Mercredi 7 février 2018
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et de M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France, et du Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons le cycle d'auditions menées conjointement par nos deux commissions sur la crise sanitaire consécutive à la commercialisation de produits de nutrition infantile contaminés par la salmonelle, qui a conduit à l'hospitalisation de plusieurs dizaines de nourrissons.
Indépendamment du retentissement médiatique de cette affaire et de ses probables suites judiciaires, nous avons souhaité entendre les acteurs en présence, en particulier les représentants des ministères concernés, ceux de l'économie et de la santé. Notre objectif est de mieux comprendre le rôle de chacun, d'identifier les éventuels dysfonctionnements et de déterminer si nous sommes suffisamment bien outillés en matière de sécurité sanitaire.
Dans cet esprit, nous recevons ce matin les autorités sanitaires de l'État à travers le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé depuis un mois et que la commission des affaires sociales n'a pas encore eu l'occasion d'entendre, et M. François Bourdillon, directeur général de l'Agence nationale de santé publique, ou Santé publique France, l'opérateur sanitaire de l'État qui regroupe les compétences de veille, d'alerte et de réponse aux crises sanitaires.
Messieurs les directeurs généraux, il nous a paru indispensable de recueillir auprès de vous un premier bilan du déroulement des faits et de votre mobilisation pour gérer la crise.
Pouvez-vous nous décrire l'articulation de vos rôles dans la chaîne allant du recueil des premiers signalements aux réponses apportées et à l'information communiquée à la population ? Comment vos actions se coordonnent-elles avec celles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?
Quelle est votre appréciation des outils dont vous disposez pour faire face à ce type de crise ? Permettent-ils une bonne réactivité ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Pouvez-vous évoquer la situation particulière des pharmacies et des hôpitaux, dont certains auraient utilisé des produits visés par un rappel ? D'un point de vue épidémiologique, comment la situation se présente-elle aujourd'hui ? Enfin, quelles améliorations devraient être apportées, selon vous, afin d'éviter de nouveaux dysfonctionnements ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Je tiens à excuser ceux de nos collègues que les conditions climatiques empêchent de se joindre à nos travaux.
L'affaire Lactalis fait apparaître la complexité des procédures de contrôle et de décision en cas de crise sanitaire. Les acteurs impliqués sont nombreux : le producteur, l'administration chargée de la consommation, les services relevant du ministère de l'agriculture, l'administration et les opérateurs chargés de la santé publique. Messieurs les directeurs généraux, l'imbrication des compétences et des responsabilités ne serait-elle pas l'une des explications des difficultés rencontrées pour gérer cette contamination ? Peut-être pourrez-vous nous suggérer quelques voies d'évolution à cet égard.
M. François Bourdillon, directeur général de Santé publique France. - Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur le rôle de Santé publique France, dont les missions sont centrées sur la veille, l'alerte et la surveillance. Je suis accompagné de Mmes Deval, responsable de l'unité intoxication alimentaire, et Jourdan, la cheville ouvrière de l'alerte et des investigations dans l'affaire qui nous intéresse. Pour travailler quotidiennement sur le sujet depuis deux mois, elles pourront vous donner des explications précises, mais permettez-moi d'abord de vous décrire notre système de façon générale.
Lorsqu'un laboratoire identifie une salmonelle dans le cadre d'une coproculture, il saisit le Centre national de référence (CNR) Salmonellose, à l'Institut Pasteur. Le CNR reçoit environ 10 000 salmonelles par an, dont 600 chez des nourrissons.
La difficulté est d'avoir un système d'alerte qui ne sonne pas trop souvent, mais garantisse de ne pas passer à côté d'une épidémie. Des algorithmes ont été mis au point pour donner l'alerte au bon moment.
Quand l'alerte sonne, les investigateurs épidémiologiques de Santé publique France prennent contact par téléphone avec les personnes contaminées pour déterminer s'il y a une source commune. C'est ainsi que, fin novembre et début décembre, en présence de huit cas anormaux de salmonellose, nous avons mené des investigations et identifié comme source commune l'usine de Craon.
Mme Nathalie Jourdan, Santé publique France. - Le dispositif de surveillance des infections à la salmonelle repose sur le Centre national de référence Salmonellose, qui recense environ 10 000 souches chaque année, transmises par 1 200 laboratoires volontaires, hospitaliers et privés, et en détermine le sérotype. Ce travail permet de suivre l'évolution de près de 2 000 sérotypes de salmonelle et de détecter les cas groupés - les clusters - et les épidémies.
Des algorithmes de détection des dépassements de seuils ont été établis, pour les différents sérotypes, à partir des données historiques du centre : ils permettent de repérer les augmentations inhabituelles et les cas groupés. Par ailleurs, les médecins et biologistes peuvent signaler spontanément tout phénomène inhabituel, en particulier des cas groupés.
La surveillance des salmonelles chez l'animal, dans les aliments et dans l'environnement de la chaîne alimentaire est, quant à elle, assurée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.
Chaque semaine, le CNR Salmonellose adresse à Santé publique France la distribution par sérotype des souches reçues pour les quatre dernières semaines. Il nous transmet également une analyse par sérotype et unité géographique, issue de trois algorithmes de détection. Si le nombre de souches observé pour un sérotype est supérieur à celui attendu à cette période, un signal apparaît sur le relevé hebdomadaire.
Santé publique France vérifie ces signaux et réalise au besoin des investigations exploratoires. Une courbe épidémique est construite, afin de visualiser les cas à l'origine du signal, ainsi que les cas du même sérotype observés les semaines précédentes. Des hypothèses sur les modes de transmission et de contamination sont envisagées.
Les épidémiologistes de Santé publique France interrogent alors par téléphone les personnes contaminées, dont les coordonnées nous sont fournies par les laboratoires.
Le 30 novembre 2017, le CNR Salmonellose a identifié huit cas de salmonelle agona en huit jours chez des nourrissons. Ce nombre inhabituel de cas a conduit au lancement immédiat d'investigations.
Dès le vendredi 1er décembre au matin, les premières familles ont été contactées par téléphone par nos épidémiologistes ; rapidement, trois laits produits par Lactalis ont été identifiés. Nous avons demandé à la direction générale de la santé d'organiser une réunion téléphonique dans l'après-midi du 1er décembre avec la DGCCRF, l'Anses et le CNR. Le premier retrait-rappel de ces trois laits a eu lieu dès le lendemain.
Au fur et à mesure des entretiens avec les parents, Santé publique France a informé ses partenaires des dates de survenue des symptômes, ce qui a permis d'estimer les périodes d'achat des boîtes de lait. Nous leur avons également communiqué les numéros de lots et des dates de fabrication des boîtes encore détenues par les familles, ainsi que les coordonnées de celles-ci pour d'éventuels prélèvements par la DGCCRF.
Les épidémiologistes de Santé publique France ont continué à interroger les parents des bébés durant tout le week-end du 1er au 3 décembre. Dès l'identification d'un quatrième, puis d'un cinquième lait, nous avons informé nos partenaires pour que le retrait soit étendu.
Parallèlement à ces investigations épidémiologiques, des investigations microbiologiques ont été menées par le CNR, qui a établi que toutes les souches isolées chez les bébés ayant consommé du lait de Lactalis appartenaient à un même clone épidémique.
À l'attention de la population, Santé publique France a communiqué des informations sur le bilan sanitaire, notamment via son site internet, à partir du 5 décembre. Nous avons également répondu aux journalistes et assuré une communication aux professionnels de santé, à travers la revue médicale Eurosurveillance.
M. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, ministère des solidarités et de la santé. - Je suis honoré de m'exprimer pour la première fois devant la Haute Assemblée en tant que directeur général de la santé. Nommé dans ces fonctions le 8 janvier, j'ai de cette affaire une vision empreinte d'un certain recul, ce qui peut être intéressant pour la mise en perspective.
Du point de vue du clinicien, il est important de rappeler la complexité du quotidien : les diarrhées infectieuses sont extrêmement fréquentes, en particulier chez les enfants. Les médecins ont la responsabilité, s'ils suspectent une infection bactérienne, de prescrire une coproculture, qui n'est pas un examen facile. En effet, il est réalisé dans un laboratoire spécialisé, qui doit identifier une souche pathogène parmi un très grand nombre de souches - il y a plusieurs milliers de sérotypes de salmonelle chez l'homme - et utiliser des techniques de biologie moléculaire pour s'assurer de l'unicité de cette souche.
D'où l'importance de notre réseau de centres nationaux de référence, qui est un atout pour l'identification et la recherche. Pour les salmonelles, le centre de référence est dirigé par le professeur François-Xavier Weill, qui a une réputation mondiale dans ce domaine.
L'investigation épidémiologique, consistant à identifier une exposition et une source communes, n'est pas moins complexe que l'identification microbiologique.
La direction générale de la santé est en lien quotidien avec Santé publique France, notamment via un bulletin quotidien des alertes. Des réunions de tous les partenaires, directions administratives et opérateurs, sont organisées chaque semaine. Le dispositif est donc très fluide et cohérent.
Je laisse M. Thierry Paux, sous-directeur chargé de la veille et de la sécurité sanitaires, qui a suivi l'alerte Lactalis au quotidien, vous présenter la chronologie de la réaction de la direction générale de la santé.
M. Thierry Paux, sous-directeur, direction générale de la santé. - Dès réception de l'alerte, le 1er décembre dans l'après-midi, nous avons organisé une conférence téléphonique avec l'ensemble des acteurs, administrations et opérateurs, afin de partager nos informations, d'organiser les mesures d'investigation et de commencer à identifier les mesures de gestion nécessaires. Nous avons décidé de mettre en place sans attendre un retrait-rappel des lots concernés. Nous avons alors saisi en urgence la Société française de pédiatrie pour qu'elle émette des recommandations de substitution et commencé à informer le grand public et les professionnels de santé.
S'agissant de ces derniers, nous leur avons demandé de cesser la distribution des produits rappelés et de signaler tout cas suspect de salmonellose. Cette information est passée par des messages d'alerte rapide sanitaire envoyés aux établissements de santé et des messages de type « DGS Urgent » adressés aux professionnels libéraux et relayés par les ordres des médecins et des pharmaciens.
Ces mesures s'inscrivent parfaitement dans les missions de la DGS, chargée de la protection des populations ; notre responsabilité est de définir les mesures de gestion nécessaires à cette protection. Les investigations sur les produits relèvent, quant à elles, de la compétence de la DGAL ou de la DGCCRF.
Au fur et à mesure des progrès des investigations, de nouvelles conférences téléphoniques ont été organisées avec l'ensemble des services pour adapter les mesures de gestion et d'information. Au total, nous avons organisé neuf conférences téléphoniques en décembre. Parallèlement, nous avons entretenu avec la DGCCRF et Santé publique France des échanges quasiment quotidiens.
S'agissant de l'information du grand public, nous avons tenu à jour notre site internet, notamment en ce qui concerne les recommandations de substitution. Nous y avons inséré des renvois vers les sites de Santé publique France et de la DGCCRF, afin de fournir aux consommateurs une vision globale de la situation. En outre, nous avons publié différents communiqués de presse, notre ancien directeur général, Benoît Vallet, a donné plusieurs interviews télévisées et radiophoniques et nous avons diffusé des messages sur les réseaux sociaux. Enfin, nous avons tenu les associations de familles de victimes informées de la situation.
M. François Bourdillon. - En réponse à la question sur notre appréciation des outils, je puis témoigner que notre articulation avec les centres nationaux de référence est de grande qualité. En particulier, nous finançons à hauteur de 1 million d'euros par an le CNR Salmonellose pour qu'il nous fournisse les prestations qui vous ont été décrites, et qui nous sont précieuses.
Entre le système de soins cliniques, les laboratoires, les centres nationaux de référence et Santé publique France, nous disposons aujourd'hui d'un dispositif bien articulé qui nous permet d'informer la direction générale de la santé de manière extrêmement réactive. Construit par Santé publique France d'après des modèles anglo-saxons, ce dispositif est très performant, et nous n'avons qu'à nous en féliciter.
M. Jérôme Salomon. - Les différentes phases doivent être bien distinguées. La surveillance au quotidien repose sur le dispositif de notification obligatoire par les médecins et les laboratoires. Pour ce qui est du lancement d'alerte, il n'est pas aisé de définir des seuils. Toute fluctuation n'est pas un début d'épidémie...
La gestion de crise s'accompagne d'enjeux de communication et de coordination interservices. La direction générale de la santé doit adresser au grand public les messages les plus précis possible, s'agissant notamment des consignes sanitaires, des recommandations de substitution, surtout quand les produits rappelés sont très spécifiques, et de la conduite à adopter vis-à-vis de la maladie elle-même.
À la lumière de cette affaire, nous avons des réflexions à mener en matière de surveillance, de gestion d'alerte et de communication de crise, ainsi que sur les outils permettant de cibler les consommateurs concernés.
M. Alain Milon, président. - Plusieurs alertes à la salmonelle avaient déjà visé le site de Craon, en 2005, août et novembre 2017. Comment assurer efficacement la surveillance des sites visés par une alerte ?
Par ailleurs, après la décision de retrait, certains hypermarchés, et malheureusement aussi des pharmacies, ont continué à vendre des boîtes contaminées. Comment est-ce possible ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Chaque acteur de la chaîne que nous auditionnons nous explique sa manière de communiquer vis-à-vis du grand public et des professionnels. Trop d'informations ne tuent-elles pas l'information ? Comment améliorer la coordination en la matière ?
M. Martial Bourquin. - Le PDG de Lactalis a fait rebondir l'affaire en mettant en cause la fiabilité des contrôles. Contrôlez-vous, au-delà des produits, l'environnement du process de fabrication ? Et y a-t-il des contrôles sur les contrôles ?
On annonce la suppression de plus de quarante emplois au sein de la DGCCRF, alors que cette administration ne cesse de se voir confier de nouvelles responsabilités, notamment en application de la loi de 2014 relative à la consommation. Comment pourra-t-elle assumer toutes ses missions sans personnels en nombre suffisant et bien formés ?
Enfin, quelles informations sont-elles adressées aux professionnels et, quand certains continuent volontairement à vendre des produits contaminés, quelles sanctions sont-elles prises ?
Messieurs les directeurs généraux, vos interventions étaient solides, mais, tout de même, il y a eu un trou dans la raquette ! D'aucuns se demandent même si la raquette avait un cordage...
M. Bernard Jomier. - Le dispositif d'alerte que vous avez décrit me paraît assez efficient, nonobstant les réserves sur des détections antérieures qui seraient restées sans effet. À ce propos, je souhaite vous interroger sur les contrôles internes : ces contrôles vous ont-ils été notifiés, et pourquoi n'auraient-ils pas permis de détecter la salmonelle ? Au fond, quand le dispositif de santé publique intervient, il est déjà trop tard...
Nous sommes nettement moins convaincus en ce qui concerne la gestion de crise. À vrai dire, nous sommes mêmes inquiets de constater que les mesures prises ont été appliquées de façon tout à fait insuffisante, faute, notamment, d'une bonne coordination entre les acteurs de l'État. Pouvez-vous nous donner des explications sur la longueur de la chronologie, qui est tout à fait préoccupante ?
M. Pierre Louault. - Après un certain nombre d'auditions, j'ai le sentiment que, sur les plans sanitaire et alimentaire, notre système fonctionne plutôt bien. On voudrait faire croire aux Français qu'on peut tout contrôler, mais c'est impossible !
La concentration industrielle est aujourd'hui telle que, quand il y a une contamination, tout le monde est affecté. Reste que, dans cette affaire, le dispositif de détection s'est révélé fiable et réactif.
Je constate tout de même une faille, s'agissant du retrait-rappel des produits : un mois après la décision, il restait des produits contaminés dans les rayons... Notre rôle est de veiller à ce que les choses ne se reproduisent pas de la même manière, mais elles se produiront autrement. Du reste, un monde aseptisé n'est pas sans dangers. Méfions-nous de cet état d'esprit, assez français, qui laisse croire qu'on peut tout prévenir et conduit à tout attendre de la haute administration.
Sur le plan de la sécurité sanitaire, je trouve que notre système est très bon. Tant pis pour ceux qui trouvent que les choses vont mal !
Mme Patricia Schillinger. - Depuis 2005, lit-on dans la presse, d'autres produits auraient été concernés. Quelle est l'étendue réelle de la contamination ? Les chiffres officiels sur le nombre d'enfants infectés reflètent-ils vraiment la réalité ? Les médecins ne détectent pas toujours la salmonellose... Enfin, comment les produits contaminés ont-ils été retirés des marchés d'exportation ?
Mme Florence Lassarade. - En Gironde, les pédiatres ont été alertés le 7 décembre pour cesser la distribution de lots d'échantillons. Seulement, quand nous remettons ces échantillons à des patients, nous ne notons pas toujours les numéros de lot, de sorte qu'il n'y a pas de traçabilité.
Nous sommes, il est vrai, dans un pays sûr, où les produits sont suivis. Par ailleurs, la salmonellose n'est pas une pathologie très grave. Mais lorsqu'une épidémie d'entérocolite ulcéro-hémorragique s'est déclarée voilà quelques années, on a eu du mal à retrouver le concombre bio en cause... Améliorer la traçabilité des produits est donc essentiel pour renforcer la sécurité.
M. Daniel Gremillet. - Les explications que nous avons entendues me rassurent : nous avons un système dont, je pense, nombre de pays peuvent nous envier l'efficacité. Reste qu'il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé.
Entre le producteur et l'acheteur, la traçabilité des lots est assurée. La vraie question est celle de la traçabilité finale : au niveau des revendeurs, certains phénomènes de cascade empêchent parfois les familles d'obtenir les informations aussi rapidement qu'on le souhaiterait. Comment améliorer la diffusion de l'information jusqu'à ceux qui sont exposés ?
Enfin, comment contrôle-t-on les produits alimentaires d'importation ?
Mme Michelle Meunier. - La coordination, nécessaire sur ces questions, n'a peut-être pas été suffisante. D'autres cas ont été observés en Espagne : comment la question peut-elle être traitée au niveau européen ?
Mme Denise Saint-Pé. - Des études sont réalisées par unité géographique, avez-vous expliqué. Combien d'unités retient-on et quels sont leurs périmètres ?
M. Yves Daudigny. - Le plus invraisemblable et le plus inacceptable, c'est qu'on ait continué à vendre des produits contaminés, dans la grande distribution mais aussi dans les pharmacies, dont personne ne doute une seconde qu'on s'y soucie de la santé publique. Comment éviter que de tels phénomènes ne se reproduisent ?
M. Laurent Duplomb. - Pouvez-vous évaluer, sur une échelle de 1 à 10, la gravité de la situation actuelle, par rapport à d'autres références historiques ou aux cas que vous traitez habituellement ?
En 1950, il y avait 15 000 cas mortels d'intoxication alimentaire. Qu'en est-il ces cinq dernières années ? Interrogeons-nous et améliorons la communication sans entrer dans un déchaînement médiatique clouant au pilori l'industrie française, et qui relaie des messages parfois sans rapport avec la crise et qui cristallisent certaines positions. Cela fait croire que tout ce qui vient de l'extérieur serait moins dangereux que ce qui est produit en France, et amplifie un phénomène regrettable : il y a de moins en moins d'industrie, d'emploi et de filières en France.
Pouvez-vous donner des exemples de pays où la sécurité alimentaire est moins importante qu'en France - avec quels risques pour la population ? A-t-on moins de chances d'être intoxiqué avec des produits français qu'avec des produits étrangers, qui n'ont pas les mêmes règles de production et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes ni aux mêmes contrôles ?
M. Alain Milon, président. - Je rappelle que l'épidémie de grippe a déjà fait près de 3 000 morts...
Mme Corinne Imbert. - J'ai été contrariée d'apprendre que des lots de laits avaient été distribués dans les officines après le rappel. Le retrait des lots s'est effectué en deux temps : le 2 décembre, douze lots de lait premier âge, pour des nourrissons de 0 à 4 mois, ont été retirés ; le 10 décembre, 620 lots de lait premier et deuxième âge, de croissance et relais ont été retirés à la suite de six nouveaux cas. La procédure de retrait des lots a-t-elle suivi strictement la procédure de retrait d'un médicament ? Celle-ci est rapide et exhaustive en cas d'incident. En 2016, l'Ordre des pharmaciens a publié une brochure retraçant la quarantaine de retraits de médicaments effectués durant l'année 2015.
M. Jérôme Salomon. - Merci pour ces questions, dans lesquelles nous retrouvons l'ensemble des préoccupations de nos concitoyens. Nous devons faire preuve de pédagogie sur notre système de sécurité sanitaire. Je rappellerai la répartition des rôles : la santé est totalement en aval du dispositif, puisque nous ne disposons que de prélèvements humains, et n'avons pas d'autorité de police sanitaire sur l'environnement. Cela relève des douanes, de la DGCCRF pour les produits finis et de la direction générale de l'alimentation (DGAL) pour les produits agricoles... Plus en amont, les industriels réalisent des autocontrôles de qualité et de sécurité de leurs produits, avant des contrôles réguliers des services de l'État. Enfin, la surveillance de l'état sanitaire de la population relève de ma responsabilité en tant que directeur général de la santé. Nous voulons réduire au maximum l'impact sanitaire de toutes les maladies en France.
La France, après une épidémie majeure de listeria, a créé en 1992 le réseau national de santé publique, alors que cette épidémie avait touché plusieurs centaines de personnes et que l'investigation avait duré plusieurs mois. Depuis, nous avons considérablement progressé sur les capacités de détection microbiologique : nous avons créé l'Institut de veille sanitaire (InVS), devenu l'agence Santé publique France, opérateur qui a fusionné l'investigation épidémiologique de l'InVS, la réaction avec l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), et la communication et l'éducation à la santé avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes). Cette agence cherche à réduire l'impact sanitaire des épidémies et surveille spécifiquement les populations fragiles - ici les nourrissons -, mais le ressenti de la population est des parents est très fort. Par ailleurs, le lait est un produit à risque. Une approche quantitative a peu de sens face au ressenti des parents, sur un produit censé être sûr.
L'approche géographique est intéressante. L'hygiène alimentaire et la sécurité sanitaire sont de bon niveau en France, alors que les États-Unis connaissent, chaque année, des épidémies de salmonellose de grande ampleur, notamment en raison de la très forte consommation de steaks hachés. Les produits pasteurisés peuvent aussi être contaminés : dans un fromage non pasteurisé, il y a une compétition bactérienne entre les bonnes bactéries et les pathogènes. La stérilisation ou la pasteurisation de tous les produits n'est donc pas forcément une solution. Vous avez cité l'alerte venant d'Allemagne. Le concombre bio espagnol était un faux coupable, les responsables étaient des germes de soja...
M. Laurent Duplomb. - Des germes de soja bio allemands !
M. Jérôme Salomon. - Il peut y avoir des erreurs d'interprétation. La situation était d'autant plus complexe que l'Allemagne est un pays fédéral, dans lequel chaque Land a des capacités d'investigation.
Le ministère de la santé dispose de plusieurs outils de communication vis-à-vis des professionnels de santé, notamment une adresse courriel « DGS urgent », envoyée à 60 000 destinataires, et qui touche en un clic les Agences régionales de santé (ARS) et les accueils d'urgence du territoire.
Nous avons une excellente collaboration avec les pharmaciens, à travers le Conseil national de l'Ordre. Ce dispositif est peut-être l'un des plus efficaces au monde puisque toutes les pharmacies d'officine en France disposent d'un « dossier pharmaceutique », qui permet d'envoyer des messages à l'ensemble des pharmacies de France, obligatoirement reçus puisque l'ordinateur est bloqué tant que le pharmacien n'a pas accusé réception. Ce dispositif extrêmement performant nous est envié en dehors de France.
Pour une meilleure coopération entre les administrations, je préside, tous les mercredis matin à 9 heures, une réunion de sécurité sanitaire avec l'ensemble des directions d'administrations concernées : la DGCCRF, la DGAL, la Haute Autorité de santé, des opérateurs de la santé, la sécurité sociale... Nous avons une approche très collaborative et groupée de la sécurité sanitaire de nos concitoyens.
La politique de sécurité sanitaire européenne est plus compliquée : les mécanismes d'entraide ne s'appliquent qu'à la sécurité civile. La France plaide pour davantage de coopération sanitaire en Europe, même si la santé reste un domaine régalien, porté par les États plus que par la dynamique européenne.
M. François Bourdillon. - Merci pour ces questions pertinentes. Les rôles sont répartis entre la santé humaine et la sécurité alimentaire, avec d'un côté le ministère de la Santé, de l'autre les contrôles industriels, la DGAL, les douanes et la DGCCRF.
Nous intervenons à la base : le signal humain permet de tirer la sonnette d'alarme et de remonter la chaîne. L'Anses et la DGAL sont présents à la réunion du mercredi matin, où l'on débat notamment des retraits de lots.
En cas d'intoxications alimentaires avec des produits importés d'autres pays européens, le système d'alerte fonctionne. Certes, la sécurité industrielle en dehors de France n'est pas de notre ressort, mais nous nous étions beaucoup interrogés sur l'épidémie de 2005, et sur certains cas survenus en amont de l'alerte du 1er décembre. Nous avons pu relier les cas survenus en août et au mois de décembre 2017 à l'épidémie de 2005 grâce au nouvel outil de séquençage du CNR, qui a pu relier ces souches de Salmonella Agona - ce n'était pas possible il y a encore six mois...
Selon les parents des 38 enfants touchés, 18 ont été hospitalisés, avec une amélioration de leur état sanitaire. L'éparpillement a été important : 18 régions métropolitaines sont concernées, ce qui témoigne de l'importance d'un système national d'alerte, qui en plus transmet ses informations au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC, European Centre for Disease Prevention and Control). Trois cas ont été détectés en Europe, deux en Espagne et un en Grèce.
Mme Sophie Primas, présidente. - Néanmoins, des produits contaminés continuaient à être vendus après l'alerte...
M. Martial Bourquin. - Quelles sanctions pour ces contrevenants ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Les produits étaient distribués dans la grande distribution, dans les circuits spécialisés, et je m'interroge, peut-être dans les hôpitaux et les crèches... Où le bât blesse-t-il dans la formation ? Faut-il améliorer le système actuel, qui est cependant plutôt rassurant ? Quelles sanctions sont prévues ?
M. Jérôme Salomon. - Le nombre de rappels est considérable. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) procède à des rappels quasi quotidiens, en lien avec les pharmaciens, pour des raisons multiples : non-conformité d'un produit, des notices, défaut dans l'aspect du produit, problème de qualité ou d'emballage...
Les retraits successifs et l'extension des lots rappelés obéissaient à une approche pragmatique, affinée chaque jour en fonction des informations reçues des épidémiologistes. Il n'y a pas eu de nouveaux cas depuis le retrait : ce sont des cas confirmés par le CNR, mais les cas cliniques sont intervenus deux à trois semaines avant. Les rappels ont concerné la grande distribution et les circuits pharmaceutiques.
La DGS n'a pas d'informations détaillées sur la non-application du retrait : une enquête judiciaire est en cours, le Parquet conserve ces informations. La présidente du Conseil de l'Ordre des pharmaciens a été très claire : elle sera très ferme pour les sanctions en cas de non retrait. Le ministère de la santé a envoyé des messages aux services pédiatriques et aux maternités des hôpitaux, où le retrait a été massivement appliqué. Trouver des produits incriminés sur un site ne signifie pas qu'ils ont été distribués ; ils ont pu être conservés en attente de renvoi. Nous sommes également attentifs à ce que l'ensemble du circuit retire les lots, car le lait infantile est souvent distribué par le circuit de distribution alimentaire interne et non par les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux.
Faut-il pérenniser ou renforcer le dispositif ? Les laboratoires de microbiologie ont accès à des tests de biologie moléculaire identifiant les souches mais qui les détruisent. Or auparavant les contrôles de microbiologie conservaient la souche, et la cultivaient avant de l'envoyer à un laboratoire expert. Le progrès n'est pas forcément source de sécurité, et il est nécessaire de conserver une souche pour l'identification, comme le font les CNR... Les CNR sont des réseaux très importants, animés par Santé publique France. Préservons ce dispositif fondamental de sécurité.
Nous sommes attentifs au retour d'expérience inter administrations pour améliorer la communication. Des protocoles sont révisés régulièrement ; le dernier date de 2013. Soyons certains que les consommateurs disposent de la bonne information, validée par les autorités nationales, plutôt que d'être noyés par de multiples signaux d'alerte.
Mme Victoire Jasmin. - Cadre dans un laboratoire de microbiologie, je vous assure qu'en milieu hospitalier, des contrôles sont régulièrement effectués sur les nouveaux lots de lait, et notamment par la vérification de trois souches de référence, pour une surveillance de la qualité et une bonne traçabilité. Ce sont surtout les achats à l'extérieur des hôpitaux qui posent problème. De même, l'eau utilisée est surveillée. À chaque reprise, une liste de germes est vérifiée, et l'alerte est donnée si besoin. C'est obligatoire. Certes, tous les laboratoires ne sont pas en mesure de le faire. Une telle surveillance devrait être réalisée dans tous les circuits. Cette traçabilité permet de réagir immédiatement et de retirer les lots. Tout est informatisé. Une telle réactivité est plus difficile à mettre en place dans les grandes surfaces.
Mme Michelle Gréaume. - Dix-huit enfants ont été hospitalisés, et le 1er février, l'institut Pasteur liait les deux épidémies de 2005 et 2017 causées par du lait de l'usine Lactalis de Craon, et annonçait qu'entre 2006 et 2016, 25 autres enfants avaient été contaminés... Les salmonelles sont la première cause de mortalité due à des infections alimentaires, provoquant chaque année, en moyenne, 67 décès, selon Santé publique France. Des enfants sont-ils dans un état critique ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous gérez l'aval, mais revenons aux faits. D'expérience, le zéro défaut n'existe pas dans l'industrie. Mais j'ai l'impression que la réaction de Lactalis est confuse, et qu'il y a des problèmes de traçabilité en interne. De quels moyens de traçabilité disposez-vous pour intervenir au sein des entreprises ? Souvent, on procède à partir des données de fabrication, or le système était défaillant...
M. Michel Raison. - Merci pour ce que vous et vos prédécesseurs avez fait pour la sécurité sanitaire. La communication pose problème. En économie, lorsque les entreprises vont mieux, les citoyens ont aussi besoin de reprendre confiance. Le zéro défaut n'existe pas, mais là il y a eu des dysfonctionnements. L'inquiétude a été très forte car des enfants ont été touchés. Trouvons une solution pour communiquer sur la réalité de la sécurité sanitaire : la France est quasiment la meilleure, et cela commence dès le stade de l'élevage, par l'épidémio-surveillance et la sécurité sanitaire.
J'ai été marqué par une image à la télévision, montrant un rayon bio pour illustrer que nos concitoyens se dirigeaient de plus en plus vers des produits de qualité. Mais les salmonelles sont bio, la peste et le choléra, l'amanite phalloïde sont bio ! Ce n'est pas parce que les gens vont manger bio qu'ils ne seront plus malades... Communiquons : nous sommes les meilleurs en Europe, voire dans le monde... Les États-Unis ont un système alimentaire plus aseptisé, mais ils sont moins immunisés.
Michel-Édouard Leclerc raconte n'importe quoi sur le fonctionnement technique et sanitaire des produits. C'est grave : ces contre-vérités deviennent la pensée unique. Les gens sérieux doivent s'unir pour communiquer sur la réalité scientifique des choses.
M. Jérôme Salomon. - Merci, madame Jasmin, pour votre intervention. Les établissements de santé qui accueillent des populations fragiles comme des enfants ou des personnes gravement malades ont un impératif de surveillance et de traçabilité. Les pharmacies internes tracent individuellement les produits, mais la surveillance dépend aussi de l'environnement intérieur : l'eau, l'air, les aliments distribués... C'est le rôle des équipes opérationnelles d'hygiène et des comités locaux de lutte contre les infections nosocomiales, qui travaillent quotidiennement pour réduire le risque bactérien. Les familles ne disposent pas d'une telle surveillance à la maison.
Je vous conseille de consulter les sites officiels, très bien faits, comme ceux de l'ECDC ou de Santé publique France, qui fournissent l'ensemble des données des maladies soumises à déclaration obligatoire, comme la grippe, les salmonelloses, la tuberculose, en toute transparence, et avec l'historique. Les maladies infectieuses sont en très forte baisse, même si un effort reste à réaliser pour prévenir les maladies dues à un défaut de couverture vaccinale, comme la rougeole.
M. François Bourdillon. - Le site de Santé publique France contient la description des principales maladies infectieuses, en particulier les toxines alimentaires. Nous publions également un bulletin hebdomadaire retraçant les épidémies dues à des infections alimentaires. Nous travaillons très étroitement avec l'ECDC de Stockholm, qui compare avec d'autres pays. Madame Gréaume, à ce jour nous n'avons pas connaissance d'un enfant dans un état critique.
M. Alain Milon, président. - Merci de vos interventions. J'ajouterai quelques observations personnelles : la loi de modernisation du système de santé de 2016 impose une obligation vaccinale pour les personnels hospitaliers, qui a été, pour ce qui concerne la grippe, suspendue par décret. Or il y a eu 3 000 cas mortels de grippe cette année, 15 000 l'année dernière. La presse devrait s'en saisir plutôt que de s'occuper toujours du même sujet et de lancer des polémiques. Le zéro défaut n'existe pas. Si certains avaient des doutes en 2016 sur l'efficacité de la nouvelle agence Santé publique France, qui regroupait trois établissements, ces doutes sont désormais levés. Demain, le président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, présentera son rapport public annuel devant le Sénat, avant les interventions des présidents des commissions des finances et des affaires sociales. Je reviendrai à cette occasion sur l'obligation vaccinale.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de vos interventions conjointes, qui ont rassuré les membres de nos deux commissions sur la sécurité sanitaire et le système d'alerte, très performant, qui en découle. Quelques interrogations perdurent sur les responsabilités et la qualité des analyses in situ, et sur la coordination de la communication, non pas entre services mais auprès du grand public. Il faudrait travailler conjointement avec les médias pour éviter ce genre de traumatisme. Certaines anomalies, qui ne sont pas totalement évitables, sont du ressort de quelques producteurs agroalimentaires ; elles font oublier qu'en général, la qualité des produits alimentaires français est bien meilleure qu'aux États-Unis et dans d'autres pays.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 45.
Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance
Mme Sophie Primas, présidente.- Monsieur le Directeur général, notre commission des affaires économiques vous accueille aujourd'hui, après que la commission des finances du Sénat a émis, le 31 janvier dernier, un avis favorable à votre candidature au renouvellement dans vos fonctions de directeur général de Bpifrance. C'est donc lors d'une de ses toutes prochaines réunions que le Conseil des ministres devrait formellement délibérer sur votre sort. Vous le savez, le financement des entreprises - dès leur création puis tout au long de leur activité - est une préoccupation majeure de notre commission. Et c'est pourquoi nous souhaitions avoir avec vous en quelque sorte un « point d'étape », même si l'action de Bpifrance fait l'objet d'un examen attentif de notre part dans le cadre de l'examen de la loi de finances, à l'occasion du rapport pour avis de nos collègues Élisabeth Lamure, Martial Bourquin et Anne-Catherine Loisier sur la mission « Économie ». Je ne reviendrai pas sur cette institution relativement jeune - puisqu'elle a été portée sur les fonts baptismaux en 2012 - mais qui a désormais trouvé sa place dans l'environnement institutionnel du financement public des entreprises. Je pense qu'au cours de votre intervention, vous aurez à coeur de nous dresser un panorama de vos activités - qui tendent à se diversifier - et d'insister concrètement sur la stratégie que vous entendez mener au cours de votre nouveau mandat.
C'est d'ailleurs sur ce premier point que je souhaite vous interroger. La crise économique que nous avons traversée a nécessité un effort considérable de refinancement des entreprises et de rationalisation des acteurs publics en la matière. De ce point de vue, Bpifrance est une réussite. Mais, aujourd'hui, selon les indicateurs couramment pris en considération, l'horizon économique semble plus dégagé et plus favorable aux entreprises. Ma question est donc : Bpifrance, qui offre une grande palette d'instruments financiers au service des entreprises, doit-elle - et même peut-elle - poursuivre demain la même stratégie qu'aujourd'hui ? Cela pose notamment la question de l'activité de garantie ; c'est un sujet sur lequel s'est penchée notre collègue Élisabeth Lamure lors de la dernière loi de finances, et sur laquelle elle vous interrogera certainement à l'issue de votre intervention. Deuxième interrogation : Bpifrance a développé une offre intégrée à destination des entreprises ; outre la garantie et le financement, elle a mis également en place un programme d'appui aux entreprises, de développement des start-up, qui semble se révéler efficace. Mais sur ce « marché » de l'accompagnement, Bpifrance n'est pas seule : d'autres acteurs publics « historiques » existent - les réseaux consulaires notamment, et spécialement les chambres de commerce et d'industrie - à côté d'acteurs « privés » - les associations comme l'Adie ou encore Initiative France. L'offre apparaît parfois redondante, à défaut d'être complémentaire. Comment donner plus de cohérence à l'ensemble de ces dispositifs d'accompagnement pour assurer un continuum plus efficace pour les entreprises ?
Monsieur le directeur général, je vais maintenant vous céder la parole. Après votre intervention, je laisserai mes collègues vous adresser directement leurs questions, en commençant par Alain Chatillon et Martial Bourquin, respectivement président et rapporteur de la mission d'information du Sénat sur Alstom et la stratégie industrielle du pays.
M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. - Je serai bref sur le bilan et vous présenterai les grandes lignes du plan stratégique qui vient d'être validé par notre conseil d'administration. L'année 2017 a été très dynamique et marquée par de nombreux événements. Notre résultat net a été un peu supérieur à 1 milliard d'euros. Un tel chiffre résulte de la conjonction d'une activité bancaire soutenue, grâce à des taux bas qui n'ont pas pour nous induit de pincement de marges, avec les plus-values dégagées lors d'importantes cessions de blocs de participations. Notre portefeuille représente 25 milliards d'euros, dont 20 milliards de fonds propres. Puisque les marchés boursiers sont bons, nous construisons, en haut de cycle, de la valeur et la stockons pour l'avenir. Certes, le cycle économique mondial, amorcé il y a une dizaine d'années aux États-Unis - la Chine y étant pour le moment soustraite avec sa croissance continue -, devrait se retourner dans les deux prochaines années. L'Europe, arrimée à l'économie américaine, devrait être touchée par ce revirement. Notre mandat est ainsi de stocker un maximum de puissance pour pouvoir agir très fortement par la suite. Notre portefeuille comprend, en direct, 800 entreprises, ainsi que 4 200 en portefeuille indirect, via les fonds privés que nous finançons. Il ne faut pas hésiter à vendre les entreprises dont la valorisation est haute aujourd'hui mais qui, lors du prochain revirement, ne manqueront pas de se trouver en difficulté. Cette démarche a été la nôtre en 2017.
Je vais à présent évoquer les différents métiers du groupe. Le premier concerne la garantie, qui a cru en 2017 de 6% et reflète ainsi le taux de bancarisation des très petites entreprises (TPE), dans un contexte plus global qui a connu une croissance de 20% en raison des montants levés en dettes par les grandes entreprises. Bpifrance finance à la fois la création et la transmission d'entreprises. Après avoir garanti 9 milliards d'euros de crédit en 2017, nous avons de quoi continuer notre activité de garantie, dans les standards actuels, en 2018, mais plus en 2019. Aussi, travaillons-nous de concert avec la direction générale du Trésor sur les voies et moyens de garantir une offre publique de crédits risqués des banques françaises ; une telle tradition existant, en France, depuis la création de la SOFARIS en 1974.
Nous finançons également le court terme des entreprises françaises, avec le préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et la mobilisation de créances de PME qui sont essentiellement des créances publiques. Le préfinancement du CICE connaît une croissance de 16 % de son encours pour 13 320 entreprises, dont 12 000 TPE. Ce produit de trésorerie, bien ancré dans le paysage, va disparaître et sera remplacé par la mobilisation de créances. Cette dernière est demeurée stable en 2017 du fait de la limitation des stocks des entreprises françaises, de l'amélioration de la conjoncture et du retour des banques dans le financement du découvert des entreprises. Le besoin de mobilisation de créance privée a été moins important en 2017, tandis que la mobilisation de créance publique est demeurée très présente.
Les crédits d'investissement - via les prêts avec garanties et le crédit à long et moyen termes - bénéficient de la spécialisation historique de Bpifrance dans le tourisme, l'immobilier et la transition énergétique ; ce dernier secteur ayant enregistré une croissance de nos financements en 2017 de 35 %, pour un montant global de 1,2 milliard d'euros pour 180 projets financés. Concomitamment, la place bancaire a cru de 40 % dans ce secteur ; Bpifrance n'accordant de crédit à l'investissement qu'en complément de celui accordé par une banque française.
2017 n'est pas une année de très grande croissance pour Bpifrance qui a enregistré une hausse de 6 % de ses crédits d'investissement, contre 20 % de croissance annuelle dans les années 2013-2015. Notre budget devrait connaître, en 2018, une hausse de 1,5 %. Bpifrance a ainsi atteint un palier, de l'ordre de six à sept milliards d'euros par an, soit le seuil du déclenchement d'effets démultiplicateurs, tout en assurant ses missions dans les secteurs du tourisme, de la transition énergétique et, plus largement, d'intérêt général autour des prêts sans garantie qui lui sont spécifiques. Sur les 7,2 milliards d'euros de prêts accordés en 2017, 2,5 milliards d'euros l'ont été sans garantie. Allant jusqu'à sept ans, avec des différés de remboursement, ces prêts permettent de financer l'immatériel - le « good will » - fondamental au développement intime de l'entreprise. L'offre de Bpifrance est extrêmement simple : ces prêts, qui se déclinent sur un ensemble de thématiques, sont accordés sur une durée de sept ans avec deux ans de différé de remboursement et peuvent être soit bonifiés, soit adossés à des fonds de garantie français ou européens. Leurs taux sont compris entre 1,5 % pour les prêts TPE bonifiés par les régions françaises, et 4 à 5 % pour les prêts à l'innovation les plus risqués du fait de leur absence de co-financement par des banques françaises ; soit une moyenne de 2,5 %.
Bpifrance est aussi la grande banque de la « French Fab » ; notre exposition à l'industrie est deux fois supérieure à la place de l'industrie dans le PIB. Cette tendance va s'affirmer, puisque la BPI est le partenaire financier de l'Alliance pour l'industrie du futur. Bpifrance devient également la grande banque publique de l'export et du commerce extérieur grâce au soutien de nos actionnaires qui nous ont confié de plus en plus de responsabilités. Nos agences sont ainsi capables de proposer tout un continuum de solutions pour accompagner les entreprises à l'international, depuis la prospection des marchés, le financement des ventes et du développement, la sécurisation des projets et l'implantation sur les marchés. La boîte à outils déployée est complète et comprend tout un accompagnement avec Business France et les chambres de commerce. Il faut à présent déployer un porte à porte de masse auprès des TPE et des ETI pour les convaincre d'aller à l'étranger et d'en déjouer les peurs, alors qu'il suffit de près de deux ans pour définir une stratégie gagnante à l'international ! Une telle démarche est capitale pour attirer de nouveaux talents, les jeunes français diplômés ne souhaitant pas rejoindre des entreprises qui ne se sont pas confrontées à la mondialisation et n'innovent pas. Lorsqu'ils ne se rendent pas directement à l'étranger, ces jeunes acceptent de travailler au sein d'une ETI française, à la condition de pouvoir être expatriés à plus ou moins brève échéance.
En 2018, dès que les conditions seront réunies, la BPI lancera des opérations de crédit-acheteur destinées à tous les grands groupes français en Iran. Cette démarche devrait concerner près de 1,5 milliard d'euros de contrats publics et privés. Les autorités iraniennes souhaitent que les choses avances et je participerai, demain matin, à une conférence Euromoney sur le financement des activités en Iran.
S'agissant des activités de couverture en garantie, transférées de la COFACE à Bpifrance-Assurance-Export, 2017 a été une très belle année avec 19 milliards d'euros de garanties accordées. Le dynamisme de l'assurance-change mérite également d'être signalé et l'objectif, pour 2018, est de décliner ces prestations vers les PME, dont la demande d'accès à la garantie publique a déjà cru de 40 % l'année passée, et les TPE qui sont insuffisamment couvertes.
Le financement de l'innovation demeure stable avec 1,3 milliard d'euros et fait de Bpifrance un acteur de la politique industrielle pour le compte de l'État. 5 400 entreprises, dont de plus en plus de start-up, sont couvertes, dans le contexte du Grand plan d'investissement et du troisième programme d'investissements d'avenir, qui représente une chance pour l'industrie française.
Les objectifs 2018 se résument avec un certain nombre de mots-clés. D'abord, « l'international » avec Bpifrance comme banque publique de l'export, comme devrait l'affirmer le Premier ministre le 23 février prochain. Le dispositif public d'accompagnement à l'export dans les domaines non financiers est également renforcé, avec Business France et les chambres de commerce, ainsi que les structures privées, qui s'occupent en priorité des primo-exportateurs, c'est-à-dire des entreprises qui ne se sont jamais positionnées à l'international. La BPI se consacre, quant à elle, aux entreprises déjà exportatrices, à faible niveau, en accélérant leurs activités grâce aux cinquante chargés d'affaires internationaux qui vendent des produits d'accompagnement et ont déjà démarché près de 1500 entreprises. Près de 350 sociétés prometteuses sont accueillies, pendant deux ans, dans des structures de démultiplication de la performance qui sont actuellement déployées sur l'ensemble du territoire. La réussite de cette démarche est telle que le ministre Bruno Le Maire nous a demandé de la déployer pour 4 000 entreprises françaises. Notre démarche est unique, alors que la prise de conscience des impératifs de la mondialisation, qui évince toute forme d'amateurisme, est désormais réelle. Ces accélérateurs sont organisés en partenariat : soit à l'échelle nationale, soit à l'échelle régionale sous financement des régions. Désormais, les filières industrielles, comme le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) actuellement et bientôt la plateforme automobile, voire l'Union des industries chimiques, les soutiennent également. L'année 2018 devrait ainsi connaître le lancement de trois nouveaux accélérateurs, en partenariat avec les régions Ile-de-France, Grand-Est et Centre-Val de Loire, et l'engagement de 863 entreprises réunies dans 26 promotions de deux ans - soit 195 dans les accélérateurs nationaux, 288 dans les accélérateurs régionaux et 260 dans les accélérateurs sectoriels. Le financement de ces accélérateurs provient de nos fonds propres et de la participation des entrepreneurs, à hauteur de 40 000 euros par an, mais il nous manque encore 20 millions d'euros par an pour atteindre l'objectif de 4 000 entreprises fixé par le ministre des finances. Le grand plan, dont l'un des objectifs est d'actualiser la formation en France, pourrait nous aider en ce sens, tant il est vrai qu'il est fondamental que les compétences des chefs d'entreprise soient, elles aussi, actualisées.
Autre mot-clé pour 2018 : « French Fab ». L'industrie française dispose désormais d'un point de ralliement. La psychologie de l'industrie française n'était pas bonne et des outils de rassemblement et de motivation collective s'avéraient nécessaires. La French Fab doit susciter le même engouement que la French Tech, écosystème de start-up que de nombreux pays européens nous envient, à la condition toutefois de procéder de manière ordonnée ! Avec l'ensemble de ces moyens et une méthode rigoureuse, la France devrait redevenir, en une dizaine d'années, le grand pays industriel qu'elle a été par le passé.
« TPE » est aussi un mot clé pour 2018. Ces entreprises, où la déperdition des énergies est inouïe, représentent le plus fort vivier d'emplois. La BPI leur propose une gamme de prêts sans garantie financés totalement par les régions. Vous pouvez nous aider à faire connaître l'existence de ces produits destinés à être distribués sur l'ensemble du territoire cette année. Ils suppléent la faiblesse du crédit-bail - qui ne peut notamment porter sur l'acquisition de matériel d'occasion - et permettent ainsi de financer toutes ces « courbes en J », comme l'informatisation, qui nécessitent une trésorerie accrue.
Enfin, Bpifrance ne cherchera pas à croître fortement en 2018, mais plutôt à calibrer ses actions sur les besoins critiques de l'économie française. L'innovation sera aussi un mot clef pour 2018, puisque notre établissement va reprendre la gestion du fonds pour l'innovation de rupture de dix milliards d'euros destiné à soutenir les start-up de la deep tech, c'est-à-dire provenant du transfert de technologies. Ce dernier thème, concerné pourtant par le programme des investissements d'avenir, demeure peu traité en France par rapport à la Scandinavie et Israël, sans parler des États-Unis. De grands efforts doivent ainsi porter sur l'émergence de ces start-up deep tech que la BPI est prête à financer.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, Monsieur le directeur général, pour votre présentation liminaire plutôt enthousiasmante qui va susciter de nombreuses questions.
M. Alain Chatillon. - Merci pour la qualité de votre gestion de Bpifrance. Pourquoi votre établissement n'est-il pas représenté au conseil d'administration de Business France ? Ne pourrait-il pas non plus intervenir dans le secrétariat général pour l'investissement, le Sénat pouvant du reste accompagner une telle démarche ? En matière de garanties, les banques ne pourraient-elles faire un peu plus ? La BCE a injecté 4 200 milliards d'euros dans la zone euro. Quels montants ont reçu les banques françaises, avec un taux à 0,25 %, avant de les remettre sur le marché, le lendemain, à 1 %?
Les banques françaises sont également les seules en Europe à exiger, comme garantie, le logement principal du chef d'entreprise. Sur les 70 000 chefs d'entreprises qui déposent le bilan chaque année, près d'un quart perdent leur logement, ce qui provoque des drames familiaux. Allons-nous prochainement arrêter ce système destructeur ? A l'inverse, les fondations allemandes apportent une garantie totale et évitent à la fois toute prise sur des biens personnels et toute plus-value en cas de cession ou de transmission, si bien que de nombreux chefs d'entreprises français s'interrogent sur l'opportunité de créer Outre-Rhin ce type de structure juridique.
Enfin, j'aborderai le financement possible des bourgs-centres. Aujourd'hui, des entreprises de la grande distribution se proposent de redynamiser des bourg-centres afin d'éviter que les GAFA ne s'y implantent et y évincent durablement toute autre forme d'activité économique. La BPI pourrait-elle financer ce type d'opérations ?
M. Martial Bourquin. - La BPI a été un pari réussi. Les entreprises apprécient non seulement les prêts adossés aux prêts classiques des banques via un guichet unique, mais aussi l'accompagnement dont elles bénéficient. Le quotidien La Tribune mentionnait, en une, le hiatus entre, d'une part, les équipementiers de rang 1 et les donneurs d'ordre, qui sont les bénéficiaires de la mondialisation et, d'autre part, les équipementiers de rangs 2 et 3 qui peinent, vu leurs marges, à investir dans l'industrie du futur, bien qu'ils soient des viviers d'emplois. Comment comptez-vous, avec le Conseil national de l'industrie, remédier à cette difficulté structurelle et aider ces TPE-PME à suivre cette courbe d'investissement nécessaire ?
M. Louis Schweitzer, lors de sa dernière audition devant la mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, s'est exprimé en faveur de la création des ETI et a rappelé que l'ouverture du capital d'une PME pouvait en constituer la première étape. Ainsi, Bpifrance ne pourrait-elle pas intervenir, à la fois comme conseil et financeur, dans cette économie de la coopération, à l'instar de ce qui se fait en Italie avec les districts? En outre, j'évoquerai l'accompagnement de l'État stratège et des régions pour rendre plus robuste des filières. La BPI intervient-elle aux côtés de ces acteurs pour mieux cibler les entreprises en attente de financement pour se développer et investir ?
Mme Élisabeth Lamure. - En 2017, les crédits affectés au financement des garanties ont doublé dans votre établissement, financés notamment par le recyclage des dividendes reçus de ses diverses participations. La Cour des comptes avait d'ailleurs dénoncé cette pratique. Bpifrance devrait d'ailleurs connaître cette année des difficultés de financement de cette activité avant de ne pouvoir les assumer en 2019. Lors de son audition ici même en novembre dernier, le ministre de l'économie nous a indiqué la nécessité de réfléchir à d'autres moyens d'accompagnement de nos PME à l'accès au crédit. Quelles sont vos perspectives pour sauvegarder ce véritable service public de garantie des prêts aux entreprises qui vous incombe ?
M. Roland Courteau. - Je me réjouis des 35 % d'augmentation de votre financement de la transition énergétique. Quelle est la part, dans les crédits d'investissement de la BPI, de l'économie sociale et solidaire qui représente 10 % du PIB et emploie 2,3 millions de salariés ? Vous aviez également fléché vos investissements vers l'accompagnement de l'entreprenariat féminin. Où en est ce secteur ? Ma dernière question concernera enfin l'accompagnement des investissements des entreprises à l'exportation, notamment en Iran : avez-vous pris vos dispositions en cas de nouvelles sanctions américaines visant ce pays ? Quel montant de crédits comptez-vous accorder à nos entreprises désireuses d'investir en Iran ?
M. Marc Daunis. - La création de la BPI avait suscité de nombreuses inquiétudes. Aujourd'hui, le débat est tranché, chacun reconnaissant l'utilité pour la puissance publique de disposer d'un tel instrument. L'innovation sociale et de rupture va bien au-delà de la simple technologie ; les territoires ayant intégré cette dimension en tirent désormais les bénéfices. Comment Bpifrance a-t-elle investi la somme de 500 millions d'euros qui lui avait été concédée pour en favoriser l'émergence ? Le programme d'accélérateurs en régions me semble illustrer une sorte de tropisme parisianiste, qui fait fi des départements comme celui des Alpes-Maritimes, où un accélérateur serait le bienvenu.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Comme sénatrice des Français de l'étranger, je suis particulièrement intéressée par l'installation des PME-PMI et des jeunes à l'étranger. Quelle est l'aide que la BPI leur apporte et comment communique-t-elle auprès d'eux ?
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Vous n'avez pas évoqué le Pass-repreneur destiné à l'accompagnement en fonds propres des PME et des ETI. Quel est son impact sur les territoires et quelles sont les structures qui en ont profité ? Ce dispositif a-t-il préservé des emplois et est-il voué à être pérennisé ? Par ailleurs, quel sera le montant du fonds pour l'innovation de rupture que Bpifrance est appelée à gérer ? Il semble que ce dispositif, qui devrait s'élever à quelque 260 millions d'euros, soit sous-dimensionné par rapport à aux fonds déployés en Chine ou aux États-Unis.
M. Laurent Duplomb. - Je relaierai la question qui m'a été adressée par une TPE implantée en Haute-Loire, spécialisée dans la déshydratation de l'argile et qui emploie une vingtaine de salariés. Le partenariat entre Bpifrance et la Région a conduit à la formulation d'un protocole conditionnant le versement d'une aide au recrutement de personnes favorisant le développement à l'export à la souscription, auprès de votre établissement, d'une assurance-prospection, laquelle ne répond aucunement au besoin de cette entreprise. Serait-il possible de déroger à de telles règles qui entravent, au final, le développement à l'international d'une entreprise qui ne doit pas être la seule dans cette situation ?
M. Daniel Gremillet. - L'accompagnement de Bpifrance dans des investissements jusque-là orphelins de solutions de financement, comme l'acquisition de matériels d'occasion et rénovés, est important pour les TPE. Les régions, qui disposent désormais de la pleine et entière compétence économique, n'ont plus les mêmes moyens que ceux auparavant mobilisés en partenariat avec les départements. Leur capacité de subventionner les investissements est bien inférieure à celle des Länder ; la hausse prochaine des taux d'intérêt ne manquera pas d'aggraver cette situation. La BPI est-elle bien armée pour passer ce cap ? Enfin, soyons prudents : ni l'économie ni les capacités industrielles de notre pays ne se résument à l'industrie du futur !
Mme Françoise Férat. - La BPI est un acteur économique reconnu dans mon département de la Marne qui accompagne également les entreprises françaises à l'étranger. En revanche, Monsieur le directeur général, avez-vous connaissance des investissements des entreprises étrangères en France ?
M. Serge Babary. - Dans le quotidien Les Échos, vous avez déclaré vouloir aller chercher, dans les laboratoires, les chercheurs en blouse blanche pour les convaincre de créer des start-up. Ces chercheurs en blouse blanche sont certainement très réticents à cette démarche. Que cache ce volontarisme affiché ? Dans la partie investissement de Bpifrance figure le tourisme qui compte de grands acteurs internationaux ainsi qu'une myriade de PME et de TPE. Comment pouvez-vous aider ces établissements, souvent de grande qualité mais en butte à des difficultés de financement, dans leur mise aux normes ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - La filière bois, qui emploie plus de personnes que l'industrie automobile, peine à trouver des financements pour sa modernisation, alors que de nombreuses entreprises étrangères s'implantent en France où se trouve la matière première. En outre, qu'en est-il du projet IRISEO, fort coûteux pour votre établissement, qui vient d'être abandonné ?
Mme Viviane Artigalas. - Bpifrance a consacré un fonds de 50 millions d'euros pour l'e-santé. Quels sont vos critères d'attribution et, plus généralement, votre stratégie pour inciter les entreprises françaises, en retard dans ce domaine, à se moderniser ?
M. Nicolas Dufourcq. - Je ne sais pourquoi le projet de la représentation de Bpifrance au conseil d'administration de Business France, impliquant une participation réciproque de ce dernier dans son propre conseil d'administration, a été abandonné. Le grand plan d'investissement présente nécessairement une dimension internationale et je suppose que son nouveau président aura de nombreuses relations avec Business France. Les banques françaises sont revenues sur le marché, en raison de la politique monétaire conduite par la BCE qui a inondé le marché de liquidités en vertu de la règle d'airain des 40 points de base. Si les banques ont ainsi été fortement incitées à irriguer l'économie, pourraient-elles pour autant accorder des crédits sans demander la garantie de BPI France ? Notre garantie, facturée au prix du marché afin d'éviter toute distorsion du droit européen de la concurrence, est d'autant plus onéreuse pour les banques que les taux sont bas. Le crédit est risqué, car nous consommons annuellement quelque 250 millions d'euros d'argent public. La garantie française n'est ainsi nullement de confort, puisqu'elle concerne la création et la transmission d'entreprises qui sont, par essence, extrêmement risquées.
Le sujet de la garantie sur le logement principal a motivé le lancement de notre prêt sans garantie pour les TPE. Deux campagnes de publicité, l'une destinée à faire connaître ce dispositif et l'autre sur notre soutien à l'exportation des PME-TPE, seront prochainement lancées, avec des slogans accrocheurs.
Le ministère des finances réagit à l'adaptation du modèle allemand des fondations d'entreprises, afin de favoriser les transmissions familiales.
Les bourgs-centres relèvent typiquement de la compétence « banque des territoires » assumée par la Caisse des dépôts et consignations. Le rôle de Bpifrance est de financer les entreprises dans les bourgs-centres, en accordant notamment des prêts à la rénovation des restaurants qui s'y trouvent. Ces prêts mériteraient d'ailleurs d'être plus connus. Rappelons cependant qu'Amazon a perdu 3 milliards de dollars en Europe pour la seule année 2017, dans la continuité des pertes recensées en 2016 et attendues pour 2018. Si Wall Street ne sanctionne pas de tels résultats, les entreprises européennes du digital, confrontées à un tel marché baissier, sont, quant à elles, assurées de tomber.
Notre accompagnement, dans la durée et proche de nos clients que sont les entreprises, illustre notre manière de faire de la banque. Les enquêtes clients sur Bpifrance sont extrêmement positives, comme en témoignent les résultats du « Net Promoteur Score », indicateur de renommée et de recommandation des entreprises, qui sont vingt fois plus élevés que ceux des autres banques de la Place.
L'industrie française est faite de sous-traitants de rangs 2 à 6. La « French Fab » est destinée à ces entreprises dans nos territoires, véritables héros anonymes, qui peuvent désormais s'exprimer sur BFM tous les matins. Lors du prochain Conseil national de l'industrie le 26 février prochain, nous présenterons notre plan d'action pour la French Fab. Il est hors de question que s'instaure une industrie à deux vitesses, sous peine que les sous-traitants de catégories 3 à 6 ne travaillent plus pour les grands groupes français, qui seront alors en quête d'entreprises digitalisées en Italie ou en Allemagne.
L'ouverture du capital change tout et trop d'entreprises demeurent méfiantes vis-à-vis des fonds d'investissement. Or, ouvrir le capital revient à faire entrer la modernité dans l'entreprise, ne serait-ce qu'en incitant au dialogue contradictoire sur sa gouvernance. Depuis trois ans, nous avons ouvert 270 entreprises et 60 % de nos investissements dans les PME concernent des primo-ouvertures, une fois les familles actionnaires convaincues. Lorsque le capital est ouvert, Bpifrance invite à ses côtés un investisseur privé dont elle finance également la participation. Notre culture se retrouve ainsi dans la plupart des grands fonds de capital-développement régionaux.
Nous n'avons pas laissé de côté les PME industrielles, à la condition qu'elles aient connu au moins deux années de bénéfice sur trois bilans. Bpifrance ne saurait cependant financer des déficits au risque de délivrer des aides d'État qui sont interdites. N'hésitez pas à nous recommander des entreprises qui auraient échappé à notre giron ! Nous travaillons de concert avec les fédérations professionnelles pour structurer des plans par profession. La création d'un accélérateur, qui accueille soixante sous-traitants du secteur aéronautique, s'est faite grâce au financement, à hauteur de deux millions d'euros, du Gifas. Malheureusement, les autres fédérations ne disposent pas de dépenses d'intervention équivalentes pour créer des accélérateurs dans leurs filières respectives.
En 2015, nous avons recyclé le dividende à payer à la Caisse des dépôts et consignations et à l'État, en le faisant redescendre dans les fonds de garantie. Aujourd'hui, l'État a manifestement besoin du dividende de Bpifrance pour financer son équilibre budgétaire. L'insuffisance du programme 134 pose problème aujourd'hui et je ne suis pas en mesure de vous répondre sur notre capacité pour 2019. Bpifrance finance, sur ses fonds propres, les crédits sans garantie, mais pas la garantie des banques françaises. Les treize régions sont, quant à elles, montées en puissance par le biais de fonds communs de garantie.
Nous intervenons dans l'économie sociale et solidaire, en intervenant dans les filiales des coopératives françaises, comme le groupe Avril ou Limagrain, en garantissant le crédit coopératif et en participant au fonds Impact-coopératif en partenariat avec le Crédit coopératif. Bpifrance accorde également des prêts aux entreprises dans les quartiers, comme le souligne une étude conduite conjointement avec Terra Nova, et soutient certains fonds comme France active, en lieu et place de l'État, dans le cadre du programme budgétaire 134. Au-delà, les entrepreneurs de l'économie marchande classique ont tout intérêt à développer leur responsabilité sociale d'entreprise (RSE) pour développer leur marque employeur et attirer des jeunes. Il y a là un changement profond de culture, auquel nous avons d'ailleurs consacré une étude ; la PME à l'ancienne, sans ouverture sur le monde et promouvant les carrières anonymes, n'étant plus attractive pour la jeunesse française.
Le conseil d'administration de Bpifrance devrait avaliser nos propositions pour l'Iran. Tout le monde attend le 15 mai prochain, qui marque la fin de la période des 120 jours donnée par le président Trump. J'ai cependant réaffirmé aux autorités iraniennes notre capacité à pousser les projets en Iran, à compter du printemps prochain.
Bpifrance doit-elle devenir une banque de la diaspora des Français de l'étranger ? Celle-ci ne dispose pas d'un réseau à l'international et les choses devraient rester comme telles. Ponctuellement, nous cherchons certes à entrer, via des opérations de due diligence, dans le capital des pépites technologiques françaises implantées à l'étranger, employant des ingénieurs en France et placées sous management français. Cette démarche est néanmoins plus difficile en crédit. Cependant, un fonds, abondé à hauteur de 250 millions d'euros, va financer, à partir de 2018, le capital des filiales étrangères des groupes français.
Nous souhaitons que les accélérateurs régionaux soient disséminés partout en France ! Si le premier accélérateur, avec une dizaine d'entreprises, a d'ailleurs été installé en région PACA, nous ne demandons pas mieux que de financer un nouvel accélérateur de même niveau que celui des autres régions qui ont été ultérieurement créés.
La French Fab ne peut reposer sur des PME fonctionnant à l'ancienne ! L'innovation sociale consiste à savoir parler aux nouvelles générations. 40 Pass-repreneurs ont été créés et Bpifrance travaille avec un grand cabinet de conseil anglo-saxon pour les améliorer. Le fonds pour l'innovation sociale, abondé à hauteur de 10 milliards d'euros et devant générer 260 milliards d'euros par an, sera d'une grande aide. Le programme des investissements d'avenir, avec ses trois générations, et le Grand plan d'investissement représentent un total de 100 milliards d'euros ; la France a déployé un effort considérable depuis 2010 qu'aucun pays européen n'a jamais conduit. C'est là un motif légitime de fierté.
Monsieur Duplomb, je vais regarder le cas de l'entreprise que vous m'avez soumis. L'aide au recrutement est l'un des points d'un protocole élaboré manifestement par la Région, ce qui semble avoir impliqué l'assurance-prospection ; tant mieux si des économies peuvent être réalisées sur cette dernière ! Un tel dispositif me paraît ainsi relever de l'héritage de la COFACE qu'a repris Bpifrance.
Dans le grand Est, nos prêts sans garantie permettent, il est vrai, l'acquisition de matériels d'occasion. Les Länder sont plus riches que nos régions, puisqu'ils bénéficient du tiers de la fiscalité allemande. Néanmoins, nos voisins d'Outre-Rhin sont surpris de notre capacité à mobiliser des capitaux publics. La faiblesse des régions n'est nullement la cause principale du retard français, mais plutôt la fiscalité imposée aux entreprises familiales, que le Gouvernement est en train de revoir avec la réforme de l'impôt sur la fortune, l'exigence des normes, les difficultés de transmission et la fuite du capital humain vers l'Allemagne. Le capital humain est du même niveau qu'en Allemagne, mais pas placé au même endroit ! Nous préconisons enfin la création d'un système inspiré du volontariat international en entreprise, afin d'attirer les talents dans une PME française.
Bpifrance est une banque extrêmement solide, très bien notée par la BCE, avec les ratios de fonds propres les plus élevés de tout le secteur français. Notre établissement pourra faire face à la remontée des taux. Tous nos crédits sont réalisés grâce aux levées de fonds sur les marchés. Pour preuve, nous venons de conduire une levée de 500 millions d'euros, au taux de l'OAT plus vingt points de base, ce qui démontre la reconnaissance de notre signature.
Alors que Business France s'occupe de l'attractivité du territoire, Bpifrance sollicite les fonds d'investissement étrangers pour qu'ils investissent dans les PME, les ETI et l'innovation française. Nous allons ainsi reprendre l'activité de relations avec les fonds souverains mondiaux auparavant assumée par la Caisse des dépôts et consignations.
Comment attirer les chercheurs en blouse blanche ? Il faut être physiquement présent et nous comptons monter des start-up studios pour y parvenir. Nous finançons également les TPE-PME dans le secteur du tourisme, à tout niveau.
Notre fonds bois peine à déployer ses capitaux. En effet, l'industrie du bois comprend de nombreuses entreprises familiales qui ne souhaitent pas ouvrir leur capital. La plupart d'entre elles font à la fois de la scierie et de la gestion de parcs forestiers, alors qu'il conviendrait de séparer les deux pour favoriser l'innovation technologique. La filière ameublement, où nous avons peu de candidats, est également un autre sujet.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je pense que cette démarche s'inscrit dans le Plan forêt-bois qui traduit la volonté du ministre de l'agriculture et la prise de conscience des acteurs de la filière de la nécessité d'agir.
M. Nicolas Dufourcq. - Bpifrance est prête et le fonds créé tout spécialement pour cette filière ne trouve guère de candidats ! Enfin, la sélection des start-up pour l'éligibilité au fonds E-santé se fera sur les ratios classiques du capital risque, mais l'existence même de ce fonds, abondé à hauteur de 50 millions d'euros, demeure une incitation pour les entrepreneurs.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci, Monsieur le directeur général, pour votre exposé à la fois intéressant et enthousiasmant, ainsi que pour la qualité de vos réponses à nos questions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.