Mercredi 8 novembre 2017

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 10 h10.

Dématérialisation des documents utilisés pour les réunions de commission - Communication

M. Philippe Bas, président. - Le bureau de la commission s'est réuni hier. Nous avons assisté à une démonstration de ce que pourra progressivement devenir la méthode de travail de la commission, à travers la dématérialisation de tous nos documents. La direction des systèmes d'information a élaboré une application qui nous permettra d'éviter de manipuler la version papier des textes, amendements, rapports et tableaux comparatifs. Cette application, appelée Démeter, très bien faite, est déjà accessible sur l'intranet du Sénat. Je vous rappelle la décision annoncée par le Président du Sénat de ne plus imprimer, sauf exception, nos rapports. Nous irons progressivement vers la dématérialisation complète, si l'application nous semble pratique, de l'ensemble des documents utilisés pour nos réunions, y compris les textes des projets et propositions de loi, les liasses d'amendements et les tableaux comparatifs, même si les documents sur support papier et les documents sur support électronique pourront coexister pendant un certain temps...

M. Pierre-Yves Collombat. - Il me semblait que l'on consultait avant de décider, et non l'inverse...

M. Philippe Bas, président. - J'ai été imprécis : la décision annoncée par le Président du Sénat concernant la dématérialisation des rapports est une décision d'expérimentation. La dématérialisation complète des documents utilisés pour les réunions de commission est, par ailleurs, expérimentée depuis plusieurs mois par nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

M. Simon Sutour. - C'est décidé et cela se fera. Je le regrette, il faudrait faire coexister les deux systèmes. Je me suis entretenu avec des collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ils me disent que c'est impossible de suivre les travaux de la commission. Nous ne sommes pas tous formés aux nouvelles technologies. Cela a l'avantage d'accélérer le rythme des réunions, mais ce sera certainement moins démocratique.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut vivre avec son temps. Il y a toute une série de documents que l'on peut recevoir en version dématérialisée. L'impression de 500 amendements pour la commission puis pour la séance par exemple, alors que ces amendements sont tous sur internet, n'est peut-être pas utile. Mais pour les rapports, il y a une vraie différence entre la version informatique et la version papier, qui est plus confortable à manipuler et à lire.

M. Jean Louis Masson. - Le Parlement est important dans la vie de la Nation. Si on n'a pas les moyens d'imprimer ces documents pour faciliter le travail des parlementaires, c'est un scandale. On fait des économies de bouts de chandelle et, d'un autre côté, on gaspille des sommes colossales, par exemple pour la serre des orchidées du jardin du Luxembourg ! Il est regrettable de mettre complètement de côté les parlementaires qui n'ont pas l'habitude de travailler avec l'informatique.

M. Philippe Bas, président. - Dans le processus d'expansion de la dématérialisation, il faudra tenir compte des méthodes de travail de chacun.

Mme Esther Benbassa. - Nous pouvons effectivement lire les amendements sur nos ordinateurs. Les rapports, eux, doivent rester en version papier, pour pouvoir circuler car la lecture de leur version dématérialisée est fastidieuse. On le voit avec les liseuses numériques, qui finalement ont un succès relatif.

M. François Grosdidier. - Le Sénat doit être exemplaire. Il y a un immense gaspillage de papier, cela fait longtemps que cette réforme aurait dû avoir lieu. On n'a pas tous la même maîtrise du numérique. Je comprends le mécontentement des usagers qui ne maîtrisent pas les nouvelles technologies et qui aujourd'hui y sont soumis, avec les demandes de cartes nationales d'identité par exemple. Mais je connais des parlementaires âgés qui connaissent très bien ces technologies. Et nous avons tous des collaborateurs, qui eux-mêmes les connaissent aussi bien. En revanche, je rejoins mes collègues sur la question des rapports.

M. François Bonhomme. - Le papier n'est pas remplaçable. Il permet de revenir en arrière, d'annoter, de conserver. Il est dommage de passer d'une étape à l'autre sans transition.

Mme Sophie Joissains. - La valeur d'un parlementaire ne se juge pas à sa maîtrise des nouvelles technologies. Il est important de conserver dans nos bibliothèques les rapports en version papier, et il nous faut une période de transition.

M. Éric Kerrouche. - Le Sénat ne doit pas se caricaturer lui-même. Pour avoir mis en place à plusieurs reprises la gestion dématérialisée de documents, je peux vous dire que c'est une question d'apprentissage, ce n'est pas une difficulté. Dans le domaine scientifique, l'ensemble des chercheurs travaillent sur des documents dématérialisés, quel que soit leur âge. En revanche, certains documents substantiels, comme les rapports, doivent pouvoir être conservés en version papier. Les solutions doivent être complémentaires.

M. Philippe Bas, président. - Je retiens qu'il faut donner sa chance à la dématérialisation, en lui permettant de coexister avec le papier. Nous serons nombreux à être progressivement séduits si l'outil répond à nos attentes. Et je constate un attachement certain à la version papier de nos rapports.

Missions d'information de la commission - Désignation de rapporteurs

M. Philippe Bas, président. - Un autre sujet a été abordé au cours de la réunion du bureau de la commission qui s'est tenue hier. En effet, de nombreuses propositions de mission d'information y ont été formulées par les représentants des groupes. Nos travaux comprendront un groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, dont le rapporteur, Mme Marie Mercier, et les autres membres ont été désignés le 25 octobre dernier. Ce groupe de travail qui comprend, outre son rapporteur, un membre de chaque groupe, se réunira d'ailleurs cet après-midi pour déterminer son programme de travail ; peut-être son périmètre exact pourrait-il être élargi ? Notre collègue Patrick Kanner, par le dépôt d'un amendement à la proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, avait souhaité susciter un débat sur ce sujet des infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs. Son amendement avait été déclaré irrecevable car il était dépourvu de lien avec le texte de la proposition de loi mais il a eu le mérite, s'agissant d'un sujet sensible, d'entrainer la constitution de ce groupe de travail.

Mme Marie Mercier. - Nous nous réunissons effectivement aujourd'hui et je remercie la commission de nous laisser éventuellement élargir le périmètre des travaux du groupe.

M. Philippe Bas, président. - Notre bureau a donc arrêté le programme de nos travaux de contrôle, avec deux types de travaux : des missions d'information classiques, menées par un rapporteur de la majorité sénatoriale et un rapporteur membre d'un groupe d'opposition ou d'un groupe minoritaire, et des missions au long cours, composées d'un rapporteur et d'un membre de chaque groupe, une première sur le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, une seconde sur le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les auditions des différentes missions d'information seront ouvertes à tous les membres de la commission des lois.

Concernant la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, je rappelle qu'elle avait été lancée compte tenu du nombre important de réformes concernant les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale menées ces dernières années, parmi lesquelles on peut citer la loi MAPTAM, la loi NOTRe, la loi sur les communes nouvelles ainsi que de récentes dispositions législatives sur l'organisation territoriale de l'État. La mission qui avait été constituée comprenait les rapporteurs de ces différents textes, MM. Jean-Jacques Hyest, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier. Pour assurer la continuité du contrôle et du suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, M. Mathieu Darnaud, qui avait succédé à M. Jean-Jacques Hyest pour les lois MAPTAM et NOTRe, pourrait devenir rapporteur de la mission ainsi renouvelée. Rappelons que les travaux de la précédente mission avaient débouché sur deux propositions de loi dont celle relative au maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes, adoptée par le Sénat et actuellement examinée à l'Assemblée nationale. Je propose donc que M. Mathieu Darnaud soit désigné rapporteur et je demande à chaque groupe de bien vouloir faire connaitre au service de la commission des lois, avant le 15 novembre prochain, celui ou celle de ses membres qui sera désigné pour faire partie de la mission.

M. Mathieu Darnaud est nommé rapporteur de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale.

Il existe une deuxième mission dont nous allons, d'une certaine manière, prolonger les travaux : le comité qui avait été créé pour assurer un suivi du régime de l'état d'urgence, dont M. Michel Mercier, là aussi, était rapporteur. Le bureau de la commission a décidé de prolonger ces travaux par un contrôle et un suivi de la mise en oeuvre de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui traduit une évolution du droit commun après la fin du régime de l'état d'urgence. Cette mission nous permettra, là aussi, d'obtenir du Gouvernement des éléments sur l'usage qu'il fait de ses nouvelles prérogatives, ce qu'il a d'ailleurs d'ores et déjà commencé à faire. Nous aurons donc l'occasion, de manière éclairée, de nous prononcer de nouveau, dans trois ans, sur le maintien ou non dans notre droit commun des quatre mesures les plus restrictives de liberté introduites par cette loi, ces mesures tombant dans trois ans. Je vous propose, là aussi, de désigner un rapporteur, il pourrait s'agir de M. Marc-Philippe Daubresse, et un représentant de chaque groupe. Je demande à chaque groupe de bien vouloir faire connaitre au service de la commission des lois, avant le 15 novembre prochain, celui ou celle de ses membres qui sera désigné pour faire partie de la mission.

M. Marc-Philippe Daubresse est nommé rapporteur de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Le bureau de la commission propose par ailleurs la création de missions d'information plus classiques, composées de deux rapporteurs.

Nous pourrions d'abord créer une mission consacrée à la responsabilité civile, avec pour rapporteurs MM. François Pillet et Jacques Bigot.

MM. François Pillet et Jacques Bigot sont nommés rapporteurs de la mission d'information sur la responsabilité civile.

Notre commission pourrait également s'intéresser à la justice prud'homale, en commun avec la commission des affaires sociales. Chacune de nos deux commissions désignerait deux rapporteurs. Je vous propose de nommer Mmes Agnès Canayer et Nathalie Delattre pour la commission des lois.

Mmes Agnès Canayer et Nathalie Delattre sont nommées rapporteurs de la mission d'information sur la justice prud'homale.

Nous pourrions également créer une mission d'information sur le vote électronique, dont Mme Jacky Deromedi pourrait être l'un des deux rapporteurs, aux côtés d'un membre d'un groupe d'opposition ou d'un groupe minoritaire.

Mme Jacky Deromedi est nommée rapporteur de la mission d'information sur le vote électronique.

Mme Sophie Joissains. - Je vous informe, à sa demande, qu'Yves Détraigne est intéressé pour être l'autre rapporteur de cette mission.

M. Philippe Bas, président. - Nous en prenons bonne note, même s'il nous faudra trancher en cas de pluralité de candidatures à une même fonction de rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il est important que ce soit les groupes qui proposent ces candidatures aux fonctions de rapporteur.

M. Philippe Bas, président. - Tout à fait. Une autre mission serait consacrée au handicap dans la fonction publique. Mme Catherine Di Folco pourrait en être l'un des deux rapporteurs, aux côtés d'un membre d'un groupe d'opposition ou d'un groupe minoritaire.

Mme Catherine Di Folco est nommée rapporteur de la mission d'information sur le handicap dans la fonction publique.

M. Philippe Bas, président. - Enfin, une mission serait consacrée à la thanatopraxie. M. Jean-Pierre Sueur pourrait en être l'un des deux rapporteurs, aux côtés d'un membre de la majorité sénatoriale.

M. Jean-Pierre Sueur. - Si mon groupe le veut bien...

M. Jean-Pierre Sueur est nommé rapporteur de la mission d'information sur la thanatopraxie.

M. Philippe Bas, président. - Toutes ces missions d'information débuteront prochainement leurs travaux. Nous désignerons les autres rapporteurs lors de notre prochaine réunion, je demande donc aux groupes de bien vouloir faire connaitre les candidatures au service de la commission des lois. Nous pourrions lancer un peu plus tard, à partir de février 2018, une mission d'information sur les conséquences des décisions juridictionnelles sur la surpopulation carcérale, dont le libellé devra être précisé, et une mission sur les évolutions du droit local alsacien-mosellan, à laquelle nous consacrerons dans un premier temps une matinée d'auditions en commission.

M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut veiller au bon équilibre entre les groupes. Il y a sept groupes. Chacun doit avoir une place conforme à son effectif, dans la bonne harmonie.

Nos amis députés ont visité lundi une trentaine de prisons, faisant en cela usage d'un droit pour les parlementaires. La question des conditions de détention est un sujet sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé. Nous tenons beaucoup à ce thème.

M. Jean Louis Masson. - Vous choisissez les rapporteurs parmi les membres des groupes. Quid des non inscrits ?

M. Philippe Bas, président. - Il existe beaucoup d'avantages, mais aussi quelques inconvénients, au fait d'être non inscrit. La bonne voie consisterait à participer aux auditions d'une mission d'information, pour avoir le même degré d'information que les rapporteurs, sans pour autant être formellement rapporteur.

Mme Brigitte Lherbier. - Dans les réflexions sur la surpopulation carcérale, il faut penser aux mesures alternatives à l'emprisonnement, comme les travaux d'intérêt général.

Proposition de loi tendant à garantir la représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Depuis la Révolution française, jamais la France n'a connu un mouvement aussi important de regroupement de communes, que j'ai qualifié de « révolution silencieuse » dans un rapport d'information dont j'étais rapporteur avec notre collègue Christian Manable au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

En 2015 et 2016, 517 communes nouvelles ont été créées, contre moins de 800 entre 1971, année de l'adoption de la loi « Marcellin », et 2010, année de l'adoption de la loi de réforme des collectivités territoriales. Ces 517 communes nouvelles sont issues de la fusion de 1 760 communes et de l'implication de près de 24 000 élus locaux. L'Association des Maires de France recense encore plus de 90 projets actuellement en cours, impliquant 230 communes.

Cette révolution silencieuse témoigne de la vitalité des communes, de leur capacité à évoluer, du sens des responsabilités des élus locaux pour garantir l'efficacité des services publics mais aussi la nécessaire proximité que la population appelle de ses voeux.

Au moins trois facteurs peuvent expliquer cette évolution importante. Tout d'abord, la création de communes nouvelles procède d'une démarche volontaire des élus, désireux de bâtir ensemble un projet commun au service de leurs concitoyens. Ensuite, elle est facilitée par la souplesse du régime juridique mis en place en 2010, ajusté en 2015 et 2016, qui permet d'adapter la commune nouvelle à la réalité locale en conservant, par exemple, les communes historiques sous le statut de « communes déléguées », avec la désignation d'un maire délégué, l'existence éventuelle d'un conseil de la commune déléguée et, enfin, la présence d'une mairie de la commune déléguée. Enfin, elle est encouragée par un pacte financier qui garantit la stabilité de leur dotation globale de fonctionnement et dont le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la reconduction au bénéfice des communes nouvelles créées entre le 2 janvier 2017 et le 1er janvier 2019.

2020 marquera une étape importante pour la plupart des communes nouvelles, avec le premier renouvellement général de leurs conseils municipaux. Ce dernier se traduira par une diminution, parfois brutale, du nombre des élus des communes nouvelles. En effet, pour faciliter la création de communes nouvelles, le législateur a mis en place un régime dérogatoire au droit commun permettant d'augmenter, à titre transitoire, l'effectif des conseils municipaux des communes nouvelles et, ainsi, aux élus des communes historiques d'y siéger. Au cours de la période transitoire entre la création de la commune nouvelle et le renouvellement suivant du conseil municipal, le conseil municipal de la commune nouvelle est composé de l'ensemble des conseillers municipaux des anciennes communes, si leurs conseils municipaux le décident par délibérations concordantes prises avant la création de la commune nouvelle. Puis, entre le premier renouvellement et le deuxième renouvellement consécutifs à la création de la commune nouvelle, le conseil municipal de la commune nouvelle comporte un nombre de membres égal à celui prévu pour une commune appartenant à la strate démographique immédiatement supérieure. Enfin, à l'issue du deuxième renouvellement consécutif à la création de la commune nouvelle, le nombre des membres du conseil municipal de la commune nouvelle est celui de la strate démographique à laquelle appartient la commune nouvelle, intégrant ainsi le droit commun.

La baisse de l'effectif des conseils municipaux des communes nouvelles sera particulièrement sensible dans celles qui regroupent de nombreuses communes déléguées, avec une diminution de l'effectif de leur conseil municipal pouvant parfois atteindre 70 %. À titre d'exemple, le conseil municipal de la commune nouvelle de La Hague (Manche), issue du regroupement de dix-neuf communes transformées en communes déléguées avec une population de 11 840 habitants, compte aujourd'hui 234 conseillers municipaux. Ce nombre devrait diminuer à 35 en 2020 - soit une baisse de 85 % - puis à 33 en 2026.

Cette baisse parfois brutale de l'effectif des conseils municipaux des communes nouvelles, souvent qualifiée « d'échafaud des élus locaux », suscite des inquiétudes compréhensibles aussi bien chez les élus qui ont mis en place des communes nouvelles que chez ceux qui envisagent de le faire.

Ces inquiétudes se sont notamment exprimées lors des premières assises nationales des communes nouvelles organisées par l'Association des Maires de France le 12 octobre dernier : crainte d'une représentation insuffisante de certaines communes déléguées au conseil municipal de la commune nouvelle, risque de ne pas pouvoir créer un conseil de la commune déléguée, voire d'une disparition de cette dernière, prise en compte insuffisante des aspirations de ses habitants.

Elles ont conduit notre collègue sénateur de la Lozère Alain Bertrand et plusieurs de nos collègues à présenter la proposition de loi n° 620 (2016-2017) tendant à garantir la représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles, qui a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat réservé au groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen du mercredi 22 novembre 2017. L'article unique de cette proposition de loi tend à apporter une triple modification au régime des communes nouvelles de 1 000 habitants et plus ayant conservé des communes déléguées.

Tout d'abord, la proposition de loi tend à prévoir une nouvelle obligation applicable aux listes de candidats aux élections municipales organisées dans ces communes : chaque liste devrait, en plus de l'obligation de parité et de complétude de la liste, comporter des candidats résidant dans chaque commune déléguée, selon des modalités fixées en décret en Conseil d'État. La condition de résidence s'apprécierait au moment de l'élection.

Il me semble que cette nouvelle obligation aurait pour conséquence de rigidifier la constitution des listes électorales dans les communes nouvelles composées d'un nombre important de communes déléguées, sans garantir pour autant une représentation de chaque commune déléguée au sein du conseil municipal de la commune nouvelle. En effet, dans les communes composées de plusieurs communes déléguées et dans lesquelles plusieurs listes seraient en lice, il n'est pas certain que chaque commune déléguée puisse être représentée par un candidat élu, en particulier ceux en fin de liste. Par ailleurs, dans certains cas, il n'y aurait pas assez de sièges à pourvoir pour assurer la représentation de l'ensemble des communes déléguées. Ce serait le cas, par exemple, d'une commune nouvelle composée de seize communes mais dont le conseil municipal compterait seulement quinze conseillers. La disposition proposée ne serait donc opérante que dans les communes nouvelles ayant un nombre limité de communes déléguées, c'est-à-dire deux ou trois. Enfin, on peut penser que, spontanément, sans qu'une loi soit nécessaire, les élus chercheront à présenter des listes qui assureront une représentation de l'ensemble des communes déléguées, afin d'augmenter leurs chances de remporter la majorité des suffrages.

La deuxième modification tend à prévoir que tout conseiller municipal soit remplacé par le suivant de liste résidant dans la même commune déléguée et non par le premier suivant de liste comme c'est le cas aujourd'hui, la résidence s'appréciant au moment de l'élection. L'objectif de cette disposition est d'assurer une représentation continue d'une commune déléguée sur toute la durée du mandat.

Cette modification soulève toutefois au moins deux difficultés d'ordre pratique. D'une part, elle limite fortement les possibilités de remplacement en cas de vacance, ce qui obligerait, alors même qu'une liste de candidat ne serait pas totalement épuisée, à organiser des élections partielles. D'autre part, la proposition de loi est muette dans les cas où une liste ne comporterait aucun candidat supplémentaire résidant dans la même commune déléguée. C'est une vraie difficulté. On peut imaginer que les dispositions de droit commun s'appliqueraient, ce qui ne permettrait pas alors de répondre à l'objectif de représentation des communes déléguées. Ce cas d'espèce n'est pas théorique : l'abaissement à 1 000 habitants du seuil d'application de l'élection des conseillers municipaux au scrutin de liste à deux tours a conduit, pour une grande partie des communes de 1 000 à 3 499 habitants, à la présentation et à l'élection, in fine, d'une seule liste de candidats. Dans cette hypothèse, puisque la liste doit comporter autant de candidats que de sièges à pourvoir, l'ensemble des candidats de la liste siègent au conseil municipal. Dès lors, en cas de vacance d'un siège de conseiller municipal, il doit être procédé à une élection partielle pour procéder au renouvellement de l'ensemble du conseil municipal.

Enfin, la proposition de loi tend à prévoir l'élection du maire délégué parmi les seuls conseillers municipaux de la commune nouvelle résidant dans la commune déléguée. À défaut, il serait élu parmi l'ensemble des conseillers municipaux de la commune nouvelle. Cette dernière modification soulève là encore des difficultés pratiques et juridiques. En effet, la proposition de loi équivaut, sur ce point, à un sectionnement électoral qui ne dit pas son nom. Le retour à un sectionnement électoral ou à une forme équivalente constituerait la solution la plus logique et la plus efficace pour assurer une représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles. Toutefois, les difficultés qui ont résulté du sectionnement électoral prévu par la loi « Marcellin » et qui ont justifié sa suppression en 2013, pour les communes de moins de 20 000 habitants, invitent à la prudence : conflits, blocages en cas de majorités divergentes entre les sections, décalage entre l'élection au suffrage universel direct des élus d'une section électorale et la réalité des pouvoirs du maire délégué. Cette solution est en outre fragilisée par la jurisprudence constitutionnelle relative au principe d'égalité devant le suffrage, ce principe s'opposant à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision du 18 novembre 1982. Ce principe explique qu'à Paris, par exemple, un candidat peut résider dans un autre arrondissement que celui dans lequel il se présente.

Au-delà des difficultés pratiques et juridiques qu'elles soulèvent, les dispositions de la proposition de loi semblent en contradiction avec la philosophie même des communes nouvelles, fondée sur la souplesse et le volontariat des élus, qui peuvent ainsi déterminer l'organisation de la commune la plus adaptée aux spécificités de leurs territoires et aux attentes de leurs concitoyens. Toute modification du statut des communes nouvelles doit être appréciée au regard de cette philosophie à laquelle sont particulièrement attachés les élus locaux.

Enfin, il me semble nécessaire de mener une réflexion plus globale sur les ajustements éventuels devant être apportés au régime juridique des communes nouvelles, afin de fournir d'ici 2020 une réponse d'ensemble et cohérente aux difficultés rencontrées par les élus, plutôt que de multiplier les réformes ponctuelles. Il ne faut pas perdre de vue qu'une commune nouvelle n'est pas une « colocation ». On ne crée pas une commune nouvelle avec pour seul objectif l'optimisation des recettes fiscales et budgétaires. C'est au contraire un vrai projet de territoire. Outre la question de la représentation des communes déléguées après 2020, plusieurs ajustements pourraient être apportés pour améliorer le régime des communes nouvelles et le rendre plus attractif : citons la place des maires délégués dans le tableau de la municipalité, la définition d'une nouvelle phase transitoire concernant l'effectif des conseillers municipaux des communes nouvelles composées de communes déléguées ou encore l'articulation entre communes nouvelles et intercommunalités. C'est pourquoi je vous proposerai, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi et de présenter, pour la séance publique, une motion de renvoi en commission de ce texte afin de pouvoir poursuivre la réflexion sur ce sujet important.

M. Mathieu Darnaud. - Je félicite notre collègue Mme Françoise Gatel pour son travail complet et éclairant.

Je reprendrai à mon compte l'analyse que notre collègue Pierre-Yves Collombat a exprimée lors de nos déplacements dans le cadre de la mission de contrôle et de suivi des dernières lois de réforme territoriale. Nous devons être particulièrement vigilants sur la multiplication des règles dérogatoires. Gardons à l'esprit qu'une commune nouvelle deviendra, à l'issue du deuxième renouvellement de son conseil municipal suivant sa création, une commune de droit commun. On a pu constater, lors de nos déplacements, que certains élus considèrent la commune nouvelle comme un agrégat de petites communes qui coexistent, le maintien des conseils municipaux des communes historiques étant perçu comme le moyen de préserver ces dernières. Il risque d'y avoir des réveils difficiles. Paradoxalement, la loi « Marcellin » préservait davantage, à travers les sections électorales, la commune historique que ne le fait la loi « Pélissard ». Les maires sont-ils conscients que la commune nouvelle n'est pas une simple addition de communes mais bien une nouvelle commune qui intègrera le droit commun à partir de 2026 ?

Bien évidemment, nous devons faire confiance au bon sens des élus locaux. On peut imaginer que, même après 2026, les listes seront composées de telle sorte que seront représentées toutes les anciennes entités communales. Mais peut-être aussi que ce ne sera pas le cas, notamment dans les grandes communes nouvelles mises en place autour d'une importante commune centre. La situation serait identique à ce qu'on a pu parfois constater dans des communautés de communes ou d'agglomération dites « XXL » constituées autour d'une ville-centre importante qui concentre la majorité de la population. Et la tentation pourrait être forte, pour des futurs candidats, de rechercher en priorité les suffrages des élections de la principale commune historique, ce qui gommerait, au moins dans l'esprit, les communes déléguées.

La proposition de loi nous invite à nous interroger sur la commune nouvelle que nous voulons, non pas aujourd'hui, mais demain, lorsque prendront fin les dispositions dérogatoires et transitoires actuelles. Il existe des communes nouvelles qui fonctionnent bien, notamment celles qui disposent d'un tissu associatif dynamique. Si, quantitativement, la commune nouvelle est une réussite dans certains territoires, certains départements, comme l'Ardèche, n'ont aucune commune nouvelle, en raison de contraintes géographiques, territoriales, culturelles, historiques. On constate aujourd'hui un clivage entre une France de l'Ouest qui porte un esprit inter-communaliste et une France du Sud-Est où la commune nouvelle ne se développe pas, ce qui pose question.

M. Philippe Bas, président. - C'est important en effet qu'il n'y ait pas tromperie auprès des élus locaux. La commune nouvelle est un processus de fusions de communes destiné à créer une seule commune comportant plusieurs bourgs. C'est un dispositif qui intéresse particulièrement les territoires ruraux, même si certaines villes se sont emparées du dispositif, comme Cherbourg. Ce processus est particulièrement pertinent dans les territoires ruraux où se sont constituées d'immenses communautés de communes dans lesquelles se sont éloignés les centres de décision et où il représente un antidote permettant de préserver une démocratie de proximité. La commune nouvelle est en quelque sorte l'héritière des petites communautés de communes rurales de nos anciens cantons. Mais ce n'est pas un dispositif prêt-à-l'emploi adapté à tous les territoires.

M. Éric Kerrouche. - Cette proposition de loi pose une bonne question - celle de la représentativité démocratique - mais y apporte une mauvaise réponse. Cela fait deux siècles que l'on essaie de réduire le nombre des communes. Le dispositif des communes nouvelles a fourni de bonnes réponses sur le plan financier et en termes de souplesse. La commune nouvelle n'est pas imposée par l'État, contrairement à la récente révision de la carte intercommunale opérée par les schémas départementaux de coopération intercommunale.

Mais le problème de la représentativité des communes historiques est réel. Sur les 517 communes nouvelles créées ces deux dernières années, 98 % ont recouru à la disposition transitoire et dérogatoire permettant à leur conseil municipal d'avoir un effectif égal à l'addition des conseils municipaux de l'ensemble des communes historiques. À l'issue du prochain renouvellement général des conseils municipaux de 2020, l'effectif du conseil municipal de certaines communes nouvelles va diminuer, dans une proportion qui pourra atteindre 87,5 %, ce qui soulève une inquiétude compréhensible parmi les élus locaux.

Or la proposition de loi, qui tente d'y répondre, soulève des problèmes de constitution des listes, de vacance des sièges et enfin de constitutionnalité quant à l'élection des maires délégués. Elle risque au final d'aboutir à l'effet inverse à celui recherché en fragilisant la commune nouvelle au profit des communes déléguées. Dans les communes de plus de mille habitants, soumises au scrutin proportionnel de listes, les têtes de liste recherchent une représentativité géographique. Dans les communes fusionnées sous le régime de la loi « Marcellin », la représentation de chacune des anciennes communes perdure. La commune nouvelle est une « nouvelle commune », une nouvelle entité. La question posée par la proposition de loi est intéressante mais il faut trouver d'autres solutions techniques comme, par exemple, celle de rendre obligatoire la charte aujourd'hui facultative. Si cette dernière est dépourvue de portée contraignante, elle revêt néanmoins une portée morale très forte pour les élus.

C'est pourquoi la proposition de notre rapporteur de renvoi en commission me paraît être une bonne solution.

M. Pierre-Yves Collombat. - J'ai été ébloui par l'exposé de l'ensemble des difficultés techniques et juridiques que soulève cette proposition de loi. Mais je ne partage pas la conclusion qui nous est proposée.

La question est de savoir pour quelles raisons des communes nouvelles sont créées. Leur développement s'inscrit dans un mouvement général visant à supprimer les communes, avec la constitution d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus en plus centralisés et étendus, et les communes nouvelles, qui permettent de bénéficier d'avantages financiers et de mesures de transition avantageuses.

Je partage le constat de M. Darnaud : des communes nouvelles ont été créées comme solution aux difficultés posées par l'élargissement des EPCI. Mais certains élus vont bientôt déchanter lorsqu'ils découvriront que leur commune a disparu...

Sur le plan pratique, plusieurs raisons militent en faveur de cette proposition de loi, c'est la raison pour laquelle je l'avais co-signée. Dans certains territoires, les préfets ont été particulièrement dynamiques en matière de création de communes nouvelles, tandis que dans d'autres, c'est le maire de la commune la plus importante qui est l'initiateur du projet. On peut ne pas être favorable à cette proposition de loi, mais je ne comprends pas l'intérêt d'un renvoi en commission.

M. Alain Marc. - Cette proposition de loi est une facétie de l'histoire : on souhaite le retour des sections de communes.

La commune nouvelle est issue d'une démarche volontaire des élus locaux. Mais, comme l'a dit M. Darnaud, certains maires risquent d'avoir un réveil difficile dès 2020, car les raisons qui ont poussé les élus à recourir à un regroupement de communes sont différentes. Souvent le choix de la commune nouvelle a été justifié par des raisons financières, avec le maintien pendant trois ans de la dotation globale de fonctionnement, dans le contexte de baisse des concours financiers de l'État.

On répète que, pour recourir à une commune nouvelle, il faut définir au préalable un véritable projet de territoire. Mais il existe d'autres moyens permettant de définir un tel projet : communautés de communes, parcs naturels régionaux... sans qu'il soit nécessaire de créer des communes nouvelles. Par ailleurs, on nous dit souvent que la France compte trop de communes...

Mais, dans tous ces regroupements, de très petites communes se retrouvent sans moyen d'expression, avec des élus perdus. Comment voulez-vous que les habitants de ces petites communes s'y retrouvent ? Nous ne devons pas être complices de cet état de fait, souvent inspiré par des instances parisiennes...

M. Jean Louis Masson. - Il y a deux communes nouvelles dans mon canton et, manifestement, les élus n'avaient pas compris que les communes historiques disparaîtraient au profit de la commune nouvelle. Ils commencent à s'en rendre compte, ce qui va créer une vraie difficulté.

À mon sens, cette difficulté trouve son origine dans la suppression des sections électorales dans les communes associées, contre laquelle je m'étais opposé. Dans une commune classique, il me paraît naturel de ne pas créer de sections électorales. Mais dans une commune fusionnée, composée de communes associées ou de communes déléguées selon les cas, nous sommes dans une situation invraisemblable où les élus de la commune centre désignent les maires délégués et les conseillers délégués des communes historiques.

Il faudrait clarifier tout cela, par exemple en supprimant toutes les sections électorales. Je n'ai toujours pas compris pourquoi ont été maintenues les sections électorales dans les seules communes de plus de 20 000 habitants.

Le renvoi en commission n'est pas cohérent puisque nous renvoyons à nous-mêmes l'examen du texte alors que nous en sommes déjà saisis. Il faut avoir le courage de ses opinions et nous prononcer pour ou contre cette proposition de loi, en y apportant les modifications nécessaires.

M. Philippe Bas, président. - Ce qui justifie ce renvoi en commission, c'est que la proposition de loi ne traite qu'un aspect du sujet alors que d'autres questions relatives aux communes nouvelles se posent, qui relèvent d'un examen plus approfondi. Ce n'est pas une manière d'éluder les questions qui nous sont posées.

M. Jean Louis Masson. - Toutes les motions de procédure sont en général une « manière polie » d'enterrer les textes !

M. Philippe Bonnecarrère. - Je partage l'essentiel de ce qui a été dit par différents collègues.

Les auteurs de la proposition de loi ne doivent pas se vexer du renvoi en commission qui est une reconnaissance de la pertinence de la question posée et une invitation à travailler ensemble. Ma question portera sur la suite du renvoi en commission et du travail que devra mener notre commission.

Sur le terrain, on constate deux types de projet de commune nouvelle, avec chaque fois une responsabilisation des élus dans le cadre d'une démarche volontaire.

Premier cas, celui de deux, trois ou quatre communes voisines qui ont l'habitude de travailler ensemble, avec souvent une école en commun et du personnel mutualisé, et qui souhaitent aller plus loin. Deuxième cas, celui d'intercommunalités qui fonctionnent bien, qui sont parvenues à un haut degré d'intégration et qui s'interrogent sur l'opportunité d'une mutualisation totale, ce que propose la commune nouvelle. Ces deux cas soulèvent des problèmes différents. Dans le premier cas, si les questions budgétaires sont réglées, il n'en est pas de même de la représentation des communes. Mais, pour y répondre, tout ne relève pas du législatif : la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale devrait aborder la question de la clarification du mécanisme contractuel poussé à « son maximum », et le comparer à celui de la commune nouvelle. Nous n'avons pas forcément besoin de réforme législative sur ce point mais plutôt d'une clarification du droit. Quant au deuxième cas, il est plus simple à aborder du point de vue législatif, mais demeure la question du rattachement d'une commune nouvelle issue d'un EPCI à un nouvel EPCI. Or cette commune nouvelle issue d'une intercommunalité pourrait continuer à exister sous cette forme sans forcément rejoindre une nouvelle intercommunalité, dès lors qu'elle respecterait les seuils imposés par la loi.

M. Philippe Bas, président. - Il y a effectivement des alternatives possibles à la commune nouvelle : citons la mutualisation par contrat entre communes, particulièrement appréciée par les maires qui y ont recouru, ou encore la mise en place de pôles territoriaux dans certains EPCI, qui permettent un exercice territorialisé des compétences intercommunales en y associant les communes.

Mme Agnès Canayer. - Beaucoup de communes nouvelles sont créées en milieu rural, notamment pour peser dans les conseils communautaires des intercommunalités « XXL ».

Pour ma part, j'ai l'expérience d'une commune nouvelle créée en milieu urbain
- celle dont je suis élue - composée de communes associées issues de la loi « Marcellin » et qui connaît de grandes difficultés. En effet, la commune associée donne l'illusion de la proximité, de la démocratie locale, avec un maire délégué, un conseil de la commune délégué, qui ont le prestige de la fonction mais qui n'ont en réalité aucun pouvoir, ni aucun budget. Ma commune est l'une des quatre dans lesquelles le sectionnement électoral n'a pas été supprimé. Elle a du mal à se réformer, notre organisation municipale étant totalement enkystée.

La proposition de loi risque de porter atteinte à l'équilibre des communes nouvelles et à leur adaptabilité aux spécificités locales, nécessaires pour la réalisation d'un projet de territoire de long terme, à l'instar des intercommunalités dites « XXL ». Je suis élue dans une intercommunalité où pèse une commune-centre représentant 80 % de la population. Nous étions parvenus à un accord permettant de réduire le poids de la commune-centre au bénéfice des petites communes. Malheureusement, la loi est venue casser cet équilibre, en redonnant plus de place à la commune-centre, alors-même que ce n'était pas la volonté de cette dernière, remettant en cause le fonctionnement de notre intercommunalité, au détriment des petites communes. Il est donc important de laisser aux élus la souplesse nécessaire pour définir l'organisation qui leur paraît la plus adaptée, dans le cadre d'un accord local. C'est pourquoi le renvoi en commission est une bonne solution pour approfondir cette question.

Mme Nathalie Delattre. - Les membres du groupe RDSE ici présentes, qui n'avons pas signé le texte, ne voyons aucun inconvénient au renvoi en commission. La proposition de loi a le mérite d'avoir posé une excellente question mais n'y apporte pas les réponses pertinentes attendues. D'où la nécessité d'engager une réflexion dans un cadre plus global, comme le propose notre rapporteur.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Je vous remercie, mes chers collègues, de votre intérêt pour ce sujet. Quelques précisions méritent d'être apportées au regard des nombreuses interventions. Dans la lignée des propos de Mathieu Darnaud, lorsque j'indique qu'un projet de territoire est nécessaire pour garantir le succès d'une commune nouvelle, cela ne signifie pas que tout projet commun de territoire doit obligatoirement déboucher sur la création d'une commune nouvelle. Mais une commune nouvelle ne peut fonctionner que si elle s'appuie sur un projet commun de territoire suffisamment abouti. Les communes nouvelles qui réussissent sont celles qui ont un périmètre territorial qui n'a rien d'artificiel, celles où les élus viennent épouser, par la création d'une commune nouvelle, un bassin de vie et des habitants qui ont un même mode de vie.

Comme Mathieu Darnaud, je pense qu'il faut s'interroger sur les raisons qui expliquent les disparités territoriales très fortes en matière de création de communes nouvelles. Il existe par endroit une véritable frénésie - c'est le cas par exemple dans le Maine-et-Loire, où de nombreux regroupements ont eu lieu, qui ont même ensuite débouché sur des élargissements - alors que, dans d'autres territoires, au contraire, subsistent des réticences.

Monsieur Kerrouche, je partage votre interrogation. La réponse apportée par la proposition de loi me semble être contraire à l'objectif poursuivi. Nous découvrons des questions nouvelles au fur et à mesure du développement des communes nouvelles : par exemple, à Annecy, une très grande commune nouvelle vient d'être créée, ce qui était assez inattendu, du fait de l'évolution du périmètre des compétences de la région. Le besoin d'une plus forte visibilité, par rapport aux pôles touristiques, pour Annecy, a entraîné la création de cette commune nouvelle. Il faut donc traiter ces nouvelles problématiques à mesure qu'elles sont identifiées. Concernant le caractère obligatoire de la charte, je reste prudente. Celle-ci est adoptée au moment de la création de la commune nouvelle et engage, d'un point de vue moral, les élus qui ont initié le projet. Cela n'aurait pas de sens pour eux de renier, lors des prochaines élections municipales de 2020, leurs promesses de 2017. Je considère en revanche que la nouvelle équipe municipale doit pouvoir revenir en arrière mais il appartient aux élus en place de trancher. La commune déléguée n'a pas nécessairement vocation à être pérenne. Il ne faut donc pas donner un caractère contraignant à la charte, de manière pérenne : c'est davantage un engagement moral de la part des élus qui mettent en place le projet.

Monsieur Collombat, comme vous le savez, Jacques Pélissard, lorsqu'il était président de l'Association des Maires de France, a été à l'origine du cadre juridique actuel des communes nouvelles. On ne peut pas le soupçonner d'être favorable à la disparition des communes. Il a considéré que les communes nouvelles étaient une nécessité, pour donner à ceux qui le souhaitent - et j'insiste sur la liberté de la démarche - la possibilité de fusionner des communes, afin d'organiser les services sur un territoire élargi tout en conservant une certaine proximité. Je ne partage donc pas du tout votre point de vue selon lequel les communes nouvelles mettraient à mal l'existence même de l'échelon communal. La commune nouvelle, pour ceux qui la choisissent, pour ceux qui ont réfléchi à sa mise en place, est au contraire un moyen de sauver la strate communale. Il n'y a pas « d'arnaque » puisque ce sont les élus qui rédigent la charte. Il leur appartient bien sûr de le faire avec discernement s'ils choisissent d'y recourir.

Monsieur Marc, tout projet commun de territoire n'aboutit pas nécessairement à la création d'une commune nouvelle. Je me suis sans doute mal exprimée. Il s'agit seulement d'un prérequis indispensable à la constitution d'une commune nouvelle, mais les élus sont libres de créer ou non une commune nouvelle, elle ne représente qu'une réponse parmi d'autres. Je souhaite que la palette d'outils qui existe perdure. Ce qui est certain, c'est que la commune nouvelle ne réussit que s'il y a eu réflexion autour d'un projet commun de territoire. C'est un mariage de raison entre des communes mais un mariage ne fonctionne que si on a quelque chose en commun. La commune nouvelle est un outil auquel des élus peuvent librement choisir de recourir, ce n'est nullement la réponse à tous les maux rencontrés par les communes. Si, à l'inverse, la commune nouvelle n'est constituée que pour des raisons budgétaires, afin de bénéficier du maintien de la dotation globale de fonctionnement pendant trois ans, cela ne peut pas fonctionner dans la durée.

Je ne partage pas du tout le point de vue de M. Masson. La suppression du sectionnement électoral était nécessaire.

Monsieur Bonnecarrère, je partage totalement votre point de vue sur l'existence de plusieurs types de communes nouvelles. Vous soulevez l'excellente question, à propos de laquelle j'ai des propositions à formuler, de l'intercommunalité de services qui se transforme ensuite en commune nouvelle. Il s'agit d'une réalité, c'est pourquoi j'ai regretté que le Gouvernement, lors de l'examen parlementaire de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) ignore le phénomène des communes nouvelles. L'intercommunalité permet d'organiser des services mutualisés sur un territoire. Mais elle permet aussi d'organiser le territoire sur un modèle qui est, à mon avis, un peu trop monolithique. Le sujet de la commune nouvelle est donc l'occasion de questionner le modèle d'organisation intercommunale que nous avons mis en place. En matière de transports ou de tourisme, il faut travailler en réseaux mais il existe bien d'autres formes de contractualisation que la commune nouvelle, c'est un outil parmi d'autres.

Madame Canayer, vous évoquez les difficultés liées à la loi de 1971. Avec des communes associées, on est à mi-chemin entre deux situations. On ne peut pas rester dans le transitoire.

Madame Delattre, vous avez raison sur les problématiques soulevées, la réponse apportée par la proposition de loi suscite plus de questions qu'elle n'apporte de solutions. Si vous me permettez de prendre un exemple personnel, j'ai créé au 1er janvier 2017 une commune nouvelle à partir de trois communes, pour donner un avenir à celles-ci. Nous avions d'ailleurs pris comme slogan lors de la création de cette commune nouvelle : « L'avenir est la raison du présent ». Nous avons décidé de bousculer le présent pour avoir un avenir. Contrairement à ce que dit M. Collombat, les communes nouvelles constituent une opportunité pour la pérennité des communes.

EXAMEN DE LA MOTION TENDANT AU RENVOI EN COMMISSION

M. Philippe Bas, président. - La commission est donc invitée à se prononcer sur la proposition de Mme Gatel de déposer une motion tendant au renvoi en commission, qui serait alors examinée en séance publique le 22 novembre prochain. Avant de soumettre au vote de notre commission le dépôt de ladite motion, je tiens à souligner que le renvoi en commission peut avoir une utilité véritable. Il ne s'agit pas d'un enterrement déguisé. J'en veux pour preuve que plusieurs textes ont été adoptés par le Sénat après qu'une motion de renvoi en commission a été adoptée. C'est le cas de la proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux, initiée par notre ancien collègue Henri Tandonnet, qui a été adoptée par le Sénat le 12 mars 2015 après qu'une motion de renvoi en commission a été adoptée le 23 octobre 2014 sur la proposition de notre rapporteur Yves Détraigne, ou encore de la loi portant réforme de la prescription en matière pénale qui avait elle aussi, avant son adoption définitive par le Parlement, fait l'objet d'un renvoi en commission, le 2 juin 2016, à l'initiative de notre rapporteur François-Noël Buffet.

La commission décide de soumettre au Sénat une motion de renvoi en commission de la proposition de loi.

M. Philippe Bas, président. - Ce renvoi en commission permettra en outre à la mission de contrôle et de suivi des lois de réformes territoriales de s'intéresser à cette question. En conséquence, tous les amendements sont rejetés.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article unique

Les amendements COM-2, COM-1 ne sont pas adoptés.

Articles additionnels après l'article unique

Les amendements COM-3 et COM-4 ne sont pas adoptés.

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. LEROUX

2

Stabilité des conseils municipaux

Rejeté

M. LEROUX

1

Coordination

Rejeté

Articles additionnels après l'article unique

M. de BELENET

3

Modification des circonscriptions électorales en cas de création de communes nouvelles

Rejeté

M. de BELENET

4

Représentation des EPCI à fiscalité propre composés de deux communes

Rejeté

La réunion est close à 11 h 55.