Lundi 19 février 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Visite du siège de Météo France à Saint-Mandé
M. Michel Magras, président. - Je souhaite d'abord remercier Météo France de nous accueillir dans ses locaux. La délégation aux outre-mer a choisi d'aborder deux thématiques au cours des trois prochaines années : la jeunesse et le sport en outre-mer, et les risques naturels majeurs, ce dernier sujet d'étude expliquant notre présence en ces lieux aujourd'hui. Le premier volet de l'étude sur les risques naturels majeurs portera sur la prévention et la gestion des événements et le second abordera les problématiques de reconstruction, d'adaptation et de résilience des territoires. M. Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, a été désigné rapporteur coordonnateur de l'étude, tandis que MM. Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, et Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ont été nommés rapporteurs sur le premier volet.
Étant donné le rôle primordial joué par Météo France lors du passage des cyclones, comme cela a été le cas pour Irma et Maria qui ont touché les îles du Nord et la Guadeloupe l'année dernière, nous sommes heureux de pouvoir procéder à cette audition qui nous conduira, à n'en pas douter, à formuler des préconisations.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Merci de nous accueillir aujourd'hui. Je souhaiterais rappeler qu'il ne s'agit pas d'une commission d'enquête et vous invite à nous exposer en toute franchise vos performances mais aussi vos insuffisances. Je vous encourage également à nous faire part de votre retour d'expérience en ce qui concerne les cyclones qui ont frappé les Antilles récemment.
Mme Anne Debar, directrice générale adjointe de Météo France. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je souhaite vous remercier au nom de notre président-directeur général, M. Jean-Marc Lacave, qui est actuellement à l'étranger et vous prie d'excuser son absence. Pour préciser nos fonctions, je suis moi-même en charge des actions institutionnelles et M. Alain Soulan s'occupe de l'organisation des services sur nos territoires. Mme Marie-Ange Folacci, directrice de la communication, est à nos côtés.
Nous vous présenterons dans un premier temps les missions et l'organisation de Météo France avant d'explorer plus en détail les dispositifs spécifiques prévus en outre-mer. À titre d'exemple, nous évoquerons le suivi des phénomènes cycloniques récents aux Antilles, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie, même si le retour d'expérience à proprement parler sur Irma et Maria vous sera présenté lors de vos visites au centre technique de Météo France à Toulouse et à la direction interrégionale Antilles-Guyane (DIRAG).
Au-delà des prévisions météorologiques, les missions institutionnelles de notre établissement concernent la sécurité des personnes et des biens, ainsi que l'appui aux forces armées et aux services de la navigation aérienne. Par ailleurs, nous apportons notre expertise à de nombreux secteurs d'activité météo-sensibles comme l'énergie, les transports et l'agriculture. Pour vous donner une idée de l'impact de notre mission, je citerai l'évaluation socioéconomique réalisée à la demande du conseil général de l'investissement dans le cadre du renouvellement de notre supercalculateur prévu pour 2020. Cette étude, qui a fait l'objet d'une contrexpertise, a démontré qu'un euro investi dans la météorologie rapportait douze euros à la collectivité. La météorologie est donc un enjeu majeur, à la fois pour la sécurité des citoyens et pour l'économie nationale.
La France, comme la plupart des pays, a fait le choix de confier cette activité de météorologie à un service public pour plusieurs raisons. D'une part, il s'agit d'une mission qui touche à la sécurité publique des personnes et des biens. D'autre part, nous travaillons en interaction avec des autorités en charge de la sécurité civile et des collectivités territoriales. Enfin, ce secteur demande des investissements lourds, tant en termes d'infrastructures que de capacité de recherche.
Notre coeur de métier consiste donc à observer et prévoir les phénomènes dangereux tels que les pluies, les inondations, les vents violents, les orages, les cyclones et les avalanches, mais aussi les phénomènes plus saisonniers comme le grand froid ou la canicule.
En ce qui concerne notre organisation, notre poumon d'activité est situé à Toulouse. Il s'agit du Météopole, qui concentre nos centres scientifiques et opérationnels. Les services de recherche, de production, d'observation, les systèmes d'information ainsi que notre école dédiée à la formation des ingénieurs et des techniciens de la météorologie, soit 1 100 personnes au total, sont donc basés à Toulouse. La direction générale, la direction en charge de l'Île-de-France et du Centre ainsi que les fonctions support se trouvent à Saint-Mandé. Météo France compte sept directions interrégionales en métropole (Lille, Strasbourg, Lyon, Aix-en-Provence, Toulouse, Bordeaux et Rennes), quatre en outre-mer (Antilles-Guyane, Polynésie française, Réunion-Océan Indien et Nouvelle-Calédonie) et des services basés dans les Terres australes et antarctiques françaises (aux îles Kerguelen et en Terre Adélie).
Mme Catherine Procaccia. - Avez-vous des services basés à Saint-Pierre-et-Miquelon?
Mme Anne Debar. - La direction générale, à Saint-Mandé, est en charge de Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous travaillons actuellement au rattachement de ce territoire à la direction interrégionale Antilles-Guyane.
Mme Catherine Procaccia. - Saint-Pierre-et-Miquelon ne se situe pourtant pas dans cette région.
M. Alain Soulan, directeur général adjoint de Météo France. - Certes, mais cela nous semble plus pertinent que d'observer ce territoire depuis la direction centrale qui n'a pas d'activités opérationnelles. Les moyens informatiques sont d'ores et déjà déployés par le service basé en Martinique.
Mme Catherine Procaccia. - Qu'en est-il de Wallis-et-Futuna ?
M. Alain Soulan. - Wallis-et-Futuna dépend de la direction interrégionale basée en Nouvelle-Calédonie. De même, Mayotte est rattachée aux services de La Réunion.
Mme Anne Debar. - J'aimerais vous dire un mot au sujet de nos dispositifs de vigilance mis en place en 1999. Auparavant, il n'existait pas d'harmonisation dans la diffusion des informations à destination des responsables de la sécurité civile et du grand public à l'approche d'un phénomène dangereux. Le système de vigilance a donc été mis en place après les tempêtes de 1999 sur l'hexagone afin de pouvoir diffuser l'information à tous, en même temps et sur le même support. Cela contribue également à faire des citoyens des acteurs de leur propre sécurité. À l'heure actuelle, nous travaillons aussi à la manière dont nos concitoyens consomment l'information avec l'arrivée des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Mme Marie-Ange Folacci, directrice de la communication de Météo France. - En suivant les habitudes de consultation des citoyens, nous constatons une augmentation de la consommation nomade et digitale de l'information, même si notre site internet demeure notre vitrine principale. Météo France met donc l'accent sur la dématérialisation en développant progressivement des applications sur smartphone et sur tablette. En outre, la question des réseaux sociaux est centrale, mais nous aurons l'occasion d'y revenir plus tard.
Mme Anne Debar. - Sur l'hexagone, la légende de la carte de vigilance comporte quatre couleurs : jaune, orange, rouge et vert. Lorsqu'il y a vigilance jaune, le citoyen doit être l'acteur de sa propre sécurité car le niveau de dangerosité ne nécessite pas le déploiement d'actions publiques. À partir de la vigilance orange s'instaure une chaîne d'alerte, de secours et d'assistance par laquelle les autorités préfectorales et locales mettent en place des actions d'évacuation et d'hébergement.
Cette carte est diffusée deux fois par jour, à 6 heures et à 16 heures, ou plus fréquemment en cas d'évolution rapide d'un phénomène météorologique. Elle est complétée par plusieurs bulletins de situation nationaux et régionaux.
Pour compléter ce tour des missions de Météo France, j'aborderai les questions de défense. Contrairement à d'autres pays, la météorologie civile et la météorologie militaire forment un système intégré. Ainsi, les personnels prévisionnistes militaires sont formés au sein de notre Météopole qui accueille par ailleurs un centre interarmées chargé des prévisions sur les théâtres d'opérations extérieurs.
En outre, notre action de soutien à la sécurité du trafic aérien est fondamentale car la météo peut être un facteur aggravant des accidents aériens. Météo France détient la certification de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour rendre ce service en métropole et en outre-mer. Il s'agit donc à la fois d'un enjeu sécuritaire et économique majeur, compte tenu de la croissance du trafic aérien. Pour être en mesure d'absorber ces évolutions, il est nécessaire d'affiner le service météorologique que nous apportons à la navigation aérienne.
Au-delà de nos missions institutionnelles, nous développons des activités commerciales, notamment pour les secteurs du transport, de l'agriculture et des assurances. Travailler à répondre aux besoins du secteur privé nous permet de nous maintenir à la pointe de l'innovation pour améliorer notre qualité de service. À titre d'exemple, nous avons récemment conclu un partenariat avec l'institut agronomique Arvalis dans le but de concevoir un service proposant à la fois des données météorologiques et des données agricoles. Ce système pourra permettre aux agriculteurs d'anticiper les périodes pour semer ou récolter.
Nous nous appuyons également sur trois filiales qui complètent notre expertise : Météorage, qui fournit des alertes spécifiques au risque de foudre, Predict-services, qui assiste les collectivités locales exposées aux risques d'inondation, et Météo France International, qui apporte notre savoir-faire à des pays développant leur propre système météo.
Enfin, la dernière de nos missions est liée au climat. Nous travaillons de plus en plus à prévoir, sur le long terme, l'évolution météorologique globale afin d'accompagner au mieux les diagnostics sur le changement climatique. Nous disposons pour cela d'une certaine mémoire du climat, puisque nous nous appuyons sur plusieurs décennies d'observations indispensables pour se projeter sur les cent prochaines années. Les modèles de Météo France sont utilisés dans le cadre du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).
La direction de la recherche de Météo France compte 300 chercheurs, principalement basés à Toulouse. Il existe également à La Réunion une unité mixte de recherche avec le CNRS et l'université de La Réunion qui compte une vingtaine de permanents, des doctorants et des post-doctorants. Cette structure est spécialisée dans les questions cycloniques.
Au plan international, Météo France travaille en étroite collaboration avec d'autres services météorologiques car la météo ne s'arrête pas aux frontières et nous devons pouvoir disposer d'informations sur l'ensemble du globe. En Europe, seuls la France avec ARPEGE, l'Allemagne et le Royaume-Uni possèdent un modèle météorologique capable de faire des prévisions à l'échelle mondiale. L'organisation météorologique mondiale (OMM) organise cette coopération. Nos données sont donc mises à disposition de l'ensemble de la communauté. Une quinzaine de pays, dont la France, est chargée de redistribuer les données collectées. Par ailleurs, l'OMM organise une mutualisation de certains services opérationnels. Ainsi, certains pays sont chargés de la veille sur des phénomènes dans une zone donnée via les centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS). C'est le cas de la France pour la sécurité maritime en Méditerranée et en Atlantique, ainsi que pour la veille cyclonique dans l'océan Indien.
Cette présentation me permet de revenir plus particulièrement sur la comparaison entre les modèles français et américain qui a été évoquée à l'occasion des cyclones qui ont frappé les Caraïbes. Il est important de rappeler qu'il n'existe pas de concurrence entre les modèles. Au contraire, les météorologues tirent bénéfice de la complémentarité des modèles qu'ils utilisent. Cet exercice de comparaison est essentiel pour que nous puissions améliorer nos prévisions. À l'approche d'Irma, nos collègues de la direction interrégionale Antilles-Guyane ont travaillé avec le modèle de Météo France, mais aussi avec ceux du National Hurricane Center (NHC) américain et du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT). Ce centre, basé en Angleterre, a été créé dans les années 1970 à l'initiative de la France afin de mutualiser à l'échelle européenne la capacité de modéliser au-delà de 4 jours. ARPEGE, qui possède une maille plus fine sur l'Europe de l'ouest, est donc complémentaire au système développé par le CEPMMT car plus performant pour le court terme.
M. Michel Magras, président. - Je comprends donc qu'il existe une complémentarité mais pas de coopération formalisée avec les organisations américaines sur la zone Antilles.
Mme Anne Debar. - Nous sommes en coopération étroite car le NHC est chargé de la veille sur cette zone. Il a la responsabilité de qualifier les événements météorologiques qui traversent les Antilles. Or, chaque pays, s'il dispose de moyens techniques suffisants, peut faire ses propres prévisions. Météo France collabore donc avec le NHC dans cette optique.
Mme Victoire Jasmin. - En ce qui concerne les risques et la surveillance des tsunamis, utilisez-vous les capteurs qui servent à mesurer les inondations, ou possédez-vous des dispositifs de surveillance spécifiques ?
M. Alain Soulan. - La surveillance des tsunamis provoqués par les tremblements de terre ne relève pas de notre champ de compétence, et des progrès restent à faire dans ce domaine. Toutefois, nous sommes un maillon dans la chaîne de retransmission des alertes qui nous viennent des services spécialisés à La Réunion et aux Antilles. Par ailleurs, Météo France prévoit les marées de tempête et l'élévation du niveau de la mer liée à l'approche d'un cyclone. Ces deux phénomènes font l'objet de dispositifs de surveillance spécifiques.
J'ajouterai que le NHC, basé à Miami, regarde attentivement les modèles français et européens. Il s'agit donc d'échanges réciproques qui nous permettent de jouer au mieux de notre complémentarité.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Pour en revenir à la question posée par le président Michel Magras, la population constate que les prévisions de Météo France lui parviennent avec un léger retard par rapport à celles du NHC, qui est ainsi devenu spontanément la principale source d'information. Cette situation crée un décalage avec les réactions des autorités locales qui prennent leurs décisions sur la base des indications transmises par Météo France. J'aimerais donc avoir une explication à ce sujet.
Mme Anne Debar. - Contrairement à ce que j'ai pu laisser entendre, le NHC n'offre pas de meilleures prédictions que Météo France dans la région. En revanche, nous sommes tributaires du NHC en ce qui concerne la qualification du phénomène cyclonique. Ainsi, Météo France passera un cyclone en catégorie 4 lorsque le NHC l'aura décidé. Toutefois, nous suivons l'évolution de l'intensité et de la trajectoire du phénomène avec notre propre modèle, que nous comparons aux résultats obtenus par le NHC. Nos collègues de la direction interrégionale Antilles-Guyane auront sans doute l'occasion de vous indiquer, lors de votre déplacement, que Météo France a pu identifier plus précisément la trajectoire d'Irma. Nous disposons en effet d'un modèle à plus haute résolution sur les Antilles.
Mme Vivette Lopez. - Travaillez-vous avec la station météo du Mont-Aigoual ?
Mme Anne Debar. - La station du Mont-Aigoual, ouverte au grand public entre avril et octobre, sert aujourd'hui de musée et de lieu de visite et non plus d'observatoire.
M. Alain Soulan. - Comme il s'agit d'un site spécifique, situé à 1 400 mètres d'altitude, nous l'utilisons pour tester du matériel dans des conditions de température et de pression particulières. Actuellement, nous y testons des pluviomètres pour peser la neige. D'autres services météorologiques européens ont également recours à ce site dans le cadre d'expériences internationales. Les effectifs mobilisés diminuent progressivement car la station du Mont-Aigoual n'a plus vocation à servir aux prévisionnistes.
Mme Anne Debar. - Il me semble nécessaire, à cette étape de notre présentation, d'évoquer les progrès réalisés en matière de prévision. Cela peut s'expliquer par l'augmentation du nombre de données d'observation, avec 20 millions de données assimilées chaque jour, et par l'accroissement de notre puissance de calcul. Le supercalculateur nous permet ainsi de disposer d'un modèle global ARPEGE doté d'une résolution de 7,5 kilomètres contre 30 kilomètres dans les années 1990. Il s'agit du meilleur modèle au monde, après celui du centre européen (CEPMMT). Nous disposons également du modèle AROME, à plus haute résolution, que nous pouvons déployer sur l'hexagone et en outre-mer avec une maille de 1,3 kilomètre. Ce maillage plus fin nous permet de repérer des phénomènes météorologiques qui nous échappaient auparavant et nous fait donc gagner en capacité d'anticipation. Cela a un impact direct sur la rapidité de mise en oeuvre de la chaîne d'alerte et de secours.
Pour vous fournir quelques informations supplémentaires sur le statut de Météo France, nous sommes un établissement public administratif sous tutelle du ministère chargé des transports. Nos missions, décrites précédemment, sont fixées par le décret du 18 juin 1993, modifié le 9 juin 2016 pour intégrer nos activités dans le domaine climatique. Météo France compte environ 3 000 collaborateurs, pour un budget inférieur à 400 millions d'euros. Nous possédons plusieurs certifications, notamment la certification ISO 9001 (2015).
Mme Victoire Jasmin. - Que mesure cette certification ? Les équipements, le personnel ?
M. Alain Soulan. - La norme en question correspond à un système général de certification de la qualité. Elle mesure l'organisation globale de Météo France et concerne aussi bien les produits que les matériels d'observation...
Mme Victoire Jasmin. - En regardant le support que vous nous avez fourni, je constate que cette certification remonte à février 2009. Avez-vous commencé la certification à cette date ? En êtes-vous titulaire depuis 2009 ? Ce système mesure-t-il l'amélioration continue ? Je souhaite avoir des précisions à ce sujet.
M. Alain Soulan. - Il s'agit d'une mesure continue de la qualité de service. Les indications fournies sur le support sont obsolètes, puisque nous détenons aujourd'hui la certification ISO 9001 correspondant aux normes de 2015. Nous avons obtenu le guide de certification en fin d'année 2017 dans le cadre du renouvellement d'audit.
Mme Anne Debar. - En ce qui concerne notre budget, celui-ci est constitué pour moitié de subventions d'État pour charge de service public (49 %) dans le cadre du programme du ministère de l'écologie. Les redevances de navigation aérienne représentent 22 % de notre budget total, suivies de nos activités commerciales (9 %) et des autres activités (5 %). J'attire votre attention sur les 15 % restants qui ne font en réalité que transiter par Météo France puisqu'il s'agit d'une subvention du ministère de la recherche que nous reversons à Eumetsat, l'organisme qui mutualise pour l'ensemble des pays européens les acquisitions de satellites.
M. Michel Magras, président. - Produisez-vous des documents pour la navigation à voile en mer ?
M. Alain Soulan. - Oui, car nous avons une responsabilité internationale dans l'océan Indien et une responsabilité nationale dans ce domaine. Nous produisons donc des bulletins météorologiques relatifs aux côtes, au large et au grand large pour la marine. Cela fait partie de notre mission de service public.
Par ailleurs, je me permets d'indiquer que nous intervenons en matière d'aide à la navigation aérienne en outre-mer sans percevoir de redevance, en raison d'un accord passé avec la direction générale de l'aviation civile.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Confirmez-vous que ces dernières redevances sont perçues par l'aviation civile qui ne les reverse pas à Météo France ?
M. Alain Soulan. - C'est cela, absolument.
Mme Anne Debar. - Pour en revenir à notre budget, 75 % de nos dépenses sont des dépenses liées à la masse salariale, compte tenu du maillage territorial de Météo France. Le total des dépenses de fonctionnement s'élève à 40 millions d'euros. Notre budget d'investissement est d'environ 20 millions d'euros, la location du supercalculateur coûtant à elle seule 12 millions d'euros par an, avec une augmentation significative prévue pour pouvoir passer à la puissance de calcul supérieure en 2020.
En ce qui concerne nos effectifs, Météo France a connu une restructuration importante prévue dans le contrat d'objectifs et de performance précédent. Les effectifs sont passés de 3 600 en 2009 à 3 000 aujourd'hui, et notre budget est en diminution régulière, notamment sur le poste des subventions pour charge de service public.
M. Alain Soulan. - En 2008, Météo France comptait 108 implantations sur le territoire national, contre 54 actuellement. Sur décision politique, 54 sites ont donc été supprimés, ce qui ne nous permet plus, aujourd'hui, d'être présents dans tous les départements. La gestion de cette réorganisation territoriale a été difficile car 95 % des effectifs de Météo France sont des fonctionnaires. Nous avons donc incité certains agents à déménager mais nous avons surtout encouragé le développement du télétravail, domaine dans lequel Météo France s'est avéré précurseur.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Une telle réorganisation est souvent le produit d'une décision politique unilatérale. Est-ce que vous pouvez nous assurer que cette réorganisation n'a pas affecté la qualité du service dispensé par Météo France ?
M. Alain Soulan. - Oui, en effet, car nous avons fait en sorte que cette réorganisation se fasse de manière progressive. Ainsi, la suppression des effectifs s'est étalée sur 5 ans, entre 2012 et 2016. Pour autant, certains maires et conseillers départementaux nous font savoir par courrier qu'ils regrettent de ne plus accueillir sur leur territoire un centre départemental de Météo France. Nous ne pouvons plus être aussi présents auprès des préfets de département, mais nous faisons en sorte de les accompagner au mieux et différemment. L'automatisation de la production et la concentration des moyens de prévision sont autant de moyens mis en oeuvre pour assurer la continuité du service. Nous travaillons actuellement à l'automatisation de nos bulletins départementaux sur répondeur. Pour autant, certaines tâches telles que la vigilance ne seront jamais automatisées car nous ne pouvons pas nous passer des experts prévisionnistes pour interpréter les modèles auprès des autorités locales et préfectorales.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Tous les territoires ne sont pas soumis aux mêmes phénomènes météorologiques. Êtes-vous sollicités par les collectivités territoriales pour mettre en place des outils spécifiques, pour les épisodes cévenols par exemple ? Adaptez-vous les outils existants aux besoins des territoires ?
M. Alain Soulan. - La problématique cévenole est en effet spécifique à certains territoires. Nous collaborons avec le conseil régional et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) sur le projet RYTHME afin d'affiner le système PREDICT pour avoir une vision précise du risque d'inondation dans les départements concernés. Cet outil est mis à disposition des communes et des préfectures au travers de l'extranet. Nous utilisons également des moyens d'observation particuliers comme les radars en bande X récemment déployés dans les Alpes. Enfin, Météo France mobilise des armements spécifiques pour les régions particulièrement soumises aux aléas climatiques avec un renforcement des effectifs.
Mme Victoire Jasmin. - La mesure de la qualité de l'air relève-t-elle de Météo France également ?
Mme Anne Debar. - En partie, car nous avons développé une modélisation commune avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) pour mesurer ces phénomènes. Météo France apporte les données météorologiques qui, combinées à la modélisation des phénomènes chimiques, permet de faire des prévisions. D'autre part, nous travaillons en partenariat avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) qui anime le réseau des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQUA).
Mme Victoire Jasmin. - Des capteurs permettent-ils donc d'activer un système d'alerte ?
M. Alain Soulan. - Plusieurs phénomènes influent sur la qualité de l'air. Nous disposons par exemple de modèles spécifiques dans le cadre des plans particuliers d'intervention (PPI) liés à une explosion chimique ou à un épanchement pour anticiper la trajectoire du nuage. Météo France est l'autorité compétente, en lien avec l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour fournir ces modèles de prévision.
En revanche, la mesure de la qualité de l'air au quotidien est gérée par des associations agréées. Météo France aurait sans doute pu prendre en charge cette mission, mais le système actuel résulte d'une volonté politique. Nous disposons des paramètres météorologiques qui sont des données d'entrée diffusées à ces associations dans le cadre d'accords signés avec Météo France. Ces associations sont chargées d'informer les autorités en cas de risque majeur.
Mme Catherine Procaccia. - Pour autant, les prévisions météorologiques et les mesures de la qualité de l'air ne semblent pas relever du même champ de compétences.
M. Alain Soulan. - Dans nos modèles de prévision, nous devons prendre en compte la chimie de l'air qui influe directement sur certains phénomènes météorologiques. Nous disposons donc d'une compétence dans ce domaine.
Les AASQUA sont des autorités indépendantes, avec le statut d'association loi 1901, ce qui fournit une garantie supplémentaire d'indépendance et de transparence aux responsables politiques. Le gouvernement souhaite sans doute éviter de réitérer l'épisode de Tchernobyl, où il avait été demandé à la météorologie nationale d'affirmer que le nuage radioactif s'était arrêté à la frontière.
Pour en revenir à la question des outre-mer, la baisse nationale des effectifs se ressent également dans ces territoires, même si la réorganisation n'a pas pris la même ampleur. À titre d'exemple, les équipes présentes dans les îles éparses ont été réintégrées à La Réunion. Ces surnombres seront résorbés au fur et à mesure des départs à la retraite.
J'aimerais aussi évoquer le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie où la météorologie a été transférée au gouvernement. Pour le moment, une convention nous lie avec le gouvernement calédonien, mais l'avenir de cette coopération n'est pas très clair. La Nouvelle-Calédonie rémunère 16 agents, sur un effectif total de 69 personnes, avec les 5 agents consacrés à Wallis-et-Futuna. Le plus grand nombre est donc pris en charge par Météo France.
Mme Anne Debar. - Avant d'entrer dans le détail de l'organisation de Météo France en outre-mer, je souhaiterais vous expliquer notre rôle en matière d'anticipation et d'appui à la gestion de crise. Celui-ci repose d'abord sur des postes permanents qui permettent un fonctionnement opérationnel 24 heures sur 24 au centre de Toulouse mais aussi dans les directions interrégionales. Des permanences informatiques sont également mises en place pour s'assurer du bon fonctionnement du supercalculateur. Nous disposons d'ailleurs d'un deuxième supercalculateur situé à quelques kilomètres du premier, à l'université de Toulouse. Ce système nous permet, en cas de problème, d'interrompre les activités de recherche pour basculer sur ce deuxième calculateur, et ainsi d'assurer la continuité du service. Il est essentiel que nous puissions pallier toute interruption dans la production opérationnelle pour la sécurité et la surveillance des phénomènes dangereux.
En ce qui concerne la vigilance, la carte est directement transmise aux citoyens, aux médias et aux acteurs de la gestion de crise. La direction de la sécurité civile relaie ces informations auprès des personnes concernées. Notre organisation, à plusieurs échelons, reflète celle de la sécurité civile et d'autres cellules de crise afin d'assurer une coopération optimale avec nos interlocuteurs. Le chef prévisionniste national, basé à Toulouse, est en lien direct et régulier avec les autorités. C'est lui qui valide la carte de vigilance en dernier ressort. Le même type de relations existe à l'échelle régionale entre les commandants des opérations de secours (COS) et les chefs prévisionnistes régionaux, basés dans nos directions interrégionales. L'expertise se fait toujours à plusieurs, les chefs prévisionnistes régionaux s'appuyant sur les informations générales communiquées depuis Toulouse. La décision finale de changer la couleur de vigilance d'un département émerge d'un dialogue constant entre ces deux niveaux. Quand une cellule interministérielle de crise est activée, nous déployons également un système de permanence au sein de la direction générale.
Mme Catherine Procaccia. - J'aimerais savoir s'il arrive que les services locaux vous signalent que les prévisions nationales sont erronées sur certains territoires. Dans ce cas, comment corrigez-vous l'information déjà diffusée ?
M. Alain Soulan. - La vigilance repose sur le centre national de prévision à Toulouse et sur les chefs prévisionnistes régionaux en métropole. Nous sommes organisés en 7 directions interrégionales. Deux fois par jour, des conférences sont organisées entre les 7 chefs prévisionnistes régionaux et le chef prévisionniste du centre national pour décider ensemble de la couleur de vigilance des départements. En cas de désaccord, le chef prévisionniste régional a le dernier mot. En métropole, les cartes de vigilance sont produites à 6 heures et à 16 heures chaque jour. S'il y a des changements météorologiques importants entre ces deux horaires, nous produisons des cartes de vigilance supplémentaires. Dans ce cas, les chefs prévisionnistes se mettent spontanément en relation pour en décider.
En outre-mer, le chef national n'intervient pas dans le choix de couleur pour chaque territoire. Cette responsabilité incombe au chef prévisionniste régional.
M. Alain Soulan. - Compte tenu des spécificités météorologiques en outre-mer, nous avons créé un site spécifique pour chaque bassin géographique : Antilles-Guyane, La Réunion-Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Mme Catherine Procaccia. - Pouvez-vous m'expliquer pourquoi les sites de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française sont désignés par « meteo » et non pas « meteofrance » ?
Mme Anne Debar. - Cela résulte d'un accord d'agrément avec les autorités locales afin de prendre en compte la spécificité statutaire de ces territoires.
M. Alain Soulan. - La vigilance répond aux mêmes principes qu'en métropole.
Mme Anne Debar. - Sur les sites outre-mer comme sur le site national, les mises à jour sont régulières pour permettre aux usagers de suivre les phénomènes météorologiques en temps réel, surtout en cas d'épisode cyclonique comme Irma.
M. Michel Magras, président. - Je considère que, sur ce point, il reste d'importants progrès à faire. Les bulletins diffusés sur TF1 et France Télévisions décrivent avec un temps de retard la situation sur place. Les familles basées en métropole qui suivent les informations de Météo France obtiennent des nouvelles qui remontent à 24 ou 48 heures.
Mme Marie-Ange Folacci. - Les chaînes de télévision (TF1 et les chaînes de la TNT) et de radio nationales qui relaient nos informations sont nos clients. Nous leur fournissons des données et des cartes qu'ils utilisent comme bon leur semblent pour satisfaire leur audimat. Sur les sites de Météo France, les données sont mises à jour plus régulièrement afin de répondre aux interrogations des familles.
M. Michel Magras, président. - Les événements que nous venons de vivre aux Antilles nous ont amenés à être coupés du monde. Cela nous a donné l'occasion de réaliser l'importance du numérique. La panique s'est emparée de la population, surtout pour ceux dont la famille se trouvait en métropole et qui n'étaient plus en mesure de communiquer avec l'extérieur. Quand la connexion a été rétablie, nous avons eu le sentiment que les informations nationales ne reflétaient pas la situation sur le terrain. Il est donc essentiel que la chaîne de diffusion de l'information soit améliorée pour que, dans les heures et les jours qui suivent le passage d'un cyclone, nous soyons en mesure d'obtenir des informations à jour.
M. Alain Soulan. - Ceci est d'autant plus important que le cyclone José menaçait de ravager des territoires déjà détruits par Irma.
Mme Marie-Ange Folacci. - Il me semble que Météo France a contribué à la radio mise en place localement, même si j'ai conscience que ces moyens sont insuffisants.
M. Alain Soulan. - Dans cette optique, nous souhaitons investir dans le domaine des réseaux sociaux, notamment en outre-mer.
Mme Victoire Jasmin. - J'aimerais tout de même rappeler que les personnes qui ont le réflexe de consulter le site de la préfecture peuvent obtenir directement les informations en temps réel. Il est donc essentiel que nous transmettions ce message à la population.
En sens inverse, les communes doivent faire remonter certaines informations de terrain à la préfecture dans le cadre des dispositifs communaux mis en place par les commissions de sécurité en cas d'alerte.
M. Michel Magras, président. - J'espère que nous serons en mesure de formuler des préconisations en ce sens. J'aurais d'ailleurs plusieurs remarques à faire sur la manière dont la préfecture de région, qui a pris le relais lorsque la préfecture déléguée de Saint-Martin n'était plus en mesure de fonctionner, a géré la crise. Le centre opérationnel départemental (COD) créé à Basse-Terre ne sachant strictement rien de ce qui se passait à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, nous avons été contraints de monter nos propres COD sur le terrain.
Je souhaite en venir aux décisions officielles qui ont été prises lorsque le cyclone José a été annoncé après le passage d'Irma. Les prévisions du NHC montraient clairement que nos territoires ne figuraient pas sur la trajectoire du cyclone qui devait passer au minimum à 187 milles marins de Saint-Barthélemy. Pourtant, au nom du principe de précaution, le préfet de région a demandé aux habitants qui venaient de vivre l'ouragan Irma de rester confinés. C'est une aberration ! On nous a ensuite expliqué que cela permettait d'éviter les pillages, sauf qu'il y avait urgence à agir au lendemain du cyclone, et la collectivité n'a rien pu faire. Cet exemple montre la nécessité de s'assurer de la cohérence des prévisions météorologiques dont disposent les différents organismes de prévision afin que le préfet ne perçoive pas d'informations contraires à celles auxquelles la population a accès. Nous devons absolument trouver des moyens concrets de renforcer la coopération avec le NHC.
M. Alain Soulan. - J'illustrerai à présent mon propos avec des exemples concrets de traitement de phénomènes météorologiques en outre-mer. Les bulletins de vigilance que nous vous avons montrés sont envoyés aux autorités et disponibles sur internet.
Mme Marie-Ange Folacci. - Pour vous donner quelques éléments de communication, je rappellerai d'abord que les sites internet restent la vitrine de Météo France avec plus de 572 millions de visiteurs en 2017. Au quotidien, cela représente entre 1 et 1,2 million de visiteurs par jour. Il y a deux semaines, les épisodes neigeux en Île-de-France ont incité 4 millions de visiteurs par jour à consulter le site national. Le site de Météo France figure dans le top 20 des sites francophones les plus consultés, y compris les sites marchands, ainsi que dans le top 10 des sites publics français.
En outre-mer, les sites enregistrent des pics de connexion lorsqu'un phénomène météorologique particulier est identifié. Le numérique, et notamment le nomade, reste donc un outil de communication important. En ce qui concerne les réseaux sociaux, Météo France ne dispose ni de comptes sur Twitter ni de comptes sur Facebook en outre-mer, mais nous y travaillons actuellement. Météo France est arrivé tardivement sur les réseaux sociaux, y compris en métropole, puisque nous sommes présents sur Facebook depuis un an et sur Twitter depuis quatre ans. Nous voulions donc d'abord apprendre à gérer ces nouveaux outils au niveau national avant de déployer des dispositifs locaux. Ainsi, nous avons pour projet de créer un compte sur Twitter en automatique dédié à la vigilance pour la zone Antilles-Guyane qui nous l'a expressément demandé. Avant de lancer un tel projet, Météo France s'assure de l'adhésion des agents chargés de l'entretien du compte et de l'intérêt de la population.
Par ailleurs, la création d'un compte sur Facebook alimenté par des prévisionnistes est envisagée. En métropole, le compte n'est alimenté qu'en semaine et nous cherchons, aux Antilles-Guyane, à pouvoir produire du contenu y compris le week-end. En Polynésie française, un compte sur Facebook calqué sur le modèle métropolitain devrait voir le jour dans quelques semaines. Nous réfléchirons éventuellement, en fonction des retours que nous obtiendrons, à entretenir ce compte en dehors des horaires de bureau également. Ces premiers retours d'expérience aux Antilles-Guyane et en Polynésie française nous serviront, le cas échéant, pour étendre ces dispositifs au reste des outre-mer.
Même si Météo France met un point d'honneur à s'assurer que les usagers reçoivent une information de qualité et en temps réel, d'autres acteurs sur lesquels nous n'exerçons aucun contrôle, comme les préfectures, font partie de la chaîne de diffusion des informations. La direction générale héberge une équipe spécialement formée à répondre aux médias et chargée d'écrire les bulletins des présentateurs de la météo. Toutefois, nous devons également nous assurer que les citoyens puissent, s'ils le veulent, avoir directement accès à une information simple et compréhensible, sans passer par ces intermédiaires. Météo France souhaite donc continuer à renforcer sa présence auprès des citoyens via les réseaux sociaux.
Mme Catherine Procaccia. - Le recours à la messagerie instantanée fonctionne très bien sur les réseaux sociaux car cela permet de renforcer le lien avec les usagers. Certaines sociétés comme la SNCF et la RATP sont ainsi parvenues à dynamiser leur service. Cela nécessite toutefois que les équipes se rendent disponibles pour répondre immédiatement aux sollicitations des usagers.
Mme Marie-Ange Folacci. - Je vous rejoins sur la nécessité de s'assurer de l'engagement des équipes sur ce genre de projet. Météo France est déjà particulièrement réactif sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, notre temps de réponse est quasiment instantané, et notre compte, créé récemment, regroupe 120 000 amis, et 90 000 abonnés sur Twitter pour une moyenne de 6 publications par jour. À titre comparatif, la chaîne Météo ne compte que 56 000 abonnés. Nous nous focalisons sur la qualité plutôt que sur la quantité d'informations fournies. Certains usagers nous écrivent pour des problèmes spécifiques qui ne relèvent pas de notre compétence, et le service d'écoute client, formé aux réponses commerciales, prend tout de même le temps de répondre, sauf en cas d'insulte.
Mme Victoire Jasmin. - Nous en revenons donc au point clef qui est la qualité de l'information. Par ailleurs, j'insiste sur la nécessité de faire de la pédagogie auprès de la population car certains publics sont incapables d'interpréter correctement les messages qui leur sont communiqués. Il faut donc travailler en amont sur la sémantique pour s'assurer que tout le monde soit en mesure de comprendre les informations. Cette démarche me semble essentielle pour éviter les mouvements de panique injustifiés ou, au contraire, pour que la population soit en mesure de prendre conscience d'un danger imminent. Cela explique aussi pourquoi les collectivités territoriales et les préfectures ne relaient pas systématiquement les informations qui leur parviennent, alors que les journalistes ont parfois tendance à verser dans le sensationnel.
Dans le cas d'Irma, la problématique est différente car nous nous sommes trouvés dans une situation de carence de l'information. Quand les responsables politiques ont la possibilité d'être informés, en revanche, ils doivent faire un effort pédagogique pour transmettre les messages de la manière la plus claire possible à toute la population. Ceci est d'autant plus important que la loi de modernisation de la sécurité civile insiste sur le rôle du voisinage en cas de risque majeur.
Mme Marie-Ange Folacci. - C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes présents sur tous les réseaux sociaux, car chaque canal d'information touche un public différent. Météo France est capable d'adapter son message pour répondre aux usagers de Twitter et de Facebook. Nous sommes également présents sur Snapchat, où les utilisateurs sont âgés de 12 ans en moyenne. De même, le Kiosque existe toujours car nous devons informer des populations qui possèdent un téléphone sans accès à internet. Météo France s'attache donc à diffuser l'information largement en l'adaptant à tous les publics.
Face à certains médias adeptes du sensationnel, Météo France doit conserver et diffuser son expertise afin d'éviter au maximum le développement de situations anxiogènes pour la population.
M. Michel Magras, président. - Il existe, à Saint-Barthélemy, un système d'alerte qui mérite d'être évoqué. La sécurité civile enregistre un message diffusé sur tous les téléphones. Le téléphone sonne à intervalles réguliers jusqu'à ce que son propriétaire écoute le message en entier. Ce système, s'il était généralisable, permettrait d'informer toute la population de la manifestation d'un risque naturel majeur.
Mme Marie-Ange Folacci. - Des campagnes de sensibilisation sont menées dans les départements concernés en amont des épisodes cévenols. Les populations locales connaissent déjà les bons réflexes, ce qui n'est pas le cas des personnes récemment arrivées sur ces territoires.
Ces dispositifs s'inscrivent dans le cadre plus large des campagnes de sensibilisation menées par la sécurité civile et le ministère de l'environnement et des solidarités à certaines périodes de l'année particulièrement propices à l'arrivée de phénomènes météorologiques dangereux. Dans cette optique, il convient de privilégier les messages sous forme de pictogrammes ou de visuels simples pour que tout le monde puisse comprendre et apprendre les gestes à adopter en cas d'événement majeur.
Mme Vivette Lopez. - En écoutant toutes ces préconisations, je ne peux m'empêcher de me demander comment faisaient les générations précédentes pour se maintenir à l'abri. Cela me révolte de voir que certaines personnes font fi des consignes météo et risquent leur vie.
Mme Marie-Ange Folacci. - Il est vrai que certaines personnes, par leur comportement inconscient, se mettent en danger.
Mme Vivette Lopez. - Cela est d'autant plus inacceptable que ces personnes engagent la vie des secouristes mobilisés pour leur porter secours. Leur inconscience devrait être sanctionnée.
M. Alain Soulan. - Pour en revenir à la question de la pédagogie, nous sommes très attentifs à l'éducation des populations au risque cyclonique. Nous organisons des interventions dans les écoles et les collèges ainsi que des opérations de sensibilisation en partenariat avec des acteurs locaux.
J'aimerais à présent vous présenter le système d'alerte et de vigilance cyclonique en outre-mer. Une circulaire organise précisément le dispositif en hexagone, mais elle ne s'applique pas en outre-mer, ce qui explique l'absence d'harmonie entre les différents territoires. Chaque territoire a développé son propre système, avec un découpage géographique plus ou moins fin, un code couleur particulier, des aléas spécifiques à la climatologie locale et un mode d'activation plus ou moins interfacé avec l'alerte cyclonique. Ces dispositifs ont été déployés de manière progressive entre 2006 et 2014, et les phénomènes météorologiques traités diffèrent selon les territoires. Le risque cyclonique, par exemple, est traité par une procédure spécifique dans tous les territoires, à l'exception des Antilles où il est intégré au système classique de vigilance.
En 2012, la direction générale de la sécurité civile (DGSC) et la direction générale des outre-mer (DGOM) ont tenté d'harmoniser ces systèmes. Pour des raisons historiques, cette démarche s'est soldée par un échec car chaque préfecture fonctionne avec son propre système de vigilance depuis longtemps.
Comme nous l'avons expliqué précédemment, l'organisation météorologique mondiale (OMM) a confié à certains centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) la responsabilité d'expertise particulière, comme les prévisions marines ou volcaniques dans certaines zones du monde. En ce qui concerne les cyclones, le NHC a cette responsabilité dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Est et Météo France, au travers de sa direction interrégionale basée à La Réunion, dans le sud-ouest de l'océan Indien. Il existe 6 CMRS dans le monde, dont la mission consiste à aider les pays qui n'ont pas de moyens techniques importants à bénéficier de prévisions météorologiques de qualité. Le CMRS de Miami, par exemple, déploie des moyens particuliers tels que les chasseurs d'ouragan - ces avions lancés dans les cyclones pour réaliser des mesures in situ - qui alimentent leur modèle. Nous ne disposons pas de ce genre de matériel à La Réunion.
Pour prendre l'exemple de la zone Antilles-Guyane, la vigilance couvre trois paramètres standards : les vents violents, la mer dangereuse à la côte et les fortes précipitations ou l'orage. À la DIRAG, les fortes précipitations et l'orage sont rassemblés en un seul paramètre, ce qui n'est pas le cas à La Réunion ou en métropole. Pour qualifier le risque cyclonique, la vigilance météorologique dans cette zone compte deux couleurs supplémentaires, le rose et le gris. Contrairement à la métropole, la vigilance n'est pas gérée sur place uniquement par Météo France mais aussi par le préfet qui intervient directement dans le choix des couleurs. Enfin, les bulletins de suivi sont produits aux Antilles-Guyane dès l'activation de la vigilance jaune. En métropole, ces bulletins sont envoyés aux préfectures et publiés toutes les trois heures à partir du passage en vigilance orange. Le mois dernier, les trois préfets compétents se sont opposés à la suppression par Météo France de cette production supplémentaire que nous ne jugeons pas indispensable.
Le dispositif de vigilance est normalement déployé pour 24 heures. Dans le cadre du prochain contrat d'objectifs et de performance, Météo France s'est engagé à augmenter l'échéance à 48 heures, ce qui est déjà mis en oeuvre en cas de phénomène cyclonique.
Sur la question de la communication, je rejoins la position de M. le sénateur Michel Magras. En effet, la population peut parfois avoir le sentiment qu'il existe un décalage entre les prévisions du NHC et celles de Météo France. Cela peut sans doute s'expliquer par la prudence des autorités françaises dans ce domaine, au regard des fortes incertitudes qui pèsent sur l'estimation de la trajectoire d'un cyclone. Le système d'alerte préfectoral est enclenché après 48 heures d'observation. Même si des améliorations sont envisageables, cela permet d'éviter de plonger inutilement dans l'angoisse la population.
M. Michel Magras, président. - Vous avez raison, il existe un décalage entre les prévisions du NHC et celles de Météo France. Mais j'insiste également sur le décalage entre ce que diffusent les médias nationaux et les données fournies par la base régionale. À mon sens, il manque un maillon pour que cette chaîne de diffusion soit efficace.
M. Alain Soulan. - La zone Antilles-Guyane est découpée en quatre domaines géographiques dirigés par les chefs prévisionnistes départementaux. Compte tenu de la superficie des territoires, nous n'avons pas la capacité de faire de l'infra-départemental, sauf en Guyane où nous avons distingué quatre zones distinctes.
Météo France possède des centres de prévision à la fois en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique où s'effectue la coordination des données en cas de phénomène majeur. Nous ne sommes toutefois plus présents à Saint-Barthélemy.
À La Réunion et à Mayotte, la vigilance Météo France diffère des autres territoires puisqu'elle est symbolisée par des hachures pour distinguer la vigilance classique du risque cyclonique. De plus, le jaune ne figure pas dans le code couleur et la vigilance se construit en trois niveaux : pas de vigilance particulière, soyez très vigilant et une vigilance absolue s'impose.
Météo France divise La Réunion en 5 zones, voire 7 dans le cadre du risque de houle, alors que Mayotte relève d'une zone unique.
En cas d'alerte cyclonique, la vigilance n'est plus produite à partir de l'alerte rouge, le système basculant directement sur l'alerte cyclonique. Le déclenchement de cette alerte est décidé par le préfet, tandis que la vigilance dépend de Météo France. Aux Antilles, pour rappel, le préfet intervient dans le système de vigilance.
Ces exemples ultramarins prouvent que les outre-mer sont en avance sur la métropole pour l'approche infra-départementale que nous cherchons à développer dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de performance à l'horizon 2020-2021. Pour illustrer mon propos, en Nouvelle-Calédonie, le zonage suit le découpage des 33 communes. Comme à La Réunion, le système d'alerte cyclonique diffère de la vigilance classique. Les différentes phases d'alerte ne sont pas désignées par un code couleur mais par des numéros. Les dispositifs d'alerte suivent les mêmes principes à Wallis-et-Futuna.
En Polynésie française, l'étendue du territoire nous permet de distinguer 17 zones fixes. À nouveau, Météo France est responsable du système de vigilance. En cas d'alerte cyclonique, la vigilance continue à être produite, donc les deux systèmes sont déployés en même temps.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, enfin, le système de vigilance date de 2014. Météo France, comme aux Antilles, produit un bulletin de suivi en cas de vigilance jaune.
J'aimerais à présent vous montrer quelques exemples récents de production en temps réel de Météo France lors du passage de l'ouragan Irma aux Antilles et des cyclones Berguitta à La Réunion et Gita en Nouvelle-Calédonie. Les prévisionnistes ont de plus en plus recours à la prévision d'ensemble qui permet d'estimer la robustesse du modèle. Cela consiste à varier légèrement les données initiales d'observation pour en mesurer l'impact sur les prévisions établies. En se basant sur ce test, Météo France peut définir l'indice de confiance à donner à sa trajectoire.
M. Gérard Poadja. - Je partage les mêmes observations que mes collègues Michel Magras et Guillaume Arnell en ce qui concerne le décalage entre les prévisions communiquées et la réalité de terrain. Ces dernières années, la Nouvelle-Calédonie a subi ce manque d'efficacité. À titre d'exemple, une dépression dont nous ne connaissions pas la trajectoire s'est abattue sur la côte Est. Les éboulements provoqués par ce phénomène ont fait plusieurs victimes et détruit de nombreuses habitations. J'ignore qui est responsable, mais je peux affirmer qu'il existe un réel problème de communication.
M. Alain Soulan. - S'agit-il d'un problème de communication au niveau local ?
M. Gérard Poadja. - Oui, c'est cela. Je suis parfaitement conscient que la météorologie demeure une compétence partagée entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. Au passage de Gita, la population a obtenu davantage d'informations par la NHC que par l'antenne locale de Météo France. La trajectoire du cyclone a été annoncée par Météo France plusieurs jours après le centre américain, alors que cette information est essentielle pour que nous puissions nous préparer à l'impact. Je me permets d'insister sur ce point, car nous avons longuement souligné dans nos échanges l'importance de la communication. Or, je constate que la population n'hésite plus à consulter les sites météorologiques d'autres pays et à diffuser l'information. Je ne cherche pas à tirer à boulets rouges sur qui que ce soit, mais j'estime qu'il est urgent d'améliorer à la fois les prévisions et la communication de ces prévisions au grand public.
L'autre sujet qui touche particulièrement la Nouvelle-Calédonie est la sécheresse. Les responsables politiques souhaiteraient obtenir des prévisions de long terme, en mois ou en années, dans ce domaine afin d'anticiper au mieux l'impact de ce phénomène.
M. Alain Soulan. - Nous nous renseignerons davantage sur la manière dont Météo France en Nouvelle-Calédonie a suivi le cyclone Gita, car votre ressenti est important. Météo France déploie pourtant un système de permanence lorsque des phénomènes comme celui-ci se déclarent. La permanence s'organise au niveau local mais aussi au sein de la direction générale et du centre national à Toulouse. Les informations nous sont donc parvenues régulièrement. La carte figurant dans le diaporama que nous vous montrons est directement extraite du site internet de Météo France en Nouvelle-Calédonie. Cette carte a été diffusée alors que Gita se trouvait encore à 900 kilomètres à l'Est de Nouméa. Elle s'accompagnait d'informations satellites et d'une estimation de la trajectoire du cyclone. Il est toutefois possible que ces informations n'aient pas été relayées par les médias de manière satisfaisante. La direction générale sollicitera le chef prévisionniste régional pour avoir des précisions à ce sujet.
M. Gérard Poadja. - Je vous remercie pour ces précisions. Les internautes calédoniens ont quand même diffusé sur les réseaux sociaux des cartes issues du NHC plutôt que de Météo France car ces dernières ont été publiées plus tardivement. Il convient donc de résoudre ce problème.
M. Alain Soulan. - Je note votre observation. Pour en revenir à la deuxième partie de votre intervention, la sécheresse fait partie des missions de Météo France. Tous les mois, des prévisions dites « saisonnières », jusqu'à trois mois, sont réalisées et publiées sur le site. Sous les latitudes tempérées, le signal est plutôt faible, c'est-à-dire qu'il est difficile de fournir des données précises et régionalisées. En revanche, les latitudes tropicales sont plus propices à ce genre de prévisions. J'ignore si Météo France effectue des relevés en Nouvelle-Calédonie, je me renseignerai sur la question afin de vous donner des informations supplémentaires.
Les prévisions à plus long terme sont plus difficiles à réaliser. Météo France participe aux réflexions sur le changement climatique en communiquant des estimations sur les évolutions météorologiques majeures dans 50 ou 100 ans. Cependant, nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour offrir des prévisions de qualité à moyen terme, sur quelques années.
Mme Anne Debar. - J'ajouterai que l'état de l'art ne permet pas d'avoir une information fiable 5 ou 6 jours avant le passage d'un cyclone. En moyenne, nous sommes en mesure d'anticiper le phénomène à partir de 3 jours avant, avec une anticipation réelle concentrée sur les 48 heures précédant l'impact. Les autorités et l'antenne locale de Météo France choisissent donc sans doute de ne pas surinformer la population sur des événements qui pourraient finalement s'avérer inoffensifs.
Pour en terminer sur les évolutions de la vigilance, Météo France est évalué sur son taux de non-détection des phénomènes météorologiques dangereux. Or, pour que les citoyens conservent une réponse comportementale satisfaisante aux alertes, celles-ci ne doivent pas être déclenchées trop régulièrement. Le fait que la population se renseigne via de multiples canaux d'informations est préoccupant de ce point de vue. L'enjeu consiste ainsi, pour Météo France et en lien avec les autorités, à définir le bon moment pour déclencher l'alerte. Cela contribue à expliquer pourquoi les prévisions ne sont pas annoncées publiquement trop longtemps à l'avance.
M. Alain Soulan. - Ceci est d'autant plus important que les cyclones ont un comportement particulièrement imprévisible. En Atlantique, certains cyclones comme Luis, Hugo et Irma sont facilement repérés lorsqu'ils se forment au large du Cap-Vert. En revanche, l'intensification des phénomènes qui se forment dans les Caraïbes est très difficile à prévoir.
Mme Anne Debar. - Pour en revenir à ce que vous disiez, M. le sénateur Michel Magras, José était considéré comme un cyclone de faible envergure. Or, l'incertitude sur la trajectoire et la dangerosité de ce type de phénomènes est encore plus grande, ce qui peut expliquer pourquoi les autorités préfectorales ont pris de telles mesures de précaution.
M. Alain Soulan. - À La Réunion, par exemple, Berguitta a provoqué des précipitations plus fortes dans le sud de l'île qu'au nord. Les records établis au passage du cyclone Hyacinthe en 1980 ont été battus, avec 1 862 millimètres de précipitations sur l'ensemble de l'épisode. À titre comparatif, il tombe 600 millimètres de pluie à Paris en une année.
Nous n'avons pas encore évoqué les radars, qui constituent pourtant un outil essentiel de mesure en cas de cyclone, au même titre que les satellites. Les radars nous permettent d'estimer la quantité de précipitations à venir ainsi que la force des vents. Celle-ci est représentée sur la carte par des cercles dont le diamètre varie en fonction des estimations.
Vous trouverez également dans le diaporama qui vous a été communiqué des exemples de bulletins de suivi publiés sur les sites de Météo France. Les chronologies réalisées pour chacun des paramètres météorologiques et cycloniques sont également accessibles en ligne.
Mme Vivette Lopez. - Constatez-vous une évolution du nombre de cyclones et de leur intensité au fil des années ? Les météorologues se réfèrent souvent aux « normales saisonnières ». Au regard de la multiplication des phénomènes hors normes, est-ce encore pertinent ?
M. Alain Soulan. - Le fait qu'il y ait des normales saisonnières n'exclut pas l'existence de perturbations. En météorologie, les normales correspondent à la moyenne des observations sur 30 ans. Il est impossible de définir des normales en ce qui concerne les phénomènes cycloniques puisque ceux-ci sont, par définition, exceptionnels. Les projections liées au changement climatique indiquent qu'il n'y a pas d'évolution significative du nombre de cyclones. En ce qui concerne leur intensification, les avis divergent au sein de la communauté scientifique, même si l'augmentation des températures et des précipitations constitue un facteur aggravant. Ces théories sont à manier avec la plus grande précaution. Quoi qu'il en soit, le cyclone est un risque naturel majeur auquel la population doit se préparer dès le plus jeune âge. Aux Antilles, il est dit que chaque génération sera amenée à connaître au moins un cyclone majeur dans sa vie.
M. Michel Magras, président. - L'ouragan Irma fut un phénomène à la fois inédit et irrationnel. J'ai entendu dire que le NHC considérait que cet ouragan produisait à la fois des vents cycloniques et des vents de tornade. Sur place, j'ai vu des toitures entières s'envoler pour être retrouvées à plusieurs kilomètres de là et des structures se fendre dans le sens de la longueur. Cela laisse à penser que des vents soufflant verticalement se sont abattus sur les Antilles. Avez-vous connaissance de ces éléments ? Le cas échéant, pourriez-vous obtenir des informations de la part du NHC à ce sujet ?
Mme Anne Debar. - Je vous invite à poser la question à nos collègues de la direction interrégionale Antilles-Guyane lors de votre déplacement. Ayant effectué les prévisions, ils seront plus à même de vous répondre.
M. Alain Soulan. - Après chaque cyclone, des rapports produits par le NHC sont diffusés publiquement. Vous y trouverez sans doute des éléments de réponse.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Météo France ne produit-il pas de rapports similaires ?
M. Alain Soulan. - Des retours d'expérience sont systématiquement effectués après des épisodes comme celui-ci. Mais nous ne disposons pas des moyens techniques du NHC pour réaliser les mesures in situ permettant de répondre à votre question. Nous nous renseignerons également auprès des services compétents.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - J'ajouterai que j'ai vu à certains endroits de Saint-Martin des couloirs de destruction autour desquels les constructions étaient intactes. Un cyclone ordinaire, d'après mon expérience, balaye tout sur son passage.
Mme Catherine Procaccia. - Je ne connais pas cette situation spécifique, mais j'ai eu l'occasion de me rendre à Fidji et aux îles Tuvalu l'année dernière. Les gouvernements locaux nous ont affirmé que les cyclones étaient devenus plus violents et moins prévisibles dans le Pacifique sud.
M. Michel Magras, président. - Qu'en est-il des balises placées au nord-est des Antilles ? Donnent-elles des informations relatives aux houles cycloniques ? J'ai cru comprendre que l'une d'entre elles avait récemment disparu, et je souhaiterais avoir des explications là-dessus.
M. Alain Soulan. - Nous disposons de plusieurs moyens d'information en mer, dont une bouée au large des Antilles, la deuxième ayant été perdue. Il s'agit d'un dispositif lourd avec un ancrage de plus de 4 kilomètres de chaîne et soumis à un environnement très rude. La bouée nous permet de connaître la hauteur de la houle, le vent et la pression à l'approche d'un cyclone. Elle est située suffisamment loin de la côte pour que les autorités puissent anticiper la situation et prendre les mesures appropriées.
Les houlographes, plus proches de la côte, nous permettent également d'estimer la houle. Tout comme pour les bouées, les ancrages peuvent lâcher, ce qui nous contraint à changer le matériel régulièrement. À l'heure actuelle, 3 houlographes sont installés en Martinique, 2 en Guyane et il est prévu que 2 appareils soient déployés en Guadeloupe au début de l'année 2018. En termes de financement, les investissements sont entièrement subventionnés par la collectivité territoriale de Martinique tandis que Météo France finance les installations en Guadeloupe. En Guyane, un partenariat avec la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) définit les modalités du co-financement.
M. Michel Magras, président. - Ces dispositifs permettent-ils d'améliorer les prévisions à l'approche d'un cyclone ?
M. Alain Soulan. - Les données sont communiquées en temps réel. Les mesures obtenues par les bouées, plus au large, permettent effectivement de mieux anticiper la situation que celles du houlographe. L'utilisation combinée de ces deux dispositifs nous permet d'évaluer la progression de la houle afin d'affiner légèrement la prévision.
Le dernier outil dont Météo France dispose est le marégraphe qui mesure l'élévation du niveau de la mer. Cet appareil est particulièrement utile pour étudier les marées de tempête et identifier les endroits les plus à risque comme le grand cul-de-sac marin en Guadeloupe.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont récemment financé des marégraphes. Il serait intéressant de dresser un bilan de cette opération. Les appareils ont-ils survécu au passage d'Irma ? Si oui, pouvons-nous exploiter les données recueillies ? Si non, serait-il pertinent d'en installer de nouveaux ?
M. Alain Soulan. - Je ne dispose pas d'informations sur ce sujet mais la direction interrégionale Antilles-Guyane devrait être en capacité de vous répondre.
De manière générale, ces trois dispositifs sont des outils essentiels pour Météo France. Même si nous utilisons le satellite, la diversification des données d'observation est essentielle pour que le modèle de prévision soit le plus efficace possible. Aux systèmes que je vous ai cités s'ajoutent les radars et les données au sol pour les précipitations et le vent. Toutes ces mesures sont primordiales pour la prévision mais également pour la gestion de l'après-crise. Dans ce contexte, Météo France doit être en mesure de fournir des observations objectives.
Mme Anne Debar. - Pour en revenir à la question du retour d'expérience, Météo France organise trois fois par an une réunion conjointe avec la sécurité civile et les autres acteurs de la vigilance pour passer en revue tous les événements classés en orange et dresser le bilan des interventions de chacun.
Il me semble également utile de vous présenter les évolutions envisagées par Météo France pour améliorer sa qualité de service. Nous mettons à votre disposition le nouveau contrat d'objectifs et de performance qui couvre la période 2016-2021. Notre priorité reste de gagner en précision sur les prévisions de phénomènes dangereux. À terme, les modèles seront capables d'intégrer davantage de données d'observation.
En métropole, nous travaillons au développement de l'approche infra-départementale. Cela est désormais possible grâce à l'augmentation de la résolution de nos modèles qui peuvent aujourd'hui mettre en évidence des phénomènes localisés.
En outre, Météo France compte étendre la vigilance sur 48 heures. Il s'agit d'une avancée majeure en termes d'anticipation.
La direction de la communication a par ailleurs mené une enquête de perception auprès du grand public, des médias et des services de préfecture et de certaines mairies sur le système de vigilance, en vigueur depuis 2001. Cette enquête s'avère utile dans le cadre de la refonte de notre site internet prévue pour 2019. Il en est ressorti que le système de vigilance est bien connu du public capable de faire la distinction entre la vigilance et l'alerte. En revanche, nous avons compris que la surinformation pouvait nuire à la bonne compréhension de nos cartes. Les citoyens nous ont ainsi indiqué que nos contenus étaient parfois trop riches, et nous veillerons donc désormais à privilégier les visuels. D'un premier coup d'oeil, l'usager doit pouvoir identifier le phénomène, ainsi que la chronologie, la localisation et l'intensité de l'événement.
Comme le montrent ces explications, notre contrat d'objectifs et de performance est orienté sur une logique de service où l'écoute client est essentielle. Dans cette optique, le métier de prévisionniste doit évoluer pour s'assurer que nos experts soient capables d'apporter aux autorités des conseils et de l'aide à la décision. Les progrès scientifiques nous permettent aujourd'hui de donner des informations probabilistes, c'est-à-dire de présenter plusieurs scénarios possibles. Les prévisionnistes doivent donc être spécifiquement formés à la pédagogie pour être capables de donner ces explications avec toute la prudence nécessaire. Notre priorité consiste à s'assurer de la pertinence des messages que nous communiquons.
Je précise également que, dans le cadre du programme Action publique 2022, Météo France continuera à réduire ses effectifs et ses implantations. Le ministère nous a demandé de préparer une feuille de route afin de s'assurer que nous conservions le niveau d'ambition inscrit dans le contrat d'objectifs et de performance. Nous privilégierons la réorganisation à travers l'automatisation de certaines productions et en adaptant les effectifs dans les services aux besoins saisonniers pour gagner en efficience. Ainsi, au moment des épisodes cévenols, les services de prévision de la direction interrégionale sud-est seront renforcés. Un dispositif d'astreinte pourra également être envisagé en outre-mer en période cyclonique. L'objectif de Météo France est de parvenir à répondre à la contrainte gouvernementale de réduction de moyens tout en améliorant la qualité de service.
M. Alain Soulan. - La réorganisation est conséquente puisque sur les 5 prochaines années Météo France devra supprimer environ 95 effectifs par an, soit 3,2 % du personnel.
Mme Anne Debar. - L'objectif final est de faire fonctionner Météo France avec 2 500 agents.
M. Alain Soulan. - À titre comparatif, nous comptions 3 700 agents il y a encore quelques années. Une réforme d'une telle ampleur suscite forcément des remous au sein de la maison.
Je conclurai cette présentation en évoquant les évolutions de Météo France à moyen terme. En matière de satellites, nous participons au financement via l'organisme européen Eumetsat et cela ne pose pas de difficulté particulière. En revanche, nous devons renouveler régulièrement nos matériels d'observation. À titre indicatif, le budget d'investissement de Météo France est de 20 millions d'euros par an alors qu'un radar coûte environ 2,5 millions d'euros. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) subventionne le remplacement de certains radars.
En Nouvelle-Calédonie, le gouvernement réalise les investissements nécessaires à l'entretien des 3 radars qui devront être changés à partir de 2020.
De même, nous travaillons actuellement au remplacement du radar du Moule en Guadeloupe, prévu la même année, et à celui du Diamant, en Martinique, pour 2021.
En Guyane, le radar est principalement financé par le centre spatial guyanais. Pour votre information, 4 personnels de Météo France sont détachés au sein de la station météo de Kourou, et nous disposons par ailleurs de notre propre station météo basée au sein de l'aéroport Félix Éboué.
Pour finir, nous ne disposons d'aucun radar sur les Îles du Nord.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Il me semble qu'un projet de cofinancement d'un radar positionné sur la partie néerlandaise de Saint-Martin est actuellement discuté.
M. Alain Soulan. - En effet, nous avons connaissance de ce projet porté par la collectivité et sur lequel aucun financement ne nous serait demandé. Nous ignorons toutefois l'état de l'avancée des travaux depuis le passage d'Irma.
Deux radars sont installés à La Réunion, même si certaines études préconisent l'installation d'un troisième radar compte tenu de la topographie particulière du territoire. Or, un radar est à la fois coûteux en termes d'investissement mais aussi d'entretien, donc nous cherchons toujours à prioriser d'autres moyens pour combler ces besoins.
En Polynésie française, par exemple, il n'y a aucun radar. Suite aux fortes précipitations de janvier 2017, certains élus s'étaient inquiétés de ce manque d'infrastructures.
De même, aucun radar n'a été installé à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais les enjeux sont différents sur ce territoire.
En outre, nous avons également recours au radiosondage. Cette méthode consiste à envoyer deux fois par jour des ballons dans l'atmosphère, à 30 kilomètres d'altitude, pour obtenir la pression, la température et l'humidité. Cette procédure est désormais automatisée à l'aide de robots-sondes qui possèdent une autonomie de 12 ballons environ, soit 6 jours. Nous déployons ce dispositif en Guyane, en Guadeloupe et à La Réunion. En Polynésie française, qui accueille 3 stations de radiosondage à Hiva-Oa, Tahiti-Faa'a et Rapa, la procédure devrait être automatisée prochainement.
Mme Victoire Jasmin. - Envisagez-vous d'utiliser les drones pour réaliser ces observations ?
Mme Anne Debar. - En effet, la direction de la recherche développe un programme expérimental pour tester l'intérêt des drones en basse altitude.
M. Alain Soulan. - Cela nous permettrait d'obtenir des informations adaptatives, c'est-à-dire en réponse à un besoin particulier. Les drones ne résisteraient sans doute pas à un cyclone, mais nous pourrions les utiliser dans d'autres cas de figure.
Nous vous avons donc présenté la panoplie des moyens d'observation à disposition de Météo France pour réaliser les prévisions les plus réalistes possibles.
En ce qui concerne les autres évolutions prévues pour Météo France à moyen terme, le référendum de Nouvelle-Calédonie aura sans doute un impact limité sur notre organisation puisque les textes prévoient déjà que la météorologie relève de la compétence du gouvernement. Même si toutes les compétences ne sont pas encore transférées, le processus est en marche, avec une répartition temporaire définie dans le cadre d'une convention signée entre le gouvernement et Météo France.
Sur la question de l'évolution des effectifs outre-mer, nous sommes contraints de poursuivre l'effort de rationalisation des dépenses. J'ai notamment évoqué le cas de La Réunion tout à l'heure où les départs à la retraite des anciens manoeuvres ne seront pas remplacés. La réorganisation touchera également les personnels administratifs. En revanche, les implantations en outre-mer ne seront pas modifiées, à l'exception du site de Desaix et de celui du Lamentin, en Martinique, qui pourront être amenés à fusionner. La station de Desaix accueillerait la nouvelle implantation commune, mais le dossier est actuellement en cours d'instruction. De même, en Nouvelle-Calédonie, nous concentrerons progressivement les prévisionnistes basés à Magenta et à Tontouta sur la station du Faubourg Blanchot.
Vous pourrez bien sûr approfondir tous ces sujets lors de vos visites à la Météopole à la direction interrégionale Antilles-Guyane. J'ai pris note des remarques du sénateur de la Nouvelle-Calédonie en ce qui concerne les prévisions de sécheresse et la gestion du passage de Gita et interrogerai les services compétents. Je tâcherai également d'obtenir les rapports du NHC sur Irma.
M. Michel Magras, président. - Je souhaite vous remercier pour la qualité de votre accueil et la richesse de votre intervention. Les territoires d'outre-mer, répartis sur tous les océans, ne se ressemblent pas. Météo France l'a bien compris en développant des dispositifs spécifiques à chaque territoire. Au-delà de ces singularités, les populations ultramarines sont toutes soumises à des risques naturels majeurs qui les forcent à être résilientes. Innover, pour nous, n'est pas une option : c'est une obligation.
Or, nous ne pouvons agir seuls. Je forme donc le voeu que nous puissions institutionnaliser une coopération basée sur l'obligation de mutualisation des moyens pour faire face à des crises majeures. Je pense notamment à ces personnes trop longtemps privées de réseau au moment du passage d'Irma, faute de coordination entre les opérateurs téléphoniques. Cette coopération devrait être établie non seulement entre l'État et l'outre-mer, car nous avons récemment constaté à quel point la solidarité nationale était essentielle pour les populations en détresse, mais aussi avec les autres pays.
Par ailleurs, j'abonde dans votre sens en ce qui concerne les réseaux sociaux. Le numérique est le meilleur des moyens pour lutter contre l'isolement et mettre en contact les outre-mer avec le reste du monde.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Dans le prolongement de l'intervention du président, j'aimerais savoir si Météo France développe des coopérations et des programmes d'assistance avec les États qui ne disposent pas d'une telle expertise technique.
Mme Anne Debar. - Il existe effectivement plusieurs programmes de coopération, généralement sous l'égide de l'organisation météorologique mondiale (OMM). À titre d'exemple, Météo France a développé un partenariat avec le Burkina Faso.
M. Alain Soulan. - Météo France a candidaté pour intégrer des programmes de coopération dans les Caraïbes via son CMRS cyclone. D'autres projets sont également en cours comme le Severe Weather Forecasting Demonstration Project (SWFDP) qui nous donne la responsabilité d'assister les pays caribéens dans les prévisions à court terme en matière de fortes pluies. Afin d'éviter de concurrencer le NHC, nous sommes compétents pour porter assistance aux pays de la région pour les prévisions en dehors du phénomène cyclonique. Ce soutien se manifeste par un site extranet avec des produits en anglais à destination des services météorologiques de la région.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Quels sont les moyens déployés par Météo France pour couvrir le territoire de Mayotte ?
M. Alain Soulan. - Mayotte est rattaché à la direction régionale de l'océan Indien et bénéficie donc pleinement des services de Météo France. À l'heure actuelle, le chef prévisionniste de La Réunion réalise la vigilance de Mayotte. Nous étudions actuellement la possibilité de faire monter en compétence les prévisionnistes mahorais, titularisés depuis la départementalisation, pour s'occuper de cette tâche.
Nous ne disposons toutefois pas de radar à Mayotte. L'installation d'un radar constituerait un investissement conséquent, mais les enjeux démographiques et naturels nous incitent à réfléchir à la question.
Mme Anne Debar. - La direction générale de la prévention des risques (DGPR) a déjà réalisé des études à ce sujet et conclu qu'il existait d'autres solutions comme les données satellitaires pour améliorer les prévisions et l'observation des précipitations compte tenu de la topologie du territoire. En outre, la maintenance du radar est coûteuse et complexe. Nous continuons toutefois à étudier cette possibilité.
M. Alain Soulan. - A titre informatif, Météo France compte 6 personnels à Mayotte.
Mme Anne Debar. - Nous tenons à vous remercier de votre venue et de nous avoir consacré autant de temps.
mercredi 21 février 2018
- Présidence de M. Michel Magras, président -Risques naturels majeurs dans les outre-mer - Audition des représentants des forces armées
M. Michel Magras, président. - Après avoir auditionné la ministre des outre-mer, Madame Annick Girardin, puis Monsieur Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire ainsi que Monsieur Jacques Witkowski, directeur général de la sécurité civile, et après avoir effectué deux déplacements, l'un à Orléans au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'autre ce lundi à Saint-Mandé au siège de Météo France, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le premier volet de l'étude relative aux risques naturels majeurs dans les outre-mer, centré sur les questions de prévention, d'alerte et de gestion de l'urgence en cas de survenue d'une catastrophe.
Nous accueillons Monsieur le préfet Pascal Bolot, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) rattaché au Premier ministre, ainsi que les représentants des forces armées. Nous souhaitons donc également la bienvenue au général Lambert Lucas qui commande la gendarmerie outre-mer à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) après avoir dirigé la gendarmerie de Guyane ; il est accompagné de son chef d'état-major le colonel Michel Cagnasso.
Nous font également l'honneur de leur présence le général Thierry de Ladoucette, qui commande le service militaire adapté (SMA), accompagné du directeur des opérations de l'état-major du commandement du SMA, le colonel Philippe Boccon-Liaudet, qui a été au coeur de la gestion de l'assistance aux populations lors du cataclysme Irma ; le capitaine de vaisseau François Moucheboeuf, chef de l'état-major des opérations de la marine, adjoint à l'amiral sous-chef d'état-major « opérations aéronavales ».
La présente audition commencera par l'intervention du préfet Bolot, qui traitera des modalités de gouvernance dans la gestion de crise par les autorités politiques et administratives ; il livrera ses observations sur le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise pendant le cyclone Irma, fonctionnement qu'il a d'ailleurs été chargé d'évaluer. À l'issue de cette présentation, nos rapporteurs ne manqueront pas de l'interroger, en particulier sur la coordination politique de l'événement.
Une seconde séquence, qui sera centrée sur les aspects opérationnels de l'intervention des forces armées, notamment sur les moyens déployés sur chaque zone, sera également suivie d'échanges avec les rapporteurs et l'ensemble des membres de la délégation.
Nos collègues Mathieu Darnaud et Victorin Lurel sont co-rapporteurs sur le premier volet de l'étude qui nous occupe aujourd'hui, centré sur l'alerte et la gestion de crise, et notre collègue Guillaume Arnell assurera la coordination avec le second volet, qui traitera de la reconstruction et de l'organisation de la résilience des territoires.
Je cède la parole à Monsieur le préfet Pascal Bolot pour présenter le dispositif organisationnel de pilotage et les procédures en situation de crise résultant de la survenance outre-mer d'une catastrophe naturelle.
M. Pascal Bolot, préfet, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. - Merci de votre accueil. Voilà deux ans que je suis le directeur de la protection et de la sécurité de l'État, et j'ai eu à connaître du cataclysme Irma qui a frappé les Antilles du 5 au 20 septembre derniers.
Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a beau être proche du Président de la République et du Premier ministre, il n'est pas toujours bien connu. C'est un organisme ancien, qui a pris il y a 110 ans la suite du Conseil supérieur de la défense nationale.
Sa première mission est de fournir au Président de la République et au Premier ministre un appui sur les questions de défense et de sécurité, notamment en préparant les conseils de défense, dont la fréquence est devenue hebdomadaire depuis les attentats de Nice. Sa deuxième mission est d'aider ces mêmes autorités à gérer les crises majeures. Sa troisième mission consiste à fournir une expertise aux autres ministères, ses cadres spécialisés de haut niveau jouant le rôle de têtes de réseau pour l'ensemble de l'administration du pays. Enfin, sa quatrième mission vise à assurer la coordination interministérielle pour ce qui concerne la défense et la sécurité nationales. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), qui monte en puissance depuis cinq ans, garantit la sécurité des systèmes de communication de l'État. Quant au Centre de transmissions gouvernemental (CTG), il fournit aux hautes autorités des communications cryptées sécurisées partout dans le monde, même lors des déplacements en avion. En termes d'effectifs, ces services comptent un millier de personnes, dont plus de la moitié travaillent à l'Anssi.
En cas de crise, notre mission est d'abord de conseiller l'autorité politique responsable, c'est-à-dire le cabinet du Premier ministre. Lorsque celui-ci ordonne la mise en place d'une cellule interministérielle de crise (CIC), comme le prévoit la circulaire du 2 janvier 2012, c'est presque toujours le ministre de l'intérieur qui la préside - parfois, c'est le ministre des affaires étrangères pour une crise concernant des Français établis hors de France, ou celui de la santé, dans le cas, par exemple, d'une pandémie menaçant la continuité des services publics et la stabilité de la nation. Le SGDSN prête alors son appui au cabinet du Premier ministre et conseille le président de la CIC, auprès duquel je me trouve en permanence, sauf lorsque mon adjoint me remplace - le ministre peut aussi déléguer son directeur de cabinet. Les cadres du SGDSN sont affectés aux différentes cellules de la CIC. Pour Irma, l'un de nos officiers a animé nuit et jour la cellule interministérielle de logistique de crise.
Avec l'autorité politique, nous identifions les objectifs : protéger la population, éviter les épidémies, organiser et protéger des têtes de pont, gérer la logistique et l'aide internationale, procéder aux évacuations nécessaires, communiquer auprès de la population. Avec le président de la CIC, le travail est plus technique.
Notre bureau de veille et d'alerte (BVA) dispose d'un annuaire interministériel de crise, qui permet de déclencher l'organisation de crise et de joindre directement tous les cadres de l'État ayant suivi une formation pour réagir sans délai en cas de crise. Pendant les cinq premières années, la CIC n'a été réunie que pendant dix jours. Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'y ai passé 80 jours ! C'est vous dire si le travail est bien rodé : en moins d'une heure, toutes les cellules de la CIC peuvent être armées grâce, notamment, au Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC).
Concernant le retour d'expérience, l'un de mes cadres observe le déroulement de nos opérations, et nous le commente à chaud si c'est un exercice ; sinon à froid, deux mois plus tard, pour déterminer les améliorations souhaitables.
La circulaire de 2012 prévoit l'activation possible de la CIC au niveau ministériel, pour la veille ou le suivi. C'est ce que nous avons fait pour Irma, dès le dimanche, pour observer l'évolution du cyclone qui n'était alors que de niveau 3. Il est passé le lundi au niveau 4 puis, dans la nuit de lundi à mardi, au niveau 5, ce qui est rarissime - le dernier cas, le cyclone Hugo, remonte à 1989. La crise, qui ne concernait jusqu'alors que le ministère de l'outre-mer et celui de l'intérieur, avec la mobilisation de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, nous a conduits à mobiliser le préfet de zone et les préfets de département pour prendre des mesures préventives, d'autant que la violence du cyclone s'est accrue très rapidement, passant du niveau 4 au niveau 5 en seulement 13 heures. Il a fallu associer rapidement plusieurs autres ministères, la santé et les transports notamment, sans que la CIC n'ait encore été rendue interministérielle. Les ministères nous ont envoyé, en observation, des chefs de bureaux ou des sous-directeurs le dimanche et le lundi.
C'est le mardi 5 septembre que le Premier ministre a fait monter en gamme la CIC de suivi sectoriel, mais sans la rendre officiellement interministérielle, ce que nous avons regretté, car nous avions besoin de réunir directement des directeurs d'administration centrale ou des directeurs de cabinet, et non leurs représentants. Cette évolution aurait dû se produire une ou deux réunions plus tôt. La circulaire du 2 janvier 2012 sera modifiée en conséquence pour réunir plus rapidement les cadres en charge de la décision. Dès le 6 septembre, le Président de la République et le Premier ministre sont venus en personne, accompagnés de tous les ministres concernés, ce qui est excessivement rare, même en cas de crise terroriste. La prise de conscience avait été faite. Les convocations par le BVA et le COGIC n'ont pas posé de problème : elles sont parvenues à leurs destinataires dans les délais requis, qui se sont aussitôt mobilisés.
La CIC est composée d'une cellule de situation, au sein de laquelle fonctionne une cellule d'anticipation, d'une cellule de décision et d'une cellule de communication. Les correspondants des services déconcentrés de chaque ministère transmettent leurs informations et nous faisons plusieurs fois par jour un point de situation nationale selon la nature de la crise. Dans le cas d'Irma, on en a tenu jusqu'à 4 le vendredi. Cela n'avait pas été possible le jeudi 7 septembre, lendemain du passage du cyclone, car les communications avaient été coupées. Grâce à la gendarmerie, et aux moyens satellitaires mobiles, celles-ci ont été rapidement rétablies dès le 7 au matin : la préfecture détruite avait reconstitué un centre opérationnel à la gendarmerie. Aussi avons-nous pu faire le point dès le vendredi matin sur l'évaluation des besoins et la définition des moyens à mettre en oeuvre : où faire poser les avions, où faire accoster les bateaux, .... En fait, la cellule anticipation a surtout fait de la logistique interministérielle de crise, en rassemblant les hauts fonctionnaires concernés et en anticipant les flux logistiques. Dès le 8 septembre, le cabinet du Premier ministre a convoqué une réunion interministérielle, dans laquelle un comité interministériel a été créé, dirigé par un délégué interministériel, qui avait pour charge de gérer les suites : réhabilitation, reconstruction, rétablissement des réseaux, rentrée scolaire, etc. Au conseil des ministres de la semaine suivante, le Président de la République revenait des Antilles, où l'avait accompagné le délégué interministériel. La cellule d'anticipation n'a donc pas fonctionné comme à l'accoutumée mais a été dédiée à l'anticipation des flux logistiques.
La cellule communication, elle, s'est heurtée à un black-out de 24 à 36 heures. Routes coupées, radios hors d'usage : comment contacter la population ? Il a fallu 72 heures pour dégager les axes routiers et aller au-devant de la population. L'émotion a été grande aux Antilles et dans l'hexagone, et il a fallu gérer un afflux de quelque 100 000 appels. Les préfectures ont accru la capacité de leurs cellules d'information du public (CIP) ; le Service d'information du Gouvernement (SIG) a mobilisé la société Teleperformance et sa centaine d'opérateurs. Mais il fallait trier les appels : on ne dit pas la même chose à des sinistrés qu'à leurs proches ou à une personne qui demande si elle doit annuler ses vacances. La direction de la communication du ministère de l'intérieur (DICOM) a immédiatement envoyé une équipe pour renforcer les capacités et orienter les demandes. Mais encore faut-il que les opérateurs sachent quoi répondre, ce qui suppose que les informations remontées du terrain soient validées et leur soient transmises, avec les réponses à fournir selon la nature des questions posées.
Pour les recherches en disparition, une centaine d'opérateurs du ministère des affaires étrangères prennent les appels, se renseignent, et rappellent une fois l'information obtenue. Bref, sur une crise de cette nature, la cellule communication a tourné à plein régime. Cela a la grande vertu de diminuer l'ampleur des rumeurs sur les réseaux sociaux, et donne une image positive de l'implication des pouvoirs publics.
Chaque crise est l'occasion de tirer les enseignements et d'adapter nos moyens. La cellule interministérielle d'aide aux victimes (CIAV), de création récente, transmet ensuite ses responsabilités à la délégation à l'aide aux victimes. La cellule interministérielle qui vient d'être instaurée sera pérennisée et passera des contrats dormants susceptibles d'accroître la vitesse de mobilisation des moyens. La crise provoquée par Irma a confirmé la difficulté d'établir un pont aérien avec l'outre-mer ! Pour un générateur d'un mégawatt, il faut un Antonov, et il n'y en a que deux de disponibles, en Ukraine et en Russie. L'armée sait faire, et notre tempérament gaulois nous rend prompts à réagir à l'urgence, mais nous pouvons optimiser en anticipant.
La CIC s'est réunie 28 fois entre le 5 et le 20 septembre. Pour le retour à la vie normale et au rétablissement des services publics, il faut formaliser plus précisément la sortie de crise par une CIC présidée par les plus hautes autorités ou par renvoi à une réunion interministérielle, afin que les responsabilités soient clairement établies pour la suite. En l'occurrence, le délégué interministériel avait constitué une équipe d'une dizaine de personnes. Mais en théorie, la dernière réunion de la CIC doit être plus formalisée, avec des clauses de revoyure, car les conséquences de la crise doivent encore être prises en charge.
M. Michel Magras, président. - À la suite de votre présentation complète et circonstanciée, je tiens à préciser que nous avons voulu éviter une commission d'enquête et une démarche d'inspiration accusatoire pour, au contraire, par temps calme, dresser un état des lieux objectif et élaborer des préconisations utiles. Le phénomène Irma était totalement inédit et nous devons en tenir compte.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Monsieur le préfet, je vous remercie de cet exposé d'ampleur.
À titre personnel, j'ai voulu faire taire les rumeurs naissantes sur le pré-positionnement et l'omniprésence de l'armée au détriment des acteurs politiques de terrain. Il m'a semblé utile d'indiquer à la représentation nationale et au Premier ministre que ce que l'on aurait pu dire ou faire n'aurait rien changé à la force du phénomène ni aux dégâts occasionnés.
Nous avons préféré nous orienter vers une mission d'information plutôt que d'initier une commission d'enquête, avec un souci de sincérité et la volonté que nos travaux soient utiles. Pour cela, nous devons examiner les choses en profondeur et ne pas nous voiler la face sur les éventuels manquements, s'il a pu y en avoir.
Les préconisations de notre rapport devront servir, et pas seulement aux territoires ultramarins, puisqu'il semble acté que les risques majeurs vont aller en s'amplifiant en force et en fréquence.
Mon rôle consiste plus particulièrement à veiller à ce que nos travaux restent dans le cadre défini au départ. Soyez libres, messieurs, de dire les choses comme vous le sentez. Nous ne sommes pas au tribunal ! Nous souhaitons que chacun se livre en son âme et conscience.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Je vous remercie de l'exhaustivité et de la précision de vos propos.
Nous voulons véritablement aller au fond du sujet, à partir, notamment, de l'exemple d'Irma, et transposer le déroulé de la gestion de crise à un autre territoire où se produirait un événement de même ampleur.
Quel a été, en l'espèce, le rôle dévolu au ministère des outre-mer dans la cellule interministérielle ? Nous avons bien compris que, au regard de l'importance de l'événement, la logique avait été très interministérielle. Quel doit être, selon vous, son rôle à l'occasion d'un autre épisode climatique ? Quelle doit être la juste articulation, notamment dans les relations avec les collectivités concernées, et comment qualifier le passage de témoin entre la cellule interministérielle et les acteurs des territoires ?
J'ai évoqué l'intérêt, pour nous, d'envisager qu'un événement similaire se produise dans d'autres territoires, notamment dans les collectivités du Pacifique à statut particulier. Je pense, notamment, aux compétences en matière de sécurité civile ou de gestion des risques, en particulier en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie. Quelles adaptations jugeriez-vous utile d'intégrer dans les schémas d'intervention sur ces territoires, en termes d'articulation des compétences entre l'État et les gouvernements locaux ?
M. Michel Magras, président. - Vous avez évoqué le black-out, l'isolement total du reste du monde. Pour l'avoir vécu de l'intérieur, c'est sans doute ce qui m'a le plus frappé. Les valises activables avec des téléphones satellites dont nous disposions à la collectivité de Saint-Barthélemy, ont-elles été utilisées à Saint-Martin ? Ont-elles fonctionné ?
M. Pascal Bolot. - J'ai passé une bonne partie de ma carrière à m'occuper de l'outre-mer, en cabinet - j'ai été directeur de cabinet adjoint au ministère - ou en poste dans les territoires du Pacifique ou de l'océan Indien. J'ai déjà été confronté à plusieurs épisodes cycloniques ou tempêtes en Polynésie, à La Réunion ou dans les TAAF.
Beaucoup de crises outre-mer sont gérées directement en outre-mer, qu'il s'agisse de crises d'ordre public ou de celles qui sont liées à des risques naturels. On organise des réunions en visioconférence avec les acteurs, sur place, notamment le préfet, pour évaluer si l'on va pouvoir faire face à la crise sur le terrain.
En ce qui concerne Irma, conscients de la gravité de ce qui se préparait, la direction générale de la sécurité civile, le cabinet du ministre de l'intérieur et celui de la ministre de l'outre-mer, bien conseillés par Météo France, ont décidé très vite, à juste titre, de travailler ensemble et de se mettre en veille. De ce point de vue, le ministère des outre-mer a été très rapidement intégré dans la cellule interministérielle, avec des missions particulières. Par exemple, c'est le cabinet de la ministre qui a été chargé de coordonner l'interministérialité pour l'évacuation des personnes des Antilles vers la métropole et d'établir l'ordre de priorité dans les départs face à l'afflux des demandes. Nous avons d'abord fait partir 1 000 personnes par jour, avant de passer à 1 500 puis à 2 000 au bout de 7 jours. Au total, quelque 8 000 personnes ont été évacuées.
La ministre des outre-mer est partie dès le lendemain avec pour mission d'entrer en contact avec tous ceux qui pouvaient rendre des services sur place - élus locaux, forces vives -, en complément des services de l'État résilients, qui étaient en capacité de conduire leurs missions et, surtout, de ceux qui pouvaient être envoyés en renfort. Il était important d'entendre les besoins. Encore fallait-il savoir quelles étaient les têtes de pont et si l'on pouvait faire atterrir un avion à l'aéroport Princess Juliana. Au bout du quatrième jour, on a pu y faire atterrir un A400M. Les quais n'étaient pas endommagés, mais il fallait vérifier que les bateaux venant apporter des secours pouvaient y accéder sans dommage. Tout cela ne se fait pas en claquant des doigts, surtout quand tout est cassé et que les informations sont parcellaires. L'action de la ministre des outre-mer sur place, les contacts qu'elle a pu nouer, les synthèses qu'elle nous faisait passer nous ont aidés.
Au reste, le Président de la République s'est rendu sur place avec une cinquantaine d'experts, dont certains du ministère des outre-mer, qui ont évalué les besoins pour les différents réseaux. De ce point de vue, le ministère des outre-mer a joué tout son rôle.
J'ai souvenir de nombreuses crises - je pense notamment au passage de plusieurs cyclones, en Polynésie, dans les années 90 -, pour lesquelles on n'avait pas pu faire mieux que mobiliser une ou deux unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile, des unités militaires à la disposition de la direction générale de la sécurité civile. Il n'y avait pas alors de CIC. Ensuite, on a progressivement commencé à parler de reconstruction, avec le souci de ne pas répéter les erreurs du passé. Il y a eu une progression collective dans la prise en compte de ce type d'épisodes.
Certes, le rôle du ministère des outre-mer, qui incarne en propre l'interministérialité, est de gérer un certain nombre de crises. Toutefois, l'ampleur d'un événement peut nécessiter de faire appel à la solidarité nationale, déshabiller certaines missions et déstabiliser l'ensemble du fonctionnement national pour concentrer les forces. Tout cela se prévoit.
Les prises de contact avec les collectivités territoriales ont été très compliquées.
Le 5 septembre, nous avons pu passer quelques appels, mais la communication était mauvaise. Le 6 septembre, nous avons pu avoir des contacts plus approfondis avec un certain nombre de responsables, notamment le président de la collectivité de Saint-Martin, qui a pris des initiatives pour évaluer l'ampleur des dégâts sur le terrain. Cependant, l'institution véritablement résiliente et réactive a été la gendarmerie nationale, qui a très vite pu organiser le centre opérationnel départemental (COD) après la dévastation de la préfecture, et recréer, dans la gendarmerie endommagée - il manquait des toits çà et là -, une base de commandement locale. Cela a permis qu'il y ait un point de rencontre des différents acteurs, un endroit où l'on pouvait communiquer, y compris avec la CIC dès le 6 septembre. Nous avons alors pu échanger précisément sur ce qu'il fallait envoyer, dans quel ordre, etc.
Le rôle des collectivités territoriales est encore plus important pour éclairer M. Philippe Gustin dans sa mission.
Par exemple, nous avons mis un certain temps pour remettre en route les usines de désalinisation, trouver des moyens de substitution, mais aussi pour s'apercevoir que les réseaux d'eau potable et les réseaux d'eaux usées avaient énormément souffert. C'est sur ces différents aspects que les élus locaux, par leur connaissance fine du territoire, peuvent être utiles. Connaissant les habitats spontanés, ils peuvent toucher toute la population, y compris la moins aisée.
La Nouvelle-Calédonie a bénéficié d'un transfert de compétences en matière de sécurité civile et de protection des populations. Cela dit, si une grosse catastrophe s'y produisait, la solidarité nationale primerait la question statutaire, sous réserve que le congrès le demande. Il n'y a aucune raison que le principe de solidarité nationale ne joue pas parce qu'il y a transfert de compétences. Jusqu'à nouvel ordre, la Nouvelle-Calédonie est pleinement dans la République.
Au reste, si la Nouvelle-Calédonie n'est pas concernée par l'accord FRANZ, qui lie la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande et permet une coordination des moyens en cas de catastrophe dans l'un des petits États du Pacifique Sud, on peut imaginer que l'aide d'un grand pays voisin ne nous manquerait pas.
On a bien vu, avec Irma, la difficulté que pouvait représenter la distance : pour atteindre les territoires dévastés, il fallait huit heures en avion et douze jours en bateau... Toutefois, des accords locaux peuvent permettre des circuits d'aide plus courts. Je pense notamment à l'hypothèse où des moyens aériens ne seraient pas pré-positionnés. Pour atteindre un incendie en Nouvelle-Calédonie, il vaut mieux louer des avions dans un pays ami voisin dont les standards d'utilisation sont proches des nôtres que d'envoyer des Canadair ou des Dash !
Je reviens sur le black-out après Irma. Les liaisons satellitaires et les câbles sous la mer étant abîmés, les communications ont été très difficiles pendant dix-huit heures. Compte tenu de la difficulté à disposer d'une photographie, l'éventail des hypothèses était large concernant le bilan humain. D'ailleurs, quand le Président de la République et le Premier ministre sont venus, nous ignorions que neuf morts étaient à déplorer. Un certain nombre de personnes vivant dans les habitats spontanés n'avaient pas voulu quitter les lieux, et nous avions tous en tête le tsunami qui, en Asie, a fait 100 000 morts. Dès lors, je dois dire que nous nous étions attendus à pire. C'est petit à petit que nous avons construit le bilan. Il n'a pas été simple à établir - nous avons cru, à un moment, qu'il y avait 11 morts. Les décomptes sont beaucoup plus compliqués quand tout est aussi désorganisé.
Bien évidemment, des moyens militaires de transmission peuvent être mis en place. C'est ce qu'a fait la gendarmerie au commandement de la gendarmerie (COMGEND), là où le COD a été organisé, dès le 6 septembre. La communication a été correcte. Nous avons ensuite pu avoir une liaison satellitaire. Le 11 septembre, une équipe est arrivée, en même temps que le Président de la République, qui a commencé à réparer les antennes radio et à diffuser en modulation de fréquence, de manière à pouvoir informer le plus grand nombre de personnes possible des cinq points de distribution de l'eau et des vivres, en complément de l'action des forces de l'ordre.
Depuis, la direction générale de la sécurité civile nous a sollicités, sachant que nous disposons de quelques budgets d'intervention au titre du contrat général interministériel. Nous avons signé un décret de transfert afin qu'elle puisse doter les troupes de la mission d'appui en situation de crise (MASC) de moyens de transmissions satellitaires permettant, en cas de reconnaissance éloignée et lorsque la téléphonie mobile ne marche plus, de diffuser les informations vers le PC ou vers Paris.
Après Irma, nous avons été confrontés à un moment de silence. Cela arrive rarement lors des crises.
M. Michel Magras, président. - Merci de cet exposé, particulièrement intéressant. Il me conforte dans l'idée que les informations ont bien circulé, du haut vers le bas.
Les réseaux sociaux ont fonctionné assez rapidement, plus vite même que les autres moyens de communication pour une certaine population.
Je vais donner la parole aux généraux des forces armées et au capitaine de vaisseau. Nous allons les écouter sur la dimension opérationnelle.
Général Lambert Lucas, commandant de la gendarmerie outre-mer, Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). - Je vous remercie de me fournir l'occasion d'évoquer le commandement et le positionnement de la gendarmerie en outre-mer et de revenir sur le caractère absolument exemplaire et exceptionnel de l'action des femmes et des hommes de la gendarmerie dans la gestion d'Irma. Initialement centré sur la sécurité civile, le traitement de la crise s'est rapidement transformé pour toucher aux problématiques de sécurité.
J'ai cherché à respecter la trame qui nous a été suggérée, même si les questions de sécurité civile, notamment l'élaboration des plans, ne relèvent pas de notre coeur de métier : nous sommes concourants et pas menants.
La gendarmerie outre-mer compte 4 000 gendarmes, femmes et hommes, sur l'ensemble des neuf territoires ultramarins, commandés par des COMGEND sur la surface du globe. Viennent s'y ajouter 21 escadrons, soit environ 1 500 personnels, plus quelque 1 400 réservistes de la gendarmerie. Le personnel d'active représente donc environ 5 500 militaires et civils et 1 400 réservistes. La gendarmerie couvre 98 % du territoire ultramarin et assure la sécurité d'environ 70 % de la population dans l'ensemble de ces territoires.
Je vais vous présenter les points clés de la manoeuvre de la gendarmerie à la suite du passage de l'ouragan Irma et clore mon propos en vous livrant les quelques enseignements essentiels que nous avons tirés de cette crise.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, l'ouragan Irma a frappé le nord de l'arc antillais, détruisant 90 % du bâti de la collectivité territoriale de Saint-Martin et paralysant presque totalement le fonctionnement des services territoriaux et de l'État, à l'exception notable de la gendarmerie. Ainsi, le commandant de la gendarmerie de Guadeloupe a rapidement repris le contrôle de la situation, dans des conditions particulièrement dégradées et absolument exceptionnelles.
La gendarmerie, ainsi que l'ensemble des services, s'étaient bien préparés au risque cyclonique, mais de manière classique. Un plan Cyclone avait été revu en novembre 2015, qui était décliné par tous. Les dispositions de ce plan ont été rappelées dès le 1er septembre, avec les premières indications concernant l'arrivée du cyclone Irma. En outre, au moins une fois par an, la gendarmerie participe à un certain nombre d'exercices de préparation - en l'occurrence, cela a eu lieu trois fois pendant les six mois qui ont précédé la crise. Le dispositif de préparation paraissait donc satisfaisant.
Dès le 2 septembre, les premières mesures de déploiement préventif des forces ont été prises, tant sur Saint-Martin que sur la Guadeloupe, qui était encore, à ce stade, directement menacée par le cyclone.
Je souhaite revenir sur la question du pré-positionnement des forces, dont on sait qu'elle a été quelque peu polémique dans les premiers jours qui ont suivi Irma.
Quand on sait que la foudre va tomber, on essaie de ne pas se mettre dessous. Mais les raisons principales pour lesquelles nous n'avions pas redéployé ces forces sont autres. Tout d'abord, on ne savait pas, à l'époque, dans quelle direction le cyclone allait se déplacer. L'essentiel de nos forces étant positionnées sur la Guadeloupe, où nous sommes responsables de la sécurité d'environ 300 000 personnes, nous avons conservé une partie de nos capacités sur ce département. Par ailleurs, environ 200 militaires de la gendarmerie étaient déjà positionnés sur le site, ce qui nous paraissait tout à fait suffisant pour juguler, tout au moins dans les quarante-huit premières heures, toutes les difficultés que nous allions rencontrer, ce qui, du reste, de notre point de vue, a été le cas. Ensuite, au-delà du fait que nous souhaitions conserver une capacité de manoeuvre, il était important pour nous de pouvoir conserver une certaine mobilité à partir de la Guadeloupe. C'est la raison pour laquelle nous avions constitué une task force d'une centaine de militaires prêts à être projetés. De fait, nous les avons projetés dès le 7 septembre sur le territoire de Saint-Martin.
Dans le cadre de cette projection, c'est surtout l'absolue nécessité de renforcer les moyens de transport et de projection stratégique de nos camarades des armées qui nous a posé problème. Ce manque de moyens, qui existe également dans une certaine mesure en Guyane, a été mis en évidence dans cette crise.
Si l'intensité d'Irma sur les îles du nord et l'ouverture d'une seconde crise avec Maria ont mis à mal tous les modèles prévus, cette situation n'a pas provoqué de rupture capacitaire définitive de la gendarmerie, notamment du fait d'un certain nombre de caractéristiques de celle-ci. La résilience de la gendarmerie s'appuie, en effet, non seulement sur son statut militaire, mais également sur un soutien opérationnel totalement intégré à la force - le logement en caserne, où nous avons pu installer Madame la préfète, les magistrats et même le Président de la République lorsqu'il est passé à Saint-Martin, n'y est pas étranger - et sur une formation individuelle et collective à la gestion de crise. Voilà les piliers essentiels de la résilience de la gendarmerie, qui lui ont permis de faire face malgré tout à cette crise dans des conditions qui nous ont paru satisfaisantes.
La gendarmerie n'a pas été épargnée par cette crise, tant au niveau de l'immobilier que des véhicules, mais a pu conserver des points d'appui solides, qui lui ont permis de restaurer le fonctionnement des institutions régaliennes.
Néanmoins, malgré son isolement, la gendarmerie a dû, dans un premier temps, accomplir de nombreuses missions périphériques, telles que le secours aux populations et aux blessés, avec nos camarades de la sécurité civile, mais également la protection d'infrastructures stratégiques, telles que l'aéroport, l'hôpital ou le maintien du pilotage préfectoral.
Je garde à l'esprit les difficultés que l'évacuation des touristes et des ressortissants du territoire a engendrées, compte tenu du vent de panique et des conditions sanitaires particulièrement difficiles. Ce sont les gendarmes, avec un certain nombre d'autres acteurs, qui ont dû faire face à cette situation humanitaire, particulièrement traumatisante pour un certain nombre de nos militaires.
J'en viens à la montée en puissance de la gendarmerie et aux efforts qu'il nous a fallu conduire. Les renforts sont venus des outre-mer - de Martinique, mais également de Guyane. S'y sont ajoutés un certain nombre de réservistes en provenance de Guadeloupe, la task force que j'ai déjà évoquée, mais également 150 réservistes, soit deux compagnies de réserve territoriales, qui ont très rapidement été projetés sur ce territoire.
C'est le 16 septembre, soit une dizaine de jours après les événements, que nous avons atteint le point culminant de notre déploiement, avec 780 militaires au total. Cela illustre la résilience de la gendarmerie et la capacité de son dispositif intégré, robuste, interopérable et flexible, qui lui permet de faire face à des crises de ce type.
C'est cette flexibilité et cette interopérabilité avec les autres services de l'État, bien évidemment présents sur le territoire, qui a permis une excellente coordination. D'ailleurs, lors de son passage, Monsieur le Président de la République avait désigné le général Descoux, qui est le COMGEND actuellement, comme coordonnateur des services de sécurité. Articulée autour de six zones, cette organisation a permis de reprendre rapidement le contrôle de la situation sécuritaire.
Je souhaite évoquer le sujet de la reconstruction, car je sais que la délégation va également travailler sur cette question.
La reconstruction est indispensable, c'est évident. Mais on sait que, dans de telles situations de crise, tout le monde se tourne immédiatement vers les services de sécurité, en particulier la gendarmerie.
Si l'immobilier de la gendarmerie a été endommagé, ses personnels ont aussi souffert. L'action des psychologues cliniciens auprès des familles, mais aussi auprès des militaires, a été absolument essentielle. Sur environ 100 personnels militaires présents au moment des événements, nous avons dû en rapatrier environ 70 vers la métropole, qui ont été remplacés soit par des réservistes, soit par des personnels en mission de courte durée. C'est toujours le cas aujourd'hui. L'accompagnement des personnels et de leurs familles est un dispositif délicat à mettre en oeuvre parce qu'il nous faut désormais les remplacer.
Or, l'immobilier tient tout. De nombreux logements ont été touchés. La priorité, c'est de reconstruire les casernes, pour la plupart louées, remettre en état les véhicules et les transmissions. Nous sommes tenus de respecter le code des marchés publics, ce qui est préoccupant : nous ne sommes pas encore revenus à une situation normale compte tenu des délais et les casernes doivent être remises en état dans les meilleurs délais.
Vous souhaitiez que notre parole soit libre. Enseignement tiré de cette situation, il est indispensable d'entretenir et de préparer la résilience des populations d'outre-mer envers ces phénomènes dont la force et la fréquence risquent de s'accroître. Je partage votre inquiétude. Souvenons-nous de l'état de sidération des populations, voire de certains acteurs institutionnels. Les plans de l'état-major sont nécessaires, mais insuffisants face à ce type de crise. Prenons exemple sur certains pays comme le Japon. Comme pour la lutte contre l'insécurité routière, associons les populations à ces exercices, quitte à ce que ceux-ci soient en grandeur réelle. C'est une lutte pour protéger la vie. La sécurité doit être une co-production. Le général de Gaulle affirmait que « la politique la plus coûteuse, c'est d'être petit ». Voyons grand !
Nous devons entretenir la résilience des structures de commandement. La responsabilité de la coordination des forces de sécurité a été donnée au général Jean-Marc Descoux, avec des résultats exceptionnels. La préfète a évoqué une situation particulièrement dramatique. Cela a été l'occasion de quelques petits tiraillements, le général de gendarmerie se trouvant dans une situation non naturelle de coordination interservices. Chacun doit rester à sa place pour remplir sa mission dans les meilleures conditions.
Il est essentiel de préserver la mobilité. À l'origine de la crise, il y a l'absence de routes praticables : c'était une véritable expédition que de rejoindre la préfète. Rêvons un peu : il faudrait pouvoir, dans ce type de situation, réquisitionner tous les véhicules de dégagement lourds, y compris privés, et les garer dans des abris protégés, afin de pouvoir libérer rapidement les axes routiers, pour assurer les secours et procéder à un état des lieux et des besoins des populations plus rapidement. Cela aurait permis de faire la différence.
Préservons également la mobilité stratégique. L'armée doit avoir les moyens de sa stratégie.
Nous devons améliorer la communication. Même si les téléphones satellitaires étaient les premiers moyens de liaison, parfois difficile, dès le 8 septembre, des valises d'interopérabilité et des relais portables ont été installés par la gendarmerie. Le réseau de la gendarmerie, Quartz, a été rétabli les 10 et 11 septembre, à la veille de la visite du Président de la République, et était opérationnel pour toutes les forces de sécurité et de secours. La Bande latérale unique (BLU), moyen rustique de transmission radio, n'a pas pu être à la hauteur des attentes, car tous les mâts avaient été rasés. Nous avions aussi des problèmes de transport en provenance de la Guadeloupe et de la Guyane.
Général Thierry de Ladoucette, commandant le service militaire adapté (SMA). - Le service militaire adapté (SMA) a un rôle particulier. Formation militaire sous la tutelle du ministère des outre-mer, il dépend pour certains aspects, notamment les secours et l'aide aux populations, du ministère des armées. Nous sommes intervenus dans le cadre de l'ouragan Irma début septembre et Maria en Guadeloupe et en Martinique quinze jours après, alors que nous devions initialement nous engager seulement à Saint-Martin. Le SMA est un acteur de la prévention dans le cadre de la gestion du risque cyclonique, et ses capacités d'intervention massives ont été actionnées lors des épisodes cycloniques de l'été 2017.
Le SMA poursuit trois missions définies par un arrêté de 1991 cosigné par les ministres de la défense et des outre-mer : l'insertion socioprofessionnelle des jeunes d'outre-mer les plus en difficulté ; la contribution au développement des outre-mer ; la participation aux plans de secours, en appui des forces armées. Acteur de la prévention, le SMA délivre à ses jeunes une formation de sauveteur secouriste au travail, dont sont certifiés 90 % des jeunes qui nous quittent. Ils peuvent alors intervenir auprès de la population. Ce n'est pas anodin, sachant que le SMA intègre 10 % à 15 % d'une classe d'âge dans les outre-mer, et près de 20 % dans les Antilles. Même si la formation n'est pas spécifiquement adaptée aux types de blessures après un cyclone, ces jeunes peuvent délivrer les premiers secours.
La capacité de résilience est aussi entretenue par les compétences sociales, comme la vie en collectivité, l'attention à l'autre et l'entraide, acquises au SMA.
Dans le cadre de la préparation aux périodes cycloniques, nous délivrons une formation spéciale à un noyau dur d'une trentaine de personnes en Martinique et en Guadeloupe, en lien avec les unités de sécurité civile sur le sauvetage, le déblaiement et l'évacuation, qui donne lieu à une attestation de stage. Cette formation se tient deux fois par an, avant et au milieu de la période cyclonique, pour des interventions plus spécifiques.
Les interventions du SMA aux ordres des commandements supérieurs des forces armées déclinent une directive interarmées. Le SMA a une mission de sécurité civile pour porter assistance et secours aux populations. Il intervient en appui des armées par une capacité spécifique du SMA qui est indisponible ou insuffisante au sein des armées, notamment dans les travaux publics lourds. Nos jeunes bénéficient souvent d'une formation aux travaux publics et nos unités disposent des matériels correspondants. La directive prévoit un contrat opérationnel, négocié entre le régiment du SMA et le commandement des forces interarmées. Ce contrat, validé par le ministère de l'outre-mer, tutelle du SMA, est décliné en un plan d'opérations définissant chacune des composantes mobilisées en période cyclonique. Les plans opérationnels incluent des modules de commandement et des modules de reconnaissance, des moyens d'intervention techniques (électricité, plomberie, charpente,...), ainsi que des modules de transport - ils sont très limités en dehors des zones de stationnement des régiments -, un module de santé et un module de logistique permettant de survivre sur le terrain.
Le plan d'intervention permettait de déployer 280 personnes au maximum en Martinique et 208 en Guadeloupe. Au plus fort de la crise Irma mi-septembre, 262 personnes ont été déployées, provenant en majorité du régiment de Guadeloupe, et pour un tiers du régiment de la Martinique. L'unité de déblaiement et d'évacuation de la Martinique est partie en premier le lendemain du cyclone, au plus près des moyens de projection du COMSUP (l'Amiral commandant supérieur des forces armées aux Antilles). Cette préparation de qualité, en amont de chaque période cyclonique, et validée par le COMSUP et le SMA, donne lieu à des exercices, parfois internationaux. L'exercice international Richter 2017, auquel le régiment de la Martinique, en amont des ouragans Irma et Maria, a participé, a été particulièrement bénéfique en identifiant des difficultés qui ont été traitées avant le début de la période cyclonique.
Nos jeunes ne sont initialement pas destinés à ce type de missions, ils sont surtout là pour recevoir une formation socioprofessionnelle en vue de les réinsérer. Mais la veille du cyclone, aucun n'a refusé de partir à Saint-Martin, ce qui montre la motivation et le « savoir-donner » que les formations ont concrétisé.
Les contrats opérationnels et les plans d'intervention ont été efficaces et ont permis une projection rapide des détachements constitués. Selon les militaires, un plan s'effondre au premier coup de canon car rien ne se passe généralement comme prévu ; mais l'absence de plan est encore pire.... Les contrats opérationnels et les plans d'intervention ont été validés sur tout le territoire et ont donné des résultats conformes aux attentes.
Le SMA s'est engagé dans la durée : il a été présent à Saint-Martin jusqu'au 15 novembre, contre fin octobre pour les forces armées. Normalement, nos détachements ne peuvent pas rester plus de quinze jours sur place car ce ne sont pas des militaires professionnels. La période d'engagement doit être limitée et la durée de deux mois est un maximum à ne pas dépasser, sous peine de remettre en cause la mission première du SMA qui est l'intégration socioprofessionnelle.
Parmi les faiblesses, le SMA est sous-encadré et ne peut déployer que peu de cadres hors de ses zones de garnison. Cette situation est accentuée par la faiblesse des moyens de transmission, qui sont d'abord fournis par les forces armées. La communication interthéâtres ne se fait que grâce aux moyens satellitaires trop chichement mis à notre disposition par les forces armées.
Le SMA n'est pas assez bien représenté au sein des états-majors militaires ou de la préfecture. Il est insuffisamment employé, car il est trop méconnu.
Les moyens logistiques du SMA sont insuffisants ; ce dernier doit être intégré dans la logistique de l'armée pour les transports et l'alimentation, d'autant plus dans le cas de liaisons stratégiques entre la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin. Sur les deux mois, nous avons également fait participer des unités de Guyane qui ont rejoint les Antilles, puis Saint-Martin, grâce à des moyens aériens stratégiques mis à disposition par les armées.
Capitaine de vaisseau François Moucheboeuf, chef de l'état-major des opérations de la marine, adjoint à l'amiral sous-chef d'état-major « opérations aéronavales ». - La marine est une armée de technologies. Ses forces ont comme missions principales le respect de la souveraineté de la France, la protection des ressources de la zone économique exclusive (ZEE), la coopération militaire régionale et la réaction immédiate en cas de crise. Ces capacités sont mélangées selon les configurations, les risques et les menaces spécifiques à chaque zone.
Les plus gros bâtiments sur place sont des frégates de surveillance de la ZEE dotées d'un hélicoptère, puis des moyens et petits patrouilleurs de protection, sauvegarde et sûreté des moyens maritimes. Ensuite, un bâtiment logistique assure le transport et le ravitaillement des îles. Les combinaisons sont différentes dans les cinq forces de souveraineté. Les Antilles et La Réunion disposent de deux frégates de surveillance, contre une pour les autres zones, tandis que la Guyane dispose uniquement de patrouilleurs, le patrouilleur léger guyanais (PLG). À La Réunion est basé depuis quelques mois l'unique vaisseau polaire, l'Astrolabe, propriété des Terres australes et antarctiques françaises, mais dont l'armement et l'entretien sont assurés par la marine, qui en dispose pour ses propres besoins d'avril à octobre.
Nous disposons également d'aéronefs, et notamment d'avions à réaction Guardian de la flotille 25F en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Ces moyens ne sont pas spécialisés pour un seul type de missions ; ils sont polyvalents. Nous avons un peu moins de 2 000 marins en outre-mer, auxquels s'ajoute la gendarmerie maritime, force mise pour emploi auprès du chef d'état-major de la marine, qui a deux patrouilleurs côtiers, et cinq vedettes de la gendarmerie maritime, dont deux à Mayotte.
La marine est en pleine phase de renouvellement des matériels, notamment le BATRAL, vaisseau amphibie qui pouvait plager et débarquer - ce qui aurait été utile - ne naviguait que 90 jours par an. Il est remplacé par le B2M, plus moderne et de meilleure capacité, avec deux équipages multi-missions, qui peut tenir 200 jours par an en mer, qui est présent dans trois DOM. Un B2M arrivera en Martinique en 2019 et comblera le vide laissé par le désarmement de l'ancien BATRAL, le Dumont d'Urville, l'année dernière.
La situation est en revanche tendue concernant les patrouilleurs. Nous n'en avons malheureusement plus en Martinique. Il y en a un seul en Polynésie et à La Réunion, et deux vétérans de plus de 30 ans, La Glorieuse et La Moqueuse, en Nouvelle-Calédonie. Ces déséquilibres sont en cours de résorption. Un troisième PLG a été commandé et sera affecté en Martinique. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit le renouvellement des patrouilleurs en outre-mer. Six unités seront livrées à la marine d'ici à 2024. Pour accélérer le processus industriel, nous avons détaré les capacités, avec un bâtiment distinct de celui de métropole, et non des monotypes.
Les forces de sécurité s'entraînent régulièrement en vue des catastrophes naturelles. En Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, elles ont conduit les opérations Croix du Sud et Marara, interarmées, et en coopération avec les pays voisins. La coopération régionale est essentielle. Les opérations menées dans le cadre de l'accord FRANZ fonctionnent bien. Nous souhaitons dupliquer ce schéma d'organisation régionale dans l'arc antillais ; les Britanniques nous ont approchés à la suite du cyclone Irma, lors duquel ils avaient déployé leur navire de débarquement (LPD) Ocean, qui travaillait indépendamment de nous. La collaboration a été actée lors du sommet de Sandhurst en janvier dernier pour créer une plateforme commune dans les Antilles.
Avec Irma, nous avons bénéficié d'un cas d'école en utilisant des moyens pré-positionnés appuyés par des renforts venus de métropole. Les moyens de la marine étaient alors mobilisés, depuis fin août, dans la lutte contre les narcotrafics dans l'ouest des Antilles. Ils ont été renforcés par des avions Falcon 50. Dès la réception du préavis de cyclone, les moyens ont été redéployés pour faire venir un avion en Guyane, et dès le 6 septembre, les Falcon 50 ont survolé les îles pour évaluer les dégâts. Les deux frégates de surveillance Ventôse et Germinal basées en Martinique ont effectué le ravitaillement avec 160 tonnes de fret humanitaire, et ont apporté une assistance ponctuelle à terre. Lors d'une deuxième phase, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre a été mis en alerte dès le 7 septembre. Amphibie, porte-hélicoptères, hôpital, bateau de transport, il a pu appareiller, après une phase de définition et de génération des moyens embarqués qui a été un peu longue, le 13 septembre à 4 heures du matin de Toulon. Il lui fallait 12 jours de traversée, mais il a atteint Saint-Martin au bout de 10 jours en « mettant les machines sur le pont ». Il a débarqué notamment 116 véhicules et plus de 1 000 tonnes de matériel du génie, de ravitaillement pétrolier, d'assistance médicale, de matériel pour des travaux sous-marins, afin de déblayer les accès du port. Un LEDAR, péniche de débarquement, a pu décharger sur les plages et dans le port de Philipsburg, dans la partie néerlandaise de l'île. Les opérations interarmées ont toujours bien fonctionné, une référence par leur ampleur ou leur résultat, avec des actions d'urgence et de rétablissement de la situation. L'anticipation a été très bien réalisée par le COMSUP qui assurait le contrôle opérationnel des moyens. Le BPC a prouvé qu'il était très bien adapté à cette mission par son temps de ralliement et ses capacités de transport, ses hélicoptères, 2 pumas et 2 caïmans. Il est resté 15 jours sur place, a participé à 20 chantiers à terre, et au déblaiement de la baie de Cul-de-Sac, où ont été relevées six épaves.
M. Michel Magras, président. - Ces chiffres sont impressionnants. Même si j'habite l'île voisine, toutes ces informations m'éclairent.
Général Lucas, vous témoignez que, pour Saint-Barthélemy, les services de gendarmerie ont été exemplaires. Tous les services ont en effet agi efficacement et en synergie bien au-delà du champ propre de leur mission, en nous prévenant toujours sur les limites de leurs capacités. Vous l'avez préconisé, mais nous fonctionnons déjà ainsi : en phase cyclonique, en fonction de l'importance du cyclone, nous nous réunissons pour décider de réquisitionner tous les moyens mécaniques du BTP, publics et privés, dans les différents quartiers de l'île, avec, pour objectif, que le lendemain du cyclone tous les axes routiers soient dégagés. Mon frère a choqué lorsqu'il a déclaré que nous nous préoccuperions du code des marchés publics ultérieurement...
Nous avons entendu votre message sur l'insuffisance de moyens humains et de matériel de dégagement. Compte tenu du statut de ma collectivité, nous sommes prêts à collaborer et à contractualiser avec l'État pour que ces moyens augmentent ; il y va de la survie de nos populations.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je remercie la gendarmerie pour le travail réalisé, notamment grâce au général Descoux. Grâce à lui, j'ai pu intégrer le dispositif du centre opérationnel départemental, dont j'avais été écarté, pour venir en aide aux populations.
Lorsque vous avez signalé qu'il fallait réquisitionner tous les moyens matériels, j'ai frémi : cela se fait à Saint-Barthélemy, et cela se faisait à Saint-Martin. Chargé de l'aménagement du territoire, du développement durable et de l'environnement dans la collectivité, j'avais mis en place ce système. Nous ne sommes pas dans un tribunal et ne souhaitons pas faire office de commission d'enquête, mais les dysfonctionnements ont été flagrants sur Saint-Martin. Le moment venu, je pointerai les responsabilités. Auparavant, des secteurs étaient prédéfinis sur lesquels tous les acteurs listaient leurs moyens disponibles pour dégager les routes, réaménager les réseaux, organiser les secours, avec une fourchette de prix à laquelle on ne pouvait déroger. Pourquoi cette fois ce travail n'a-t-il pas été fait en amont ? Certains devront répondre de la cacophonie qui s'en est suivie.
Merci d'avoir parlé librement. Vous avez ainsi anticipé certaines de nos questions sur vos capacités, et vous nous avez évité un dialogue accusateur.
J'ai conscience des difficultés de la gendarmerie. Ses bâtiments sont anciens, loués par la collectivité, et qui souvent ne respectent pas les normes antisismiques. Le lendemain du séisme, je me suis rendu à la gendarmerie de Quartier-d'Orléans dont je suis originaire et ai été marqué par la détresse des familles de militaires. Je l'ai relayée au général. J'ai eu l'impression que ma présence les a quelque peu rassurées. J'ai fait de même à la caserne.
Nous avons une convention avec le SMA, et savons ce que vous êtes capables d'apporter. Nous recevons votre plaidoyer pour intégrer davantage le dispositif.
La police territoriale n'est pas très efficace, et ne s'engage pas beaucoup dans les opérations, tandis que la gendarmerie va au-delà de ses missions. Elle s'est retrouvée propulsée dans le commandement des opérations, alors que les élus locaux et les autres acteurs étaient en retrait. Compte tenu du travail réalisé, mes questions deviennent subsidiaires, et je tenais à vous témoigner de la reconnaissance de la population. Nous tiendrons compte de vos remarques dans notre rapport.
J'ai enfin compris pourquoi les Falcon nous survolaient, pour reconnaître les dégâts et transmettre les informations.
Il est nécessaire que nos dirigeants regardent plus frontalement les questions de sécurité et mettent à niveau les moyens mis à votre disposition.
M. Stéphane Artano. - Merci pour la qualité de vos interventions et l'absence de langue de bois, alors que nombreux sont ceux qui, sur les réseaux sociaux, ont dénigré les moyens mis en oeuvre.
Le législateur ne pourrait-il pas prévoir qu'on puisse s'affranchir du code des marchés publics en cas de contexte extraordinaire, même si je suis un fervent défenseur de ce code en temps normal ? Le temps nécessaire pour lancer les appels d'offres et mobiliser les crédits est un vrai sujet. Lorsque je présidais le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, le préfet réquisitionnait.
M. Guillaume Arnell. - C'est la collectivité qui réquisitionnait chez nous...
M. Stéphane Artano. - Nous avons un statut qui nous confère moins d'autonomie !
Quels enseignements tirez-vous de la coopération - ou de l'absence de coopération - avec les Néerlandais ? Le capitaine de vaisseau François Moucheboeuf évoquait un projet de plateforme avec les Britanniques. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la France a des relations avec le Canada. Quel est votre retour d'expérience sur l'épisode Irma en la matière ?
M. Pascal Bolot. - L'ambassadeur des Pays-Bas en France a participé à la quasi-totalité des réunions du CIC, aux côtés des représentants du Premier ministre et du ministre des affaires étrangères. Il nous indiquait l'avancée des opérations de son pays, qui disposait d'un bateau sur place et d'une unité militaire. Un contrat a été signé dans les vingt-quatre heures pour pouvoir utiliser l'aéroport Princess Juliana placé sous leur responsabilité, afin de faire débarquer des Airbus A400M. Cela s'est bien passé.
Cette collaboration nous a également permis de mettre fin à des rumeurs comme la libération de prisonniers dans leur partie de l'île. En réalité, seule la deuxième clôture de la prison, extérieure, s'était effondrée. Leurs informations, suffisamment robustes, nous ont permis de contre-attaquer. Après la visite du président Macron les 11 et 12 septembre, la situation a basculé en notre faveur, alors que, auparavant, on louait la rapidité des actions néerlandaises sur l'île. L'image est fragile...
Sur le fond, nous nous sommes parlé, au-delà du symbole. L'ambassadeur était présent à plus de la moitié des 28 réunions, et à défaut, son premier conseiller.
Capitaine de vaisseau François Moucheboeuf. - Dans le même sens, une cellule de coordination avec les Néerlandais et les Anglais, la Multinational Coordination Cell (MCC), a été organisée à Curaçao fin septembre un peu tardivement. Mais elle a servi lors de l'épisode Maria. Le BPC Tonnerre a ainsi conduit 4 missions coordonnées par la MCC, et pu acheminer du fret humanitaire vers les victimes de Maria.
Général Lambert Lucas. - Je suis désolé de freiner votre enthousiasme, mais la coopération policière et judiciaire, la coopération entre les services de renseignement et la mise en place de patrouilles conjointes ne fonctionnent pas sur le terrain. La partie néerlandaise de Saint-Martin n'exécute pas totalement les recommandations de sa métropole... Il y a une réelle mauvaise volonté localement et l'essentiel des armes qui circulent sur l'île provient de cette partie de l'île.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je suis ravi que vous le disiez, et je le confirme. Les échanges de bonnes intentions sont effectifs entre La Haye et Paris, mais localement, il y a un vrai problème. J'espère que notre rapport en tirera des enseignements. C'est pour cela que le gouvernement est aussi instable et qu'il est encore tombé à la suite des polémiques.
M. Michel Magras, président. - Cet événement a montré la nécessité de formaliser la coopération : déjà écrite, elle doit devenir fonctionnelle rapidement. La collectivité de Saint-Barthélemy réquisitionne sur son terrain, mais l'État réquisitionne pour l'évacuation des personnes. La gestion des avions a mal fonctionné. Les Canadiens ont évacué leurs ressortissants en un temps record, en envoyant les pilotes de WestJet qui atterrissaient à vue. Au contraire, un avion Winair ne peut, juridiquement, relier directement deux aéroports français si bien que pour relier la Guadeloupe à Saint-Barthélemy, il nous déposait à Juliana avant de rembarquer... Quel gain de temps et d'efficacité en période de crise ! On devrait pouvoir y déroger...
Mme Victoire Jasmin. - Sénatrice de Guadeloupe, j'ai été adjointe au maire déléguée à la sécurité de Morne-à-l'Eau. J'ai beaucoup travaillé avec la gendarmerie, notamment au sein du COD. Ma commune n'a pas été touchée par Irma, mais je salue le travail et la coordination permanente entre les élus et la gendarmerie de Morne-à-l'Eau. Lors des exercices anticycloniques, nous avons toujours pu compter et travailler avec notre compagnie de gendarmes. Je comprends mieux ce qui s'est passé pour Irma. Cela a fonctionné, chacun a pris en charge sa partie. Je vous félicite pour ce travail, car la coordination et la maîtrise du dispositif global ne sont pas évidentes en période de crise.
M. Michel Magras, président. - Merci pour tout ce que vous avez fait. Nous avions sans doute sous-évalué la participation de tous les services. Nous sommes à votre disposition pour intégrer dans notre rapport final les informations que vous voudrez bien nous transmettre. Les préconisations que nous formulerons devront aider à progresser à tous les niveaux et à faire face aux événements à venir, même si Irma était le phénomène le plus violent que j'aie connu jusqu'à présent. Nous n'avons pas choisi de naître là, mais nous n'avons pas d'autre choix que d'y vivre et d'organiser la résilience.
Risques naturels majeurs en outre-mer - Visioconférence avec Saint-Pierre-et-Miquelon
M. Michel Magras, président. - Monsieur le président de la collectivité, monsieur le préfet, madame la maire de Saint-Pierre, chère Karine nous sommes heureux de te retrouver, madame le maire de Miquelon-Langlade, monsieur le directeur, avec vous, Saint-Pierre-et-Miquelon ouvre une série de visioconférences avec les territoires. À défaut de pouvoir nous déplacer aussi souvent que nous le souhaiterions dans les outre-mer, notre délégation a en effet recours au palliatif de la visioconférence afin de recueillir au plus près du terrain les témoignages des acteurs locaux. Cela nous vaut le plaisir de vous entendre aujourd'hui.
Comme vous l'aurez compris à la lecture de la trame qui vous a été transmise, notre délégation a décidé d'engager une étude sur deux ans relative aux risques naturels majeurs dans les outre-mer. Cette étude comprendra deux volets distincts entre lesquels notre collègue Guillaume Arnell assurera la coordination.
Le premier volet, en cours d'instruction et sur lequel nous vous entendons aujourd'hui, est centré sur les problématiques d'anticipation des phénomènes, de déclenchement de l'alarme et de gestion de l'urgence lors de la survenue d'une catastrophe ; le second volet traitera des questions de reconstruction et de l'organisation de la résilience des territoires.
Sur le premier volet qui nous préoccupe aujourd'hui, ont été nommés rapporteurs nos collègues Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, et Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe.
Si Saint-Pierre-et-Miquelon n'est sans doute pas le territoire le plus exposé aux multiples risques naturels majeurs tels que cyclones, séismes ou éruptions volcaniques - et nous nous en réjouissons pour vous ! -, le territoire y est néanmoins exposé à des vents qui peuvent être très violents - et soufflant à l'horizontale comme nous l'avait expliqué notre collègue Karine Claireaux - et le littoral est évidemment éminemment exposé au risque de submersion. Nous avons donc tout lieu de nous y intéresser de près !
Sans plus tarder, et sur la base des différents aspects évoqués dans la trame, je vous cède la parole.
M. Thierry Devimeux, préfet. - Mesdames et messieurs, bonjour. Je suis en poste à Saint-Pierre-et-Miquelon depuis un mois environ, et n'ai donc pas encore acquis une connaissance très fine de ces sujets. Afin que notre débat soit le plus pertinent possible, je suis entouré des maires de Saint-Pierre et de Miquelon-Langlade. Le président du conseil territorial s'excuse de ne pas être présent, étant retenu à l'extérieur, et se fait représenter par un agent de son administration. J'ai moi-même fait appel au directeur des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM), à mon directeur de cabinet, au pompier en charge de la sécurité civile ainsi qu'au colonel commandant le groupement de gendarmerie pour que nous ayons une vision complète de la capacité du territoire à agir en cas de difficulté climatique.
Comme vous l'avez fait remarquer, ce territoire n'est pas exposé aux mêmes risques naturels que les autres départements, régions et collectivités d'outre-mer. Pour autant, la population de Saint-Pierre-et-Miquelon est parfois exposée à des conditions climatiques extrêmes, surtout en hiver. Ainsi, nous faisons face à des vents forts, des marées élevées et des tempêtes qui présentent un risque de submersion. Saint-Pierre et Miquelon-Langlade ont déjà connu des phénomènes de submersion importants au cours de leur histoire, et il est fort probable que ces épisodes se manifestent plus régulièrement. En effet, la montée des eaux provoquée par le réchauffement climatique constitue une menace pour le territoire, dont certaines zones sont situées au ras de la mer. À ces phénomènes s'ajoute le risque tsunami, puisque nous sommes directement impactés par l'effondrement des Grands Bancs de Terre-Neuve et l'activité volcanique dans l'Atlantique est.
La problématique des risques naturels à Saint-Pierre-et-Miquelon est essentiellement centrée sur les relations entre l'homme et la mer, particulièrement sur la fragilité des zones d'habitat sur le littoral. L'action prioritaire menée aujourd'hui dans ce domaine relève donc de la protection du littoral. Cela est d'autant plus important que l'évolution climatique a pour conséquence la réduction de la période englacée et une érosion accélérée des côtes du Canada et de Saint-Pierre-et-Miquelon davantage soumises à l'agression de la mer. Historiquement, dans cette partie du monde, les glaces qui se formaient pendant l'hiver avaient pour rôle de protéger les côtes.
Mme Karine Claireaux, maire de Saint-Pierre. - Bonjour à tous. Je suis ravie de vous retrouver à travers la caméra, en attendant que vous nous rendiez visite sur l'archipel.
Saint-Pierre est peu confronté aux risques naturels majeurs, si ce n'est le risque de submersion. Les zones particulièrement sensibles de ce point de vue sont le port de Saint-Pierre et l'aéroport. En cas de fortes marées ou de tempête, les voies d'accès à l'île peuvent être coupées. Il y a quelques années, les habitants près du port ont dû être secourus en barque. Cela vous donne une idée de l'ampleur de la submersion. La montée des eaux rend certaines zones plus sensibles à ces épisodes en cas de fortes marées, voire de simples pluies.
Les collectivités et l'État mutualisent leurs moyens pour faire face à ces risques. Un plan d'action est d'ailleurs en cours d'élaboration pour la commune de Saint-Pierre. Notre principale difficulté, partagée par les autres territoires d'outre-mer, est l'isolement. Nous devons donc être en mesure d'agir seuls en cas de problème majeur.
Il me semble important de vous donner davantage d'explications sur le port de Saint-Pierre. Cette construction est naturellement protégée par l'île aux Marins. Or, cet abri naturel a été envahi par la mer à plusieurs reprises ces dernières années. Il existe donc un risque que cet îlot soit coupé en deux par les eaux et ne puisse plus jouer son rôle de digue naturelle qui a permis à Saint-Pierre de devenir le chef-lieu de l'archipel en abritant les bateaux. Nous portons une attention particulière à la protection de l'île aux Marins. Le chef des services techniques de la commune et moi-même restons à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme Danièle Gaspard, maire de Miquelon-Langlade. - Le constat est quasiment le même qu'à Saint-Pierre. À Miquelon, le village est entouré par la mer. Le littoral, constitué de galets ou de sable dans l'isthme, est fortement soumis à l'érosion. Les hivers étant de moins en moins rigoureux, les falaises ne sont plus protégées comme autrefois par la glace.
En outre, le risque de submersion marine, qui s'est déjà matérialisé dans les années 1960, est un sujet de préoccupation majeur. La construction d'un merlon de protection, déjà en cours, devrait empêcher que la mer ne frôle de trop près les habitations de la partie sud du village en cas d'intempéries. La commune a également travaillé, en collaboration avec les services de la DTAM, à l'élaboration du plan de prévention des risques littoraux (PPRL). Un document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) sera par ailleurs diffusé à la population. Enfin, le plan communal de sauvegarde est en cours d'élaboration avec l'aide du chef de la sécurité civile.
En termes de moyens, les pompiers volontaires peuvent intervenir, ainsi que les services de la DTAM, de la préfecture et de la gendarmerie, selon les besoins. De plus, le PPRL a mis en lumière la nécessité d'identifier un nouveau point de regroupement car le lieu qui avait été pressenti se trouve à une altitude trop basse. Nous souhaitons donc construire une aile supplémentaire à l'école, située en hauteur, afin que ce bâtiment puisse accueillir la population. Cette aile comporterait des douches ainsi que du matériel de secours.
M. Thierry Devimeux. - Même si nos interventions ont souligné les enjeux liés à la mer, il convient de ne pas négliger le risque incendie, en particulier dans la forêt boréale de Langlade, en été. Ceci est d'autant plus préoccupant que la construction de maisons secondaires se développe aux abords de la forêt.
Il existe un deuxième risque terrestre, plus rare, à prendre en compte. En effet, la ville de Saint-Pierre étant adossée à une montagne, le village peut subir des avalanches ou des inondations par débordement de ruisseaux mal canalisés.
M. Alain Cazenave, chef de cabinet du préfet. - J'aimerais porter à votre connaissance deux éléments, de façon à brosser un portrait complet de la situation. Après la tempête du 16 décembre 2016, la mairie de Miquelon a demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle à Langlade. Il s'agit d'une première pour la collectivité.
Par ailleurs, l'archipel compte en 2017 30 vigilances météo, dont 4 de niveau orange. Je me permets d'indiquer que le niveau orange correspond au niveau rouge dans l'hexagone, puisque nous sommes contraints d'adapter notre système de vigilance aux seuils venteux.
M. Thierry Devimeux. - J'ajouterai que le classement en catastrophe naturelle de Miquelon a été décrété après qu'une maison a été emportée par la mer.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - L'élément déclencheur de notre mission est le passage de l'ouragan Irma sur les Îles du Nord, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Notre mission englobe dans son champ tous les risques naturels et souhaité que l'ensemble des outre-mer soient entendus, y compris Saint-Pierre-et-Miquelon où l'éventail des risques est moindre.
M. Stéphane Artano. - Vous avez raison d'évoquer le risque incendie, Monsieur le préfet, notamment à Miquelon-Langlade. Il me semble que le plan de sauvegarde communal doit prévoir un périmètre de sécurité autour des habitations à risque en assurant un déboisement minimal afin de limiter la propagation du feu.
Après vos interventions, trois questions me viennent à l'esprit. Il y a quelques jours, la délégation a auditionné le secrétaire d'État à la transition écologique, M. Sébastien Lecornu, ainsi que le directeur de la sécurité civile, M. Jacques Witkowski. J'avais ainsi eu l'occasion de leur demander si les territoires ultramarins bénéficiaient d'un appui technique. À Saint-Pierre-et-Miquelon, par exemple, un capitaine travaille au sein des services de la préfecture et avec les autorités locales à l'élaboration de différents plans. J'aimerais toutefois savoir si vous disposez d'un soutien technique à Paris dans ces démarches.
Ma deuxième question porte sur les partenariats avec nos pays voisins, que nous venons d'aborder avec le directeur de la protection et de la sécurité de l'État, M. Pascal Bolot, ainsi que les représentants des forces armées, auditionnés cet après-midi. Des plateformes techniques sont-elles déjà prévues avec nos partenaires canadiens en cas de survenance d'un risque naturel majeur ? Il me semble primordial de lancer des discussions internationales pour prévoir la mise à disposition de moyens en cas d'impossibilité, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, de faire face à une catastrophe naturelle. Dans d'autres domaines, je sais qu'il existe des coopérations en matière de sécurité avec la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), par exemple.
Enfin, pourriez-vous présenter à la délégation les moyens immergés mis en oeuvre par l'État au large de Saint-Pierre-et-Miquelon afin de mesurer le risque de submersion ? Cette démarche s'inscrit dans le cadre du projet OURANOS, qui concerne l'ensemble du golfe du Saint-Laurent.
M. Thierry Devimeux. - Le capitaine de sapeurs-pompiers, à mes côtés, fait le lien entre les acteurs locaux pour développer la culture de la sécurité civile et élaborer les documents permettant d'identifier les risques et d'intégrer les bons réflexes en termes d'intervention. Cela me permet également d'avoir un lien direct avec les départements ministériels centraux afin de bénéficier d'un appui technique lorsque nous en avons besoin.
Par ailleurs, la question des partenariats régionaux est pertinente au regard de la position géographique particulière de l'archipel, imbriquée dans le territoire canadien. Il est donc évident que rien ne peut se faire sans le soutien des autorités canadiennes. À ce titre, la coopération entre Météo France et les services météorologiques canadiens, qui semble être au point mort, devrait être relancée afin que nous puissions bénéficier de leur travail de modélisation pour suivre les marées et le risque de submersion. Des contacts ont été pris, mais à ce jour, les démarches n'ont pas encore abouti.
En outre, le Québec vient de mettre en place aux îles de la Madeleine un centre de supervision des risques maritimes, ce qui constitue une autre piste de coopération intéressante compte tenu des similarités entre ces îles et notre territoire. Le ministre québécois s'est rendu sur l'archipel il y a trois semaines pour annoncer la nouvelle et les services du centre travaillent d'ailleurs déjà en collaboration avec des institutions françaises. Cette structure a pour vocation d'identifier les risques de pollution et d'érosion dans l'estuaire du Saint-Laurent, dont fait partie Saint-Pierre-et-Miquelon, et de coordonner l'action des secours en mer dans cette zone. Cela intéresse donc particulièrement notre collectivité, et des coopérations sont à développer en ce sens. À ce titre, je ferai partie de la délégation qui se rendra aux îles de la Madeleine en mai.
Pour conclure sur les partenariats, nous sommes totalement intégrés au dispositif de secours canadien auquel nous prêtons main forte. Ainsi, les actions en mer sont pilotées par le centre d'Halifax. En ce qui concerne la gestion de la crise, donc, la coopération avec les autorités canadiennes fonctionne bien. En revanche, des progrès sont à faire sur le volet connaissance des risques et anticipation.
M. Michel Magras, président. - Je voudrais revenir sur un point technique. M. Alain Cazenave a évoqué les 30 vigilances météorologiques qui couvrent le territoire. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce dispositif ?
Par ailleurs, je vous remercie pour cet exposé précis de la situation, car nous sommes peu informés sur les risques naturels majeurs spécifiques à Saint-Pierre-et-Miquelon et les moyens déployés pour y faire face. Les coopérations que vous venez d'évoquer ont-elles été formalisées ? Si non, nous sommes preneurs de toute proposition que vous pourriez formuler afin d'accélérer ces démarches.
Enfin, pourriez-vous nous dresser un état des lieux des moyens effectifs, humains et matériels, dont vous disposez sur l'archipel pour répondre à ces enjeux ? Estimez-vous ces ressources suffisantes ?
M. Thierry Devimeux. - Un accord franco-canadien signé en 1982 organise la coopération et la mutualisation des moyens dans le cadre des opérations de secours en mer.
Pour en revenir à votre première question, le chiffre de 30 vigilances météo correspond au nombre de fois où Météo-France a déclenché une vigilance jaune ou orange sur le territoire en 2017. Ce mécanisme est déclenché en fonction de la force des vents conjuguée aux hautes marées qui créent un risque de submersion.
Sur la question des ressources, enfin, les moyens mobilisés par les autorités canadiennes sont primordiaux car nous ne disposons pas, par exemple, d'hélicoptère. Ceux-ci sont déployés depuis Terre-Neuve pour effectuer les missions de secours en mer et, selon leurs disponibilités, pour du sauvetage à terre. À titre exceptionnel, donc, les hélicoptères sont utilisés pour retrouver une personne disparue dans la forêt de Langlade. Nous disposons également de quelques moyens maritimes propres puisque l'armée, la gendarmerie maritime, la DTAM et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) possèdent toutes un bateau. Or, la plupart de ces bateaux ne peuvent pas sortir par mauvais temps ce qui limite leur intérêt, d'autant plus que celui de la marine nationale, compte tenu de son âge, doit être remplacé.
En revanche, nos moyens d'intervention terrestres sont plus réduits. L'organisation des sapeurs-pompiers sur le territoire est atypique puisque nous disposons de deux équipes communales de pompiers volontaires, basés à Saint-Pierre et à Miquelon. Leur capacité à se projeter est limitée du fait de leur statut de volontaires et le faible nombre d'interventions qui les empêche de se former en continu. Madame le maire, par exemple, combien d'interventions comptabilisez-vous à l'année sur votre commune ?
Mme Karine Claireaux. - Les pompiers interviennent sur moins d'une vingtaine de sinistres par an. S'ajoutent à cela quelques actions de brancardage pour l'hôpital François Dunan. Les pompiers volontaires protègent les biens mais ne pratiquent pas de secours aux personnes.
M. Thierry Devimeux. - En cas d'incident, nous rencontrons des difficultés pour intervenir rapidement à Langlade, car les pompiers volontaires de Miquelon ne peuvent s'y rendre en moins de 40 minutes.
Mme Danièle Gaspard. - En effet, nous aurions besoin d'un minimum de matériel sur place pour pouvoir agir rapidement en cas de sinistre.
M. Thierry Devimeux. - Pour la mairie de Miquelon-Langlade, l'enjeu consiste donc à répartir intelligemment les faibles moyens en sa possession, en particulier en été où le risque feu de forêt est le plus élevé.
J'ajouterai que Langlade est sans doute plus peuplé que Miquelon mais ne dispose, pour autant, d'aucun moyen de secours sur place. Se pose également, en cas d'accident, le problème de l'évacuation des victimes vers l'hôpital. Nous sommes alors tributaires d'un bateau, d'un avion ou d'un hélicoptère canadien qui sont les seuls moyens de rallier Saint-Pierre.
Mme Danièle Gaspard. - Dans cette optique, le centre incendie s'est récemment doté d'un zodiac afin de transporter rapidement les blessés. Le centre aimerait également acquérir un quad afin de secourir les victimes en cas d'accident de montagne ou de chasse. Enfin, un camion à échelle nous serait très utile comme tenu de la hauteur de certains bâtiments comme l'église. Notre responsable des pompiers travaille donc à compléter la panoplie de nos moyens techniques afin d'apporter une réponse satisfaisante aux besoins de la commune.
M. Michel Magras, président. - J'ai compris que le plan de sauvegarde n'était pas encore achevé. Existe-t-il, à cet égard, un échéancier pour rendre compte de l'avancée des démarches ?
En outre, j'ai conscience que les moyens humains et matériels déployés sur un territoire sont fonction de l'étendue de celui-ci. Pour autant, parvenez-vous à réaliser des exercices en situation ? J'imagine que les risques auxquels vous êtes confrontés, les incendies comme la submersion, nécessitent une préparation particulière.
Mme Karine Claireaux. - Nos pompiers sont bénévoles. Ils se retrouvent tout de même régulièrement pour mener des exercices, en plus des formations et des mises en situation qu'ils suivent tout au long de l'année. Les exercices sont particulièrement difficiles à mettre en place en ce qui concerne les risques naturels, mais nous essayons tout de même de leur faire acquérir les bons réflexes pour pouvoir répondre à la plupart des situations auxquelles ils pourraient être confrontés.
Mme Danièle Gaspard. - Cela fonctionne de la même manière à Miquelon, les pompiers se prêtant régulièrement à des exercices. Je pense que nos pompiers se maintiennent très à jour dans leur formation.
Mme Karine Claireaux. - Pour plus de facilité, nous faisons venir les formateurs à Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Michel Magras, président. - Entretenez-vous des relations avec le Canada dans le cadre de la formation des pompiers ?
Mme Karine Claireaux. - Non, car nous collaborons avec la Seine-Maritime.
M. Thierry Devimeux. - En revanche, les camions de pompiers sont canadiens.
M. Michel Magras, président. - Vous n'êtes donc pas soumis aux mêmes normes que dans les autres territoires français.
M. Thierry Devimeux. - Les pompiers ont dû trouver un moyen de contourner ce problème et apprendre à s'organiser avec un outil de travail radicalement différent. Mais le principal défi demeure le faible nombre d'interventions, principalement des incendies de maison, car les savoir-faire se développent avec l'expérience. Même si nous essayons de compenser ce déficit d'activité par des exercices réguliers, cela implique que nos pompiers se forment en continu pour s'assurer de pouvoir intervenir rapidement, sans se mettre en danger.
Mme Karine Claireaux. - Il est clair qu'en cas de catastrophe naturelle, les pompiers volontaires ne suffiraient pas. Compte tenu de l'ampleur des dégâts potentiels, tous les moyens de l'archipel devraient être mis en commun. Les agents de l'État, la gendarmerie et les agents des collectivités devront tous être mobilisés. Sur certains exercices, d'ailleurs, nous convions tous les acteurs de la sécurité afin de mesurer notre capacité à se coordonner dans le cadre d'une situation inédite.
M. Thierry Devimeux. - Madame le maire, estimez-vous aujourd'hui que la sensibilité de la population aux risques est suffisante ? Les habitants de l'archipel sont-ils en capacité d'anticiper la situation et de se prendre en charge individuellement et collectivement face à un risque naturel ? J'ai eu l'occasion de voir que dans les territoires soumis aux cyclones, comme La Réunion, les populations ont intégré ce risque dans leur mode de vie et l'ensemble des forces vives se mobilise pour préparer l'événement.
Mme Karine Claireaux. - En ce qui concerne les risques naturels de type submersion ou raz-de-marée, nous n'aurons pas d'autre choix que de prendre les habitants en charge car nous devrons leur trouver des abris. Si la catastrophe survient en hiver, nous devrons faire preuve d'une réactivité hors norme car les gens ne peuvent pas survivre longtemps dehors. Il convient donc que les élus et les administrations réfléchissent en amont aux abris potentiels et aux moyens nécessaires pour ces opérations. C'est d'ailleurs tout l'intérêt des plans sur lesquels nous travaillons à l'heure actuelle. Ces schémas permettent de coucher sur papier les démarches à suivre afin de se préparer au mieux et de gagner un temps précieux en cas d'urgence. Ils seront par ailleurs communiqués à la population afin que tout le monde intègre le fonctionnement du système d'alerte.
En revanche, nous sommes dépourvus de matériel pour faire face à de telles situations. En cas d'accident au sein de l'usine de production d'électricité, comme cela s'est déjà produit dans le passé, nous n'avons pas d'autre moyen pour approvisionner le territoire en électricité. Le même problème se pose avec l'usine de traitement de l'eau potable. Il me paraît essentiel de recenser dès à présent, au niveau de Terre-Neuve et des provinces maritimes, les territoires qui pourraient nous venir en aide rapidement en cas de crise de cette nature.
M. Michel Magras, président. - Vous êtes donc soumis à des risques spécifiques par rapport aux autres territoires d'outre-mer. Le plan de sauvegarde fera-t-il des préconisations de manière à établir un programme à moyen ou long-terme ?
Capitaine Simon Marie, officier de sapeurs-pompiers, coordinateur de sécurité civile auprès du préfet. - Bonjour à tous. J'ai été mis à disposition en tant que coordinateur de la sécurité civile auprès du préfet. Les plans communaux de sauvegarde ne prendront pas en compte toutes les problématiques que vous venez d'évoquer. En revanche, des dispositions spécifiques prévues dans le plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC) ont été arrêtées en 2013 en ce qui concerne l'hébergement et l'électro-secours. Ces dispositions doivent faire l'objet de révision tous les cinq ans, soit cette année.
Monsieur le sénateur, vous évoquiez les obligations de débroussaillement et l'autonomie en matière de feu de forêt. Or, le plan communal de sauvegarde ne travaille pas sur la réduction du risque à la source, mais uniquement sur la capacité de la commune à faire face à la crise avec ses moyens propres. Ces aspects ne seront donc pas pris en compte dans le plan communal de sauvegarde (PCS). En revanche, le risque incendie sera davantage étayé dans le DICRIM, qui sert de base au PCS et fait lui aussi l'objet d'une révision tous les cinq ans. Nous comptons ainsi nous inspirer des recommandations données pour le Sud de la France afin de les adapter à la situation de Miquelon et de les communiquer à la population.
M. Michel Magras, président. - Qu'en est-il de la submersion liée aux changements climatiques ? Dans les îles du Pacifique, par exemple, des mesures sont déjà envisagées pour déplacer les populations en raison de la montée des eaux. La collectivité est-elle concernée et réfléchit-elle déjà à ces questions ?
M. Romain Guillot, directeur des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM). - Nous menons actuellement une enquête publique dans le cadre du plan de prévention des risques littoraux (PPRL). Sur la base d'une carte d'aléas, nous avons pu définir des périmètres dans lesquels l'urbanisation sera limitée, voire interdite. Nous arrivons au terme d'une démarche entamée il y a plusieurs années et sommes en mesure de dire que ce phénomène impacte de manière significative la commune de Miquelon et, dans une moindre mesure, celle de Saint-Pierre. Les enjeux territoriaux sont tels qu'une concertation entre les différents acteurs de la commune est essentielle.
Une fois que ce PPRL aura fait l'objet d'un arrêté préfectoral, nous devrons nourrir localement une réflexion sur la suite à donner à ces cartes d'aléas. Le cadre de cette concertation reste, pour l'heure, à définir. J'ajoute que le programme d'action de prévention des inondations (PAPI) n'apparaît pas comme un outil adapté aux caractéristiques de Miquelon, tant dans sa rigueur que dans son périmètre.
En outre, je souhaite revenir sur la question concernant les réseaux d'observation dont nous disposons. L'archipel accueille en effet un houlographe, un marégraphe et quatre courantomètres. Or, ce réseau nous donne des indications en instantané et permet de tirer des conclusions à partir des mesures effectuées dans le passé. En revanche, il ne nous est pas utile pour faire des prévisions. Ainsi, notre dispositif d'alerte souffre d'un manque de moyens. Dans cette optique, Saint-Pierre-et-Miquelon souhaite développer un partenariat avec le Canada dans le but de définir un schéma d'alerte sur la surcote qui nous préoccupe particulièrement. Or, à l'heure actuelle, la coopération entre notre collectivité et le Canada, avec l'appui de Météo France en local, semble avoir perdu son élan. Les services locaux côté français comme canadien ont fait part de cette difficulté aux instances nationales, sans succès. Cette situation est d'autant plus problématique que les modèles de Météo France ne permettent pas de générer des alertes sur la surcote de Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Michel Magras, président. - La délégation s'est rendue à la direction générale de Météo-France en début de semaine. Les intervenants nous ont expliqué que le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon sera bientôt suivi par la Direction interrégionale Antilles-Guyane. Êtes-vous au courant de cette réorganisation ?
M. Thierry Devimeux. - Nous n'en avons pas été informés. Ce qui est primordial pour la collectivité, c'est de rétablir la coopération entre Météo France et le Canada. En effet, les services météorologiques canadiens ont développé des modèles performants pour leur territoire, et donc pour le nôtre. Nous manquons cruellement de capacité à prévoir les événements météorologiques.
Pour revenir sur la question de l'impact de la montée des eaux sur notre territoire, le PPRL aura des conséquences sur le schéma territorial d'aménagement et d'urbanisme (STAU) que porte la collectivité territoriale. Celui-ci, décliné, permettra de revoir les plans d'occupation des sols et les taux d'urbanisation des deux communes. Le village de Miquelon, par exemple, est posé sur une dune, au-dessus d'un cordon de graviers et de cailloux au ras de l'eau. Si la mer montait d'un mètre, ce cordon serait submergé. Nous sommes donc, à certains égards, dans une situation proche de celle que peuvent connaître la Polynésie française ou les Maldives. Ce phénomène impactera nécessairement l'urbanisation de la zone de Miquelon à l'avenir.
M. Michel Magras, président. - Je suis particulièrement sensible à vos revendications en faveur d'une meilleure coopération avec le Canada. À Saint-Barthélemy, par exemple, la principale référence météorologique n'est pas Météo France mais le National Hurricane Center (NHC) basé à Miami. Je milite donc pour une coopération formalisée entre la France et les États-Unis dans l'optique d'une mise en commun des outils de prévision des événements cycloniques.
Mme Vivette Lopez. - Vous avez déjà répondu à ma première question car j'ai compris que si un événement grave se produisait, les premiers secours vous viendraient du Canada.
Monsieur le préfet, vous avez affirmé que la fonte des glaces, qui jouent de moins en moins leur rôle protecteur, accélérait l'érosion des côtes. La fonte des glaces n'entraîne-t-elle pas elle-même l'érosion ?
M. Thierry Devimeux. - En hiver, la mer n'atteint plus les côtes car la glace crée une barrière naturelle. La fonte des glaces réduit donc cette barrière et accélère l'érosion. Ce phénomène préoccupe les Québécois également puisqu'il est particulièrement prégnant dans le golfe du Saint-Laurent.
Mme Vivette Lopez. - Le Conservatoire national du littoral intervient-il chez vous ?
Sur une note plus légère, subissez-vous un hiver rigoureux cette année ? Quelle est la température actuelle chez vous ?
Mme Karine Claireaux. - Le Conservatoire national du littoral intervient de manière limitée car il n'est pas parvenu à passer de partenariat avec la collectivité territoriale dans certains domaines. Ainsi, le référent pour le compte du conservatoire ne réside plus sur l'archipel, mais je crois qu'il existe un relais à la DTAM.
M. Romain Guillot. - Le conservatoire est toujours propriétaire de 400 hectares de terrain à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Mme Karine Claireaux. - L'hiver que nous connaissons cette année est particulièrement doux, avec peu de périodes enneigées. Nous n'avons subi aucune tempête de neige depuis le début du mois de février. Les températures avoisinent les -5 degrés, alors que nous sommes en plein coeur de l'hiver.
M. Thierry Devimeux. - Pour autant, la maire de Miquelon ne pourra pas rejoindre ce soir sa commune, son avion ayant été annulé à cause du risque verglas. Miquelon sera donc complètement coupé de Saint-Pierre ce soir, voire demain. Les conditions climatiques sont tout de même rigoureuses.
Mme Karine Claireaux. - En effet, en hiver, il peut arriver que la commune de Miquelon soit privée de la possibilité de recevoir de l'aide de la part de Saint-Pierre pendant plusieurs jours. Les voies de communication maritimes et aériennes peuvent être totalement coupées en raison des conditions météorologiques. Miquelon se voit donc infliger une double peine et cela demande de développer une plus grande capacité d'autonomie.
M. Michel Magras, président. - Il me reste à vous remercier et à vous réitérer mon engagement à me rendre à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je vous encourage à nous communiquer toutes les données ou les préconisations que vous considérerez pertinentes dans le cadre de notre rapport.