Mardi 21 mars 2017
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Moyens d'améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population - Audition de M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur
La commission entend M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur, sur les moyens d'améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population.
M. Philippe Bas, président. - Mme Éliane Assassi, au nom de son groupe, m'a saisi afin que la commission des lois mette en oeuvre une sorte de mission visant à tirer les conclusions des événements qui se sont produits en Seine-Saint-Denis voilà six semaines. En réponse à cette demande et compte tenu des méthodes de travail du Sénat, j'ai proposé, monsieur le ministre, que soit organisée votre audition, afin que, sans interférer avec l'examen par la justice des problèmes posés par ces événements tragiques, vous puissiez vous exprimer sur l'amélioration des relations entre les forces de l'ordre et la population, en particulier dans les quartiers sensibles.
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur ce sujet central et complexe que sont les relations entre les forces de l'ordre et la population, et ce dans le contexte de ce que l'on a appelé « l'affaire Théo », qui a donné lieu à un certain nombre de prises de position et de manifestations dans le pays. Dans la mesure où une procédure judiciaire a été ouverte, je m'abstiendrai de tout commentaire, mais je rappelle une nouvelle fois à ceux qui manifestent encore que c'est à la justice d'établir avec précision les faits.
La question des rapports entre les forces de l'ordre et la population mérite également d'être traitée en dehors de l'actualité. En effet, les relations entre les forces de sécurité et la population participent directement du degré de cohésion de notre société. À cet égard, je citerai un extrait du dernier livre de Sébastian Roché, chercheur qui a beaucoup travaillé sur les questions de sécurité, De la Police en démocratie : « La mission éminente des polices est de produire de la confiance en défendant des normes et valeurs supérieures et, ainsi, de contribuer à la cohésion sociale ». Cette définition me semble importante, car, en démocratie, l'action des forces de l'ordre doit avant tout être impartiale et juste, et reconnue comme telle par les citoyens. Ces deux impératifs doivent aller de pair. C'est ainsi que cette action peut contribuer efficacement à la paix publique et inspirer confiance à ceux qu'elle a pour mission de protéger.
La confiance est bien un élément central, qui doit être au coeur des relations entre les forces de l'ordre et la population. C'est le fondement de toute autorité légitime, mais aussi un gage d'efficacité. Que les policiers et les gendarmes entretiennent de bonnes relations avec la population n'implique pas, de leur part, une vigilance moindre. Au contraire, une confiance mutuelle contribue efficacement et largement à la réussite de la mission de sécurisation.
Impartialité et égalité constituent un objectif fondamental, mais il s'agit d'une mission complexe. En effet, la France est à la fois une société « intégrée » et « diverse ». Dans ce contexte, la légitimité de l'action des forces de sécurité peut être perçue de manière très différente selon les attentes de telle ou telle fraction de la population. Cela n'est d'ailleurs pas lié au recrutement ou à la composition des forces de l'ordre, lesquelles sont à l'image de la société, contrairement à ce que l'on entend parfois.
Le ministre de l'intérieur doit être le garant de la légitimité de l'action des forces de sécurité, à travers le respect de la déontologie - condition de l'impartialité et de l'égalité. Il contribue également, de manière directe et en amont de la justice, à l'effectivité de l'application de la loi - condition indispensable à la confiance commune.
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur le constat selon lequel ces relations se sont dégradées au fil du temps. Il faut mettre cela en perspective avec l'évolution du rapport à l'autorité dans notre société et à la dégradation des relations des individus entre eux, lesquelles sont de plus en plus empreintes de violence. Ces éléments s'inscrivent dans une évolution globale de la société.
Les relations entre la population et les forces de sécurité ne sont pas les seules à connaître une dégradation, à laquelle il nous faut répondre. Nous vivons dans une société fragmentée où, il faut le dire, le respect de l'autorité ne va plus toujours de soi. Nous devons réfléchir sur cet élément en tant que tel, qui dépasse le simple cadre des relations entre population et forces de l'ordre. D'ailleurs, comme les forces de l'ordre, les enseignants, les médecins ou encore les services de secours sont l'objet d'agressions ou d'actes de violence, alors même que leur mission est totalement en dehors du champ de l'exercice d'une autorité « contraignante ». L'ensemble de ce que j'appellerai les « services publics de première ligne » sont concernés. On constate d'ailleurs que les relations entre les services publics et la population sont plus difficiles là où la vie de nos concitoyens est la plus difficile.
Ainsi, comme pour les policiers et les gendarmes, les violences commises à l'encontre des sapeurs-pompiers sont en constante augmentation. En 2015, 1 939 déclarations d'agressions de sapeurs-pompiers ont été enregistrées, 284 véhicules ont été endommagés, 1 733 plaintes ont été déposées.
C'est donc bien un enjeu global de relations entre population et services publics de première ligne que nous devons appréhender, les difficultés dépassant de très loin les seules forces de sécurité intérieure. Évidemment, les réponses sont également à rechercher sur le terrain de l'éducation, de l'emploi et du lien social de manière plus globale.
À ce constat général s'ajoutent les difficultés propres aux forces de l'ordre.
Il faut tout d'abord souligner que la violence vise de plus en plus les forces de sécurité intérieure. Il n'est qu'à citer certains des éléments contenus dans le rapport de Mme Hélène Cazaux-Charles. Selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 12 388 fonctionnaires de police ont été blessés en 2015. Dans 7,6 % des cas, soit pour près de 940 policiers, ces blessures ont été occasionnées par une arme. Les policiers assurant des missions de sécurité publique sont les plus exposés : ils représentent 65 % du total des policiers blessés. S'agissant des gendarmes, 2 936 agressions physiques ont été perpétrées en 2015. L'usage d'une arme a été signalé dans 35 % des agressions physiques, soit environ 1 030 gendarmes blessés par arme. Ce sont des chiffres particulièrement importants.
À cette hausse de la violence s'ajoute le contexte terroriste, avec une menace permanente visant indistinctement tous les dépositaires de l'autorité publique. L'uniforme est bien devenu une cible pour un certain nombre de ceux qui veulent frapper.
Enfin, il est nécessaire d'améliorer la qualité de certaines interventions. Il ne s'agit pas pour moi de nier l'existence de comportements fautifs, voire inacceptables, et, par conséquent, sanctionnés pour cette raison même. En témoignent les statistiques sur les sanctions, qu'il faut bien sûr rapporter au nombre total de policiers et de gendarmes ainsi qu'au nombre d'interventions réalisées. Elles montrent clairement que les manquements ne restent pas sans réponse : quand il y a manquement aux règles de procédure ou à la déontologie ou non-respect de la formation donnée, des réponses sont apportées, qui prennent la forme de sanctions. Ainsi, en 2016, près de 5 400 sanctions ont été prononcées à l'encontre de fonctionnaires de la police nationale et de militaires de la gendarmerie nationale ayant commis des actes contraires à l'éthique ou à la déontologie.
La police et la gendarmerie sont parmi les services publics les plus contrôlés et les plus surveillés de notre pays. C'est normal : les policiers et les gendarmes portent des armes, ont le droit de faire usage de la force, de placer des individus en garde à vue, de les fouiller au corps, d'effectuer des perquisitions. Ces droits s'accompagnent logiquement de devoirs et d'un contrôle exigeant. Je rappelle à cet égard que, à la différence de tous les autres justiciables, les policiers et les gendarmes peuvent, pour les mêmes faits, être l'objet à la fois d'une enquête administrative et d'une enquête judiciaire. Dans de nombreux cas, alors même que la justice pénale décide de ne pas poursuivre le fonctionnaire ou le militaire, celui-ci peut, en raison de manquements déontologiques, faire l'objet d'une sanction disciplinaire.
Face à ces constats, l'action conduite depuis 2012 s'est inscrite dans un triple objectif : donner plus de moyens aux forces de sécurité intérieure pour mieux reconnaître la difficulté des missions et contribuer à un exercice plus apaisé des missions ; mieux encadrer les interventions ; mieux associer la population et ses représentants à l'action des forces de sécurité.
Le premier point va de soi. Il n'y a pas d'action policière de qualité sans les moyens qui vont avec. Plus grand est le nombre de policiers et de gendarmes, moins il y a de difficultés. Les majorités à venir devront avoir cette donnée à l'esprit. La situation des effectifs n'est aujourd'hui pas réglée. Sur le terrain, il reste un certain nombre d'endroits où policiers et gendarmes sont trop peu nombreux. Certes, 8 837 emplois supplémentaires ont été créés entre 2013 et 2017, mais ces efforts devront être poursuivis, car, plus il y a de policiers et de gendarmes, meilleures sont leurs interventions et les relations avec nos concitoyens.
Il faut également des équipements et des armes modernes. C'est tout l'enjeu du plan d'investissement qui a été mis en oeuvre.
Tous ces efforts devront être poursuivis pour adapter sans cesse la protection de nos concitoyens et pour ancrer dans la durée le rapport entre la police et la population.
Nous avons également renforcé la formation des forces de sécurité, notamment en recréant à Dijon, l'année dernière, une école de sous-officiers de la gendarmerie, alors même qu'entre 2007 et 2012 quatre écoles avaient été fermées. De la même façon, au mois de février dernier, a été recréée une direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. Il s'agit désormais d'une direction à part entière, ce qui montre l'importance de la formation dans le processus de sécurité, chargée de piloter la formation, initiale et continue, des agents. Pour ce faire, elle s'appuie sur des moyens significatifs : trente structures de formation, dont neuf écoles nationales de police, ainsi qu'un bon millier de formateurs. La qualité de la formation, son évaluation, son suivi sont des éléments essentiels au bon rapport entre la police et la population. L'objectif est de former non seulement au métier de policier, mais aussi très concrètement aux valeurs républicaines et à la façon dont elles se mettent en oeuvre sur le terrain - puisque les policiers, tout comme les gendarmes, doivent les défendre et les illustrer -, comme aux questions de déontologie et au respect des valeurs de l'institution.
Au-delà, de nouveaux outils et de nouvelles procédures permettent de mieux encadrer les interventions.
Depuis 2012, plusieurs outils ont été mis en place pour mieux encadrer les interventions et mieux prévenir les manquements à la déontologie. C'est d'abord, depuis le 1er janvier 2014, le nouveau code de déontologie, qui est commun à la police et à la gendarmerie. C'est ensuite l'obligation de porter, de manière apparente, un numéro d'identification sur les uniformes et les brassards. C'est aussi, depuis le mois de septembre 2013, la création d'une plateforme de signalement en ligne auprès de l'inspection générale de la police nationale. C'est enfin et bien sûr le dispositif des caméras-piéton que nous avons mis en oeuvre - 2 600 ont d'ores et déjà été déployées -, tandis que nous expérimentons leur usage systématique à l'occasion des contrôles d'identité. L'expérience montre qu'un tel dispositif permet de sécuriser les conditions du contrôle, tout en garantissant une relation apaisée. Grâce à ce dispositif, les deux objectifs sont aujourd'hui atteints.
Par ailleurs, il est essentiel d'associer davantage la population et ses représentants à l'action des forces de sécurité. À cet égard, la police de proximité a fait son grand retour dans le débat public. En 1997, j'avais moi-même contribué à son élaboration conceptuelle.
Pourquoi ne pas avoir recréé la police de proximité, nous demande-t-on aujourd'hui. C'est oublier qu'en 2012 la priorité était de reconstruire, avec des effectifs supplémentaires, un appareil de sécurité au plus près du terrain, à même de répondre à la double fonction de protection en termes de sécurité publique et de collecte du renseignement. Aujourd'hui, le renseignement est devenu un élément essentiel en matière de sécurité.
Cela passe par une nouvelle méthode partenariale, mise en oeuvre dans les zones de sécurité prioritaires, dont il faudra tirer tous les enseignements, qui est fondée sur la confiance mutuelle, l'identification des problèmes et la capacité à mettre en oeuvre de la part de chaque acteur les moyens en vue de les résoudre.
Il est un autre élément essentiel dans la relation entre la police et la population : ne pas faire croire que la police peut régler toutes les difficultés. Bien trop souvent, elle est la seule à répondre véritablement présent. Or elle est mise en difficulté par ce qui peut s'apparenter à une forme d'inaction, en tout cas à un manque de responsabilité, de la part des autres acteurs.
Le principal atout des zones de sécurité
prioritaire devrait être, si elles étaient amenées à
se poursuivre, une contractualisation plus forte sur un espace donné
entre tous les acteurs. Ainsi, chacun pourra définir sa
responsabilité dans la production d'un « mieux
vivre », dans la résolution des problèmes. Cela
permettra aussi une évaluation permanente
- de façon
presque notariale - de ce que chacun a fait, pour que la
responsabilité ne soit pas toujours renvoyée aux forces de
sécurité, police ou gendarmerie, lesquelles, dans ces zones, sont
souvent les seuls acteurs de l'État à assumer complètement
leur rôle.
Dans le même esprit, le 1er février dernier a été lancée l'expérimentation des brigades de contact de la gendarmerie - actuellement au nombre de trente, réparties sur vingt-quatre départements -, pour développer ce que le directeur général de la gendarmerie nationale appelle les « nouvelles proximités » et lutter contre les phénomènes de relégation territoriale, notamment dans des zones rurales enclavées. Un bilan d'étape sera dressé dans un peu moins de six mois maintenant. J'observe que ces brigades de contact ont à chaque fois été mises en place après une concertation particulièrement étroite avec les élus locaux, qui ont adhéré au principe de restructuration et de définition de nouvelles missions des unités. C'est pourquoi il faudra regarder avec la plus grande attention le résultat de cette expérimentation.
Parallèlement, nous avons renforcé les dispositifs locaux de rapprochement entre la police et la population.
Ce sont d'abord les délégués à la cohésion entre police et population, réservistes civils de la police nationale chargés de constituer et d'entretenir le lien entre la population, les acteurs de terrain et les services de police. Au 1er janvier 2017, on recensait cent vingt délégués, dont soixante et onze en zone de sécurité prioritaire. Nous continuons de renforcer ce dispositif très utile. À cet égard, je vous annonce la création de quarante postes supplémentaires dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.
En plus sont renforcés les crédits consacrés aux actions concourant au rapprochement entre police et population par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, dont le montant a doublé, passant de 500 000 euros à 1 million d'euros. Cela concerne les appels à projets relatifs aux initiatives locales susceptibles de rapprocher et de raffermir le lien entre police et population.
Je rappelle également que, à partir de 2013, nous avons créé un poste de référent police-population au sein de chaque direction départementale de sécurité publique, chargé notamment de formuler des préconisations en matière d'amélioration des relations entre police et population.
Nous avons aussi fait en sorte d'améliorer la qualité de l'accueil du public dans les services de police et unités de gendarmerie. Tout cela va dans le sens d'un service public de qualité.
Je conclurai par quelques pistes pour demain afin de proposer une vision prospective des relations entre forces de l'ordre et population.
Pour appréhender les relations entre les forces de sécurité intérieure et la population, il est nécessaire d'analyser la perception des forces concernant leurs relations avec la population, ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été fait en France. Une étude va ainsi être confiée à des chercheurs du Conseil de la stratégie et de la prospective du ministère de l'intérieur, installé à l'automne 2016, ce qui permettra de prolonger les réunions demandées dans le télégramme que j'ai adressé le 2 mars 2017.
Il faudra étendre le dispositif de participation citoyenne, y compris en zones urbaines, engager une réflexion sur la répartition des effectifs pour mieux prendre en compte certaines difficultés. Il conviendra aussi de mieux articuler action policière et réponse judiciaire pour ne pas laisser se creuser un fossé et laisser prospérer l'idée d'une justice laxiste, donc d'un travail de police inutile ; il y a là une piste de réflexion majeure sur la perception que peuvent avoir nos concitoyens, ce qui rejoint la question plus large de la complexité de la procédure pénale. Enfin, il importera de communiquer autrement sur l'action de la police.
Il est évident que la force du lien entre la police - au sens large du terme - et les Français devra se trouver au coeur des préoccupations du ministère dans les mois et les années qui viennent. Voilà un véritable travail de fond à poursuivre. Néanmoins, pour cela, il ne suffit pas de parler des relations entre police et population ; il faut aussi savoir inverser les termes et parler des relations entre population et police.
Je l'ai dit dès mon entrée en fonction : pour renforcer et apaiser les relations entre les forces de l'ordre et la population, on ne peut pas tout attendre des policiers et des gendarmes ; une telle responsabilité ne doit pas reposer sur leurs seules épaules. Le respect doit se manifester dans les deux sens et venir aussi de la population. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que, dans les nouveaux appels à projets sur les relations entre police et population, puissent être retenues des initiatives issues de nos concitoyens, du tissu associatif, de ceux qui vivent dans nos quartiers et sont à même de produire des dispositifs de confiance et de mise en valeur du travail réalisé par les policiers et les gendarmes.
Le respect et la confiance ne sont jamais à sens unique. Ils doivent jouer dans les deux sens.
M. Philippe Bas, président. - Nous percevons nous aussi que le contexte est devenu de plus en plus tendu. Les risques de violence envers les représentants des forces de l'ordre se sont accrus - les chiffres que vous avez cités en attestent.
Pour notre part, nous n'avons pas l'habitude d'opposer la population à la police et à la gendarmerie. Au contraire, il y a tout lieu d'exprimer notre reconnaissance à l'égard de leur action. Les forces de sécurité connaissent des conditions de travail et d'insécurité de plus en plus éprouvantes, aggravées par les attentats terroristes et la sollicitation permanente dont elles font l'objet depuis maintenant un peu plus de deux ans. Notre appareil de sécurité est bien mis sous tension. Nos policiers et nos gendarmes ont beaucoup de mérite à faire face avec retenue, maîtrise et respect des règles de droit à toutes les difficultés qui se sont accumulées ces derniers temps.
Pour autant, vous avez souligné la nécessité d'une maîtrise accrue des gestes et des actions de nos forces de sécurité, comme celle d'une formation plus exigeante et d'une relation avec la population à même de permettre une meilleure connaissance mutuelle et une meilleure compréhension du rôle des forces de sécurité. À n'en pas douter, cette problématique va continuer de nous occuper pendant longtemps.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir exposé les actions que vous menez, celles de vos prédécesseurs, et d'avoir annoncé devant le Sénat la création de nouveaux postes. C'est très positif.
S'il est important d'améliorer les relations entre la population et la police, il l'est tout autant d'en développer de bonnes entre la justice et la population. La police et la gendarmerie, comme la justice, assument des missions régaliennes. Leurs relations avec la population sont d'autant meilleures qu'elles peuvent effectuer leur travail dans les meilleures conditions.
Vous avez évoqué la situation des sapeurs-pompiers. En tant qu'élus, nous participons fréquemment à des réunions avec eux. Il est intolérable que, dans certains quartiers, les sapeurs-pompiers doivent être protégés par la police et que le principe d'humanité et de dignité selon lequel on ne s'attaque pas à une ambulance ou à des pompiers venus secourir des personnes ne soit pas respecté.
Vous avez évoqué les ZSP, les zones de sécurité prioritaire. En France, dès que nous avons un problème, nous créons des zones. Nous sommes les champions du monde des zones : des ZEP, des ZAC, des ZUP, des ZUS, des ZRU, etc. La logique se comprend : il s'agit de donner plus de moyens aux zones dans lesquelles il y a des problèmes. Les choses ne sont pourtant pas si simples, les problèmes ne s'arrêtant pas aux limites de la zone.
Le rôle des élus est vraiment essentiel. Nous sommes quelques-uns ici à avoir vu le documentaire consacré à Claude Dilain diffusé sur la chaîne parlementaire. Alors que tout pouvait exploser à Clichy-sous-Bois, où deux jeunes sont malheureusement décédés dans les conditions que chacun connaît, ce maire était présent dans sa ville du matin au soir, toute la nuit, avec son équipe. Un maire comme celui-là - il y en a beaucoup d'autres - crée les conditions pour que les choses se passent bien. Le fait que l'on puisse s'appuyer sur des élus très ancrés dans la population est un point très important.
Vous avez soulevé la question de la crise de l'autorité. Je pense qu'une réponse à cette crise peut être apportée à l'école, au collège, au lycée. Je suis frappé de voir dans nos quartiers des jeunes se promener à partir de 16h30, parfois jusqu'à une heure du matin. Je voudrais tellement qu'il y eût davantage d'études surveillées, de prises en charge par l'institution scolaire, car, selon moi, le respect de l'autorité s'apprend. Il y a des choses à faire.
Enfin, il y a la réponse de la justice. Je connais le sempiternel débat sur la lenteur de la justice, sur le fait que la sanction intervienne longtemps après les faits. Comme nombre de Français, j'ai regardé le débat hier soir, et j'ai entendu l'un des candidats à l'élection présidentielle, que je ne nommerai pas, dire que, certes, la réponse pénale était nécessaire, mais que, dans un certain nombre de cas délimités, des amendes immédiates pourraient être infligées et constituer des sanctions rapides. Qu'en pensez-vous ?
M. Yves Détraigne. - Je tiens tout d'abord à rendre hommage aux forces de police et de gendarmerie.
Je suis élu d'un milieu périurbain. La commune dont je suis maire comptait déjà 5 000 habitants lorsque j'ai été élu, mais elle ne disposait pas d'une caserne de gendarmerie, mon prédécesseur n'ayant pas voulu la financer. Ma première décision a été d'en faire construire une. Cette décision a recueilli l'unanimité du conseil municipal et de la population, et nous ne l'avons jamais regrettée. Nous sommes d'ailleurs en train de faire construire un pavillon supplémentaire, car la brigade va s'agrandir. J'ai toujours eu à coeur d'avoir de bonnes relations avec la gendarmerie.
Ma commune n'est pas située dans un secteur à problèmes, mais la présence de la gendarmerie est très importante pour créer des liens et pacifier les relations avec la population. Les gendarmes, avec qui je discute souvent, sont au courant de bien des choses. Un excellent contact entre les élus, les gendarmes et la population permet d'éviter quelques problèmes.
Cela étant dit, il existe aussi un problème d'éducation civique. Les droits doivent être contrebalancés par des devoirs. Or certaines personnes considèrent que les gendarmes sont là pour régler les problèmes et n'essaient pas de pacifier elles-mêmes les choses, face à un voisin bruyant ou des jeunes qui font des bêtises par exemple. Nous avons encore des efforts à faire en termes d'instruction civique pour les enfants, mais aussi pour la population générale. Il faut sensibiliser la population au fait que nous sommes tous responsables de la sécurité et que ce n'est pas « fliquer » quelqu'un de signaler une situation anormale dans son quartier.
M. André Reichardt. - Je pense, comme certainement la très grande majorité de la population, que les relations entre les forces de l'ordre et nos concitoyens sont plutôt bonnes en général, en particulier dans les zones rurales, où elles sont apaisées et sereines.
Pour restaurer la confiance dans certaines zones urbaines difficiles, il faut d'abord poser le bon diagnostic et bien connaître la population manifestant une perte de confiance. Ma question est la suivante : disposez-vous de statistiques sur les populations concernées par les agressions, notamment sur l'âge des auteurs, dont on dit souvent qu'ils sont jeunes ?
Pour ma part, je n'ai pas vu le documentaire sur Claude Dilain, mais je suis intimement persuadé que, même dans les zones périurbaines et urbaines denses, un élu - le maire, un adjoint ou un conseiller municipal dédié - peut jouer un rôle pour restaurer la confiance.
J'évoquerai maintenant un sujet qui n'a pas encore été abordé. Un certain nombre de nos concitoyens pensent, à tort ou à raison, que les petites infractions, notamment au code de la route, sont plus souvent poursuivies que d'autres infractions plus importantes. Ils disent qu'ils sont, eux, faciles à trouver, car ils travaillent, ont une voiture immatriculée, une carte d'identité, contrairement à d'autres qui vivent dans des zones denses, qualifiées de « non-droit ». Ce sentiment est très ancré, et il est difficile de le faire disparaître.
Enfin, j'avoue ne pas comprendre la motivation de ceux qui agressent les sapeurs-pompiers. Il est inadmissible qu'ils doivent être accompagnés des forces de l'ordre pour intervenir lors d'un sinistre. Pouvez-nous dire un mot sur cette question ?
M. Jean-Pierre Vial. - Mon intervention portera sur des points qui ont été largement évoqués. Pour illustrer ce qui a été dit sur la confiance entre la police, la gendarmerie et la population et celle entre la police et la justice, permettez-moi d'évoquer les conversations dont j'ai été témoin hier dans un TGV à la suite d'un petit incident.
Un jeune sous-officier gendarme des gardes mobiles de mon département, d'une grande qualité, fier d'être gendarme, a eu une conversation très apaisée avec les voyageurs autour de lui. Il a fait état de sa formation, de l'éthique de sa profession et indiqué d'ailleurs que les gendarmes et les policiers étaient favorables au fait de sanctionner ceux d'entre eux ayant commis des fautes. La discussion était très libre sur la confiance entre la police, la gendarmerie et la population. En revanche, le ressenti des gens et de ce jeune sous-officier était différent sur les relations entre les forces de l'ordre et la justice, ce sous-officier expliquant qu'il était difficile pour les gendarmes de continuer à faire preuve de courage et de détermination et de consacrer vingt-quatre ou quarante-huit heures à des procédures dont ils connaissaient l'issue.
Quels chantiers sont ouverts ou pourraient être engagés sur la question fondamentale de la confiance entre les forces de l'ordre et la justice ?
M. Philippe Kaltenbach. - À mon tour, je tiens à remercier M. le ministre pour sa présentation complète. J'insiste sur les moyens humains qui ont été mobilisés depuis cinq ans - 9 000 créations de postes, ce n'est pas rien ! - et sur l'effort fait en matière de formation. Plus les agents sont formés, plus ils sont efficaces et plus ils respectent le code de déontologie.
Ma première question porte sur la police de proximité, dont on recommence à débattre. Je pense que c'est aujourd'hui la meilleure réponse dans les banlieues difficiles ou un peu moins difficiles - je suis moi-même un élu de la banlieue parisienne. J'ai constaté un turn-over des agents très important dans ces banlieues, où les policiers ne restent que trois, quatre ou cinq ans avant d'être mutés en province, d'où ils sont souvent originaires. Or, si l'on veut une réelle police de proximité, il faut certes octroyer des moyens supplémentaires dans ces zones difficiles, mettre en oeuvre des formations, mais aussi permettre une stabilité des effectifs afin de pouvoir disposer d'agents expérimentés.
Comment favoriser le maintien d'agents dans les zones difficiles en banlieue ? Peut-on valoriser leur carrière et leur rémunération afin qu'ils aient envie d'y rester au lieu de n'y faire qu'un bref passage ?
Ma deuxième question a trait au recrutement. J'ai eu l'occasion de constater que la police n'était pas complètement à l'image de la population, même si des progrès ont été réalisés depuis une dizaine d'années. Comment diversifier le recrutement et faire en sorte que les jeunes issus des quartiers puissent intégrer la police ?
Ma dernière question concerne les contrôles, des problèmes continuant à se poser, comme on l'a encore vu récemment. Je pense que les caméras-piéton sont la meilleure réponse, que le récépissé que réclament certains n'est pas la solution, car il signifie plus de bureaucratie et de paperasse. Il faut recourir aux moyens modernes, c'est-à-dire à la caméra-piéton. Il faut rapidement en fournir à tous les agents intervenant dans toutes les zones où l'on rencontre des difficultés entre la population et la police. L'utilisation d'une caméra-piéton apaise la relation entre le policier et la personne contrôlée, car, se sachant filmés, tous deux font attention à ce qu'ils disent et se montrent polis et respectueux.
Cela étant dit, il faut fixer des règles d'utilisation précises de ces caméras, comme l'a indiqué le Défenseur des droits lors de son audition par notre commission il y a quelques semaines. La caméra doit être utilisée durant tous les contrôles. Toutes les parties doivent pouvoir avoir accès au film réalisé, la police et la justice, mais également la personne contrôlée, directement ou par le biais d'un avocat. Quel est votre point de vue sur cette question ?
M. Patrick Masclet. - Je suis élu d'un département où 800 000 personnes sont couvertes par les gendarmeries. Je connais assez bien la nécessaire concertation avec les élus locaux, mais cette concertation n'est pas uniforme dans mon département.
Ma question est simple : ne pensez-vous pas qu'il faille institutionnaliser les rencontres entre la gendarmerie et les élus locaux, mettre en oeuvre un travail plus régulier que la seule réunion annuelle au cours de laquelle on communique aux élus les statistiques de la délinquance de leur circonscription ? Un tel travail serait selon moi de nature à améliorer les relations entre la gendarmerie et la population, lesquelles sont déjà plutôt bonnes.
M. Bruno Le Roux, ministre. - Monsieur Sueur, on appelle « zone » ce qui, en fin de compte, est avant tout une méthode.
Si j'ai souhaité que les ZSP soient évaluées, c'est pour pouvoir étendre certaines mesures mises en oeuvre dans ces zones à des endroits non classés comme des ZSP. Des ZSP ont été mises en oeuvre pour lutter contre le trafic de stupéfiants, d'autres pour faire face à des problèmes de rénovation urbaine nécessitant la mise en oeuvre d'une politique de sécurité. Les ZSP répondent à des situations différentes et correspondent à chaque fois à une méthode.
La méthode mise en oeuvre dans les ZSP fait intervenir les représentants des forces de l'ordre et des collectivités locales, mais aussi de l'éducation nationale, qui est un acteur majeur, des bailleurs sociaux et d'autres. L'intérêt de la ZSP, c'est de permettre d'identifier un problème, de fixer des objectifs et d'envisager la participation de tous les acteurs. Si ces zones devaient perdurer, je serais d'avis de conditionner l'octroi d'effectifs supplémentaires au respect régulier de chacun des acteurs de tous leurs engagements. Une ZSP à laquelle on accorderait des effectifs supplémentaires sans participation de tous les acteurs à la résolution du problème serait vouée à l'échec. Les problèmes posés ne seront pas résolus avec plus d'effectifs. À titre d'exemple, en matière de lutte contre le trafic de drogue, plus d'effectifs permettent d'effectuer plus d'opérations, plus de saisies, mais si l'on ne règle pas dans le même temps les problèmes urbains, les trafics se régénèrent et placent les forces de sécurité en position difficile. Alors qu'elles interviennent, le trafic continue ! Les ZSP sont avant tout une méthode, je le répète, et non un classement permettant d'obtenir des effectifs supplémentaires.
Les amendes sont une solution intéressante. Encore faut-il que ceux qui sont pris soient solvables. En matière de lutte contre le trafic de drogue, le fait d'associer des agents des douanes aux opérations de police et de gendarmerie, ce qui permet de percevoir directement une amende sur le lieu de l'infraction, est un élément important de nature à faire baisser la pression. Je pense qu'une réflexion particulière mérite d'être conduite sur cette question.
En matière de statistiques, nous disposons de statistiques générales, qui, c'est vrai, sont peu ou pas assez pertinentes sur le profil des victimes. Je pense qu'une analyse locale des phénomènes de délinquance devrait permettre d'orienter la prévention en direction des différents publics, car, on le voit bien, les terrains sont assez différents. On gagnerait sur ces sujets à avoir des statistiques moins « macro » et beaucoup plus déclinées sur le terrain.
J'en viens à la question des sapeurs-pompiers : un certain nombre d'études ont démontré qu'ils étaient associés à l'image d'autorité de l'État. Il s'agit donc d'un problème face à l'autorité de façon générale. De la même façon, les enseignants sont également mis en cause dans un certain nombre d'endroits, parce qu'ils représentent pour certains une forme d'autorité. C'est pourquoi la loi relative à la sécurité publique, que vous avez votée au mois de février dernier, a renforcé les peines encourues en cas d'agression de sapeurs-pompiers, à l'instar des peines déjà prévues en cas d'agression des forces de police ou de gendarmerie.
Vous m'avez également interrogé sur la fidélisation des policiers dans les banlieues sensibles. Des dispositifs existent déjà. Les zones d'exercice sensibles ont été redéfinies, et une prime de fidélisation a été mise en oeuvre pour les policiers qui y exercent. Malgré cela, malheureusement, les mouvements de mutation sont les plus forts dans ces zones, même si je suis toujours très impressionné par le nombre de policiers qui font toute leur carrière dans ces commissariats. L'image de commissariats sans policiers d'expérience est donc fausse. L'enjeu est simplement que les mouvements de mutation ne perturbent pas le travail sur le terrain pendant plusieurs mois, le temps que les effectifs reviennent à l'équilibre.
Concernant les recrutements, je peux vous assurer qu'ils sont à l'image de la population, comme je l'ai constaté dans les dernières promotions. C'est notamment le cas des quelque 9 000 emplois qui ont été créés depuis 2013. Les adjoints de sécurité sont aussi une filière permettant une grande diversification des profils d'entrée dans la police. Des études ne manqueront pas de démontrer dans les prochaines années un renouvellement des forces de police et de gendarmerie, de plus en plus de jeunes femmes étant également formées.
Vous avez raison de dire, monsieur Kaltenbach, que les caméras-piéton sont essentielles. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle leur nombre sera doublé afin d'équiper toutes les zones de sécurité prioritaires, puis, nous l'espérons, toutes les zones de tension perceptibles le plus rapidement possible. Cela, la police et la gendarmerie le savent.
L'objectif est d'assurer la sécurisation de l'intervention, mais aussi une forme de traçabilité. Ce que demandent aujourd'hui les associations qui défendent le récépissé, c'est une traçabilité. Or je ne vois pas pourquoi la traçabilité ne pourrait pas être assurée par une caméra-piéton dotée d'une fonction d'horodatage - les nouveaux dispositifs disposent de cette fonctionnalité, mais pas les systèmes que nous avons - et de géolocalisation. Un certain nombre de pays européens utilisent déjà ces dispositifs, au bénéfice à la fois de la personne contrôlée et de celle effectuant le contrôle. La bonne nouvelle, c'est que, alors que les policiers et les gendarmes étaient parfois interrogatifs sur cet outil, voire rétifs à son utilisation, car ils pensaient qu'il était destiné à les contrôler, voire à les remettre en cause, ils ont désormais totalement intégré la caméra-piéton comme un progrès permettant de sécuriser leurs interventions. C'est pour eux un point d'appui particulièrement important. Il faut maintenant réussir à convaincre ceux qui, depuis plusieurs mois, ont en tête le récépissé.
Enfin, oui, les forces de l'ordre doivent rendre compte aux élus ; oui, les échanges doivent être réguliers, car les grands-messes servent assez peu. Je pense qu'il nous faut très certainement structurer mieux la relation entre les forces de l'ordre et les élus locaux en la fluidifiant, en privilégiant moins les grands rendez-vous et davantage les réunions de travail. À cette fin, j'ai demandé que des protocoles locaux soient mis en oeuvre, notamment avec l'Association des maires de France. Il en existe déjà, mais, à l'évidence, nous devons monter en puissance.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de répondre à chacun.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 10.