Mardi 4 avril 2017
- Présidence de M. François-Noël Buffet, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Mission sur le redressement de la justice - Examen du rapport d'information
La commission examine le rapport d'information sur le redressement de la justice.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons le rapport d'information du président Philippe Bas sur le redressement de la justice.
M. Philippe Bas, président-rapporteur de la mission. - Cette mission d'information a rassemblé un sénateur de chaque groupe politique. Pour la mener à bien, la commission des lois a reçu les prérogatives d'une commission d'enquête. La mission a entendu près de 300 personnes et effectué 13 déplacements, qui lui ont permis de visiter quinze juridictions, quatre centres pénitentiaires, trois écoles de formation aux métiers de la justice, la plate-forme nationale des interceptions judiciaires et le chantier du futur palais de justice de Paris. Son rapport compte environ 300 pages et présente 127 propositions.
La dimension financière des problématiques de la justice a été très présente dans les travaux de la mission, ainsi que les questions de gestion et d'évaluation.
La justice va mal. Au cours des cinq dernières années, le stock d'affaires en attente d'être jugées a augmenté de plus de 25 % pour les juridictions civiles, certaines atteignant même près de 28 %. En presque dix ans, les délais de jugement sont passés d'environ sept mois à près d'un an pour les tribunaux de grande instance. Or le nombre de magistrats et de greffiers diminue, et les vacances de postes sont devenues endémiques : actuellement, près de 500 postes de magistrats et 900 postes de greffiers ne sont pas pourvus dans les juridictions. M. Urvoas a parlé d'une « clochardisation » de la justice. Il est clair en tout cas que nous sommes proches de l'embolie, sachant que, chaque année, les juridictions sont saisies de plus de 2,7 millions d'affaires civiles et 1,2 million d'affaires pénales nouvelles.
Pour des centaines de milliers de Français chaque année, la justice c'est d'abord les litiges relatifs aux loyers, aux bornages, aux crédits à la consommation, aux saisies sur salaire, aux saisies immobilières, aux servitudes de passage, à l'état civil, au droit du travail, au recouvrement de créances, aux divorces, à la garde des enfants et aux pensions alimentaires. À l'égard de tous ces concitoyens en demande de justice, les tribunaux doivent avant tout répondre à un impératif de service public : qualité, facilité d'accès, simplicité de fonctionnement, rapidité et, bien sûr, effectivité de l'exécution des jugements.
Il suffit d'énoncer toutes ces exigences pour mesurer le chemin qui reste à parcourir pour que la justice réponde pleinement aux attentes des justiciables. En attestent aussi les lenteurs et les dysfonctionnements de l'aide juridictionnelle et l'incroyable complexité du partage des rôles entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance, qui est à la fois fonction de la somme en jeu et de la spécialité à laquelle l'affaire se rattache. Dans notre pays, le chemin de l'accès au droit demeure trop souvent labyrinthique.
Il ne faut donc pas s'étonner de l'essor fulgurant des sites internet qui proposent une palette de plus en plus large de services permettant à nos concitoyens de traiter leurs litiges, selon un modèle déjà entré dans les moeurs aux États-Unis. De plus en plus de justiciables règleront ainsi leurs différends par référence aux jurisprudences certes, mais en dehors des tribunaux. Acceptable, et même souhaitable à certains égards, cette évolution inéluctable n'est pas sans risques et doit donc être maîtrisée.
La mission d'information croit à la vertu irremplaçable du juge pour rendre une justice impartiale, conforme à la loi et reposant sur une appréciation exacte et individuelle de chaque affaire. Cependant, elle relève que le marché du droit est en pleine expansion et que, sur ce marché, les tribunaux n'ont plus de monopole. C'est une raison supplémentaire d'appeler à des réformes profondes de modernisation de notre institution judiciaire, qui supposeront l'engagement des magistrats, des greffiers et des professionnels du droit - au premier rang desquels les avocats.
Quant à la chaîne pénale, elle se caractérise par un phénomène de saturation dont une des manifestations est que 100 000 condamnations à une peine de prison ferme sont en attente d'exécution, dont une grande partie donne lieu à des peines de substitution et une autre, très faible mais difficile à chiffrer, ne donnera jamais lieu au moindre commencement d'exécution. Une autre de ces manifestations est que 70 000 détenus sont enfermés en France alors que la capacité de nos prisons n'est que de 58 000 places.
Surtout, la préoccupation de la prévention de la récidive et, plus généralement, celle de la réinsertion des condamnés demeurent insuffisamment prises en compte par notre système pénitentiaire. On pense à l'entrée en prison, pas aux conditions de la sortie : les modalités de la détention ne sont adaptées ni à la diversité des situations des condamnés et des prévenus, ni à l'exigence d'un suivi individualisé de qualité pour prévenir la récidive.
Les comparaisons internationales font apparaître que la situation française se caractérise par une sous-capacité pénitentiaire. La France dispose de 86 places de prison pour 100 000 habitants, là où l'Allemagne en compte 91 et l'Angleterre 152. Quant aux alternatives à la prison, elles sont également moins développées en France que dans les pays comparables. Si les aménagements de peines sous forme de surveillance électronique ont augmenté de plus de 50 % en 2011, ils sont restés à peu près stationnaires depuis lors. Pour rattraper son retard et créer des conditions de détention et d'application des peines dignes d'un grand pays moderne et mieux prévenir la récidive, la France doit revoir en profondeur ses moyens et ses pratiques.
L'enjeu essentiel du redressement de la justice n'est pas le bouleversement de l'institution judiciaire mais la modernisation de son fonctionnement.
Au cours d'une plongée de neuf mois dans le monde de la justice, jamais ou presque la question du manque d'indépendance n'a spontanément été soulevée, sauf pour ce qui concerne l'achèvement de la révision constitutionnelle relative à la nomination et à la discipline des magistrats du parquet. L'indépendance est profondément ancrée, non seulement dans notre droit, mais aussi dans la culture et les pratiques des magistrats. Elle est un bien précieux que la justice doit défendre et chérir, dans l'intérêt des justiciables. Solidement établie, elle n'est en rien menacée. Elle n'est d'ailleurs pas un obstacle à la modernisation nécessaire de l'activité juridictionnelle.
La séparation constitutionnelle des juridictions administratives et des juridictions judiciaires, la mission essentielle du Gouvernement, responsable devant le Parlement, pour la bonne administration du service public de la justice, l'unité indissoluble du corps des magistrats, le rôle du garde des sceaux dans la définition de la politique pénale constituent sans doute, avec d'autres questions passionnantes pour les constitutionnalistes, des thématiques de grande portée symbolique et politique. Aucune de ces thématiques n'a cependant le moindre impact sur le traitement des difficultés actuelles du service public de la justice, si l'on se place du point de vue du citoyen en attente de la décision du juge.
C'est pourquoi la mission a concentré ses réflexions et ses propositions sur la question des moyens, de l'organisation et de la gestion des juridictions plutôt que sur la conception de réformes institutionnelles sans portée concrète.
Voilà pour notre diagnostic. Je vais maintenant évoquer nos propositions.
Soucieuse de mieux maîtriser les délais de la justice, la mission estime indispensable de permettre aux juridictions de traiter le flux des affaires nouvelles, civiles et pénales, dans des délais de jugement raisonnables. Cet objectif exige de renforcer les moyens humains des juridictions, mais aussi d'améliorer les outils informatiques pour simplifier et accélérer les procédures. Renforcer les moyens humains des juridictions consiste d'abord à résorber les vacances de postes récurrentes de magistrats et de fonctionnaires. Je pense en particulier à la question des emplois localisés et à l'inexistence de tout référentiel sur le temps de travail de magistrat qu'est censé requérir chaque type de dossier.
Il faudrait aussi alléger la charge des juridictions, qui pèse concrètement sur les magistrats et les greffiers, par la voie de la déjudiciarisation ou de la dépénalisation, ainsi que par l'encouragement des modes alternatifs de règlement des litiges, de nature à limiter le nombre des affaires portées devant la justice, mais également par la voie de la simplification et de la dématérialisation des procédures. L'utilisation des technologies devrait davantage permettre de simplifier le travail des juridictions, sans méconnaître les risques liés plus globalement aux innovations technologiques. La justice est très lente à absorber les moyens numériques offerts par les techniques nouvelles.
Les lois de 2004 et 2009 ont confié au juge de l'application des peines la décision d'incarcération ou non des condamnés, ce qui crée des troubles, tant pour les parties civiles que pour les condamnés eux-mêmes et pour l'opinion publique : on ne peut comprendre qu'un condamné à moins de deux ans d'emprisonnement puisse, dans de nombreux cas, n'être jamais incarcéré. Il ne s'agit pas d'enfermer à tout prix, car la prison peut être l'école de la délinquance et des alternatives existent - bracelet électronique, obligation de traitement, travaux d'intérêt général, etc. -, mais d'éviter de tromper le délinquant, les parties civiles et la société tout entière sur la nature même de la condamnation : nous proposons ainsi que le délai de deux ans soit ramené à un an, et que la sanction prononcée par le tribunal soit bien explicitée dans le jugement.
Puisque l'on ne peut se contenter d'exiger que les peines de prison ferme soient exécutées si les prisons n'en ont pas la capacité, le rapport propose la création, échelonnée dans le temps, de 15 000 places de prison. Nous savons qu'un tel chantier est long, puisque le plan de création de 13 000 places décidé dans la loi de programmation de 2002 ne s'est achevé qu'en 2011. Nous gagnerions donc à réfléchir à une diversification des modes d'accueil des délinquants les moins dangereux, en créant par exemple des établissements aux normes de sécurité allégées, moins chers et plus rapides à construire que de grands centres pénitentiaires.
En deuxième lieu, la mission estime nécessaire de mieux garantir la qualité des décisions de justice en première instance, d'abord dans l'intérêt des justiciables, qui font appel à la justice pour trancher un litige ou qui attendent d'elle la condamnation des auteurs d'infraction, mais aussi pour limiter le volume des appels et des pourvois en cassation. Il faut pour cela que les magistrats disposent de davantage de temps pour examiner chaque affaire, de façon plus collégiale. La qualité des décisions en appel doit, elle aussi, être améliorée, dans le cadre d'un nouveau modèle de cour d'appel, reposant sur la notion de taille critique, pour permettre une plus grande spécialisation des magistrats : quand une cour d'appel compte une dizaine de magistrats, ceux-ci ne peuvent pas être aussi spécialisés que dans une cour qui en compte une centaine.
À la question des effectifs de magistrats s'ajoute celle du rôle du juge. Ces dernières années, ont successivement vu le jour l'assistant de justice, le greffier assistant de magistrat, le juriste assistant... Nous avons repris cette idée : permettre au juge de se recentrer sur son office, sur le coeur de sa fonction, grâce au développement d'une équipe de collaborateurs autour de lui, doit contribuer à des décisions de meilleure qualité, si le juge peut être déchargé de tâches secondaires, qui seraient effectuées par d'autres, qui pourraient aussi être de jeunes magistrats frais émoulus de l'École nationale de la magistrature, sur des postes dédiés auprès de magistrats plus chevronnés.
La mission s'est également intéressée à la question de l'harmonisation des jurisprudences. C'est en principe le rôle des cours d'appel et de la Cour de cassation, mais leur intervention est bien tardive. Y procéder au sein d'une même juridiction ou entre juridictions dans le ressort d'une même cour d'appel se heurte, nous disent les magistrats, au principe d'indépendance qui les protège. Cette attitude défensive nous semble exagérée, d'autant que les pôles et services n'ont cessé de se développer au sein des juridictions, qu'ils sont coordonnés par un magistrat et qu'un décret de 2016 encadre désormais ces pratiques. Nous proposons en conséquence que l'harmonisation des jurisprudences soit recherchée dans le cadre de ces pôles, sans imposer au juge quelque doctrine que ce soit.
La mission estime par ailleurs que les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires de greffe altèrent la qualité du travail des juridictions. Les juridictions doivent avoir la capacité matérielle de faire face aux besoins de leur fonctionnement courant et bénéficier de bâtiments en bon état. C'est loin d'être partout le cas.
Ce que nous avons vu au tribunal de grande instance de Nancy nous a effrayés. À Lille, le bâtiment est très beau mais, pouvant brûler en vingt minutes, les personnels devront le quitter bientôt. Le tribunal de grande instance de Bordeaux est presque flambant neuf, mais un substitut a failli être écrasé par la chute d'un pan de la charpente dans une salle d'audience. À Bobigny, les familles en attente de jugement sont accoudées aux dossiers d'archives entassés dans les couloirs, et les agents du greffe n'ont plus la place de mettre les pieds sous leur bureau, où d'autres dossiers ont été empilés. Cette situation n'est pas digne. À trop attendre pour investir et entretenir les bâtiments, on augmente le coût des investissements à faire.
Au chapitre des conditions de travail, il faudrait ajouter les moyens informatiques. Le développement des applications nécessaires au bon suivi des instances, en matière pénale comme en matière civile, ainsi que de celles qui permettent à nos concitoyens de déposer leurs demandes devant les tribunaux de manière dématérialisée, a beaucoup de retard, même si le ministère a déployé en ce sens de réels efforts.
En troisième lieu, il convient de renforcer la proximité de la justice. La réforme de la carte judiciaire menée en 2008 visait à concentrer et mutualiser les moyens, l'enjeu est aujourd'hui celui de la proximité.
C'est pourquoi nous proposons la création d'un tribunal unique de première instance, mais sans suppression de lieux de justice. Les tribunaux d'instance, juridiquement absorbés par le tribunal de première instance, resteront des lieux de justice. Et pour mettre fin à la difficulté du justiciable de s'y retrouver dans les compétences respectives du tribunal d'instance et du tribunal de grande instance, les demandes pourront être déposées en n'importe quel lieu de justice du département. Nous proposons en outre que des audiences puissent avoir lieu dans tous les lieux de justice du département, y compris pour les affaires qui ne sont traitées aujourd'hui qu'au siège du tribunal de grande instance. Toutefois, si les pouvoirs publics décidaient d'opérer ces regroupements, sans que les vacances de postes n'aient été résorbées, le risque serait grand de répartir la pénurie : le rapport, prudent, propose de ne déployer cette réforme que progressivement, en résorbant les vacances de postes au fur et à mesure. Nous proposons aussi que les greffiers, qui ne peuvent tous être soumis à de fortes mobilités géographiques, bénéficient de toutes les garanties propres à leur statut.
Nous voulons également, alors que la justice de proximité créée en 2002 a été supprimée, rétablir quelque chose ressemblant aux juges de paix. La conciliation est un moyen d'y parvenir. Les conciliateurs, bénévoles, reçoivent aujourd'hui les particuliers qu'un litige oppose en dehors d'un tribunal, pour 90 % de leur activité, et trouvent une solution dans la moitié des cas environ. Lorsqu'ils échouent, les parties saisissent le tribunal et les juges, n'ayant aucun élément provenant du conciliateur, reprennent le dossier à zéro. Pour développer le règlement en équité des litiges, le rapport propose d'améliorer le statut des conciliateurs - qui n'ont droit qu'à environ 500 euros par an, sans compter les frais kilométriques - et de conforter leur rôle, en les autorisant à présenter une solution au juge. Nous proposons en outre que le nouveau juge du tribunal de première instance chargé des contentieux de proximité exerce ses pouvoirs de conciliation et qu'il puisse être aidé dans cette tâche par des collaborateurs. Il existe par exemple des délégués du procureur : pourquoi n'y aurait-il pas des délégués du juge du tribunal de première instance ?
Si le service public de la justice est gratuit, les avocats sont souvent trop chers pour nos concitoyens. L'accès à l'avocat, pour beaucoup de Français, passe par l'aide juridictionnelle. Or sa situation n'est pas de nature à nous rendre fiers de notre système : ses bénéficiaires sont beaucoup plus nombreux en France qu'en Allemagne ; le montant de la rémunération de l'avocat y est plus faible ; le système de financement du dispositif est chaotique, fait de bric et de broc ; la coordination entre l'aide juridictionnelle et les contrats de protection juridique est mal assurée.
Nous proposons de restaurer un « droit de timbre » - nos avis divergent sur ce point au sein de la mission - et de simplifier l'attribution de cette aide : d'une part, en facilitant la communication au greffe d'éléments de preuve de l'éligibilité au dispositif et, d'autre part, en écartant effectivement les demandes manifestement infondées. C'est une obligation depuis vingt-cinq ans, mais cette disposition est trop délicate pour être vraiment appliquée. Il nous semble que les avocats pourraient eux-mêmes effectuer ce filtrage, à condition bien sûr d'être rémunérés. Nous proposons enfin de prévoir un avantage fiscal pour inciter à la souscription d'un contrat de protection juridique. Un tel dispositif existe dans le domaine de la santé. Cela permettrait d'économiser les fonds dédiés à l'aide juridictionnelle et de solvabiliser une partie de la profession d'avocat, notamment en région parisienne où ils sont très nombreux.
J'en viens enfin à l'exécution des peines. Notre fréquentation assidue des tribunaux correctionnels et des établissements pénitentiaires nous a convaincus que notre pays se préoccupait davantage de la sanction que de la prévention de la récidive. Il faut certes se préoccuper de la sanction, car la condamnation a bien pour objet de punir, mais les efforts visant à diminuer la récidive sont insuffisants. Nous gagnerions à réduire au maximum les « sorties sèches », en accompagnant mieux les personnes remises en liberté. Un tel objectif suppose aussi de renforcer les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation.
Comment atteindre ces objectifs ?
Toutes ces propositions nécessitent de l'argent,
beaucoup sans doute mais pas autant que ce que l'on pourrait craindre. De 2002
à 2017, les crédits du ministère de la justice se sont
sensiblement accrus, passant de 4,5 à 8,5 milliards d'euros. Mais
si j'examine la progression par périodes de cinq ans, je constate que la
progression a été de 37 % de 2002 à 2007 et seulement
de 19 % de 2007 à 2012 puis de 15,5 % depuis 2012. Si
l'augmentation des moyens n'est pas douteuse, il faut être conscient
qu'elle va principalement vers l'administration pénitentiaire et vers
des frais de justice accrus par les techniques nouvelles
- identification par ADN ou écoutes
téléphoniques -, et pas pour le crayon et le papier des
greffiers, si bien que les justiciables n'en perçoivent pas les
effets.
Ces constats nous ont convaincus de l'importance d'une loi de
programmation
- quelle que soit la majorité au pouvoir -
pour assurer la progression des moyens de la justice, comme entre 2002 et 2007.
À défaut, la justice est une variable d'ajustement. Seconde
conclusion : la stricte application des règles de gel
budgétaire à un ministère comme celui de la justice a des
effets désastreux, en matière de désorganisation, sur la
gestion des travaux immobiliers par exemple, puisque cela entraîne
pénalités, surcoûts et retards, ou encore sur le paiement
des prestataires de frais de justice. Moyennant quoi, notre justice
« clochardisée » mendie des délais de
paiement à ses fournisseurs à longueur d'année, alors que
c'est un service public régalien par excellence et une autorité
constitutionnelle...
Reprochant au Gouvernement de ne pas assortir ses projets de loi de vraies études d'impact, nous ne pouvions pas ne pas nous astreindre à cet exercice, mais il est très difficile d'évaluer le coût de toutes nos propositions, aussi notre chiffrage est-il très prudent et purement indicatif. Nous avons estimé le coût du plan pluriannuel de création de 15 000 places de prison à 1,8 milliard d'euros, sans compter le fonctionnement afférent. Au total, nous estimons à environ 850 millions en 2022, hors construction des prisons supplémentaires, le coût en année pleine de nos principales propositions.
En contrepartie, le ministère doit se réformer. La Cour des comptes nous a beaucoup renseignés sur la faiblesse des tableaux de bord, des évaluations, des méthodes budgétaires, des outils statistiques des différentes administrations du ministère de la justice. La coordination entre les directions qui font la loi et celles qui gèrent les moyens est insuffisante. C'est pourquoi nous proposons de renforcer le secrétariat général du ministère, ce que l'actuel garde des sceaux a commencé à faire. Il faut en outre que les études d'impact soient sérieuses. Le ministère de la justice doit beaucoup réagir à des émotions de l'opinion publique, si bien que l'on vote des lois sans se préoccuper des dépenses que leur application va occasionner. On fait souvent l'étude d'impact après avoir voté les textes - et le Conseil constitutionnel ne les vérifie pas, nous le savons, laissant la porte ouverte aux dérives...
Voilà résumées à grands traits les 300 pages du rapport auquel ont abouti les neuf mois de travail de la mission.
M. Jacques Bigot, membre de la mission. - Le travail de la mission est extrêmement complet. Le diagnostic est connu, mais la situation s'aggrave, ce qui peut entraîner des dysfonctionnements internes du système judiciaire. Les fonctionnaires de la justice sont dévoués et passionnés par leur mission, mais beaucoup n'en peuvent plus : les juges des libertés et de la détention travaillent souvent le samedi et le dimanche, les procureurs se plaignent des départs trop rapides des substituts, eux-mêmes las... Tous nous ont dit leur désarroi. Au nom du groupe socialiste et républicain, je peux dire que nous partageons le constat dressé par le rapport.
Il faudrait en effet une loi de programmation pluriannuelle, mais aussi le quinquennat d'un garde des sceaux pour mettre en oeuvre toutes ces propositions... Au reste, l'actuel s'y est déjà employé, notamment en renforçant les recrutements de magistrats, ce dont nous nous félicitons. Nous appelons également de nos voeux - depuis longtemps - l'inscription dans la Constitution de l'indépendance du parquet, comme le propose le rapport.
L'essentiel des propositions va dans le bon sens, comme l'effort soutenu de recrutement de magistrats et de personnel des greffes, ou la meilleure prise en compte des possibilités que le numérique et la dématérialisation des procédures peuvent apporter à la justice. Nous avons longuement évoqué avec Mme Taubira, dans le cadre du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, le service d'accueil unique du justiciable : celui-ci ne pourra en effet fonctionner qu'avec une infrastructure informatique opérationnelle, ce qui nécessitera d'importants efforts financiers, humains et techniques. Il y a de gros efforts à faire sur l'informatique.
L'idée d'une équipe de collaborateurs des juges ne peut que nous satisfaire. Partout, les magistrats disent leur satisfaction de bénéficier de l'aide de juristes assistants, voire en réclament davantage. Reste à convaincre les greffiers qu'ils pourraient faire partie de l'équipe du juge : greffier assistant de magistrat, c'est en effet une fonction valorisante.
Rendre l'organisation des juridictions plus opérationnelle est évidemment nécessaire. Modeler la carte des cours d'appel sur celle des grandes régions n'est pas la solution, le rapport le dit bien, même si les cours d'appel sont trop nombreuses. Trouvons une échelle satisfaisante. Pour assurer une meilleure proximité, la création d'un tribunal unique de première instance par département et la possibilité d'avoir des chambres de ce tribunal réparties sur le territoire sont d'autres pistes intéressantes.
Certaines autres propositions ressortissent plutôt de l'organisation propre des juridictions ou de la pratique. Expliquer aux magistrats d'une même juridiction qu'ils pourraient se rencontrer pour harmoniser leur jurisprudence, sans porter atteinte à leur indépendance, c'est en effet une possibilité à exploiter. L'open data de la justice, inscrit dans la loi, mais dont la mise en oeuvre rapide est douteuse compte tenu de l'équipement informatique du ministère, en est une autre.
Nous exprimons donc notre satisfaction globale sur les orientations du rapport.
Nous verrons si le prochain quinquennat permet de réaliser tout cela. Plutôt que de faillite, comme le garde des sceaux, vous parlez de redressement. Est-ce un redressement judiciaire ? En général, on n'attend pas cinq ans après un redressement pour procéder à une liquidation... Les Français sont attachés à la justice, ce qui suffit à justifier qu'on lui donne plus d'ambition.
Nous avons toutefois quelques points de désaccords. D'abord, sur le financement de l'aide juridictionnelle, véritable « serpent de mer ». Le niveau de ressources qui y donne droit est tombé très bas : elle s'adresse donc à des personnes très peu fortunées, pas même aux classes moyennes inférieures. Recréer une contribution pour l'accès au droit pèsera sur ces personnes ! Notre majorité l'avait supprimée en 2014, nous n'avons pas changé d'avis et ne souhaitons pas multiplier les taxes à l'excès.
Autre point de désaccord : l'exécution des peines. La loi prévoit qu'une peine d'emprisonnement peut ne pas être effectuée. Aurait-il fallu confier au juge de l'application des peines la charge de préciser le niveau de privation de liberté, lorsque la peine infligée en prévoit une ? La peine ne vise pas qu'à sanctionner, elle doit aussi permettre d'éviter la récidive, voire préparer la réinsertion. Or 60 % des personnes condamnées à de très courtes peines d'emprisonnement récidivent... Le sujet de l'exécution des peines mériterait à lui seul une mission d'information spécifique, notamment pour réfléchir au positionnement des tribunaux correctionnels, qui consacrent très peu de temps à l'affaire. Nous n'avons pas de désaccord absolu sur ce point, mais une façon un peu différente d'appréhender les choses.
Enfin, il y a une dernière chose, que nous avons entendue partout sur le terrain et qui pourrait constituer une 128ème proposition du rapport : il faudrait arrêter de voter de nouvelles lois que la justice ne peut absorber !
Nous avons quelques réserves sur l'évaluation qualitative et quantitative des juridictions. Il faudra amener la justice, au sein des conseils de juridiction, des assemblées générales de magistrats, à s'interroger sur l'accueil des justiciables et sur ses relations avec les autres administrations. Il faudra aussi voir la place des chefs de juridiction, sans méconnaître le rôle des directeurs de greffe, et l'indépendance des magistrats. Ces sujets sont complexes, ces propositions sont d'ailleurs prudentes.
Nous ferons sur tous ces sujets une contribution écrite.
M. François Pillet. - Quel travail et quelle ambition ! Je suis admiratif de l'étendue du constat, de la profondeur de l'analyse et de la sagesse des solutions qui en découlent. Et je suis par conséquent frustré de n'avoir ne serait-ce qu'une minute pour commenter chacune des 127 propositions... Mais comme je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'y revenir en détail, attendant la suite dans une proposition de loi, je vous donne mon sentiment général.
Nous avons un besoin considérable de magistrats, de compétences, d'expertises. Une bonne justice n'est pas forcément une justice rapide - une petite affaire peut requérir une expertise, une enquête, une comparution personnelle... - et elle est parfois nécessairement chère, car les techniques modernes sont onéreuses. Mieux l'expliquer à nos concitoyens demande assurément de notre part et de la part des médias un surcroît de pédagogie.
Il y a d'autres sources à cette demande croissante de moyens en magistrats : la collégialité d'abord, qui les protège. Or elle a beaucoup diminué ces dernières années. Ensuite, la qualité de la motivation des décisions de justice, qui ne cessera de progresser du fait des changements psychologiques qu'entraînera le mouvement d'open data. En effet, la publication de toutes les décisions de justice poussera les juges, sous la pression des parties, à motiver plus précisément leurs décisions, ce qui leur prendra beaucoup plus de temps.
Enfin, ne négligeons pas l'image que l'institution judiciaire donne d'elle-même. Vous n'avez pas entendu dire au cours de votre mission que le constituant ou le législateur que nous sommes avait été oublieux de l'indépendance de la justice, ce dont je me réjouis. Nous ne sommes toutefois pas les seuls à la protéger, et il est important que les juges eux-mêmes veillent à l'image de leur propre indépendance. Or des dérives récentes ont été observées : il n'est pas sain que des magistrats participent à des manifestations à la suite de faits divers non encore élucidés, ni que des magistrats honoraires - ce qui ne les exonère pas du respect des règles de déontologie - ou en exercice critiquent dans la presse les pratiques de leurs collègues, à la lumière de leur idéologie. Ces pratiques nuisent à l'indépendance de la justice.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la mission « Justice ». - Je salue à mon tour le travail colossal du rapporteur, l'ampleur de son analyse et la pertinence de ses propositions. « Clochardisation » : le terme a en effet été repris d'une expression du garde des sceaux lui-même. Il n'y a malheureusement rien de nouveau dans le constat, il faut des effectifs supplémentaires. La commission des finances a d'ailleurs toujours accepté de voter les hausses successives des crédits et des plafonds d'emplois du ministère de la justice.
Je partage le diagnostic sur la nécessaire modernisation de la justice, notamment en moyens informatiques. Réussir le pari de la modernisation imposera également de stabiliser le droit applicable, et de prendre en compte les initiatives locales ainsi que les demandes des usagers et des praticiens de la justice.
Mme Cécile Cukierman, membre de la mission. - Je salue le travail réalisé par tous les membres de cette mission, qui a abouti à 300 pages et 127 propositions. Nous partageons également le constat qui y est dressé. Il est nécessaire et urgent de redresser notre justice, notamment de sanctuariser et de redresser son budget.
En matière d'accès à la justice, les propositions faites vont dans le bon sens, et nous les soutenons sans réserve. S'appuyer sur les technologies numériques, oui, mais faciliter l'accès à la justice ne doit pas conduire à la déshumaniser. Nous avons également toujours défendu une justice plus proche des citoyens, et c'est précisément ce qui nous rend hostiles à la restauration du « droit de timbre » pour l'aide juridictionnelle, qui avait été instauré en 2011 et supprimé en 2014.
Le rapport entend assurer un meilleur contrôle de l'attribution de l'aide juridictionnelle : qu'est-ce à dire ? Et comment s'y prendre ? Attention aux dérives que ne manquera pas d'entraîner un tel objectif. L'aide juridictionnelle est un moyen précieux pour tous d'accéder à la même justice. Souvenons-nous des propos d'Anatole France : « La justice est la sanction des injustices établies. »
Sur l'emprisonnement, nous divergeons totalement. L'introduction de dispositions sécuritaires visant à incarcérer toujours plus ne redressera pas la justice. La nature ayant horreur du vide, créer 15 000 places supplémentaires de prison conduira inévitablement à les pourvoir. L'emprisonnement doit être l'exception, non la règle. Nous gagnerions à lancer un vaste chantier sur le sens des peines, leur échelle, leur proportionnalité, la décroissance carcérale, mais un quinquennat n'y suffirait sans doute pas... Il n'y a en tout cas pas de fatalité : certains pays européens sont parvenus à faire décroître leur population carcérale !
Réviser la Constitution pour y inscrire l'indépendance du parquet et réformer le Conseil supérieur de la magistrature pour assurer l'indépendance des magistrats et réformer en profondeur notre magistrature est indispensable : nous le disions déjà en juin 2013, lorsque le Sénat s'est prononcé sur le projet de loi constitutionnelle.
Ce rapport a le mérite de poser la question de savoir quel système judiciaire nous voulons, mais nous restons opposés à certaines de ses propositions, qui vont à l'encontre de la conception de la justice que nous avons, et que nous continuerons à défendre.
M. Yves Détraigne. - Je me joins naturellement au concert de félicitations qui accompagnent ce très beau travail.
Ce rapport embrasse de nombreux sujets mais ne prétend pas réinventer l'eau chaude - je reconnais d'ailleurs certaines des propositions que nous avions faites naguère dans de précédents rapports -, ce qui est salutaire. Même si le Sénat sera renouvelé bientôt, il est permis de penser que le flux de rapports sur la justice en sera interrompu, car nous avons avec celui-ci les moyens de passer de la réflexion à l'action. L'état des lieux est largement partagé et les propositions placent notre justice au niveau qui devrait être le sien.
Je pensais toutefois que le redressement de notre justice nécessiterait plus que 850 millions d'euros... J'espère que vous ne vous êtes pas trompés ! Si le chiffre est exact, je ne comprendrais pas qu'après les nombreux rapports sur l'indigence de notre justice, on ne se mette pas au travail pour rendre à notre justice sa dignité.
M. Jacques Mézard, membre de la mission. - Ce rapport est en effet une excellente base de travail, qui reprend de nombreux rapports de terrain. Le bilan est établi, et les propositions de bon sens. Cela étant, il faudra pour les concrétiser de l'argent et des réformes plus que de nouvelles lois, ce qui est souvent la quadrature du cercle... Espérons que le futur gouvernement, quel qu'il soit, l'utilisera pour améliorer le fonctionnement de la justice, sans qu'il soit besoin de beaucoup innover dans la législation. Des améliorations du droit sont souhaitables, mais elles requerraient une vision d'ensemble qui a manqué ces dernières années, surtout en matière pénale.
Le statut des magistrats mériterait à lui seul un débat spécifique. Il est nécessaire de faire évoluer leur recrutement, leur formation et de renforcer leur indépendance, qui va de pair avec une certaine neutralité - nul besoin d'y insister.
Créer un tribunal unique de première instance serait une excellente chose. Vous en excluez cependant les compétences des tribunaux de commerce et des conseils de prud'hommes. Une réflexion sur la coordination de toutes les juridictions de ce niveau serait à tout le moins souhaitable.
Le juge d'instance a déjà une mission de conciliation, puisqu'au terme de l'article 829 du code de procédure civile, « la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement ». Certes, le nombre de dossiers empêche les choses de se dérouler ainsi, d'où la création des conciliateurs qui, au passage, ne concilient pas beaucoup. Vous proposez qu'en cas de désaccord, le conciliateur transmette au juge le bulletin de non-conciliation : c'est une fausse bonne idée, car la conciliation n'a de sens que par elle-même, les gens s'en détourneront, ou bien le juge d'instance aura naturellement tendance à entériner la solution du conciliateur.
Je diverge également sur la conception de l'appel. La tendance, dans les couloirs de la chancellerie, est de considérer que le juge d'appel ne devrait rejuger qu'en droit. Je ne crois pas qu'il faille resserrer l'entonnoir, car il y a déjà la Cour de cassation. La juridiction d'appel doit conserver une vision globale du litige : c'est une bonne tradition.
Un mot sur l'aide juridictionnelle. On connaît les positions des uns et des autres sur le « droit de timbre ». Faire participer la partie perdante procède d'une bonne intention, mais me semble être un voeu pieux... Clarifier les règles relatives aux contrats de protection juridique est en revanche une bonne chose, car nos concitoyens ont souvent plusieurs contrats dont ils ignorent l'existence. Sophie Joissains et moi-même avons naguère proposé de mettre à contribution les compagnies d'assurance sur ces contrats. Mais leur lobbying est puissant...
En matière pénale, tant que l'on ne s'attaquera pas à l'échelle des peines, on ne pourra rien obtenir. Celle-ci est devenue un fatras ! Et la situation s'est aggravée au cours de ces deux derniers quinquennats, au point qu'il n'est pas évident pour les magistrats et les citoyens de s'y retrouver. Cela nécessitera certes une évolution législative.
L'application des peines est le cancer de la justice, c'est exact, et elle lui donne une image très négative. Certains magistrats prononcent des peines d'emprisonnement très élevées pour être certains que la peine trouvera un début d'application ! Ce n'est pas raisonnable et cela n'a plus aucun sens. De plus, dire aux condamnés que ce qu'ils ont fait n'est pas bien ne peut tenir lieu d'alternative aux peines d'emprisonnement... Certaines solutions ont un effet positif indiscutable sur la réinsertion, comme les travaux d'intérêt général.
En matière pénitentiaire, le constat est connu. La situation est véritablement explosive dans certains établissements et la carte est assurément à revoir. Certains établissements spécialisés, en Corse ou en Dordogne, donnent cependant satisfaction.
Je souhaite bien sûr que ce travail soit traduit en actes, pour améliorer le fonctionnement de notre justice.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je salue à mon tour le remarquable travail de la mission. Je rejoins pour l'essentiel M. Bigot, qui a parlé avec sa sagesse coutumière.
Je partage également le constat de M. Mézard sur les prisons, qui donnent lieu, en cette période électorale, à des batailles de chiffres. Or l'essentiel n'est pas le nombre de places supplémentaires : ce qui compte, c'est, d'une part, d'arrêter d'enfermer les jeunes pour quelques mois, car ils trouvent en prison la confirmation de leur vocation délinquante, et, d'autre part de préparer la réinsertion des détenus par la formation, l'aménagement des peines, l'accompagnement dans l'emploi, le logement, ainsi que l'accompagnement social et psychologique. Tout le monde sait qu'une personne enfermée finit par récidiver ! Promettre la création de places de prison, c'est trop facile, c'est politicien.
Une loi de programmation pluriannuelle s'impose. La France est le 35ème pays de l'OCDE en termes de moyens de la justice. Il est temps de donner un coup de rein décisif. J'avais jadis proposé avec M. Delebarre un « plan Marshall » pour la politique de la ville, ce qu'il faut aujourd'hui pour la justice. Nos amis de Bercy nous avaient ri au nez, invoquant l'annualité budgétaire ! Il faut au contraire que les candidats à la présidentielle s'engagent à sacraliser une part importance du budget de la justice le temps de leur quinquennat, en dépassant le principe de l'annualité budgétaire.
Mme Cécile Cukierman, membre de la mission. - Je croyais en effet que c'était aux personnes élues, et non à Bercy, de décider...
M. Jean-Pierre Sueur. - L'indépendance du parquet nous vaut de nombreuses remarques de la Cour européenne des droits de l'homme... Tout le monde sait qu'il faut réviser la Constitution pour modifier le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, et l'immense majorité des parlementaires y sont disposés. La dignité de la politique exige de trancher une bonne fois pour toutes.
Bref, je me félicite de cet excellent rapport. Il sera donc agrémenté de deux contributions, qui enrichiront le propos.
M. Philippe Bas, président-rapporteur de la mission. - Il y a manifestement entre nous un large accord sur ces questions, de même que nous avons su nous entendre sur la révision constitutionnelle relative à la nomination et à la discipline des magistrats du parquet. C'est, je crois, la vocation du Sénat que de savoir forger des consensus. Les points de vue divergent peut-être davantage dans le champ de la politique pénale et pénitentiaire, mais nos oppositions ne sont pas insurmontables.
Notre mission visait ce résultat d'entrée de jeu. Elle faisait suite à la visite conjointe d'un tribunal de grande instance et d'un centre pénitentiaire, en région parisienne, que j'avais effectuée avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, et j'ai toujours présenté notre mission à nos interlocuteurs comme visant à faire sortir la justice du champ des controverses politiques. Depuis 1981, les sujets soustraits des débats partisans ont été peu nombreux : la défense, la politique étrangère, la dissuasion nucléaire, la politique du renseignement et, plus récemment, la lutte contre le terrorisme... Cette approche pratique et concrète du fonctionnement d'un service public qui reçoit plusieurs millions de demandes nouvelles par an témoigne de la capacité de la représentation nationale à servir l'intérêt général, et je m'en réjouis.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie et vous invite, mes chers collègues, à voter pour autoriser la publication du rapport d'information.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 16 h 40.