Mercredi 22 février 2017
- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Groupe de travail sur la gouvernance du football - Présentation du rapport d'information
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vais laisser la parole à notre collègue Dominique Bailly, qui a présidé cette mission d'information sur la gouvernance du football professionnel afin qu'il nous rappelle le contexte et la méthode de travail qui a été suivie ; les deux co-rapporteurs nous présenteront ensuite les conclusions de cette mission.
M. Dominique Bailly, président de la mission d'information. - La « saison » s'achève pour les travaux du Parlement ainsi que pour notre mission d'information sur la Gouvernance du football professionnel. Nous avions lancé cette mission au printemps 2016 après une crise sans précédent entre la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP) à propos du nombre de montées et de descentes entre les championnats de première et deuxième division.
Derrière ce différend, c'est en fait l'organisation institutionnelle même du football professionnel qui a été interrogée dans un contexte marqué par un accroissement considérable des prix payés par les chaînes par abonnement pour avoir les droits des principaux championnats en Europe.
Derrière la question du « qui décide ? » se cachent donc aussi les questions du « comment répartir cette manne ? » et « comment rendre le championnat français plus attractif pour les spectateurs et les investisseurs ? ».
La loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs que nous avons adoptée le 15 février dernier a apporté un certain nombre de réponses. L'allongement de la durée d'attribution du numéro d'affiliation, la possibilité pour les clubs de conclure un contrat relatif à l'exploitation commerciale de l'image, du nom ou de la voix d'un sportif ou d'un entraineur professionnel et l'extension de la garantie d'emprunt par les collectivités territoriales aux projets d'infrastructures sportives ont été très largement salués.
Pour autant, la question de l'architecture globale de notre système n'a pas été traitée alors même que le rapport de la Grande conférence sur le sport professionnel français d'avril 2016 comportait un chapitre entier relatif aux évolutions institutionnelles nécessaires qui mettait en évidence la nécessité de mieux préciser le rôle de chaque acteur.
En choisissant de concentrer notre attention sur le football professionnel, nous avons voulu nous pencher sur la discipline la plus avancée sur la voie du « sport spectacle » et du « sport business », celle aussi qui nécessite des infrastructures nouvelles adaptées aux normes de diffusion les plus exigeantes. D'une certaine manière, nous pouvons en effet considérer que le football professionnel est aujourd'hui pionnier dans ce développement et que d'autres disciplines pourraient être prochainement concernées à l'image du rugby, du basket et du handball par exemple.
Si certaines de nos préconisations que vous présenterons dans un instant nos deux rapporteurs, Jean-Jacques Lozach et Claude Kern, ne concernent que le football, d'autres pourraient concerner d'autres disciplines dans un avenir plus ou moins proche. C'est pourquoi notre philosophie ne saurait consister à proposer un « grand soir » du modèle sportif français mais plutôt des ajustements et des souplesses qui pourront permettre aux fédérations et aux ligues d'adapter leurs pratiques sans avoir à déplorer la rigidités de certaines dispositions du code du sport.
Nous avons beaucoup auditionné au cours de ces derniers mois et l'ensemble de nos propositions ont fait l'objet d'échanges avec les parties prenantes. Certaines sont aujourd'hui plébiscitées tandis que d'autres - au contraire - sont accueillies avec prudence car elles remettraient en cause l'organisation actuelle et donc le rôle et les compétences de certains acteurs.
Je le dis, ces inquiétudes éventuelles n'ont pas lieu d'être car nous avons souhaité nous placer dans le cadre d'un développement de la discipline qui fait que la Fédération comme la Ligue verront leurs rôles consolidés même si des ajustements de frontières pourraient se révéler nécessaires. C'est le rôle d'un rapport d'information d'ouvrir des perspectives, de mener des réflexions et de formuler des interpellations. Ce sera le rôle d'un prochain débat législatif de trouver le meilleur compromis concernant les évolutions à conduire.
M. Jean-Jacques Lozach, co-rapporteur. - Il me revient - avant de céder dans quelques instants la parole à notre collègue Claude Kern en sa qualité de co-rapporteur - de vous présenter le début de nos conclusions après plus d'un an de travaux qui nous ont permis de véritablement prendre la mesure de la situation du football professionnel.
Nous avons souhaité retenir comme angle d'étude la gouvernance car c'est bien le fonctionnement institutionnel du football français qui a connu une crise à l'été 2015 lorsque la Fédération et sa Ligue se sont opposées à propos du nombre de montées et de descentes entre la Ligue 1 et la Ligue 2. Mais derrière ce motif précis - presque technique -, ne nous y trompons pas, c'est une opposition d'hommes et d'intérêts qui s'est faite jour et qui perdure encore aujourd'hui en dépit de la trêve qui a été signée entre les parties. On pourrait parler de « paix armée ». C'est cette situation qui a provoqué la démission de l'ancien président Frédéric Thiriez.
À l'issue des très nombreuses auditions que nous avons tenues, nous pouvons affirmer que malgré les évolutions intervenues à la fois au niveau des responsables de la Ligue et dans les statuts de cette dernière avec la distinction entre un président non exécutif chargé des fonctions de représentation et un directeur général délégué ayant pour mission de gérer la Ligue au quotidien, les conditions d'un apaisement durable ne sont pas pleinement réunies compte tenu des ambiguïtés qui demeurent sur le rôle de chacun.
Pour simplifier, on peut estimer que la gouvernance du football se caractérise de la manière suivante :
- l'État est responsable de l'organisation du football français à travers les dispositions législatives adoptées par le Parlement et les règlements établis par le ministère mais il délègue la responsabilité de l'organisation de la discipline à une fédération, la FFF, sans véritablement définir de feuille de route. Par ailleurs, c'est l'État qui est propriétaire du Stade de France et qui a financé une part essentielle des coûts de construction et de rénovation des stades de l'Euro 2016 mais sans vraiment avoir son mot à dire ;
- la Fédération est compétente pour organiser l'ensemble de la discipline mais elle a délégué à la Ligue de football professionnel l'organisation des compétitions professionnelles tout en conservant un droit de regard à travers le « pouvoir d'évocation » et de réformation qui lui a été reconnu par le Conseil d'État dans un arrêt du 3 février 2016 ;
- la Ligue n'a pas d'existence juridique propre puisque c'est la convention négociée avec la FFF qui détermine son existence alors même que c'est elle qui négocie les droits télévisés et organise les compétitions professionnelles. L'association des ligues nous interpelle sur son insécurité juridique ;
- enfin, les clubs professionnels sont tentés de défendre leurs propres intérêts qui diffèrent de plus en plus entre la Ligue 1 et la Ligue 2, ce qui a amené une majorité de clubs de Ligue 1 à quitter l'UCPF pour créer le syndicat « Première Ligue » en excluant toute perspective de réunification alors même que la composition des deux syndicats n'est plus homogène compte tenu des montées et descentes intervenues cette année.
La situation est donc d'une grande confusion sur le plan institutionnel même si, sur le plan économique, un certain consensus semble avoir été trouvé.
Quelles sont les caractéristiques de ce consensus ?
- Le principe de solidarité, tout d'abord, n'est pas remis en cause. L'article 14 des nouveaux statuts de la LFP prévoit même de geler la répartition de ces droits entre Ligue 1 et Ligue 2 jusqu'à 2026. La FFF, pour sa part, se dit satisfaite des montants attribués au football amateur ;
- La nécessité de renforcer la compétitivité du football professionnel est également largement partagée. Les investisseurs français se font rares, compte tenu d'une image du football peu favorable. Chacun reconnaît donc - quitte à le déplorer - la nécessité de recourir à des investisseurs étrangers ;
- L'importance de la formation constitue le troisième élément du consensus qui se dégage. La qualité de la formation française doit être préservée et elle justifie largement le soutien apporté par la Ligue 1 aux clubs de Ligue 2 voire de National.
En partant de ces quelques points de repères, nous avons choisi non pas de faire des propositions pour révolutionner l'organisation du football français - car nous respectons le principe d'autonomie de la FFF - mais pour lui permettre de poursuivre son évolution dans le cadre de grandes orientations stratégiques.
Comme l'a rappelé le président de la mission, Dominique Bailly, l'adoption, le 15 février dernier, de la loi visant à préserver l'éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence sur sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs a déjà constitué une étape importante qui a fait évolué le droit tout en respectant le rôle de chacun des acteurs. Une nouvelle étape sera nécessaire au cours du prochain quinquennat qui devra, sans doute, s'appuyer à nouveau sur une initiative parlementaire.
Comment définir les éléments constitutifs de cette nouvelle étape ?
En premier lieu, il me semble essentiel de rappeler les principes auxquels nous sommes tous attachés, au-delà de nos appartenances politiques respectives :
- tout d'abord, le sport constitue un aspect indispensable au développement des citoyens et il est donc légitime qu'il fasse l'objet d'une politique publique dont les principes généraux sont définis par le Législateur ;
- ensuite, si l'État ne peut pas se désintéresser de la conduite de cette politique, c'est d'abord à la fédération qu'il incombe de veiller au développement harmonieux de la discipline et aux équilibres entre les intérêts du monde amateur et professionnel ;
- enfin, si nous sommes d'accord pour accompagner le développement du football professionnel en s'inspirant notamment des meilleures pratiques européennes, la limite à ne pas franchir serait la transformation du championnat en ligue fermée constituée de franchises où les performances financières l'emporteraient sur les performances sportives.
Voilà pourquoi je crois pouvoir dire que les propositions que nous allons vous présenter s'inscrivent dans la philosophie de notre modèle du sport français et respectent le rôle de la fédération qui doit être garante de l'organisation générale de la discipline. Pour autant, il nous est apparu que le développement des enjeux économiques justifiait de mieux identifier le rôle de chacun des acteurs afin de pouvoir mieux les responsabiliser.
J'en viens maintenant aux premières propositions et je laisserai Claude Kern poursuivre la présentation.
Les deux premières propositions concernent le rôle de l'État vis-à-vis du football.
· La délégation de service public est
aujourd'hui accordée à travers un simple arrêté
ministériel pour quatre ans. Le dernier a été pris le 31
décembre dernier sans qu'aucune véritable contrepartie n'ait
été établie ni même un cadrage stratégique
définissant les grands choix pour l'avenir. La convention pluriannuelle
qui définit la contribution de la FFF à la mise en oeuvre des
priorités ministérielles ne concerne pas le coeur des actions de
la FFF.
C'est pourquoi nous proposons que le renouvellement de la délégation s'accompagne de la rédaction d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'État et la fédération qui définira les grandes priorités pour les quatre années à venir. Ce COM, dont le principe devra être prévu dans le code du sport, pourra être transmis aux commissions compétentes du Parlement et servira notamment pour apprécier le bilan des équipes fédérales.
· La seconde proposition relative à
l'État concerne le Stade de France dont ce dernier est
propriétaire et qui en a concédé la gestion à un
consortium mené par Vinci et Bouygues jusqu'en 2025. Beaucoup a
été dit sur le Stade de France et son coût pour le
contribuable compte tenu de l'absence de club résident. Aujourd'hui, cet
équipement est à un tournant puisqu'il a besoin d'importants
travaux de rénovation dont la nature et le coût dépendront
de l'accueil ou non des Jeux olympiques de 2024. Une enveloppe de 70 millions
d'euros est prévue dans le dossier de candidature pour rénover le
Stade. Une décision devra donc être prise à la fin de cette
année sur la nature des travaux à conduire mais aussi sur
l'avenir de cet équipement dont rien ne justifie qu'il demeure
propriété de l'État.
L'abandon par le nouveau président de la Fédération française de rugby (FFR) du projet de Grand stade à Évry ouvre la possibilité de faire entrer les deux Fédérations de football et de rugby, ainsi peut-être que les deux ligues professionnelles, au capital du Stade de France aux côtés d'un éventuel opérateur. Le moment de la clarification est venu et il nous apparaît essentiel que la FFF puisse maîtriser un de ses « outils de travail ». Les échanges menés avec l'ensemble des parties montrent que les esprits sont mûrs.
· Concernant les rapports entre la
Fédération et la Ligue, j'ai déjà dit que nous
n'envisagions pas de remettre en cause le fait que la Ligue est
l'émanation de la Fédération. Mais les
responsabilités très importantes qui incombent aujourd'hui
à la Ligue rendent nécessaire de mieux définir ses
compétences.
Le pouvoir d'évocation de la Fédération ne peut donc être sans limite au nom du seul intérêt général du football. Sans doute convient-il de mieux définir dans le code du sport les compétences propres de la Ligue et surtout de garantir sa pérennité en allongeant la durée de la convention qui la lie à la Fédération et en excluant la possibilité pour cette dernière de supprimer sa ligue de manière unilatérale.
· Concernant le fonctionnement de la FFF, dont les
instances de direction seront renouvelées le 18 mars prochain, force est
de constater la grande complexité du mode de scrutin et l'absence de
véritable pluralisme alors même que cette Fédération
comprend plus de 2 millions de licenciés et 5 millions de
pratiquants.
Si l'on peut comprendre que les clubs professionnels se voient réserver une part des voix à l'assemblée générale (37 %), il n'est pas sûr que le recours à un scrutin indirect, qui associe à la fois les districts et les ligues régionales, facilite la clarté des choix. C'est pour cela que nous proposerons de privilégier à l'avenir un vote direct des clubs qui tiendrait compte uniquement de deux facteurs : le nombre de licenciés et le caractère amateur ou professionnel.
De la même manière, il ne semble pas judicieux que l'ensemble des pouvoirs incombe à une seule tendance arrivée en tête grâce au scrutin de liste. Le comité exécutif doit être plus équilibré afin de refléter toutes les tendances du football français.
Afin de favoriser un certain renouvellement, il nous est aussi apparu nécessaire de prévoir dans la loi une limitation à trois des mandats du président de la FFF et de la LFP.
Bien entendu, l'ensemble de ces modifications aurait vocation à s'appliquer à toutes les fédérations et à toutes les ligues. La FFF étant la plus avancée dans son développement, il va de soi que toutes les dispositions qui apparaissent aujourd'hui nécessaires la concernant seront également utiles demain pour les autres fédérations.
Mon dernier mot sera pour les supporters qui sont souvent l'âme d'un club. Beaucoup a été fait pour lutter contre la violence dans les stades et beaucoup reste encore à faire pour combattre les comportements inacceptables. Pour autant, il faut donner des perspectives à ceux qui veulent s'organiser et trouver leur place dans leur club.
Nous ne pouvons que soutenir l'idée du président de la FFF de faire émerger une « fédération nationale de supporters » qui pourra, à terme, se voir reconnaître sa place dans les instances de la FFF et de la LFP.
M. Claude Kern, co-rapporteur. - J'en viens maintenant à des aspects davantage liés à l'organisation même du football dans notre pays.
Comme l'a évoqué Jean-Jacques Lozach, nous devons accompagner le développement économique du football professionnel sans pour autant nous immiscer dans son organisation. Dans un pays de droit romain germanique qui donne une place prépondérante à la Loi, cela signifie que nous devons veiller à ce que le code du sport ne constitue pas un obstacle à des évolutions que nous pressentons, mais qui ne sont pas forcément encore mûres ou qui ne font pas encore l'objet d'un consensus.
Certaines de nos propositions ne sont donc pas des obligations ; elles constituent davantage des possibilités que nous souhaitons ouvrir aux acteurs : la Fédération, la Ligue, les clubs, les supporters. À charge pour eux de s'en saisir s'ils l'estiment utile.
Prenons par exemple le cas de la Ligue de football professionnel. Le code du sport prévoit que la Fédération ne peut créer qu'une seule Ligue. La LFP est donc compétente pour gérer à la fois la Ligue 1 et la Ligue 2.
L'étude de législation comparée que nous avons réalisée a montré que ce choix n'était pas le seul possible puisque, en Angleterre, il existe deux ligues professionnelles et qu'on en compte même trois en Italie. Je le répète, nous ne voulons pas imposer la création de plusieurs ligues professionnelles, ce pourrait être une solution intelligente pour mieux prendre en compte les intérêts des clubs de chaque championnat.
Aujourd'hui, malgré la réforme de ses statuts, la LFP ne fonctionne pas très bien puisqu'une opposition demeure entre les clubs de Ligue 1 et ceux de Ligue 2, qui ont chacun un syndicat différent. Cet émiettement de la représentation des clubs est considéré comme un facteur d'inefficacité et un obstacle à une bonne gouvernance. Pourtant, si la Ligue appelle de ses voeux une réunification, elle n'est pas suivie par les intéressés. Il existe donc structurellement une division de la représentation au sein de la Ligue qui menace l'unité sur chacun des choix stratégiques.
Des collèges distincts ont certes été créés au sein de la Ligue, mais leurs représentants n'ont pas leur place à son conseil d'administration. Ces difficultés n'ont, en réalité, que peu de chances de s'estomper car les intérêts des clubs de Ligue 1 sont devenus très différents de ceux de Ligue 2 et il est donc difficile de les faire gérer en commun leurs enjeux respectifs.
La création de deux ligues distinctes, avec le maintien d'une solidarité forte entre les deux championnats par le biais d'une convention, pourrait donc constituer une voie possible pour retrouver un fonctionnement plus harmonieux. Nous proposons donc de modifier le code du sport pour rendre cette évolution possible si - et seulement si - la Fédération et l'ensemble des parties prenantes le souhaitaient.
Une telle évolution pourrait également ouvrir de nouvelles perspectives pour le championnat de National, la troisième division. Actuellement, ce championnat comprend des équipes professionnelles et des équipes composées d'amateurs. Une professionnalisation du National permettrait d'en faire la véritable antichambre de la Ligue 2. Ce sujet est en débat depuis très longtemps mais n'a jamais été véritablement mis à l'ordre du jour. Pourtant, on voit bien l'intérêt que pourraient avoir les clubs de Ligue 1 à se rapprocher de clubs de National pour développer le temps de jeu de leurs jeunes joueurs. Aujourd'hui un club comme Monaco envisage par exemple de racheter le Cercle de Bruges qui évolue en Division 2 belge et auquel il prête déjà plusieurs joueurs. Dans l'intérêt de la formation française, il pourrait être opportun d'inciter les clubs de Ligue 1 à développer des clubs de National.
Dans cette perspective, on pourrait imaginer que, sur le modèle de la Football League anglaise, une seconde ligue professionnelle soit chargée de gérer la Ligue 2 et une nouvelle « Ligue 3 ».
Le développement du football professionnel nécessite également d'accroître la capacité de la Ligue à augmenter ses ressources. La structure associative de la Ligue peut, à cet égard, constituer un inconvénient puisque la gouvernance associative rend souvent difficile la prise de décision et que le secret des délibérés dans ce type de structures n'est pas nécessairement respecté par tous les acteurs.
Si une transformation de la Ligue en société commerciale, sur le modèle anglais, nous semble à exclure compte tenu du fait qu'elle reviendrait à devoir rétrocéder à la FFF les compétences régaliennes de la LFP, une évolution « à l'allemande » avec la création d'une filiale chargée de négocier les droits commerciaux pourrait constituer une piste intéressante.
Il n'est pas sûr que la loi doive être modifiée pour permettre à la Ligue de créer cette filiale. Dans le passé, celle-ci avait déjà créé une société - C foot - chargée de produire des programmes. Pour autant, il est aussi possible que, pour sécuriser le statut de cette filiale au regard du droit de la concurrence, une disposition législative soit nécessaire. Cette question doit, à notre sens, être examinée sans tabou et, là encore, il s'agit pour nous d'ouvrir une possibilité sans faire obligation à qui que ce soit.
Si les évolutions institutionnelles doivent se faire avec l'accord des parties, nous pensons, par contre, qu'il est du rôle du Législateur de donner une impulsion plus ferme concernant certaines valeurs du sport.
Nous proposons ainsi de mettre encore davantage l'accent sur la formation en l'intégrant dans les critères définis par l'article L. 333-3 du code du sport pour procéder à la répartition des droits TV. Le critère de la formation est aujourd'hui pris en compte en Ligue 2, mais il n'est pas un véritable critère en Ligue 1, si ce n'est dans le cadre de la « licence club ».
Il nous semble essentiel de rappeler que la formation doit être au coeur des préoccupations des clubs. Dans cet esprit, nous proposons également de rendre obligatoire, pour les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, la possession d'un centre de formation.
Nous ne voyons pas d'obstacles à ce qu'ils soient mutualisés, même avec les clubs de National. Il nous semble par contre essentiel de veiller à développer également la formation féminine.
Concernant précisément le football féminin, celui-ci a clairement passé un cap. Chacun, aujourd'hui, moi en premier, peut constater que le jeu est de qualité, souvent plus technique que le football masculin, ce qui le rend particulièrement agréable à regarder. Le moment est donc venu d'obliger l'ensemble des clubs de Ligue 1 à créer une section féminine, ce qui permettra de développer le championnat féminin.
J'en viens maintenant aux clubs. Pour les inciter à investir dans la formation, il est indispensable qu'ils y trouvent leur intérêt en leur permettant de garder plus longtemps les jeunes joueurs talentueux. C'est pour cela que nous proposons d'allonger la durée du premier contrat professionnel des joueurs - aujourd'hui fixée à trois ans au maximum - à cinq ans au maximum. Bien entendu, rien n'empêcherait un club d'accepter un transfert avant l'échéance des cinq ans, mais le club pourrait alors obtenir un juste retour de son investissement.
Afin de mieux réguler l'évolution des effectifs de clubs - profondément déstabilisée par l'arrêt Bosman de 1995, qui a libéralisé la circulation des joueurs en Europe avec pour conséquence une forte inflation salariale - il nous semble indispensable d'instituer en Ligue 1 un quota de joueurs formés dans les clubs.
Une telle disposition, qui existe dans d'autres disciplines comme le handball et le rugby, a également été instituée par l'UEFA dans les compétitions européennes. Il nous semble que ce principe doit également s'appliquer au principal championnat de Ligue 1.
Concernant la Ligue 2, composée aujourd'hui de clubs qui connaissent pour beaucoup une situation financière fragile, nous souhaitons proposer la mise en place d'un plafonnement de la masse salariale (« salary cap ») calculé en fonction du chiffre d'affaires de chaque club.
Le Top 14 a déjà pris l'initiative d'un tel dispositif prévu par le code du sport. Ce doit être le rôle du contrat d'objectifs et de moyens (« COM ») que nous proposons de négocier avec la Fédération et la Ligue. La mise en place de ce type de régulation peut être utile pour assurer la pérennité du football français.
Les propositions que nous voulions vous présenter constituent ainsi des compléments indispensables aux dispositions de la proposition de loi adoptée, à l'unanimité, le 15 février dernier. Elles ne couvrent pas toute l'étendue des questions que connaît le football. Celle de la propriété des stades, qui a souvent été débattue au Sénat, ne doit pas être oubliée. C'est aussi le cas de la question de la consommation de bière dans les stades et de la publicité pour l'alcool. Nous n'avons pas souhaité élargir autant notre réflexion, qui portait, je le rappelle, sur la gouvernance du football.
Je crois, néanmoins, que cette contribution sénatoriale constitue un ensemble cohérent de nature à enrichir le débat et à prolonger le dialogue avec les acteurs, afin de préparer ensemble de nouvelles évolutions.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, chers collègues, pour cette présentation fort intéressante qui m'a personnellement beaucoup appris sur le cadre institutionnel du football français. J'associe à mes remerciements l'ensemble des membres de cette mission d'information qui, je le sais, ont participé activement à ses travaux.
Mme Corinne Bouchoux. - Je remercie le président et les rapporteurs qui ont su animer efficacement et avec un esprit très ouvert un groupe au sein duquel le niveau des connaissances sur le secteur était très contrasté.
Je formulerai simplement une remarque valable pour cette mission mais aussi pour d'autres travaux de notre institution : nous formulons régulièrement à l'encontre de certains secteurs des préconisations de rotation démocratique, telle que la limitation du nombre de mandats ; je souhaiterais que nous appliquions aussi à nous-mêmes ces principes ; il ne nous est pas interdit de réfléchir à notre propre gouvernance...
Mme Christine Prunaud. - Je confirme que les travaux au sein de cette mission se sont déroulés dans un excellent esprit.
Trois propositions me tiennent plus particulièrement à coeur : la limitation à trois du nombre des mandats des présidents de la FFF et de la LFP ; l'effort demandé aux clubs en matière de formation et l'intégration de ce critère dans la répartition des recettes des droits télévisés ; enfin, l'obligation, pour les clubs de Ligue 1, de créer une section féminine.
Mme Mireille Jouve. - J'ai eu beaucoup de plaisir à participer aux travaux de cette mission qui a nécessité de nombreuses auditions et j'approuve pleinement les conclusions de nos rapporteurs.
Ayant évoqué l'essor du football féminin, je voudrais que nous ayons également à l'esprit d'oeuvrer en faveur d'une gouvernance plus partagée dans le milieu du football, sans forcément envisager l'instauration d'une parité entre les femmes et les hommes. C'est d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt que nous avons auditionné Mme Boy de la Tour, première femme élue présidente de la LFP.
M. Alain Dufaut. - À mon tour, je veux souligner l'excellent climat qui a régné au sein de notre mission.
Je voudrais insister sur la nécessité d'aller plus loin sur le sujet de la propriété des stades, qu'il faut distinguer de la question de leur financement. La vraie difficulté se pose lorsque l'enceinte sportive est achevée : qui la gère ? Qui en assume la responsabilité ?
J'ai été rapporteur, en 2011, de la loi relative à l'organisation de l'Euro 2016 en France qui a permis la réhabilitation de six stades en vue de cette compétition. Nous avions défini à l'époque des systèmes de financement originaux, comme le crédit-bail, pour mener à bien ces opérations. Il faudrait retravailler ces pistes pour renouveler le parc des enceintes sportives en France, pas seulement celles dédiées au football, et permettre de dégager les collectivités territoriales de ces responsabilités.
M. Daniel Percheron. - Je suis un vieux sénateur, avec plus de trois mandats à son actif... Je fais donc amende honorable - sans excès - avant de m'exprimer sur la gouvernance du football. Ma vie d'élu est liée passionnément à celle d'un club - le Racing Club de Lens - qui résume à lui seul l'évolution du football français. Club d'entreprise à l'origine, celui des Houillères nationales, il devient ensuite un club municipal qui cheminera vers le « foot business » pour finalement se noyer dans le fleuve d'argent qui ruisselle mondialement sur ce secteur aujourd'hui.
J'attire votre attention sur la destinée actuelle du modèle du football français à la fois plébiscité par les spectateurs-consommateurs et à la merci de la mondialisation. Aujourd'hui, les investisseurs chinois y font leur marché. De même, le RC Lens a été racheté dans l'improvisation d'une nuit par des investisseurs d'Azerbaïdjan qui se sont ensuite révélés incapables de concrétiser leur offre... Remercions au passage François Pinault qui est un des rares grands patrons français à être au rendez-vous, à Rennes, du patriotisme sportif.
Nos clubs ne vivent que de la formation. Il faut la protéger et l'encourager. La proposition visant à allonger à cinq ans la durée du premier contrat professionnel peut y contribuer. Il faut d'ailleurs que toute la loi joue son rôle en matière de formation professionnelle depuis l'apprentissage jusqu'à la formation tout au long de la vie, et cela pour tous les acteurs du secteur. Les jeunes issus de cette formation incarnent ensuite la réussite de l'intégration à la française. Un club comme Lyon multiplie ainsi les talents formés au club. Je veux d'ailleurs saluer en la personne de M. Aulas un grand capitaine d'industrie qui a construit son stade et développe un modèle économique intéressant au sein du football français. L'idée d'instaurer un quota de joueurs formés au club en Ligue 1 est également décisive.
Nous devons effectivement approfondir la question de la propriété des stades. Ne perdons pas de vue qu'il existe un processus d'identification dans le sport professionnel. Une ville prête sa légende, son histoire à son stade et à son club. La présence de supporters dans certaines instances des clubs, voire des élus me semblerait à même d'assurer une forme de transparence et conforme à l'idée que nous nous faisons du modèle du football français.
Merci aux rapporteurs d'avoir éclairé avec pédagogie le monde enchanteur mais quelque peu opaque du football.
M. Jacques Grosperrin. - Mon intervention est un témoignage concernant le club de Sochaux, dont les installations ont été financées par le conseil départemental du Doubs, et qui a été racheté, par la suite, par des investisseurs chinois. Il y a clairement un problème de financement du football en France, en particulier de ses infrastructures, qui repose trop souvent sur la ressource publique alors que ce sont d'autres acteurs - privés - qui les utilisent et en tirent profit.
M. Jean-Jacques Lozach, co-rapporteur. - J'ajouterai que suite à l'adoption de la proposition de loi, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sera désormais compétente pour examiner la situation des présidents de fédérations sportives, de ligues professionnelles et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Par ailleurs, une seule femme, aujourd'hui, préside une fédération olympique ; il s'agit d'Isabelle Lamour, en escrime. Elle s'est également portée candidate pour la présidence du CNOSF. Concernant le modèle économique des clubs, tout le monde pense aujourd'hui que les clubs doivent devenir propriétaires de leur stade. La difficulté consiste donc à trouver une convergence avec la municipalité. Pour terminer, je crois qu'il ne faut pas être nostalgique d'un âge d'or du football français qui a connu dans le passé ses heures sombres avec des affaires de double billetterie et de caisses noires qui ont concerné de nombreux clubs. Grâce à la Direction nationale du contrôle de gestion (DMCG) il y a aujourd'hui plus de transparence.
M. Claude Kern, co-rapporteur. - La loi votée va également permettre de mieux contrôler les agents sportifs.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Groupe de travail sur la francophonie - Présentation du rapport d'information
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - À la suite de la publication, en août 2014, du rapport de Jacques Attali « La Francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable », j'ai émis le souhait que notre commission travaille sur la francophonie et ses perspectives pour le 21ème siècle. Nous sommes plusieurs à appartenir également à l'Assemblée parlementaire de la francophonie, tandis qu'à chaque déplacement de notre commission, nous veillons à traiter ce sujet dans le contexte du pays visité. Je remercie donc chaleureusement nos collègues Louis Duvernois et Claudine Lepage de s'être attelés à cette tâche et d'avoir abouti à des propositions d'un grand intérêt.
M. Louis Duvernois, co-rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, en juillet 2015, notre présidente nous proposait, à Claudine Lepage et à moi-même, de mener un travail de fond sur le thème de la francophonie dans le cadre d'un groupe de travail de notre commission. Ce groupe a été créé, il s'est réuni une trentaine de fois et a auditionné plus de cinquante personnes. Lors de sa dernière réunion, il y a quinze jours, il a adopté les grandes orientations que nous allons vous exposer aujourd'hui.
Notre sujet était plus que vaste. Nos moyens, somme toute, limités. Nous n'avons pas la prétention d'avoir épuisé le sujet et j'en appelle à toute votre bienveillance. La francophonie a déjà fait l'objet de nombreux rapports et le nôtre n'épuise certainement pas le sujet. J'espère, au contraire, qu'il sera matière à continuer de réfléchir sur cette dimension si essentielle de notre politique étrangère.
Mme Claudine Lepage, co-rapporteur. - Après des siècles de suprématie mondiale, le français occupe aujourd'hui une place « intermédiaire » dans l'échelle des langues. Ni langue mondiale, comme l'est l'anglais, elle fait néanmoins partie des langues majeures du globe : cinquième langue mondiale en nombre de locuteurs, quatrième langue par le nombre d'internautes, troisième langue des affaires - après l'anglais et le chinois -, deuxième langue apprise - après l'anglais -, deuxième langue d'information internationale - après l'anglais -, elle dispose de nombreux atouts :
- des atouts historiques et culturels : l'histoire de France a implanté le français sur les cinq continents et a nourri une belle image de la langue française, souvent associée à la liberté mais aussi au raffinement, à la culture ... ;
- des atouts économiques : l'espace « francophilophone » selon le joli néologisme de Jacques Attali représente aujourd'hui plus de 15 % de la richesse mondiale ;
- mais surtout, des atouts démographiques : la francophonie constitue le sixième espace géopolitique mondial par sa population et pourrait devenir le quatrième à l'horizon 2050 : 230 millions de personnes parlent français aujourd'hui, elles pourraient être 770 millions en 2050 ; c'est d'ailleurs l'ensemble linguistique qui connaîtra la plus forte croissance des cinquante prochaines années.
Cet atout démographique repose néanmoins sur des bases fragiles. La croissance démographique escomptée par la francophonie d'ici 2050 résulte de la seule croissance démographique de l'Afrique francophone : en 2050, 85 % des francophones seraient africains. Beaucoup dépendra donc de l'évolution, en qualité comme en quantité, de l'enseignement du et en français dans ces pays.
C'est pourquoi notre rapport fait une grande place aux questions d'éducation avec plusieurs recommandations pour que ce sujet ne soit pas abandonné des autorités, ni dans notre politique de coopération, ni dans notre politique diplomatique. Il n'aborde pas directement la question du financement de ces recommandations mais préconise néanmoins de rééquilibrer parfois nos priorités budgétaires afin d'investir plus dans l'éducation qui nous semble un enjeu d'avenir crucial.
Notre rapport fait aussi nombre de propositions relatives au développement des médias et, d'une façon plus générale, des contenus culturels et numériques, car c'est sur ce champ que se jouent aujourd'hui la bataille des langues et le français doit conserver une image de modernité et entretenir un « désir de français ».
Enfin, nous avons souhaité donner toute sa place à la jeunesse francophone avec des propositions de création d'un « ERASMUS francophone » pour les étudiants ou d'un office francophone de la jeunesse pour les jeunes professionnels.
M. Louis Duvernois, co-rapporteur. - La place du français se joue aussi dans les organisations internationales et plusieurs auditions que nous avons menées nous ont fortement inquiétés. Le français est en très net recul dans la plupart des organisations internationales et la situation est particulièrement préoccupante en Europe.
Alors que l'Europe fonctionnait entièrement en français jusqu'en 1973, de facto, l'anglais est pratiquement l'unique langue d'usage de l'Union européenne et le déclin du français plus que patent.
Il s'est d'ailleurs considérablement accéléré à compter du 1er mai 2004 avec l'entrée de dix nouveaux pays dans l'Union européenne, faisant passer le nombre d'États-membres de 15 à 25, ce qui a mécaniquement « dilué » l'influence française :
- au Conseil de l'Union européenne, le recours au français est marginal, oscillant péniblement entre 2 et 3 % de documents rédigés en français ;
- à la Commission européenne, 3,6 % des documents sont écrits en français ;
- au Parlement européen, c'est un peu mieux : 15 % de documents en français.
Le Brexit constitue une opportunité que les autorités françaises doivent saisir. Désormais, l'anglais ne sera plus l'une des 24 langues officielles de l'Union. C'est le moment de renouer avec nos partenaires un nouveau pacte en faveur du plurilinguisme.
Mme Claudine Lepage, co-rapporteur. - J'en viens à l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Nous nous sommes interrogés sur l'utilité et l'efficacité de cette organisation. Incontestablement, elle a gagné son pari de s'implanter dans le paysage institutionnel international : elle compte aujourd'hui 84 membres ! Mais certains de ses membres n'ont qu'un lien distant avec la francophonie : le Qatar pour ne citer que lui ...
Nous proposons donc de recréer au sein de l'OIF un « noyau dur » d'une trentaine de pays, ceux où le français est l'une des langues officielles ou dans lesquels plus de 20 % de la population est francophone.
Avec ces pays, nous pourrons bâtir de nouvelles politiques linguistiques et éducatives, que l'OIF doit privilégier car porteurs d'une véritable valeur ajoutée, c'est « son coeur de métier ».
Son élargissement à tout-va et l'éparpillement de ses missions et de ses objectifs risqueraient, dans le cas contraire, de la reléguer au rang de « doublon médiocre de l'assemblée générale de l'ONU », selon les propos de notre collègue Jacques Legendre.
M. Louis Duvernois, co-rapporteur. - Au terme de nos travaux, il nous a semblé évident que la France manque d'une véritable stratégie francophone alors qu'elle représente pour elle un champ immense d'opportunités pour l'avenir :
- une stratégie appuyée sur le concept de défense de la diversité des expressions culturelles, en s'opposant à l'uniformisation et à la globalisation par l'anglais et la culture américaine ;
- une stratégie où la France se considère aussi comme un pays francophone et où l'on met de côté notre légendaire arrogance vis-à-vis des autres francophones ;
- une stratégie où la France met en avant ses outre-mer, véritables ponts vers les autres aires linguistiques ;
- une stratégie où la France ose occuper toute sa place de « pays berceau de la langue française » au sein de l'OIF car les autres pays francophones attendent aussi de nous un peu d'exemplarité.
Vous l'aurez compris, plus que l'expression d'une nostalgie ou d'une volonté de puissance, la défense de la francophonie est, pour vos co-rapporteurs, synonyme de promotion de la diversité culturelle et du dialogue entre toutes les cultures : un appel à une « francophonie ouverte », en application fidèle de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée en 2005 par l'Unesco à l'initiative de la France.
Mme Claudine Lepage, co-rapporteur. - Nous n'avons pas pu évoquer avec vous tous les champs de notre étude qui s'est aussi intéressée au français dans les entreprises ou dans les sciences.
Mais, en conclusion, nous aimerions aborder avec vous un débat qui nous a taraudés durant nos travaux, sans que nous réussissions véritablement à y apporter une réponse définitive : la langue française est-elle porteuse de valeurs universelles ?
Comme nous l'a exposé l'anthropologue Jean Tardif en audition, une civilisation, une culture sont porteuses de valeurs. Une langue est, d'abord, un moyen de communication. Elle peut être porteuse d'une certaine « façon de penser » selon qu'il existe tel ou tel mot dans une langue, telle ou telle subtilité, la représentation du monde perçue à travers cette langue ne sera pas tout à fait la même que celle donnée par une autre langue. Mais il récuse l'idée que les langues soient porteuses de valeurs, a fortiori que le français soit dans une situation de porter des valeurs « universelles »... Nous avons développé davantage cette idée dans notre rapport.
Mme Marie-Christine Blandin. - Je remercie les deux rapporteurs pour la qualité de leur présentation, preuve, s'il en fallait, que la parité représente, comme la francophonie, un enrichissement mutuel. Je leur sais en particulier gré de leur refus de promouvoir avec arrogance la langue française. Bien au contraire, la francophonie constitue un creuset fort intéressant dans la mise en oeuvre effective des droits culturels, notion concrétisée grâce aux efforts conjoints de notre présidente et de nos collègues Jean-Pierre Leleux, Sylvie Robert, Maryvonne Blondin, Françoise Laborde et Brigitte Gonthier-Maurin.
Cet espoir ne doit nullement faire oublier combien le français, s'il n'est pas jugé en voie de disparition par l'Unesco, souffre de la concurrence de la langue anglaise dans les instances internationales. Au sein des institutions européennes, si les documents définitifs sont publiés en français, tel n'est pas le cas des documents intermédiaires, ce qui ne facilite guère le travail de nos représentants. Souhaitons, effectivement, que le Brexit soit l'occasion d'une prise de conscience de la nécessité d'imposer un multilinguisme plus égalitaire au sein des instances européennes et d'un retour en grâce du français. L'anglais, dans un rôle de véhicule utile, deviendra-t-il l'esperanto de demain ?
Comme vous, je suis ô combien convaincue de l'importance d'offrir un accès plus aisé à la littérature francophone, sur notre territoire comme à l'étranger, notamment aux plus jeunes ! Quelle richesse que l'oeuvre de Denis Laferrière ! Quelle ouverture vers d'autres cultures que l'ouvrage d'Adame Ba Konaré « Quand l'ail se frotte à l'encens » ! Quel appel à la réflexion, en ces temps où l'extrême-droite n'a jamais parue si menaçante, que « Le chagrin des Belges » d'Hugo Claus !
Mme Françoise Cartron. - Vous nous avez tous deux présenté un plaidoyer utile en faveur de la langue française bien que de nombreuses propositions échappent à notre compétence. Pour autant, certaines mesures dépendent directement de notre volonté : comment se fait-il, en effet, que la langue anglaise soit utilisée dans certaines réunions de nos groupes d'amitié au sein même du Sénat ? Nous pouvons ici agir directement pour imposer l'usage du français.
M. René Danesi. - Je félicite nos deux rapporteurs pour le travail considérable qu'ils ont mené ces derniers mois. Je partage leur souhait que la francophonie représente une ouverture linguistique et culturelle vers les autres langues et les autres cultures. Il ne peut en être autrement dans un monde dans lequel les hommes se mêlent et où cultures et langues se rencontrent. Rappelons que le développement du français, dans les décennies à venir, repose sur la seule Afrique. Cette évolution heureuse et inévitable doit nous faire abandonner notre position hautaine traditionnelle. Pour autant, il me semble un tantinet précipité d'affirmer, dans la première proposition de votre rapport, que la France doit participer à la promotion du multilinguisme. J'estime qu'il convient de promouvoir tout autant la langue française. C'est pourquoi je propose que ce voeu soit ainsi rédigé : « Promouvoir la langue française et le multilinguisme ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Il était important de mener un travail de fond sur la francophonie au sein de notre commission afin de sortir, enfin, d'une forme passéiste de promotion de la langue française. Je regrette toutefois que vous ayez fait l'impasse sur les actions menées dans ce domaine par les femmes. Lorsque j'étais présidente de la délégation aux droits des femmes, j'ai pu observer, à Dakar comme en République démocratique du Congo, le travail formidable des associations de femmes en faveur de la francophonie. À cet égard, je salue l'action de l'ancienne ministre déléguée chargée de la Francophonie, Yamina Benguigui, qui toujours eut le souci de la défense des femmes et de l'éducation des filles dans les pays francophones.
Mme Colette Mélot. - Nous portons une réelle responsabilité dans le déclin de notre langue. Au sein des instances européennes et internationales, nous nous contentons d'un anglais approximatif, qui entrave la qualité du débat, au lieu de nous exprimer dans notre langue maternelle, alors même que nous disposons d'interprètes. Je regrette également le slogan choisi pour la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2024 - Made for sharing. En revanche, je me félicite du travail des rapporteurs et soutiens particulièrement la proposition visant à créer un ERASMUS francophone.
Mme Françoise Laborde. - Compte tenu du nombre de propositions, il faudrait peut-être les classer par ordre d'importance pour une mise en oeuvre efficace. Cette remarque faite, je constate que la défense de la langue française est souvent soit moquée, soit interprétée comme de la ringardise. Ce rapport permet de donner à cette action une dimension moderne et confirme la nécessité d'une véritable stratégie pour inciter à utiliser la langue française dans les instances internationales.
M. Gilbert Bouchet. - Je regrette la disparition de la langue française sur la scène internationale, à l'instar de l'allemand. Alors que la langue officielle des Jeux olympiques est le français, il est paradoxal d'avoir choisi pour la candidature de Paris un slogan en anglais.
M. Jean-Pierre Leleux. - J'encourage les rapporteurs à porter le combat en faveur de la langue française. Toutefois, cette démarche se heurte au fait que les Français maîtrisent de moins en moins bien leur langue maternelle. Leur vocabulaire actif s'est considérablement réduit. Il importe donc de réformer l'apprentissage du français afin d'assurer le rayonnement de cette langue.
Mme Christine Prunaud. - Je tiens à rappeler la baisse constante des moyens financiers alloués à la francophonie. Par ailleurs, qu'en est-il du fléchage des contributions françaises à l'Organisation internationale de la francophonie ?
Mme Vivette Lopez. - J'approuve toutes les propositions visant à faciliter l'apprentissage du français ainsi que la proposition visant à systématiser l'apprentissage d'au moins deux langues étrangères dès le plus jeune âge. Le lancement d'une réflexion sur la création d'un « ERASMUS francophone » me paraît également nécessaire. Je partage l'émoi soulevé par le choix d'un slogan en anglais à l'appui de la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques.
Mme Maryvonne Blondin. - Le français et l'anglais sont les langues officielles du Conseil de l'Europe, créé en 1949 par la France et l'Allemagne. Dans cette instance, un grand nombre des 47 pays membres s'efforce d'intervenir en français. De même, son président - Pedro Agramunt - prononce souvent ses discours dans cette langue. En revanche, ce n'est pas le cas du secrétaire général - M. Thorbjørn Jagland - et une demande officielle lui a été signifiée au moment du renouvellement de son mandat afin qu'il s'exprime également en français, malheureusement sans beaucoup de succès jusqu'à présent. Néanmoins, cet exemple montre que l'affaiblissement du français comme langue officielle n'est pas une fatalité et qu'il est possible de s'y opposer.
Mme Marie-France de Rose. - Même si j'approuve l'idée d'échanges d'étudiants entre les pays francophones, il conviendrait de trouver une autre terminologie qu'ERASMUS, car ce programme européen est fondé sur la rencontre d'étudiants qui ne parlent pas la même langue.
Mme Corinne Bouchoux. - J'ai apprécié le ton de ce rapport très ambitieux mais dépourvu d'arrogance. Je souhaiterais apporter une note positive sur notre jeunesse dont on a décrié la pauvreté de langage, mais qui dispose de bien d'autres compétences.
M. Christian Manable. - Je souhaiterais également relativiser les propos de notre collègue Jean-Pierre Leleux sur le fossé qui séparerait notre jeunesse actuelle et celle du début du siècle dans sa maîtrise du français. Cette idéalisation du passé véhicule une vision morale de l'histoire qui ne correspond pas à la réalité. Le passé n'était pas un âge d'or, que ce soit en ce qui concerne les conditions sanitaires ou encore les taux de violence. Par ailleurs, la langue française est une langue vivante, qui s'enrichit avec le temps. Pourquoi faudrait-il donc parler au 21e siècle la langue du 17e siècle ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je souhaiterais avoir une précision à propos de la proposition sur le principe d'une traduction systématique. Avez-vous abordé la question des outils numériques permettant une traduction automatique des textes ?
M. Louis Duvernois, co-rapporteur. - Une ligne directrice sous-tend vos remarques et vos questions : notre langue connaît des difficultés pour s'imposer car elle est en concurrence avec d'autres langues dans un monde en pleine évolution. Pour revenir sur le débat sur l'appauvrissement du français, il est vrai que le français est une langue vivante et que notre objectif n'est pas d'imposer la langue de Molière. Pour autant, une langue permet de véhiculer des valeurs, et celles-ci seront d'autant mieux défendues que la langue sera précise et riche. Au cours de notre mission, nous avons abordé un débat particulièrement intéressant : est-ce la langue ou la culture qui porte des valeurs universelles ? Ce sujet mérite réflexion.
Sinon, j'abonde dans le sens de notre collègue Françoise Cartron. Je suis président du groupe sénatorial France-Corne de l'Afrique. Seul Djibouti a pour langue officielle le français. Aussi, toutes nos conversations se font en anglais. Pourtant, je reconnais qu'il serait légitime que nous parlions français.
Notre collègue René Danesi a observé que l'avenir de la francophonie dépendrait de l'engagement des outre-mer et de l'Afrique dans ce combat. Beaucoup de rapports ont été rédigés sur ce sujet. Nous avons néanmoins développé une démarche novatrice en impliquant les sénateurs des outre-mer dans notre réflexion, à travers l'envoi d'un questionnaire et l'organisation d'une audition commune. Nous aurions tout intérêt à associer davantage les outre-mer dans notre stratégie de défense de la francophonie compte tenu de leur position géographique. Je renvoie, à cet égard, aux remarques de notre collègue Didier Robert sur le rôle de La Réunion dans l'Océan Indien.
Mme Claudine Lepage, co-rapporteur. - Dans vos interventions, vous avez tous défendu l'usage de la langue française. C'est également notre souci et c'est la raison pour laquelle nous proposons de sensibiliser les élites françaises ainsi que les hauts fonctionnaires en poste dans des organisations internationales à pratiquer notre langue. Je partage l'opinion d'Umberto Ecco lorsqu'il a dit : « La langue de l'Europe, c'est la traduction ».
En réponse à la question de notre présidente, je souhaite préciser que notre proposition concernant la traduction systématique vise la traduction des textes examinés dans les instances internationales.
Nous ne nous sommes pas interrogés sur la possibilité de promouvoir la francophonie à travers la défense des droits des femmes. En revanche, nous avons insisté sur le fait que le combat pour la francophonie passait par un soutien fort au secteur associatif francophone.
La France est le premier contributeur à l'Organisation internationale de la francophonie et il existe actuellement une réflexion sur le fléchage de nos contributions à cet organisme. Nous n'y sommes pas favorables dans la mesure où cela remettrait en cause l'autonomie de cette institution internationale. Néanmoins, nous prônons un contrôle accru sur l'emploi des financements à sa disposition pour s'assurer de leur bonne utilisation.
Quant au rôle joué par le Conseil de l'Europe dans la défense du français, nous l'avons souligné dans notre rapport.
Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de renforcer le rôle des outre-mer en tant que représentant des valeurs et des intérêts de la France dans leur zone géographique. Je rappelle que dans des pays comme Le Vanuatu ou l'Australie, les échanges scolaires se font avec la Nouvelle-Calédonie et non avec la métropole. De même, La Réunion constitue le partenaire naturel des pays de l'Océan Indien et de l'Afrique du Sud.
M. Louis Duvernois, co-rapporteur. - Les termes « lutte » et « combat » reviennent souvent pour caractériser la politique de la France en faveur de la francophonie. Toutefois, le combat n'exclut pas l'ouverture. Par ailleurs, je pense que notre collègue Jean-Pierre Leleux souhaitait souligner que l'apprentissage et la maîtrise de la langue sont également un combat qu'il faut porter. Il y a une véritable dégradation de la qualité du français qui est enseigné dans les établissements et nous ne pouvons que constater que les élèves ne maîtriseront pas à la fin de leur scolarité la langue française comme ils devraient le faire pour pouvoir comprendre les valeurs qu'elle porte et en assurer la promotion. N'oublions pas que la francophonie, c'est d'abord la fierté de parler une langue. Si nous ne partageons pas cette fierté, comment défendrons-nous notre langue auprès des francophones ? Faudra-t-il en laisser le soin à nos amis québécois ?
Je comprends les remarques de notre collègue Marie-France de Rose sur la confusion qui pourrait résulter de l'utilisation du terme ERASMUS pour le programme d'échanges entre pays francophones que nous proposons. La référence à ERASMUS permet de rendre cette initiative compréhensible au grand public et insiste sur l'intérêt d'un mélange des cultures.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Questions diverses
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Lors de sa dernière réunion, le bureau de notre commission a décidé du principe de la création d'une mission d'information, interne à notre commission, relative à l'avenir des médias.
Qu'il s'agisse de la presse imprimée ou de l'audiovisuel, les médias connaissent, depuis quelques années, des bouleversements profonds : transformation et fragilisation des modèles économiques, effets de concentration, nouveaux supports et modes de diffusion, nouveaux entrants dans la chaîne de valeur, émergence des réseaux sociaux et de nouveaux modes de communication ...
Les mutations économiques et technologiques qui affectent le secteur invitent à une réflexion sur l'avenir de l'information et, en son coeur, de ses métiers et de ses missions.
Les récents débats qui ont ponctuellement mobilisé le législateur sur les questions de déontologie et d'indépendance des médias, sur la liberté d'expression au regard des grands principes de la loi fondatrice de 1881 montrent, en réalité, qu'il y a urgence à approfondir le sujet pour assurer l'avenir d'un secteur d'activité indispensable au fonctionnement de la démocratie.
J'ai souhaité assurer moi-même la présidence de cette mission ; nos rapporteurs pour l'audiovisuel - Jean-Pierre Leleux - et la presse - Patrick Abate - pourraient en être les co-rapporteurs.
Compte tenu de l'importance de ce sujet et par équité, il me semble indispensable que tous les groupes puissent y participer.
J'invite donc les groupes qui le souhaitent à me communiquer le nom de leur représentant au sein de cette mission.
Sur le plan pratique, je souhaiterais pouvoir engager nos travaux mi-mars et les poursuivre pendant la période de suspension des séances plénières, sans doute les mardis après-midi et mercredis matin.
Mme Marie-Christine Blandin. - Madame la présidente, le mardi 25 novembre, vous aviez organisé une rencontre avec Mme Jacqueline Eidelman, conservatrice générale du patrimoine en charge de la mission « Musées du XXIe siècle » au ministère de la culture et de la communication. Elle nous avait indiqué que le rapport de la mission serait disponible fin janvier. Qu'en est-il précisément ?
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'ai évoqué ce point très récemment avec Mme Marie-Christine Labourdette, directrice chargée des musées de France. Elle m'a confirmé que le rapport n'avait pas encore été rendu. Je ne manquerai pas de vous le communiquer le moment venu.
La séance est close à 11 h 30.