Mercredi 11 janvier 2017
- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président -La réunion est ouverte à 15 heures.
Audition de M. Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France
M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête a exprimé le souhait d'entendre les ambassadeurs de plusieurs États membres de l'Union européenne confrontés aux conséquences de la crise migratoire. Nous avons auditionné l'ambassadeur de Hongrie la semaine dernière. Aujourd'hui, nous avons la chance d'accueillir M. Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France.
Quelle est la position de l'Espagne sur le fonctionnement de l'espace Schengen ? Comment votre pays a-t-il été touché par la crise migratoire ? L'Espagne a mis en oeuvre des accords de coopération avec différents pays de la rive Sud de la Méditerranée - je pense en particulier au Maroc - pour réguler les migrations. Pourriez-vous nous en parler ? Quelle est la situation spécifique des enclaves de Ceuta et Melilla ?
De même, pourriez-vous nous exposer la position de votre pays dans les négociations au Conseil sur les mesures préconisées, et pour certaines d'entre elles déjà entrées en application, pour améliorer le fonctionnement de l'espace Schengen ?
Telles sont quelques-unes des questions qui intéressent notre commission d'enquête.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire de dix à quinze minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
M. Ramon de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France. - Je suis très heureux de coopérer avec le Sénat français, d'autant que ces questions très importantes me tiennent à coeur. La France et l'Espagne coïncident totalement sur le contrôle aux frontières. Cela a été mentionné hier matin place Beauvau par nos ministres de l'intérieur respectifs lors de leur entretien, dont plus de la moitié a été consacrée à l'immigration. Ils sont attachés à mener la politique communautaire dans un sens conforme à leurs voeux.
Cette coopération a donné de bons résultats. Elle concerne aussi les pays frontaliers, Sénégal, Mauritanie, Maroc et Mali. Le Gouvernement français est tout à fait d'accord pour partager ces efforts.
J'ai bien reçu votre questionnaire. Beaucoup de ces questions sont compliquées et certaines d'entre elles sont difficiles.
Sur la première, concernant l'espace Schengen, l'Espagne s'est fermement engagée pour la libre circulation des personnes et l'acquis Schengen, dont elle est membre depuis la première heure. J'étais secrétaire d'État aux affaires européennes lorsqu'il a été créé et j'étais alors, avant que l'on institue le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), le ministre en charge de Schengen pour mon pays. Je connais donc Schengen depuis l'origine, lorsque c'était une question intergouvernementale et que le ministère des affaires étrangères essayait d'établir cet apport nouveau qui a pris corps ensuite avec le traité d'Amsterdam et la création d'un espace de justice, de sécurité intérieure et de liberté commun à l'Union européenne, puis a fini avec le Conseil JAI et l'acquis qui s'est développé ensuite.
Dès la première heure, nous sommes acquis à Schengen et avons soutenu toutes les initiatives qui y sont liées. D'ailleurs, celles qui ont pris forme au conseil de Tampere, comme vous le savez, étaient espagnoles.
Nous sommes convaincus qu'il faut préserver un contrôle adéquat des frontières et qu'il est essentiel de garantir la libre circulation au sein de l'espace Schengen, mais pour cela, nous devons nous assurer que le système Schengen fonctionne comme il le doit, et il comporte beaucoup de « trous ».
Plusieurs initiatives sont en marche, que nous soutenons, comme le système EES (système d'entrée et de sortie), système de recueil des données d'entrée et de sortie de nationaux d'États tiers, avec accès de la police aux bases de données. Le système proposé contribuera à une gestion efficace des séjours de courte durée autorisés, à une plus grande automatisation des contrôles frontaliers, ainsi qu'à une meilleure détection des faux documents et des usurpations d'identité. Nous y travaillons, aux côtés de nos collègues français. Le Conseil européen de décembre 2016 a demandé aux colégislateurs d'arriver à un accord sur ce système EES pour juin 2017.
Ensuite, nous travaillons aussi à une modification du code de frontières Schengen. L'Espagne et la France soutiennent également que soient enregistrées l'entrée et la sortie par les frontières extérieures des nationaux des États membres, au travers de contrôles systématiques d'entrées et de sorties des personnes bénéficiant de la libre circulation. La définition de la base juridique de cette mesure est toujours en cours, mais une adoption formelle par le Parlement européen est attendue en février 2017. Encore une initiative pour laquelle nous avons la satisfaction de voir que les choses avancent !
J'en viens à l'objet d'un débat qui s'est prolongé longtemps : le PNR. Après trois ans de travaux et de négociations avec le Parlement européen, la directive PNR a finalement été approuvée en avril 2016. L'Espagne, avec la France, a fermement défendu sa nécessité depuis le début. Les travaux nécessaires à sa mise en route sont en cours.
L'ETIAS est une autre initiative. Il s'agit d'un système informatique basé sur le web et une application pour portables qui requiert une série de données de la part de tous les nationaux des pays tiers exemptés de visas qui souhaitent voyager dans l'espace Schengen. Une fois réalisées les opérations pertinentes, le système accorde, ou refuse, une autorisation de voyage, qui sera exigée au poste frontalier d'entrée, mais aussi par les transporteurs qui mèneront la personne concernée dans l'espace Schengen. Cependant, une autorisation de voyage par l'ETIAS ne se substitue pas aux contrôles frontaliers.
L'objectif de l'ETIAS est de compenser le nombre croissant de pays tiers dont les nationaux n'ont pas l'obligation de présenter un visa pour des séjours de longue durée. Ce sera particulièrement important pour les entrées par la frontière terrestre, étant donné que grâce à l'API (Advanced Passenger Information) et au PNR, on dispose déjà d'une information avancée sur la plupart des voyageurs qui accèdent par voie aérienne ou maritime. Il s'agit d'un système similaire à ceux qui fonctionnent dans d'autres pays, comme l'ESTA aux États-Unis ou les ETA au Canada et en Australie.
Nous avons toujours défendu la création de l'ETIAS. L'Espagne défend l'idée que l'ETIAS soit facilement accessible aux forces de sécurité chargées des enquêtes sur les délits graves et le terrorisme. Le groupe de travail sur les frontières commencera à examiner la proposition de l'ETIAS afin d'aboutir à une approche générale du Conseil au premier semestre 2017.
Le Système européen commun d'asile et de réforme (SECA) est très important. La crise des réfugiés et ses implications pratiques pour les États membres ont en effet mis en évidence la nécessité de modifier les normes qui régulent ce système. Sa réforme se compose de sept propositions législatives.
En résumé, l'importance du critère du premier pays d'entrée dans l'Union européenne comme État membre responsable s'accentue et s'applique désormais avec un caractère permanent - jusqu'à présent sa durée est de 12 mois -, ce qui implique une charge additionnelle significative pour les pays qui forment la frontière Sud de l'Union européenne avec les pays tiers. L'objectif est d'éviter les mouvements secondaires. Ainsi, l'État qui les reçoit le premier s'assure que les demandeurs d'asile ne partent pas dans la nature.
En contrepartie de la règle de la responsabilité permanente, il est prévu un mécanisme correcteur de solidarité, qui envisage la répartition/réimplantation des demandeurs, laquelle ne se limiterait pas aux situations de crise, mais agirait de manière permanente et automatique à partir d'un seuil déterminé : soit 150 % du quota correspondant à un État, en intégrant les demandes dont il est responsable, y compris les réinstallations qu'il a effectuées. Le quota de chaque État membre est établi à partir de deux critères, le PIB et la population (à parts égales). Il s'agit donc d'un mécanisme de répartition obligatoire des demandeurs d'asile.
L'objectif de réduire les mouvements secondaires entre les États membres de l'Union européenne devient prioritaire. Pour cela, en plus d'aspirer à une plus grande convergence entre systèmes d'asile, est prévue l'obligation de demeurer dans l'État membre responsable de la demande. Des pénalités sont prévues, y compris la possible révision des conditions d'accueil dont ils bénéficient pendant la procédure.
Nous devons aspirer à une plus grande surveillance des systèmes d'asile nationaux. Le monitoring et le contrôle s'intensifient, afin que les États membres respectent effectivement le SECA. À cette fin, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) est doté du statut d'agence indépendante et son mandat est élargi aux fonctions de monitoring et d'évaluation des systèmes d'asile nationaux, comme cela a été fait avec Frontex.
Quant à votre deuxième question, portant sur les services compétents en matière de surveillance des frontières intérieures et extérieures, nous avons un système identique. Nous avons la chance de bénéficier, en plus de notre police nationale, de la Guardia Civil, identique à votre Gendarmerie nationale. Ce sont des corps de police à statut militaire, commandés par des militaires de carrière, qui coopèrent d'ailleurs, en France et en Espagne, sont sur la même longueur d'onde et travaillent ensemble. C'est l'une des actions dont je suis le plus fier en tant qu'ambassadeur d'Espagne en France : notre coopération dans ce domaine est un modèle inégalé au sein de l'Union européenne. Les généraux qui dirigent la Guardia Civil et la Gendarmerie se connaissent et sont en contact continu. Il en va de même des directeurs de la police. Les ministres de l'intérieur se sont vus, je vous l'ai dit, et vont encore se revoir pour un sommet bilatéral en février. Nous pouvons être très fiers de cette complémentarité et du travail en commun de nos deux corps de sécurité, avec nos services de renseignement qui sont toujours en appui, faute de quoi ces forces de sécurité rencontreraient des problèmes pour accomplir leurs tâches.
Nous devons être satisfaits de cette coopération. Quant aux frontières, notre police fait exactement la même chose que la vôtre, elle les contrôle et la Guardia Civil agit exactement de même que votre Gendarmerie, avec les moyens aériens, maritimes et terrestres qui sont les siens. Elle réalise également des contrôles, notamment d'identité sur l'ensemble du territoire. Elle est responsable du contrôle des aéroports, de la ligne de côte et des frontières extérieures. Les deux corps ont les mêmes compétences en matière d'enquêtes afin de lutter contre l'immigration irrégulière, ainsi que pour réprimer la délinquance, le trafic de drogues et le terrorisme.
Il est très compliqué de fournir des chiffres sur les effectifs affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière et au contrôle aux frontières, En 2015, les effectifs qui ont travaillé sur ces questions se sont élevés à 6 600 policiers et 9 700 guardias civiles, même s'ils ont aussi effectué d'autres tâches, soit quelque 16 000 agents au total.
J'en viens à votre troisième point, sur les problèmes concrets et spécifiques auxquels l'Espagne est confrontée dans la mise en oeuvre de l'espace Schengen, et sur la façon dont elle a été touchée par la crise migratoire. Ces problèmes tiennent au fait que l'Espagne est une frontière extérieure de l'Union européenne, comme vous pouvez le voir sur la carte qui orne cette salle : nous sommes confrontés aux flux qui viennent de l'Atlantique, non seulement du Maroc, mais aussi de l'Amérique latine, et à ceux en provenance de la Méditerranée, en termes d'immigrants illégaux, mais aussi de cartels de drogues, etc. Cette pression migratoire a commencé dès les années 1990 et se poursuit. Peut-être cela nous donne-t-il une longueur d'avance car nous avons été confrontés au problème avant d'autres.
L'Espagne est peut-être un modèle en Europe, parce que nous avons beaucoup contrôlé, à cause des problèmes que nous avons rencontrés, en développant très tôt une politique dont nous croyons qu'elle doit maintenant se déployer à l'échelle de l'Union européenne.
Nos flux d'arrivants étaient composés essentiellement de ressortissants de pays du Maghreb, qui traversaient le détroit de Gibraltar dans des bateaux de fortune, faciles à arrêter. Depuis le début des années 2000, des ressortissants de pays de l'Afrique subsaharienne et sahélienne sont arrivés, en essayant d'entrer sur notre territoire, surtout par les îles Canaries, à quelque 100 milles des côtes africaines, et par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Dès le début, nous avons conclu des accords avec le Maroc, sur le retour de ceux qui ne sont pas demandeurs d'asile mais migrants économiques. C'est un point important. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire. Il faut aussi développer une certaine connaissance, car comment savoir d'où viennent les gens qui se trouvent sur ces embarcations ? Nous avons surtout développé un dialogue avec les pays d'origine : nous conditionnons notre aide au développement à notre coopération avec eux dans ce domaine. Nous avons aussi rencontré dès le début les mafias, les organisations criminelles, qui s'enrichissent de l'immigration illégale. Dès les années 1990, nous avons identifié ces réseaux qui furent un temps marocains.
Les Marocains ont très bien agi et ont éliminé ces réseaux. Au début, ces trafiquants venaient en effet d'Afrique du Nord. Maintenant, grâce aux initiatives du gouvernement marocain, ils ont disparu. Bien sûr, il a fallu coopérer et les équiper de moyens appropriés pour obtenir ce résultat.
Les flux actuels sont dus à des causes multiples, dont la guerre en Syrie, la déstabilisation régionale en Afrique du Nord et au Sahel, en Afrique de l'Est ont affecté principalement la Méditerranée orientale, parce qu'ils savaient que notre côté était « blindé ».
En 2015, nous avons enregistré une forte progression des arrivées de migrants, surtout des demandeurs d'asile, qui sont presque tous Syriens. Par la mer, l'immigration a augmenté de 16 % par rapport à 2014, soit 5 000 personnes. Par voie terrestre, via Ceuta et Melilla, elle a augmenté de 55 % en 2015.
Nous avons eu 5 952 demandeurs d'asile en 2014, auxquels nous avons donné 1585 avis favorables, en 2015, nous en avons eu 14 887 pour 1 020 avis favorables ; en 2016, sur 16 435 demandes d'asile, nous en avons accordées 6 868.
Nous appliquons le même système à tout le monde. Ces demandeurs d'asile sont dans leur grande majorité Syriens. Il y a très peu d'Afghans et presque pas d'Erythréens. La plupart de ces Syriens arrivent par Ceuta et Melilla. Au début, en 2013-14, ils présentaient de faux documents, puis ils sont venus avec leurs documents légaux, on les accueille et l'on mène la procédure d'asile. Je précise que 85 % sont des Syriens. Le volume de ces flux a diminué considérablement après l'accord avec la Turquie du 18 mars 2016, qui nous satisfait et correspond aux cinq piliers de notre politique d'immigration : coopération avec les États tiers ; contrôle des frontières ; lutte contre le trafic de personnes ; projets de coopération sur le terrain avec les pays émetteurs ; politique de retour dans le pays d'origine, refoulement. Certains ne veulent pas parler de ce dernier point. Mais tous ces points sont liés. On ne peut refouler sans coopération avec les pays émetteurs, et ainsi de suite. Nous ne pouvons rien faire, dans la position géographique qui est la nôtre, France et Espagne, sans accord avec les pays du Sud. Nous avons une très bonne relation avec la partie occidentale de l'Afrique.
M. Jean-Claude Requier, président. - Vous pourrez nous transmettre la suite de vos réponses par écrit, nous avons aussi d'autres questions à vous poser...
M. Ramon de Miguel. - Je suis à votre disposition.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous avons bien compris que l'Espagne a mis en place un dispositif très complet passant par Ceuta et Melilla, et qu'il n'y a pas de rapatriement sans accord avec les pays d'origine. À la suite de la crise migratoire que nous connaissons depuis juillet 2015, comment voyez-vous évoluer le dispositif Frontex ? Que pensez-vous de sa transformation en agence de garde-frontières ?
À l'échelle européenne, pourra-ton un jour avoir une politique migratoire commune, avec une organisation qui permette de traiter les situations « normales », mais aussi les situations exceptionnelles telle que celle que nous vivons depuis plusieurs mois.
Un collègue souhaitait vous poser cette question : « Nous avons entendu dire que certaines personnes essaient d'entrer dans l'espace Schengen en gagnant l'Espagne, en provenance des Balkans et de Serbie ; qu'en est-il ? »
M. Ramon de Miguel. - Nous avons toujours soutenu Frontex. L'Espagne a été le seul pays qui a présenté un mémorandum pour proposer un renforcement de Frontex et le doter de nouvelles fonctions, lors de la première réunion de la task force pour la Méditerranée, le 20 octobre 2013. Nous pouvons nous satisfaire du fait que des aspects sensibles aient été réformés et que l'actuel règlement de la garde européenne aux frontières prenne en considération le rôle essentiel des États membres.
Frontex est opérationnelle depuis des années, et a connu un élargissement de ses compétences, en particulier dans le domaine du retour et de sa capacité à mobiliser des moyens humains et matériels. Le plus urgent est déjà en marche : opérations conjointes de contrôle frontalier (Poséidon, Triton) et vols conjoints de retour.
La coopération avec les pays voisins et tiers est une question fondamentale pour l'Espagne. Nous attendons que Frontex développe sa coopération avec les pays d'origine et de transit en matière de formation, d'échange d'informations, de coopération opérationnelle, etc.
Nos apports en 2016 ont été les plus importants d'Europe : nous avons mis à disposition 547 agents de police et « gardes civils » à l'étranger et 408 dans des opérations nationales, en plus d'autres moyens, tels que chiens, moyens techniques, etc.
De plus, nos déploiements permanents au Sénégal, en Mauritanie, au Mali, en Gambie, au Cap Vert, en Guinée Bissau, avec 511 agents, attestent de l'effort espagnol dans les opérations générales liées au contrôle des frontières.
Nous aspirons à une politique migratoire commune. Nous avons communautarisé Schengen, né d'une coopération intergouvernementale. Nous devons aspirer à une vraie politique commune. En tout cas, elle est déjà communautaire. Tout dépendra de la volonté des États membres. La liberté de circulation des personnes ne signifiera rien si nous ne savons pas contrôler nos frontières extérieures, nous le voyons tous les jours. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie sont confrontées quotidiennement à ces flux de migrants incontrôlés, avec comme première conséquence la faille du Brexit, même si les Anglais ne contestent pas l'immigration, mais la libre circulation des travailleurs, ce qui est beaucoup plus grave.
Le Gouvernement espagnol souhaite faire de cette politique communautaire une politique commune car elle touche aux droits fondamentaux, aux quatre libertés à la base de la construction européenne.
Quant aux Balkans, l'Espagne a eu une immigration assez importante d'Albanais il y a quelques années, peu de Yougoslaves, Serbes, Bosniaques et Croates. Il y a beaucoup de Bulgares et de Roumains en Espagne, mais je ne considère pas ces pays comme faisant partie des Balkans. Il y a près de 900 000 Roumains en Espagne, très bien intégrés dans le système, fondus dans le paysage.
M. Jean-Claude Requier, président. - Les Roumains sont latins, mais nous avons besoin des Anglais en rugby ! (Sourires)
M. Yannick Vaugrenard. - Merci beaucoup, Monsieur l'Ambassadeur, pour la clarté de vos propos et leur cohérence. Les cinq piliers que vous avez cités résument tout, à court et moyen terme. Il est important de faire connaître le système d'entrée et de sortie, de même que la modification du code frontières Schengen. L'Espagne, porte de l'Afrique, est directement confrontée, et plus directement que nous, aux flux migratoires.
À moyen et long terme, se pose la question cruciale de l'aide au développement. On risque d'attendre un accord de l'ensemble des pays de l'Union européenne pour la renforcer, or c'est la clé de tout.
La coopération entre la France et l'Espagne en matière de sécurité et de terrorisme est extrêmement importante. Ne serait-il pas utile d'imaginer une aide au développement conjointe renforcée entre la France et l'Espagne qui aurait un effet d'entrainement au sein de l'Union européenne ? Je crois beaucoup à la théorie des cercles concentriques.
Vous avez évoqué Jacques Delors. L'Europe qu'il voulait construire n'a rien à voir, selon moi, avec celle qui est imaginée aujourd'hui par Jean-Claude Juncker.
M. Ramon de Miguel. - Je ne vais pas me prononcer là-dessus car je suis encore nostalgique de l'Union européenne que j'ai connue à partir de 1986, quand l'Espagne est entrée dans les institutions européennes. Je fus le premier directeur espagnol à la Commission, directeur de cabinet de deux commissaires puis directeur général de l'énergie. J'ai passé dix ans extraordinaires, à Bruxelles, dans une atmosphère qui ne ressemble point à celle que nous connaissons actuellement.
Nous, États membres, avons gâché l'affaire...Nous n'avons eu de cesse d'éloigner la Commission, de la limiter, de gouvernementaliser : nous sommes en train d'en subir les conséquences, car les États membres ont eu peur d'un président de la Commission intelligent, doté de réels pouvoirs, tel que Delors. Après lui, ils se sont assuré que le prochain président de la Commission ne serait pas de son niveau. La Commission s'est affaiblie, ils ont créé le secrétariat général du Conseil. Maintenant, la Commission n'est plus ce qu'elle était. Nous avons perdu l'esprit de Jean Monnet et de Robert Schuman, qui consistait à la considérer comme un corps avec un pouvoir d'initiative, que nous ne lui reconnaissons plus. Le projet a changé. Je ne sais s'il est meilleur ou pire, mais il n'est plus le même. Je suis très nostalgique de ce temps-là.
Sur l'aide au développement, nous avons nous, France et Espagne, une approche commune sur l'Afrique du Nord et sur la sécurité. Nous sommes le seul pays européen à avoir des troupes de combat au Mali. Beaucoup coopèrent, mais sur le terrain, seuls des soldats espagnols et français s'exposent à mourir et à être blessés. Cela n'est pas encore très clairement dit en France. Évidemment, vous avez des partenaires qui apportent leur aide, mais ce n'est pas seulement une question d'argent ni de moyens. Je répète que l'Espagne est seule à avoir des soldats, sur le terrain.
En matière d'aide au développement, l'Espagne n'a pas les mêmes moyens que la France, nous ne pouvons mettre autant d'argent que vous dans les pays francophones. Nous avons aussi certaines préférences géographiques transatlantiques, aussi ne sommes-nous peut-être pas à la hauteur pour parler d'aide au même niveau que vous, mais une bonne coordination serait utile, d'autant que l'Espagne augmente ses fonds pour l'Afrique, puisque nous comprenons, comme vous, que l'Afrique est notre problème. Votre idée est très bonne et je la mentionnerai lors de mes entretiens avec le quai d'Orsay. Nous pourrions la mettre sur la table à l'occasion du prochain sommet bilatéral du 20 février. Comment mieux travailler ensemble pour utiliser l'aide au développement que nous avons ?
En ce sens, il est utile de les aider en matière de sécurité, de les équiper en matériel, hélicoptères, bateaux, etc. ce que nous avons fait, de les former aussi, comme le font les « gardes civils » et les gendarmes que nous y envoyons. C'est fondamental.
M. Jean-Pierre Vial. - Nous avons beaucoup apprécié la clarté et l'aspect politique de votre présentation. Deux questions rapides, sur Frontex, d'abord, que vous semblez soutenir. Je n'arrive pas à comprendre que les cinq pays riverains de la Méditerranée, dont vous faites partie, qui disposent des marines et des garde-côtes parmi les plus puissantes du monde, n'arrivent pas à assurer une meilleure protection de nos côtes, dans ce domaine régalien, par rapport à Frontex dont les moyens sont tout de même limités.
Vous avez déclaré obtenir un grand succès en matière d'aide au développement, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? L'échec relatif de l'Union pour la Méditerranée montre que ce qui marche, dans cet espace, c'est le bilatéral avant tout. Quelles actions menez-vous en ce sens ?
M. Didier Marie. - Je me joins aux remerciements et félicitations de mes collègues pour la qualité de la coopération entre nos deux gouvernements, ainsi que pour votre intervention et votre engagement.
Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, a été mis en place un principe de réinstallation, « un contre un ». Le Conseil européen a décidé d'affecter un quota d'accueil par pays. Quel est le nombre de réfugiés que l'Espagne était censée accueillir à ce titre ? Les quelque 6 000 accords d'asile que vous avez donnés en 2016, étaient-ils en-dessous, au-dessus ou au niveau de ce quota ?
L'Espagne a une position particulière en Europe, en raison de son histoire et de son partenariat transatlantique, que vous avez rappelés. Que représente l'immigration en provenance d'Amérique latine dans votre pays, que pèse-t-elle ?
Vous évoquiez la nécessité d'une politique migratoire commune en Europe. Nous y souscrivons. Quels sont les éléments à mettre sur la table, pour l'Espagne, afin que cette politique migratoire commune fonctionne ?
M. Ramon de Miguel. - Si certaines associations n'ont pas bien fonctionné, ce n'est pas de la faute du côté européen.
Notre coopération avec les pays de ce côté de l'Atlantique, Maroc, Sénégal, Mali, a été menée de façon bilatérale, bien qu'ils partagent des frontières communes, ainsi que des intérêts communs et malgré les mouvements de populations entre ces pays ; ils préfèrent traiter et agir avec nous de façon bilatérale. Nous avons fourni d'énormes efforts à leur égard. Nous sommes passés en trois ans de 100 et quelques millions à près de 600 millions d'euros en coopération, en plus de la coopération policière et des autres moyens que nous avons mis à leur disposition.
Vous m'avez interrogé sur les moyens de Frontex, que nous soutenons. Évidemment, nous coopérons : chaque fois que les Italiens et les Grecs nous demandent des bateaux de guerre et d'autres moyens, nous les mettons à leur disposition. Mais chaque pays a sa propre politique. Les déploiements des marines italienne ou grecque répondent aux instructions qu'elles reçoivent de leur pays respectif. Notre marine et notre surveillance maritime ne ressemblent point à ce qui se passe en Italie. Dans notre Méditerranée occidentale, on débarque ceux qui sont désemparés, mais immédiatement on les retourne. Il faut une vraie politique communautaire, ce qui n'est pas une question de moyens, mais de décider ce qu'il faut faire, que chacun fasse la même chose et d'avoir la même idée des frontières extérieures.
J'ai mentionné que nous avons augmenté l'aide au développement.
L'Espagne a reçu beaucoup plus d'immigration en provenance d'Amérique latine que de n'importe quelle autre partie du monde. On ne sait guère que l'Espagne est passée de 38 millions d'habitants en 1986 à 44 millions en 2004 : en dix-huit ans, sa population a augmenté de plus de six millions d'habitants. Ce phénomène extraordinaire a coïncidé avec une période de prospérité, laquelle eut un effet d'appel, non seulement dans les pays voisins, méditerranéens et africains, mais surtout en Amérique latine, où tout le monde suit de très près ce qui se passe en Espagne. Les ressortissants de certains de ces pays n'ont pas besoin de visas pour venir chez nous. Nous avons ainsi reçu 700 000 Équatoriens, presque un demi-million de Colombiens...La majorité d'entre eux sont venus, non pas illégalement, mais de façon irrégulière. Or ils n'ont pour la plupart créé aucun problème. D'un point de vue culturel, religieux, ethnique, linguistique, ils se sont non pas même intégrés, mais tout à fait assimilés au système et n'ont provoqué aucune réaction de rejet, d'ailleurs inconnue en Espagne à l'égard de l'immigration.
Notre pays est probablement le seul d'Europe sans ghetto, sans quartier séparé. Des Équatoriens, des Marocains, des Espagnols, des Roumains, vivent ensemble, dans les mêmes blocs. Les immigrants latino-américains sont très à l'aise dans le pays, se portent très bien, et les gens les aiment beaucoup. On les connaît très bien. En Espagne, l'accent colombien ou dominicain est bien connu. La société les a très bien acceptés. Il y a eu un flux très important d'immigrants irréguliers. Beaucoup sont partis après la crise économique, mais ils sont en train de revenir maintenant. Beaucoup ont acquis la nationalité, deux ans de résidence suffisent pour cela, d'où énormément de naturalisations.
Nous ne trouvons rien à redire sur l'immigration, car ils ont considérablement aidé le pays lorsque nous avions besoin de beaucoup de main d'oeuvre. Ils ont fortement contribué à la société espagnole. Le seul problème que nous avons est le même que vous tous : il est vraiment dommage que l'islam ne permette pas au citoyen de religion musulmane de s'intégrer davantage dans notre système. C'est la seule faille. Pour le reste, nous n'avons aucun problème d'ordre public ou social avec les minorités ethniques ou les immigrants en Espagne. Jusqu'à présent, le phénomène migratoire est plus récent en Espagne qu'en France, nous n'avons pas encore de deuxième génération, nous verrons si s'y développent les mêmes phénomènes que ceux que vous connaissez. Nous ne savons pas ce qui se passera dans trente ou quarante ans, mais jusqu'à présent les choses vont bien.
M. Jean-Claude Requier, président. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur. L'Espagne est un pays d'accueil et d'intégration. La commission a été attentive à vos propos. Elle est à l'image du Sénat, chambre de réflexion et de proposition. Je vous remercie d'avoir retenu celle de Yannick Vaugrenard. Nous sommes là pour débattre au fond. Merci de votre venue et de votre franchise, nous aimons les diplomates qui parlent de façon carrée, loin de la langue de bois et du robinet d'eau tiède. Merci.
M. Ramon de Miguel. - Je suis un diplomate, mais je ne suis pas un étranger en France. Je me sens ici chez moi et je vous prie de m'excuser si j'ai été très franc...
M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous en prie, bien au contraire...
M. Ramon de Miguel. - Je m'exprime ici comme je le ferais au Sénat espagnol, parce que nous avons en commun beaucoup de choses, nous partageons, entre autres, une même approche de ces questions. Ce fut un plaisir pour moi et vous savez que je suis toujours à votre disposition.
M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous remercie, vous feriez un bon sénateur ! (Rires et applaudissements)
Audition de M. Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes (secteur Justice et Affaires intérieures)
M. Jean-Claude Requier, président. - Notre commission d'enquête entend aujourd'hui M. Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes, chargé des secteurs relatifs à la libre circulation des personnes, à l'espace judiciaire européen et à la sécurité de l'espace européen.
Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) est un service du Premier ministre principalement chargé de la coordination interministérielle pour les questions européennes. Il est le garant de la cohérence et de l'unité de la position française au sein de l'Union.
Notre commission d'enquête a auditionné, la semaine dernière, le directeur de l'Union européenne du ministère des affaires étrangères et du développement international qui lui a rappelé l'historique et les règles de fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a souhaité vous entendre aujourd'hui afin de faire le point sur les négociations relatives aux récentes initiatives législatives prises pour pallier les lacunes mises en évidence à la fois par la crise migratoire et la menace terroriste, de lui rappeler la position de la France sur ces textes et de tracer des perspectives pour l'avenir.
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyrille Baumgartner prête serment.
M. Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint des affaires européennes. - Je suis honoré et impressionné d'intervenir devant votre commission.
Un rappel préliminaire : l'espace Schengen répond au double objectif de la liberté et de la sécurité. Pour nombre de nos concitoyens, il signifie avant tout la liberté de circuler dans un espace sans contrôle aux frontières intérieures, mais c'est aussi un espace de sécurité, à la fois à l'extérieur où sont reportés les contrôles et à l'intérieur à travers les coopérations judiciaire et policière, ainsi que dans les domaines de la migration et de l'asile. Les fondements de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice trouvent leur origine dans la convention d'application de Schengen.
Cet espace a connu trois évolutions notables depuis la signature du traité. Institutionnelle d'abord, avec l'intégration progressive de ses dispositions dans le droit de l'Union à partir du traité d'Amsterdam. Le traité de Schengen était à l'origine un accord intergouvernemental. Deuxième évolution, une extension très importante, véritable changement d'échelle lié à l'élargissement : de 5 à 26 membres, dont 22 États membres de l'Union européenne. Troisième évolution, celle des défis auxquels cet espace est confronté : depuis deux ans, une menace terroriste à un niveau inégalé et un défi migratoire qui a atteint des proportions sans précédent.
L'espace Schengen s'est renforcé avec l'établissement de l'Office européen de police (Europol) et la création du mandat d'arrêt européen. Mais ces deux défis ont déterminé l'ouverture de chantiers très lourds auxquels la France a pris une part majeure, dans une mobilisation sans précédent. Les conclusions des réunions du Conseil européen et du Conseil Justice et affaires intérieures depuis 2015, que je vous ai transmises, en témoignent : toutes ont abordé ces sujets désormais au coeur de l'agenda européen.
Ces chantiers relèvent pour une part de la gouvernance Schengen, pour l'autre de la politique de sécurité, d'immigration et asile.
D'abord, la gouvernance : la coopération judiciaire et policière est désormais intégrée dans le droit de l'Union, alors qu'aux débuts de Schengen, elle s'inscrivait dans un format intergouvernemental et interministériel. Elle relève du Conseil de l'Union européenne en format spécifique, le comité mixte associant les États Schengen non membres de l'Union européenne (Liechtenstein, Suisse, Norvège et Islande). Ces derniers participent aux discussions mais n'ont pas de droit de vote. Les États membres bénéficiant d'une clause dérogatoire - le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark - et les pays en voie d'intégration dans l'espace (Roumanie, Bulgarie, Chypre et Croatie) sont eux aussi soumis à des règles spécifiques.
La procédure d'adhésion se déroule dans le cadre d'un dispositif d'évaluation appelé mécanisme d'évaluation et de contrôle, associé à des critères techniques très exigeants. Sur la foi de ces critères, le comité mixte doit prendre une décision à l'unanimité. La Roumanie et la Bulgarie avaient ainsi atteint le niveau requis de préparation technique en 2011, ce qui a été validé par le Conseil européen en juin ; mais l'intégration a été reportée plusieurs fois faute d'unanimité, en raison de préoccupations relatives aux migrations illégales et à la criminalité organisée. L'intégration est par conséquent une décision éminemment politique entre les mains des États.
Le mécanisme d'évaluation s'applique également aux participants. À la demande, entre autres, de la France, l'évaluation par les pairs a été remplacée en 2013 par un rôle accru de la Commission européenne, chargée de conduire des évaluations programmées dans un calendrier à cinq ans ; à cela s'ajoutent des évaluations inopinées quand la situation le justifie.
Les évaluations régulières portent sur tous les domaines liés à l'acquis Schengen : mesures aux frontières extérieures, coopération consulaire et visas, retours, système d'information Schengen (SIS) et protection des données, coopération policière et judiciaire. Chacune donne lieu à un rapport discuté dans un groupe au sein du Conseil. Les points de difficulté soulevés font l'objet de recommandations adoptées par ce dernier. L'État membre évalué doit alors présenter un plan d'action pour y remédier. L'examen du plan ne prend fin qu'avec le constat que les difficultés ont été surmontées.
Depuis l'entrée en application de ce mécanisme, début 2015, treize pays ont été évalués, mais aucune procédure n'est encore arrivée à son terme. Cela appelle néanmoins deux observations. D'abord, les pays parvenus au stade des recommandations ont fait l'objet de remarques de non-conformité ou de non-conformité partielle, ce qui témoigne du niveau d'exigence de l'évaluation.
De plus, une visite inopinée en novembre 2015 a donné lieu au constat de graves manquements dans les contrôles aux frontières extérieures de la Grèce. Une recommandation de maintien des contrôles aux frontières de cinq États (Autriche, Allemagne, Danemark, Suède, Norvège) qui les avaient rétablis au vu des mouvements secondaires provoqués par la situation de la Grèce a ensuite été formulée par le Conseil.
Les modalités de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ont été réévaluées en 2013 puis à nouveau l'an dernier. Le nouveau dispositif est plus cohérent et efficace.
Second volet des chantiers en cours, la politique de sécurité, d'immigration et d'asile qui se déploie sur trois niveaux d'action : les frontières extérieures, l'intérieur de l'Union européenne et l'extérieur.
Dans le premier volet, sur le plan opérationnel, Frontex a été renforcé par la création d'un corps européen de garde-frontières et garde-côtes de 1 500 hommes, dont 170 fournis par la France. Ensuite, la surveillance des frontières extérieures fait l'objet d'une consolidation dans le sens d'un contrôle systématique des entrées et sorties grâce à la consultation de toutes les bases de données pertinentes. Ce dispositif a fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen le mois dernier. En complément, le SES (système d'entrée/sortie) a vocation à recueillir les données de franchissement de tous les ressortissants de pays tiers, en entrée comme en sortie, pour identifier ceux qui dépassent la durée autorisée de leur séjour. Un accord sur ce point devrait être trouvé d'ici la fin du semestre.
La France, en première ligne sur ce dossier, souhaite aller plus loin avec l'enregistrement de tous les voyageurs, y compris les ressortissants de l'Union européenne dont peuvent malheureusement faire partie, comme nous le savons, certains terroristes.
Enfin, un système d'information et d'autorisation de voyage (Etias) est proposé dans le but de contrôler à l'avance les projets de déplacement de ressortissants de pays tiers et, le cas échéant, de s'y opposer. Inspiré du système américain, il porterait sur les voyageurs dispensés de visa pour accéder à l'espace Schengen, les autres relevant du Système d'information sur les visas (VIS). Ce dispositif complètera aussi le Passenger name record (PNR) adopté l'an dernier et en phase de transposition dans les États membres. Nous espérons un accord sur Etias avant la fin de l'année.
En matière de contrôle intérieur, l'échange d'informations, question centrale, repose sur le Système d'information Schengen (SIS) centralisé qui organise le partage à grande échelle des signalements de personnes et d'objets. Mis en place dix ans après le traité de Schengen, et après une première évolution en 2013, il fait l'objet de plusieurs révisions en cours, dont l'extension des modalités de recherche à partir des données biométriques (fonctionnalité AFIS). Par ailleurs, l'utilisation du SIS par les États est attentivement suivie par la Commission dans le cadre des évaluations Schengen. Le SIS a fait l'objet de 2,9 milliards de consultations en 2016, contre 1,9 milliard en 2015.
Il existe plusieurs autres outils policiers d'échange de données : la coopération Prüm, mise en oeuvre par treize États membres, consiste à donner accès aux autres États aux fichiers ADN, d'empreintes digitales et de plaques d'immatriculation nationaux ; « l'initiative suédoise », qui pose le principe de mise à disponibilité d'informations entre services répressifs, est très opérationnelle, mais inégalement appliquée, d'où un projet pilote d'optimisation à travers l'échange d'informations dédiées réunissant l'Espagne, la Finlande, l'Irlande, la Hongrie et Europol, qui devrait bientôt entrer en phase technique.
Le nouveau règlement d'Europol applicable à compter de mai 2017 renforcera ses capacités de traitement en posant le principe d'une obligation de transmission rapide des informations relevant de problèmes graves de criminalité. Un Centre européen de lutte contre le terrorisme, rattaché à Europol et chargé de l'échange d'informations, est opérationnel depuis le 1er janvier 2016.
Un chantier est également en cours dans le domaine de la veille et du signalement de contenus illicites. Europol s'est dotée en février d'un centre européen de lutte contre le trafic des migrants, dont une équipe opérationnelle a d'ores et déjà identifié cinquante navires suspects.
Le paquet « asile » adopté en 2013 définit un ensemble de grands principes relatifs à la responsabilité du pays de première entrée, aux conditions d'accueil et de qualification et à la procédure. À la suite de la crise migratoire, la Commission européenne a proposé un approfondissement du dispositif : les disparités entre systèmes nationaux peuvent entraîner une forme de course à l'asile, en anglais asylum shopping. La France pousse en faveur d'une efficacité et d'une sécurité renforcées, dans le respect du droit international et des principes de Dublin.
La Convention de Dublin a été longuement débattue au cours du dernier semestre. Aux termes de la convention, la demande d'asile repose sur l'État de première entrée du demandeur ; mais dans les crises migratoires exceptionnelles, la position des pays situés en première ligne est particulièrement difficile à supporter. C'est pourquoi la Commission européenne a proposé un mécanisme correcteur reposant sur la relocalisation de certains demandeurs entre les États membres. C'est un sujet qui divise, pour des raisons de géographie, d'attractivité relative des pays et aussi de politique, l'Europe centrale étant particulièrement réservée vis-à-vis de l'accueil des migrants.
La France promeut dans ce domaine une approche équilibrée : le mécanisme correcteur fait sens dans les situations exceptionnelles, mais ne doit pas se substituer au principe premier, celui de la responsabilité des pays de première entrée. Il convient d'apprécier, avant la mise en oeuvre de ce mécanisme, ce qui est prévu et appliqué en matière de contrôle, d'enregistrement et de retours. De plus, la solidarité doit concerner tous les États membres. Le sujet n'est pas clos ; il fait l'objet d'une coordination étroite entre la France et l'Allemagne.
Bras armé de Dublin, la base de données Eurodac, qui permet de déterminer le pays de première entrée, doit être renforcée par l'inclusion de nouvelles données relatives à la reconnaissance faciale, par celle des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière et par un accès simplifié. La France soutient cette évolution qui a fait l'objet d'un premier accord le mois dernier.
Enfin, une transformation du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) en agence de l'Union européenne est proposée, afin de renforcer sa capacité de soutien opérationnel aux États en difficulté.
Dernier volet de la politique de sécurité, d'immigration et d'asile, la dimension externe, porteuse d'enjeux très importants : maîtrise des flux, sécurité des frontières, situation des pays accueillant des réfugiés, réponse aux causes profondes des migrations.
En matière de lutte contre les passeurs, l'Union européenne s'est dotée d'instruments juridiques, mais son action est surtout opérationnelle, notamment dans le cadre du plan d'action contre le trafic des migrants adopté en mai 2015. Ce plan prévoit la création du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, mais aussi le déploiement d'opérations maritimes, Triton et Poseidon, coordonnées par Frontex, et de Sophia, relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Ces opérations sauvent des vies et orientent les secourus vers les dispositifs adaptés, mais leur mandat premier est la lutte contre le trafic de migrants. 680 navires ont été interceptés dans le cadre de Triton et Poseidon, 340 dans le cadre de Sophia ; 92 passeurs et trafiquants d'êtres humains ont été arrêtés.
La PSDC en direction de l'Afrique a abouti à la mise en place d'EUCAP Sahel-Niger, avec une antenne créée à Agadez, plaque tournante du trafic en Afrique de l'Ouest. Les résultats obtenus sont significatifs.
Dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire, la Commission européenne a identifié un nouveau chantier de sécurisation des documents source (actes, certificats de mariage) qui devrait perturber le modèle économique du trafic et éclairer les procédures de réadmission.
La réadmission est une priorité explicite de l'Union européenne : il a ainsi été souligné au sommet de La Valette de novembre 2015, avec les dirigeants africains, qu'il ne saurait y avoir de gestion des flux sans politique solide de réadmission - un domaine complexe et sensible, reposant sur le dialogue avec les pays concernés. Quelques mois avant le sommet, l'Union européenne a adopté un plan d'action sur les retours articulant renforcement de Frontex, usage du SIS et d'Eurodac et programme de retours volontaires. Ainsi, 6 000 retours ont d'ores et déjà été opérés en Grèce dans le cadre d'un programme de l'Office international des migrations.
Enfin, la politique européenne de visas est intrinsèquement liée à celle de Schengen, qui suppose une harmonisation des conditions d'entrée. Deux listes, établies par règlement, déterminent quels pays sont soumis à l'obligation de visa et lesquels en sont exemptés. L'outil opérationnel associé est le VIS qui prévient les demandes multiples de visa. La coopération consulaire permet aux États membres d'échanger toutes les informations de terrain utiles. La politique de visa est également utilisée en tant qu'élément du dialogue migratoire avec certains pays tiers : souvent, les accords de facilitation ou de libéralisation des visas sont liés à des accords de réadmission. Cela suppose la possibilité de suspendre, voire de dénoncer les accords signés en cas de mauvaise application.
Une clause de sauvegarde en ce sens a été adoptée en décembre 2013. Face au défi migratoire et terroriste, la France et l'Allemagne en ont demandé une révision dont l'entrée en vigueur constitue un préalable juridique à celle de toute nouvelle mesure de libéralisation. Elle sera applicable à tous les accords passés et à venir, prévoit un suivi plus pérenne des engagements pris dans la phase préparatoire et élargit les critères de déclenchement de la clause de sauvegarde, les demandes d'asile en faisant partie.
M. Jean-Claude Requier, président. - Merci pour cet exposé détaillé.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - La France a fait l'objet d'une évaluation Schengen en 2009. Est-il possible d'avoir communication du rapport qui a été remis ? Quelles suites ont été données par la France ? Quels ont été les commentaires des institutions européennes ?
M. Cyrille Baumgartner. - Nous n'avons pas fini de réunir l'information relative aux évaluations, la documentation afférente étant très volumineuse. L'évaluation de 2009 a été conduite dans le cadre du précédent régime d'évaluation par les pairs, donc avec un niveau d'exigence inférieur. Je puis toutefois y revenir par écrit.
Le dispositif révisé prévoit des missions inopinées, des rapports établis pour chacun des six domaines de la coopération Schengen identifiant les points de satisfaction et les critères de non-conformité, avant une itération au sein du Conseil. La procédure ne s'achève que quand tous les points identifiés ont été résolus.
M. Olivier Cigolotti. - Europol est soumis à des obligations en matière de renseignement des fichiers de police. Le « fichier SIS » n'a de valeur que s'il est mis à jour et renseigné régulièrement par l'ensemble des États membres. Or il apparaît que certains d'entre eux ont une contribution faible ou nulle. Qu'en est-il ?
M. Cyrille Baumgartner. - Dans le cadre du mécanisme d'évaluation Schengen révisé, l'utilisation du SIS par le pays évalué est examinée. Trois des treize États membres évalués dans le nouveau régime se sont vu notifier des critères de non-conformité ; des recommandations ont été formulées et des plans d'action adoptés. La Commission européenne a jugé le sujet assez important pour faire l'objet d'une communication spécifique. Il est cependant évident qu'aucun État n'est en mesure d'utiliser le SIS à 100 %.
L'augmentation des consultations du SIS accroît également les risques de difficulté. La réforme conduite en 2013 a nécessité un temps d'adaptation, et compte tenu des enjeux, le dispositif est à nouveau l'objet de propositions pour renforcer son opérationnalité.
M. Didier Marie. - Une partie des migrations part des côtes de Libye où de nombreux passeurs se sont installés. Or les missions Poséidon et Triton ne peuvent pas les poursuivre en eaux territoriales libyennes sans mandat de l'ONU. Où en sont les démarches entreprises par la France pour son obtention ?
M. Cyrille Baumgartner. - Pour être pleinement opérationnelle, la mission Sophia doit en effet agir au plus près des côtes libyennes, ce qui implique un cadre juridique international clair passant notamment par une résolution du Conseil de sécurité ou une demande du gouvernement libyen. La situation ne semble pas avoir évolué, notamment en l'absence de consensus parmi les membres permanents. En revanche, le mandat de l'opération a été étendu à la fin de l'an dernier pour lui permettre de prendre sa part à l'embargo de l'ONU sur les armes en provenance de Libye et de mener des actions de formation en direction des garde-côtes et de la marine libyenne. Le changement de mandat étant récent, je possède peu d'éléments concrets ; mais a minima, les actions prévues devraient avoir un effet contre les passeurs.
M. Jean-Pierre Vial. - Il est étonnant que les pays de la rive Nord de la Méditerranée, avec la puissance de feu dont ils disposent, ne puissent pas assurer ce qui est dévolu à Frontex avec des moyens beaucoup plus faibles. Il convient d'harmoniser les politiques militaires : à l'Ouest, les embarcations saisies étaient ramenées sur les rivages des pays de départ. À l'Est, ces moyens ne sont pas déployés ; les passages augmentent, parfois sur de véritables navires dont l'interception relève de la politique maritime de sauvetage.
Pouvez-vous nous communiquer les chiffres sur les passages ? Ce n'est pas neutre : concomitamment à l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, un tarissement des flux sur cette route a été constaté. De toute évidence, les passeurs ont réorienté leurs flux vers la Libye, avec des chiffres inquiétants : un million de personnes seraient en attente en Libye. Au vu des conditions d'embarquement, Frontex semble plutôt relever désormais d'un traitement des passeurs que d'une politique à mettre en place en Méditerranée.
M. Cyrille Baumgartner. - Frontex s'exerce aux frontières extérieures. En Méditerranée centrale, les opérations dans la partie Nord sont coordonnées par Frontex ; plus près des côtes libyennes, elles relèvent de la PSDC, avec des missions parfois différentes. Cette dernière peut également être mobilisée à terre contre les passeurs.
La mission EUCAP Sahel-Niger donne des résultats opérationnels significatifs. Elle s'inscrit dans le cadre d'une action globale de l'Union européenne vis-à-vis de ce pays. Au cours des derniers mois, les mouvements à travers le Niger, auparavant le hub principal des migrations en Afrique de l'Ouest, ont été singulièrement réduits.
L'un des projets financés par l'Union européenne dans le cadre du fonds fiduciaire créé à La Valette est une équipe commune d'enquête associant l'Espagne et la France, et ouverte aux autres pays, menant un travail de terrain contre les filières en Libye. Il y a déjà des résultats policiers significatifs dans ce pays, qui marquent une rupture de situation. Le chiffre d'un million de personnes massées en Libye circule en effet, même s'il relève d'observations de terrain plus que d'une évaluation méthodique.
Plus en amont, la route principale des migrations, qui passait par la Turquie et la Grèce, a vu les flux être réduits considérablement à la suite de l'action européenne. Vous avez parlé de réorientation des flux ; je ne suis pas sûr que ce soit le bon terme. En effet, les flux en Méditerranée centrale ont une dynamique propre, impliquant presque exclusivement des ressortissants d'Afrique de l'Ouest et de l'Est.
Voici les chiffres consolidés pour 2016 : un peu plus de 180 000 arrivées par mer de Turquie ; un peu plus par la Méditerranée centrale. En Méditerranée centrale, l'augmentation de 20 % constatée depuis l'année précédente appelle la vigilance ; en revanche, les flux de transit par la Turquie ont significativement baissé, d'autant que la part la plus importante du chiffre a été réalisée avant la mise en place de l'accord. Enfin, les flux à travers la Méditerranée occidentale sont en augmentation, mais les niveaux restent modestes.
M. Jean-Claude Requier, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 17 h 15.
Jeudi 12 janvier 2017
- Présidence de M. Jean-Claude Requier, président, puis de M. Didier Marie, vice-président -La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de MM. David Skuli, directeur central de la police aux frontières, Fernand Gontier, directeur central adjoint, et Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté, au ministère de l'Intérieur
M. Jean-Claude Requier, président. - Mes chers collègues, notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de MM. David Skuli, directeur central de la police aux frontières, Fernand Gontier, directeur central adjoint, et Bernard Siffert, sous-directeur des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté au ministère de l'intérieur.
La direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) est une direction spécialisée de la police nationale créée en 1999. Son échelon central comporte notamment trois sous-directions, dont la sous-direction des affaires internationales, transfrontières et de la sûreté qui, parmi ses missions : coordonne et anime au plan national l'action conduite en matière de contrôle transfrontière en liaison avec les autres administrations compétentes ; contribue à la coopération institutionnelle européenne et internationale dans les domaines relevant de la police aux frontières et participe à la conduite de programmes et d'actions de coopération policière ; assure le suivi des relations avec FRONTEX ; contribue à la sûreté de l'ensemble des moyens de transports internationaux et à la sécurité générale mise en oeuvre sur les emprises portuaires, aéroportuaires et ferroviaires placées sous la responsabilité de la direction centrale.
La DCPAF assure aussi une coordination européenne au travers de centres de coopération policière et douanière et de commissariats communs mis en place avec l'Allemagne.
Avec cette audition, nous abordons des aspects très opérationnels. C'est dans cet objectif que notre commission d'enquête a souhaité vous entendre. En outre, la France a fait l'objet d'une récente évaluation Schengen : comment a-t-elle été conduite ? Sur quels aspects a-t-elle porté ? Comment la DCPAF y a-t-elle contribué ? Quelles sont ses conclusions ?
Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteur, François-Noël Buffet, à vous poser des questions.
Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite, chacun d'entre vous, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. David Skuli, Fernand Gontier et Bernard Siffert prêtent serment.
M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières. - Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui devant votre commission d'enquête.
Je débuterai mon propos par une très brève présentation de la police aux frontières dont les effectifs sont aujourd'hui de 10 693 personnes et qui est présente sur le territoire métropolitain et en outremer.
Nos missions principales relèvent du contrôle transfrontière et nous sommes particulièrement investis en ce moment dans le cadre du rétablissement du contrôle intérieur. Nous intervenons dans le domaine de la sûreté aéroportuaire et sommes en charge du service national de police ferroviaire. Nous luttons principalement contre l'immigration irrégulière et procédons au démantèlement des filières. En ce sens, nous sommes à l'origine de 74 % du contentieux national. Nous procédons aux éloignements des migrants irréguliers et assurons également la gestion des vingt-trois centres de rétention administrative, placés sous notre compétence. La police aux frontières est organisée sous l'égide d'une direction centrale comprenant trois sous-directions. Le niveau territorial est organisé sur le principe d'une direction zonale pour le territoire métropolitain et pour l'outremer (direction zonale Antilles).
Notre organisation en métropole se décompose en six directions zonales, vingt-deux directions interdépartementales et cinquante-et-un services de la police aux frontières. Trois directions sont toutefois demeurées départementales, dans les Alpes-Maritimes, dans l'Oise et en Savoie, en raison de la spécificité du contentieux auquel elles sont confrontées. Cette réforme territoriale en directions interdépartementales ne concerne que la métropole, les territoires ultramarins étant restés dans leur cadre précédent, en raison de la faiblesse de leurs effectifs et de leur éloignement géographique.
Depuis le 26 mars 1995, l'espace Schengen est devenu une réalité et comprend aujourd'hui vingt-six pays, avec vingt-deux membres de l'Union, quatre pays associés - l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Lichtenstein -, tandis que d'autres pays, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie et Chypre, n'y appartiennent pas. Cet espace représente environ 400 millions de personnes et s'étend sur 42 600 kilomètres de côtes et 7 721 kilomètres terrestres. Il a constitué une grande avancée de la construction européenne. Il est symboliquement fort de pouvoir passer d'un pays à l'autre sans devoir acquitter des formalités relatives au passage des frontières. Plusieurs crises sont survenues : les « Printemps arabes », la vague migratoire sans précédent et les attaques terroristes. De ce fait, l'espace Schengen est questionné dans son efficacité et donc dans sa légitimité.
La création de l'espace Schengen reposait sur trois postulats : le premier était d'ordre géopolitique et visait à faciliter la circulation des citoyens dans un espace délimité et à ne s'occuper que du contrôle aux frontières extérieures.
Le second postulat était celui de la confiance et consistait à déléguer une partie de la souveraineté au pays de première entrée de l'étranger dans l'espace, en lui déléguant la responsabilité du contrôle frontière et en laissant à chaque État membre la possibilité de délivrer des visas de trois mois, pour le compte de tous dans la mesure où leur validité territoriale s'étend à l'ensemble de l'espace Schengen. De ce fait, on considérait que la menace ne pouvait qu'être extérieure et pouvait accueillir la migration de manière régulière, sans crise aucune.
Le troisième postulat reposait sur la mise en oeuvre de mesures compensatoires suite à la libéralisation de la circulation dans un espace donné. Or, ces mesures ont été prises progressivement : ainsi, la création des centres de coopération policière et douanière (CCPD) - la France étant impliquée dans dix centres sur les soixante-neuf existants au niveau européen -, le système d'information Schengen qui est désormais de seconde génération et comprend un fichier personnes et objets, le système d'information sur les visas, ainsi que les droits d'observation et de poursuite transfrontalière permis entre les différents États, la création d'une bande frontalière de vingt kilomètres ; cette dernière disposition relevant de l'article 78-2 alinéa 9 du code de procédure pénale, modifié après l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Melki et Abdeli du 29 juin 2010. Enfin, parmi ces mesures figurait la création, tardive il est vrai, de l'agence Frontex en 2004, cette dernière agence ayant connu une montée en puissance en devenant l'agence des garde-frontières et des garde-côtes. Ces postulats ont tous été questionnés dans leur efficacité, à la suite des différentes menaces enregistrées ces dernières années. Plusieurs djihadistes ont pu ainsi circuler dans cet espace. D'autre part, le postulat que la menace ne pouvait être qu'extérieure a été infirmé par les attentats du 13 novembre 2015 qui ont démontré que la menace pouvait largement être intérieure à cet espace. En effet, nombre des personnes impliquées dans cet attentat venait de Belgique et des ressortissants européens sont partis faire la guerre en Syrie. En outre, la vague migratoire est en effet sans précédent : plus de 1 800 000 personnes ont franchi illégalement les frontières extérieures en 2015 et 505 000 personnes en 2016, chiffre qui reste très important au regard des années précédentes en dépit d'une baisse très forte de la pression migratoire liée à l'effet conjugué de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie de mars 2016 et de la fermeture de la route des Balkans. Cette vague s'est déployée via trois routes principales : la première en Méditerranée orientale, à partir de la Turquie, la deuxième en Méditerranée centrale depuis la Libye. À celles-ci s'ajoute la route de la Méditerranée occidentale, dont l'Espagne est un point de passage depuis les pays d'Afrique du Nord. Cet espace devait soi-disant être sécurisé à l'intérieur et un tel phénomène migratoire interroge son efficacité.
La Grèce, avec ses 16 000 kilomètres de côtes et ses 4 000 îles, est confrontée à la difficulté de gérer ses frontières extérieures. J'ai moi-même été en poste en Grèce pendant quatre ans et j'ai pu constater que l'Europe avait dû mettre quelque six cents personnels de Frontex en 2016 pour assurer le fonctionnement des cinq hot spots qui y ont été implantés. Ainsi, ces hot spots se sont avérés poreux et quelque vingt-mille personnes se sont évaporées, faute de la capacité des Grecs de pouvoir traiter dans les délais impartis les demandes massives d'asiles.
La confiance a été érodée : certains pays, comme la Hongrie, ont proprio motu rétabli le contrôle frontalier intérieur, en érigeant, le cas échéant, des barrières. Les pays ont ainsi rétabli les contrôles d'initiative, par effet de domino, afin de répondre à une crise migratoire dont le pilotage n'a pas été globalement pris en compte par l'Europe.
L'espace Schengen présente également des problèmes d'ordre technique, à l'instar des mesures compensatoires. Il est illusoire de penser arrêter le terrorisme grâce à ces dernières. Toutes les installations dédiées aux contrôles aux frontières intérieures ont par ailleurs été démantelées et la libre circulation a été érigée au rang de principe supérieur. Pour preuve, l'article 9 du code frontières Schengen dispose que, pour tous les ressortissants, qu'ils viennent d'un État membre ou d'un État tiers, en cas d'engorgement des frontières extérieures, les contrôles peuvent être allégés. Ainsi, la fluidité pose problème, comme on peut le percevoir en France lors du renforcement des contrôles aux frontières qui suscite immédiatement les protestations des Aéroports de Paris, de l'Union des aéroports français (UAF), tant le citoyen est habitué à franchir les frontières de manière extrêmement rapide, sans contrôle aucun. Il faut donc trouver un juste équilibre entre sécurité et fluidité.
Le dispositif juridique est complexe. En effet, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne peut, en tout état de cause, dépasser deux ans. Or, la crise peut excéder de beaucoup une telle durée. Quels mécanismes peut-on alors mettre en place dans de telles circonstances ?
Davantage, nous ne sommes toujours pas en Europe sur une base de contrôle systématique. Je rappellerai qu'un trilogue existe entre la Commission, le Conseil et le Parlement pour modifier l'article 8-2 du code frontières Schengen, révision que M. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, avait proposée de manière à ce que l'ensemble des voyageurs soit contrôlé systématiquement, qu'ils soient bénéficiaires du droit à la libre circulation ou ressortissants de pays tiers. Aujourd'hui, en conformité avec le code frontières Schengen, les États membres, à l'exception de la France qui contrôle toutes les personnes, procèdent à des vérifications minimales sur les bénéficiaires du droit à la libre circulation qui consistent dans la plupart des cas à un contrôle visuel de concordance documentaire avec une possibilité de consulter systématiquement les bases de données d'Interpol sur les documents volés et perdus. Il n'y a pas de contrôle systématique - il doit être aléatoire et reste à la discrétion du garde-frontières - dans les bases de données sur les personnes (base personnes du SIS dans laquelle on retrouve les fameuses fiches « S »). Lorsqu'il s'agit d'un ressortissant d'un pays tiers, les vérifications doivent être approfondies et toutes les bases sur les documents et les personnes doivent être interrogées. Des questions sont également posées sur les conditions et l'objet du séjour.
Pour sauvegarder cet espace, qui connaît une crise d'efficacité et donc de légitimité, plusieurs voies ont été prises qui me paraissent constructives, quand bien même la durée de leur mise en oeuvre pose problème. Ainsi, à l'issue de onze ans de négociation, la publication de la directive sur les données des dossiers passagers de l'UE, dite directive PNR, de 2016 accorde un délai de deux ans aux États membres pour se doter d'un dispositif. En d'autres termes, il va falloir attendre 2018 pour voir le PNR européen fonctionner. On débat encore quant à la prise en compte uniquement des vols extra-communautaires ou si l'on inclut les vols intracommunautaires. Or, l'expérience montre qu'il est important de prendre en compte les vols intracommunautaires. En outre, les dispositions du PNR européen sont moins avancées que le contenu des préconisations françaises.
L'article 8-2 du code frontières Schengen va faire l'objet d'une modification afin de parvenir à un contrôle systématique de tous les voyageurs quel que soit le type de frontières. Toutefois, les États membres disposeront d'un délai de 6 mois, pouvant être prolongé pour une nouvelle période de 18 mois, pour mettre en place les contrôles systématiques aux frontières aériennes. Sur les frontières maritimes et terrestres, les États membres pourront demander une dispense des contrôles systématiques sur la base d'une analyse du risque réactualisée tous les 6 mois. On avance tout de même puisque la fluidité n'est plus le principe du contrôle qui devient progressivement systématique.
Deuxième aspect important : les travaux conduits sur l'Entry-Exit System (EES) qui devrait être mis en oeuvre en 2019-2020 et concerner les ressortissants extra-communautaires. La France, forte de son expérience, a souhaité que l'ensemble des voyageurs, y compris les bénéficiaires de la libre circulation, qui entrent par les frontières extérieures se soumettent à ce dispositif. La Commission demeure figée sur l'idée de ce système conçu en 2009 pour le contrôle des ressortissants extérieurs. Si l'on reste dans le système d'aujourd'hui, 60 % du flux demeureront extérieurs à ce système de traçabilité des entrées et des sorties. Ce système va également permettre de calculer automatiquement les durées de séjour et facilitera le travail des garde-frontières tout en améliorant la fluidité.
Enfin, l'ETIAS (European Union Travel Information and Authorisation System) - inspiré du système de l'ESTA (Electronic System for Travel Authorisation) américain - vise à mettre en place en amont via Internet un dispositif d'autorisation de voyage dans l'espace Schengen et permet d'obtenir une base de données sur les renseignements fournis.
En outre, le dispositif des hot spots est maintenu pour la prise en compte des flux de migrants. Il y a tout lieu de penser qu'avec 181 000 personnes arrivant de Libye en 2016 sur l'Italie - dont près de 37 000 personnes ont été interpellées sur le territoire national -, la voie de la Méditerranée centrale va rester extrêmement empruntée.
Enfin, le changement de statut de l'agence Frontex nous paraît également aller dans le bon sens. Jusqu'à présent, son fonctionnement relevait du volontariat des États et de l'entraide empirique. Son budget a été augmenté de manière significative et ses effectifs vont passer de 300 à plus de 700 personnes en trois ans. La création d'une force de réaction rapide et permanente, comprenant 1 500 garde-frontières, dont 170 Français, va pouvoir être déployée. De manière globale, l'agence va conduire des études de vulnérabilité, de manière à mesurer chaque mois ce que font les pays en matière de protection de leurs frontières. L'agence pourra ainsi engager des démarches vis-à-vis des pays dont elle estime que les flux de migrants ne sont pas assez maîtrisés. Par ailleurs, l'agence a aujourd'hui la possibilité d'organiser des vols retours, ce qui relevait précédemment des pays eux-mêmes. L'action de l'agence, à la place des États, dans ce domaine me paraît politiquement plus acceptable et techniquement plus efficace.
Enfin, une stratégie a été mise en place par l'UE impliquant la signature d'accords bilatéraux avec des pays-tiers, comme le Pakistan ou l'Afghanistan, afin d'obtenir plus facilement les titres de retour vers ces pays.
En guise de conclusion à mon propos, il me paraît important de faire une pause. Nous sommes dans un espace à vingt-six États avec des systèmes d'organisation policière très différente et une absence de vision commune de la gestion de la migration. Essayons de réfléchir ensemble comment rendre cet espace plus efficace et le rendre plus fidèle à ses principes et à son esprit constitutifs. Peut-être, la mise en oeuvre d'un espace à géométrie variable permettrait d'assurer le fonctionnement optimal de cet espace où l'économique a peut-être été trop privilégié au détriment de l'esprit de Schengen qui préconisait la fluidité de la circulation tout en se dotant de mesures compensatoires nécessaires pour garantir notre sécurité.
Certaines mesures me semblent devoir être envisagées pour renforcer l'espace Schengen. Il faudrait ainsi renforcer l'intégration européenne en créant une véritable police européenne des frontières, qui ne représente que l'un des aspects de la lutte antiterroriste. En effet, rétablir les frontières intérieures après un attentat terroriste me paraît une réponse quelque peu réductrice, même si elle est utile au regard de l'importance de l'échange d'informations entre les services de police et la constitution de bases communes.
Il faudrait aussi assurer l'interopérabilité des fichiers. Faut-il connecter l'ETIAS à l'EES, ou le système Schengen à EURODAC ? La France a déposé des propositions tout à fait sérieuses en ce sens.
Il faudrait moderniser et entrer dans une phase dans laquelle le système d'information Schengen puisse largement utiliser la biométrie. Or, ce système demeure balbutiant sur ce point : il est dépourvu de photos et d'empreintes génétiques. Il est également important que les Européens partagent une vision commune pour que le PNR soit efficace.
Il faut, à mon sens, pour que nous puissions fonctionner, que les garde-frontières européens projetés dans le cadre des actions rapides disposent des mêmes pouvoirs et capacités décisionnelles que leurs homologues des pays où ils sont déployés.
Enfin, je ne peux que saluer le travail accompli en interne avec le dispositif relatif aux interdictions administratives de territoire, les interdictions de sorties de territoire et le dispositif, en vigueur à compter du 15 janvier, rétablissant les autorisations de sortie de territoire pour les mineurs. Là aussi, ces dispositifs sont de nature à renforcer notre sécurité.
En outre, à l'aune des dernières évaluations Schengen de la France, en 2002, 2009 et 2016, la modernisation des outils de contrôle frontière doit être assurée. Il nous faut ainsi travailler sur la gouvernance en modernisant notamment le système COVADIS afin de pouvoir lire les contenus de la biométrie des puces des passeports.
Il faudrait également assurer l'accessibilité de la base des Titres Électroniques de Sécurité (TES) aux garde-frontières. Comment peut-on concevoir aujourd'hui qu'en cas de doute sur un document, ceux-ci doivent s'adresser à une préfecture, aux horaires des usagers, pour obtenir l'accès à cette base ? Il nous faut avoir l'historique d'un titre d'identité et les différentes photographies du dossier. Une telle démarche peut certes faire l'objet de débats d'ordre métaphysique sur la protection des libertés, mais je milite, pour ma part, en faveur de l'accès du garde-frontières à cette base.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le Directeur, de votre présentation claire et précise. Une question me vient immédiatement à l'esprit lorsque vous vous prononcez en faveur de la stabilisation de l'espace Schengen à 26 et l'éventualité d'un système à géométrie variable. Or, un tel fonctionnement entraîne ipso facto une gestion distincte des différentes frontières internes entre les pays qui composent cet espace. Comment cela fonctionnerait-il ? Par ailleurs, il semble que le partage de l'information, de la connaissance et des fichiers pose problème. Pensez-vous que les Européens souhaitent avancer sur ce point ? Faute d'une volonté politique forte, cette démarche ne sera pas assurée. Enfin, en pratique, quelle est la réalité de ce rétablissement des frontières physiques conformément aux dispositions du code frontière relatives aux circonstances exceptionnelles ?
M. David Skuli. - L'espace Schengen présente une dimension symbolique forte et sa fin entraînerait celle du projet européen. L'affirmation de son principe est déjà un succès. Pourquoi faut-il le stabiliser ? C'est un postulat géopolitique selon lequel la libre circulation à l'intérieur est le pendant du bon contrôle de l'extérieur. À la faveur de l'expérience, on s'aperçoit qu'on ne contrôle de manière optimale ni l'un ni l'autre ! Avant d'intégrer de nouveaux États, stabilisons l'espace et réduisons les failles que nous connaissons actuellement ! Tel est le sens de mon propos. Jamais le niveau de menace de notre pays n'a été aussi fort et je ne suis pas certain que les terroristes attendent 2018 pour commettre de nouveaux attentats. La confiance doit être constante entre les différents systèmes policiers, impliquant une réelle volonté d'échanger des informations, comme ce fut le cas entre la France et l'Espagne dans la lutte contre le terrorisme d'ETA. Éradiquer le terrorisme exige de coopérer à portes et services ouverts. Sans doute faudra-t-il promouvoir, davantage que par le passé, la confiance réelle et la capacité à réaliser en commun au sein de l'espace Schengen.
Le partage d'informations commence à être fructueux, même si cette évolution s'opère en raison d'événements tragiques. Ainsi, les Allemands ont toujours été réticents à partager leurs données, ce que, du reste, l'attentat de Berlin est de nature à faire évoluer. Le système d'information Schengen (SIS) demeure subordonné à ce que les fichiers contiennent. Or, les pays n'ont pas une pratique identique dans l'alimentation des fichiers de ce système. Certains échanges ont été opérés par les services de renseignement sur le terrorisme et le niveau des échanges me semble, pour l'heure, satisfaisant. La notion de « fiche S » est purement française et il serait important de connaître réellement et pratiquement toutes les personnes que les Allemands et l'ensemble de nos partenaires européens considèrent comme potentiellement très dangereuses. De telles informations vont de pair avec le contrôle des frontières. Nous n'avons toujours pas à ce jour de PNR européen et nous n'obtenons pas les données APIS (Advanced Passenger Information System) qui contiennent un grand nombre d'informations permettant d'inspecter les listes de passagers avant que ceux-ci n'arrivent sur notre territoire. Il faut décliner aux aspects maritime et ferroviaire une telle démarche, comme l'acte terroriste survenu dans le Thalys en souligne l'importance. Réduire la lutte contre le terrorisme au contrôle aux frontières s'avère illusoire, si celui-ci n'est pas accompagné par d'autres mesures.
Le contrôle aux frontières intérieures existe et s'avère efficace. Ainsi, plus de 61 000 non-admissions ont été prononcées depuis le 13 novembre dernier. En l'absence du contrôle aux frontières intérieures, ces personnes se trouveraient sur notre territoire national. Plus de 54 000 fiches de recherche, dont plus de 10 000 « fiches S », ont été détectées. Ce contrôle présente donc un certain intérêt. Quelle en est la réalité concrète ? Comment protéger 3 000 kilomètres de frontières terrestres ? Dans les installations aux frontières qui demeurent précaires, les fonctionnaires présents font preuve d'une très grande abnégation. Pour rétablir le contrôle aux frontières, il faut assurer sa conduite en mobilité. Disposons-nous des moyens informatiques pour le faire ? La réponse est négative. Il faut encore améliorer le système NEO en garantissant l'utilisation de la biométrie. En guise d'illustration, je prendrai un exemple concret. Si je procède à un contrôle dans le quartier de la Source à Orléans, il faut, qu'avec une tablette ou un smartphone, je puisse avoir accès aux bases de données Schengen et Eurodac et que je dispose d'un capteur multi-doigts me permettant de contacter la base des visas. Telle est la modernité du contrôle, qui repose sur l'interconnexion des fichiers, à laquelle il nous faut parvenir, si l'on ne souhaite pas rétablir des guérites à chaque kilomètre !
Cette réalité du rétablissement du contrôle des frontières intérieures est également fonction d'un contexte. Ainsi, près de 4 500 personnels sont postés aux frontières et ne peuvent par conséquent être déployés sur l'ensemble du territoire. Il nous a fallu fermer deux CRA - celui de Geispolsheim et celui d'Hendaye - afin de dégager des effectifs pour la frontière.
En outre, certains espaces traditionnels, dans les aéroports et les ports, doivent être modernisés en privilégiant les interfaces homme-machine. Nous n'aurons plus la possibilité de mettre en place les équivalents-temps-plein (ETP) suffisants pour faire face aux projections d'augmentation du trafic : près de 64 millions de passagers transitent aujourd'hui par Roissy et, dans trois ans, ils seront 80 millions. 1 600 de mes agents se trouvent déjà à Roissy. Comment pourrons-nous absorber le surplus de passagers avec un niveau de sécurité considéré comme bon ? Il faudra ainsi multiplier les dispositifs de contrôle automatique aux frontières, comme Parafe (Passage Automatisé Rapide aux Frontières Extérieures), en utilisant des technologies modernes comme la reconnaissance faciale, le pre-check, un système COVADIS aux performances améliorées. Il faudra affirmer le principe que l'on souhaite : soit la fluidité ou la sécurité. Allez aux États-Unis : l'attente dans les files y est bien supérieure à celle que l'on peut connaître dans nos aéroports et personne ne proteste ! Il manque à l'Europe une vision partagée de ce qu'il faut faire.
M. Jean-Claude Requier, président. - La commission d'enquête va effectuer un déplacement à Strasbourg, le lundi 6 février prochain. Serait-il possible de participer à des contrôles mobiles qui seront réalisés à la frontière avec l'Allemagne afin d'évaluer notamment l'état de la coopération avec nos voisins allemands ?
M. David Skuli. - Oui, bien sûr. Un contrôle fixe est organisé sur le Pont de l'Europe avec nos voisins allemands, ainsi qu'à Ottmarsheim. Je vous invite à vous rapprocher de mon secrétariat pour organiser un tel déplacement. Vous comprendrez là tout l'intérêt du contrôle en mobilité et des modalités flexibles du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Si l'on sauve l'espace Schengen, il faudra réfléchir à de nouvelles modalités qui permettent à un État de rétablir ses contrôles intérieurs. Doit-on encore considérer qu'une crise ne dure que deux ans, durée maximum autorisée du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures quelle que soit l'option ? Comment doter les États des moyens nécessaires à l'organisation de contrôles intérieurs, malgré le démantèlement des implantations survenu en 1995 ? Ainsi, développons de manière forte la technologie qui nous permet d'assurer des contrôles en mobilité. C'est ce pour quoi je milite afin de nous doter des capacités de faire face à une crise de manière autonome.
M. Didier Marie. - J'aurai deux questions. Schengen est un espace de libre circulation des personnes et des marchandises. De quelle façon êtes-vous coordonné avec le service des douanes ? D'autre part, un grand débat a eu lieu sur la protection des données personnelles. Quels problèmes juridiques se poseraient si vos préconisations étaient mises en oeuvre ?
M. David Skuli. - Schengen est un espace de libre circulation des personnes et des marchandises. Une circulaire du 6 novembre 1995 a réparti les compétences entre la douane et la police aux frontières qui est davantage spécialisée sur les contrôles aux personnes. Ainsi, sur les 118 points de passage frontaliers extérieurs où un contrôle transfrontalier est opéré, 74 incombent à la douane et 44 sont laissés à la police aux frontières. Dans le cadre du rétablissement du contrôle frontière intérieur, on parle désormais de points de passage autorisés (PPA) qui sont au nombre de 285 : 154 relèvent de la police aux frontières et 131 relèvent de la douane. Votre question m'amène à rebondir sur la création de ces points de passage autorisés. En France, aucune infraction n'est prévue si l'on contourne ces points de passage pour franchir la frontière. Quel est l'intérêt d'une mesure n'impliquant pas de sanction ? La circulaire de 1995 prévoit les répartitions territoriales et fonctionnelles entre la douane et la police. On a profité de l'implantation des douanes pour assurer la mutualisation. Historiquement, les douanes ont toujours été placées aux frontières et il n'était pas important que la police se trouve dans les points de passage où elles se trouvaient déjà. Désormais, dans le cadre du rétablissement des frontières intérieures, si nous avons une coordination avec la douane, force est de constater que celle-ci demeure très ancrée sur son corps de métier qui est de contrôler la marchandise, comme en témoigne le faible nombre de non-admissions qu'elle prononce. La logique du fonctionnement de la douane est distincte de celle de la police, puisque celle-ci, à l'inverse de la police, laisse d'abord entrer sur le territoire national avant de procéder à un contrôle. La police, quant à elle, en contrôlant sur la frontière, évite qu'on y pénètre. La police s'occupe ainsi des vingt-deux plus gros aéroports français et est compétente pour les points de passage frontaliers (PPF) qui sont créés par les préfets de départements. Sans doute faudrait-il une instance nationale régulant leur implantation. En effet, le préfet doit aujourd'hui répondre aux demandes d'ouverture de PPF, de manière locale, sans réelle coordination nationale. Comment est-il possible d'armer ces points de passage frontaliers, au risque de créer une vulnérabilité qui s'apparente à une passoire ? De l'« Europe forteresse », on passe ainsi à une forme d'« Europe passoire » ! Telle est la crise de légitimité de l'espace Schengen que j'évoquais précédemment.
La protection des données fait aujourd'hui débat, comme en témoigne la création du fichier TES, qui résulte de la fusion des fichiers des cartes d'identité et des passeports. Aujourd'hui, existe-t-il un obstacle juridique à permettre l'accès des services ? Cet obstacle me paraît davantage de nature politique : à la condition que l'on réponde aux exigences de la Commission nationale informatique et liberté et, plus largement de l'État de droit, il faut concilier la protection de l'État avec le juste équilibre entre la liberté et la sécurité. Je ne vois pas aujourd'hui d'obstacle particulier : à chaque fois que le droit communautaire intervient, nous modifions les textes. Ainsi, l'arrêt Melki nous indiquait l'impossibilité de conduire sans limite des contrôles sur la bande des vingt kilomètres, une telle démarche revenant à transposer les contrôles de la ligne frontière à l'intérieur du territoire national. Le code de procédure pénale a été dûment modifié et on a limité la durée du contrôle, dans la bande des vingt kilomètres, à six heures. Aujourd'hui, je ne vois pas ce qui empêche un policier ou un gendarme de consulter le fichier TES. Il me paraît anormal qu'il soit impossible d'obtenir des informations sur un ressortissant communautaire ; cette incapacité étant valable à l'ensemble de l'espace. En Europe, il existe la base iFADO (False and Authentic Documents Online) qui recense les fac-similés des différents documents d'identité délivrés par les pouvoirs publics de chaque Etat membre, mais il n'existe pas de dispositif en Europe pour contrôler la validité des titres à l'échelle communautaire ! Il faut ainsi permettre a priori le contrôle, car il est impossible de déléguer le contrôle à des policiers et à des douaniers sans leur donner les moyens d'exercer leur mission.
On ne peut, par ailleurs, faire reposer sur le contrôle aux frontières l'absence de consensus européen. Pour preuve, les pays européens sont en désaccord pour désigner quels sont les pays considérés comme sûrs, à l'instar de ce qui s'est produit pour le Kosovo. Aujourd'hui, les Allemands refusent les demandes d'asile des Albanais que nous acceptons ! Ce domaine dépasse ma responsabilité, mais illustre l'exigence d'une cohérence européenne en la matière. Il n'y a donc pas d'obstacle à conduire les contrôles, une fois assurés les garde-fous et accordée la confiance aux personnes auxquelles on a délégué notre sécurité.
- Présidence de M. Didier Marie, vice-président -
M. Jean-Louis Tourenne. - Merci pour votre exposé riche et pédagogique. Ma première question portera sur les hot spots. Faut-il les implanter à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne ? Leur implantation extérieure repose sur la capacité des pays extérieurs qui les accueillent à faire fonctionner le système, à posséder un régime politique fiable et à ne pas rendre l'Union européenne par trop dépendante à un éventuel chantage sur ce thème. Ma seconde question portera sur la relocalisation à la suite du Règlement de Dublin. Une répartition doit s'opérer à l'échelle de l'Union, mais quels sont les moyens dont cette dernière dispose en la matière, c'est-à-dire pour s'assurer que les pays accueillent les migrants conformément à ce qui leur est demandé ?
M. David Skuli. - Votre seconde question, qui concerne les relocalisations, ne relève pas de ma compétence. Le Règlement de Dublin figure parmi les seuls outils dont nous disposons pour nous adresser aux nationalités extérieures à l'Union européenne, comme le Pakistan ou encore l'Afghanistan. Il importe de mettre en oeuvre un mécanisme de régulation et d'évaluation, sans présager de la situation de certains pays qui, du fait du nombre conséquent de migrants qu'ils ont déjà accueillis, ne souhaitent plus en accueillir de nouveaux au titre de ces accords.
Les hot spots fonctionnent, bien que de manière imparfaite. En effet, dans les hot spots grecs situés dans le Dodécanèse, 2 000 migrants arrivaient quotidiennement. Depuis la signature de l'accord avec la Turquie, leur nombre a baissé à une centaine par jour. Comme vous l'avez évoqué, cet accord demeure soumis au bon vouloir des Turcs qui ont posé deux conditions très strictes : la libéralisation des visas pour leurs ressortissants et l'obtention d'un financement considérable par l'Union. Un tel accord demeure fragile.
Ces hot spots sont des centres de tri des migrants qui peuvent être, le cas échéant, renvoyés. Je n'ai pas connaissance, hormis les 821 personnes qui ont été renvoyées, conformément à l'accord entre l'Union et la Turquie, que de l'Italie ou de la Grèce, de nombreux migrants aient été renvoyés vers leur pays d'origine. C'est une vraie interrogation. Ne doit-on pas plutôt créer des centres dans les pays d'origine ? Ce débat est posé et doit faire appel à des considérations d'ordre diplomatique. L'absence de garanties relatives au respect des droits de l'Homme dans ces pays peut faire obstacle à la mise en oeuvre de cette formule. Comment l'Europe peut-elle aider ces pays ? Certes, le concept de hot spot est une réponse de l'Union européenne à cette crise migratoire sans précédent et à la désorganisation des pays d'origine. Il a également ramené un peu de sérénité dans l'espace Schengen. Il nous faut à présent travailler sur la notion du retour et la mise en oeuvre d'une politique cohérente. À l'intérieur de l'Union, le hot spot n'est concevable qu'à la condition de disposer d'un mécanisme de renvoi des personnes vers leur pays d'origine. Un tel mécanisme n'est pas, à proprement parler, efficace ni commun à l'ensemble des États membres, ne serait-ce qu'en matière de droit d'asile. Peu importe l'endroit où le hot spot se trouve, quand bien même sa situation en amont éviterait les décès lors des traversées. Cependant, les migrants sont avant tout renvoyés d'un pays européen à un autre.
M. Philippe Kaltenbach. - Est-on revenu aux contrôles que l'on connaissait avant 1995 à la suite des attentats terroristes et dispose-t-on, le cas échéant, de moyens comparables à ceux de cette période ? Par ailleurs, les moyens à déployer contre le terrorisme me semblent différents de ceux de la lutte contre l'immigration illégale. Enfin, le système Parafe me paraît efficace lorsqu'il fonctionne. Comment développer un tel système ? Je crois, tout comme vous, aux outils numériques qui peuvent nous permettre de traiter deux questions connexes, à savoir la facilitation de l'activité transfrontalière et le développement du tourisme intra-zone. Ainsi, des solutions spécifiques peuvent-elles être mises en oeuvre, dans la durée, pour faciliter l'activité transfrontalière et aussi le tourisme à la journée qui sont tous deux une réussite de Schengen ?
M. Pascal Allizard. - Je vous remercie pour la précision de votre exposé. Vous avez évoqué que les accords avec les pays hors Schengen, comme le Pakistan qui présente des foyers terroristes et des attentats au moins aussi nombreux qu'en France. Je préside le groupe d'amitié France-Pakistan et nous avons connu une mini-crise avec un ressortissant pakistanais, à la fin juin. Comment analysez-vous cette défaillance, soit entre les deux pays, soit dans nos propres procédures ?
Mme Gisèle Jourda. - Je vous remercie de votre exposé très clair dans lequel vous avez évoqué le PNR. Or, celui-ci ne devrait pas voir le jour avant 2018, ce qui soulève notre interrogation sur la réactivité de l'espace européen face à des menaces qui sont immédiates. En tant que membre de la commission des affaires européennes, je proposerai à notre président que nous nous penchions sur les mesures à prendre pour améliorer la réactivité européenne dans ce domaine. Je crois, tout comme vous, en la valeur de l'espace Schengen auquel se réfèrent notamment les jeunes générations. Or, l'harmonisation des documents d'identité et des conditions de leur délivrance ne me paraît pas suffisamment assurée. Les politiques de sécurité et de défense étant désormais d'ampleur européenne, il me paraît difficile d'éluder une telle question.
M. David Skuli. - Depuis le 13 novembre, nous avons mobilisé entre 4 000 et 4 500 personnes - ce nombre variant en fonction des événements comme l'Euro ou la COP-21 - pour le rétablissement du contrôle des frontières. Des douaniers se sont joints à nous, ainsi que des forces plus généralistes dans la bande des 20 kms. Le contrôle aux frontières n'est pas de même nature que celui de 1995. À l'époque, tous les pays étaient dans la logique de contrôler leurs frontières. La PAF comprenait alors 6 000 agents, dont 4 000 étaient déployés pour le contrôle aux frontières. Aujourd'hui, la logique qui a prévalu après Schengen était de s'orienter vers les territoires car les flux migratoires y sont d'installation ou de transit. Nous disposons également d'outils plus performants et intégrés aujourd'hui qu'en 1995.
Le contrôle d'aujourd'hui, s'il conjugue les aspects aléatoires et dynamiques avec les moyens de pouvoir accéder aux bases de données, s'avère sans doute plus efficace. Cependant, il ne saurait être infaillible, puisqu'un système de surveillance, par essence, ne saurait être totalement hermétique.
Certains accords transfrontaliers impliquent des démarches plus souples vis-à-vis de travailleurs transfrontaliers identifiés : entre la Sarre et l'Est notamment, on partage des espaces communs. Il faut développer ce type d'accord de petit trafic frontalier. Si je partage votre analyse économique sur l'espace Schengen, je dois reconnaître que notre vie a changé à la suite des attentats de 2015 et 2016. Le terrorisme modifie l'activité économique et les contrôles seront accrus. Il est impossible de concevoir un système partiellement renforcé pour lutter contre le terrorisme. Notre vie a profondément changé et les contrôles demeureront effectifs tant que durera la menace terroriste. Or, celle-ci va durer longtemps. Il faut limiter l'impact sur l'activité économique, mais je ne peux répondre positivement à la demande de faire transiter les personnes à l'Aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en moins de trente minutes. Les contrôles vont ainsi être renforcés.
L'augmentation des dispositifs de contrôle automatisé aux frontières et l'utilisation des technologies à reconnaissance faciale plutôt que dactylaire permettent d'absorber des trafics passagers dans de bonnes conditions de sécurité. En effet, la reconnaissance faciale permet de prendre toutes les données des puces biométriques avec un niveau de fiabilité reconnu, sans devoir échanger des certificats pour obtenir l'accès aux bases. Aujourd'hui, 41 sas ont été déployés à Roissy, Orly et Marseille et nous devrions atteindre le chiffre de 81 sas dans les trois années qui viennent. D'après nos estimations, il faudrait en implanter près de 160, en intégrant l'ensemble des plateformes parisiennes. Nous avons ainsi créé la fonction de policier superviseur qui contrôle cinq sas, lesquels ne sont, pour le moment, destinés qu'aux ressortissants européens. Il faudrait les ouvrir aux ressortissants des pays tiers, en y ajoutant un capteur multi-doigts afin de consulter la base VIS et avant de les diriger vers une aubette où sont vérifiées par un garde-frontières les justificatifs liés aux conditions de leur séjour.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés aux deux défis que sont les flux migratoires et le terrorisme. On ne peut exclure, avec l'état de délabrement de la Libye, que des terroristes se soient introduits dans le flux des migrants, à l'instar des deux terroristes du Stade de France ou des ressortissants tunisiens abattus à Milan après s'être rendus en Allemagne. Je n'irai pas jusqu'à dire que tout migrant est un terroriste, mais on ne peut exclure l'infiltration de certains d'entre eux parmi les 181 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée depuis la Libye. L'interopérabilité des bases permettra de répondre à ces deux défis. Si le système d'information Schengen comportait de la biométrie et disposait d'un accès à EURODAC garantissant le croisement des données, la coordination avec les autorités étrangères en serait rendue plus aisée.
On passe des accords avec des pays comme le Pakistan qui prévoient notamment la durée de trente jours pour la délivrance de laisser-passez, sachant que la durée de rétention n'excède pas, en France, quarante-cinq jours. Or, le Pakistan ne respecte pas de tels délais afin de paralyser notre action. Tant au niveau européen, comme l'a souligné Mme Angela Merkel, qui a menacé de supprimer les aides bilatérales au développement à la Tunisie si elle refusait de reprendre leurs ressortissants déboutés du droit d'asile. Pacta sunt servanda. L'affaire du Pakistan a été réglée lorsque nous avons refusé le visa à vingt-huit personnes. Cette démarche me paraît tout à fait pertinente. En effet, quel est l'intérêt d'un accord sur lequel vous ne disposez d'aucun moyen de rétorsion ? De nombreux accords rencontrent cet écueil, comme celui avec le Mali qui nous refuse, en permanence, le retour de nombre de leurs ressortissants. Une telle réalité me dépasse et concerne à la fois la représentation nationale et le ministère des affaires étrangères. Vous n'êtes respecté dans un accord que si celui-ci est synallagmatique. Rétablissez le visa pour les Albanais et le nombre de demandes d'asile sera réduit ! Une telle démarche dépasse mes compétences, mais il importe de clarifier ce qu'attendent les pays. On peut renvoyer aujourd'hui à Kaboul et j'ai proposé que tous les Kurdes irakiens qui ont été pris dans des filières de traite d'êtres humains soient renvoyés dans leur pays d'origine. Il faudrait engager prioritairement des démarches en vue du retour de ces personnes condamnées par nos tribunaux vers leur pays d'origine.
Enfin, si le PNR ne sera opérationnel au niveau européen qu'en 2018, il est d'ores et déjà mis en oeuvre à l'échelle nationale, tout comme en Angleterre et en Espagne. Certes, tous ces dispositifs européens, que j'ai cités, vont dans le bon sens. Il y a là un effort de compréhension mutuel à conduire, qui implique notamment des capacités linguistiques dont est pourvue la PAF au-delà des autres unités de la police nationale. En outre, la temporalité peut poser problème. Il faut ainsi conduire une réflexion sur le temps d'application des mesures en fonction de la menace à laquelle on est confronté.
Enfin, un titre européen existe, conformément à un règlement de 2008 qui précise les éléments homogènes que doivent contenir les papiers d'identité délivrés dans l'espace Schengen. Notre carte nationale d'identité répond ainsi à des standards élaborés par l'Europe. En revanche, la capacité de vérifier entre États la véracité du titre est lacunaire. D'ailleurs, la base iFADO permet aux garde-frontières de vérifier la conformité des titres avec des fac-similés officiels. Le problème réside pour nous davantage dans l'accès aux bases des titres européens que dans la façon dont ils doivent être réalisés.
M. Didier Marie, président. - Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, pour cette présentation et votre disponibilité à nous répondre. Chacun de nous a pu tirer profit de votre audition très intéressante. Je vous en remercie.
La réunion est close à 12 h 36.