Mercredi 29 mars 2017
- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Examen du projet de rapport
M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête tient aujourd'hui sa dernière réunion consacrée à l'examen du rapport de M. François-Noël Buffet.
Conformément à la réglementation en vigueur, vous avez pu consulter le projet de rapport, mis à votre disposition au cours de la semaine qui vient de s'écouler. Plusieurs d'entre vous ont usé de cette faculté.
Notre commission d'enquête a été constituée en application de l'article 6 bis du Règlement du Sénat, relatif à la procédure du « droit de tirage », à l'initiative du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés. La Conférence des Présidents a pris acte de cette demande le 16 novembre 2016, ses membres ont été désignés le 22 novembre puis la commission d'enquête a été constituée le 29 novembre.
Elle a débuté ses investigations le 3 janvier 2017. Son rythme de travail a donc été relativement intense puisqu'en deux mois, elle a procédé à vingt-deux auditions, dont plusieurs ont fait l'objet d'une captation vidéo et ont été ouvertes à la presse, tandis que trois ont donné lieu à une visioconférence, avec Frontex, Europol et le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO). Au total, elle a entendu trente et une personnalités, dont le précédent ministre de l'intérieur. Je regrette, en revanche, que les ambassadeurs d'Italie et de Grèce en France n'aient pas souhaité répondre à notre invitation de venir nous présenter la situation dans leur pays respectif, pourtant éprouvé par la crise migratoire.
Notre commission d'enquête s'est rendue au siège de l'OFPRA et à Bruxelles et a effectué cinq déplacements sur différentes frontières, à Strasbourg, à Calais, Dunkerque et Grande-Synthe, à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, dans les Alpes-Maritimes, ainsi qu'en Bulgarie qui présente la particularité d'être membre de l'Union européenne et candidate à l'adhésion à l'espace Schengen tout en devant assumer la protection de la frontière avec la Turquie, qui est une frontière extérieure de l'Union européenne. Au cours de ces différents déplacements, nous avons rencontré plus d'une centaine de personnes.
Je vous indique qu'en dehors des auditions, les travaux des commissions d'enquête restent secrets tant que le rapport n'a pas été publié. Pour le moment, il nous est donc interdit de communiquer sur la réunion d'aujourd'hui et sur le projet de rapport de M. François-Noël Buffet. S'il est adopté, il nous appartiendra de décider si nous voulons que le compte rendu de notre réunion de ce jour figure en annexe. De même, s'il est adopté, il en sera fait dépôt dans la journée dans les conditions fixées par le III du chapitre V de l'Instruction générale du Bureau, modifiée sur ce point en octobre 2016. Désormais, l'ensemble des sénateurs, les groupes politiques et le Gouvernement seront informés, par courrier électronique, du dépôt du rapport. Cette mesure de publicité fait courir le délai de 24 heures durant lequel il peut être demandé que le Sénat se réunisse en comité secret. Si une telle demande n'est pas formulée à l'issue de ce délai, le rapport peut alors être publié. Une demande de prolongation de ce délai de 24 heures peut aussi être formulée dans la limite de quatre jours.
La conférence de presse au cours de laquelle sera présenté, et donc rendu public, le rapport aura lieu le mardi 4 avril à 9h30.
Notre rapporteur va nous présenter ses conclusions. Vous pourrez ensuite intervenir dans le débat.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Ma première partie traite du constat et ma deuxième partie présente les propositions que nous pourrions faire.
L'espace Schengen est un projet européen à la fois ambitieux et pragmatique. Engagée en 1985, la construction de l'espace Schengen, qui visait à concrétiser l'objectif de libre circulation, au coeur du projet européen, a été progressive. En plus de 30 ans, cet espace a connu deux principales évolutions : un élargissement géographique de 5 à 26 membres, dont 22 États membres de l'Union européenne et 4 États associés (Islande et Norvège, Suisse, Lichtenstein). À l'origine de nature purement intergouvernementale, l'acquis de Schengen a été communautarisé par le traité d'Amsterdam en 1997.
Le fonctionnement de l'espace Schengen repose sur deux principes fondamentaux : la suppression des contrôles aux frontières intérieures en vue d'assurer la libre circulation - avec toutefois la possibilité de les rétablir temporairement sous certaines conditions. Ensuite, des mesures dites « compensatoires » ont été instaurées afin de limiter les conséquences de la suppression des contrôles aux frontières intérieures (la politique commune des visas, la surveillance des frontières extérieures, la création de bases de données pour faciliter les échanges d'information, la coopération policière et la coopération avec les pays tiers).
Les crises auxquelles l'espace Schengen a été confronté ont révélé ses failles. Je pense en particulier à la double crise de 2015 liée à l'afflux migratoire et aux attaques terroristes sans précédent sur le sol européen. Jusqu'à présent, la libre circulation avait été privilégiée au détriment de la sécurité. La conséquence de ces deux crises fut le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures au sein de l'espace Schengen sans concertation préalable.
Les réactions en domino de repli sur les frontières nationales (Allemagne puis Autriche, Slovénie, Hongrie, Suède, Norvège, Danemark) sont le symptôme d'un manque de réactivité de l'Union européenne et d'une certaine défiance entre États membres.
Aujourd'hui, les contrôles aux frontières intérieures, rétablis en France depuis le 13 novembre 2015, sont maintenus dans notre pays jusqu'au 15 juillet 2017 en raison de la menace pour la sécurité intérieure. En Allemagne, ces contrôles s'exercent à la frontière terrestre avec l'Autriche, en Autriche à la frontière terrestre avec la Hongrie et la Slovénie, au Danemark et dans les ports de Norvège et de Suède, et ce jusqu'au 11 mai 2017, en raison de la persistance de « circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace Schengen ».
En dépit de ces faiblesses et des critiques parfois virulentes, « sortir de Schengen » ne serait pas une bonne idée. Les Européens sont très attachés à la liberté de circulation, qui est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Europe (81 % des Européens interrogés, et 80 % des Français, soutiennent la libre circulation des personnes, selon l'Eurobaromètre de l'automne 2016).
L'idée selon laquelle les frontières sont un moyen de protection infaillible est dépassée. Nous l'avons constaté à l'occasion de nos divers déplacements et entretiens. Les contrôles peuvent être nécessaires, mais ne sont pas suffisants. Yves Bertoncini, directeur de l'Institut Jacques Delors, nous a dit qu'« on n'arrête pas les terroristes aux frontières ». Les faits l'ont démontré.
L'abandon ou le démantèlement de Schengen aurait des coûts administratifs élevés et des incidences économiques très négatives pour certains secteurs, en particulier le tourisme, le transport de marchandises et les travailleurs frontaliers. À Strasbourg et à Menton, nous avons été sensibilisés sur le sujet.
À partir des études de France Stratégie et de RAND Europe, on peut estimer le coût total annuel pour la France à 1,15 milliard, en retenant une hypothèse basse, et à 10 milliards d'ici 2025 en termes d'impact sur les échanges commerciaux.
Le rétablissement des contrôles aux frontières dans notre pays mobilise des moyens importants : ainsi en est-il du redéploiement d'effectifs de la PAF qui a porté le nombre de garde-frontières à 4 300, contre 3 000 en temps normal. De même, le surcoût de la mission immigration-sûreté des douanes est estimé à 25 millions.
D'importantes réformes ont déjà été adoptées pour rééquilibrer le fonctionnement de l'espace Schengen vers davantage de sécurité.
La nécessité de renforcer les frontières extérieures fait aujourd'hui l'unanimité. Lors de nos auditions, personne n'a contesté ce fait. Même si ce fut généralement sous la pression des événements, de nombreuses mesures ont été adoptées depuis fin 2015, le plus souvent grâce à des initiatives franco-allemandes : création des hotspots, transformation de Frontex en Agence européenne de garde-frontières et garde-côtes, révision de l'article 8-2 du code frontières Schengen pour permettre le contrôle systématique des ressortissants de l'Union lors du franchissement des frontières extérieures, adoption de la directive PNR, etc.
Un certain nombre d'autres propositions sont en cours d'examen : création d'un système d'enregistrement des entrées et sorties (EES), d'un système d'information et d'autorisation de voyage (ETIAS), nouveaux signalements et alertes pour compléter le système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) et augmenter le recours à la biométrie, etc.
Beaucoup a été fait pour améliorer le fonctionnement de l'espace Schengen - plus d'avancées en 2 ans qu'au cours des 10 dernières années - mais ces mesures restent incomplètes et leurs effets prendront du temps, notamment pour la mise en oeuvre réelle du PNR. Mais c'est à la faveur des crises que nous avons connues que l'Europe a décidé de réagir et de mettre en oeuvre des moyens pour assurer sa sécurité.
L'espace Schengen doit donc être préservé et sa disparition serait illusoire, compte tenu de la volonté des Européens de le maintenir et du coût d'une telle mesure, sans aucun avantage en contrepartie.
J'en viens à mes propositions. À l'issue des travaux, nous avons identifié 32 propositions, classées selon des horizons de court, moyen et long termes, et formulées dans l'objectif d'un retour complet à la libre circulation au sein de l'espace Schengen.
Je vais vous présenter les six principales propositions. Les autres propositions ont essentiellement un caractère technique.
La première concerne le périmètre de l'espace Schengen : malgré les efforts importants observés en Bulgarie pour appliquer l'acquis de Schengen et protéger les frontières extérieures, le contexte n'est pas propice à un nouvel élargissement de cet espace du fait d'une pression migratoire toujours forte en Méditerranée, de la menace terroriste élevée, des mesures de protection qui ne sont pas encore adoptées ou entrées en vigueur comme le système entrée-sortie. Il convient donc d'exclure tout nouvel élargissement de l'espace Schengen à court terme pour veiller, en priorité, à sa consolidation.
Dans l'immédiat, il serait souhaitable de donner à la Bulgarie et à la Roumanie un accès au système d'information sur les visas (VIS) en mode consultation afin de garantir le bon fonctionnement du futur système entrée-sortie (EES) - conformément à la demande des autorités bulgares.
Ma deuxième proposition concerne l'organisation des garde-frontières : au niveau européen, il faudrait tendre vers la création d'un véritable corps de garde-frontières et de garde-côtes européens habilités à effectuer les contrôles à la frontière extérieure de l'espace Schengen, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La réserve de réaction rapide de 1 500 garde-frontières et garde-côtes est un premier pas, mais il s'agit uniquement d'un dispositif ponctuel qui permet de répondre à des situations de crise.
Dans l'intervalle, au niveau national, il conviendrait sans doute de fusionner les agents de contrôle de la police aux frontières (PAF) et des douanes en un corps de garde-frontières unique. En dépit des efforts de coordination et des problèmes logistiques et juridiques qui sont en voie d'être résolus - notamment pour permettre l'accès direct des douaniers au fichier des personnes recherchées (FPR) - police aux frontières et douanes continuent de fonctionner selon des logiques différentes : les douanes, à l'inverse de la police, laissent d'abord entrer sur le territoire avant de procéder à un contrôle. En contrôlant sur la frontière, la police évite qu'on y pénètre. Ces deux propositions s'inscrivent dans une logique de long terme.
Ma troisième proposition concerne les hotspots. Leur bilan est, dans l'ensemble, plutôt positif car ils permettent d'identifier et d'enregistrer les étrangers entrés sur le territoire de l'espace Schengen. En revanche, la question du retour reste entière. C'est pourquoi il conviendrait de réfléchir à la mise en place de hotspots dans des États tiers afin de limiter en amont l'immigration irrégulière au sein de l'espace Schengen. Cette proposition nécessite un travail important, mais ce n'est pas irréaliste. Elle permettrait d'éviter que des passeurs ne profitent de la situation pour embarquer des réfugiés en mer.
En outre, il conviendrait de dissocier l'orientation des demandeurs d'asile au sein des hotspots externalisés, du traitement des demandes d'asile sur le territoire de l'espace Schengen. En effet, le traitement des demandes d'asile dans les hotspots extérieurs reviendrait à une extra-territorialisation, ce qui est contraire à la tradition juridique française et risquerait de porter atteinte à l'économie générale du règlement Dublin.
Pour mémoire, cette proposition de hotspots extérieurs rejoint l'une des propositions de nos collègues Jean-Yves Leconte et André Reichardt dans une résolution européenne d'avril 2016 sur la réforme de l'espace Schengen et la crise des réfugiés.
Mon quatrième point a trait aux contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen. En France, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures a donné lieu à 85 millions de contrôles et à 63 000 décisions de non admission en 2016, contre 15 000 en 2015. Le contrôle des vols intra Schengen permet quotidiennement d'identifier des personnes recherchées ou qui font l'objet d'une « fiche S ». Le contrôle aux frontières est efficace et répond aux exigences du niveau de menace terroriste très élevé en France. Or, le code frontières Schengen ne permet pas le rétablissement des contrôles au-delà de six mois pour un même motif de menace sécuritaire. La période maximale de deux ans ne concerne que les circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement de l'espace Schengen.
Il est donc nécessaire de procéder à une révision du code frontières afin d'autoriser le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures pour une durée maximale supérieure à six mois, et limitée à deux ans, en cas de persistance d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. Au-delà de deux ans, la prolongation serait soumise à une clause de réexamen. L'objectif ne doit pas être de prolonger les contrôles indéfiniment, mais d'apporter une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle. Cette proposition rejoint la position des ministres français et allemand de l'intérieur, qui ont appelé, le 20 février 2017 dans une lettre commune, à une telle révision.
Le cinquième point concerne les systèmes d'information. Au-delà du développement de nouveaux systèmes d'information comme l'EES, la priorité doit être donnée à l'interopérabilité des systèmes. Parmi les différents scenarii identifiés par la Commission européenne, la création d'une interface européenne unique de consultation des systèmes d'information européens et des bases de données nationales doit être développée en priorité. Cette solution permettrait de répondre à la fragmentation actuelle tout en maintenant des niveaux d'accès différenciés selon les services. Une telle évolution serait préférable à l'interconnexion de l'ensemble des fichiers, qui présente des difficultés techniques et juridiques majeures.
Après de longues négociations, la directive relative à l'utilisation des données des dossiers passagers (PNR) a enfin été adoptée en avril 2016. C'est un premier pas, mais l'essentiel reste à faire pour garantir le caractère opérationnel des PNR nationaux et leur application harmonisée. Je vous rappelle la visite que nous avons organisée à Roissy. Il est donc proposé de mettre en place, au niveau de la Commission, un dispositif de suivi de la transposition de la directive PNR et d'assistance à sa mise en oeuvre opérationnelle. Il faut également rendre obligatoire l'extension du PNR aux vols effectués à l'intérieur de l'Union européenne, conformément à une demande constante de la France. En outre, nous proposons d'étendre la collecte et le traitement des données PNR à l'ensemble des transports internationaux de voyageurs (maritimes, ferroviaires et par autocar).
Je note quelques signaux encourageants : en France, la loi sur l'économie bleue prévoit un PNR maritime et, en matière ferroviaire, les ministres de l'intérieur français, belge, néerlandais et britannique ont annoncé leur intention d'étendre le PNR aux Eurostar et Thalys. Mais, pour éviter les failles, un système harmonisé au niveau européen doit être envisagé.
En conclusion, le rééquilibrage entre libre circulation et sécurité au sein de l'espace Schengen est un travail au long cours. Nous regrettons qu'il ait fallu attendre la crise de 2015 pour mettre en oeuvre les dispositifs actuels.
Des solutions existent, mais elles nécessitent une volonté politique et le développement de nouvelles technologies (systèmes d'information, contrôles automatisés, contrôles mobiles à l'aide d'outils connectés...). Les moyens de contrôles existent, encore faut-il que les politiques veuillent les mettre en oeuvre. Je vous renvoie aux débats au sein du Parlement européen lors des discussions sur le PNR. On nous a d'ailleurs dit que ce PNR ne fonctionnerait pas réellement avant 2022.
Les mutations en cours conduisent à dissocier le contrôle et la frontière et à définir une nouvelle « souveraineté partagée pour des frontières partagées », comme l'a dit Yves Bertoncini. Certains pays craignent de perdre une partie de leur souveraineté, mais je reste convaincu que ce n'est pas de moins d'Europe qu'il nous faut mais de plus d'Europe.
M. Didier Marie. - Les travaux de cette commission d'enquête se sont déroulés dans un très bon esprit. Je regrette que le bureau de notre commission ne se soit pas réuni avant la rédaction de ce rapport : cette réunion nous aurait permis de mesurer les convergences, les éventuelles divergences et les possibilités d'amélioration du texte.
Ce rapport rappelle très opportunément que Schengen est un acquis de la construction européenne, qu'il n'est pas le problème mais la solution pour assurer notre protection et gérer la crise migratoire. Nous prenons donc acte de cette affirmation et nous la faisons nôtre. En outre, le rapport souligne la démarche volontariste du Gouvernement depuis janvier 2015 pour retrouver la pleine et entière maîtrise de l'espace Schengen avec le renforcement et la sécurisation des frontières extérieures, l'amélioration des échanges d'informations et la nécessité d'une réponse coordonnée pour le contrôle des flux migratoires. Certaines réformes ont déjà été adoptées en Europe, comme le mécanisme de relocalisation, les contrôles systématiques aux frontières, la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, le lancement du PNR européen et la révision de la directive « armes à feu ». D'autres réformes sont en cours et il faudra veiller à ce qu'elles aboutissent : ainsi en est-il du système européen d'asile, de l'amélioration de l'utilisation du SIS et du EES, du dispositif ETIAS dont les délais de mise en oeuvre devront être tenus. Notre futur gouvernement devra y veiller. Enfin, d'autres dispositifs devraient intervenir au second semestre de cette année, comme l'interopérabilité des systèmes d'information et la révision d'Eurodac. Le Gouvernement français a été la plupart du temps à l'origine de ces réformes, soutenu le plus souvent par l'Allemagne, ce qui a permis d'améliorer la situation.
J'en viens aux propositions de notre rapporteur. Nous notons un certain décalage entre le texte du rapport et ses propositions. Certaines sont très techniques, d'autres soulèvent des réserves, voire des oppositions.
Nous partageons l'avis du rapporteur sur le développement au niveau européen d'un dispositif de visa pour l'asile, sur la nécessité d'améliorer la gouvernance, de renforcer la transparence et d'informer les parlements nationaux. Nous souhaitons également la simplification et l'amélioration de la coopération policière. Nous sommes aussi d'accord sur la nécessité de transposer la directive PNR et d'accompagner sa mise en oeuvre.
Nous approuvons aussi les propositions techniques permettant d'améliorer la collecte et la circulation des informations, la formation des personnels, l'augmentation des effectifs ainsi que la généralisation des dispositifs PARAFE.
J'en viens aux réserves, voire à l'opposition de notre groupe sur diverses propositions.
Nous ne partageons pas l'idée d'une mise en oeuvre de hotspots dans les pays hors espace Schengen. Cette externalisation n'est, à nos yeux, pas acceptable pour des raisons juridiques et politiques. Sur le plan juridique, la jurisprudence du Conseil d'État fait une lecture stricte du préambule de la Constitution de 1946 en soulignant que le droit d'asile ne peut être sollicité que sur le territoire de la République et, par extension, sur le territoire européen. D'autre part, de sérieux doutes pourraient être émis quant à la réalité des garanties en matière de libertés et de droits fondamentaux des personnes concernées si ces hotspots étaient installés dans des pays tiers ou de transit loin d'être considérés comme des pays sûrs. Nous sommes par ailleurs favorables à la mise en place d'une liste européenne de pays d'origine sûrs. Il serait également difficile de dissocier dans ces hotspots extérieurs les réfugiés qui relèvent du droit d'asile des migrants économiques, ce qui pourrait rompre l'accès équitable aux procédures d'asile.
Nous considérons qu'il y a lieu de faire évoluer le code frontières Schengen, mais avec mesure et discernement, en s'appuyant sur la demande de la France et de l'Allemagne qui ont indiqué leur souhait de moduler, après négociation, l'article 25. En revanche, nous ne sommes pas favorables à l'alignement des articles 25 et 29 du code frontières, considérant que les risques et les menaces aux frontières intérieures et extérieures ne sont pas de même nature. De plus, la possibilité de prolonger jusqu'à deux ans les contrôles aux frontières ne doit pas être automatique.
Le rapport mentionne la création d'une interface européenne unique de consultation des systèmes d'information et des bases de données nationales. Si l'interopérabilité des systèmes européens de fichiers de police est indispensable, elle doit être réservée à la vérification de l'identité déclarée, à la consolidation des données d'identité et permettre de nourrir les bases de données existantes. Rappelons qu'en France, l'interconnexion des fichiers de police n'est pas autorisée. Nous appelons donc à la plus extrême vigilance quant à la création de cette interface si elle devait aboutir à une interconnexion des fichiers de police à l'échelle européenne.
Nous partageons les propositions qui visent à s'assurer de la mise en oeuvre effective du PNR aérien, mais nous sommes beaucoup plus réservés sur un PNR spécifique à l'ensemble des transports internationaux car sa mise en oeuvre nous semble impossible. Tenons-nous à la déclaration de Paris du 29 août 2015 portant sur la sécurité dans les transports ferroviaires frontaliers qui estime qu'il faut privilégier « le plein usage » des outils de coopération policière et judiciaire déjà existants et l'ensemble des outils et des ressources d'informations disponibles, qu'il faut un meilleur partage des informations et qu'il convient de permettre aux agents habilités des polices ferroviaires de consulter les bases de données pertinentes.
Enfin, nous estimons que certains points auraient mérité d'être développés. Ainsi, il conviendrait d'achever la mise en place du système européen d'asile avec l'adoption de la révision de la directive « accueil » et la transformation des directives « procédures » et « qualifications » en règlements, la transformation de l'EASO en agence dotée de pouvoirs renforcés. Il faudrait aussi définir de façon précise la procédure permettant de déclencher les mécanismes de solidarité.
Il conviendrait également de réformer le système de Dublin et de mettre en oeuvre un mécanisme de solidarité en trois phases : renforcement des mécanismes du système Dublin en vigueur en cas d'afflux normal, mise en oeuvre d'un mécanisme de solidarité en cas d'afflux plus élevé et, en cas de crise exceptionnelle, déclenchement d'un mécanisme spécifique fondé sur la base du volontariat. Cette proposition a été émise par la France.
Nous pensons qu'il est très important d'étendre et de renforcer le Partenariat pour les migrations, notamment en développant les accords de réadmission. Il faut aussi mettre en oeuvre le plan Juncker d'investissements extérieurs et augmenter les contributions européennes et nationales à l'aide au développement à destination des pays d'origine et de transit.
Enfin, nous avons tous constaté la grande détresse dans laquelle les migrants se trouvent. Il convient de mieux garantir leur dignité, leur sécurité dans les hotspots de Grèce ou d'Italie, mais aussi dans les camps de Calais ou de Grande-Synthe. Il faut renforcer la lutte contre le trafic des migrants, accorder une attention toute particulière à la situation des mineurs isolés et, bien évidemment, veiller à ce que les conditions de vie soient meilleures.
En conclusion, beaucoup a été fait depuis 2015, en particulier à l'initiative de la France. Désormais, ces mesures doivent être consolidées et l'équilibre entre protection, sécurité et préservation de la liberté de circulation garanti.
M. Michel Billout. - Je partage en grande partie ce qui vient d'être dit.
Certes, vous avez respecté scrupuleusement les règles en vigueur pour les commissions d'enquête, mais il faudrait qu'elles évoluent, car il est difficile de rédiger une contribution en quelques heures après la présentation du rapport. Il faudrait que nous disposions du rapport en amont pour avoir le temps d'en prendre connaissance, ce qui nous permettrait d'avoir des échanges fructueux.
Les travaux se sont plutôt bien déroulés.
Certes, il faut préserver Schengen qui ne peut être tenu responsable de la crise migratoire ni des actes terroristes. Ne tombons pas dans le syndrome Trump en érigeant un mur autour de l'espace Schengen. Le Sénat s'est déjà penché sur ces questions : le rapport de MM. Legendre et Gorce nous a éclairés sur la nécessité de développer en Europe une véritable politique migratoire mieux à même de combattre les flux que nous connaissons. Je regrette que les conclusions de ce rapport ne s'en inspirent pas davantage. Par ailleurs, l'attentat de Londres nous rappelle que la plupart des terroristes sont des nationaux vivant dans l'espace Schengen.
Je suis donc un peu surpris par certaines de vos propositions qui ne correspondent pas tout à fait au contenu du rapport, ce qui m'amènera, avec mon collègue Gattolin, qui m'a délégué son vote, à voter contre.
La mission d'information, dont j'étais rapporteur, qui a travaillé sur la problématique de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie a conclu qu'il s'agissait sans doute de la moins mauvaise solution, mais que ce type d'externalisation des migrants ne pouvait devenir la règle. Ces accords ont en effet des conséquences financières importantes, mais aussi des conséquences politiques qui le sont encore plus et qui peuvent soumettre l'Union européenne à des chantages politiques inacceptables. Ne mettons donc pas le doigt dans cet engrenage.
En outre, les propositions 9 et 10 se contredisent.
Le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures sur une période plus longue n'est pas indispensable. De plus, il est contraire aux règles en vigueur. L'interopérabilité complète des systèmes informatiques est inutile et dangereuse si elle n'est pas encadrée. Or, je doute de notre capacité à y parvenir.
Ma contribution écrite que je vous remettrai cet après-midi sera bien sûr beaucoup plus détaillée.
M. Claude Kern. - Je souhaite rendre hommage au bon déroulement de nos travaux. Comme mes collègues, il me semble essentiel de conserver l'espace et le dispositif Schengen. Certes, beaucoup a été fait depuis 2015, mais il faudra encore du temps pour que tous ces dispositifs, et en particulier le PNR, soient efficaces.
Nous sommes favorables aux 32 propositions, dont certaines ont été portées par le groupe UDI-UC depuis longtemps.
Nous devrions demander à tous les pays de l'espace Schengen de véritablement jouer le jeu. Ainsi, la Grèce devrait mieux contrôler les migrants qui frappent à sa porte.
Comme M. Marie, nous estimons indispensable d'accueillir dignement les migrants qui arrivent en Europe et notamment dans notre pays.
Notre groupe votera en faveur de ce rapport.
M. Jean-Yves Leconte. - Il est difficile de travailler sur un tel sujet en ne se préoccupant que des éventuelles fuites. Il est vraiment dommage de ne pas pouvoir disposer au préalable du rapport. Ainsi, la proposition 29, qui confond l'Union européenne, le marché unique et le contrôle aux frontières des personnes, risque de décrédibiliser notre rapport alors que nous aurions pu la supprimer si nous avions pu l'étudier un peu plus tôt.
Ces deux dernières années, l'espace Schengen a dû s'adapter à une situation nouvelle à laquelle il n'était pas du tout préparé. En peu de temps, nos pays ont dû apprendre à travailler ensemble sur les questions des frontières et des migrations.
Certes, la sécurité est un axe fort qu'il convient de préserver, mais les attentats commis en France, en Grande-Bretagne et en Belgique l'ont été en grande partie par des nationaux.
Le rapport propose de renforcer Frontex pour mieux contrôler les frontières, mais pourquoi remettre en cause le principe de la responsabilité de chaque État en communautarisant la surveillance des frontières ? Si tel était le cas, les accords de Dublin tomberaient. Le renforcement de la surveillance implique la communautarisation de toutes les politiques d'accueil, en particulier l'asile. Or, le rapport est muet sur ce point.
Les hotspots ont été créés en Italie et en Grèce pour enregistrer les arrivées. Avec votre proposition de créer des hotspots dans des pays extérieurs à l'espace Schengen, vous proposez d'enregistrer les départs, et non les arrivées. Les pays méditerranéens, notamment la Turquie et l'Égypte, font face à une immigration qui vient hors de leurs frontières. S'ils ont le sentiment que seule notre sécurité nous importe, comment leur demander de jouer le jeu ? Trouvons les moyens de travailler avec nos voisins et ne les considérons pas comme les exécutants des basses oeuvres dont nous ne voulons pas sur nos territoires.
Le rapport fait l'impasse sur la politique de réadmission. La police française ne peut pas lire les passeports allemands. Il est indispensable que tous les États de l'espace Schengen puissent lire les passeports de leurs ressortissants, grâce à la généralisation de PARAFE.
Si d'autres pays veulent rejoindre Schengen, nous devons les accepter, mais la situation géographique de la Bulgarie et de la Roumanie change effectivement la donne compte tenu des difficultés. Si ces pays rejoignaient Schengen, il faudrait néanmoins poursuivre les contrôles de certaines frontières. En revanche, les visas pour l'espace Schengen et ceux pour la Roumanie et la Bulgarie devraient être identiques. Apprenons à travailler ensemble.
Nous ne pourrons interconnecter les fichiers que si l'État de droit est scrupuleusement respecté par tous nos partenaires. Les informations figurant dans nos fichiers ne doivent pas être utilisées à des fins différentes dans certains pays. Or, aujourd'hui, nous avons des difficultés avec certains pays, à commencer par la Hongrie.
Soyons cohérents si nous voulons réformer le code frontières. On ne peut vouloir renforcer les contrôles aux frontières tout en s'effrayant des conséquences économiques. Le principe de la libre circulation serait remis en cause si les deux propositions du rapport étaient mises en oeuvre.
Le fichier PNR ne sert à rien si les contrôles d'identité ne sont pas réalisés. Or, à part la France, aucun pays ne vérifie l'identité des passagers aériens. Comment imaginer que demain de tels contrôles soient réalisés dans les trains, dans les cars et pour le covoiturage ? La liberté de circulation n'existerait plus !
Pour l'instant, beaucoup de propositions posent problème.
M. Jean-Pierre Vial. - Merci pour cet excellent rapport que je voterai. Comme lui, je pense que Schengen n'est pas le problème, mais la solution. J'admire la capacité d'anticipation de l'Europe lorsqu'elle a mis en place Schengen. En revanche, on ne peut en dire autant de Dublin, qui a dû être revu à plusieurs reprises.
Je doute qu'il faille plus d'Europe. Si l'on développe Schengen, les pays européens perdront leur pouvoir régalien dans le domaine de la surveillance de leurs frontières. M. Le Roux n'a pas vraiment répondu à nos questions lorsque nous avons évoqué Frontex qui doit se substituer à notre marine et à nos garde-côtes. L'Europe serait plus forte si elle utilisait les capacités de surveillance de chaque État. C'est d'ailleurs ce que nous a dit l'ambassadeur d'Espagne dont le pays ne connaît pas de difficulté migratoire majeure.
Lorsque nous avons rencontré le directeur de l'OFPRA, il nous a dit son souhait de la création d'une agence européenne. Lorsque tel sera le cas, les États perdront le contrôle de leurs politiques nationales en ce domaine. Alors, plus d'Europe, mais à condition que les politiques régaliennes de chaque État soient renforcées.
Je suis réservé sur des hotspots à l'extérieur de l'espace Schengen. Aujourd'hui, nous ne savons pas si M. Erdogan va continuer à appliquer l'accord conclu avec l'Europe. Peut-on imaginer des hotspots en Libye ? Ne sommes-nous pas hypocrites ? Alors que nous savons parfaitement ce qui se passe sur les côtes de ce pays, nous laissons les migrants prendre la mer avant de leur venir en aide. L'Europe devrait développer son aide au développement et à la réinstallation.
M. René Danesi. - Je me joins aux précédentes félicitations pour ce rapport complet. L'espace Schengen doit être maintenu, mais régulièrement réformé pour des raisons politiques mais aussi technologiques. Cet espace doit être le plus efficace possible.
Élu d'une zone frontalière, à 20 km de la Suisse et à 20 km de l'Allemagne, je me souviens qu'il était difficile de franchir les frontières lorsque j'étais jeune. À une époque, les douaniers suisses vérifiaient le niveau d'essence de chaque voiture alsacienne qui franchissait leur frontière, à l'aller et au retour.
Comme notre rapporteur, j'estime nécessaire le rééquilibrage entre la libre circulation et la sécurité, qui est la raison d'être de Schengen en ces temps difficiles.
Vous dites qu'il faut exclure tout élargissement de Schengen à court terme. Mais il faut l'écarter jusqu'à temps que cette maison soit consolidée, ce qui peut prendre de nombreuses années. Je ne suis pas convaincu que les petits pays qui pourraient nous rejoindre, notamment les États balkaniques, soient les mieux outillés pour assurer la sécurité extérieure de l'espace Schengen. D'ailleurs, ne faudrait-il pas envisager d'exclure les éventuels mauvais élèves ? Nous déléguons en effet un pouvoir régalien aux pays qui assurent les contrôles à l'extérieur. Si l'un d'entre eux ne fait pas usage de ce pouvoir, il faut le sanctionner en l'excluant de l'espace Schengen.
La création d'un corps de garde-frontières et de garde-côtes européen ne pourra intervenir qu'à long terme.
Réfléchir à la création de hotspots ? Je préfèrerais que l'on demande la mise en place de ces centres dans les meilleurs délais. Poursuivre la réflexion équivaut à ne rien demander. La Libye a été transformée en champs de ruines : comment imaginer qu'on puisse y installer des hotspots alors que l'État y a disparu et que les trafics en tous genres y prolifèrent ? Pourtant, nous n'hésitons pas à intervenir lorsque nous y trouvons notre compte...
M. Philippe Kaltenbach. - Félicitation à ceux qui ont rédigé ce rapport.
Lorsque Les Républicains ont demandé la création de cette commission d'enquête, je craignais que son objet ne soit de conclure au rétablissement des frontières dans le contexte électoral que nous connaissons. Je suis heureux de lire dans ce rapport que la liberté de circulation est au coeur de la construction européenne, que Schengen est un acquis précieux et qu'il ne faut pas envisager de sortie mais des réformes. Je remercie notre rapporteur d'avoir noté tous les efforts effectués par le Gouvernement depuis deux ans pour réformer Schengen et apporter des solutions concrètes à la crise migratoire et à la lutte contre le terrorisme.
Nous n'avons, en revanche, pas eu suffisamment de temps pour examiner chacune de vos propositions dont certaines mériteraient d'être précisées ou retravaillées. Si j'approuve le renforcement de PARAFE, le visa asile, les garde-frontières européens, je m'interroge sur la proposition 9. On ne peut proposer de poursuivre la réflexion : cela affaiblit notre rôle ! Comment demander à la Libye d'installer des hotspots et aux migrants qui ne sont pas encore arrivés en Europe de demander l'asile ? Cela pose un problème constitutionnel ! Cette proposition ne me semble pas réalisable et il conviendrait de la supprimer.
Notre rapporteur propose d'adapter les moyens humains pour mieux contrôler et surveiller les frontières, mais il ne chiffre pas les besoins. Certains candidats à l'élection présidentielle proposent de supprimer des postes de fonctionnaires. Ici, il est question d'en créer, mais combien ? 5 000 ?
Ce rapport fait un peu l'impasse sur Dublin et sur les processus de réadmission. Notre rapporteur estime-t-il que ses propositions sont amendables ou ne veut-il rien changer ?
M. Jacques Legendre. - J'approuverai cet excellent rapport.
Nous devons sauver la zone Schengen qui est menacée par la crise migratoire. Mais nous devons aussi rappeler que ceux qui exploitent la détresse de malheureux migrants sont des maffieux. Lors des travaux que j'ai menés avec M. Billout et avec M. Gorce, j'ai été frappé par l'importance des sommes en cause et des mafias. Il conviendrait de créer des services de police offensifs à l'égard de ces groupes. Parfois, des États utilisent ces problèmes migratoires pour faire pression sur d'autres États.
Je tiens aussi à dénoncer sur nos frontières des zones de non droit et d'États effondrés. Certains pays sont sûrs, d'autres le sont moins, mais nous sommes obligés de discuter avec eux. Et puis, il y a la Libye d'où partent de nombreux réfugiés. Installer des hotspots en Libye ? Mais dans quelles conditions ? Lorsque les navires de guerre sauvent des réfugiés, ils ne peuvent les ramener qu'en Europe : ils font donc une part du travail des organisations maffieuses qui ont mis ces malheureux migrants sur des bateaux. Ce détournement n'est pas acceptable, d'autant qu'il conforte les mafias. Il nous faudrait discuter de cette affaire à l'ONU pour savoir que faire de ces réfugiés et s'il est possible d'instaurer des camps en Libye pour faire le tri entre les migrants que l'Europe doit accueillir et ceux qui doivent repartir dans leur pays d'origine. Comment sortir de cette situation absurde qui nous rend complice de ces mafias ?
M. Yannick Vaugrenard. - Merci pour ce rapport.
Dans nos échanges, nous avons abordé les questions de sécurité, mais aussi celles qui ont trait à l'humanitaire. Il serait dommage que le rapport n'en dise rien. Quel rôle l'Europe doit-elle avoir par rapport à ces nouvelles migrations qui tiennent aux guerres, mais aussi à des questions économiques et, bientôt, environnementales. La sécurité de l'Europe est nécessaire, mais elle ne doit pas perdre de vue son humanité.
Dans votre conclusion, vous disiez, Monsieur le Rapporteur, qu'il ne fallait pas moins d'Europe mais plus d'Europe ; j'ajouterais mieux d'Europe. Soyons ambitieux, mais aussi prudents et pragmatiques.
M. André Gattolin. - Je tiens aussi à souligner la qualité du travail réalisé. En revanche, je m'élève contre la procédure en vigueur pour les commissions d'enquête qui infantilise les parlementaires. En une heure, impossible de prendre connaissance d'un rapport aussi important et touffu, d'autant que le bureau de la commission ne s'est pas réuni pour présenter les grandes lignes du rapport.
Je suis un fédéraliste européen convaincu et je suis conscient des problèmes de sécurité : je suis donc favorable au renforcement des frontières de l'espace Schengen. Dans toute maison, il faut surveiller les portes et les fenêtres. La création de Frontex, de garde-côtes et de garde-frontières communs vont dans le bon sens et évitent aux États les plus fragiles d'assumer seuls la régulation et l'entrée des migrants. En revanche, vous proposez ceinture et bretelle : ceinture européenne avec le renforcement des systèmes de contrôles à l'entrée aux frontières de l'Union, mais aussi bretelles nationales avec le prolongement jusqu'à deux ans des mesures de sécurité aux frontières. Certes, Schengen prévoyait cette possibilité en cas d'événements graves, mais nous entrons ici dans un système permanent avec le rétablissement des frontières, notamment avec l'utilisation du système PNR pour les vols intra-européens.
De même, que penser de la proposition 28 qui prévoit d'étendre le PNR aux voyages maritimes, ferroviaires et par autocar ? En outre, si ces contrôles sont établis, les passeurs passeront par voitures ou par vélos. Nous avons eu le cas de milliers de migrants qui, avec la bienveillance des autorités russes, ont traversé la frontière norvégienne à vélo, puisque ce cas n'était pas prévu dans la législation de ce pays.
Il nous faut aussi chiffrer le coût du renforcement des moyens. Que penser en effet de la proposition 12 qui prévoit la généralisation des systèmes biométriques de reconnaissance faciale ? En outre, ce n'est pas aux frontières que l'on arrête les terroristes, mais grâce à un travail de terrain au quotidien. Je crois à la coopération policière. L'utilisation généralisée de tous les fichiers ne va pas dans le bon sens.
La création de garde-côtes et de garde-frontières européens impliquent une perte de souveraineté des États. Ensuite, il faudra créer un corps de police volant, une sorte de FBI à l'européenne.
Si l'on soumet les ressortissants de l'Union européenne au système entrée-sortie, il deviendra impossible de voyager. Nous reprochons aux Britanniques de quitter l'Union européenne car ils sont opposés à la liberté de circulation des personnes, mais nous sommes en train de la limiter considérablement. Va-t-on mettre des portiques aux sommets des Alpes ? De quelle Europe voulons-nous ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Je veux tout d'abord rappeler l'objet de cette commission d'enquête. Elle n'avait pas pour but de définir la politique migratoire de l'Union européenne, mais de travailler sur le maintien de la circulation des membres de l'espace Schengen tout en assurant leur sécurité.
Nous avons demandé par écrit à M. Sapin, ministre de l'économie, le coût des moyens humains pour renforcer l'espace Schengen. Il ne nous a pas répondu : il semble qu'il n'existe pas d'évaluation à ce jour.
Pour ce qui est de l'interopérabilité, nous sommes dans une logique d'interface et non d'interconnexion des fichiers. Certaines informations pourront donc être consultées sans pour autant que toutes les autorités aient accès à l'ensemble des données des fichiers.
L'idée d'avoir un PNR maritime et pour d'autres moyens de transports a été émise à l'occasion de plusieurs auditions et le Gouvernement français s'est engagé sur ce point, avec le texte sur l'économie bleue.
MM. Leconte et Reichardt sont à l'origine d'une résolution européenne qui aborde la question des hotspots. M. Pascal Brice, auditionné sur le sujet, estime que cette solution est envisageable, sous réserve de résoudre le problème juridique relatif aux demandes d'asile. Bien évidemment, il n'est pas question d'installer des hotspots en Libye. Notre rapport propose de poursuivre la réflexion pour que cette solution soit réalisable.
Enfin, plusieurs d'entre vous ont critiqué ma proposition de modifier le code frontières Schengen pour permettre les contrôles aux frontières intérieures. Le délai de deux ans répond à l'idée qu'il faut fixer une durée maximale afin d'instaurer une sorte de garde-fou, alors qu'aujourd'hui il n'y a aucune date butoir. En outre, il est proposé d'évaluer la demande et non pas seulement de la motiver.
Bien sûr, je suis favorable à l'aide au développement et aux accords de réadmission, mais cela relève plus de la politique migratoire que de l'espace Schengen, d'autant plus que nous ne sommes pas là pour réécrire des rapports qui ont déjà été publiés ; je pense en particulier à celui de MM. Billout et Legendre sur l'accord Union européenne-Turquie et à celui de MM. Legendre et Gorce qui aborde les problématiques migratoires. Enfin, la commission des affaires sociales est en train de rédiger un rapport sur les mineurs étrangers isolés. Notre but était plutôt d'aborder la question de la sécurité et de la libre circulation dans l'espace Schengen.
Mes 32 propositions sont de valeur inégale, car certaines sont très techniques et d'autres plus « politiques », mais elles reprennent pour l'essentiel les conclusions de nos auditions. Je vous renvoie notamment à l'audition de M. Skuli, directeur de la PAF, mais aussi aux réunions que nous avons eues à Bruxelles, en Bulgarie et à Roissy. Les praticiens nous ont assuré qu'ils avaient besoin d'évolutions et d'un meilleur contrôle pour assurer la liberté de circulation. Il n'est pas question de plus contrôler, mais de faire vivre l'espace Schengen pour qu'il ne s'effondre pas. J'ai dit que la lutte contre le terrorisme n'est pas uniquement liée au contrôle des frontières, mais la liberté de circulation dans un espace sécurisé impose des moyens nouveaux dont nous ne disposons pas encore.
M. Jean-Claude Requier, président. - Voulez-vous modifier le rapport sur des points précis ou préférez-vous rédiger des contributions qui seront annexées au rapport ?
M. Didier Marie. - L'intervention du rapporteur atteste qu'il n'est pas disposé à modifier les questions qui posent problème. Nous déposerons donc une contribution.
M. Jean-Claude Requier, président. - Chaque groupe pourra donc déposer une contribution, aujourd'hui même.
M. Didier Marie. - Le groupe socialiste et républicain prend acte que le rapport réaffirme que Schengen est un acquis de la construction européenne et que la liberté de circulation est une liberté fondamentale. Schengen est une solution et non un problème.
Nous prenons acte aussi que le rapport souligne les progrès considérables effectués depuis 2015, sous l'impulsion en particulier du Gouvernement français. Mais nous prenons également acte de désaccords sur les hotspots extérieurs et sur la révision du code frontières, même si notre rapporteur nous a rassurés sur ce point.
Nous nous abstiendrons donc sur ce rapport.
M. Jean-Claude Requier, président. - Êtes-vous d'accord pour intégrer le compte rendu de cette réunion au rapport ? (Approbation) Nous allons passer au vote sur ce rapport.
Le rapport est adopté.
La réunion est close à 11h30.