- Jeudi 14 décembre 2017
- Justice et affaires intérieures - Comité de sécurité intérieure (COSI) : communication de MM. Jacques Bigot et André Reichardt
- Politique de coopération - Partenariat oriental : communication de MM. René Danesi, Pierre Médevielle et André Reichardt
- Agriculture et pêche - Composition des engrais : communication de M. Michel Raison
Jeudi 14 décembre 2017
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -La réunion est ouverte à 8 h 35.
M. André Reichardt, président. - Je dois excuser le président Bizet, en déplacement dans le cadre de l'Union interparlementaire. Nous entendrons aujourd'hui trois communications sur le Comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure (COSI), le Partenariat oriental et la révision du règlement sur la composition des engrais.
Justice et affaires intérieures - Comité de sécurité intérieure (COSI) : communication de MM. Jacques Bigot et André Reichardt
M. André Reichardt, président. - Le COSI est un instrument pour le moins discret, à tel point que je m'interrogeais, avant de travailler sur le sujet, sur les attributions et l'importance réelles de cet organe. C'est un comité de coopération opérationnelle ; compte tenu des préoccupations de notre commission à propos des enjeux de sécurité, nous avons estimé, Jacques Bigot - dont je vous prie d'excuser l'absence - et moi-même, qu'il méritait une communication. Quels sont le rôle du COSI, ses compétences, son bilan ? Sont-ils à la hauteur des enjeux ?
Le COSI a été créé par l'article 71 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et fait l'objet d'une décision du Conseil du 25 février 2010.
Institué au sein du Conseil, il élabore les projets de conclusions de ce dernier. Il est chargé, grâce à une coordination des autorités nationales compétentes, d'assurer la promotion et le renforcement de la coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure dans l'Union européenne, y compris dans les domaines couverts par la coopération policière et douanière et par les autorités chargées du contrôle et de la protection des frontières extérieures. Dans le cadre de son mandat, il couvre également, le cas échéant, la coopération judiciaire en matière pénale.
De plus, il évalue l'orientation générale et l'efficacité de cette coopération opérationnelle et adopte des recommandations concrètes visant à remédier aux éventuelles lacunes ou défaillances identifiées. Toutefois, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) nous a précisé que l'évaluation, dans l'acception que recouvre ce terme à Bruxelles, relève de la Commission européenne, le COSI étant chargé par le Conseil de suivre la mise en oeuvre par les États membres des politiques de sécurité. Néanmoins, les institutions sont toujours réticentes à pointer du doigt les défaillances nationales - ce n'est certes pas le seul cas dans le fonctionnement de l'Union européenne, mais cela est encore plus vrai dans ces matières régaliennes.
En revanche, le COSI n'est associé ni à la conduite des opérations, qui reste une compétence nationale, ni à l'élaboration des actes législatifs.
Il contribue à assurer la cohérence de l'action des agences européennes dans le domaine de la sécurité. Du fait de ses missions en matière de criminalité organisée et de lutte contre le terrorisme, Europol est l'agence la plus impliquée dans les travaux du COSI. Ainsi, Europol présente deux fois par an au COSI une évaluation de la menace, au niveau global et régional. Néanmoins, l'acuité de la crise migratoire conduit à une implication croissante de Frontex.
Enfin, le Conseil doit tenir le Parlement européen et les parlements nationaux informés des travaux du COSI.
Le COSI se réunit à l'initiative de la Présidence du Conseil, trois ou quatre fois par semestre, mais peut tenir des réunions extraordinaires, comme ce fut le cas le 16 novembre 2015, trois jours après les attentats en France. Il dispose d'un groupe de soutien, dit GS COSI, qui prépare ses travaux et se réunit de façon plus fréquente et informelle. Il peut également confier des missions spécifiques à d'autres groupes de travail du Conseil. Son secrétariat est assuré par le Secrétariat général du Conseil.
La France est représentée au COSI par le coordinateur « Justice et affaires intérieures » (JAI) de notre Représentation permanente auprès de l'Union européenne et par la direction de la coopération internationale du ministère de l'intérieur, qui est une structure commune à la police et à la gendarmerie. Toutefois, l'époque où le directeur général de la police nationale en personne siégeait au COSI est révolue.
La transversalité des sujets abordés - lutte contre le terrorisme, contrôles aux frontières extérieures, immigration irrégulière, interopérabilité des systèmes d'information, etc. - requiert une approche globale de la sécurité et, au niveau français, interministérielle. Le COSI peut également traiter des liens entre les dossiers JAI et la politique de sécurité et de défense commune.
Au total, les sujets les plus fréquemment abordés au sein du COSI sont d'abord la mise en oeuvre des mesures prises au titre de la stratégie de sécurité intérieure renouvelée pour l'Union européenne 2015-2020, approuvée par le Conseil le 10 juin 2015, puis la mise en place et le suivi du cycle politique quadriennal de lutte contre la criminalité organisée, qui consistent à définir, sous la forme de plans d'action opérationnels, des priorités et des objectifs sur la base d'une évaluation de la menace réalisée par Europol et les agences européennes de sécurité.
On le voit, le COSI traite de sujets sensibles liés aux compétences régaliennes et donc à la souveraineté des États membres. Traiter du terrorisme, par exemple, implique généralement de partager des informations relevant du renseignement. Cela contribue sans doute à expliquer certaines difficultés de son fonctionnement et les limites de ses activités.
En effet, d'après nos interlocuteurs, le bilan du fonctionnement du COSI, s'il a indéniablement permis un meilleur travail opérationnel, est mitigé.
Alors que la crise migratoire et le risque terroriste constituent désormais des priorités de l'Union européenne, la politique de sécurité et la coopération policière au niveau européen requièrent naturellement des orientations stratégiques. Or, il n'est pas certain que le COSI soit en capacité de remplir pleinement ce rôle. Il ne serait pas non plus le lieu d'une véritable évaluation de la mise en oeuvre des mesures adoptées au Conseil. Dès lors, l'éventuel décalage entre les décisions européennes et leur application effective au sein des États membres serait sous-estimé, voire ignoré.
D'après un diagnostic largement partagé, le COSI se heurterait en effet à plusieurs difficultés. D'abord, les représentants au COSI n'ont pas nécessairement le niveau requis et n'ont pas toujours une vision globale des enjeux de sécurité. De plus, certaines délégations, faute d'une position clairement validée au niveau national, ne disposent que d'une faible marge de négociation. Ensuite, la fréquence trop importante des réunions du groupe de soutien contribuerait à vider les réunions plénières du COSI de leur substance. Enfin, ces réunions seraient devenues excessivement technocratiques, avec des sujets de plus en plus nombreux, mais très techniques, et une absence de priorités : la discussion stratégique s'en trouve dès lors largement absente.
Au total, le COSI ne remplit qu'imparfaitement son rôle d'impulsion et de pilotage, à tel point qu'il a pu être qualifié de chambre d'enregistrement.
Deux tentatives de réformes ont été conduites afin de repositionner le COSI à un niveau plus stratégique et de le rendre plus efficace. La première date de 2014 ; la seconde a été initiée par la France et l'Allemagne en août 2016, et partiellement reprise par la présidence maltaise, pour redynamiser l'instance. Des discussions ont eu lieu sur la façon de rehausser le rôle du COSI, lors de sa réunion informelle des 27 et 28 avril derniers à Malte.
À l'issue de ces discussions, le COSI a pris un certain nombre de décisions : travailler en trio entre ses trois présidents successifs pour inscrire son action dans le plus long terme ; se réunir sur des sujets transversaux constituant des priorités de l'Union européenne ; mieux coordonner l'activité du groupe de soutien et celle du COSI. On le voit, ces décisions ont une portée limitée, et notre pays aurait probablement souhaité aller plus loin pour rendre le fonctionnement du COSI plus opérationnel, en particulier sur des sujets fondamentaux comme la cybercriminalité, l'échange d'informations ou l'interopérabilité des systèmes d'informations.
Un point, enfin, sur l'information relative aux activités du COSI dont les parlements nationaux, avec le Parlement européen, sont destinataires. La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen auditionne régulièrement, nous dit-on, le président du COSI. Le Conseil élabore également un rapport transmis aux parlements nationaux - cinq jusqu'à présent. Chacun d'entre eux couvre une période de 18 mois ; le dernier porte sur la période allant de janvier 2016 à juin 2017. Il a été transmis au Sénat par le SGAE le 30 novembre dernier, fort opportunément avant notre réunion...
Ce rapport, qui relate une activité fortement marquée par la mise en oeuvre de la stratégie de sécurité intérieure de l'Union européenne 2015-2020, contient des informations intéressantes qui rappellent les actions entreprises au niveau européen. Il met en particulier l'accent sur le rôle croissant des agences européennes de sécurité et sur les liens entre sécurité européenne et dimension extérieure de l'Union.
Néanmoins, compte tenu de la période couverte, sans doute trop longue, et de la date tardive de transmission, on peut s'interroger sur son intérêt. Il ne s'agit pas tant de produire un rapport de plus pour satisfaire une obligation juridique que d'apporter aux parlementaires des informations utiles.
Vous l'aurez compris, ce comité permanent de coopération opérationnelle ne possède pas un bilan à la hauteur de son titre. Notre commission pourrait intervenir auprès du Gouvernement pour améliorer l'information de la Représentation nationale sur ces questions fondamentales.
Politique de coopération - Partenariat oriental : communication de MM. René Danesi, Pierre Médevielle et André Reichardt
M. André Reichardt, président. - Nous allons maintenant entendre la communication de René Danesi au nom du groupe de travail sur le Partenariat oriental, composé également de Gisèle Jourda, que je vous prie d'excuser ce matin, Pierre Médevielle et moi-même.
Notre commission avait entendu, en juillet 2016, un rapport très complet de Pascal Allizard au nom du groupe de travail de notre commission, sur ce partenariat, mis en oeuvre par l'Union européenne à partir de 2009 en direction de six anciennes républiques soviétiques l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine.
Ce rapport rappelait que ce projet ambitieux s'est heurté à des obstacles sérieux tenant à la fois à un contexte géopolitique complexe, à une grande diversité de situations nationales et à des relations difficiles avec la Russie. Au total, il concluait à un bilan en demi-teinte.
Le sommet qui s'est tenu à Bruxelles le 24 novembre justifiait un nouveau point sur ce partenariat. Après l'exposé de René Danesi sur ses origines et son bilan, Pierre Médevielle et moi-même vous apporterons un éclairage complémentaire.
M. René Danesi. - Le Partenariat oriental trouve son origine dans la politique européenne de voisinage (PEV), lancée en 2004, dont il constitue l'un des deux piliers - l'autre étant l'Union pour la Méditerranée. L'objet de la PEV était la création d'un cercle de pays situés aux marches de l'Union européenne, partageant ses valeurs et ses objectifs fondamentaux, et décidés à s'engager avec elle dans une relation plus étroite, impliquant un haut niveau d'intégration économique et politique. Romano Prodi résumait cette politique ainsi : « créer un cercle d'amis », qui « mettent en commun tout, sauf les institutions ».
L'objectif était surtout de combler les lignes de faille entre l'Union récemment élargie à l'Est et ses nouveaux voisins - la Biélorussie, la Moldavie, l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan - en aidant ces pays à trouver le chemin de la prospérité économique, de la stabilité politique et de la sécurité pour tous.
La première idée sous-jacente était bien celle d'un progrès démocratique et économique continu vers l'Est, qui effacerait pas à pas et sur le long terme des différences encore criantes entre l'Est et l'Ouest. En ce sens, le Partenariat oriental était et reste un acte de foi dans l'avènement d'une Europe totalement réunifiée et prospère.
La deuxième idée sous-jacente reposait sur l'espoir qu'une politique dédiée aux pays situés à l'Est de l'Union européenne récemment élargie permettrait de manifester l'intérêt de l'Europe communautaire pour cette région et, à terme, de renforcer sa normalisation après 70 ans d'antagonismes idéologiques et de constant appauvrissement.
Ces objectifs étaient généreux, ambitieux et pour tout dire trop audacieux.
En effet, ces pays sont dans une zone tampon, cour mitoyenne pour l'Union européenne, arrière-cour pour la Russie. Une zone où les frontières ont souvent changé, où les populations ont été déplacées de manière autoritaire et brutale, où les individus ont parfois changé de nationalité plusieurs fois - comme les Alsaciens... -, où cohabitent des minorités antagonistes ; une zone, enfin où les États veulent jouir d'une souveraineté récemment retrouvée.
En somme, le Partenariat oriental est une tentative de réponse à la longue et difficile histoire des relations Est/Ouest. Il a pour ancêtre l'Ostpolitik lancée par le chancelier Willy Brandt, qui a conduit à la normalisation des relations entre la RFA et l'URSS, puis progressivement avec l'ensemble de ses satellites. L'Ostpolitik a atteint son point culminant avec la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et la signature des Accords d'Helsinki le 1er avril 1975. On peut donc qualifier le Partenariat oriental « d'Ostpolitik de l'Union européenne », peut-être plus affirmée dans sa forme que ne l'était son modèle, mais dépourvue d'une vision aussi claire.
Le fait que le même commissaire européen, actuellement Johannes Hahn, soit compétent pour la politique d'élargissement et la politique de voisinage rend cette dernière ambiguë, car elle laisse espérer aux six pays concernés une possible adhésion à l'Union européenne ; d'autant qu'il leur est demandé d'adopter 80 % de l'acquis communautaire. Certains y ont vu une première étape avant une demande d'adhésion. Il n'en est rien, mais la confusion s'est introduite et deux écoles cohabitent officieusement au sein de l'Union : celle pour laquelle ces six pays ont une vocation à adhérer, et celle qui ne veut pas l'évoquer, sans pourtant préjuger de l'avenir. Le récent sommet de Bruxelles dont André Reichardt vous présentera les conclusions donne plutôt raison à la seconde école.
Les véritables fondateurs du Partenariat oriental sont la Suède et la Pologne. Depuis 1989, la politique extérieure polonaise repose sur trois idées essentielles : l'acceptation des frontières issues de la Deuxième guerre mondiale, le retour à une complète souveraineté de ses voisins - les pays baltes, la Biélorussie et l'Ukraine - et la nécessité d'établir de bonnes relations entre les pays d'Europe centrale et orientale.
La Suède et la Pologne ont conjointement présenté en 2008 un projet de Partenariat oriental officiellement lancé lors du sommet du 7 mai 2009 à Prague, soit cinq ans après le lancement de la politique européenne de voisinage par Romano Prodi.
Cette initiative vise à promouvoir le renforcement des relations de l'Union européenne avec ses six voisins de l'Est. Elle reprend donc les principes essentiels de la Politique de voisinage déjà exposée, tout en en réaffirmant les axes directeurs : la promotion de l'État de droit et de la bonne gouvernance, l'intégration économique, la libéralisation des échanges et le développement de la mobilité. En un mot, l'Union européenne propose à ses voisins de la suivre dans la libre-entreprise, la démocratie et les droits de l'Homme.
La plus-value essentielle de cette politique est d'offrir aux six pays voisins la perspective attrayante de bénéficier un jour d'un régime sans visa avec l'Union européenne, d'un accord d'association politique et d'un accord de libre-échange approfondi. L'ensemble du processus est conduit selon une logique de différenciation, c'est-à-dire d'adaptation à chacun des partenaires.
Quel bilan peut-on tirer du Partenariat oriental, neuf ans après son lancement et après les cinq sommets de Prague en 2009, Varsovie en 2011, Vilnius en 2013, Riga en 2015 et Bruxelles en 2017 ?
Ce Partenariat a souffert de deux obstacles majeurs depuis sa création : un obstacle interne constitué par les dissensions au sein des 28 membres sur la finalité du Partenariat vu par certains comme une étape préalable à l'adhésion, et un obstacle externe incarné par la Russie.
Celle-ci, pourtant sollicitée pour y participer, a d'emblée pris ombrage du Partenariat oriental, dès lors qu'il était initié par la Pologne et la Suède. Elle continue à soupçonner l'Union européenne de mettre en place une politique et des accords en vue de diminuer son influence sur ses anciens satellites. Aussi n'est-elle pas restée inactive, lançant le projet de l'Union économique eurasienne qui pourrait les regrouper à terme. Mais surtout, elle entretient les conflits dits gelés : Ossétie du Sud et Abkhazie en Géorgie, Transnistrie en Moldavie, Haut-Karabagh en Azerbaïdjan. La situation en Ukraine, depuis le soulèvement de Donbass et le rattachement de la Crimée à la Russie, commence elle aussi à s'apparenter à un conflit gelé. Cette tension régionale constante nuit naturellement au progrès démocratique et économique de la zone.
Le bilan du Partenariat oriental est par conséquent en demi-teinte. En effet, sur les six accords prévus, seuls quatre ont été signés, avec l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie.
Débarrassé de ses déclarations grandiloquentes initiales, le Partenariat, devenu plus modeste dans ses ambitions, sera un succès s'il fait progresser chaque pays concerné selon son rythme et dans le respect de ses particularités. En outre, je crois que le Partenariat ne peut pleinement réussir que s'il démontre clairement qu'il ne vise ni à contenir ni à concurrencer la Russie, mais à établir des relations apaisées et une collaboration plus confiante avec notre grand voisin. Ainsi l'Arménie, membre de l'Union économique eurasiatique, vient de signer un accord sur mesure avec l'Union européenne. Lors d'une très récente rencontre avec le groupe d'amitié France-Russie, le nouvel ambassadeur russe, Alexeï Mechkov, a estimé que cet accord allait dans le bon sens.
M. André Reichardt, président. - Cet accord a été signé lors du cinquième sommet du Partenariat oriental, le 24 novembre dernier à Bruxelles. Ce sommet a également été l'occasion de célébrer le travail accompli depuis 2015 et de poser les 20 objectifs à l'horizon 2020.
Notons que ces sommets se tiennent désormais à Bruxelles et non plus en Europe centrale ou orientale, sans doute pour souligner qu'il s'agit bien d'une politique des Vingt-huit, et pas seulement du projet particulier des voisins immédiats des six pays concernés.
Tenu au niveau des chefs d'État ou de gouvernement, le sommet a réuni les institutions de l'Union européenne représentées par le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil, M. Donald Tusk, les 28 États membres de l'Union et les six pays du Partenariat oriental. Comme il se doit, le Sommet s'est conclu par une déclaration conjointe négociée - excusez du peu ! - depuis le mois de juin, après les expressions individuelles des représentants.
Le président Donald Tusk a souligné les progrès accomplis avec les partenaires des trois premiers accords - Ukraine, Moldavie, Géorgie - et avec l'Arménie jusqu'à la conclusion des négociations du nouvel accord. Il s'est réjoui qu'un nouvel accord soit en cours de négociation avec l'Azerbaïdjan et a salué le nouvel état d'esprit qui présidait aux relations avec la Biélorussie.
Le président Jean-Claude Juncker a insisté sur l'engagement de l'Union européenne dans cette politique et sur sa contrepartie nécessaire : l'engagement des six pays partenaires pour le renforcement de l'État de droit, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption.
Le Premier ministre géorgien a affirmé que la mise en oeuvre de l'accord était une priorité absolue pour son gouvernement, sans passer sous silence les enjeux de sécurité auxquels son pays était confronté.
Le Premier ministre moldave s'est déclaré conscient que le Partenariat oriental ne pouvait pas être une priorité pour une Union européenne déjà accablée par la crise des réfugiés et la mise en oeuvre du Brexit, et que la perspective de l'adhésion restait un sujet tabou. Il a néanmoins souhaité que ce partenariat ne reste pas une réunion d'experts ni une liste de projets.
Le Président azerbaïdjanais a décliné les atouts de son pays et les raisons objectives d'un rapprochement avec l'Union européenne, avant d'appeler de ses voeux la conclusion d'un accord. Il a vivement regretté l'occupation illégale de 20 % de son territoire par son voisin arménien. Rappelons que l'Arménie occupe, en plus du Haut-Karabagh, six provinces ne faisant pas l'objet d'une revendication territoriale mais utilisées comme zone tampon.
Le Président arménien s'est félicité de la signature de l'accord et a appelé de ses voeux un règlement pacifique du conflit au Haut-Karabagh.
Le ministre des affaires étrangères biélorusse a regretté la persistance des antagonismes Est-Ouest et insisté sur les vertus du pragmatisme. Il s'est félicité du nouvel accord avec l'Arménie, plus proche de ce que souhaite la Biélorussie pour elle-même. Il a écarté les accusations adressées à la Biélorussie sur ses manoeuvres militaires avec l'armée russe et sur la dangerosité de la centrale nucléaire d'Ostrovets.
Le Président ukrainien s'est livré à un réquisitoire contre la Russie coupable, selon lui, de la déstabilisation de tout l'Est de son pays, dénonçant la guerre hybride menée par Moscou et les pertes quotidiennes en vies humaines. Il a invité l'Union européenne à entendre les aspirations légitimes des peuples qui veulent y entrer.
Un consensus s'est dégagé sur la nécessité de poursuivre les réformes et sur la nécessité de rechercher des résultats tangibles pour les citoyens. Certains États membres ont apporté leur soutien aux aspirations européennes des pays partenaires. Cependant, sur l'attitude de la Russie et sur les conflits, les voix ont divergé.
Malgré cela, une déclaration conjointe a été adoptée, soulignant l'importance de la bonne gouvernance, la nécessité de disposer de meilleures liaisons de transport, l'importance de la sécurité énergétique, la nécessité d'apporter un soutien accru aux médias indépendants et de mettre en lumière la désinformation, ainsi que la détermination des dirigeants à favoriser la mobilité et à permettre l'autonomie des jeunes générations.
Le sommet de Bruxelles a enfin vu la signature d'un accord entre l'Union européenne et l'Arménie, entièrement revu et renégocié après l'adhésion de l'Arménie à l'Union économique eurasiatique. Cet accord approfondira le dialogue politique entre l'Union et l'Arménie autour de notre attachement commun à la démocratie, aux droits de l'Homme et à l'État de droit. Il facilitera le développement des coopérations dans le domaine de l'énergie, des transports et de l'environnement. Il créera enfin de nouvelles opportunités en matière de commerce et d'investissement, tout en assurant la protection des indications géographiques françaises et européennes.
Au titre des priorités pour 2020, l'Union européenne et les six pays partenaires ont approuvé 20 objectifs formant un programme de travail ambitieux, dont les principaux points sont la priorité à la société civile, le soutien aux entreprises et l'octroi de prêts, l'amélioration de la capacité des pays partenaires à tirer parti des débouchés commerciaux avec l'Union européenne et entre eux, des engagements à réformer le secteur de l'efficacité énergétique, l'élaboration de liaisons de transport meilleures et plus sûres, des mesures dans le domaine du numérique, des mesures d'aide en faveur des jeunes et de l'enseignement, et une nouvelle approche globale en matière de communication.
Tout autant que la déclaration conjointe et les 20 objectifs, la conférence de presse conjointe des présidents Tusk et Juncker avec le Premier ministre d'Estonie qui concluait le sommet doit être prise en compte. En effet, le président Tusk a principalement parlé de l'Ukraine pour condamner l'agression russe et signaler que jamais l'Union européenne ne reconnaîtrait l'annexion de la Crimée. Il a également souligné qu'à ses yeux, la disposition la plus importante des accords d'association était celle par laquelle l'Union prenait acte des « aspirations européennes » des pays partenaires et saluait leur « choix de se tourner vers l'Europe ». Il répondait ainsi à la demande ukrainienne. Le président Juncker, plus prudent, a préféré insister sur les réformes attendues des pays partenaires, notamment pour lutter contre la corruption.
D'une manière générale, ce sommet s'est révélé conforme aux attentes de tous et il a fait oublier les sommets précédents, en particulier ceux de Vilnius et de Riga. L'Union a insisté sur son exigence réformatrice. Les pays partenaires ont affiché leurs ambitions européennes et assuré qu'ils étaient partisans de « plus d'Europe ».
M. Pierre Médevielle. - Pour ma part, je ferai un point sur les six pays du Partenariat oriental face à l'offre européenne, en commençant par l'Arménie.
Lors du cinquième sommet du Partenariat oriental qui s'est tenu à Bruxelles le 24 novembre dernier, l'Union européenne et l'Arménie ont signé un accord de partenariat complet et renforcé. On se souvient qu'en 2013, l'Arménie avait fait volte-face et n'avait pas voulu mener à bien les négociations d'un accord plus ambitieux, car elle cherchait, au même moment, à obtenir un statut de membre de l'Union économique eurasiatique (UEE), à la demande de la Russie.
Le gouvernement arménien invoquait alors la nécessité de renforcer ses liens sécuritaires avec la Russie qui, elle, soulignait des incompatibilités entre l'appartenance à l'UEE et les contraintes d'un accord de partenariat avec l'Union européenne. Peu de temps après, l'Union européenne acceptait de négocier un nouvel accord moins important et moins contraignant que le premier projet.
L'Union européenne et l'Arménie étaient déjà liées par un accord de partenariat et de coopération depuis 1999 et par un plan d'action conclu en 2006 dans le cadre de la politique européenne de voisinage. En outre, depuis 2014, l'Union européenne a signé un accord avec l'Arménie sur la facilitation de l'octroi de visas. Entre 2014 et 2017, l'Union a versé 170 millions d'euros d'aide à l'Arménie pour aider au développement du secteur privé et favoriser les réformes du secteur public et du pouvoir judiciaire. L'Union aide également l'Arménie dans son programme de contrôle aux frontières et dans celui de la réforme de l'organisation territoriale. L'Arménie a accès à Erasmus Mundus.
Le nouvel accord avec l'Arménie est moins large que ceux signés avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. En effet, il ne comprend plus de dispositions en faveur du libre-échange dans la mesure où, sur ces questions, l'Arménie dépend désormais de l'UEE et ne peut plus s'engager avec des pays tiers. Erevan est satisfait de cet équilibre. L'accord ne porte donc que sur le renforcement des structures démocratiques et de la bonne gouvernance, le développement de l'économie de marché, la coopération régionale et la coopération culturelle.
J'en viens à l'Ukraine. Alors que le conflit à l'est du pays entre dans sa quatrième année et que les accords de Minsk ne sont correctement appliqués ni par la Russie ni par l'Ukraine, la survie de l'État ukrainien semble relever d'un miracle ou, tout du moins, d'un mystère. Deux phénomènes doivent être relevés : le premier, ancien, est la corruption endémique et le second, nouveau, est un nationalisme exacerbé, qui est une réaction à la mauvaise entente avec le voisin russe. Ces deux problèmes rendent difficiles les relations de l'Ukraine avec ses voisins, comme avec l'Union européenne. Cependant, l'Ukraine, ayant besoin du contrepoids de l'Union européenne - qu'elle juge, à ce stade, insuffisant -, rappelle régulièrement l'importance qu'elle attache à l'accord d'association, dont la mise en oeuvre est lente et peu convaincante. Il faut toutefois noter que la loi sur la décentralisation, qui permet le regroupement de communes, semble porter ses fruits et aussi que la croissance pour 2017 devrait s'établir à 2 %.
La Géorgie, comme l'Ukraine, regrette la frilosité de l'Union européenne sur la question de l'élargissement, tout comme le fait que la déclaration conjointe n'ait pas fait ouvertement état des conflits gelés qui perturbent la région. Elle se plaît à rappeler que les accords d'association - ceux conclus avec elle-même, l'Ukraine et la Moldavie, à la différence de celui conclu avec l'Arménie - appartiennent à une nouvelle génération d'accords au titre desquels les pays associés doivent absorber 80 % de l'acquis communautaire.
La Biélorussie, qui a contracté une forme d'association fédérale avec la Russie, souhaite maintenir un équilibre subtil et avantageux entre l'Est et l'Ouest. C'est pourquoi elle continue à envisager un accord avec l'Union européenne, mais de préférence sur le « mode arménien ». Aujourd'hui, elle négocie un accord sur la facilitation des visas, qui portera sur un allègement du coût des documents, une simplification des formalités et une exemption pour les diplomates. Pour l'instant, l'Union souhaite introduire une clause suspensive liée au respect des droits de l'Homme, clause que rejette la Biélorussie au nom de la discrimination. Celle-ci se veut pragmatique, d'autant qu'elle n'a pas la partie facile dans sa relation avec la Russie. Elle a d'ailleurs rappelé que, si elle entretenait des relations fortes avec la Russie pour des raisons historiques sur le plan tant politique qu'économique, ces liens ne devaient en aucun cas être perçus par l'Union européenne comme un alignement sur la diplomatie du Kremlin.
S'agissant de la Moldavie, la réforme électorale du 20 juillet dernier visait ostensiblement à nuire à l'émergence d'une opposition véritablement européenne : elle a renforcé la dérive autoritaire du pays. Cette réforme peut apparaître comme la énième manifestation de l'incessant combat entre pro-Russes et pro-Européens en Moldavie. Il convient de rappeler que ce pays a des forces militaires russes stationnées sur son territoire en Transnistrie. La question de cette région séparatiste demeure un défi majeur pour la Moldavie. Les négociations en vue d'un règlement de ce conflit gelé piétinent depuis 2011. Cependant, grâce à un protocole bilatéral, la zone de libre-échange approfondi et complet a été étendue à la Transnistrie depuis le 1er janvier 2016.
L'Azerbaïdjan fait l'expérience d'une crise économique pénible qui a commencé avec la chute des prix du pétrole et s'est étendue à l'ensemble de l'économie. Le gouvernement a pourtant réagi : restrictions budgétaires, restructuration bancaire, lutte contre l'inflation. Dans ces conditions, il semble assez naturel que ce pays, qui fait figure de mauvais élève en matière de droits de l'Homme aux yeux de l'Union, souhaite cependant rentrer en grâce et évoque la possibilité d'un accord.
L'Azerbaïdjan recherche un équilibre entre l'Est et l'Ouest pour s'assurer suffisamment de liberté par rapport aux Russes, qui soutiennent l'Arménie dans le conflit du Haut-Karabagh, et aux Turcs, qui veulent jouer les grands frères.
Les six pays du Partenariat oriental qui ont tous, à des degrés divers, des régimes autoritaires, partagent la problématique des pays à cheval sur deux aires d'influence. L'Union a compris qu'il leur revenait de choisir eux-mêmes la forme de cet équilibre instable qui leur est dicté par la géographie, sinon par l'Histoire. Ces pays sont écartelés entre deux modèles. L'un est plus contraignant et renvoie au passé ; l'autre, le modèle européen, est souhaité par les jeunes générations qui se tournent vers l'avenir : plus exigeant sur le plan des réformes, il est toutefois plus généreux.
M. Jean-Yves Leconte. - Je ne suis pas certain que l'Ostpolitik puisse servir de modèle pour le Partenariat oriental. Cette politique a permis d'ouvrir le dialogue avec des pays dont on savait qu'ils n'étaient pas des démocraties et de favoriser l'émergence de sociétés civiles et d'opposition qui ont, par la suite, conduit plusieurs pays d'Europe centrale à retrouver la liberté en 1989. En l'espèce, la situation est différente : le Partenariat oriental n'a aucune finalité. Certains pays le voient comme la première marche vers l'adhésion, alors que la France ne l'a jamais considéré ainsi.
Par ailleurs, je veux dire qu'aucun pays ne doit avoir comme destin d'être une zone tampon entre deux voisins. L'avenir d'un pays ne doit pas dépendre d'un accord entre l'Union européenne et un voisin à l'Est plus important.
S'agissant du nationalisme ukrainien, qui est certes réel, il faut le mettre en regard avec le nationalisme hongrois ou polonais ! Il ne faut pas oublier que l'Ukraine est en guerre. Longtemps, la Hongrie et la Pologne ont été les avocats de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Mais les évolutions de ces deux pays, notamment en matière de respect des principes fondamentaux de l'Union, soulèvent des interrogations. L'Ukraine se rend compte que ses voisins sont devenus des « boulets ». La montée des nationalismes touche non seulement l'Ukraine, mais toute l'Europe centrale. Depuis 2014, l'Ukraine s'est engagée dans la lutte contre la corruption : au Parlement, une commission dédiée à cet objectif est présidée par un militant anticorruption. On assiste également à un affaiblissement du pouvoir des oligarques.
Notre commission devrait se pencher sur les modalités de fonctionnement de l'Union douanière eurasiatique créée par la Russie. Pour avoir travaillé sur la question, je peux vous dire que les normes sont définies exclusivement par la Russie. L'Union européenne aurait intérêt à travailler avec elle.
On ne peut pas construire le Partenariat oriental sans se poser la question de la Russie. Il faut saluer les progrès en matière de liberté de circulation des Géorgiens et des Ukrainiens, avec la suppression de l'exigence de visas pour entrer dans l'Union européenne. Il serait opportun de reprendre les discussions, stoppées en 2014, sur la libéralisation du régime des visas avec la Russie, si l'on veut construire un Partenariat oriental qui ne soit pas dirigé contre ce pays.
Enfin, je rappelle que la Pologne a, en 2016, accordé 2,5 fois plus de permis de séjour que la France à des étrangers, qui sont à 85 % des ressortissants de pays membres du Partenariat oriental ou de la Russie. On peut remarquer que cette mobilité est favorisée par certains pays d'Europe centrale, même si j'ai relevé leurs dérives nationalistes.
M. Benoît Huré. - Jean-Yves Leconte considère qu'il faut reprendre le dialogue avec la Russie. Ces zones sont compliquées et représentent des enjeux d'avenir pour tout le continent européen.
Le dialogue avec ces six pays ne relève plus seulement de l'initiative de la Suède et de la Pologne, mais est enfin pris en charge par l'Union européenne. C'est positif, car cela va dépassionner les discussions, mais il faut du temps pour instaurer des relations de confiance. Pour les ancrer durablement, il est nécessaire de travailler auprès de la jeunesse, par l'éducation - l'accès de certains de ces pays au programme Erasmus est une bonne chose - et par la culture.
Nous devons agir fortement, car nous ne pouvons pas rester spectateurs de ce qui se joue à nos portes entre la Russie et l'Asie. J'ai ainsi échangé récemment avec des investisseurs chinois, qui disposent d'une continuité ferroviaire jusqu'à Dortmund. Nous ne pouvons pas rester inactifs !
M. Pierre Ouzoulias. - Je voudrais réfléchir en historien, une fois de plus. Sur le sujet, la comparaison avec l'Empire romain est éclairante, car sa manière de gérer ses marges rappelle les incertitudes de l'Union européenne. Ainsi, il entretenait de très bonnes relations avec des royaumes indépendants qu'il dominait, mais quand les choses tournaient mal, il en faisait des provinces, afin de reprendre en main sa sécurité.
C'est ainsi qu'il a agi avec l'Arménie, alors un petit royaume, quand il a été confronté à la menace des Parthes - issus de l'aire culturelle qui est aujourd'hui l'Iran - sur ses frontières asiatiques. L'Arménie est le point nodal entre l'Orient du nord et l'Orient du sud. Or ce dernier n'est pas apparu dans les propos tenus, alors que les équilibres sont en train de changer, avec l'émergence d'une puissance iranienne, avec les relations complexes entre la Turquie et la Russie. L'Arménie est donc au coeur de plusieurs conflits majeurs.
Je vous rappelle qu'elle a été le premier royaume chrétien du monde occidental, cela reste une référence fondamentale pour les Arméniens.
Aujourd'hui, le pays doit sa sécurité énergétique et militaire à la Russie et, dans une moindre mesure, à l'Iran. Le conflit du Haut-Karabagh, l'an passé, n'a duré que trois jours parce que la Russie a arrêté l'Azerbaïdjan dans son élan. L'Union européenne n'aurait pas pu obtenir cela. Selon moi, la relation de l'Union européenne avec ses marges orientales doit être vécue dans sa globalité et sa composante sud me semble fondamentale.
Malgré les dernières frasques de M. Trump, la réorientation de la politique diplomatique imposée par M. Obama n'est pas remise en question. Pour les États-Unis, le théâtre majeur n'est plus le Proche-Orient, mais l'Asie. L'Europe doit se saisir de cette opportunité, au-delà du conflit syrien, qui l'a paralysée. Certaines des solutions diplomatiques pour les pays dont nous parlons aujourd'hui se jouent sur cette frontière sud.
M. Jean-Pierre Leleux. - Ces six pays apparaissent comme le terrain d'une lutte policée entre l'Est et l'Ouest. Une guerre d'influence permanente semble se dérouler entre l'Union européenne et l'Union eurasiatique. Ces pays sont écartelés entre leur souhait de rejoindre l'Union européenne et les pressions exercées pour adhérer à l'Union eurasiatique.
C'est pourquoi il est légitime de demander un dialogue renouvelé entre l'Union européenne et la Russie. Tant que nous ne parlons pas avec Moscou de nos influences respectives sur ces six pays, nous n'en sortirons pas. Quelle est la teneur des relations diplomatiques entre l'Union européenne et la Russie concernant ces six pays ?
M. André Reichardt, président. - Nous devons en effet prendre en compte ces six pays sans perdre de vue le contexte compliqué et les relations avec la Russie et, plus au sud, avec l'Iran.
Compte tenu du rôle joué par ces deux pays dans les « conflits gelés », il serait utile, en lien avec la commission des affaires étrangères, de nous pencher sur ce dernier sujet. Nous n'en parlons que lorsqu'ils provoquent un prurit, comme la guerre du Haut-Karabagh que la Russie a stoppé en trois jours, après un bilan officiel de cent morts. En dehors de ces moments, on n'en parle pas.
Je pense en particulier à l'Ossétie du Sud, où, tous les jours, la frontière russe avance, ou encore à l'Abkhazie et à la Transnistrie. Il y a d'autres sujets importants qui, certes, ne sont pas gelés, comme la Crimée ou le Donbass, mais il ne me semble pas normal que tout le monde se moque de ces conflits.
Vous affirmez qu'il faut améliorer le dialogue et relancer les négociations avec la Russie. D'accord, mais alors disons-nous les choses !
Je me suis rendu en Géorgie il y a deux ans, on m'a conseillé d'aller constater la situation en Ossétie du Sud, je m'attendais à y voir flotter un drapeau ossète, mais je n'y ai trouvé que le drapeau russe. C'est tout de même un peu gênant ! Il me semble choquant de faire comme si cela n'existait pas.
Nous devons bien sûr dialoguer, parce que les Russes jouent un rôle fondamental, mais, comme l'a dit Jean-Yves Leconte, aucun pays n'a vocation à être une zone tampon.
M. René Danesi. - Un consensus semble se dégager autour de la table sur la nécessité de reprendre le dialogue entre l'Union européenne et la Russie. Une partie des Européens est disponible pour cela, mais certains ne le sont pas du tout. Donald Tusk, par exemple, qui est un dirigeant important, n'hésite jamais à jeter de l'huile sur le feu. Pourtant, ce dialogue est indispensable. Ni l'Union européenne ni la Russie n'ont intérêt à s'enfermer dans la politique de la main derrière le dos, il est temps de passer à la main tendue.
Les six pays concernés auraient évidemment tout à gagner à une reprise du dialogue. Aucun pays, même du temps de l'Empire romain, n'a envie d'être une zone tampon, mais en général, on ne leur demande pas leur avis, ce sont leurs voisins qui en décide. Il est normal que les pays concernés souhaitent évoluer !
Ces pays, et l'Arménie l'a bien compris, peuvent eux-mêmes contribuer à sortir de cette situation, mais les positions « jusqu'au-boutistes » ne facilitent pas les choses.
S'agissant de l'Ostpolitik, elle n'est, bien sûr, pas directement à l'origine du Partenariat oriental. Elle a été menée par l'Allemagne de manière très novatrice au regard de l'ambiance politique de l'époque et a abouti aux accords d'Helsinki, que les Soviétiques n'ont pas pris au sérieux. Ils n'ont pas vu le danger !
M. Jean-Yves Leconte. - C'est pourquoi cette politique était plus audacieuse que le Partenariat oriental.
M. René Danesi. - À Helsinki, on a allumé une mèche longue qui a porté ses fruits plus tard.
La politique de voisinage de l'Union européenne, c'est un tout, même si nous parlons aujourd'hui de l'Europe orientale. La politique méditerranéenne est également imbriquée dans le processus.
Il me semble que Romano Prodi et les autres avaient en tête une sorte d'Ostpolitik quand ils ont initié ce Partenariat. Ils souhaitaient également allumer une mèche longue pour que les six pays concernés basculent tôt ou tard volontairement dans l'orbite de l'Union européenne, voire directement dans l'Union. Personne n'est obligé de partager cette analyse, mais l'on sait que les bons sentiments dissimulent toujours des intérêts bien compris.
Jean-Yves Leconte a raison au sujet des nationalismes, en Europe, mais aussi en Orient. On parle surtout d'islamisme et de djihadisme, mais partout monte le nationalisme, notamment turc et iranien, et avec lui l'expansionnisme. C'est un élément à prendre en compte dans nos analyses.
Nous devrions en effet nous intéresser de très près à l'Union eurasiatique, qui va peser lourd sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et ses voisins. Nous sommes tous d'accord ici sur les nécessités de clarifier notre politique.
M. Pierre Médevielle. - Nous ne pouvons pas occulter l'Orient du sud, même si le sujet était aujourd'hui l'Est européen. Nous sommes ici entre trois zones d'influence.
Dans ce contexte, l'Union européenne doit redoubler d'énergie. Nos méthodes sont correctes, la Russie en emploie d'autres. Il faut dialoguer, car on ne résoudra pas les problèmes sans se dire les choses.
Si nous voulons rester présents auprès de ces pays, nous devons développer nos relations culturelles et économiques avec eux, afin d'offrir un choix aux nouvelles générations. Il nous faut penser à l'avenir. En Grande-Bretagne, ce sont d'abord les jeunes générations qui sont pénalisées par le Brexit. Continuons à exercer notre influence, les résultats viendront.
M. André Reichardt, président. - Il est vrai que le comportement des États-Unis offre une vraie opportunité à l'Europe, nous serons amenés à en parler à nouveau.
Il me semble important que nous insistions sur l'intérêt pour l'Union européenne de pousser les feux sur l'État de droit, sinon directement sur les droits de l'Homme. C'est un sujet fondamental dans ces six pays, à des degrés différents. Il en va de même de la lutte contre la corruption. Jean-Yves Leconte l'a rappelé en ce qui concerne l'Ukraine, je peux confirmer que des actions fortes sont menées en Géorgie et même en Azerbaïdjan, sans que nous en soyons toujours informés.
M. Jean-Yves Leconte. - Ces pays sont demandeurs d'une aide dans ce domaine.
M. André Reichardt, président. - Même l'Azerbaïdjan montre une ambition à ce sujet, nous devrions l'encourager en valorisant les bonnes pratiques. Le focus doit être mis sur ces deux thèmes.
M. Jean-Yves Leconte. - Le Partenariat oriental, comme la relation entre l'Union européenne et la Turquie - pour laquelle il n'y a pas de perspective d'adhésion à moyen terme -, ou le partenariat Euro-Méditerranée ne sont rien d'autres que les relations entre l'Union européenne et ses voisins. Il n'y a aucune raison de voir les choses différemment selon la direction dans laquelle on regarde. On peut lire le Partenariat oriental comme un effort antirusse, et qualifier autrement le partenariat Euro-Méditerranée, mais il s'agit en réalité d'un continuum.
M. André Reichardt, président. - Pour terminer, rappelons tout de même à notre collègue Ouzoulias que l'Empire romain a mal fini !
M. Pierre Ouzoulias. - Pas du tout ! Il a débouché sur l'Empire germanique, puis sur Clovis et le royaume de France !
Agriculture et pêche - Composition des engrais : communication de M. Michel Raison
M. Michel Raison. - Je souhaite vous entretenir, mes chers collègues, d'un sujet en apparence technique et bien austère : celui du projet de révision du règlement de 2003 sur les engrais, dont l'initiative revient à la Commission européenne. Ce projet vise, en particulier, à réduire l'utilisation des matières fertilisantes contenant du phosphate. Il concerne donc très directement nos agriculteurs.
Le débat sur les engrais phosphatés repose sur trois éléments principaux : il s'agit de concilier les objectifs de santé publique, de respect de l'environnement, ainsi que de compétitivité de notre agriculture. Mais, fort heureusement, dans le cas des engrais, le travail de fond, en cours d'examen, est mené dans des conditions « normales », empreintes de sérénité.
Mon propos visera ainsi à vous éclairer sur trois points. Quels sont les points clés de ce projet ? Quelle en est la dimension environnementale ? Quelles sont les implications géopolitiques d'un éventuel changement de nos sources d'importation de phosphate ?
Le nouveau projet de règlement envisagé, qui fait partie du « paquet économie circulaire », revêt, à lui seul, une portée assez large. En effet, en l'état actuel du droit, la réglementation porte essentiellement sur les engrais minéraux, principalement les phosphates importés. Or, de nouveaux engrais organiques ou utilisant des déchets ne sont pas pris en compte. La Commission propose d'encourager leur utilisation, en leur assurant un accès équivalent au marché.
Cette initiative vise également à harmoniser les règles européennes pour la commercialisation de produits fertilisants sur le marché communautaire, à commencer par les niveaux admissibles de cadmium. J'y reviendrai dans un instant.
S'y ajoute la création d'une procédure d'approbation pour la commercialisation des engrais à diffusion retardée et lente.
L'Union européenne souhaite aussi octroyer un label « CE » aux engrais organiques à base de déchets pour en améliorer la commercialisation. Ce label indiquerait aux consommateurs que lesdits produits respectent les critères de qualité, de sûreté et d'intérêt écologique prévus au niveau européen.
D'une façon générale, l'objectif poursuivi consisterait à réduire d'un tiers les importations de phosphates de l'Union : de 6 millions à 4 millions de tonnes par an.
J'en arrive à la dimension environnementale du projet de règlement. Le phosphate naturel importé contient du cadmium. Ce métal lourd est extrêmement toxique et cancérigène, en raison de sa durée très longue de rétention dans l'organisme humain. En outre, il se substitue au calcium dans le cristal osseux, dont il érode les propriétés mécaniques.
D'une façon générale, la concentration en cadmium de l'écorce terrestre est assez faible : de l'ordre de 0,1 à 1 milligramme par kg. Mais il existe des sources de pollution, aussi bien dans l'atmosphère et les sols qu'en milieu aquatique, du fait, notamment, des rejets industriels et de l'incinération des ordures ménagères. S'y ajoutent, en milieu urbain, l'impact de l'usure des pièces mécaniques d'automobile, des pneus ou des canalisations en fer galvanisé, voire les rejets de fumée des cigarettes.
En France, la teneur de cadmium dans l'air peut être estimée, en moyenne, à 1 nanogramme (c'est-à-dire 10 puissance moins 9 grammes) par m en zone rurale et à 20 nanogrammes par m en zone industrielle. Au niveau des sols, sur certaines parcelles polluées, on peut toutefois enregistrer des valeurs supérieures à 150 milligrammes par kg.
La Commission européenne souhaite diminuer la proportion de cadmium dans les produits fertilisants phosphatés pour réduire la contamination des sols et des aliments. Le plafond passerait de 60 milligrammes par kg à 40 milligrammes en trois ans, puis à 20 milligrammes après douze ans.
Très récemment, le 24 octobre 2017, le Parlement européen s'est prononcé, en première lecture, en faveur de 40 milligrammes par kg après six ans et 20 milligrammes après seize ans.
Ces seuils suscitent toujours de vifs débats. Les organisations syndicales agricoles européennes, représentées par le Copa-Cogeca, appellent à un calendrier « réaliste » et à une approche « équilibrée ». Elles font en effet valoir qu'il « n'existe à l'heure actuelle pas de technologies rentables à une échelle commerciale, qui permettent de transformer la roche phosphatée pour réduire sa teneur en cadmium ».
J'en viens maintenant aux implications géopolitiques de ce dossier. En effet, faute d'en produire elle-même, l'Union européenne doit importer le phosphate figurant dans la composition de ses engrais. Pour l'essentiel, il n'existe que deux sources d'importation : l'Afrique et la Russie.
Le phosphate de qualité, c'est-à-dire celui contenant le moins de cadmium, est principalement importé de Russie, mais il est aussi pénalisé par des droits de douane. À l'inverse, du fait des accords commerciaux signés avec les pays d'Afrique, le phosphate naturel à la teneur en cadmium la plus élevée est aussi celui qui bénéficie des conditions tarifaires les plus favorables.
La perspective de revoir cette situation singulière à la faveur de la révision du règlement sur les engrais a paradoxalement suscité des réserves au Parlement européen : des députés polonais y ont vu le risque d'avantager la Russie et ce n'est peut-être pas leur seule motivation.
Il ne s'agit pourtant ici que d'établir un constat économique et environnemental, lequel ne préjuge en rien de l'ensemble de nos relations commerciales avec la Russie, de la question des sanctions consécutives à la situation en Ukraine ou du respect des accords de Minsk.
Pour conclure, j'observerai que le processus de révision du règlement sur les engrais en est arrivé, depuis juin 2017, au stade des négociations en trilogue entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil.
Sans préjuger de leur issue, il apparaît d'ores et déjà acquis que les niveaux en cadmium de nos importations de phosphates seront in fine sensiblement réduits. C'est une bonne chose. Les négociations prennent en compte les besoins du monde agricole, sans stigmatiser les modes de production. Quant aux expertises scientifiques, elles ne sont pas mises en cause par des campagnes d'opinion. Enfin, sans être indifférent à la géopolitique, je constate qu'une source d'approvisionnement extérieure se substituerait à une autre. Or, il se trouve que les phosphates provenant de Russie comportent la plus faible teneur en cadmium.
En définitive, la gestion par l'Union européenne du dossier des engrais fournit un heureux contraste, voire un contre-exemple, par rapport à l'expérience récente du glyphosate. Cela montre également qu'il est possible de débattre sereinement des sujets agricoles, à la condition toutefois que les agriculteurs ne fassent pas l'objet de partis pris défavorables.
La réunion est close à 10 h 10.