, l'adresse et le numéro d'immatriculation de l'annonceur en publicité, également non prévue par la directive.
Pour autant, le bienfondé de l'adjonction de certaines mentions obligatoires n'est pas contesté, comme l'information sur l'amortissement minimum du capital dans chaque échéance, dans la mesure où l'amortissement du capital restant dû est une spécificité française, ou encore, les informations sur les crédits renouvelables en cas de découvert de compte. La fiche de dialogue pour l'évaluation de la solvabilité de l'emprunteur permet de formaliser le dialogue, mais elle s'ajoute à l'obligation prévue par la directive d'évaluer cette solvabilité.
Des mentions obligatoires sont également ajoutées à celles que requiert le cadre harmonisé européen en matière d'information précontractuelle en matière de crédit à la consommation ou de vente à distance de services financiers. Quant à la vente de contrats d'assurance, la directive de 2016 prévoit la fourniture d'un document normalisé de deux pages contenant les informations essentielles sur le contrat, mais le code des assurances a pourtant maintenu l'obligation de remettre trois autres documents largement redondants, ce qui dilue l'information du consommateur.
En outre, les mesures de sur-transposition applicables aux marchés publics sont abondamment dénoncées : elles génèrent des charges administratives supplémentaires pour les entreprises et emportent un risque de divulgation d'informations commerciales confidentielles - ainsi l'obligation, non prévue par la directive de 2014, de mettre à disposition, sous un format réutilisable, les données essentielles du marché, y compris le montant et les principales conditions.
La rigidité du cadre français qui ajoute aux directives est soulignée. Vous en trouverez des exemples dans la synthèse qui sera élaborée. On peut citer la prohibition des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus ou l'obligation d'allotissement, simple faculté dans la directive. A priori favorable aux PME, celle-ci apparaît mal adaptée aux économies d'échelle susceptibles d'abaisser les coûts de certains projets. Le critère unique du prix est limité par le décret aux seuls marchés de services et de fournitures alors que la directive de 2014 permet de lui donner une portée plus large et qu'il pourrait être pertinent, par exemple, pour certains marchés de travaux, en fonction de l'appréciation de l'acheteur. Quant aux points susceptibles d'être négociés avec les soumissionnaires, là encore ils sont beaucoup plus limités que ce que prévoit la directive.
L'inclusion dans les marchés publics de services juridiques de la représentation et du conseil d'un client dans le cadre d'un arbitrage ou d'une procédure juridictionnelle ou administrative, que n'impose pas le droit européen, apparaît également malvenue en raison du fort intuitu personae attaché à ce type de service.
Dans le secteur de la défense, pour répondre à la réactivité extrêmement forte de Daech en matière d'élaboration d'armes et de drones, l'armée française est obligée de lancer une procédure d'appels d'offre assez longue... Elle intervient alors avec retard. Prenons garde à des points ponctuels ou à des domaines que nous n'aurions pas envisagés. La directive européenne était parfaite, mais nous l'avons sur-transposée, handicapant les procédures d'appel d'offres. Notre rôle est donc essentiel au travers de cette plateforme.
Selon nos interlocuteurs, certaines obligations prévues par des directives sont étendues à des entreprises qu'elles ne visent pas, comme l'obligation de nommer un commissaire aux comptes à toutes les sociétés anonymes, quelle que soit leur taille, ou l'application aux mutuelles de santé du régime administratif, prudentiel et comptable des organismes d'assurance et de réassurance prévu par la directive de 2009 - alors qu'il s'agit d'organismes de prévoyance et de secours que la directive exclut expressément de son champ d'application.
Après cette réunion commune, la commission des affaires européennes débattra de deux textes sur la protection des données personnelles et sur les services de paiement. La conférence des présidents nous a confié, il y a un mois, la mission d'être extrêmement attentifs à la sur-transposition. Il ne faut pas sur-transposer les textes européens, car cela fragilise et handicape nos entreprises.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Je complèterai le bilan de Jean Bizet en me focalisant sur les domaines qui recouvrent ceux que nous signalent le plus souvent les entreprises que nous rencontrons lors de nos déplacements de terrain : les normes industrielles, les normes en matière de santé et sécurité au travail, le code du travail, les obligations en matière de sécurité alimentaire... Les normes évoquées sont très diverses. Je vous en présenterai quelques-unes, reprises plusieurs fois dans le cadre de la consultation.
La consultation révèle une multitude de normes industrielles relevant de sur-transpositions handicapantes pour la compétitivité de nos entreprises, qui concernent notamment les activités de traitement de surfaces de métaux ou de matières plastiques par des procédés industriels chimiques ou électrolytiques : la règlementation européenne impose l'obtention d'un permis d'exploiter et le respect de conditions de fonctionnement pour certaines catégories d'activités de traitement de surface dépassant des seuils quantitatifs, à partir de 30 mètres cube. Le seuil français est lui fixé à 1,5 mètre cube. Il est accompagné de restrictions dans les moyens accordés aux entreprises pour le respecter.
À compter du 1er janvier 2018, tout nouvel équipement terminal radioélectrique destiné à la vente ou à la location sur le territoire français doit être compatible avec la norme IPV6. Or, la directive européenne relative à l'harmonisation des législations des États membres n'impose pas ce type de contraintes. Des équipements non dotés du protocole IPV6 entrent donc sur le marché européen, en concurrence déloyale avec les produits français.
Les cas de sur-transpositions dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail sont particulièrement familiers aux membres de la Délégation aux entreprises - ils nous sont régulièrement rappelés par les entrepreneurs que nous rencontrons. C'est ainsi que la question des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) a encore une fois émergé dans le cadre de la consultation.
La directive européenne définit une valeur limite d'exposition aux poussières de bois durs de 3 milligrammes par mètre cube jusqu'en 2023, puis de 2 milligrammes. Or la législation française fixe cette valeur à 1 milligramme. La mise aux normes françaises demande aux industries du bois un investissement lourd dans les machines-outils et la mise en oeuvre de ces normes très strictes implique une forte consommation électrique par ces machines.
La directive européenne fixe la valeur limite d'exposition au chrome hexavalent ou chrome 6 à 50 microgrammes par mètre cube, ou de 10 à 25 microgrammes selon les formes de chrome hexavalent concernées. Ce plafond a été divisé par 50 en France depuis trois ans et abaissé à un microgramme en 2014 - ce qui constitue la marge d'erreur. Il s'agit du seuil le plus bas parmi les pays industrialisés. Des pays européens comme l'Allemagne, la Suède et l'Espagne ont de leur côté fixé ce seuil à 5 microgrammes. La mise en conformité imposée aux entreprises françaises représente là encore un très lourd investissement pour nos entreprises.
Sur la VLEP au styrène, aucun des textes européens encadrant la protection des travailleurs exposés aux substances chimiques ne classe le styrène comme substance dangereuse pour la santé des travailleurs. En France, c'est par un décret de 2016 que cette limite est fixée. Nos entreprises doivent donc réaliser des investissements de mise en conformité très onéreux représentant un surcoût non négligeable et récurrent que n'ont pas à supporter nos concurrents européens.
Certaines dispositions du code du travail relèvent également de sur-transpositions du droit européen, malgré les efforts récemment entrepris dans ce domaine. Ainsi, une règlementation française plus stricte concernant les temps de travail et de repos hebdomadaires pénalise les entreprises françaises dans le domaine du transport routier de voyageurs pour le tourisme, alors même qu'elles présentent des garanties de sécurité supérieures à leurs concurrentes européennes. Diverses règlementations de sécurité des machines sont également plus strictes.
La sécurité alimentaire est fondamentale, en particulier dans le contexte sanitaire que nous connaissons. Mais il existe une différence entre prudence et excès de prudence. Les normes françaises sont parfois excessivement strictes pour un gain en termes de sécurité sanitaire qui fait débat, si l'on en croit les résultats obtenus dans les pays voisins, qui assurent une sécurité alimentaire comparable sans perte de compétitivité.
Dans la règlementation européenne, la déclaration de conformité existe uniquement pour les plastiques en contact alimentaire. Un décret de 2006 l'a étendue en France aux cartons, ce qui alourdit le cahier des charges des industriels d'une contrainte que leurs concurrents européens n'ont pas. Cette règlementation est par ailleurs rendue inopérante par le marché unique puisque les cartons fabriqués hors de France pénètrent librement le marché national.
La règlementation française prévoit que les auxiliaires de fabrication dans le domaine alimentaire ne figurant pas sur une liste préétablie doivent faire l'objet d'une évaluation de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), après saisine de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Puisque les produits réalisés ailleurs en Europe entrent librement en France, pourquoi ne pas faire comme les pays voisins : confier aux industriels la responsabilité d'appliquer les principes HACCP, et faire mener des audits par des tiers de confiance ? Nos entreprises y gagneraient en simplicité et en réactivité. En effet, la procédure française est particulièrement lente : la saisine de l'ANSES peut prendre jusqu'à 377 jours, alors même que le décret s'y rapportant en prévoit 120.
Dans le cadre des restrictions applicables aux substances chimiques, le règlement européen exclut le domaine alimentaire de l'obligation de déclaration annuelle de substances à l'état nanoparticulaire. En France, l'article du code de l'environnement transposant cette directive met en place, sans étude d'impact préalable, l'obligation de déclaration des substances à l'état nanoparticulaire dans le registre français r-nano et applique une définition de ces substances différente de la définition européenne puisqu'elle inclut le domaine alimentaire. Cette règlementation nationale, la plus stricte au sein de l'Union européenne, aboutit-elle à une meilleure sécurité comparée aux autres pays européens ?
Le Protocole international de Nagoya vise un partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques de « plantes, animaux, bactéries ou d'autres organismes, dans un but commercial, de recherche ou pour d'autres objectifs ». Avec l'Espagne, la France est le seul pays à avoir mis en place, sur le fondement du règlement européen s'y rapportant, une régulation contraignante de l'accès aux ressources génétiques - en particulier dans le domaine alimentaire pour des raisons de sécurité - et notre pays a la règlementation la plus stricte au sein de l'Union européenne qui oblige à publier des informations sensibles au stade de la recherche. Cette règlementation et ses conséquences en termes de lenteur administrative - 8 mois de procédure au minimum - et de publicité des technologies, risquent de causer une diminution de l'attrait scientifique français dans un contexte international particulièrement concurrentiel.
Ces exemples ne représentent qu'une partie des sur-transpositions qui ont été régulièrement portées à notre attention par les entreprises et illustrent bien la diversité des cas de ce « mal français » qui touche tous les domaines. La commission des affaires européennes et notre délégation avaient bien pressenti l'étendue de ce mal. Chacune d'elles a déjà publié l'an dernier un rapport encourageant la simplification et dénonçant la tendance française à sur-transposer les normes européennes : La simplification du droit : une exigence pour l'Union européenne pour la commission des affaires européennes, et Simplifier efficacement pour libérer les entreprises pour notre délégation.
Au vu de la richesse des données récoltées grâce à la consultation que nous avons lancée, il nous semble utile de prolonger la réflexion. Le Gouvernement lui-même n'a fait qu'amorcer le travail de « dé-surtransposition » dans le projet de loi ESSOC ; il annonce des avancées plus substantielles en ce domaine dans le projet de loi relatif au Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui devrait être soumis avant l'été à l'Assemblée nationale et sans doute en septembre au Sénat.
Jean Bizet et moi-même vous proposons de poursuivre la réflexion afin de voir quelles conséquences nous pourrions en tirer. Notre collègue René Danesi, qui est membre de nos deux instances, nous a fait savoir qu'il serait intéressé de mener ces investigations plus approfondies. Est-ce que vous approuvez sa nomination ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Pour que les initiatives que nous pourrions prendre soient visibles, il faudrait qu'elles interviennent avant la lecture du projet de loi PACTE qui traitera de très nombreux autres sujets. Ceci impliquerait de finaliser le travail avant la suspension des travaux parlementaires de printemps : notre rapporteur a donc un gros travail à réaliser.
M. Jean Bizet, président. - C'est un énorme travail dont M. Danesi s'acquittera avec tout le sérieux qu'on lui connaît. J'avais étudié il y a quelques années le protocole de Nagoya... Chacun a des exemples dans son département. J'avais reçu des entreprises fabriquant des additifs alimentaires, obligées de divulguer certains process de fabrication, ce qui les fragilisait par rapport à la concurrence : c'était une source de complexité et une perte de compétitivité réelle.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Grâce à cette consultation, nous disposons de nombreux exemples concrets, parfois très techniques.
M. Jean Bizet, président. - Chaque année, la commission des affaires européennes publie un rapport sur le suivi des résolutions européennes du Sénat. La première année, nous nous étions un peu battus avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) pour obtenir les informations. Depuis, nous tenons une réunion de travail annuelle sur le suivi à Bruxelles du résultat de nos actions. Dans 50 % des cas, les résolutions du Sénat sont totalement suivies d'effets, dans 25 % des cas partiellement, et notre taux d'échec n'est que de 25 %. Mme Lamure et moi-même vous proposons d'organiser une réunion annuelle avec le Gouvernement pour qu'un état des lieux de l'application des points que nous aurons soulevés soit réalisé.
M. André Reichardt. - J'approuve la désignation de M. Danesi comme rapporteur sur ce sujet. Alsacien, il saura parfaitement s'acquitter de sa tâche. Quelle est l'étendue de sa mission, dans des délais particulièrement contraints ? Dans les exemples de sur-transposition que vous avez rappelés, certains sont peu appropriés, d'autres nous interrogent. Parfois, un pays ne peut-il pas sur-transposer pour des raisons qui lui sont propres ? M. Danesi va-t-il proposer des modifications pour chaque sur-transposition, ou va-t-il proposer d'éviter de façon globale les sur-transpositions ?
Le président Larcher et la conférence des présidents ont confié à la commission des affaires européennes une nouvelle mission, révolutionnaire : se prononcer sur les cas de sur-transposition éventuels. Nous le ferons au fil de l'eau. Cette mission est particulièrement importante, à condition que nous soyons écoutés... M. Danesi traitera du stock. Si nous ne sommes pas suivis, il sera obligé de refaire ce travail chaque année.
M. Claude Kern. - L'interprétation des définitions importe également. L'Allemagne, la France et l'Autriche n'ont pas les mêmes définitions pour le traitement des déchets. En Allemagne et en Autriche, dès qu'un déchet est transformé - ce qui comprend le tri -, il devient un produit. Il en est de même pour la définition des machines dangereuses et des positions dangereuses pour des apprentis. En France, une perceuse est une machine dangereuse ; se tenir debout à partir du troisième barreau d'une échelle est une position dangereuse... En Allemagne, une position dangereuse dépend du métier, il n'y a pas de définition générale. Les représentants d'une entreprise française de couverture m'ont avoué avoir du mal à former des apprentis car ils sont obligés de les former au sol ! En Allemagne, ils sont formés sur les toits...
M. Olivier Cadic. - Lors de l'élaboration du rapport que j'avais rédigé avec Mme Lamure, nous avons eu connaissance de ce problème de sur-transposition. Nous avions proposé une stricte transposition des textes européens. Si le Gouvernement souhaite rajouter quelque chose, il devra déposer un texte à part afin qu'une étude d'impact soit réalisée. Le diable se niche dans les détails - souvent techniques, dont nous n'avons pas forcément conscience - et l'enfer est pavé de bonnes intentions...
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Nous sommes dans la même situation que celle que nous dénoncions sur les normes : il y a d'un côté le stock, de l'autre le flux. La dé-surtransposition sera le travail de M. Danesi. Comment ne plus sur-transposer à l'avenir ? Adoptons les directives telles quelles, et une proposition ou un projet de loi spécifique serait étudié à part, avec une étude d'impact. J'espère que nous arriverons à mettre en oeuvre cette proposition. Cette dérive ne peut plus continuer !
M. Michel Raison. - On dit cela depuis des années. Voyez hier soir dans l'hémicycle ; quelles sont nos chances d'être écoutés par le Gouvernement ? Rapporteur d'un projet de loi, j'avais déposé un amendement pour éviter une sur-transposition sur la fin du stockage de gaz en profondeur. Il a été rejeté. Que faire ?
M. Jean Bizet, président. - Je comprends que vous puissiez être un peu désabusés. Malgré tout, nous assistons à une large prise de conscience, avec une étude du Conseil d'État de 2015, une circulaire du Premier ministre, et la pression qui monte sur le terrain. L'Union européenne a plusieurs niveaux de compétences, tantôt exclusives, tantôt partagées ou d'appui. Sinon, la compétence revient aux États-membres.
L'approche de notre collègue Olivier Cadic est d'inspiration anglo-saxonne. La transposition de directives chez nos amis anglais relève du copier-coller. Ils sont extrêmement habiles : en amont, ils tiennent souvent la plume des fonctionnaires européens qui écrivent une directive ou un règlement ; tandis que la France, lorsqu'elle prend conscience de son retard, veut en rajouter en sur-transposant.
Rien n'empêche un État-membre, par exemple lorsque la sécurité des consommateurs est en jeu, d'être plus exigeant. Mais voyez le principe de précaution : en France, où il est prépondérant, il est devenu au fil du temps un principe d'inaction.
J'avais proposé, il y a quelques années, d'équilibrer le principe de précaution par un principe d'innovation. Ma proposition de loi avait été votée par le Sénat à une très large majorité, qui dépassait le clivage politique droite-gauche, mais aucun gouvernement n'a ensuite souhaité l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Aujourd'hui, il faut que nous soyons pragmatiques. M. Danesi sera chargé d'apurer le passé. La conférence des présidents nous confie la tâche de surveiller cette question. Quelles sont nos chances d'être écoutés ? Je ferai le parallèle avec la situation que nous avons connue avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Alors qu'au début, nos discussions étaient compliquées sur le suivi des résolutions, la situation s'est sensiblement améliorée.
Nous ne lâcherons rien. Il faut que nous rencontrions régulièrement le Gouvernement pour aborder les points que nous aurons soulevés et les modifications que nous souhaitons faire adopter. Je n'ai été informé qu'hier de la difficulté que posaient les dispositions du code des marchés publics dont je vous ai précédemment parlé pour nos armées. Une solution a heureusement été trouvée, car il s'agissait d'une question de vie ou de mort pour nos soldats.
Je suis peut-être naïf, mais il est possible, me semble-t-il, de faire oeuvre utile en la matière.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Certains défendent une position radicale : cesser toute surtransposition. Je ne sais pas s'il faut aller jusque-là, car, dans certains cas, il peut être nécessaire d'aller plus loin. Néanmoins, il faut savoir que les entreprises pâtissent de ces surtranspositions, qui handicapent leur compétitivité, et de cet excès de normes.
René Danesi rendra son rapport dans quelques mois. J'espère que nous pourrons déposer voire discuter une proposition de loi et une proposition de résolution avant l'été. Sinon, nous discuterons de cette question dans le cadre de l'examen du projet de loi PACTE - plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises - dont nous débattrons sans doute à la rentrée.
M. Jean Bizet, président. - Lors du dernier salon de l'agriculture, j'ai été interpellé par la famille Bonduelle, qui se tourne vers la Belgique pour investir, car tout y est plus simple.
M. André Gattolin. - Je veux replacer notre débat dans une perspective historique : souvenez-vous qu'il y a encore quelques années, la France était souvent condamnée pour non-transposition de la réglementation européenne.
La sous-transposition est également un sujet important. En 2009, la France a ainsi complètement détourné la transposition d'une directive sur la rémunération des traders pour donner une plus grande importance à la part variable de cette rémunération. Il faut donc s'intéresser aux sous-transpositions, plutôt rares, que nous faisons, mais aussi à celles des autres pays.
Il ne faut pas oublier non plus la délicate question de la transposition par anticipation. La France avait incorporé dans la loi pour la République numérique des dispositions sur la réglementation des plateformes, ce qui avait agacé la Commission européenne. Sous prétexte qu'une directive est en préparation, il faudrait s'interdire de peser sur l'orientation qui sera adoptée ! La directive dite « Services de médias audiovisuels » (SMA) doit être révisée : nous en sommes au sixième trilogue, mais le texte n'est toujours pas arrêté. Or le Gouvernement doit présenter un projet de loi de transposition d'ici à la fin de l'année...
Le temps de production des normes européennes fait que de nombreuses directives deviennent rapidement obsolètes en raison des évolutions technologiques.
M. Pierre Cuypers. - Le principe de précaution mériterait d'être repris à la base, car c'est de lui que naissent tous les maux.
M. Daniel Gremillet. - Nous légiférons et nous laissons croire aux Français que nous décidons de la façon dont les choses vont se passer dans notre pays, mais au final ce n'est pas le cas ! Pour ce qui relève des exigences européennes, on peut être à peu près certain que les concurrents seront soumis aux mêmes règles ; mais s'agissant de la diversité des conditions de production des produits, il y a en quelque sorte tromperie à l'égard du consommateur.
Le Sénat a récemment débattu de la négociation d'un accord de libre-échange avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. La question de la loyauté des conditions de concurrence est la même qu'entre la France et les pays de l'Union européenne. Nous sommes à un moment stratégique : l'Europe en sortira soit renforcée, soit affaiblie.
Le débat doit aussi porter sur les accords entre l'Union européenne et d'autres zones commerciales, comme le MERCOSUR. C'est une question stratégique car elle cache un projet politique.
M. Jean Bizet, président. - Il s'agit effectivement d'un projet politique.
Je reconnais avoir été le rapporteur pour avis du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle intégrant le principe de précaution dans notre Constitution.
L'article 5 de la Charte de l'environnement est clair : seules les « autorités publiques » sont habilitées à adopter, par application du principe de précaution, des mesures « provisoires et proportionnées ». En cas de doute, il faut se référer aux données scientifiques.
Ce principe a été galvaudé par la suite, ce qui a contribué à entretenir un vilain climat. La mauvaise interprétation de la notion de marché pertinent par l'Autorité de la concurrence, sous la présidence de Bruno Lasserre, conduisait au même résultat. Or les chefs d'entreprise sont très sensibles à ce facteur.
Alors que, compte tenu de la qualité de nos produits et de la performance de nos acteurs, nous devrions être encore plus offensifs dans les accords de libre-échange, nous sommes fragilisés.
M. Michel Raison. - Le problème n'est pas constitutionnel, mais culturel.
M. Jean Bizet, président. - C'est exact. C'est la raison pour laquelle j'aimerais qu'on puisse intégrer dans le projet de loi sur les fake news les fausses informations scientifiques.
M. André Reichardt. - Je veux insister sur la complexité du sujet. Ceux qui se plaignent des surtranspositions en veulent parfois davantage ! Je pense à la commande publique : personne ne s'est plaint que le gouvernement français demande l'interdiction des offres variables.
Monsieur Cadic, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut s'en tenir à une transposition stricte. J'insiste, les choses sont plus compliquées qu'elles n'en ont l'air.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Assurément, nous devons aussi nous autodiscipliner. Quelquefois, malgré de bonnes intentions, nous allons trop loin et nous surtransposons.
M. Jean Bizet, président. - Nous devons effectivement toujours prendre en compte l'intérêt de nos entreprises quand nous voulons ajouter des normes.
Nous allons informer le Gouvernement, au travers d'un communiqué commun, que nous lui demanderons régulièrement de faire le point sur les questions que nous aurons identifiées.
La réunion est close à 10 h 05.
- Présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 10.
Projet de loi pour un État au service d'une société de confiance - Communication de Mme Élisabeth Lamure sur les dispositions intéressant les entreprises et propositions d'amendements
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Le Sénat examinera la semaine prochaine le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance. On l'a longtemps désigné comme le projet de loi « droit à l'erreur », car il consacre notamment un nouveau droit pour l'usager : aucune sanction administrative ne lui sera infligée s'il méconnaît involontairement une règle applicable à sa situation et s'il rectifie son erreur.
La délégation avait adopté un rapport d'information d'Olivier Cadic et moi-même qui s'intitulait Simplifier efficacement pour libérer les entreprises. Ces préconisations avaient trouvé leur traduction en septembre 2017 dans le dépôt de plusieurs propositions de loi et d'une proposition de résolution. Celle-ci appelait le Gouvernement « à orienter l'administration vers le service aux entreprises, notamment en donnant la priorité à la simplification, et à privilégier une approche tendant à fixer seulement les exigences essentielles dans la réglementation et à laisser aux entreprises le choix des moyens pour parvenir aux résultats attendus ». Elle suggérait « de passer d'une logique reposant sur la défiance et la nécessaire obtention d'autorisations à une logique fondée sur la confiance et le respect d'interdictions sous peine de sanctions ».
Nous pouvons donc nous féliciter que le projet de loi ESSOC soit largement inspiré des travaux de notre délégation. Notamment, la stratégie nationale d'orientation de l'action publique vers une société de confiance, qui est annexée à l'article 1er du texte, reprend les impératifs que notre délégation avait tracés il y a un an : une administration au service des administrés, une administration qui conseille, facilite, accompagne et prend en compte la capacité financière du contribuable ; une association des personnes intéressées aux politiques publiques ; une présomption de confiance, toute personne soumise à une obligation étant réputée s'y être conformée ; une action publique soumise à évaluations régulières quant à sa capacité à satisfaire les usagers, l'évaluation de l'administration associant les personnes intéressées ; des délais administratifs réduits ; un principe de nécessité et de proportionnalité affiché pour l'édiction de toute norme, afin de minimiser le coût et la complexité normative ; le droit, pour toute personne, de ne pas être tenue de produire à l'administration une information déjà détenue, selon le principe du « Dites-le nous une fois ».
Bref, un monde idéal. La commission spéciale, dont je suis membre comme certains d'entre vous, a naturellement souligné l'absence de portée normative de cette annexe. Il est vrai que, par exemple, la prise en compte de la capacité financière du contribuable, proclamée dans cette annexe, ne trouve pas de déclinaison concrète dans le projet de loi. Or ce serait un élément précieux pour traiter le cas des entreprises en difficulté qui peinent à s'acquitter de leurs obligations fiscales et sociales. Dénonçant son caractère purement déclaratoire, la commission spéciale n'a pas souhaité amender cette annexe. Du point de vue de notre délégation, le changement d'état d'esprit que le Gouvernement veut impulser à l'administration par ce texte, certes non normatif, ne peut être ignoré, tant il répond aux demandes que nous portons, à la suite des rencontres de terrain que nous avons faites avec des centaines d'entreprises dans plus de quinze départements.
C'est pourquoi je vous propose d'améliorer encore cette annexe à l'article 1er, par un amendement qui renforce l'objectif de simplification affiché : cet amendement prévoit que, « lorsqu'une norme nouvelle entraîne une charge supplémentaire pour les entreprises, elle ne peut être édictée que lorsqu'il est prévu simultanément l'abrogation de normes représentant une charge au moins équivalente ».
Je vous propose ainsi de reprendre l'exigence que nous avions souhaité promouvoir dans la proposition de loi constitutionnelle n° 721 déposée par plusieurs d'entre nous en septembre dernier. Celle-ci prévoit que les projets et propositions de loi, ainsi que les amendements tendant à introduire des charges supplémentaires pour les entreprises, ne sont recevables que s'ils prévoient simultanément la suppression de charges équivalentes. Cela me paraît cohérent avec le vote intervenu hier au Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d'impact des projets de loi, présentée par les membres du groupe socialiste et républicain : les sénateurs ont en effet adopté l'amendement que j'ai défendu au nom de plusieurs d'entre nous et qui vise à préciser, dans les études d'impact, les économies de charges résultant de l'abrogation de normes proposée pour toute création d'une norme nouvelle.
Si je crois important d'accompagner le changement d'état d'esprit que notre délégation appelle de ses voeux depuis longtemps, cela ne doit pas nous empêcher d'être lucides sur le caractère largement incantatoire de l'ensemble du projet de loi ESSOC. Diverses dispositions, apparemment séduisantes, sont décevantes à l'examen : par exemple, l'article 2 bis, que le Gouvernement a introduit par amendement à l'Assemblée nationale, prévoyait que l'absence d'une pièce non essentielle à l'appui d'une demande d'attribution de droits ne peut conduire l'administration à suspendre l'examen du dossier. Cette bonne intention manque assurément sa cible : la bonne question à se poser me semble plutôt de savoir pourquoi cette pièce est demandée par l'administration si elle n'est pas essentielle ! Mieux vaudrait donc revoir la liste des pièces demandées que d'introduire ce nouveau principe. La décision de la commission spéciale de supprimer cet article 2 bis me semble donc tout à fait opportune.
Plusieurs autres dispositions présentées comme des avancées ne traitent pas les véritables sujets : la promotion du rescrit, par exemple. Aujourd'hui, le rescrit permet de garantir le contribuable contre un changement de doctrine de l'administration fiscale : l'administration répond à la question précise d'un redevable par une réponse écrite et elle se trouve liée par cette réponse. L'article 4 du texte propose de consacrer la procédure du rescrit contrôle pour permettre à un redevable, lors d'un contrôle fiscal, d'obtenir la validation expresse de l'administration sur certains points. C'est sans doute utile, mais le vrai progrès ne serait-il pas de simplifier le code général des impôts pour qu'il ne puisse pas donner lieu à diverses interprétations ?
De même, le certificat d'information, créé à l'article 12 pour permettre aux porteurs de projets de connaître leur environnement normatif avant de se lancer, n'apporte pas de solution de fond à la complexité des normes et à leur instabilité.
Enfin, le droit au contrôle, instauré à l'article 2, peut prêter à sourire : les entreprises que nous avons rencontrées ne nous ont pas paru en manque de contrôle ! Je me souviens d'un entrepreneur qu'à l'initiative d'Olivier Cadic, nous avions rencontré à Londres en 2015 et qui nous disait qu'il avait actuellement plus de contrôles fiscaux pour ses 20 entreprises françaises que pour la totalité de ses 60 sociétés britanniques.
En outre, de nombreuses avancées prévues dans le texte sont soumises à des conditions ou à des expérimentations qui réduisent considérablement leur portée. On se demande souvent, à la lecture des articles, quand cette loi sera véritablement applicable !
De nombreuses obligations sont ainsi exclues du droit à l'erreur ; le certificat d'information, comme la « cristallisation » des normes créée par l'article 12 bis pour interdire de remettre en cause pendant douze mois des règles applicables à une activité, ne concerneront que les activités dont le Conseil d'État dressera la liste ...
Je pense aussi à l'article 21, qui devrait faciliter enfin l'application du fameux principe « Dites-le nous une fois » déjà consacré par la loi. L'article prévoit d'expérimenter, pendant quatre ans et avec les entreprises qui y consentent, l'échange d'informations entre administrations pour éviter aux entreprises de communiquer une information que l'administration détient déjà ou peut obtenir d'une autre administration. Non seulement il s'agit d'une expérimentation sur quatre ans, mais le champ des données concernées sera fixé par un décret en Conseil d'État ! Or, comme le rappelle le rapport de l'Assemblée nationale, ce sont 10,7 millions de pièces justificatives qui sont sollicitées chaque année par l'administration : la simplification est donc urgente et cette expérimentation réduite ne paraît pas à la hauteur de l'enjeu...
Autre avancée du texte dont la portée apparaît finalement bien réduite : la limitation de la durée des contrôles pour les PME. L'article 16 prévoit à titre expérimental de limiter cette durée des contrôles, mais seulement dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes et pour quatre ans. Cette limitation de durée ne serait pas opposable lorsqu'il existe « des indices précis et concordants de manquement à une obligation légale ou réglementaire ». Or l'objet d'un contrôle est précisément de repérer les éventuels manquements aux obligations en vigueur. Il importe donc que la limitation de sa durée reste opposable, même quand des indices laissent supposer de tels manquements. Je vous propose donc un amendement à cet article 16 qui vise à prévoir que la durée de tout contrôle soit effectivement limitée pour les PME. Cela incitera l'administration à cibler ses contrôles en mettant fin, d'une part, à l'intermittence de la présence des contrôleurs et, d'autre part, à « l'ignorance de ce qu'ils cherchent », pour reprendre les mots du rapporteur de l'Assemblée nationale.
Finalement, on peut se demander si ce projet de loi facilitera vraiment la vie des entreprises. En matière de surtranspositions, par exemple, le Gouvernement avait annoncé, lors de la présentation à la presse de ce projet de loi, la fin des surtranspositions qui pénalisent nos entreprises. Or, dans ce texte, il ne s'attaque, aux articles 32 et 35, qu'à quelques cas mineurs de surtranspositions, dans les domaines financier et environnemental.
En outre, on peut constater que les dispositions de surtranspositions, sur lesquelles le projet de loi revient en matière environnementale, ont été introduites par ordonnances en août 2016 et janvier 2017. Cela prouve que la tendance à surtransposer reste une tendance lourde de l'administration qui élabore les ordonnances. Ce retour en arrière, quelques mois après l'adoption de la règle trop sévère, nourrit l'instabilité législative...
Autre point qui ne faciliterait assurément pas la vie des entreprises : le durcissement des sanctions existantes en cas de réitération d'un manquement à certaines dispositions du code du travail, après un premier avertissement que le texte permet de prononcer. À l'article 8 en effet, une disposition a été introduite par un amendement du groupe Nouvelle Gauche à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'en étant remis à la sagesse des députés, qui majore de 50 % le montant de l'amende lorsque l'employeur a déjà reçu un avertissement au cours de l'année écoulée. La commission spéciale du Sénat a proposé de préciser que cette majoration de 50 % ne serait applicable qu'en cas de nouveau manquement « de même nature ». Je crois que nous devons aller plus loin et je vous propose un amendement pour supprimer cette disposition, sans quoi les entreprises se trouveraient encore plus sanctionnées demain qu'aujourd'hui en cas de manquement à certaines dispositions du code du travail.
Au total, la volonté du Gouvernement de faciliter la vie des entreprises apparaît timide : c'est pourquoi je vous propose deux amendements pour aller plus loin. Le premier, qui prend la forme d'un article additionnel après l'article 7, est inspiré par nos collègues Claude Nougein et Michel Vaspart puisqu'il reprend l'une des préconisations de leur rapport sur la transmission d'entreprise, que notre délégation a adopté il y a un an : il tend à instaurer une évaluation des services de l'administration qui tienne compte de la qualité de leurs relations avec les entreprises et du degré de satisfaction de ces dernières en matière de conseil. Cette évaluation reposerait notamment sur des enquêtes relatives au degré de satisfaction des entreprises. Cela donnerait une traduction concrète à la déclaration de principe qui figure dans l'annexe à l'article 1er du texte et qui prévoit des évaluations régulières de l'administration, associant les personnes intéressées.
Le second amendement que je vous propose, sous forme d'article additionnel après l'article 43, vise à nous doter d'un outil dédié à la simplification du droit pour les entreprises. Lors de l'examen de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, la députée du groupe La République En Marche, Alice Thourot, avait déposé un amendement n° 696 tendant à la création d'un Conseil d'amélioration du droit pour les entreprises. Elle l'a retiré en séance en échange de l'engagement du Gouvernement - pris par un amendement qu'il a lui-même déposé et qui a donné lieu à la création de l'article 40 bis - de remettre au Parlement un rapport sur les surtranspositions de normes européennes d'ici au 1er juin 2019. Or cet engagement avait déjà été pris par le Gouvernement, pour une date d'ailleurs plus rapprochée, et la commission spéciale a supprimé à juste titre l'article 40 bis, comme d'ailleurs tous les articles prévoyant des rapports inutiles.
Après s'être déplacée dans plusieurs pays voisins, notre délégation a été convaincue que le plus efficace serait de confier à un organe ad hoc le soin de simplifier et d'améliorer le droit pour les entreprises, notamment en traitant les problématiques de surtranspositions que nous venons d'évoquer. Cet organe ferait pendant au Conseil national d'évaluation des normes, créé en 2013 sur une initiative parlementaire et chargé du contrôle et de l'évaluation des normes applicables aux collectivités locales.
L'amendement que je vous propose reprend donc l'essentiel du dispositif de la proposition de loi n° 723 que plusieurs d'entre nous avions déposée en ce sens en septembre 2017, à la suite du rapport d'Olivier Cadic et moi-même sur la simplification. Il s'agit de réactiver le Conseil de la simplification pour les entreprises, qui a existé pendant trois ans de 2014 à 2017, mais en renouvelant ses missions et sa composition, pour qu'il assure une contre-expertise indépendante des études d'impact produites par l'administration. En consultant plus régulièrement les acteurs économiques, cet organisme permettrait une meilleure prise en considération de l'avis des entreprises et des organisations professionnelles sur les projets de normes les concernant. Nous avons été impressionnés par l'action d'un tel organe en Allemagne, le Normenkontrollrat (NKR), qui a permis d'alléger la charge administrative dans ce pays de 14 milliards d'euros en cinq ans. Peut-être que si un tel organe existait déjà en France, il se serait assuré que la création, par ce projet de loi ESSOC, de dizaines de nouveaux articles de loi était compensée par la suppression d'au moins autant de dispositions existantes, afin de ne pas alourdir le fardeau administratif des entreprises. Ce n'est malheureusement pas le cas...
Voilà les propositions d'amendements que je vous soumets pour que ce texte soit vraiment utile aux entreprises. Comme le délai limite de dépôt des amendements est fixé aujourd'hui à midi, je vous remercie de vous faire connaître maintenant si vous souhaitez les cosigner.
Mme Martine Berthet, MM. Olivier Cadic, Michel Canevet et René Danesi, Mme Catherine Fournier, M. Daniel Laurent, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Jackie Pierre et Michel Vaspart cosignent les amendements.
M. Olivier Cadic. - S'agissant du rescrit, il faut protéger le contribuable du fait que la loi peut changer. En effet, l'administration qui avait donné son accord à une certaine pratique peut se retourner contre le contribuable en cas de modification de la loi. Il faudrait aussi prévoir que l'absence de réponse de l'administration dans un délai de 90 jours équivaut à un accord tacite, afin d'éviter toute zone « grise ». On constate, en effet, que les entreprises ont l'impression d'être dans le brouillard en raison du nombre trop important de normes.
En matière de contrôle fiscal, le contribuable est toujours suspect. Fixer une limite dans le temps est une bonne chose, mais il faudrait également limiter les moyens que peut utiliser l'administration. Aujourd'hui, le contrôle fiscal est extrêmement intrusif. Je suis étonné de la résilience des Français face à la complexité : nous avons pris l'habitude d'accepter des demandes incroyables ! Nous devrons faire preuve de fermeté sur cette question.
Mme Élisabeth Lamure, présidente. - Des dispositions ont déjà été prises par Pascale Gruny, qui est rapporteur du projet de loi et membre de notre délégation. Des avancées devraient être réalisées.
Je vous rappelle que la Journée des entreprises se tiendra le jeudi 29 mars prochain. Une centaine d'entreprises se sont déjà inscrites. Les deux tables rondes porteront sur le cycle de vie des entreprises et sur la rencontre entre offre et demande d'emplois.
Nos deux prochains déplacements auront lieu le 9 avril en Seine-Maritime, dans le département de Nelly Tocqueville, et le 25 mai dans la Creuse, chez notre collègue Éric Jeansannetas.
La réunion est close à 10 h 30.