Mercredi 13 décembre 2017
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Déplacement à la COP23 - Communication
M. Hervé Maurey, président. - Comme presque tous les ans depuis que la commission a été créée, une délégation de la commission s'est rendue à la COP - ou Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Cette année, il s'agissait de la COP23, c'est-à-dire de la 23ème réunion de la Conférence des Parties ; la première a eu lieu à Berlin en 1995, quelque temps après le Sommet de la Terre de Rio de 1992 qui avait donné la première définition officielle du développement durable.
Cette COP23 s'est déroulée à Bonn, où se trouve le siège du secrétariat de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, la CCNUCC, sous la présidence des Iles Fidji.
Nous étions quatre sénateurs de la commission : Jérôme Bignon, Guillaume Gontard, Angèle Préville et moi-même.
Notre déplacement s'est organisé en trois temps : une journée avec des parlementaires du monde entier sous l'égide de l'UIP, l'Union interparlementaire, le 12 novembre ; une journée consacrée à des visites de terrain le 13 ; et une journée sur le site même de la COP le 14 novembre.
Après un compte rendu de ces trois journées, je vais vous livrer quelques éléments de bilan sur la COP23.
La journée parlementaire d'abord. Comme chaque année désormais, l'UIP a organisé une journée de réflexion et d'échanges autour des problématiques de la COP23. Cette fois-ci, cette rencontre s'est faite en lien avec le Parlement des Iles Fidji et le Bundestag allemand. Plus de 50 pays étaient représentés.
Le Premier ministre des Iles Fidji, président de la COP, était présent et a ouvert le débat. Il a eu quelques images fortes, puisées dans la culture de son pays, pour rappeler que gouvernements, politiques, société civile et secteur privé, « nous sommes tous dans le même canoë ». Il a insisté sur les notions de respect et de compréhension dans le processus de négociation. Il a surtout enjoint les parlementaires présents à aller « plus loin, plus vite, ensemble », à rejeter les politiques de court terme et à privilégier les actions de long terme.
Madame Espinosa, secrétaire générale de la CCNUCC était également présente. Elle a fait un point sur l'état des négociations en soulignant le contexte d'urgence, les années 2016 et 2017 étant les plus chaudes jamais enregistrées avec une multiplication des événements extrêmes inédite. Elle s'est félicitée qu'en moins de deux ans 169 pays aient déjà ratifié l'Accord de Paris - un record pour un accord international de cette ampleur - mais le défi maintenant est de le rendre opérationnel. Elle a donc insisté sur la nécessité d'accélérer le processus et de favoriser les actions concrètes.
Après ces propos liminaires, de nombreux débats ont été engagés. Notre délégation en a retenu trois principales conclusions.
La première est l'impatience de plus en plus vive marquée par un certain nombre de pays, en particulier africains. Les parlementaires de ce continent s'étaient d'ailleurs réunis quelques semaines plus tôt pour adopter la Déclaration de Rabat qui formule six recommandations - en réalité six exigences vis-à-vis des pays développés. L'idée générale est que les pays africains subissent de plein fouet les effets du réchauffement climatique alors qu'ils ne sont responsables que de moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre. Aussi, ils réclament des financements, des transferts de technologie, des investissements, notamment pour développer les énergies renouvelables et l'agriculture dans leurs pays.
La deuxième conclusion est que d'avancer sur les financements est une priorité forte. Les promesses sur le Fonds Vert, soit 100 milliards de dollars par an dès 2020, sont encore loin d'être remplies. Le sommet One Planet organisé hier par le Président Macron a mis clairement en avant cette priorité. Un certain nombre d'engagements concrets, notamment de la part de financeurs privés, ont été pris à cette occasion.
La troisième conclusion concerne le rôle des législateurs. Chaque année l'UIP fait un point sur les législations prises pour faciliter la transition climatique. Cette année, les experts ont enregistré une très forte progression du nombre de lois, ce qui est évidemment positif. Ils estiment que 80 % des pays ont désormais intégré le climat dans leurs politiques énergétiques et 50 % dans leurs plans de développement national. Les principaux secteurs où des progrès restent aujourd'hui nécessaires sont l'agriculture et la forêt. En tout état de cause, les engagements pris par les différents Gouvernements restent encore insuffisants pour atteindre l'objectif d'une élévation de température inférieure à 2° C d'ici la fin du siècle.
Les efforts doivent donc être poursuivis, ce que traduit parfaitement le document final adopté par l'ensemble des parlementaires présents.
La deuxième journée de notre déplacement était consacrée à des visites de terrain. Nous avons profité de ce séjour en Allemagne pour découvrir des réalisations innovantes dans le domaine du développement durable. Nous avons fait trois visites dans la région de Cologne.
La première était une station d'épuration qui expérimente actuellement le moyen d'éliminer les micro polluants grâce à un système de filtration capable d'éliminer les microparticules issues notamment des produits pharmaceutiques, des cosmétiques, ou des pesticides.
Nous avons ensuite visité un éco-quartier dans lequel vivent environ 500 familles, soit 1 500 personnes. C'est un ensemble d'immeubles d'un maximum de 3-4 étages organisé autour de nombreux espaces verts et de circulation communs. Aucune voiture n'y circule, seulement des vélos. Beaucoup d'équipements sont partagés ou mis à disposition des habitants du quartier. Des dispositifs ingénieux ont été prévus pour rendre la vie dans ce quartier à la fois agréable et fonctionnelle.
Enfin, nous avons été reçus dans une société de transport qui développe des autobus à hydrogène. L'idée de départ était de récupérer l'hydrogène produit par les entreprises chimiques de Cologne et jusque-là, pour l'essentiel, relâché dans l'atmosphère. Les 20 tonnes produites chaque jour par ces usines seraient suffisantes pour faire fonctionner 1 000 bus, alors qu'aujourd'hui ce sont 620 bus qui tournent dans la région de Cologne. Les avantages de l'hydrogène sont multiples : une recharge très rapide, une autonomie d'environ 300 km actuellement, l'absence totale d'émissions de gaz à effet de serre, seulement d'un peu d'eau. Les difficultés actuelles sont essentiellement liées au fait que les grands constructeurs de bus ne se sont pas encore mis à l'hydrogène : nous avons vu un bus expérimental mis au point par une petite société belge ; le leader du marché est canadien. Donc le coût de ces bus est encore élevé. Mais on estime qu'entre 2020 et 2025, le prix d'un bus diesel et d'un bus à hydrogène sera identique. On aura également développé le stockage de l'électricité, par exemple produite par des éoliennes, dans de l'hydrogène, ce qui rendra encore plus attractive cette nouvelle technologie.
La troisième journée a été consacrée à la COP23. Nous avons passé une journée entière sur le site de la COP à Bonn, près du siège de la CCNUCC. Nous y avons vu les différents pavillons nationaux, en particulier le pavillon français.
Parmi les rencontres que nous y avons faites, je voudrais en évoquer deux : la secrétaire d'État Brune Poirson avec laquelle nous avons pu échanger très librement sur les différents sujets d'actualité en matière climatique ; Laurent Fabius, désigné pendant la COP Haut référent des Nations Unies pour la gouvernance environnementale. Il y était venu défendre le projet porté par la France de Pacte mondial pour l'environnement. Il ne nous a pas caché son inquiétude devant l'attentisme des Gouvernements, conséquence malheureuse du retrait américain de l'Accord de Paris.
J'en viens donc au bilan que l'on peut faire de la COP23. Il est hélas assez ténu. Nicolas Hulot a parlé d'un « bilan en demi-teinte ».
Principal acquis : les pays se sont mis d'accord pour revoir leurs engagements dans le courant de l'année 2018 de façon à permettre un bilan collectif des émissions de gaz à effet de serre lors de la COP24. L'idée est que le dialogue autour de ces engagements soit constructif et tourné vers les solutions. Il y a en effet urgence. Je vous rappelle que les engagements actuels des États couvrent à peine un tiers des réductions d'émissions de gaz à effet de serre nécessaires. Et en 2017, les émissions de CO2 liées aux énergies fossiles, responsables de l'essentiel du réchauffement, sont reparties à la hausse, après trois années de stabilité.
Deuxième avancée : les négociateurs ont commencé à mettre en forme les règles de mise en oeuvre de l'accord de Paris prévu pour s'appliquer à partir de 2020. Il s'agit de savoir comment les pays rendront compte de leurs actions, quel sera le suivi de l'aide financière promise par les pays riches, etc. Mais rien n'a encore été tranché sur le fond sur ces différents sujets.
Troisième point positif relevé par de nombreux observateurs : l'implication de plus en plus grande des acteurs extra-gouvernementaux : autorités locales, entreprises, instituts de recherche, associations, etc. Le meilleur exemple était donné par les villes et États américains, venus en nombre, en raison de la défection du gouvernement fédéral. J'en profite pour saluer l'action menée par notre collègue Ronan Dantec dans le cadre du rassemblement Climate Chance.
Pour finir, je dirais que, heureusement, d'autres initiatives, en lien avec la COP, vont permettre de maintenir une forme de mobilisation au cours des prochains mois. Le sommet One planet d'hier en était la première contribution pour essayer d'avancer sur les financements et partager les expériences.
Un sommet de l'action climatique mondiale se tiendra également à San Francisco en septembre autour de villes, de scientifiques, de citoyens, d'entreprises. Il aura lieu à quelques semaines de la sortie d'un nouveau rapport du GIEC probablement négatif sur les tendances actuelles du réchauffement climatique.
Je laisse maintenant la parole aux autres membres de la délégation pour leur permettre d'ajouter quelques commentaires à cette présentation.
Mme Angèle Préville. - Parmi les différentes séquences de notre déplacement, j'ai été marquée par la journée de l'Union interparlementaire. Cette journée a été un moment de rencontre et de partage avec 200 parlementaires originaires du monde entier, représentant une cinquantaine de pays. Le rôle que les parlementaires peuvent jouer est essentiel, notamment dans la législation sur les objectifs de développement durable (ODD). La COP est un cadre qu'il nous appartient désormais de mettre en oeuvre.
Les parlementaires africains sont beaucoup intervenus, avec des paroles très fortes. Ils ont rappelé que nous partagions tous la responsabilité du changement climatique et attendent des actions imminentes de notre part. Ils ont souligné que le Fonds vert pour le climat n'était pas une aumône mais un droit. Ces revendications sont totalement justifiées. Bien que les Africains ne soient pas responsables du réchauffement climatique, ils en subissent très fortement les conséquences. De même pour les Îles Fidji, dont les parlementaires ont témoigné de la disparition quotidienne de terres et de constructions. De mon côté, j'ai rencontré le Président de l'Union panafricaine, qui regroupe 53 États. Je lui ai dit que nous ferions le maximum pour améliorer la situation. J'insiste sur la responsabilité que nous portons vis-à-vis des générations futures, qui nous jugeront sur nos actions.
M. Jérôme Bignon. - Je m'associe à ce qui a été dit par le Président. En plus de ces trois jours dans le cadre de la COP23, j'ai également pu participer au sommet One Planet. En début de journée, des représentants marocains sont intervenus pour évoquer la signature récente d'une déclaration sur la protection de l'environnement et la réalisation des objectifs du développement durable. Nous avons également pu voir que des liens sont en train de se créer dans le monde de l'entreprise et le monde de la finance. Il est difficile, pour un parlementaire national, de participer à ces réunions, compte tenu du nombre important d'États parties et de la lourdeur des agendas étatiques. Pour autant, il n'y a pas de retard dans la mise en oeuvre des engagements de la COP. C'est un calendrier long à mettre en place, sur un horizon de 15 ans. J'ai le sentiment que les entreprises, les organismes financiers et les organisations non gouvernementales sont en action.
Les ODD jouent un rôle fondamental. Pour chaque État, les ODD sont une opportunité de veiller à ce que ses engagements soient réalisés dans le cadre d'une vision durable de notre développement. Il s'agit d'un énorme changement de paradigme, qu'il faudra opérer de façon plus profonde. Dans l'idéal, il faudrait que les ODD soient intégrés aux dispositions de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Les ODD doivent s'inscrire dans les débats sur le budget de l'État. Notre commission a un rôle à jouer, par exemple en sensibilisant nos collègues de la commission des finances.
M. Hervé Maurey, président. - Merci d'avoir évoqué les ODD. À ce propos, j'informe la commission qu'à la suite des tables rondes organisées au Sénat et à l'Assemblée nationale sur ce sujet, nous avons été saisis, par la déléguée interministérielle au développement durable, d'une proposition de mise en place d'un groupe de travail mixte Assemblée nationale-Sénat sur les ODD. La Présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, Barbara Pompili, y est plutôt favorable. Nous aurons l'occasion d'aborder ce sujet la semaine prochaine à l'occasion de la réunion des bureaux des deux commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat.
M. Gérard Cornu. - La France s'honore d'être en pointe sur la lutte contre le réchauffement climatique. Il est long et difficile de convaincre l'ensemble des pays. Des phénomènes naturels extrêmes, qui atteignent certains pays, y contribuent : cyclones, inondations, incendies. Je pense aussi à l'apparition de problèmes de santé, notamment chez les jeunes urbains, qui subissent de plus en plus de problèmes respiratoires liés à la pollution atmosphérique. Les populations sont souvent plus en avance que certains responsables politiques, notamment aux États-Unis. En même temps, il est aussi important que la France puisse développer des filières économiques vertes.
M. Jean-Claude Luche. - Sauf erreur de ma part, la France, qui représente 1 % de la population mondiale, ne produit que 1 % des gaz à effet de serre. Les autres pays - notamment les États-Unis, la Chine et l'Allemagne - sont-ils vraiment conscients de leur responsabilité ? Si nous faisons des efforts, la lutte contre le réchauffement climatique dépend largement de l'action d'autres pays.
Par ailleurs, nous savons que les transports maritimes et les transports aériens ont été écartés des réflexions de la COP. Or, la pollution engendrée par les paquebots et les ferries est beaucoup plus importante que celle des voitures, pour laquelle nous sommes très vigilants. Il est urgent et nécessaire de se mobiliser sur ce sujet. Comment pourrait-on associer les autres États à cette réflexion, que ce soit à l'échelle européenne ou à l'échelle mondiale ? Avez-vous abordé ces sujets ? Nous ne réussirons pas seuls.
M. Hervé Maurey, président. - En effet, nous ne réussirons pas seuls. Pour autant, ce n'est pas une raison pour ne rien faire et attendre que les autres prennent des initiatives. Il serait trop facile de ne rien faire, sous prétexte que les autres n'en font pas davantage et ne sont pas vertueux. C'est un jeu sans fin. Je suis convaincu que la France doit montrer l'exemple, à plus forte raison avec le retrait du Gouvernement américain de l'Accord de Paris. De plus en plus d'États prennent conscience de ces enjeux, comme l'Algérie qui, il y a encore quelques années, à l'occasion d'une réunion sur les ODD, avait déclaré que sa priorité était de construire sa croissance et que son Gouvernement n'était donc pas enclin à se préoccuper du développement durable. Entre temps, il y eu une véritable prise de conscience, que m'a confirmé hier même le ministre algérien des affaires étrangères.
Certes, il y a une certaine distance entre la prise de conscience et l'action, a fortiori quand les intérêts nationaux ne sont pas directement compatibles avec les questions de développement durable - je pense notamment aux pays producteurs d'hydrocarbures - mais, et l'exemple australien le montre bien, malgré le récent recul, le passage de l'un à l'autre est possible. Nous devons non seulement apporter les financements adéquats, mais aussi sensibiliser nos concitoyens. Pour cela, il est nécessaire de montrer le lien entre santé et environnement. En expliquant aux gens l'impact du dérèglement climatique sur la santé, ils se sentent beaucoup plus touchés et se montrent davantage préoccupés par les questions d'environnement.
Mme Christine Lanfranchi Dorgal. - À partir de 2020, est prévu un financement annuel de 100 milliards de dollars supporté par les pays riches. Compte tenu du retrait des États-Unis, ce projet de financement est-il maintenu ? Qui doit le prendre en charge ? Il semblerait qu'il y ait beaucoup d'opposition parmi les pays appelés à participer.
M. Hervé Maurey, président. - Nous savons seulement que ce financement doit être disponible en 2020. Cela fait partie des sujets qui devront être abordés lors des prochaines COP. Toutefois, en parallèle des COP, d'autres réunions sont susceptibles d'aborder la question des financements, au-delà du seul financement public. Par exemple, des engagements de la part du secteur privé ont été pris lors du sommet One Planet.
Mme Nelly Tocqueville. - Je rappelle qu'en 2016, un groupe de travail, auquel j'avais participé, a publié un rapport sur le coût économique et financier de la pollution atmosphérique. Il s'agit d'un coût non seulement financier, qui s'évalue à plusieurs milliards d'euros, mais également humain, compte tenu du nombre de journées de travail perdues, de maladies, de handicaps ou de départs contraints à la retraite. J'invite chacun à prendre connaissance de ce rapport.
Mme Angèle Préville. - Hier, le Vice-Premier ministre chinois, M. Ma Kai, a déclaré que son pays faisait le choix de la transition écologique et que la Chine avait un avenir commun avec le reste de l'humanité, avenir que les Chinois envisagent « beau et prospère ». J'ai compris que les Chinois s'engageaient, notamment sur la question du carbone. Sur la santé, Arnold Schwarzenegger est intervenu pour dire que la pollution était responsable de plus de 4 000 décès chaque jour, soit 9 millions de personnes décédées en 2016.
M. Pierre Médevielle. - Nous faisons tous le constat d'un sentiment d'impuissance. J'ai l'impression que nous sommes dans un train à grande vitesse, qui fonce vers un mur, et que nous n'avons aucun moyen d'arrêter. Paradoxalement, au moment où nous observons une certaine prise de conscience, on nous annonce des prévisions démographiques catastrophiques pour les années 2040-2050. La France admet qu'elle aura du mal à tenir ses engagements sur la décennie 2020-2030. Nous savons également qu'un des grands problèmes à venir sera la question de l'eau douce, avec toutes les conséquences en matière d'alimentation et de santé qui en découlent. Mais également la question des océans : les spécialistes sont alarmistes, notamment sur l'acidification des océans. D'ici 30 ou 40 ans, des zones entières seront mortes écologiquement. Notre santé est en jeu. Des mesures simples peuvent d'ores et déjà être prises, notamment en matière d'économies d'énergie.
M. Hervé Maurey, président. - Pour revenir à la question de M. Luche, je précise que dans l'Accord de Paris, on ne parle ni de transport aérien, ni de transport maritime. Depuis, un début d'accord a été conclu sur le transport aérien dans le cadre de l'OACI, et les choses avancent en matière de transport maritime.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Sur le transport maritime, en ce qui concerne les ferries, des directives européennes sur le souffre ont conduit les compagnies à s'équiper de scrubbers. Ce sont des équipements permettant de filtrer une partie des rejets atmosphériques. Les affréteurs et transporteurs prennent des initiatives : la compagnie Brittany Ferries vient de passer une commande de nouveaux ferries fonctionnant au GPL, pour sa ligne Ouistreham-Portsmouth. Il faut avancer de façon globale sans viser ou cibler tel ou tel type d'activité.
M. Éric Gold. - Vous avez eu raison d'aborder la question des liens entre le réchauffement climatique et la santé. Je souhaiterais également souligner les conséquences sur les phénomènes migratoires.
Dans la commission, nous avons souvent dit que la porte d'entrée de nos sujets devait être l'équilibre des territoires. Il me semble que les ODD constituent également une porte d'entrée. Nous devrions systématiquement faire le lien entre le développement durable et l'aménagement du territoire.
Déplacement à Bruxelles sur le thème du glyphosate - Communication
M. Hervé Maurey, président. - Je cède maintenant la parole à Pierre Médevielle qui, avec Guillaume Chevrollier, a participé, le jeudi 7 décembre dernier, à un déplacement à Bruxelles sur le thème du glyphosate.
M. Pierre Médevielle. - Dans le cadre d'un déplacement conjoint de notre commission et de la commission des affaires européennes, nous nous sommes rendus à Bruxelles avec nos collègues Guillaume Chevrollier et Claude Haut, le jeudi 7 décembre, sur le thème du glyphosate.
Nous avons rencontré des membres de la représentation permanente de la France, des membres du cabinet du commissaire à la santé et à la sécurité alimentaire et enfin le commissaire lui-même, Vytenis Andriukaitis.
L'objectif était de mieux comprendre le traitement de ce dossier au niveau européen et ses perspectives, à l'issue du vote qui a réuni une majorité d'États-membres en faveur d'un renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour une durée de 5 ans, lors de la réunion du comité d'appel du 27 novembre dernier.
Permettez-moi de revenir un instant sur la procédure. L'évaluation et l'autorisation menées au niveau européen portent sur les substances actives. Ce processus est coordonné par l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) qui s'appuie sur l'évaluation collective réalisée par les États membres. En pratique, un dossier d'évaluation est soumis par le demandeur à l'État membre de son choix, qui est désigné « État rapporteur ». Cet État est chargé d'examiner le dossier et de rédiger un projet de rapport d'évaluation adressé à l'EFSA. Pour le glyphosate, l'État rapporteur était l'Allemagne.
L'EFSA transmet ensuite ce projet aux autres États membres, recueille leurs commentaires et organise les discussions entre les experts de ces États (l'Anses pour la France). Le rapport d'évaluation final de l'EFSA est envoyé pour examen à la Commission, qui propose une décision d'approbation ou de non-approbation, soumise aux représentants des États membres au sein d'un comité permanent. Pour le glyphosate, le dossier a également été soumis à l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui est compétente sur le caractère cancérigène des produits chimiques.
Les agences sanitaires des États membres et les agences européennes ont jugé collectivement que les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de justifier un non-renouvellement de l'autorisation de cette substance active au niveau européen. L'annonce par le Gouvernement français d'une interdiction d'ici trois ans du glyphosate est donc une décision d'ordre politique, à distinguer du processus d'évaluation scientifique mené par les agences nationales et européennes.
Plusieurs points méritent d'être relevés.
Premièrement, il faut rappeler que la législation européenne prévoit une autorisation des substances actives au niveau européen, tandis que les préparations, qui contiennent ces substances, font l'objet d'une évaluation et d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) décidées au niveau national.
La faculté d'un État membre d'interdire unilatéralement une substance active autorisée au niveau européen, sans disposer d'éléments scientifiques permettant de fonder cette décision, paraît donc fragile juridiquement. C'est au niveau des AMM que les marges de manoeuvre existent, en visant non pas la substance active en tant que telle mais les préparations.
Comme je l'avais évoqué lors de nos discussions budgétaires sur la prévention des risques, l'Anses a par exemple décidé en 2016 de retirer les AMM de 132 préparations contenant du glyphosate et de la tallowamine, qui est un excipient tensioactif qui augmente le pouvoir de pénétration du glyphosate mais présente une grande toxicité dans les milieux aquatiques, notamment pour les poissons. En cas de risques avérés, il est donc possible d'agir par ce moyen au niveau national.
Deuxièmement, il faut souligner que le processus d'autorisation des produits phytopharmaceutiques, qu'il s'agisse des substances actives ou des préparations, englobe une série de considérations bien plus étendues que le seul caractère cancérigène, notamment en matière de toxicité, de présence résiduelle dans l'alimentation ou de protection de l'environnement.
La polémique récemment observée ne portait donc que sur une fraction du sujet. Par ailleurs, les experts et responsables que nous avons rencontrés jugent que le classement du glyphosate en substance cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) s'apparente à une surévaluation des risques, en l'état actuel des connaissances. Dans un avis rendu en février 2016, l'Anses avait expressément fait valoir cette position.
Je précise toutefois que cela ne remet pas en cause la nécessaire interrogation que nous devons avoir sur les pesticides en général, notamment ceux comportant du glyphosate. Mais il faut avoir une analyse plus exhaustive des enjeux sanitaires et environnementaux.
En l'état, la Commission européenne a proposé un renouvellement de l'autorisation, jugeant que le constat scientifique établi par l'EFSA avec les agences nationales ne justifie pas une interdiction. À défaut, la Commission considère qu'elle s'exposerait à d'importants risques contentieux. La durée relativement brève du renouvellement devrait permettre de disposer d'analyses complémentaires.
Troisième point, au-delà du processus d'autorisation, il faut examiner les conditions d'utilisation. Les impacts du glyphosate sur l'eau et la biodiversité semblent se confirmer. Par conséquent, il faudrait sans doute encadrer davantage l'utilisation des préparations qui contiennent du glyphosate, en particulier près des cours d'eau et des milieux aquatiques. Cela vaut pour l'ensemble des pesticides.
Quatrième point, il est indispensable d'identifier préalablement à toute interdiction des solutions alternatives crédibles et économiquement viables. À défaut, une action isolée de la France risquerait d'avoir des conséquences économiques importantes pour notre agriculture, en créant des distorsions de concurrence.
Saisi début novembre par le Gouvernement, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a rendu un rapport sur les solutions de substitution au glyphosate le 30 novembre dernier. Ce rapport identifie des solutions alternatives, comme le désherbage mécanique, le labour ou encore la culture sous mulchs. Ce rapport est certes volumineux et riche, mais il ne présente que très peu de solutions.
L'INRA relève que les impacts économiques et techniques de ces solutions alternatives varient fortement selon les activités agricoles concernées. Comme le rapport le suggère, au-delà de ce produit, la question posée est plus largement celle de la réduction de la dépendance aux pesticides, qui implique des mutations profondes des activités agricoles, et une nécessaire phase de transition.
Au total, il ressort de ces différents échanges et des publications récentes qu'une approche globale doit être privilégiée, d'une part, en analysant l'ensemble des enjeux sanitaires et environnementaux des pesticides, d'autre part, en tenant compte du nécessaire accompagnement des activités agricoles pour réduire leur dépendance à ces produits. Penser que l'on résoudra le problème des pesticides en ayant une approche binaire, d'autorisation ou d'interdiction totale, me semble méconnaître totalement la réalité. Ce n'est pas ainsi que l'on met en oeuvre une politique de développement durable qui soit pérenne et acceptable pour tous.
Je pense qu'il y a un consensus croissant de la part des utilisateurs, en particulier du monde agricole, sur la nécessité de modérer la consommation de pesticides. La table ronde que notre commission avait organisée en janvier 2016 sur ce sujet en témoigne. Mais il faut qu'elle se traduise concrètement, et qu'elle soit accompagnée par un effort d'innovation et d'aide aux agriculteurs.
En conclusion, ce déplacement nous a permis de remettre en perspective la situation spécifique au glyphosate et les enjeux de réduction de la dépendance à un tel produit. Il faut oeuvrer pour réduire la quantité de pesticides utilisés et mieux maîtriser leurs conditions d'utilisation. À ce stade, les modalités d'une sortie éventuelle du glyphosate doivent encore être précisées, en prenant en compte l'ensemble de ces considérations.
Une autre solution serait l'épandeur dit « intelligent », qui serait équipé de micro-caméras et permettrait d'épandre uniquement sur les mauvaises herbes qu'il identifierait, cela permettrait de diviser par vingt les quantités de produit épandu.
Toutes les agences qui ont évalué ce produit -y compris l'Anses dont on ne peut pas mettre l'honnêteté en doute - ont considéré que le CIRC avait surévalué la dangerosité du produit. Cela a provoqué une crise de confiance envers les agences d'évaluation. Je ne pense pas que le sérieux du travail de ces agences doive être remis en question. Une coordination au niveau européen est envisagée pour que les agences d'évaluation parlent d'une même voix et soient plus réactives. Il faut faire un effort de communication pour rassurer le public et les utilisateurs.
M. Guillaume Chevrollier. - Je souscris pleinement aux propos de mon collègue.
J'ajoute que le glyphosate, qui est utilisé depuis quarante ans, représente un marché de 8 milliards d'euros. Je rappelle que la perte du brevet pour l'entreprise Monsanto date de 1991 et qu'elle n'a donc plus le monopole depuis longtemps.
D'une part, il y a eu une surmédiatisation de ce sujet. D'autre part, on constate la difficulté de trouver un consensus entre les scientifiques et les politiques. C'est ce qui a créé la crise de confiance évoquée par mon collègue Médevielle.
Notre déplacement à Bruxelles était extrêmement intéressant. Nous avons notamment rencontré le Commissaire européen à la santé qui nous a en particulier alertés sur le fait que si la France interdit ce produit avant les autres - dans trois ans en France, contre cinq ans dans les autres pays de l'Union européenne -, cela n'empêchera en rien la venue sur le territoire national de produits exposés au glyphosate en provenance de l'Union européenne. Il y a donc un risque de créer des distorsions de concurrence pour les agriculteurs français.
Nous avons aussi évoqué la difficulté d'avoir une expertise scientifique incontestable. Seul le CIRC évoque le caractère cancérigène probable du glyphosate, et il classe aussi la viande rouge et la charcuterie dans cette catégorie. Il me paraît de bon sens de considérer que tout dépend du niveau de consommation et de la façon dont on utilise le produit.
Il faut sortir des postures politiques ou médiatiques et tenir un discours de raison. Certes, l'agriculture doit encore s'adapter, mais reconnaissons qu'elle l'a déjà beaucoup fait. Il faut faire de la pédagogie et améliorer la formation pour une meilleure maîtrise et un usage de ce produit plus respectueux de l'environnement.
M. Olivier Jacquin. - Dans cette discussion, la question de la fiabilité des agences d'évaluation est importante : il est anormal que nous soyons confrontés à ces interrogations sur la fiabilité des données.
Un autre aspect important est celui de la distorsion de concurrence.
Le récent rapport de l'INRA sur les alternatives au glyphosate montre que sans glyphosate ce n'est pas la fin du monde, à l'exception de quelques cultures spécifiques où cela poserait des difficultés.
Ce produit est en quelque sorte un « bouc émissaire », mais il n'est que la partie émergée d'un problème plus vaste, celui d'un véritable choix de société : quelle agriculture voulons-nous ?
Nous venons d'évoquer la COP23, qui nous incite à être volontaires et progressistes ; et nous abordons maintenant la question du glyphosate avec une prudence peut-être excessive...
Il faut bien évidemment traiter l'interdiction de cette molécule dans un cadre légal, mais il s'agit plus largement d'avoir un débat sociétal sur le type d'agriculture que nous voulons. La position volontaire de la France à cet égard me semble de bon aloi.
Mme Nicole Bonnefoy. - Il est faux de dire que c'est le mauvais usage du produit qui le rend dangereux. Contrairement à ce que l'on a longtemps cru, ce n'est pas la dose qui fait le poison. Même à très faible dose, le produit est dangereux. Nous le voyons par exemple avec les perturbateurs endocriniens : des doses infimes provoquent des effets néfastes.
La Commission européenne n'a pas interdit l'utilisation du glyphosate dans cinq ans, mais a prolongé son utilisation pendant cinq ans, ce qui est très différent, puisque nous n'avons aucune garantie sur ce qui adviendra dans cinq ans.
Je rappelle que seules les décisions politiques réelles ont des effets. Repousser constamment les décisions conduit à repousser l'amélioration des situations.
Le débat public se focalise aujourd'hui sur le glyphosate, mais je considère qu'il y a une infinité de produits dérivés d'autres molécules qui sont autorisés en France et en Europe et qui conduisent à des catastrophes environnementales et sanitaires.
La dépendance aux pesticides est comparable à celle du pétrole. Les agriculteurs ne doivent pas être désignés comme responsables de systèmes de production dont ils sont les premiers captifs.
Il ne faut pas oublier les scandales de certaines agences, comme par exemple l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En comparaison, heureusement, en France, notre agence, l'Anses, est une agence sérieuse.
Il faut aussi rappeler que les études sur les substances actives sont fournies par les industriels. Mon rapport de 2012 sur les pesticides avait notamment soulevé ce problème de conflits d'intérêts. En outre, il n'y a pas d'études menées sur les effets combinés de ces substances actives. Les évaluations sont donc incomplètes et sujettes à caution.
Il est bien évident qu'il faut sortir de ce système du « tout chimique », mais que cela ne pourra pas se faire en un jour.
En ce qui concerne les alternatives, j'avais interrogé il y a quelques années les industriels qui disaient faire de la recherche pour proposer des produits plus propres. Mais l'Anses n'a, à ce jour, reçu aucun dossier de leur part à ce sujet...
En revanche, l'Anses m'a parlé d'une startup française qui a trouvé une alternative au glyphosate. La difficulté de cette startup a été de constituer son dossier administratif de dépôt des AMM et de réaliser les études qui sont trop onéreuses.
Une autre startup, Immunrise Technologies, a découvert une algue microscopique qui produit une molécule dotée de propriétés bio-pesticides efficaces à 100 % sur la vigne et le blé. Des expérimentations sont menées en ce moment et ce pourrait être une alternative intéressante, mais, là encore, cette société se confronte à des difficultés en matière de financement des études, de projet industriel et aussi de réglementation.
Nous pourrions - par le biais d'un groupe de travail, par exemple - réfléchir au moyen de faciliter le travail des entreprises qui recherchent et proposent des solutions alternatives.
Je suis d'accord pour dire que la priorité doit être donnée à la santé, y compris dans le cadre des AMM. Dans mon rapport de 2012, nous avions précisément choisi en fil rouge « la santé prioritaire sur l'économie ».
M. Pierre Médevielle. - Monsieur Jacquin, en ce qui concerne la fiabilité des agences, j'ai effectivement parlé de crise de confiance. Nous avons cependant fait de grands progrès. L'Anses est l'une des agences les plus performantes au niveau européen et elle a prouvé sa réactivité à l'occasion de cette crise. S'il y a pu y avoir des scandales autrefois, à une époque où l'encadrement était moindre, nous pouvons aujourd'hui avoir confiance dans ces agences.
En ce qui concerne les distorsions de concurrence, la position française est politique, mais la France n'a pas juridiquement les moyens d'interdire la substance.
Il est vrai que l'INRA présente certaines solutions alternatives, mais sans tenir compte des impératifs économiques de productivité et de rentabilité. On peut s'interroger aussi sur l'opportunité de leur proposition du retour de la technique du labour pour enterrer les mauvaises herbes, car cela induit un passage de plus, et donc une consommation supplémentaire de gasoil.
Nicole Bonnefoy, il est vrai que la question de la dose n'est pas importante dans certains domaines comme celui les perturbateurs endocriniens. En revanche, c'est une donnée essentielle dans d'autres domaines, tels les milieux aquatiques, ou les médicaments par exemple, où certaines doses sont acceptables, d'autres toxiques, d'autres encore létales.
Il est vrai que nous n'avons pas suffisamment d'informations et d'études sur l'effet cocktail. L'Anses préconise de limiter au maximum ces cocktails et est réactive pour retirer les AMM dès que la toxicité est avérée.
J'ai consulté Bayer sur leur recherche d'alternatives. Ils ont deux pistes. La première est l'épandeur intelligent dont j'ai parlé tout à l'heure. La seconde est une spécialité à base de glyphosate qui aurait des excipients entièrement naturels et biodégradables.
Compte tenu de l'importance du marché, les industriels ont tout intérêt à rechercher des alternatives au glyphosate.
Il faut que les États européens consacrent davantage de moyens au financement de la sécurité.
M. Joël Bigot. - Les interventions de mes collègues et la réponse de M. Médevielle montrent bien que le problème est extrêmement complexe. Au-delà de l'aspect scientifique et politique, la question de l'utilisation du glyphosate est également sociétale : nous interrogeons tout un modèle économique. En effet, le glyphosate est intimement lié à l'alimentation et à la santé, et c'est la raison pour laquelle le public sera très attentif aux choix qui seront faits. J'entends qu'il faut manier le principe de précaution avec précaution : certes ! Mais actuellement, les consommateurs interrogent les origines des productions alimentaires.
Le débat sur le glyphosate est extrêmement important. Or, l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes, votée lors de l'examen de la loi Biodiversité, a montré que de nombreux groupes de pression industriels avaient tenté d'étouffer le débat. Je pense donc qu'il faut absolument mener un travail de fond multidisciplinaire qui donne la parole à toutes les parties prenantes : les scientifiques, bien sûr, mais également les consommateurs !
En tant qu'élus, nous aurons des choix à faire. Peut-être certains s'imposeront-ils, comme l'a fait le secteur de l'agriculture biologique au cours de ces dernières années. Il faut que les agriculteurs vivent de leur activité, et que la confiance des consommateurs soit restaurée. Cela est essentiel. Annoncer que l'on va surseoir l'interdiction de l'utilisation du glyphosate sans envisager les alternatives futures est stérile : nous devons travailler pour faire évoluer les modèles économiques.
Mme Françoise Cartron. - Je souhaite vous faire part de mon malaise : en tant qu'élus, on est régulièrement interpellés, on nous demande de prendre nos responsabilités. Mais comment s'y retrouver au milieu de tous ces arguments parfois contradictoires ? L'Anses dit que le danger n'est pas avéré ; des études scientifiques parallèles font état d'effets cancérogènes de la substance... une analyse contradictoire des différentes études a-t-elle été menée ? Pour construire notre argumentaire, il faut que nous connaissions non seulement le résultat de ces études, mais également leurs faiblesses méthodologiques ! Personnellement, je suis ennuyée lorsque mes interlocuteurs avancent d'autres hypothèses que celles de l'Anses, et sur lesquelles je ne dispose pas d'éléments étayés. Dans l'incertitude, on brandit le principe de précaution...
Par ailleurs, l'histoire a montré qu'avec un peu de volonté, des alternatives à des produits considérés comme irremplaçables avaient pu être trouvées : il faut encourager l'innovation !
Je souhaite que l'on puisse disposer d'analyses comparatives argumentées des différentes études, point par point, pour avoir enfin une position précise sur le degré de cancérogénicité du glyphosate.
M. Gérard Cornu. - Je rebondis sur les propos de M. Bigot : le problème posé par le glyphosate présente de multiples facettes. Et parmi les diverses façons dont on peut aborder la question, il ne faut pas négliger l'entrée européenne : certes, la France doit être moteur, mais j'aurais préféré qu'elle réussisse à convaincre ses partenaires européens plutôt que de prendre une décision unilatérale qui n'est perçue, en définitive, que comme une nouvelle surtransposition d'une directive communautaire. C'est un procédé trop souvent employé pour nous donner bonne conscience lorsque nous n'avons pas su convaincre les autres pays ! Pourtant, ces surtranspositions pénalisent les Français par rapport à leurs concurrents européens, et, comme l'ont très justement dit Guillaume Chevrollier et Pierre Médevielle, la libre-circulation des personnes et des biens qui prévaut dans l'Union permettra à tous ceux qui veulent continuer à utiliser du glyphosate d'aller se fournir chez nos voisins. Le choix qui a été fait n'est donc nullement une solution !
Enfin, ouvrir le parapluie du principe de précaution me semble également relever de la facilité. Il ne faut pas que ce principe de précaution bride le principe d'innovation. La France a toujours été un pays de recherche et d'innovation, il faut qu'elle le reste !
M. Rémy Pointereau. - Le glyphosate a été une véritable révolution pour le monde agricole : le principe de Sully « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » a longtemps présidé à l'agriculture, mais il appauvrissait le sol. C'est la raison pour laquelle le glyphosate a été mis sur le marché : premier désherbant total du sol sans rémanence sur le terrain, qui est immédiatement ré-ensemençable, il est également utilisable dans les vignes. C'était une véritable innovation ! Mais sa composition a évolué : c'est peut-être un point que nous devons étudier.
Le glyphosate permet des économies d'énergies, ce qui s'inscrit parfaitement dans les objectifs de la COP23, et est gage de compétitivité pour les agriculteurs, puisqu'il leur permet de consommer moins de carburant... Autant de points positifs qui viennent contrebalancer des études controversées !
Et attendant d'être définitivement fixés sur la dangerosité du produit, et en l'absence de produits de substitution, évitons la surtransposition ! Nous allons, une fois de plus, mettre nos agriculteurs en difficulté. Soit le produit est dangereux, et il faut alors interdire immédiatement et globalement son utilisation ; soit il ne l'est pas, et nous pouvons alors attendre que les scientifiques trouvent une alternative avant de prendre une décision qui aura un impact conséquent sur une agriculture française déjà en perte de vitesse.
M. Frédéric Marchand. - Je pense pour ma part que nous pouvons avoir une agriculture compétitive sans que le glyphosate en soit l'alpha et l'oméga.
A travers les deux sujets que nous venons d'évoquer, la COP23 et le glyphosate, nous avons souligné toutes les contradictions qui agitent aujourd'hui la société. On ne peut pas reprocher au gouvernement à la fois de faire montre de volontarisme et de pédagogie sur un sujet aussi fracturant que le glyphosate, et qualifier sa décision de posture ! On entend que la France n'est rien sans ses partenaires européens : ce n'est pas une raison pour qu'elle se mette systématiquement au diapason... Le gouvernement dit les choses et prend ses responsabilités : je trouve cela positif.
Mme Angèle Préville. - Je suis tout à fait d'accord avec Frédéric Marchand : je suis perplexe sur le sujet. En tant que professeur de chimie, j'estime qu'un herbicide est un poison capable de tuer la vie. L'utiliser n'est donc pas anodin : diffusé dans la nature, il a forcément un impact !
Nous avons tout intérêt à essayer de nous passer de ces produits à l'avenir, car ils pénètrent nos organismes avec des conséquences multiples et pas toujours évidentes à mettre au jour. Les molécules que l'on retrouve dans différents organes et qui ne devraient pas y être provoquent des irritations qui, à leur tour, entraînent des dérèglements que l'on appelle communément « cancers ».
M. Didier Mandelli. - Nos échanges montrent bien la complexité du sujet. Et j'ai peur que dans cinq ans nous en soyons toujours au même point... Le Parlement n'a pas eu son mot à dire sur la décision qui a été prise, arbitrage délicat entre Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, et Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Je partage l'avis de Rémy Pointereau : si le produit se révèle mauvais, il faut immédiatement arrêter de l'utiliser, ou du moins prévoir à moyen terme l'interdiction de l'utiliser ; soit les effets néfastes ne sont pas démontrés, et alors il faut prolonger son autorisation de mise sur le marché pour 10 ans. La position à tenir me paraît relativement simple ! Les études existent, même si certaines sont contradictoires, et il faut avoir le courage politique de trancher la question.
Mme Nicole Bonnefoy. - Certains risques liés au glyphosate peuvent découler d'un accident : je pense que tout le monde a entendu parler du cas de Paul François, agriculteur de Charente, empoisonné en respirant un herbicide. Il a eu les plus grandes difficultés à faire reconnaître la responsabilité de Monsanto dans sa maladie, et il continue son combat : même lorsque l'accident est avéré, il est très compliqué d'établir les responsabilités.
D'autres risques, très importants, sont « invisibles » : leur matérialité n'est établie que lorsque se manifestent les effets de l'exposition, qui peuvent intervenir des décennies plus tard. Une étude du ministère du Travail, menée en 2005, estimait que 2,3 millions de salariés étaient professionnellement exposés à des produits cancérogènes, et près d'un tiers d'entre eux ne disposait d'aucune protection collective contre les risques engendrés par ces produits chimiques ! On n'est pas au bout de nos peines...
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir fait en sorte que la commission se saisisse de ce sujet polémique, médiatique, et donc politique. Que le Gouvernement affiche son volontarisme : très bien ! Mais n'essayons pas de déguiser ce qui n'est qu'un arbitrage politique entre deux ministres sous des arguments scientifiques. La commission, en se saisissant de ce sujet, peut également étudier les dégâts collatéraux de cette décision : cela me paraît tout à fait opportun.
M. Pierre Médevielle. - Monsieur Bigot, je partage votre constat : plusieurs approches du dossier « Glyphosate » sont possibles. Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous nous sommes concentrés sur l'aspect santé - c'est d'ailleurs cet aspect, à mon avis, qui explique la position de l'Italie, qui a reconnu la dangerosité de la substance... Dans certains pays d'Asie qui utilisent massivement le glyphosate, et où l'eau n'est pas filtrée, les populations courent de graves dangers. Cependant, avec un usage modéré sur des sols normaux, les limites maximales de résidus sont tout à fait acceptables.
Le modèle agricole est un sujet profondément sociétal. Soyons réalistes : les prévisions démographiques ne nous permettront pas de revenir à l'agriculture de nos grands-parents ! On peut chercher des solutions plus propres, mais le retour en arrière me paraît tout à fait fantaisiste.
Madame Cartron, il est vrai qu'en tant que parlementaires, nous portons une lourde responsabilité dans certains votes. Les décisions prises à Bruxelles le sont sur la base d'arguments scientifiques solides : même si la science ne fait pas tout, elle reste un point essentiel. Notre pays est trop souvent manichéen : d'un côté le grand méchant semencier américain et le méchant agriculteur pollueur, de l'autre le gentil consommateur empoisonné... et systématiquement s'ensuit une présomption de culpabilité ! C'est trop simpliste. L'Agence européenne, dans son examen du glyphosate, s'est appuyée sur des arguments et des études qui, paradoxalement, viennent d'outre-Atlantique. Sous l'autorité de Laura Beane, le National Cancer Institute a mené pendant vingt ans une étude sur pas moins de 54 000 agriculteurs. Aucune propriété cancérogène du glyphosate n'a pu être démontrée à cette occasion. Cette étude a été validée par les épidémiologistes de l'Inserm, mais également par l'Anses et les agences européennes. Aujourd'hui, je pense que l'on peut dire que l'on a fait fausse route !
L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, même si un manque de moyens évident ne lui permet pas d'être aussi réactif qu'on le souhaiterait sur ce type de dossiers, doit jouer ce rôle d'interface entre le monde scientifique et le monde politique. Cette structure publiera prochainement un rapport sur le glyphosate. Quelles alternatives chimiques à cette substance ? Hélas, aujourd'hui, il n'y en a pas !
Mme Nicole Bonnefoy. - Ou s'il y en a, on ne le sait pas...
M. Pierre Médevielle. - S'il y en avait, on le saurait ! Deux substances à base de sulfate de fer ont été un temps considérées comme des alternatives potentielles, mais économiquement, cette solution n'est pas viable. Je le répète, ce marché représente 8 milliards d'euros : s'il y avait une solution, les industriels se dépêcheraient de la trouver !
Monsieur Cornu, je partage votre point de vue sur la décision du président de la République : j'ai longuement échangé avec Stéphane Travert, il m'a dit avoir approuvé cette durée de 3 ans plus par discipline gouvernementale que par conviction personnelle. C'est donc une position originale, une « posture », comme dirait Frédéric Marchand, qui ne s'appuie sur aucun argument scientifique. C'est bien ce qui me dérange ! La commission des Affaires européennes doit d'ailleurs prochainement rencontrer le ministère de la transition écologique et solidaire pour aborder ce dossier.
Si le glyphosate a été une révolution, je crois qu'il faut continuer d'évaluer ses impacts sur l'environnement, en particulier sur les milieux aquatiques. Peut-être faudra-t-il installer des bandes de protection ? Sachez tout de même que cette solution, si elle était retenue, représenterait par exemple un surcoût de 30 millions d'euros pour la SNCF.
Madame Préville, vous avez raison : l'herbicide est un produit dangereux. Il tue. Il fait partie intégrante du modèle agricole, et nous n'avons pas de solution miracle. Mais si l'on arrêtait l'utilisation de tous les pesticides, la situation serait catastrophique ! Cultures ravagées, invasions... Ce sont des substances chimiques, mais la chimie est présente partout dans l'alimentation : il y a les colorants, les conservateurs, les engrais. Elle fait donc partie de notre quotidien ! L'agriculture biologique est une solution alternative bienvenue et à encourager, mais sa production, limitée, ne permet pas encore de nourrir tout le pays. On sait que nous sommes créateurs de la plupart des cancers, mais l'épidémiologie a permis de faire progresser l'espérance de vie.
Monsieur Mandelli, je pense qu'au cours des cinq prochaines années, d'autres rapports seront publiés sur le sujet, d'autres méthodes d'épandage et d'autres excipients auront peut-être été testés - du moins je l'espère ! Désormais, tous les industriels travaillent sur la recherche de nouveaux produits : c'est un marché mondial important.
Déplacement à Bruxelles sur le thème des transports et de l'environnement - Communication
M. Hervé Maurey, président. - Une délégation de la commission s'est rendue à Bruxelles, vendredi 8 décembre, pour des rencontres sur le thème des transports et de l'environnement. J'étais accompagné, pour ce déplacement, de Joël Bigot, Jean-Pierre Corbisez, Guillaume Gontard et Frédéric Marchand.
Ce déplacement a été très utile pour faire le point sur les nombreux sujets d'actualité européens dans le domaine des transports. Nous avons rencontré le conseiller de la représentation permanente de la France à Bruxelles en charge des transports, le directeur de cabinet du Commissaire en charge de l'environnement, des affaires maritimes et de la pêche, M. Karmenu Vella, le directeur-adjoint de cabinet de la Commissaire en charge de la mobilité et des transports, Mme Violeta Bulc, une conseillère du cabinet du Commissaire à l'énergie et au climat, M. Arias Cañete, enfin des représentants de la Communauté européenne du rail, qui regroupe des entreprises du secteur ferroviaire.
Je voudrais d'abord évoquer le quatrième paquet ferroviaire, qui a été adopté définitivement à la fin de l'année 2016 et prévoit la libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs. Il y a eu, en France, des divergences d'appréciation sur les échéances de cette libéralisation pour les services conventionnés (en France, les TER et les TET), qui font l'objet d'un financement public. Les services de la Commission européenne nous ont confirmé - et c'est important - que les autorités compétentes en matière de transport devraient au moins avoir la possibilité d'ouvrir leurs services ferroviaires à la concurrence à partir du 3 décembre 2019 - ce qui nécessite une modification de notre droit national, puisque SNCF Mobilités est pour l'instant en situation de monopole.
Jusqu'en 2023, les autorités compétentes pourront néanmoins continuer à attribuer directement leurs contrats de service public - dans les États membres qui l'autoriseront dans leur législation. Après cette date, il ne leur sera plus possible d'y déroger, sauf dans les différents cas énumérés par le règlement européen, et sous réserve, encore une fois, que les États membres l'inscrivent dans leur droit national.
Dans la proposition de loi que Louis Nègre et moi avons déposée à ce sujet, nous n'avons repris aucune de ces dérogations, car je défends le principe d'une ouverture à la concurrence la plus complète possible. Elle me semble en effet nécessaire pour faire baisser les coûts du transport ferroviaire et améliorer la qualité du service rendu, au profit des usagers.
En ce qui concerne les services commerciaux - les TGV -, cette libéralisation devra être prévue par la loi à partir du 1er janvier 2019, pour une application effective à partir du 14 décembre 2020, soit au début de l'horaire de service 2021.
À l'heure actuelle, des débats ont lieu sur les actes d'exécution de cette réforme, en particulier sur la notion d'atteinte à l'équilibre économique du contrat de service public permettant à une autorité organisatrice d'obtenir l'interdiction d'un service effectué en open access, c'est-à-dire librement et sans financement public : je rappelle que le principe fixé par le droit européen est d'autoriser tous les services ferroviaires, tant qu'ils ne remettent pas en cause l'équilibre d'un contrat de service public existant.
D'autres sujets propres au système ferroviaire français sont suivis de près par la Commission européenne : l'architecture du groupe public ferroviaire, qui réunit le gestionnaire d'infrastructure et l'exploitant historique des services de transport ; le statut d'établissement public industriel et commercial (Epic) ; et la question de la dette.
Dans le domaine du transport routier, et, de façon plus générale, des mobilités, la Commission a présenté cette année deux initiatives : le paquet « routier », publié le 31 mai 2017 et le paquet « mobilité propre », datant du 8 novembre 2017, qui est donc extrêmement récent.
Le paquet routier comporte plusieurs éléments : une révision des règles d'accès au marché du transport international de marchandises, dont les règles sur le détachement ; une révision de la directive « Eurovignette », qui fixe les règles applicables en matière de tarification des infrastructures routières et une proposition de règlement sur les émissions de CO2 et la consommation de carburant des véhicules utilitaires lourds.
Nous nous sommes en particulier penchés sur la directive « Eurovignette », dans la mesure où les sujets qu'elle soulève font directement écho aux débats que nous avons en ce moment dans le cadre des Assises de la mobilité et du Conseil d'orientation des infrastructures dans lequel nous sommes plusieurs à siéger : faut-il avoir recours à un système de vignette ou à une redevance kilométrique comme l'écotaxe ? Comment internaliser les externalités négatives du transport routier ? La Commission européenne avait le projet d'interdire, à terme, le recours aux vignettes, mais plusieurs États membres, dont la France, souhaitent garder la possibilité de choisir entre les deux systèmes.
L'ensemble des questions posées par cette réforme est passionnant. Mais nous avons compris qu'elle ne serait pas à l'ordre du jour de la présidence bulgare du Conseil de l'Union européenne, qui sera effective au premier semestre de l'année 2018. En revanche, elle pourrait être abordée lors de la deuxième partie de l'année 2018, lors de la présidence autrichienne. Nous nous sommes aussi rendu compte que l'échéance de 2019, avec les élections européennes et le renouvellement de la Commission, était déjà très présente.
Le paquet « mobilité propre » a, quant à lui, pour objet la décarbonation des transports. Il comporte une proposition de révision de la directive sur les véhicules propres, qui précise cette notion et les mesures d'incitation à prévoir dans les marchés publics ; une proposition de révision de la directive sur le transport combiné de marchandises ; une proposition de révision de la directive sur le transport par autobus et autocar ; un plan d'action pour le déploiement d'infrastructures pour les carburants alternatifs et une proposition législative sur les émissions de CO2 des véhicules légers et des camionnettes. Dans la mesure où ce paquet a été présenté très récemment, l'agenda des négociations est encore très incertain, mais la France s'implique dans ce domaine, notamment sur les véhicules propres. Un sujet a néanmoins suscité une levée de boucliers de la part des États membres : la libéralisation du transport par autocar. La Commission européenne souhaitait aller très loin, en envisageant d'autoriser toute entreprise à proposer des services de transport par autocar, sans condition d'établissement dans le pays concerné.
Dernière question dans le domaine des transports : les émissions de polluants atmosphériques des véhicules, qui sont un enjeu pour la qualité de l'air. Les plus anciens d'entre nous se souviennent de la communication qu'avait fait notre collègue Louis Nègre à ce sujet, à la suite de l'« affaire Volkswagen ». Il avait notamment évoqué la présentation, par la Commission européenne, d'un nouveau règlement censé en tirer les conséquences. Nous avons appris lors du déplacement qu'un accord final sur ce règlement avait été trouvé la veille, le 7 décembre, en trilogue, après deux ans de négociations. Il n'y aura pas, comme cela avait été évoqué, d'agence européenne de surveillance du marché automobile, mais les contrôles seront bien renforcés. Par exemple, des contrôles réguliers seront effectués sur les véhicules déjà commercialisés. La Commission pourra en outre infliger des amendes en cas d'infractions.
Enfin, nous avons fait le point, avec le directeur de cabinet du Commissaire à l'environnement, sur la finalisation imminente d'un accord sur le paquet « déchets - économie circulaire » présenté par la Commission en décembre 2015. Les services nous ont annoncé que la Commission européenne lancerait prochainement une initiative sur les plastiques pour accompagner cette réforme.
Vous l'aurez compris, l'actualité est riche à Bruxelles sur les sujets suivis par notre commission et je me réjouis que nous ayons pu échanger sur place avec les différents acteurs concernés. J'ai bien l'intention de poursuivre ce travail de veille et d'aller plus loin dans nos échanges avec les institutions européennes.
M. Joël Bigot. - Je reviens sur le paquet « déchets - énergie circulaire ». Nous sommes en train de changer de paradigme : pendant un temps, nous avons visé le « zéro déchets », mais nous savons désormais que ce n'est pas possible. Nous cherchons donc à avoir une action en amont, sur la responsabilité élargie des producteurs.
L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en décembre 2019 va avoir nombre de conséquences pour notre pays. Des marchés vont être attribués et un certain nombre de sujets doivent être traités : les matériels, les voies, etc. En tant que commission de l'aménagement du territoire, nous devrons réfléchir à la façon de transposer cette libéralisation, pour faire en sorte que l'ensemble des territoires soient desservis. Si nous libéralisons en open access, certaines lignes seront très sollicitées, et d'autres beaucoup moins. Il faudra sans doute les regrouper dans des paquets. Nous avons appris que certaines régions ont déjà pris des contacts à Bruxelles pour préparer l'attribution des marchés.
Devront être traités : l'entretien des voies, la gestion des gares, qui deviennent aussi des lieux commerciaux et culturels, ainsi que, surtout, le volet social. Les personnels qui travaillent aujourd'hui à la SNCF seront demain dans d'autres entreprises. Avec quel statut ? Il va y avoir beaucoup de sujets importants à traiter, le volet social n'étant pas le moindre.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Ce déplacement a été une belle leçon sur le plan civique, pour connaître les différentes institutions européennes. Nous avons vu qu'en fonction du pays qui préside, certains sujets peuvent aller plus vite ou être freinés. Avant l'arrivée de l'Autriche, on risque de ne pas beaucoup avancer sur le transport routier.
En ce qui concerne l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, il faudra veiller à ne pas reproduire ce qui s'est passé pour la fibre optique. Le privé s'était rué sur les zones très rentables, en laissant les autres. Il faudra peut-être faire des paquets, pour que la notion de service public soit maintenue.
Nous avons perçu un engagement dans la lutte contre les polluants atmosphériques émis par les véhicules. Il serait très utile que les Commissaires européens puissent venir nous rencontrer pour que nos collègues puissent aussi s'informer. Au Sénat, nous pouvons être le relais de ces politiques.
M. Frédéric Marchand. - Je remercie le Président pour cette initiative qui fait partie de la formation accélérée des nouveaux sénateurs que nous sommes sur des sujets très techniques. Les rencontres avec les différents interlocuteurs ont mis en lumière certaines contradictions internes aux belles idées européennes. Quand on regarde par exemple les positions défendues sur le paquet ferroviaire, on s'aperçoit que certains pays ont mieux tiré leur épingle du jeu que d'autres, et que certains ont fait preuve de davantage de volontarisme que d'autres.
Comme le disait mon collègue, et je crois que vous y êtes aussi favorable, Monsieur le Président, l'organisation d'auditions ou de tables rondes avec les institutions européennes permettrait d'aller encore plus loin. Nous avons beaucoup appris lors de ce déplacement, et devons être en phase sur ces questions de dessertes de transport qui sont aussi et avant tout des problématiques d'aménagement du territoire.
M. Olivier Jacquin. - En ce qui concerne le ferroviaire, un temps politique est ouvert. Les Assises de la mobilité se concluent aujourd'hui. Il faut s'inscrire dans ce calendrier et même l'anticiper. Vous avez présenté un certain nombre de choses, Monsieur le Président, sous l'angle de la libéralisation la plus large possible. La question qui se pose est de savoir comment proposer des services les plus efficaces à la population. Le très haut débit a été un dossier mal géré. Or nous avons pour l'instant un service de transport plutôt efficace en France. Raisonnons de façon à préserver cette efficacité.
M. Jérôme Bascher. - Veuillez excuser mon ignorance sur le sujet des transports, qui m'intéresse pourtant. L'ouverture à la concurrence s'effectuera-t-elle au niveau des régions ou des consommateurs ? Dans ce dernier cas, elle ne pourra pas fonctionner dans les zones saturées, comme sur le réseau francilien ou dans la partie Nord de la France.
M. Hervé Maurey, président. - Avec Louis Nègre, nous avons eu à coeur que la libéralisation soit positive pour l'usager, et qu'elle améliore le fonctionnement du système ferroviaire, qui n'est aujourd'hui pas optimal, avec des tarifs de plus en plus élevés et des prestations en matière de confort, de ponctualité et de sécurité qui laissent à désirer. Dans cette optique, nous ne sommes pas favorables à l'open access, que certains assimilent à une concurrence un peu sauvage, pour les services commerciaux - les TGV -, qui sont à distinguer des services conventionnés - les TER et les TET. Avec l'open access, il y a un risque avéré d'écrémage, si les concurrents de la SNCF se tournent vers les lignes les plus rentables, et délaissent les lignes moins rentables, voire les « bouts de lignes » des lignes rentables. Paris-Nice est rentable jusqu'à Marseille, mais faudra-t-il changer de train pour aller jusqu'à Nice ? La qualité de service risque d'être moindre pour les usagers, et des régions pourraient être encore plus mal desservies qu'aujourd'hui. Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous sommes dans la commission en charge de l'aménagement du territoire et j'y suis personnellement très attaché. Il n'y a pas une réunion du Conseil d'orientation des infrastructures, où je ne rappelle pas à ses membres qu'ils ont oublié de parler d'aménagement du territoire. Ce Conseil, composé de parlementaires, de représentants des collectivités territoriales et d'experts, est présidé par Philippe Duron, que nous entendrons en février, une fois que les travaux seront terminés. La semaine dernière, nous devions valider son rapport d'étape. Le terme d'aménagement du territoire n'était pas mentionné dans la synthèse, tout comme il ne figurait pas, lors de la première réunion du Conseil, parmi les critères de la grille d'appréciation des projets, ce que j'avais signalé. Je suis très vigilant à ce sujet et j'en ai parlé hier matin à la Ministre.
Il est très compliqué de faire venir les Commissaires européens, mais j'ai posé des jalons à l'issue de plusieurs entretiens. On m'a promis l'audition d'un Commissaire européen, peut être au premier semestre de l'année prochaine. J'ai découvert qu'ils viennent parfois à Paris, mais pensent plus à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Je ferai un courrier pour confirmer ces invitations.
En ce qui concerne l'ouverture à la concurrence, pour les services conventionnés, il y aura des appels d'offres qui conduiront une autorité organisatrice de transports -principalement les régions - à choisir la SNCF ou un autre prestataire, mais il n'y aura qu'un opérateur. Sur les lignes commerciales, il pourra en revanche y en avoir plusieurs, mais il faudra au préalable qu'ils aient obtenus des sillons, c'est à dire des créneaux de circulation sur le réseau. L'Arafer supervisera ce processus.
Désignation de rapporteurs
La commission a désigné M. Didier Mandelli rapporteur sur la proposition de loi n° 717 (2016-2017) relative au développement durable des territoires littoraux.
M. Hervé Maurey, président. - Il était prévu que la proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs soit inscrite dans l'espace réservé à mon groupe, le 31 janvier 2018. J'ai rencontré la ministre des transports Élisabeth Borne hier matin et à la suite de nos échanges, nous sommes convenus que nous attendrions les conclusions du travail mené par Jean-Cyril Spinetta, prévues pour la fin du mois de janvier. Pour compenser le fait qu'on accepte de renoncer à cet espace-là, la proposition de loi pourrait être inscrite dans un espace réservé au Gouvernement.
De surcroît, pour qu'elle soit totalement irréprochable sur le plan juridique, j'ai demandé au Président du Sénat de solliciter l'avis du Conseil d'État sur ce texte, ce qui me semble important au regard des sujets abordés : statut du personnel, conformité au droit européen, etc. On reproche souvent aux propositions de loi de ne pas avoir fait l'objet d'un avis du Conseil d'État et de ne pas être accompagnées d'études d'impact. Avec cette démarche, on conforte la qualité juridique de ce texte, mais je voudrais vous dire qu'il est quasi unanimement reconnu comme un texte de qualité et équilibré. Il n'a pas suscité de levée de boucliers. Il pourrait tout à fait servir de base au travail du Gouvernement.
Je suggère néanmoins qu'on nomme tout de suite son rapporteur, pour qu'il puisse commencer à travailler et ne soit pas obligé de le faire dans l'urgence.
La commission a désigné M. Jean-François Longeot rapporteur sur la proposition de loi n° 711 (2016-2017) relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
Questions diverses
M. Hervé Maurey, président. - Au titre des questions diverses, je voudrais vous faire un bref compte rendu de la dernière réunion du bureau de la commission.
Nous avons évoqué notre programme de contrôle pour l'année 2018. Je vous en donne les grandes lignes.
Nous allons d'abord intensifier les visites de terrain. D'abord en région parisienne, j'ai reçu des propositions de visites à la RATP, à l'Anses, au CNRS. Nous essaierons aussi, peut-être une fois par trimestre, d'aller en région. J'ai reçu une proposition de Mme Bories et une autre de Nicole Bonnefoy et Alain Fouché.
Dans notre mission figure aussi le contrôle de l'application des lois. Au premier semestre de l'année prochaine, nous pourrions travailler sur l'application de la loi de transition énergétique, en nous concentrant sur le volet territoires de cette loi. Au second semestre, nous pourrions nous intéresser à l'application de la loi biodiversité, avec notamment la mise en place des agences régionales de la biodiversité.
Par ailleurs, nous avons retenu la possibilité de mise en place de deux groupes de travail, l'un sur le thème intermodalité et territoires, le second sur un sujet de santé environnement. Néanmoins ces deux thématiques restent encore très générales et il faudrait certainement affiner le contenu précis de ce que nous voudrons approfondir dans chacun de ces groupes que je vous proposerai de mettre en place à la rentrée.
En bureau, nous avons également évoqué la question du renouvellement des 3 groupes d'études rattachés à notre commission. Le Bureau du Sénat a donné son feu vert à leur reconduction la semaine dernière. Vous recevrez dans les jours prochains des bulletins d'adhésion pour ces groupes qui sont, je le rappelle : le groupe d'études mer et littoral, le groupe d'études montagne et le groupe d'études économie circulaire, précédemment intitulé groupe d'études gestion des déchets.
Il est de tradition que ces groupes soient présidés par l'un des membres de la commission de rattachement. Les présidents seront Didier Mandelli pour le groupe économie circulaire, Michel Vaspart pour le groupe mer et littoral et Cyril Pellevat pour le groupe montagne.
Enfin, bien sûr nous organiserons un certain nombre d'auditions. Dès le mois de janvier, nous aurons le président d'Air France-KLM, M. Janaillac. Puis nous inviterons MM. Duron et Spinetta sur les travaux en cours sur la mobilité, Mme Buzyn sur les déserts médicaux, le nouveau commissaire général à l'égalité des territoires, le préfet Albertini, et d'autres encore.
Nous n'aurons pas de réunion de commission la semaine prochaine. Nous aurons seulement une rencontre entre les deux bureaux des commissions du développement durable de l'Assemblé nationale et du Sénat, ainsi que la CMP sur le projet de loi de ratification de deux ordonnances en matière environnementale.
Pour ceux que je ne verrai pas d'ici là, je vous souhaite donc de belles fêtes de fin d'année et vous indique que la prochaine réunion de commission se tiendra le 17 janvier 2018.
La réunion est close à 11 h 50.