Mardi 4 avril 2017
- Présidence de Mme Corinne Imbert, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Examen du rapport
Mme Corinne Imbert, présidente. - Après quatre mois et demi de travaux, dont certaines semaines très denses à partir de janvier, notre mission d'information, créée le 16 novembre 2016 sur l'initiative du groupe du RDSE du Sénat, touche à sa fin.
Au cours de nos auditions et déplacements, nous avons pu constater les insuffisances qui existent dans le domaine de la détection et de la prise en charge des troubles mentaux des enfants et adolescents, voire des jeunes adultes.
Nous nous sommes intéressés à l'articulation des rôles entre les différents acteurs qui interviennent en la matière, professionnels de santé, mais aussi professionnels des champs social et médico-social, de l'éducation nationale et de la justice, patients et familles. Enfin, nous nous sommes penchés sur l'organisation territoriale des prises en charge, sur la recherche en pédopsychiatrie et sur la diffusion de ses apports.
À cette fin, nous avons conduit vingt-six auditions et réalisé deux déplacements, l'un dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, l'autre dans les Hauts-de-France. Au cours de nos travaux, nous avons ainsi pu échanger avec une centaine de personnes.
Le président Milon et moi-même nous félicitons du climat apaisé dans lequel se sont déroulés nos travaux. Nous avons su, je crois, dépasser les polémiques dont a pâti la pédopsychiatrie ces dernières années, sans pour autant que nos divergences de point de vue ou d'appréciation aient été négligées. Nous remercions le rapporteur d'avoir toujours accepté le dialogue et fait évoluer ses positions, en même temps que celles de chacun évoluaient aussi.
Les propositions qui nous sont soumises et le rapport lui-même, que le rapporteur a mis en consultation, nous paraissent pouvoir recueillir un large accord et rassembler au-delà des appartenances politiques et des positions idéologiques.
Je cède donc sans plus tarder la parole au rapporteur.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je tiens, avant toutes choses, à vous remercier tous de votre assiduité à cette mission d'information. Je salue la bienveillance du président Milon, au fait de ces questions puisqu'il avait rédigé un rapport sur ce sujet, mais également l'administration du Sénat, sans laquelle nous n'aurions pas pu mener nos travaux.
Nous avons conduit vingt-six auditions et fait deux déplacements : autant dire que nous avons travaillé à marche forcée. Néanmoins, nous pouvons le dire aujourd'hui, nous sommes dans les temps pour la remise du rapport que nous avions prévue pour fin mars. Nous pouvons être satisfaits de notre travail.
Le sujet de la psychiatrie des mineurs est atypique. Atypique parce que cette désignation même, « psychiatrie des mineurs », est inhabituelle. On parle plutôt, en général, de « pédopsychiatrie » pour décrire la discipline qui prend en charge les troubles des enfants depuis la naissance jusqu'à la fin de l'adolescence. La dénomination officielle de la spécialité médicale est, quant à elle, « psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent », tandis que les secteurs sont de « psychiatrie infanto-juvénile ».
La notion inusitée de « psychiatrie des mineurs » a donc suscité des interrogations. Certains y voient la tentation d'une approche au travers de la responsabilité pénale, ce qui n'est pas mon cas. D'autres, au contraire, considèrent qu'il s'agit d'une manière d'appréhender les jeunes de moins de dix-huit ans comme des futurs citoyens, pourvus de droits.
En proposant ce thème, l'objectif était de mettre en valeur deux points. Il convient, d'une part, de dépasser les querelles idéologiques et de chapelle, trop souvent liées aux termes généralement employés, et, d'autre part, de s'interroger sur la pertinence des limites administratives qui font s'arrêter la prise en charge pédopsychiatrique à seize ans. Du point de vue thérapeutique, il convient de prendre en charge, dans la continuité, les enfants en fonction de leur maturité, parfois y compris jusqu'aux premiers temps de l'âge adulte. C'est ce que font, en pratique, les équipes et une grande partie des établissements sanitaires et médico-sociaux. Nous avons aussi pu constater que l'application de cette limite des seize ans, lorsqu'elle l'est strictement, cause des ruptures de prise en charge.
Le thème que nous avons traité est aussi atypique en ce sens que, si peu de sujets ont fait l'objet d'autant de rapports publics que la psychiatrie, la psychiatrie des mineurs n'a été traitée en tant que telle que rarement et de manière très récente. C'est sans doute pour cela qu'elle se considère comme le parent pauvre, voire comme n'étant pas le parent du tout, de la médecine. C'est aussi pour cela que, très tôt dans nos auditions, la demande nous a été faite de sauver la pédopsychiatrie.
Les sujets abordés au cours de nos travaux sont particulièrement nombreux et denses. Je ne pourrai bien sûr pas revenir sur chacun d'entre eux au cours de cette présentation ; ils sont développés dans le projet de rapport. Je me propose simplement ici de faire ressortir les principaux constats et les préconisations les plus saillantes qui en résultent. La liste complète des propositions figure dans le rapport qui vous a été distribuée.
Le constat principal est connu : on diagnostique mal les troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent ; l'offre de soins et de prise en charge est insuffisante ou, du moins, inadaptée. Certes, les situations varient en fonction des territoires, notamment pour ce qui est du développement du secteur médico-social et de son articulation avec le secteur sanitaire. Tous nos interlocuteurs ont également insisté sur l'importance des nombreuses initiatives, voire innovations, de terrain, qui améliorent les prises en charge. Je pense notamment à la place qu'occupent aujourd'hui les maisons des adolescents (MDA). La plupart d'entre eux ont également dénoncé un manque de moyens et de cohérence dans la politique menée.
Les sujets d'incertitude sont nombreux, à commencer par l'ampleur des besoins. D'emblée, lors des auditions, on nous a indiqué qu'il convenait de ne pas « sur-psychiatriser » les troubles des enfants et des adolescents. Une des personnes entendues l'a dit, il ne saurait être question de voir les psychiatres chargés du bien-être de la société et des individus. C'est incontestable !
Dans le même temps, la crainte de « sur-psychiatriser » ne doit pas empêcher la prévention. Si les troubles des enfants sont difficiles à détecter et s'ils sont évolutifs, ils peuvent disparaître lorsqu'ils sont pris en charge suffisamment tôt. C'est donc une vraie perte de chance que l'absence de prise en charge précoce. Un trouble peut révéler une pathologie naissante et peut aussi, s'il n'est pas pris en charge, devenir pathologique. Il faut donc repérer et évaluer les troubles même si la réponse à apporter ne sera pas nécessairement psychiatrique. Cela suppose la mise en place d'une expertise minimale facilement accessible dans des délais raisonnables.
C'est là une tâche particulièrement lourde. La file active de la pédopsychiatrie a augmenté de plus 80 % entre 1991 et 2003. Cette augmentation s'est poursuivie entre 2007 et 2014, à hauteur de 22 %, avant, il est vrai, de s'atténuer dans la période récente. On ne connaît pas précisément les causes de cette évolution, mais il est certain que la pédopsychiatrie est sollicitée de toutes parts, en lien avec les inquiétudes qui traversent notre société, des troubles des apprentissages jusqu'à la radicalisation. La psychiatrie et la pédopsychiatrie sont naturellement des disciplines poreuses aux questions sociales, qu'il s'agisse de la montée de la précarité, identifiée par plusieurs de nos interlocuteurs, ou de la question de l'exposition des jeunes aux nouvelles formes de violences présentes sur les réseaux sociaux.
Dans le même temps, la question du bien-être des jeunes prend une place croissante au sein de nos institutions. La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République de 2013 l'a inscrite parmi les objectifs de l'éducation nationale. Plus récemment encore, le plan « bien-être et santé des jeunes » a entraîné la signature d'une convention-cadre entre le ministère de la santé et celui de l'éducation nationale. Il devrait également déboucher sur une convention entre les ministères de la santé et de la justice, afin de favoriser les actions de dépistage et d'orientation vers la prise en charge des troubles psychiques ou psychiatriques.
Il faut en effet que l'ensemble des acteurs de première ligne - soignants, personnels de l'éducation nationale, de la protection maternelle et infantile (PMI), de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) - soient formés au repérage des troubles, disposent de moyens pour l'assurer et des connaissances suffisantes pour orienter le jeune, si nécessaire.
Cela n'est évidemment pas simple, ne serait-ce que par l'ampleur de l'effort que nécessite la formation des quelque 855 000 enseignants. Surtout, on ne peut demander à des professionnels déjà accaparés par de multiples sollicitations et priorités fixées par les pouvoirs publics de se consacrer à chacune d'entre elles et de mener à bien leur mission première, d'autant que les missions peuvent parfois entrer en contradiction. Il nous a par exemple été dit que l'accent mis sur le signalement des situations dangereuses pouvait entrer en contradiction avec le soutien à apporter aux familles. Je vous propose donc une série de préconisations, les plus pragmatiques possible, pour renforcer les moyens déjà mis en place, assurer les formations et diffuser des instruments communs pour le repérage des troubles.
En complément, pour accompagner les élèves en difficulté et aider les enseignants, je vous propose de redonner toute leur place aux réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), dont l'importance a été soulignée par plusieurs personnes entendues
Par nature, la pédopsychiatrie repose sur le travail avec le jeune, enfant ou adolescent, et avec son entourage familial. En effet, pour ce qui concerne la périnatalité notamment, c'est généralement non pas le nouveau-né lui-même qui est malade, mais ses parents ; c'est la relation dans laquelle il se trouve avec eux ou plus largement les figures d'attachement qui sont responsables. Ce travail avec la famille doit prendre en compte tous les membres de celle-ci, ascendants, frères et soeurs, mais aussi pères et mères des familles recomposées. Il me paraît donc important que le temps passé par les professionnels de santé à ces consultations soit valorisé de manière adaptée. Je vous propose également une préconisation en ce sens.
Après le dépistage vient la prise en charge. L'essentiel, on le sait, relève aujourd'hui de l'ambulatoire, depuis le grand mouvement de désinstitutionnalisation des années 1960, marqué par l'apparition du secteur de psychiatrie, suivi en 1972 par la création du secteur de psychiatrie infanto-juvénile.
Le principe du secteur est que des équipes hospitalières dédiées soignent les malades sur leur lieu de vie.
Étant donné l'ampleur du mouvement de désinstitutionnalisation, il est normal que, de toutes les disciplines médicales, la psychiatrie soit celle qui ait connu le taux le plus important de fermeture de lits au cours des dernières années. Aujourd'hui, s'il y a des places d'hôpital de jour et quelques places, encore moins nombreuses, d'hôpital de nuit, les hospitalisations à temps complet sont limitées par le nombre de lits disponibles. Ce fait peut avoir des effets délétères quand les professionnels de santé se trouvent dans l'impossibilité d'offrir une prise en charge adaptée à la situation de leur patient mineur.
Il existe ainsi des cas de mineurs hospitalisés dans des services de psychiatrie pour adultes, ce qui est évidemment inadapté. La situation des jeunes ayant fait une tentative de suicide nous a également été signalée : il arrive que les soignants jugent préférable de ne pas les hospitaliser en l'absence d'un lit adapté.
Dans ce contexte, un mouvement d'ouverture de nouveaux lits de pédopsychiatrie s'est amorcé depuis quelques années. Il faut s'en féliciter et encourager la mise en place d'une offre adaptée aux situations d'urgence. À l'inverse, nous devons également éviter ce que certains ont appelé des « lits pièges », qui deviennent des lieux de prise en charge durable, sans perspective de sortie vers une solution adaptée, et facteurs de comorbidité.
À l'issue de nos travaux, il ne me paraît pas nécessaire de préconiser une réforme globale de l'organisation des soins en psychiatrie. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a conforté le secteur à la satisfaction de tous les acteurs. Nous pouvons suivre le conseil qui nous a été donné de renforcer l'existant plutôt que vouloir, à tout prix, faire du neuf. Je vous propose donc d'adopter une série de préconisations destinées à permettre de raccourcir le temps d'accès à une première consultation dans les centres médico-psychologiques (CMP) de pédopsychiatrie qui sont la cheville ouvrière des secteurs infanto-juvéniles.
Il faut également nous interroger sur la place des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et sur leur articulation avec les autres structures. De l'avis des acteurs de la prise en charge eux-mêmes, l'articulation des différents intervenants peut être améliorée sans bouleversement par une meilleure structuration. Plusieurs d'entre eux ont fait part à la mission d'information des projets dont ils sont porteurs. L'idée généralement admise est qu'il faut privilégier la logique de parcours par rapport à la logique de structures. L'entrée dans le parcours de soins relève encore trop souvent plus du hasard que de la cohérence.
Pour mieux répondre aux besoins, un système de prise en charge - en l'espèce, des enfants - en trois niveaux, à partir du repérage des troubles, nous a été présenté. Il mérite d'être discuté avec les acteurs de terrain. Il m'apparaît également que les réseaux en pédopsychiatrie doivent être soutenus, car les financements qui leur sont accordés par les agences régionales de santé (ARS) s'avèrent souvent, et de plus en plus, insuffisants.
Il faut permettre une première consultation rapide débouchant sur une hospitalisation complète dans les quelques cas où cela est nécessaire et pour le temps le plus bref possible. Cela suppose de développer les structures d'aval à l'hospitalisation, mais renvoie à la question complexe de l'articulation du secteur sanitaire avec le secteur médico-social.
Deux versions très différentes se sont opposées : certains considèrent que les ruptures de prise en charge résultent d'un manque de mobilisation du secteur médico-social ; d'autres, responsables d'établissements médico-sociaux (EMS), nous ont fait part de leurs difficultés à obtenir des réponses satisfaisantes à leurs demandes de prise en charge sanitaire.
Nos auditions et déplacements, notamment dans les Bouches-du-Rhône, nous ont permis de nous pencher sur les projets portés par certains de ces EMS. Il ressort de témoignages concordants que certains d'entre eux, en particulier les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) et les instituts médico-éducatifs (IME), sont amenés à accueillir des mineurs souffrant de troubles psychiatriques alors que cela ne correspond pas à leur vocation première.
Les ITEP doivent en principe permettre de prendre en charge des enfants qui présentent des troubles du comportement sans problème majeur lié à une maladie psychiatrique chronique ou à des troubles cognitifs. L'accueil d'une population de jeunes, dont certains sont placés par décision de justice, ne correspondant pas à cette définition est d'autant plus regrettable que les équipes mobilisées dans ces structures n'ont généralement pas bénéficié d'une formation adaptée à la prise en charge de troubles psychiatriques. Les modalités d'organisation de ces établissements, qui ne sont ouverts qu'une partie de l'année et ferment notamment les week-ends, rendent d'autant plus difficile la gestion de ces cas complexes.
Une structure intégrée, articulant prise en charge sanitaire et médico-sociale, nous a été présentée par l'association Serena à Marseille. C'est un modèle tout à fait intéressant qu'il conviendrait de mieux faire connaître. Le projet de rapport comporte des développements plus approfondis à ce sujet.
D'autres instruments paraissent plus immédiatement mobilisables : le déploiement des équipes de liaison qui offrent la possibilité de mieux articuler la prise en charge somatique et la prise en charge psychiatrique, y compris aux urgences ; la prise en charge sanitaire et médico-sociale. Ces équipes pluridisciplinaires, qui peuvent notamment comporter des pédopsychiatres et des infirmiers, apportent dans le lieu où se trouve le mineur un renfort ponctuel à l'équipe en place pour toutes les questions relatives aux aspects psychiatriques de la prise en charge. Lors de notre déplacement à Lille, nous avons pu prendre connaissance d'un exemple particulièrement intéressant, celui des équipes mobiles pour adolescents qui existe depuis 2003. Ce dispositif fait l'objet d'une présentation plus détaillée dans le rapport.
J'évoquerai brièvement la question des groupements hospitaliers de territoire (GHT). L'enjeu est moins celui de l'accès aux soins que d'une meilleure interaction entre établissements de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et établissements spécialisés en psychiatrie. Au cours de nos auditions, il est apparu clairement que les demandes de GHT dérogatoires, comprenant uniquement des établissements psychiatriques, sont d'abord liées à des enjeux financiers et à la crainte que la psychiatrie, financée par dotation globale, ne soit appelée, au sein de GHT généralistes, à financer les activités de MCO.
J'en viens à la question de la gouvernance en pédopsychiatrie.
Il nous a été confié que l'évolution de la psychiatrie, et surtout de la psychiatrie des mineurs, devait s'appuyer sur une volonté politique affirmée. De fait, la gouvernance sur ce sujet manque de clarté. Les moyens opérationnels sont aux mains de la direction générale de l'offre de soins, laquelle a d'ailleurs mis en place un comité de pilotage de la psychiatrie qui réunit tous les acteurs et dispose d'un programme de travail concret.
Il me semble également que les compétences de la Haute Autorité de santé (HAS) pourraient être davantage mobilisées sur les questions d'organisation des soins et ne plus se limiter à la question des bonnes pratiques. Ce n'est pas que la diffusion de ces dernières soit à négliger, c'est même un sujet sensible, mais il appartient aux administrations centrales et aux agences de mener leur travail de recension, d'évaluation, de diffusion. Je ne pense donc pas qu'un nouvel organisme soit nécessaire.
C'est aussi le cas s'agissant de la concertation avec les acteurs. Je suis dubitatif sur le rôle que peut jouer le nouveau Conseil national de la santé mentale (CNSM). On peut s'interroger sur sa capacité à fonctionner de manière effective, compte tenu des choix opérés pour sa composition et de l'absence de moyens propres. Il me paraît que les missions d'évaluation qui semblent imparties au CNSM et ses difficultés de fonctionnement justifieraient de le rapprocher du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Le travail de concertation relève quant à lui non d'une instance spécifique, mais du travail ministériel et interministériel.
Tous les acteurs du soin sont en faveur d'une meilleure reconnaissance. On manque de pédopsychiatres sur le terrain et à l'université : il faut donc créer des postes, former des internes et le faire le mieux possible, afin notamment de garantir l'équivalence européenne de leur qualification. La question est en pratique d'autant plus difficile que le nombre d'encadrants est faible. À titre d'illustration, les professeurs d'université en pédopsychiatrie représentent 0,73 % de l'ensemble des professeurs de médecine.
Dans ce contexte, je pense que la réforme en cours du troisième cycle des études médicales doit permettre d'envisager, dès à présent, la mise en place d'un diplôme d'études spécialisées (DES), qui comporterait un tronc commun puis deux branches : l'une, pour la psychiatrie générale ou adulte, l'autre, pour la pédopsychiatrie. Les discussions sont en cours.
Plusieurs mesures concrètes sur les stages des futurs pédopsychiatres et sur les statuts des praticiens hospitaliers permettraient aussi de faciliter les connaissances réciproques et le travail en commun des différents acteurs.
Il faut également mieux reconnaître les autres professionnels. La création d'un master en psychiatrie pour les infirmiers est une évidence qui tarde trop à s'imposer dans les faits. Il existait jadis deux formations pour les infirmiers, une générale, une plus spécifique. La suppression de cette dernière les a privés d'une partie de leurs compétences en psychiatrie.
En outre, je pense que le temps est aussi venu de prévoir les conditions d'un remboursement des séances de psychothérapie. De même, une meilleure valorisation des orthophonistes, des psychomotriciens et des ergothérapeutes est nécessaire. Une préconisation vise à faciliter les conditions de remboursement des séances, ne serait-ce que pour éviter que les familles n'aient à se tourner vers les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour l'obtenir.
Comme nous l'avions souhaité dès l'origine de nos travaux, une partie du rapport est consacré à la recherche. De manière générale, il convient d'accroître les moyens dévolus à la recherche en psychiatrie des mineurs et de faciliter l'accès des chercheurs aux structures existantes. Avec trois axes : les études épidémiologiques, l'évaluation des stratégies non médicamenteuses, les neurosciences. Il faut enfin soutenir les études médico-économiques et développer la recherche paramédicale.
Ces différentes préconisations rendent notre rapport le plus complet possible. Sans être exhaustif, il ne tombe pas dans de vaines polémiques. Je pense qu'il peut marquer notre volonté d'avancer ensemble sur cette question particulièrement importante.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre présentation de ce rapport aussi complet qu'intéressant.
Je passe désormais la parole aux membres de la mission d'information désireux de vous interroger.
Mme Catherine Génisson. - Je veux souligner la qualité des travaux de la mission d'information et du rapport, mais exprimer également un regret : nous n'avons pas été réunis, comme la tradition le veut, avant l'écriture du rapport, que nous découvrons aujourd'hui.
Sur le fond, il faudrait mentionner, dans l'introduction du rapport, l'urgence qu'il y a se pencher sur la pédopsychiatrie. Ce secteur est devenu un vrai désert des Tartares.
Je suis d'accord avec ce qui a été dit des CMPP. Ils sont aujourd'hui totalement engorgés, à tel point que les enfants qui y sont éligibles ne peuvent bénéficier de tous les soins qui y sont prodigués. Il est donc fait recours au secteur de la médecine libérale, ce qui pose problème, car la sécurité sociale n'accepte pas de financer de double prise en charge. Il est urgentissime de résoudre ce problème.
Je note que la question de l'autisme n'est pas abordée dans le rapport. J'aurais aimé que l'on insiste sur la nécessité d'augmenter l'effort de recherche sur ce sujet.
Le député Daniel Fasquelle a déposé une proposition de loi visant à interdire la pratique du packing, ou enveloppement corporel humide, sur toute personne atteinte du spectre autistique, ainsi que son enseignement. À mon sens, le législateur ne doit pas être un prescripteur médical. Notre rôle peut être d'insister sur la nécessité d'améliorer la prise en charge, par exemple, certainement d'être prescripteur ou proscripteur de méthodes médicales.
Mme Laurence Cohen. - Les travaux de la mission d'information ont été très instructifs et passionnants.
Une question de forme pour commencer : les notes écrites produites par les personnes n'ayant pu être auditionnées, faute de temps, vont-elles être annexées au rapport ?
Je regrette pour ma part le secret excessif ayant entouré nos travaux. C'est une mission d'information, pas une commission d'enquête ! Devoir se déplacer pour consulter un rapport sur un bout de table, sans pouvoir y travailler, voilà qui est excessif !
De même qu'il ne me semble pas tellement démocratique de ne disposer du rapport qu'aujourd'hui. Faire une contribution au rapport sans le connaître, c'est se réduire à des remarques idéologiques. Nous avons jusqu'à demain, semble-t-il, pour faire connaître nos remarques éventuelles : une journée pour ce faire, c'est bien court. Cette situation n'est pas à la hauteur du travail mené jusqu'à présent, de la qualité de nos auditions, ni de notre investissement.
Sur le fond, les propos du rapporteur sur la situation en pédopsychiatrie sont justes. J'ajouterais néanmoins des éléments de contexte : la psychiatrie est le parent pauvre du système de santé, avec des budgets contraints, des effectifs réduits. C'est encore plus dur pour la pédopsychiatrie. Je veux citer ces mots du professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à la Pitié-Salpêtrière, dont je précise qu'il n'est pas de ma famille, selon lesquels la pédopsychiatrie, c'est « le tiers-monde dans la République ». Le rapport ne rend pas compte de cette situation.
Nous avons tous reçu le courriel de colère de l'équipe du centre hospitalier Le Vinatier : les 166 signataires, médecins, professionnels de santé en psychiatrie et pédopsychiatrie nous appellent au secours ! Pourtant, le rapport n'opère que des réajustements dans le dispositif actuel.
Pour ce qui est des propositions, je trouve dangereux que certaines semblent ouvrir la porte à la tarification à l'activité (T2A). Peut-être les ai-je mal comprises ? C'est en tout cas ce que je comprends de la proposition n° 19 : « S'orienter vers une tarification globale pour les établissements médico-sociaux sur la base d'une évaluation de leur activité ». Pour moi, la clé est bien plutôt de mieux prendre en compte les besoins de la population.
De même pour la proposition no 20 : « Identifier et mettre en place un panier de soins et de services homogène dans chaque département ». Cette notion de « panier de soins » me semble minimaliste. Tout se passe comme si on s'alignait sur l'offre, qui est insuffisante.
Je suis d'accord avec la proposition no 28 : « Soutenir les équipes mobiles de liaison ». En revanche, pourquoi se contenter de n'ouvrir que « quelques lits » en psychiatrie infanto-juvénile, dans la proposition no 24 ? Au cours de mes déplacements, j'ai pu constater qu'un établissement, à Vienne, avait supprimé son internat séquentiel. C'est une décision grave pour les enfants comme pour leur famille qui avaient besoin de ces quelques nuits pour souffler.
Toutes ces propositions sont révélatrices d'une orientation que je ne partage pas.
On regroupe les CMPP, prétendument pour plus d'efficacité. Or, ce faisant, on remet en cause le brassage social. On oblige les familles à faire des kilomètres pour s'y rendre. Cela ne va pas dans le sens d'une amélioration notable de la pédopsychiatrie.
En revanche, je suis d'accord avec les propositions portant sur la formation. Il est seulement dommage de n'avoir pas plus parlé de la nécessaire revalorisation salariale des psychologues cliniciens ou des personnels paramédicaux, dont le rôle est indispensable, mais le statut mal reconnu.
Mme Maryvonne Blondin. - Je partage ce que viennent de dire mes collègues, aussi bien leurs remerciements que leurs regrets. Je découvre, comme elles, ce rapport seulement aujourd'hui.
Quelques mots sur la tarification à l'activité. Pour les pédopsychiatres, le temps passé avec leur patient lors de la première rencontre est essentiel pour dégager un parcours de prise en charge pertinent. Cette première rencontre peut durer beaucoup plus d'une heure. Dès lors, la T2A ne leur convient pas du tout.
Les pédopsychiatres ont également le sentiment d'être mal considérés. Mais ils sont aussi mal utilisés : ils sont parfois consultés pour avoir ensuite accès à un orthophoniste, par exemple. Ces situations allongent les files d'attente et embolisent les services.
J'ai été sensible à l'audition du professeur Moro, qui nous a parlé du plan Santé et bien-être à l'école. Je ne suis pas arrivé au bout des 52 propositions, mais j'ai pu voir que vous mettiez en place, comme elle le préconise, un réseau et des outils de repérage des problèmes qui nous occupent dès la protection maternelle et infantile (PMI) ou dès l'intégration au sein du système scolaire.
Vous redonnez également toute leur place aux RASED, qui avaient été supprimés. Ce point est essentiel, notamment pour les psychologues scolaires.
Le 27 mars dernier, j'ai réuni, à leur demande, les psychologues scolaires à propos du récent statut unique. Mme Moro était présente, pour parler du plan Santé et bien-être à l'école. Vous défendez ce statut unique, monsieur le rapporteur, et préconisez d'augmenter le nombre de psychologues scolaires. Je tenais à vous informer qu'un concours a récemment ouvert 300 places de psychologues scolaires. Il a été pris d'assaut, puisqu'il a attiré pas moins de 4 000 candidats.
Je signale également que l'École des hautes études en santé publique de Rennes a mis en place une formation des médecins par un psychologue, qui intervient - certes trop peu - pour développer leurs connaissances en la matière et les sensibiliser à l'importance du partenariat avec les professionnels du secteur. Ce sont des initiatives à développer.
Enfin, un mot sur le problème récurrent de la prise en charge des 16-18 ans. Je n'ai pas eu le temps de lire vos propositions, mais il s'agit d'un problème qui revient toujours dans les conversations que je peux avoir avec des professionnels. Il y a ici comme un vide.
Mme Marie Mercier. - Il était très pertinent de travailler sur ces questions. Les auditions ont toutes été de très haute tenue. Les déplacements ont également été très riches. Je tenais à le signaler. Alors, bien sûr, on aurait peut-être aimé aller beaucoup plus loin. Mais réussir, comme cela a été fait, à synthétiser des propos de psychiatres, mérite d'être salué !
La psychiatrie est un domaine dense, difficile. La pédopsychiatrie encore plus.
Il me semble important de clarifier les différences existant entre le sanitaire et le médico-social. Les frontières entre les deux sont trop poreuses. Nous devons trouver une méthode pour bien les distinguer.
Les propositions seront peut-être enrichies, mais j'espère surtout qu'elles seront entendues et appliquées : nous nous féliciterons alors non seulement de leur pertinence, mais aussi de leur utilité.
M. René-Paul Savary. - Un mot pour commencer au sujet des CMPP. Avec leur regroupement, les distances pour s'y rendre sont souvent devenues trop importantes.
Pour permettre la double prise en charge, des accords locaux, notamment dans mon département, avaient été passés, qui permettaient le remboursement des frais contractés dans le secteur libéral. Désormais, les patients n'ont plus le droit de le faire, ce qui pose un vrai problème.
Je partage ce qu'a dit Marie Mercier, il faudrait des catégories plus précises : si le remboursement peut se faire par la sécurité sociale, c'est du sanitaire ; ce n'est donc pas du médico-social. Dès lors, le soin doit ne pas être préconisé par la MDPH. C'est une piste à creuser.
Les travaux que nous menons actuellement avec Laurence Cohen et Catherine Génisson sur la situation des urgences hospitalières - généralistes, pédiatriques et psychiatriques - m'incitent à demander que l'on regroupe les propositions nos 14 et 32. Il y a 52 propositions : il faudrait les synthétiser pour en garder quelques-unes percutantes, visibles, qui donnent des pistes pour faire avancer les choses. On verrait alors que ce n'est pas forcément difficile ni cher.
Je terminerai moi aussi sur la difficile frontière entre psychiatrie adulte et pédopsychiatrie. Nous avons un vrai problème pour les 16-18 ans. Je ne suis pas sûr qu'il faille rester dans le schéma actuel. Le traitement des affections de ces jeunes est une question non pas d'âge, mais de maturité, laquelle varie fortement entre les individus.
Mme Corinne Imbert, présidente. - Un petit mot sur le médico-social et le sanitaire, avant de laisser la parole à Daniel Chasseing. Je tenais seulement à vous rappeler, mes chers collègues, que lors de l'audition de M. Laforcade, directeur général de l'agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine, qui parlait de défaillance du médico-social, je lui avais répondu que bien souvent, dans les départements, on observait plutôt une défaillance du sanitaire !
Mme Laurence Cohen. - C'est vrai !
M. Daniel Chasseing. - J'adresse à mon tour toutes mes félicitations au rapporteur pour son rapport très complet et ses propositions très pragmatiques.
Je pense aux propositions pour renforcer l'éducation nationale, avec une politique de prévention plus importante et un plus grand soutien aux familles. Je pense aussi au développement des structures mobiles pour éviter l'hospitalisation, structures qui ne doivent cependant pas empêcher celle-ci quand elle est nécessaire.
Certains jeunes placés en foyer n'ont rien à y faire. Il faut donc une équipe qui prenne en charge ces enfants, et pour cela renforcer les postes, différencier le rôle des pédopsychiatres de celui des psychiatres.
Ce rapport est une inspiration pour l'avenir. Il représente un très grand progrès pour les départements, pour les généralistes, lesquels sont bien souvent complètement démunis. Je pense à la proposition no 14, notamment, qui prévoit un dispositif de permanence téléphonique pour répondre aux besoins d'avis pédopsychiatriques des généralistes.
J'ajoute que la pédopsychiatrie est un domaine rendu encore plus difficile en cas de famille recomposée.
En tout état de cause, si toutes les propositions sont mises en place, cela représentera un grand progrès.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Mme Françoise Cartron. - Quand je vois la richesse des auditions menées par la mission d'information, je regrette vraiment de n'avoir pas pu participer plus à ses travaux.
J'adhère à la hiérarchie des propositions du rapport, qui place en tête de ses préconisations la recherche en épidémiologie. J'abonde également dans le sens de mes collègues, qui ont insisté sur l'importance de bien définir les termes.
Je m'interroge sur la place des RASED dans le dispositif qui fait l'objet de la proposition no 9. Pour ma part, je ne considère pas que les RASED aient à prendre en charge des enfants atteints de troubles psychiatriques. Les RASED ont pour mission de s'occuper des enfants qui ont des difficultés d'apprentissage ponctuelles. Leurs interventions sont donc nécessairement limitées dans le temps. Les enfants souffrant de troubles psychiatriques doivent être orientés vers les CMPP, par exemple.
Je partage néanmoins la conviction du rapporteur, sur l'équilibre à trouver entre la sur-psychiatrisation et la nécessaire prévention.
M. Yves Daudigny. - C'est parce que j'ai été alerté localement sur ces questions que j'ai souhaité suivre les travaux de cette mission d'information. Il s'agit d'un sujet d'une grande complexité.
Je souhaite moi aussi citer la contribution du professeur David Cohen, qui souligne également le retard de la France en Europe en matière de formation de professionnels dédiés. En la matière, notre pays se classe au même rang que la Slovénie et la Roumanie. L'attractivité du métier de pédopsychiatre s'est effondrée, comme si ce corps était responsable des maux de la société.
Je voudrais à mon tour évoquer la question des 16-18 ans, voire des 16-25 ans. La frontière des 16 ans, en réalité des 15 ans et 3 mois pour la sécurité sociale, voire des 16 ans et 3 mois dans d'autres circonstances, complique les soins apportés à ceux qui en ont besoin. Il y a une spécificité de l'adolescence, faite d'une vulnérabilité particulière. La prise en charge de ces jeunes dans les services de psychiatrie adulte, pour les jeunes comme pour les adultes qui s'y trouvent, n'est pas la meilleure solution.
J'en viens à la T2A. On en constate déjà les limites là où elle est appliquée. Si elle devait être introduite en matière de pédopsychiatrie, je vous inciterais à la plus grande prudence. En psychiatrie, on ne soigne pas avec des machines, il n'y a pas d'imagerie. Le plateau technique, ce sont les médecins. L'acte technique, c'est la discussion. Cela demande du temps. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si la part salariale dans le budget des hôpitaux psychiatriques est plus importante que dans les hôpitaux généraux.
Dans mon département, il y a un établissement qui a des difficultés financières, et qui doit donc couper ses dépenses. Dans le même temps, il lui est demandé d'améliorer la qualité et la traçabilité des soins. Pour cela, il lui faudrait mettre à jour son système d'information, ce qui lui est impossible. Il est pris en tenaille entre deux injonctions contradictoires, et ce sont les patients qui en paient le prix.
Mme Corinne Imbert. - Je n'avais pas le sentiment que les RASED avaient été complètement supprimés. Ils fonctionnent encore dans certains départements, certes avec peu de moyens. Je suis donc favorable à leur renforcement.
Des enseignants spécialisés continuent à être formés : des maîtres E, chargés des difficultés d'apprentissage, et des maîtres G, chargés des difficultés d'adaptation à l'école, pour les enfants qui ne parlent pas, par exemple.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je vais essayer de répondre - pas forcément dans l'ordre ! - à toutes les questions.
Pour ce qui est des remarques de méthode, je rappelle, mes chers collègues, que nous avons dû travailler en des temps très contraints. Je suis désolé qu'il ait fallu attendre aujourd'hui pour vous transmettre le rapport qui est consultable depuis mercredi dernier. Cela dit, j'ai participé aux travaux de trois missions d'information, et je n'ai jamais pu emporter de rapport chez moi pour y travailler.
Mme Catherine Génisson. - Sans aller jusque-là, les travaux des missions d'information auxquels j'ai participé prévoyaient une discussion avec le rapporteur et le président avant l'examen du rapport, afin, le cas échéant, de le modifier.
M. Alain Milon, président. - Nous sommes tous très occupés !
Mme Catherine Génisson. - C'est ce que nous avons fait pour la mission d'information sur la démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Quand j'ai proposé ce thème de rapport, j'étais conscient que l'exercice était, veuillez m'excuser du terme, « casse-gueule ». La psychiatrie est un domaine compliqué, la pédopsychiatrie l'est encore plus. On y inclut souvent la question de l'autisme. Si elle n'a pas été abordée, ce n'est pas faute de temps ; ce n'est pas par mépris ; c'est tout au contraire un choix. D'abord, parce que l'autisme a fait l'objet de nombreux rapports dédiés. Ensuite, parce que beaucoup de professionnels se refusent à considérer que l'autisme entre dans le champ de la psychiatrie. L'autisme doit être traité de manière spécifique.
Certes, madame Cohen, ce n'est pas le grand soir de la pédopsychiatrie que nous proposons. C'est ce que j'ai voulu. Oui, 52 propositions, c'est beaucoup. Parmi elles, il y a des mesures qui ne sont pas simples à mettre en oeuvre. On aurait pu, certes, les regrouper. Mais je préfère ce côté touffu, qui me semble plus pertinent quand on touche à ce domaine sensible qu'est la psychiatrie.
Mme Mercier nous interpelle sur la nécessaire articulation entre sanitaire et médico-social. C'est un sujet qui me préoccupe depuis le début de ma vie publique. Les deux domaines sont bien définis de manière réglementaire, mais, dans la réalité, c'est autre chose. Tout revient en fait à des questions de financement : qui paie quoi ?
Il en va de même pour les RASED. Ils n'ont certes pas vocation à accompagner les enfants souffrant de troubles psychiatriques. Mais ils ont leur place dans l'accompagnement des enfants ayant des troubles du comportement ou de la personnalité, jusqu'à ce qu'un trouble psychiatrique soit éventuellement diagnostiqué.
Pour les urgences, à mon sens, les choses sont claires. Les urgences psychiatriques sont des urgences de deuxième intention. Ce n'est qu'après avoir analysé les symptômes du patient qui s'est présenté aux urgences que l'on peut l'envoyer aux urgences psychiatriques.
Mme Catherine Génisson. - L'analyse des symptômes n'est pas toujours nécessaire ! Il suffit de voir l'attitude de la personne aux urgences...
M. Michel Amiel, rapporteur. - Des bouffées délirantes peuvent très bien s'expliquer par un hématome sous-dural ! Des médecins ont été traînés devant la justice pour des erreurs de diagnostic.
Il faut donc un psychiatre dans les services de pédiatrie, et un pédiatre dans les services psychiatriques. C'est aussi le sens de la proposition no 32.
La proposition no 14 a pour objet de venir en aide aux médecins généralistes qui peuvent se sentir désemparés face à certaines situations. Cette idée de permanence téléphonique me paraît donc importante.
Pour la recherche, nous avons souhaité identifier trois axes : les études épidémiologiques, l'évaluation des stratégies non médicamenteuses, les neurosciences. Un quatrième à développer serait la recherche paramédicale.
Pour les infirmiers, nous proposons une formation complémentaire dans le cadre du master, une formation initiale spécifique sur ces sujets n'existant plus.
Par ailleurs, que les choses soient claires, je n'ai jamais ouvert la porte à la T2A en matière de pédopsychiatrie. La proposition no 19, que vous citez, madame Cohen, traite des établissements médico-sociaux (EMS), où est pratiqué le prix de journée. Je me suis toujours battu pour une tarification globale. Qu'est-ce à dire ? Quand un enfant placé dans un ITEP fait une fugue et disparaît une journée, ce qui arrive souvent, des moyens considérables sont mobilisés pour le retrouver et, pourtant, la journée « saute ». C'est pourquoi les directeurs d'EMS appellent de leurs voeux la tarification globale.
Mme Laurence Cohen. - La proposition no 19 vise bien à « s'orienter vers une tarification globale pour les EMS sur la base d'une évaluation de leur activité » ! Pour moi, ce sont les besoins des individus qu'il faut prendre en compte.
Idem pour la proposition no 37, dont l'intitulé « Faire évoluer le mode de financement des établissements psychiatriques afin de rémunérer de manière plus adéquate les actes de psychiatrie en établissement hospitalier », peut ouvrir la porte à la T2A.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Rien ne nous empêche de prendre en compte des modifications, chère collègue.
Pour la proposition no 19, nous parlons bien de l'évaluation de l'activité des EMS, des ITEP, par exemple. Rien de péjoratif à cela ! En quoi le terme d'évaluation est-il dérangeant ?
Mme Laurence Cohen. - Et pourquoi cette évaluation ne se ferait-elle pas « sur la base de la réponse aux besoins des populations » ?
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je propose qu'elle se fasse « sur la base d'une évaluation du parcours de prise en charge ».
Pourquoi ne veux-je pas inclure cette notion de « besoins » ? Nous constatons une augmentation exponentielle des demandes en pédopsychiatrie. Les raisons pour cela, chacun peut en trouver : la précarité sociale, la baisse du seuil de tolérance... Les parents dont les enfants sont victimes de troubles sont de plus en plus désemparés.
C'est pourquoi mentionner dans le rapport que l'on va répondre aux besoins me pose problème : nous ne devons pas être dans l'incantation. Nos propositions doivent être concrètes.
Mme Laurence Cohen. - La notion d'offre et de besoins de soin me paraît pertinente. Le responsable de la fermeture de l'internat séquentiel du centre hospitalier Lucien Hussel de Vienne confiait que, selon lui, moins il y avait d'offres de lits, moins il y avait de besoins. Cette notion de besoin doit aussi être insérée dans la proposition no 37.
Pour la proposition no 20, la notion de « panier de soins et de services » me paraît bien minimaliste.
M. René-Paul Savary. - La situation difficile que rencontrent les urgences pose le problème de leur régulation. Le recours aux numéros d'urgence - le 15, le 116 - doit être clarifié et amélioré. Quand une urgence relève de la psychiatrie et que la réponse n'est pas adaptée, cela pose problème. D'autant que ces situations surviennent en général hors des heures ouvrables...
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je ne participe pas, hélas, je n'en ai pas le temps, aux auditions sur ces sujets, mon cher collègue. Mais je suis convaincu que la solution passe d'abord par les urgences générales.
M. René-Paul Savary. - Il y a en ce moment trois groupes de travail sur des questions connexes : le nôtre, qui s'achève, le groupe de travail sur la situation des urgences, un dernier sur les soins de proximité. Tous ces sujets sont liés !
Tout le territoire, par exemple, devrait être couvert par les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP). Le problème vient de leur financement, assuré à 20 % par le département et à 80 % par l'État.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Votre réflexion me permet de revenir sur la notion de « panier de soins ». Il me paraît convenable de dire que l'ensemble du territoire doit être couvert par une démarche de soins minimale. Ce n'est pas le cas aujourd'hui ! Il y a des départements où il n'y a pas de pédopsychiatres ; il y a même des universités où il n'y a pas de chef de service en pédopsychiatrie !
Mme Laurence Cohen. - Ces 52 propositions reflètent tout de même une certaine orientation. Quand on les additionne, on réalise que le rapport ne prend pas en compte la pénurie existant en pédopsychiatrie. Le rapport reste en deçà des exigences des professionnels.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Mais en matière de pédopsychiatrie, nous ne disposons même pas du minimum ! Moi, je veux partir du réel pour l'améliorer. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais, si les 52 propositions sont appliquées, ce ne serait déjà pas si mal.
Mme Catherine Génisson. - Il est bien évident que les troubles psychiatriques sont parfois l'expression de troubles somatiques. Certains hôpitaux disposent de services psychiatriques. Il serait intéressant d'affecter directement des malades connus pour leur trouble dans ces services, avec la venue d'un médecin des urgences, plutôt que de les laisser mettre le bazar aux urgences générales.
Je voudrais insister sur l'importance de la relation humaine dans ce domaine, notamment pour apprécier les besoins. Le téléphone peut ne pas suffire. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on consulte tardivement. Les gens sont habitués à attendre avant de consulter. L'évaluation des besoins est donc nécessaire, mais compliquée.
Ce qui saute aux yeux dans nos travaux, c'est que la pédopsychiatrie, c'est le tiers-monde. Ce sujet devra être pris en charge par le futur Président de la République. Nous devons lancer un cri d'alarme.
Pour ce qui est de la T2A, elle ne pourra pas être mise en place en psychiatrie. Il faut des formulations plus claires dans les propositions, parler de parcours de soin, par exemple.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Je ne suis pas assez « grande gueule », cela m'a d'ailleurs joué des tours. Non, je n'ai pas repris l'expression de « tiers-monde » dans mon rapport. Mais dans mon introduction, j'ai tout de même largement développé le fait qu'il s'agissait d'un secteur sinistré.
Mme Catherine Génisson. - On pourrait peut-être reprendre les propos du professeur Cohen en le citant ?
M. Michel Amiel, rapporteur. - Toutes les auditions ont été publiées.
Mme Laurence Cohen. - Oui, mais les contributions écrites le seront-elles ?
M. Michel Amiel, rapporteur. - Pour ceux qui en font la demande, oui !
Mme Laurence Cohen. - Je reviens sur la méthode. Nous découvrons le rapport, aujourd'hui, un rapport qui est très riche. La conférence de presse a certes lieu demain, mais peut-on disposer d'une semaine, au lieu d'une journée, pour vous transmettre nos contributions ?
M. Michel Amiel, rapporteur. - Sous réserve d'un avis contraire du président Milon, les contributions pourront être remises d'ici à une semaine. La publication à proprement parler serait donc décalée.
M. Alain Milon, président. - Entendu, mais il ne faut pas que cela devienne une habitude.
M. Michel Amiel, rapporteur. - J'en viens à la question des lits. L'expression retenue dans la proposition no 24 - « réouverture de quelques lits » - vous choque, madame Cohen. Il est vrai que le mouvement de désinstitutionnalisation, largement idéologique, a eu des effets paradoxaux. En voulant intégrer le malade mental dans la cité, on a contribué à raréfier les lits en psychiatrie et en pédopsychiatrie.
C'est pourquoi, et j'en reviens à ma notion de « panier de soins », tout territoire pertinent doit avoir un minimum de lits d'urgence, à condition qu'il ne s'agisse pas de « lits pièges ». Quant au nombre, peut-être en faut-il deux en Lozère, mais dix dans les Bouches-du-Rhône.
Mme Laurence Cohen. - Je propose d'enlever « quelques » dans la proposition no 24 : « Poursuivre le mouvement de réouverture de lits... ».
M. Michel Amiel, rapporteur. - Entendu !
Quant à la notion de mineur, utilisée pour le titre du rapport, elle me semblait importante pour une raison de clarté administrative.
M. René-Paul Savary. - La question de la limite entre mineur et majeur pose tout de même problème. La question se pose aussi dans nos départements pour les mineurs étrangers non accompagnés. Ce n'est tout de même pas le problème du jeune que de savoir s'il doit être pris en charge par le département ou par l'État, selon son âge ! Pour ce sujet comme pour la pédopsychiatrie, on peut améliorer les dispositifs en rompant les barrières liées à l'âge. Le système de santé du XXIe siècle doit placer l'individu, et non plus les structures, au centre du dispositif.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Tout à fait, et cela implique de briser les silos pour créer une organisation horizontale, et non plus verticale. Cette conviction apparaît dans le rapport, même si nous ne donnons pas la recette, qui supposerait de refonder toute l'approche sanitaire et médico-sociale française.
Le principal mérite de ce rapport est d'exister. Nos débats montrent bien les difficultés auxquelles nous nous heurtons sur ces sujets. Ce rapport ne va pas tout régler, mais ses propositions sont pragmatiques.
Refondre le système passe par une prise en charge par individu, et non plus par catégorie. Cela, hélas, on ne sait pas encore le faire.
Mme Laurence Cohen. - La proposition no 29 vise à « prévoir des dérogations au principe d'interdiction de la double prise en charge par l'assurance maladie pour les prises en charge sanitaires des mineurs souffrant de troubles psychiatriques ». En tant qu'orthophoniste, je peux vous dire que la prise en charge externe des enfants normalement traités dans des CMP ou CMPP est un vrai calvaire ! Or, M. Savary l'a dit, les accords locaux qui avaient été parfois trouvés pour permettre la double prise en charge ont été bouleversés.
Je propose donc de parler, dans cette proposition, de « Permettre la double prise en charge par l'assurance maladie ». Nos enfants ont besoin d'une vraie continuité de soins. Il est tellement long de faire bouger les types de prise en charge que l'on est presque dans des situations de rupture de soin !
M. Michel Amiel, rapporteur. - Entendu pour : « Permettre la double prise en charge », etc.
Mme Catherine Génisson. - C'est fondamental !
Une précision : je ne voulais pas que le rapport traite de l'autisme. Je dis seulement que le législateur ne doit pas être un prescripteur médical.
Mme Aline Archimbaud. - Je regrette de n'avoir pas pu, pour des raisons personnelles, participer aux travaux de cette mission d'information. Bravo à tous pour ce travail.
Il me semble absolument nécessaire de souligner la sous-dotation vraiment cruelle dont souffre le secteur. Nous devons vraiment lancer l'alerte sur ce sujet, car la situation est difficile dans tous les territoires.
Une question sur la proposition no 50 : « Encourager l'évaluation des stratégies non médicamenteuses en psychiatrie afin de vérifier leur conformité aux recommandations nationales ou internationales ». Pourrait-on être plus précis pour rendre la proposition plus concrète et plus opérationnelle ? Il y a en effet un débat très vif sur ces questions.
M. Michel Amiel, rapporteur. - Pour moi, l'évaluation des stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses ne peut être le fait que des HAS. Il n'y a pas de substitution possible.
Il n'y a pas de recette miracle pour traiter certaines pathologies. Et le politique n'a pas à décider du bien-fondé des thérapies. Nous n'avons pas à tomber dans les querelles de chapelle, qui voient s'opposer un courant psychanalytique, toujours fort en France, et un courant plus anglo-saxon, la thérapie cognitivo-comportementale.
Il y a eu des abus, c'est sûr. Des souffrances ont été infligées aux parents, qui culpabilisent déjà tous de voir leur enfant malade. Le livre de Bruno Bettelheim, La Forteresse vide, a contribué à culpabiliser des générations de parents, de mères. Il ne nous revient pas de raviver les polémiques stériles.
Quant au flou entourant la proposition no 50, on pourrait peut-être ajouter : « sous l'égide de la HAS » ?
Mme Marie Mercier. - Chacun son rôle. Les professionnels savent se retrouver entre eux, lors de colloques, par exemple, pour échanger. Laissons-les travailler.
Mme Catherine Génisson. - Nous sommes d'accord !
M. Alain Milon, président. - Nous allons nous prononcer sur la publication du rapport, qui sera retardée d'une semaine pour intégrer vos contributions.
Le rapporteur propose également de compléter le titre avec la mention : « De la pédopsychiatrie au bien-être et à la santé mentale des jeunes ».
M. Michel Amiel, rapporteur. - On part d'un fait clinique pour arriver au bien-être et à la santé mentale des jeunes, pour reprendre les thématiques du professeur Moro.
Mme Laurence Cohen. - Cela me semble contradictoire avec vos propos liminaires, monsieur le rapporteur. Il me semble important de conserver les termes « psychiatrie des mineurs ».
M. Michel Amiel, rapporteur. - On explicite le titre, c'est tout. Derrière l'aspect sanitaire de la pédopsychiatrie, il y a la question du mal-être. C'est en partant de ce mal-être que l'on peut empêcher une évolution vers des troubles plus graves, par exemple.
Mme Catherine Génisson. - Le titre actuel est lisible par tous. Cet ajout nous fait retomber dans des querelles de chapelle.
M. Michel Amiel, rapporteur. - D'accord, gardons le titre actuel.
M. Alain Milon, président. - Sous réserve des contributions qui y seront apportées, je mets le rapport aux voix.
Le rapport est adopté.
La réunion est close à 11 heures.