- Mardi 17 janvier 2017
- Mercredi 18 janvier 2017
- Projet de loi de ratification de trois ordonnances relatives à la collectivité de Corse - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays - Examen du rapport
- « Adapter l'impôt sur les sociétés à une économie ouverte » - Audition de M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO)
Mardi 17 janvier 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique - Examen des amendements de séance déposés sur les articles délégués au fond
La réunion est ouverte à 9h30.
La commission procède à l'examen des amendements de séance déposés sur les articles délégués au fond du texte n° 288 (2016-2017), adopté par la commission des lois, sur le projet de loi n° 19 (2016-2017) de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.
Article additionnel après l'article 16 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. ARNELL |
173 |
Extension expresse du livret A et du livret de développement durable à Saint-Martin |
Avis du Gouvernement |
M. Michel Canevet, rapporteur pour avis. - Je propose un avis défavorable sur l'amendement n° 223 du Gouvernement. En effet, le délai proposé pour l'habilitation, qui est de neuf mois, me semble incertain en raison du changement prochain de Gouvernement.
M. Bernard Lalande. - L'immigration demeure un problème à Mayotte. Il y a une revendication de propriétés sur certains terrains de la part de personnes issues des Comores, compte tenu notamment de la dispersion des familles. L'enjeu est que toutes les familles ne deviennent pas propriétaires sur le territoire français.
Mme Michèle André, présidente. - L'enjeu n'est pas uniquement celui de l'immigration, mais aussi celui de l'absence de cadastre, qui est un problème particulièrement complexe. Il est nécessaire d'avancer sur ce sujet et il serait souhaitable d'entendre le Gouvernement.
M. Claude Raynal. - Je considère que l'argument avancé par le rapporteur concernant la période ne tient pas, en raison du principe de continuité de l'État.
Mme Michèle André, présidente. - Je tiens à insister sur l'enjeu humain et la difficulté que peuvent avoir les gens à vivre sereinement dans cette situation. Il faudrait s'en remettre à la sagesse du Sénat.
La commission décide de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 223.
Article 36 bis |
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Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Mme ASSASSI |
117 |
Suppression |
Défavorable |
M. CANEVET |
90 |
Amendement rédactionnel |
Favorable |
Article 39 bis |
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Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Mme ASSASSI |
126 |
Suppression |
Défavorable |
M. CANEVET |
91 |
Amendement rédactionnel |
Favorable |
Article 41 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Mme ASSASSI |
118 |
Suppression de l'extension de l'avantage fiscal associé au FIP-OM à l'ensemble des contribuables français |
Défavorable |
Article 49 |
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Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. PATIENT |
25 |
Demande rapport sur la création d'une taxe sur les services en Guyane |
Défavorable |
M. Georges Patient. - L'Insee ne veut pas envoyer d'agents dans certaines zones aurifères. La population de ces communes en est sous-évaluée, ce qui a des conséquences négatives sur leurs dotations.
La commission décide de s'en remettre à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 189.
M. Claude Raynal. - Je rappelle que l'amendement n° 54 de Georges Patient a été voté par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2016.
M. Michel Canevet, rapporteur pour avis. - La commission des finances avait alors émis un avis défavorable.
M. Georges Patient. - L'amendement n° 57 concerne, comme l'amendement n° 54, l'octroi de mer. Cependant, l'amendement n° 57 comprend la Guyane et Mayotte, et pas seulement la Guyane.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 54 et décide de s'en remettre à l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 57.
La réunion est close à 9h50.
Mercredi 18 janvier 2017
- Présidence de Mme Michèle André, présidente -Projet de loi de ratification de trois ordonnances relatives à la collectivité de Corse - Examen du rapport pour avis
La réunion est ouverte à 9h30.
La commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Charles Guené sur le projet de loi n° 264 (2016-2017) ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.
M. Charles Guené, rapporteur. - L'article 30 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), promulguée en août 2015, prévoit la création, au 1er janvier 2018, d'une nouvelle collectivité à statut particulier - la collectivité de Corse - qui se substitue à la collectivité territoriale de Corse et aux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse.
Cet article, adopté par le Sénat, autorise le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la mise en place de cette nouvelle collectivité. Trois ordonnances ont été prises sur cette base, l'une est financière, la deuxième concerne les institutions et la dernière est une ordonnance électorale. Le projet de loi de ratification de ces ordonnances a été envoyé à la commission des lois, qui nous a délégué au fond l'article 1er ratifiant l'ordonnance relative aux règles budgétaires, financières, fiscales et comptables, que je vais maintenant vous présenter.
Le principe retenu par la loi NOTRe est celui d'une création de la collectivité de Corse dans une parfaite neutralité financière et fiscale.
Les articles 1er à 7 et 9 à 11 procèdent à des adaptations quasiment rédactionnelles rendues nécessaires par la mise en place de la collectivité unique dans plusieurs textes ou codes. L'article 8 adapte les règles budgétaires et comptables applicables à la collectivité de Corse. Sur cet article, je vous propose d'adopter un amendement corrigeant une erreur de référence.
J'en viens maintenant aux mesures transitoires. Les articles 12 à 16 reprennent des dispositions d'harmonisation en matière fiscale, traditionnelles en cas de fusions de collectivité. L'article 17 précise les modalités d'adoption des délibérations fiscales en 2018, l'article 18 apporte des précisions en matière de fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et l'article 19 propose des dispositions transitoires en matière budgétaire et comptable.
Cette ordonnance n'épuise pas pour autant les questions financières résultant de la création de la collectivité de Corse.
Je rappelle tout d'abord qu'elle s'est accompagnée de plusieurs mesures financières favorables à cette collectivité dans la loi de finances pour 2017, que j'avais eu l'occasion de vous présenter avec notre collègue Claude Raynal lors de l'examen de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
Ainsi, la contribution au redressement des finances publiques de la Corse a été diminuée de 3,2 millions d'euros, les possibilités d'emploi de la dotation de compensation territoriale ont été élargies et sa dotation générale de décentralisation a été remplacée par une part du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont on connait le dynamisme.
Par ailleurs, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, nous aurons sans doute à nous pencher sur les conséquences de la création de cette collectivité sur les différents fonds de péréquation et sur la répartition des dotations de l'État.
Les deux départements corses sont aujourd'hui dans des situations différentes. Sur les cinq principaux indicateurs financiers, la Haute-Corse se situe en dessous de la moyenne nationale, tandis que pour trois de ces mêmes indicateurs la Corse-du-Sud se situe au-dessus de la moyenne nationale. Une prise en compte de la situation agrégée des données financières de ces départements conduirait à ce que la collectivité de Corse se situe au-dessus de la moyenne ou juste en dessous sur certains indicateurs. Dès lors cette fusion pourrait avoir des conséquences financières sur l'ensemble des collectivités.
Le champ de l'habilitation aurait permis de traiter ce sujet, mais il est préférable d'aborder les questions de péréquation de façon globale, dès lors qu'elles ont des conséquences sur l'ensemble des départements. La loi de finances permettra d'avoir ce débat d'ensemble. L'assemblée de Corse a cependant déjà formé le voeu que les règles qui seront fixées ne conduisent « ni à minorer les ressources » de la Corse, « ni à mettre en place des mécanismes de calcul qui s'avéreraient défavorables dans la durée ».
Il est légitime que la collectivité de Corse souhaite bénéficier d'une garantie de non baisse des montants perçus au titre des concours financiers de l'État et des fonds de péréquation. Néanmoins, le choix de mettre en place une collectivité unique implique une solidarité territoriale et, dès lors, il serait difficilement justifiable de continuer à calculer les dotations et les attributions ou prélèvements sans prendre en compte les données agrégées ou en mettant en place des mécanismes de garantie. C'est la logique même de la péréquation et de la mise en place d'une collectivité unique qui serait remise en cause. En tout état de cause, calculer ces montants sur la base des caractéristiques des anciens départements ne pourrait être un choix pérenne, ne serait-ce que dans la mesure où les données nécessaires ne continueront pas forcément à être produites.
En définitive, je vous invite à proposer à la commission des lois d'adopter cet article ainsi modifié.
M. Philippe Dallier. - Je connais la situation particulière de la Corse mais il est difficile de gagner sur tous les tableaux.
On ne peut pas garantir à leur niveau actuel les dotations et versements au titre de la péréquation. Si les conséquences sur les ressources de la Corse devaient être importantes, on pourrait imaginer une sortie en sifflet. Mais la Corse est pleinement intégrée à la République et ses lois doivent s'y appliquer, quelles que soient les conséquences financières.
M. Philippe Dominati. - Ces projets d'ordonnances provoquent un certain nombre de remous, au sein même de l'assemblée de Corse et des collectivités territoriales concernées. En réalité, tout le monde n'avance pas au même rythme : pourquoi devrions-nous étudier des dispositions financières spécifiques aux collectivités territoriales si l'État, de son côté, n'est pas prêt ? Y aura-t-il un seul préfet et un seul département en tant que circonscription administrative ? Si ce n'est pas le cas, si l'État ne s'organise pas différemment en Corse, il me semble que l'adaptation des dispositions financières est prématurée. Je ne vois pas pourquoi nous devrions nous occuper du détail alors que l'essentiel n'est pas, pour l'instant, correctement défini.
M. Marc Laménie. - Les dispositions de l'ordonnance permettront-elles de réaliser des économies ?
Mme Marie-France Beaufils. - Le groupe communiste républicain et citoyen (CRC) était opposé à la création de la collectivité unique de Corse et n'a pas voté les dispositions de l'article 30 de la loi NOTRe. Par cohérence, nous voterons également contre le projet de loi prévoyant la ratification de ces ordonnances.
Par ailleurs, je pense qu'il serait utile que notre rapporteur s'intéresse aux conséquences financières de la création de la collectivité de Corse.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je rejoins Philippe Dominati sur l'absence d'urgence à adopter ces dispositions financières, d'autant plus que les mesures essentielles seront examinées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018.
Dès lors que le partie institutionnelle n'est pas claire, il n'y pas d'urgence à ratifier l'ordonnance que nous examinons.
M. Charles Guené, rapporteur. - La loi NOTRe crée la collectivité de Corse au 1er janvier 2018. Il est important qu'avant cette date les règles du jeu et les mesures transitoires soient définitivement fixées, pour permettre aux élus corses de s'organiser. Il est donc nécessaire, à mon sens, de ratifier dès aujourd'hui cette ordonnance.
Je rappelle que celle-ci est parfaitement neutre financièrement et fiscalement. Les conséquences que je vous ai mentionnées pour les autres collectivités viennent de la fusion elle-même, prévue par la loi NOTRe, et nous aurons l'occasion de les traiter lorsque nous examinerons le projet de loi de finances pour 2018. Je vous ai fait part de la délibération de l'Assemblée de Corse, mais uniquement afin de vous présenter les éléments du débat que nous aurons à l'automne.
S'agissant de l'organisation administrative de l'État sur le territoire corse, elle n'est pas encore fixée et ne relève pas des ordonnances ratifiées par le présent projet de loi.
Enfin, la question des économies n'a pas été au centre de la mise en place de la collectivité unique, qui constitue plutôt un projet politique. L'expérience nous enseigne que les fusions peuvent permettre des économies, mais qu'à court terme elles peuvent être source de dépenses supplémentaires.
EXAMEN DE L'ARTICLE PREMIER
La commission adopte l'amendement 1 à l'article 1er.
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article premier ainsi modifié.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays - Examen du rapport
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Éric Doligé sur le projet de loi n° 272 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Notre commission est saisie du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays, signé à Paris le 27 janvier 2016 sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et approuvé par l'Assemblée nationale le 22 décembre 2016.
De façon préalable, compte tenu des nombreux mécanismes de déclaration pays par pays proposés, il convient de préciser le sujet dont nous traitons ce matin. Il s'agit des déclarations pays par pays auxquelles sont soumises les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 750 millions d'euros et qui sont transmises à l'administration fiscale. Ce dispositif a été introduit en France par anticipation par la loi de finances pour 2016. L'objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d'entreprises multinationales et de révéler d'éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d'une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.
Il diffère du mécanisme de déclaration publique pays par pays, pour lequel la Commission européenne a présenté une proposition le 12 avril 2016, que l'article 137 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (« Sapin 2 ») prévoyait d'introduire en droit national, selon des caractéristiques distinctes. Dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, en ce qu'elles portaient une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre. À la différence de la déclaration transmise à l'administration fiscale, la déclaration publique participe du mouvement d'extension de la transparence, afin de permettre aux acteurs de la société civile d'évaluer la stratégie fiscale des grands groupes d'entreprises internationales.
La déclaration pays par pays transmise à l'administration fiscale s'inscrit dans le cadre de l'action 13 du projet Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l'OCDE portant sur la documentation des prix de transfert. Afin de réduire les contraintes déclaratives pesant sur les entreprises, les États parties à la négociation ont convenu d'une déclaration unique déposée par un groupe d'entreprises auprès de l'administration fiscale du pays de siège, cette déclaration faisant ensuite l'objet d'un échange automatique entre autorités compétentes. Afin de permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités de groupes d'entreprises ayant leur siège à l'étranger, un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme.
Tel est précisément l'objet de l'accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016. À l'instar de l'accord multilatéral concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014, il a été conclu sur le fondement de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988. Les principes qu'elle garantit en matière de protection des données et de confidentialité lui sont donc pleinement applicables. Il réunit aujourd'hui la signature de 49 États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des cinq cents plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n'ont pas signé cet accord multilatéral.
Cet accord organise les modalités de l'échange automatique des déclarations pays par pays, sous condition de réciprocité, sous l'égide du secrétariat général de l'OCDE. Il précise également les conditions d'utilisation des données contenues dans la déclaration : en particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.
Par ailleurs, l'accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en oeuvre, comme la non transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une possibilité de suspension temporaire ou définitive de l'échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l'égard d'un autre État partie, soit à l'égard de tous.
Au-delà de ces précisions, j'approuve la conclusion rapide d'un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l'exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du deuxième semestre 2018. Plus largement, concernant la portée du mécanisme et du projet BEPS, je tiens à formuler trois observations.
Premièrement, il ne constitue qu'un des trois accords internationaux pouvant prévoir l'échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d'échange de renseignements fiscaux.
Deuxièmement, un enjeu particulier réside dans la conclusion rapide d'accords bilatéraux avec les États qui n'ont pas signé le présent accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d'entreprises internationales. Alors que le consensus né des négociations de BEPS, cristallisé dans les recommandations des rapports finaux d'octobre 2015, doit être transposé dans le droit, il convient que tous les États s'engagent. Je pense particulièrement aux États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016. Selon les informations qui m'ont été transmises, les États-Unis ont proposé à la France d'engager les négociations préalables à la conclusion d'un accord bilatéral d'échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l'administration américaine ne peut qu'accentuer les incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable à deux titres : pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur BEPS.
Troisièmement, le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à la mise en oeuvre rapide, un premier retour d'expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait entre pays, notamment entre les États hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les entreprises y sont assujetties, pourrait à nouveau se former. Surtout, la volonté des États-Unis de préférer la conclusion d'accords bilatéraux négociés au cas par cas à un accord multilatéral souligne la nécessaire vigilance dont il faudra faire preuve dans la mise en oeuvre de l'échange automatique. Cet aspect est d'autant plus important que le multilatéralisme, s'il symbolise une volonté commune, conduit à inclure des États pour lesquels les barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doivent encore être éprouvées.
Sous le bénéfice des observations qui précèdent, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Un des problèmes de cet accord multilatéral est l'absence du principal pays, les États-Unis. Le changement d'administration américaine peut avoir deux conséquences. Une première, positive, serait un scénario à la Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), où l'initiative américaine a déclenché une intervention de l'OCDE et s'est finalement révélée bénéfique, en permettant la fin du secret bancaire, qui était totalement impensable quelques années plus tôt. Mais la conséquence peut aussi être négative, dans le cas où l'administration américaine proposerait aux grandes entreprises américaines des accords d'amnistie fiscale ou de réduction d'imposition pour rapatrier les bénéfices localisés à l'étranger, notamment dans les îles des Caraïbes.
Cet accord prévoie-t-il un standard technique pour l'échange des informations ? L'échange automatique des déclarations pays par pays porte sur une masse considérable de données, et je ne sais pas si toutes les administrations fiscales de tous les pays sont capables de les traiter. Il en va de l'exploitation des fichiers transmis.
M. Éric Bocquet. - Nous allons soutenir ce texte, de façon lucide et sans illusion. Il faut soutenir les initiatives en ce sens : c'est un petit pas en avant qu'il convient de souligner. Mais le contexte s'oppose de tous les côtés à ces dispositions. Les États-Unis, dont la position est connue, ont été cités. Les propos de Theresa May lors de son discours sur les modalités du « Brexit » vont dans le même sens. Aussi est-ce une bonne chose que le Sénat exprime cette position. Le Conseil économique, social et environnemental a aussi pris des positions dans le même sens sur ce sujet en décembre 2016. Par conséquent, nous approuvons ce texte, tout en sachant que la bataille sera rude et longue.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Concernant la standardisation des informations transmises, l'OCDE a fourni un modèle de déclaration en trois points que tous les États parties doivent reprendre. Il s'agit de donner des informations sur les filiales, sur le groupe et d'éventuels commentaires complémentaires permettant de lire ces renseignements. De plus, un travail de mise à niveau des applications informatiques est actuellement conduit par l'administration fiscale française afin d'intégrer les informations des déclarations pays par pays.
Les interrogations exprimées sur la position des États-Unis sont justifiées. De plus, bien que le Royaume-Uni soit signataire de l'accord, il est difficile de connaître les conséquences que le « Brexit » entraînera. Cependant, je pense qu'il faut suivre l'avancée proposée par cet accord et essayer d'aboutir le plus rapidement possible sur les enjeux soulevés par ailleurs.
La commission adopte le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays.
La réunion est close à 10 h 05.
« Adapter l'impôt sur les sociétés à une économie ouverte » - Audition de M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO)
La réunion est ouverte à 10 h 30.
La commission entend M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), sur le rapport « Adapter l'impôt sur les sociétés à une économie ouverte ».
Mme Michèle André, présidente. - Le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu public la semaine dernière son rapport intitulé « Adapter l'impôt sur les sociétés à une économie ouverte. »
Ce rapport analyse la situation de l'impôt sur les sociétés français, en soulignant certaines particularités au regard d'impôts équivalents dans les autres pays de l'OCDE : un taux nominal relativement élevé et stable depuis les années 1990 ; l'existence d'un taux réduit pour les PME ; le choix d'imputer sur l'impôt sur les sociétés certaines subventions sectorielles, en particulier le crédit d'impôt recherche (CIR) et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), ce qui explique son faible rendement net.
De façon générale, le Conseil des prélèvements obligatoires invite à réviser certains constats généralement formulés au sujet de l'impôt sur les sociétés, qu'il s'agisse des niveaux d'imposition respectifs des PME et des grandes entreprises ou des raisons du faible rendement de cet impôt. Il formule, sur ce fondement, des propositions pour améliorer le positionnement de l'impôt sur les sociétés dans les comparaisons internationales et assurer un environnement fiscal propice à la croissance et à la compétitivité des entreprises.
Notre commission des finances a eu l'occasion de travailler récemment sur ce sujet, à la fois dans le cadre de la loi de finances pour 2017, qui prévoit un abaissement progressif du taux de l'impôt sur les sociétés, et dans le cadre d'une résolution européenne concernant le projet européen d'assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés (ACCIS).
M. Didier Migaud, président du Conseil des prélèvements obligatoires. - C'est avec grand plaisir que je me trouve, à nouveau, devant votre commission, en ma qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), pour vous présenter nos travaux sur l'impôt sur les sociétés (IS), qu'il n'avait pas encore examiné en tant que tel, à la différence des autres grands impôts : TVA en décembre 2015, impôt sur le revenu (IR) et CSG en février 2015, fiscalité locale et entreprises en mai 2014.
Les travaux sur lesquels s'appuie ce rapport ont été réalisés par une équipe de rapporteurs dont les contributions, sous forme de six rapports particuliers, n'engagent pas le CPO mais ont été mises en ligne lors de la publication du rapport.
L'impôt sur les sociétés existe, dans sa version actuelle, depuis 1948. Il a donc été institué, au sortir de la deuxième guerre mondiale, dans une économie beaucoup moins ouverte qu'elle ne l'est aujourd'hui, avant la mise en oeuvre d'un marché européen intégré, avant la constitution de la zone euro et bien avant les efforts d'harmonisation des assiettes déployés par la Commission européenne.
L'environnement économique d'aujourd'hui est mouvant, avec la forte mobilité des capitaux, des entreprises et des talents, et la quasi-disparition des droits de douane. Les stratégies, développées par certaines firmes multinationales, d'optimisation fiscale voire d'évasion fiscale, comme la concurrence fiscale dans laquelle des partenaires commerciaux de la France se sont engagés pour la localisation des activités, placent l'impôt sur les sociétés au coeur d'enjeux importants.
La mise en oeuvre du Brexit pourrait inciter le Royaume-Uni à accentuer encore la baisse de son taux d'imposition des bénéfices pour atteindre 17 % en 2020 - c'est son objectif affiché. Une baisse des taux de l'impôt sur les sociétés a d'ailleurs été amorcée par étapes, en France, par la loi de finances pour 2017, pour atteindre 28 % en 2020 pour toutes les entreprises.
Deux grands constats peuvent être dressés : l'impôt sur les sociétés perd sa cohérence initiale, alors même que l'environnement économique et le cadre juridique supranational vont remettre en cause de nombreux dispositifs nationaux. Si des adaptations semblent inévitables, il s'agit de les transformer en opportunités.
Après avoir exposé les constats que dresse le rapport, je présenterai la stratégie proposée par le Conseil, avant de répondre à vos questions.
Premier constat, la cohérence initiale de l'impôt sur les sociétés est aujourd'hui mise à l'épreuve dans un contexte d'ouverture accrue de l'économie.
Tout d'abord, l'impôt sur les sociétés, dont le taux est élevé, a un rendement faible. Il est acquitté par une moitié d'entreprises assujetties - 51 %, soit 1,5 million d'entreprises - qui concentrent près des deux tiers de la valeur ajoutée produite en France. Et 27 % seulement s'en sont effectivement acquittées, les autres, soit 1,4 million d'entreprises, étant imposées à l'impôt sur le revenu.
En 2015, le montant brut de l'impôt sur les sociétés était de 59,7 milliards d'euros, tandis que le montant net des remboursements et dégrèvements, s'est élevé à 33,5 milliards d'euros. Parmi ces remboursements et dégrèvements, figurent le CIR, à hauteur de 5,3 milliards en 2015, et le CICE, pour 12,5 milliards en 2015, dont la moitié seulement est comptabilisée en remboursements et dégrèvements. Comme ces crédits d'impôt s'apparentent davantage à un mécanisme de financement de politiques publiques, ils ont été exclus du champ d'analyse du rapport.
L'impôt sur les sociétés est le premier impôt direct et le deuxième prélèvement obligatoire supporté par les entreprises, mais il ne représente que 15,4 % des prélèvements obligatoires pesant sur elles.
Certes, le rendement de l'impôt sur les sociétés est fortement affecté par son utilisation comme véhicule d'imputation du CIR et du CICE, mais la faiblesse de son rendement s'explique principalement par la faible profitabilité des entreprises. C'est d'ailleurs ce qui explique l'essentiel de la différence de rendement entre un point d'impôt sur les sociétés français et un point d'impôt sur les sociétés européen moyen.
Son taux d'imposition des bénéfices place la France dans une position singulière en Europe. Au milieu des années 1980, le taux normal français a été abaissé progressivement de 50 à 33,3 %. Ce taux, alors l'un des plus bas de la Communauté européenne, est demeuré inchangé alors que les taux d'imposition des autres États-membres de l'Union ont poursuivi leur diminution.
La France est, avec un taux nominal maximal de 38 %, parmi les États-membres de l'Union européenne, celui qui a le taux nominal maximal le plus élevé, avec Malte. Ce taux nominal maximal de 38 % prend en compte la contribution sociale sur les bénéfices de 3,3 % de l'impôt sur les sociétés et la contribution exceptionnelle, créée en 2011.
La France se distingue également par l'existence d'un taux réduit de 15 % en faveur des PME, applicable aux bénéfices jusqu'à 38 120 euros pour les entreprises dont le chiffre d'affaire est inférieur à 7,63 millions d'euros. Cette disposition représente un coût pour les finances publiques de 2,6 milliards.
Peu de pays disposent d'un taux réduit spécifique pour les PME. D'autres pays ont prévu une modulation du taux d'imposition en fonction du bénéficie imposable sans, pour autant, réserver ce dispositif aux PME.
Enfin, l'impôt sur les sociétés n'est plus cet impôt au taux élevé mais à l'assiette étroite habituellement présenté. Son assiette n'est plus aussi « mitée » qu'auparavant car, depuis 2011, de nombreuses dispositions l'ont élargie.
Ainsi, la déductibilité des charges financières a été fortement réduite, avec l'institution d'un plafonnement général à finalité budgétaire et de dispositifs de lutte contre l'optimisation fiscale. Depuis 2011, les mécanismes de report en avant et en arrière des déficits ne sont plus un avantage comparatif pour la France. Les conditions de l'exonération des plus-values de cession de titres de participation sont peu favorables : la quote-part pour frais et charges réintégrée au résultat fiscal est passée de 5 % à 12 %. Quant aux avantages du régime français d'intégration fiscale, ils ont été réduits en raison d'une décision du juge européen, prise au nom de la liberté d'établissement.
Enfin, le taux réduit de 15 % sur les revenus de la propriété intellectuelle est fragilisé par l'approche dite « nexus » développée par l'OCDE.
Ainsi, avec un taux élevé, une assiette d'imposition élargie et un rendement faible, l'impôt sur les sociétés est également devenu un impôt complexe, soumis à la concurrence fiscale que se livrent certains de nos partenaires et à des modifications juridiques incessantes.
En effet, un deuxième constat peut être dressé : l'environnement économique et l'évolution du cadre juridique supranational appellent une adaptation de notre impôt sur les sociétés.
Tout d'abord, du fait de la complexité croissante de l'assiette, le taux nominal d'imposition ne suffit pas à renseigner sur la pression fiscale réelle pour l'entreprise. Même s'il n'est pas utilisé par les entreprises pour leur choix d'implantation, le taux implicite d'imposition permet de comparer les dispositifs fiscaux des États.
Selon les données de comptabilité nationale, seules disponibles pour les comparaisons internationales, le taux implicite d'imposition français, d'une position moyenne, entre 2000 et 2003, s'est progressivement détaché jusqu'à être le plus élevé des pays européens, tous nos partenaires ayant procédé, depuis la crise financière, à une baisse prononcée.
En 2012, la France se trouvait à 28,1 %, contre 20,8 % au Royaume-Uni, 25,9 % en Italie, 20 % en Belgique, 17,8 % en Espagne, 6,8 % aux Pays-Bas et 6 % en Irlande.
Or, les taux d'imposition exercent un effet mesurable sur l'attractivité économique d'un pays. Le taux d'imposition n'est pas sans conséquence sur la localisation d'activités. Sans doute, les pays bénéficiant d'un potentiel de marché important pour les entreprises peuvent-ils avoir, en moyenne, des taux d'impôt sur le bénéfice des sociétés plus élevés que les pays qui ont un potentiel de marché faible. Cela correspond au positionnement de la France au sein de l'Union européenne.
Mais l'intégration économique a pu pousser les grands pays à baisser, à leur tour, leur taux d'imposition des bénéfices et à réduire les écarts de taux constatés. C'est le cas de l'Allemagne qui, par la loi du 23 octobre 2000, a remplacé le système du double taux, qui prévalait jusqu'à cette date - 30 % sur les bénéfices distribués et 40 % pour les bénéfices non distribués -, par un nouveau taux unique de 25 %, et a également allégé et simplifié le mode d'imposition des dividendes et l'imposition des plus-values de cession des titres de participation, totalement exonérées dans le cadre d'une société de capitaux.
En situation de concurrence fiscale, les pays à fort potentiel de marché comme la France auraient intérêt, en termes d'attractivité, à fixer un taux d'imposition dans la moyenne, sans toutefois s'engager dans une logique de concurrence fiscale qui pourrait les conduire à s'aligner sur les taux les plus bas. Le taux moyen de l'impôt sur les sociétés des pays de l'Union européenne partenaires de la France s'établit autour de 25 %.
L'approfondissement de la construction européenne et de la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales sont à l'origine d'importantes évolutions, voire de remises en cause des dispositifs juridiques nationaux. Et cela pèsera de plus en plus, à l'avenir.
La directive européenne ATA (Anti Tax-Avoidance) de lutte contre l'érosion des bases fiscales, adoptée en juillet 2016, va devoir être transposée en droit national d'ici à la fin 2018. Même si le système fiscal français comporte, le plus souvent déjà, des règles anti-abus dans les domaines couverts par la directive, plusieurs dispositifs vont devoir être modifiés. Cela devrait être plus particulièrement le cas pour les règles de déductibilité des intérêts. De même, une clause anti-abus générale devra être adoptée par tous les États-membres, différente de l'abus de droit français.
La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne remet en cause de nombreux dispositifs fiscaux réservés aux sociétés résidentes, au nom de la liberté d'établissement. On l'a vu pour le régime français d'intégration fiscale, à la suite de plusieurs arrêts adoptés depuis 2008. Ce sont les arrêts Papillon en 2008, X Holding BV en 2010 et Stéria en 2015.
Enfin, même si le projet ACIS / ACCIS d'harmonisation européenne de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, n'aboutira pas rapidement, son impact doit être pris en compte dès à présent. La convergence des règles de calcul nationales vers une assiette commune de l'impôt sur les sociétés (ACIS), puis l'examen d'une éventuelle consolidation de l'assiette et de sa répartition entre les États (ACCIS) pourraient avoir un impact différent pour la France : la convergence des règles d'assiette accentuerait une position défavorable de la France en matière de taux, mais la consolidation et la répartition de l'assiette pourraient lui restituer de la matière imposable selon la clef de répartition.
La France soutient cette initiative dans son principe, même si les modalités techniques de mise en oeuvre devront faire l'objet de travaux d'approfondissement.
Ainsi, la lutte contre l'optimisation fiscale et les efforts d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés vont rendre les systèmes nationaux plus comparables et risquent de renforcer la concurrence par les taux d'imposition.
J'en viens aux axes qui pourraient constituer une stratégie gagnante à court et moyen terme : la poursuite de la lutte contre l'évasion des bases fiscales bien sûr, mais aussi la sécurité juridique et la convergence des taux.
Les orientations que le CPO propose pour l'adaptation de l'impôt sur les sociétés se veulent pragmatiques : elles s'articulent en quatre ensembles de mesures - relatives au taux, à l'assiette, à la lutte contre l'optimisation fiscale et au renforcement de la sécurité juridique - dont la mise en oeuvre pourrait être effectuée de manière progressive et anticipée, et non pas défensive.
À court terme tout d'abord, la convergence du taux d'imposition en France vers le taux moyen européen paraît souhaitable. La diminution du taux d'imposition, entamée par la loi de finances pour 2017, avec la mise en place progressive d'un taux à 28 % pour toutes les entreprises à l'horizon de 2020, pourrait être poursuivie. Afin d'éviter de pâtir excessivement des effets de la concurrence fiscale sur son attractivité et la compétitivité de ses entreprises, et sans se lancer pour autant dans une course au moins-disant qui ne serait pas soutenable, la France pourrait rechercher une convergence accrue de son taux vers la moyenne européenne des grandes économies, autour de 25 %.
Je le redis : il ne s'agit pas, bien sûr, de poursuivre une logique de concurrence fiscale qui conduirait à s'aligner sur les taux les plus bas, mais de trouver un bon point d'équilibre et de converger vers la moyenne européenne actuelle.
La diminution du taux d'imposition pourrait viser l'ensemble des entreprises même si, en 2014, 670 000 PME ont bénéficié du taux réduit de 15 %. Cette proposition a fait l'objet d'une analyse approfondie du Conseil, dont je souhaite vous rendre compte, tout d'abord par l'examen des taux implicites d'imposition en fonction de la taille des entreprises.
Le taux implicite d'imposition, qui rapporte le montant d'impôt à la base économique issue des déclarations fiscales, permet d'apprécier la charge fiscale réelle. Dans une note de juin 2011, la direction générale du Trésor avait calculé des taux implicites pour 2007 supérieurs pour les PME à ceux des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des grandes entreprises.
Quel que soit l'indicateur retenu - taux d'imposition implicite des entreprises qui paient un impôt ou bien taux d'imposition implicite des entreprises dont le résultat d'exploitation est positif -, ces données ont, depuis, beaucoup évolué : le taux implicite d'imposition a baissé depuis 2011 pour les microentreprises et les PME tandis qu'il a augmenté pour les ETI et les grandes entreprises.
J'ajoute que la pertinence d'une différence d'imposition fondée sur la taille des entreprises apparaît discutable alors même qu'à la différence de l'imposition des ménages, un objectif de redistribution entre ces acteurs économiques ne va pas de soi. Sans compter que les modalités de financement des PME se sont fortement améliorées, la situation d'aujourd'hui se caractérisant par une abondance de capitaux disponibles.
De plus, le postulat d'une moindre rentabilité des petites entreprises n'est pas fondé. D'une part, le taux de marge, c'est-à-dire le rapport entre l'excédent brut d'exploitation et la valeur ajoutée, des petites entreprises employant des salariés, hors microentreprises, est comparable, en 2012 et 2013, à celui des entreprises employant plus de 250 salariés, voire supérieur pour les entreprises employant entre un et neuf salariés ; d'autre part, la rentabilité financière nette des entreprises non financières est plus élevée pour les PME que pour les ETI et les grandes entreprises, depuis 2007, contrairement aux idées reçues. Ce taux réduit présente, en outre, l'inconvénient de provoquer des effets de seuil.
Une baisse de 28 à 25 % du taux d'impôt sur les sociétés peut être en partie autofinancée par des évolutions de l'assiette et des modalités de calcul de l'impôt. Le reste à financer doit-il être gagé par la réduction ou la suppression de certaines des dépenses fiscales attachées à l'impôt ou par des diminutions de dépenses publiques, ou bien encore par des augmentations d'autres prélèvements ? Nous ne nous prononçons pas, car cela relève de l'arbitrage politique et de la décision souveraine du Parlement.
À plus long terme, la hausse de l'activité consécutive à un allègement de la charge fiscale peut en limiter le coût pour les finances publiques.
Deuxième axe de réforme possible : à court-moyen terme, la sécurité juridique devrait être renforcée. Plus que le taux et l'assiette d'imposition, la sécurité juridique des systèmes fiscaux nationaux est essentielle pour les investisseurs. Or, malgré le développement des rescrits fiscaux, qui donnent au système français un avantage comparatif, elle reste insuffisante du fait que la norme fiscale reste peu prévisible.
Il serait utile de renforcer la prévisibilité de l'environnement fiscal pour les entreprises, sans pour autant réduire les prérogatives du Parlement, en adoptant certaines pratiques en vigueur à l'étranger. Différentes techniques utilisées en Allemagne ou au Royaume-Uni pourraient être utilement adaptées au contexte français. C'est le cas, par exemple, des clauses dites « de grand-père » permettant de maintenir le régime fiscal existant pour les situations en cours, de manière définitive ou temporaire.
Troisième axe de réforme possible : la convergence européenne de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, une ambition de moyen-long terme qui devrait néanmoins être préparée dès à présent. Le soutien de la France au projet ACCIS ne doit pas être sans conditions. Débuter par la convergence des règles fiscales et renvoyer à un stade ultérieur - et hypothétique - la consolidation et la répartition de l'assiette pourraient lui être désavantageux, surtout si son taux d'imposition reste au niveau actuel. Ainsi, dans le cas où le passage de l'ACIS à l'ACCIS ne pourrait être atteint rapidement, la France gagnerait à conditionner l'avancée sur l'assiette commune à la mise en oeuvre d'un « tunnel de taux », similaire à celui qui existe pour la TVA.
Par ailleurs, plusieurs dispositifs français vont devoir être ajustés, comme la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt pour laquelle les propositions de directives européennes laissent aux États-membres déjà dotés de mesures de droit interne d'effet équivalent, une marge de manoeuvre dans les délais et aussi, pour partie, dans les modalités de transposition de ces règles.
C'est également le cas pour la déductibilité des dépenses de recherche et développement qui aurait vocation à se substituer au CIR, ainsi que l'a relevé votre commission. Car la surdéduction de ces dépenses prévue dans le projet de directive ACIS est moins favorable que le CIR.
La mise en oeuvre d'une assiette consolidée européenne de l'impôt sur les sociétés est bel et bien une perspective de moyen terme dont la France doit tenir compte dès aujourd'hui.
Quatrième et dernier axe de réforme proposée, la lutte contre l'optimisation fiscale agressive devrait être poursuivie, de manière permanente. Au-delà de l'imagination sans cesse renouvelée de certains contribuables pour échapper à l'impôt, les avancées récentes, qui font suite aux travaux de l'OCDE, laissent encore place à des améliorations renforçant les dispositifs existants. J'en citerai deux.
Tout d'abord, l'effort de définition des normes de référence en matière de prix de transfert peut être approfondi, à l'échelon international, en apportant des précisions aux lignes directrices de l'OCDE - notamment par l'insertion d'exemples concrets. À l'échelon national, l'administration pourrait publier les instructions fiscales qu'elle entend appliquer.
En second lieu, la poursuite de l'action contre les pratiques d'« États-tunnel » au sein de l'Union européenne semble nécessaire. Il serait, en particulier, très utile de négocier des conventions fiscales uniques pour l'ensemble de l'Union européenne avec les États tiers, afin de prévenir les comportements d'optimisation qui pourraient résulter des différences dans le réseau conventionnel des États-membres.
Avant de conclure, je voudrais souligner que les changements de l'environnement juridique et économique offrent des opportunités à saisir, pour autant qu'ils sont anticipés et intégrés dans un ensemble cohérent. Les équilibres seront subtils puisqu'il faudra parvenir à assurer la contribution effective des entreprises au financement des services publics dont elles bénéficient, notamment en combattant l'optimisation agressive ; à contribuer à l'attractivité et à la compétitivité de la France, par des règles d'assiette et de taux qui ne la placent pas en situation défavorable dans les comparaisons internationales et soutiennent la projection de ses entreprises à l'étranger ; à assurer, enfin, la sécurité et la stabilité de l'environnement juridique des contribuables.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous remercie d'autant plus d'avoir mené cet exercice utile sur un impôt qui fait débat, que les travaux du CPO nous ont déjà largement inspirés lors de nos discussions récentes sur le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Alors que Theresa May a annoncé une réduction drastique de l'impôt sur les sociétés au Royaume Uni, alors qu'avec l'élection d'un nouveau président aux États-Unis, l'idée de baisser l'impôt sur les sociétés des entreprises multinationales qui rapatrieraient leurs profits revient dans le débat, cet impôt est plus que jamais d'actualité.
Le taux de notre impôt sur les sociétés, de 38 %, est parmi les plus élevés et son rendement est faible : tel est le paradoxe français. À l'encontre des idées reçues, le CPO attribue cette faiblesse non pas tant au mitage imputable aux niches fiscales, grâce aux mesures adoptées, qu'à la faible profitabilité de nos entreprises. D'où la nécessité, à mon sens, de mener une analyse sur les autres impôts qui pèsent sur la production, sur le coût du travail et des charges sociales. Quelle est votre appréciation ?
Vous faites valoir, dans votre rapport, que le taux d'imposition implicite montre que les PME ne sont pas plus imposées que les grands groupes. Cependant, les grandes entreprises, qui sont implantées dans de nombreux pays, ont beaucoup plus de possibilités d'optimisation : elles peuvent jouer sur les prix de transfert et la localisation des profits. C'est là, à mon sens, la grande différence avec les PME. Vous jugez, néanmoins, que le taux réduit de 15 % en faveur des PME n'est pas la bonne solution, d'autant que des effets de seuil lui sont associés. Quels dispositifs seraient à vos yeux plus utiles ? Que pensez-vous, par exemple, du suramortissement ou amortissement supplémentaire, proposé à l'unanimité du Sénat, et repris dans la loi « Macron » ?
Je m'inquiète, enfin, de la déduction pour dépenses de recherche prévue dans le projet ACIS, qui pourrait remettre en cause l'avantage comparatif que nous apporte le CIR, auquel notre commission des finances est très attachée.
M. Didier Migaud. - Nous constatons, en effet, que la faible profitabilité des entreprises explique pour bonne part la faiblesse du rendement de l'impôt sur les sociétés. Et même si la situation s'est améliorée ces trois dernières années, cela ne se traduit pas encore dans le produit de cet impôt, au reste difficile à apprécier - on sait que le dernier acompte réserve parfois des surprises. J'ajoute que l'assiette de l'impôt, grâce aux dispositions votées par le Parlement, est de moins en moins mitée. L'idée que le taux élevé serait propre à compenser le mitage ne vaut plus. L'assiette de notre impôt sur les sociétés est plus en plus comparable à celle d'autres pays et les taux d'imposition implicite, peut-être grâce à certaines mesures contre l'optimisation pratiquée par les grands groupes, se sont sensiblement rapprochés, même s'il reste vrai que les grandes entreprises multinationales peuvent plus facilement jouer de certains dispositifs, comme les prix de transfert. C'est bien pourquoi nous plaidons en faveur d'une harmonisation européenne.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pensez-vous que le taux réduit de 15 % soit le meilleur moyen de faciliter la croissance des PME ?
M. Didier Migaud. - Non, nous ne le pensons pas. Au demeurant, l'Allemagne, que l'on cite souvent en exemple pour la réussite de ses PME, ne pratique pas le taux réduit : cela devrait nous porter à nous interroger. Et encore une fois, la profitabilité d'une entreprise n'est pas liée à sa taille. Le suramortissement, cependant, est une mesure temporaire, qui n'est pas sans revêtir certains effets d'aubaine. Le CPO juge plus pertinent de réduire le taux d'imposition.
M. Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Le sujet délicat du taux d'imposition implicite est entré dans le débat public depuis la note de la direction générale du Trésor, qui prend pour référence l'année 2007. Or, depuis, beaucoup de choses se sont passées. Notre rapport utilise la méthodologie inaugurée dans cette note, pour constater que les écarts se sont réduits, et fait appel à d'autres méthodes qui font apparaître, selon que l'on fait porter l'analyse sur toutes les entreprises ou sur les seules entreprises bénéficiaires, selon que l'on retient le taux d'exploitation bénéficiaire ou le résultat fiscal bénéficiaire, que les différences sont plus importantes à l'intérieur d'une catégorie d'entreprises qu'entre les catégories. On observe, globalement, une convergence, qui s'explique essentiellement par les mesures prises depuis 2011, lesquelles réduisent les avantages consentis aux grands groupes français présents à l'international. Et nous formulons une recommandation, en appelant à mettre au point une méthode incontestable de comparaison.
Des pays comme le Royaume-Uni ou l'Espagne, lorsqu'ils ont baissé leur taux d'impôt sur les sociétés, ont supprimé leur taux réduit au bénéfice des PME. Quant à l'Allemagne, elle n'a jamais institué de taux réduit mais, en revanche, beaucoup de ses PME ne sont pas assujetties à l'impôt sur les sociétés mais à l'impôt sur le revenu. Et elles ne paient pas la même chose selon que les bénéfices sont réinvestis ou distribués.
Sur le problème des prix de transfert, nous émettons une proposition qui consiste, sur le fondement de la méthodologie de l'OCDE, à réunir les éléments nécessaires à un contrôle effectif au sein d'un même groupe.
Sur le CIR, nous visons la première directive, ACIS, qui conduit à un mécanisme de surdéduction moins avantageux que le CIR. Le rapport remis par la Cour des comptes à la commission des finances de l'Assemblée nationale, en 2012, montre que ce mécanisme profite principalement aux grandes entreprises.
M. Claude Raynal. - Pour parer à la concurrence fiscale, la France, dites-vous, doit se rapprocher du taux moyen européen. Mais n'est-ce pas nous lancer dans une course poursuite sans fin ? Car tandis que nous prévoyons de ramener notre taux à 28 % en 2020, d'autres pays ne restent pas inactifs, et retiennent des pentes plus brutales encore. Vous précisez qu'il est nécessaire de définir un tunnel européen, mais s'il ne l'est pas avant que l'on s'engage vers la baisse de l'impôt sur les sociétés, je crains que l'on s'achemine vers une diminution permanente. Ce tunnel, au demeurant, ne pourrait-il pas concerner l'ensemble des impôts directs sur les sociétés, sachant que l'impôt sur les sociétés n'en représente que la moitié ?
Une remarque, pour finir. Votre rapport, finalisé en décembre 2016, s'appuie sur des chiffres qui remontent à 2013. Est-ce à dire que nous ne disposons pas de données plus récentes ?
M. Serge Dassault. - Le bénéfice des entreprises est un sujet que je connais bien. Un taux trop élevé de l'impôt sur les sociétés est indiscutablement antiéconomique : il réduit la capacité d'autofinancement des entreprises, et donc leurs activités futures. Et il réduit les dividendes versés aux actionnaires, au risque de détourner ceux-ci du financement d'entreprises dont ils estimeraient qu'elles ne rapportent pas assez. Tout cela pour engranger quelques milliards, alors que l'on ferait mieux d'assainir le budget en supprimant des dépenses de fonctionnement inutiles.
Quant au CIR, il est essentiel : il ne faut pas y toucher. Là encore, préservons-le en supprimant les dépenses de fonctionnement improductives. Car s'il est bon que l'État accorde un crédit d'impôt, il ne l'est pas qu'il le finance en recourant à l'emprunt, au prix d'une augmentation de la dette publique.
Pour assurer le développement économique, je plaide pour un impôt sur les sociétés à 17 %. Et je ne vois pas pourquoi les PME bénéficieraient d'un taux plus bas que celui qui s'applique aux grandes entreprises, qui assument de grands investissements. Mieux vaut, dans tous les cas, un impôt à grand débit et petit taux que le contraire.
M. Maurice Vincent. - Permettez-moi de vous féliciter pour la qualité de ce rapport, qui prépare le futur. Je comprends pourquoi, lorsque vous soulevez la question des taux implicites d'imposition, vous ne donnez pas d'indication pour l'Allemagne : l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés de nombreuses PME et sans doute le fédéralisme compliquent l'analyse. Mais ne pourrait-on disposer, cependant, d'un ordre de grandeur ?
Pour répondre à la concurrence fiscale, il faut mettre en regard non seulement le taux de l'impôt sur les sociétés mais la qualité des services publics, qui compte dans les choix de localisation des entreprises. La qualité de nos infrastructures, celle de notre enseignement supérieur, très ouvert, sont autant d'atouts. Autant on peut comprendre que la différence de taux soit importante avec des pays comme l'Estonie ou la Lettonie, où les conditions sont très différentes, autant, avec les Pays-Bas ou l'Irlande, dont l'attractivité est comparable à la nôtre, cette différence ne se justifie pas. Ces pays se livrent, de fait, à une concurrence fiscale déloyale. Où en sont les échanges européens pour aller vers la convergence ?
M. Marc Laménie. - S'agissant des petites entreprises, on évoque souvent la complexité administrative, le poids des impôts et des charges, qui ne facilitent pas les choses. Ne pourrait-on envisager l'impôt sur les sociétés sous cet angle, celui de l'équité ? Mon autre interrogation porte sur la fraude : en est-il question dans votre rapport ?
M. André Gattolin. - Le CPO nous livre des informations étonnantes, notamment sur le taux d'imposition effectif selon la taille des entreprises. Sachant, cependant, qu'une telle analyse en fonction de la taille s'applique à des secteurs très divers, et que certaines activités, notamment dans le secteur financier, peuvent être très profitables à des PME, ne serait-il pas pertinent de mener une analyse typologique plus détaillée ? Quid de l'écart-type ? Quid de la variabilité dans le temps, étant entendu que le résultat économique d'une grande entreprise est souvent beaucoup plus stable ?
Ma seconde question concerne la modulation du taux de l'impôt sur les sociétés. Vous jugez qu'il n'est pas pertinent de différencier les taux selon la taille de l'entreprise. Mais ne peut-on imaginer une progressivité en fonction du niveau de bénéfice ? C'est d'ailleurs déjà un peu le cas, puisque le taux réduit s'applique à la première tranche des bénéfices des PME. Cette progressivité ne mériterait-elle pas d'être renforcée, pour plus de justice entrepreneuriale ?
M. Didier Migaud. - Nous avons eu de longs échanges sur ce que doit être la bonne référence de taux, pour lutter contre la concurrence fiscale. Il est vrai que fonder sur une moyenne n'a pas toujours grand sens, sachant la différence qui peut exister entre deux pays comme l'Allemagne et Malte, par exemple. C'est pourquoi nous livrons plusieurs moyennes : Union européenne, zone euro, grandes économies de la zone... Le fait est qu'un grand pays, qui dispose d'autres atouts - ses infrastructures, sa recherche, sa productivité -, peut se permettre d'avoir un taux plus élevé. Le problème est de trouver le bon équilibre. Notre taux est manifestement, en France, au-dessus de celui d'autres États membres comparables. Nous avons donc intérêt à nous rapprocher de la moyenne, d'autant que nous ne pouvons plus arguer que si notre taux est élevé, notre assiette est à ce point mitée que les conséquences, pour les entreprises, en restent supportables. Car des mesures ont été prises pour remédier à ce mitage. Et les directives en négociation vont encore changer le contexte. Aussi est-il dans l'intérêt de la France de poursuivre sa réforme et d'aller au-delà de l'objectif de 28 % pour 2020, ce d'autant que de grands pays européens ont annoncé leur volonté de diminuer leur taux d'impôt sur les sociétés.
Le CPO ne s'est pas prononcé sur les différents scénarios de financement, Monsieur Dassault, car c'est bien à la représentation nationale qu'il appartient de décider des arbitrages.
S'agissant du projet ACIS / ACCIS d'harmonisation européenne, l'idée d'une entente entre pays sur une échelle de taux, donc d'un « tunnel », est intéressante. Parle-t-on seulement de l'impôt sur les sociétés, ou de tous les prélèvements sur les sociétés ? Le CPO s'est limité à l'étude de l'impôt sur les sociétés.
Nous faisons des propositions contre la fraude, c'est un sujet important. L'OCDE évalue le manque à gagner pour les finances publiques entre 3 et 6 milliards d'euros par an.
Nous n'avons pas examiné des alternatives comme un impôt sur les sociétés à taux progressif selon le bénéfice de l'entreprise. Un tel système a existé dans notre pays, il a été supprimé par le Gouvernement de Lionel Jospin, parce qu'il s'avérait trop complexe à mettre en oeuvre. Il existe en Allemagne, mais le système y est différent puisque les entreprises y sont beaucoup plus nombreuses que chez nous à relever de l'impôt sur le revenu, plutôt que de l'impôt sur les sociétés. Il existe aussi aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, au Portugal et en Hongrie.
Pourquoi n'utilisons-nous pas des chiffres plus récents que 2013 ? C'est, malheureusement, que nous ne disposons pas de chiffres consolidés plus récents.
M. David Krieff, rapporteur général du Conseil des prélèvements obligatoires. - Nous avons travaillé avec les données les plus récentes dont nous disposions, en les complétant autant que possible. Nous disposons des données budgétaires de l'année, mais les données fiscales datent nécessairement de deux ou trois ans, étant donné le régime déclaratif et les délais de consolidation, tandis que les données d'Eurostat peuvent prendre plus de temps encore. Le taux effectif consiste en une simulation de ce que paie l'entreprise dans le cas représentatif, il est établi par Eurostat ; il atteint 28,2 % en Allemagne, 14,4 % en Irlande, 32,6 % en Espagne, 39,4 % en France, 24 % en Italie et 22,4 % au Royaume-Uni.
Nous n'avons pas l'écart-type dans chaque catégorie en valeur, mais nous avons fait une analyse par décile, qui démontre un écart bien plus important entre le huitième et le deuxième décile des PME, que l'écart moyen entre les PME et les grandes entreprises. De même, un rapport particulier - qui n'engage pas le CPO - vérifie la dispersion par secteur d'activité. Ces analyses sont à prendre en compte.
M. Patrick Lefas. - Le tableau 2 des pages 12 et 13 présente le montant brut d'impôt sur les sociétés et la part des prélèvements dans le bilan et le compte de résultats. En France, les prélèvements portent à 92,4 % sur le compte de résultat et à 7,6 % sur une ligne du bilan. Le graphique 10 de la page 55 montre bien qu'en matière d'attractivité, la France suit depuis 1995 un chemin inverse que ses partenaires : on peut vouloir un tel choix, mais il faut savoir ce qu'il en est dans les autres pays et on ne peut se désintéresser de ce qui se passer autour de nous.
Sur la négociation des directives, ensuite, il faut bien voir que la première et la seconde sont étroitement liées, que l'harmonisation de l'assiette pose le problème du contenu de la seconde directive, où nous aurons des marges pour récupérer de la ressource fiscale. Il faut donc être très attentif au taux d'imposition apparent, qui détermine bien des décisions d'investissement.
M. Didier Migaud. - C'est tout l'intérêt de lier la négociation sur les deux directives.
Mme Michèle André, présidente. - Nous l'avons souligné plusieurs fois, en particulier dans une proposition de résolution européenne.
M. Vincent Delahaye. - Notre impôt sur les sociétés a un taux élevé mais un rendement faible, c'est le contraire de ce qu'il faudrait. Vous proposez des pistes utiles, d'harmonisation et de simplification. On parle de course à la baisse, mais dans notre pays, l'impôt sur les sociétés est plutôt stable, autour de 38 %. L'objectif de 28 % pour 2020 me paraît encore trop haut et trop lent, en tout cas insuffisant pour stimuler la profitabilité des entreprises françaises et préserver l'emploi dans notre pays. Il faut prévoir, ensuite, des compensations pour les PME, car l'harmonisation va se traduire pour elle par une augmentation d'imposition. Vous évoquez, enfin, un coût de 2,6 milliards d'euros pour les entreprises, quel serait le coût du passage d'un taux de 28 % à 25 % pour les PME ?
M. Patrick Lefas. - L'évaluation est de 1,4 milliard d'euros.
M. Francis Delattre. - La non déductibilité des intérêts d'emprunts, introduite en 2012, a fait des dégâts, mais elle rapporterait 4 milliards d'euros au budget de l'État : le confirmez-vous ? Vous dites que l'Allemagne n'a pas de taux réduit d'impôt sur les sociétés pour les PME, mais est-ce bien un argument, sachant la santé des PME allemandes, comparée aux nôtres ?
S'agissant du CIR, un sujet auquel j'ai consacré des travaux - ce qui m'a fait lire très attentivement celui que la Cour des comptes lui avait consacré -, on constate de véritables décalages dans le temps. Ce ne sont pas les grandes entreprises qui profitent le plus du CIR : quand Renault ou Total bénéficient chacune de 100 à 150 millions de CIR, le crédit se rapporte à des dépenses d'un milliard d'euros que ces entreprises consacrent à la recherche ; pour les PME, le taux est plus souvent de 30 %. Le CIR a fait que des centres de recherche internationaux sont venus s'installer en France ou bien y sont restés.
M. Francis Delattre. - Les Allemands sont très forts pour faire bouger les lignes, souvent à notre détriment, on l'a encore vu sur la régulation bancaire. Soyons donc vigilants, nous devons aider nos PME à devenir des ETI ; n'oublions pas que l'Allemagne compte quelque 5 000 entreprises exportatrices, quand nous n'en n'avons que 900.
M. Éric Bocquet. - Je me souviens qu'un rapport du CPO, de 2010 me semble-t-il, relevait les différences de taux effectif selon la taille des entreprises - celles du CAC 40 étaient imposées à 8 %, les ETI à 12-13 %, donc loin des 28 % dont nous parlons. Vous dites que les taux implicites se rapprochent, entre grandes et petites entreprises, mais vous ne parlez là que des entreprises qui inscrivent un bénéfice à leur bilan, alors que bien des entreprises s'ingénient à se rendre déficitaires et à échapper ainsi à l'impôt. S'interroger sur l'impôt sur les sociétés, ensuite, c'est parler des recettes budgétaires de l'État, donc des politiques publiques et des solidarités. En 2009, sur 100 milliards d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés en représentait 48 % ; la proportion est tombée aujourd'hui à 30 % et le contexte de concurrence exacerbée ne va que s'accentuer, si l'on en croit les déclarations de Donald Trump et de Theresa May ainsi que les annonces dans l'Union européenne. N'est-ce pas inquiétant et jusqu'où peut-on aller dans cette voie ?
M. Bernard Lalande. - Je suis surpris par le coût annoncé du taux réduit, sachant qu'il est plafonné à 38 000 euros et qu'il ne s'applique qu'aux PME dont les trois-quarts du capital sont détenus par une personne privée, donc qu'il concerne surtout des TPE, pour lesquelles le législateur a voulu un régime fiscal plus normé et permettant, plus que celui de l'IR, la transmission ou les échanges. En deçà de 38 000 euros, le passage de 15 % à 33 % représente quelques milliers d'euros, ces sommes sont généralement pas distribuées, mais réinvesties. On parle de baisser le taux de l'impôt sur les sociétés, mais la concurrence fiscale est aussi dans la distribution du résultat : dans les capacités de distribution dans les filiales, dans l'autofinancement. C'est pourquoi il faudrait aussi maîtriser la fiscalité de la distribution.
M. Michel Berson. - Le rapporteur général a rappelé l'attachement de notre commission au CIR, c'est le dispositif le plus favorable à la recherche, ce qui n'interdit pas d'en souhaiter des améliorations. Seriez-vous favorable à un taux de CIR variable selon la taille de l'entreprise, plus élevé pour les petites, plus faible pour les grandes ? Seriez-vous favorable, ensuite, à ce que l'assiette n'en soit plus le stock des dépenses, mais le flux de dépenses d'une année sur l'autre, ce qui récompenserait l'effort supplémentaire réalisé chaque année ?
M. Jean-Claude Boulard. - La réflexion ne doit pas séparer le taux et l'assiette, ce qui rend l'analyse nécessairement complexe. Pour encourager le développement des entreprises, ne faut-il pas, cependant, réfléchir aussi à l'imputabilité de l'investissement ? Tout ce qui encouragera l'investissement avant impôt ira dans le bon sens...
M. Michel Canevet. - Pensez-vous que le taux de l'impôt sur les sociétés doive rester autour de 25 % et qu'il doive être le même pour toutes les entreprises, ou bien qu'il devrait être modulé en fonction d'objectifs d'action publique, par exemple pour encourager l'actionnariat salarié ou pour inciter à telle ou telle localisation conformément à la politique d'aménagement du territoire ?
Mme Michèle André, présidente. - Pour parvenir à un taux d'impôt sur les sociétés de 25 %, vous préconisez plusieurs mesures comme l'aménagement du régime d'intégration fiscale, qu'il faudrait recentrer sur la neutralisation des pertes et profits au sein d'un groupe, la suppression du report en arrière des déficits, le resserrement du régime d'imposition à taux réduit, une actions sur les produits de licence et de brevet. N'est-ce pas remettre en cause des dispositifs que les entreprises apprécient ? Que vous en disent-elles ?
M. Didier Migaud. - Le CPO n'a pas inscrit le CIR dans son champ d'investigation, la Cour y a déjà travaillé il y a quelques années. Nous faisions des propositions pour améliorer le CIR, sans le remettre en cause - nous en soulignions au contraire les avantages. Faut-il que le taux du CIR varie avec la taille de l'entreprise ? C'est une des pistes avancées par la Cour des comptes. En revanche, nous n'avons pas proposé d'en changer l'assiette pour passer du stock au flux, tant cela compliquerait le calcul - et vous savez bien qu'un impôt complexe au point de n'être pas compris, n'est jamais le meilleur.
Sur l'utilité de l'impôt, c'est une certitude, pas de services collectifs sans impôt ; c'est au politique de faire les choix, mais on ne peut pas ne pas tenir compte du contexte international, ou bien nos spécificités deviennent des handicaps. On voit bien, ici, les enjeux pour la France à bien négocier les deux directives d'harmonisation dont nous avons parlé. Le CIR est plus avantageux que le mécanisme prévu par la directive, nous devons donc négocier ce que nous pourrons maintenir - l'accord de la France est nécessaire, puisqu'en matière fiscale il faut l'unanimité.
Enfin, nous identifions ce qui est possible en matière de financement et les solutions retenues auront nécessairement des conséquences sur certains des dispositifs actuels, c'est une contrepartie de la baisse du taux - même si nous comptons sur les marges du côté de la lutte contre l'optimisation fiscale agressive.
M. Patrick Lefas. - Le CIR a beaucoup retenu l'attention du CPO, c'est un mécanisme avantageux pour les entreprises françaises. Les pages 110-111 du rapport en résument les avantages, elles démontrent aussi qu'il faut jouer sur les stocks, tandis qu'utiliser les flux constituerait un recul au mécanisme antérieur.
Les PME figurent en bonne place parmi les bénéficiaires du CIR, mais elles changent d'une année sur l'autre, tandis que les grandes entreprises en bénéficient dans la durée. Le système de surdéduction proposé par la Commission européenne n'aurait pas d'incidence sur les entreprises nouvellement bénéficiaires, ni sur les PME, mais bien sur les entreprises qui bénéficient régulièrement du CIR. Comment négocier le passage d'un système à l'autre ? Peut-on demander un taux avantageux d'impôt sur les sociétés pour les centres de recherche, en sifflet, le temps pour nos entreprises de s'adapter ?
Comment compenser, ensuite, la perte de recette fiscale ? Nous avons chiffré les choses avec la plus grande précision, pour faciliter le meilleur arbitrage politique possible.
M. David Krieff. - Il existe un grand nombre de modalités pour calculer un taux implicite d'imposition. On peut prendre le montant d'impôt avant ou après le report, avant ou après imputation de certaines dépenses fiscales, viser l'excédent brut d'exploitation ou à d'autres indicateurs de l'enrichissement des entreprises, cibler les seules entreprises bénéficiaires, celles qui paient des impôts ou toutes les entreprises. Nous avons testé toutes les possibilités d'indicateurs, pour obtenir des résultats robustes. Puis nous avons retenu deux modalités de calcul du taux implicite : l'impôt rapporté au résultat d'exploitation des entreprises qui paient l'impôt, d'une part ; la méthodologie de la note du Trésor de 2011, d'autre part.
Mme Michèle André, présidente. - Nous n'avons pas épuisé le sujet, mais vous l'avez largement éclairé, nous vous en remercions.
La réunion est close à 12 h 15.