Mercredi 21 décembre 2016

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Proposition de loi visant à abroger la loi du 8 août 2016 dite « Loi Travail » - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 10 heures 40.

EXAMEN DU RAPPORT

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Nous avons encore tous en tête la très large mobilisation citoyenne qui avait accompagné chacune des étapes de l'examen de la loi « Travail ». Cette opposition n'a jamais faibli et reste aujourd'hui encore très vive.

Quatre mois après la promulgation de ce texte, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée par le groupe communiste, républicain et citoyen, vise à l'abroger et exprime le rejet total de ses orientations libérales qui remettent en cause les droits fondamentaux des salariés. Sa mise en oeuvre ne l'a pas rendue plus acceptable, bien au contraire, ainsi que le démontrent les premières mesures d'application.

Les travaux que j'ai menés, dans des délais très réduits, ont confirmé cette analyse. J'ai pu recevoir trois syndicats, la CGT, la CFE-CGC et Solidaires, qui m'ont confirmé leur hostilité à ce texte. J'ai également rencontré le cabinet de la ministre et reçu des contributions de six organisations syndicales ou patronales.

La loi « Travail », avec 123 articles, nécessite environ 140 décrets d'application. À ce jour, 60 restent à prendre et l'objectif de 80 % que le Gouvernement s'était fixé pour la fin de l'année devrait être atteint. Celui-ci vise maintenant une application totale de la loi à la fin du premier trimestre 2017.

Dans un premier temps, le ministère du travail a donné la priorité aux aspects les plus contestables du texte, en particulier l'article 8 qui réforme les règles en matière de durée du travail. Il est clair que le Gouvernement s'est hâté de donner aux employeurs les outils pour tirer profit des reculs sociaux portés par la loi, en particulier de l'inversion de la hiérarchie des normes.

Sur la forme, le Gouvernement a fait le choix d'ignorer la loi Larcher en élaborant son projet de loi sans concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux et en sélectionnant des interlocuteurs privilégiés. Au terme d'un raisonnement, pour le moins surprenant, le Conseil d'État a pourtant estimé que le Gouvernement avait respecté, sinon la lettre, du moins l'esprit de l'article L.1 du code du travail. Ce blanc-seing ne saurait toutefois masquer un grave défaut de concertation.

Ce manque de considération à l'égard des partenaires sociaux s'est accompagné d'un passage en force à l'Assemblée nationale avec l'engagement, à trois reprises, de sa responsabilité par le Gouvernement. Il a été incapable de s'appuyer sur une majorité unie. Quelle ironie d'entendre aujourd'hui celui qui a employé ce procédé autoritaire appeler à son abrogation...

Contrairement aux députés, les sénateurs de tous les groupes politiques ont eu l'occasion d'exprimer leurs points de vue tant en commission que pendant les deux semaines de débat en séance publique. Je vous rappelle néanmoins brièvement nos principaux griefs à l'encontre de cette loi.

Tout d'abord, elle engage une refonte du code du travail qui consacre la suppression du principe de faveur, pourtant l'un des fondements de notre droit du travail, et l'inversion de la hiérarchie des normes.

Pendant longtemps, la négociation collective ne pouvait modifier les règles du droit du travail que dans un sens plus favorable aux salariés. Dans le prolongement de la loi du 4 mai 2004, de nombreux textes défendus aussi bien par des gouvernements de droite que de gauche ont remis en cause ce principe.

La loi « Travail » aggrave ce recul par une nouvelle organisation du droit du travail qui distingue les dispositions légales définissant l'ordre public, celles qui relèvent de la négociation collective et celles qui s'appliquent à titre supplétif en l'absence d'accord. Sur nombre de sujets, la loi donne la primauté à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, répondant ainsi à l'une des demandes phares du Medef.

Les salariés sont abandonnés à leur sort face à l'employeur qui voit s'étendre le champ de ses moyens de pression pour augmenter ses profits au détriment de leurs conditions de travail et de leur santé.

L'application de cette nouvelle architecture aux dispositions relatives à la durée du travail et aux congés, par l'article 8 du texte, nous donne déjà un avant-goût du code du travail de demain et aggrave la situation issue de la loi du 20 août 2008. Et ce ne sont pas les mesures précisant la composition de la future commission des experts chargée de refondre le code du travail qui rassureront les syndicats de salariés : ceux-ci y sont en effet marginalisés.

Désormais, le cadre protecteur et harmonisé de la branche ne s'applique plus, en cas d'accord d'entreprise, pour le taux de majoration des heures supplémentaires, qui peut être abaissé à 10 %. Un accord de branche ne peut plus empêcher le dépassement temporaire de la durée maximale hebdomadaire de travail de jour comme de nuit.

C'est mal connaître la réalité des relations sociales dans la plupart des entreprises françaises aujourd'hui et le vécu des salariés et de leurs représentants que d'espérer que cette inversion de la hiérarchie des normes leur sera favorable. En effet, le lien de subordination qu'ils entretiennent avec l'employeur et son pouvoir de sanction rendent fictive l'équité entre les parties amenées à négocier en entreprise.

Il est donc pour le moins naïf de penser qu'imposer cette inversion de la hiérarchie des normes puisse apaiser les relations sociales en entreprise : cela pourrait au contraire les tendre. La branche, comme l'a justement souligné le représentant de la CFE-CGC lors de son audition, est le niveau où remontent les préoccupations de terrain et où elles sont traitées, mais le Gouvernement vient d'offrir aux grandes entreprises une boîte à outils pour s'en émanciper et faciliter le dumping social et économique.

Ces orientations sont, non seulement combattues par la majorité des syndicats de salariés, mais également dénoncées par les autres organisations patronales. Aux yeux de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) et de l'Union des entreprises de proximité (U2P) qui vient de succéder à l'Union professionnelle artisanale (UPA), ce sont bien les branches professionnelles qui doivent assurer la régulation nécessaire au maintien d'une saine concurrence entre toutes les entreprises d'un secteur d'activité, quelle que soit leur taille.

Sur ce point, la loi « Travail » annule les avancées conquises par les accords de Matignon de 1936 qui avaient permis l'extension des accords de branche et qui sont à l'origine de la très bonne couverture conventionnelle des salariés en France, supérieure à 90 %. Celle-ci va, dans les faits, devenir purement virtuelle si les entreprises peuvent s'émanciper de quasiment toutes les stipulations des conventions collectives par un simple accord, même s'il est défavorable aux salariés.

En outre, la loi « Travail », sous couvert de quelques avancées en direction des syndicats de salariés, affaiblit gravement le dialogue social.

Malgré quelques mesures techniques et de portée limitée qui vont dans le bon sens, notamment en matière de formation, la légitimité de l'action syndicale sera affaiblie par la possibilité, pour des organisations minoritaires, d'obtenir l'organisation d'un référendum d'entreprise pour valider un accord rejeté par les syndicats majoritaires. Croit-on sérieusement renforcer le dialogue social en jouant la carte de la division et de la défiance au sein des entreprises ?

Par ailleurs, la loi « Travail » facilite les licenciements et va aggraver la précarité des salariés les plus fragiles.

Reprenant la philosophie des accords de compétitivité défendus par la précédente majorité présidentielle tout en supprimant les nombreuses protections encadrant le recours aux accords de maintien de l'emploi créés par la loi du 14 juin 2013, les nouveaux accords de préservation ou de développement de l'emploi constituent un outil de dérégulation sociale sans précédent.

Les salariés seront obligés de travailler plus sans gagner plus et ceux qui refusent s'exposent à un licenciement que la loi refuse de qualifier d'économique pour ne pas leur appliquer les mesures protectrices qui en découlent. Le Gouvernement rétorque que seuls des syndicats majoritaires pourront signer ces accords mais comment garantir un rapport de force équilibré quand un employeur fait du chantage à l'emploi ?

Un premier exemple se déroule sous nos yeux dans la branche de la métallurgie, qui vient d'autoriser une modulation du temps de travail sur trois ans, faculté ouverte par la loi « Travail ». Les salariés seront les grands perdants puisque la rémunération d'une partie des heures supplémentaires sera décalée dans le temps ou amputée.

Chez Renault, ancienne entreprise nationale et laboratoire des luttes sociales dans notre pays, la direction négocie un nouvel accord de compétitivité pour les années 2017-2019, alors même que le groupe réalise des performances exceptionnelles avec un résultat net de 2,8 milliards d'euros en 2015 et une marge opérationnelle de 5 %, soit l'une des plus élevées au monde dans l'industrie automobile.

La direction cherche à exploiter au plus vite les nouvelles possibilités de la loi « Travail », en renforçant la flexibilité. En contrepartie des nouveaux sacrifices imposés à ses salariés, le patron de Renault s'engagerait à ne fermer aucune usine en France, à maintenir l'effort de recherche et développement, à embaucher 3 600 personnes en CDI et à diminuer de moitié le nombre d'intérimaires. Il faut toutefois préciser que ces recrutements ne compenseraient ni les 4 500 départs naturels à la retraite que l'entreprise connaîtra durant cette période, ni les 7 500 suppressions d'emplois qui ont suivi l'accord de 2013. De plus, la productivité par salarié serait très sensiblement augmentée.

La loi a également facilité le recours aux licenciements économiques en définissant les situations dans lesquelles des difficultés économiques sont présumées constituer des causes réelles et sérieuses de licenciement. Ainsi, depuis le 1er décembre dernier, dans une entreprise employant plus de trois cents salariés, un employeur peut procéder à des licenciements économiques dès lors qu'il constate une baisse significative de ses commandes ou de son chiffre d'affaires pendant au moins un an.

Dans ces conditions, comment éviter que des groupes organisent artificiellement des difficultés économiques dans une entité jugée peu rentable pour justifier des licenciements ? Jusqu'à présent, les juges examinaient l'ensemble des données d'une société et la conjoncture de leur marché pour soupeser ses difficultés économiques ; la pierre angulaire de leur appréciation était le résultat net et il n'était pas légitime qu'une entreprise faisant des bénéfices licencie pour motif économique.

En outre, cette loi ne remédie pas aux dégâts que provoquent les règles européennes en matière de détachement de travailleurs. Je n'ignore pas les nombreuses mesures prévues, comme la possibilité, pour l'inspection du travail, de suspendre l'activité d'une entreprise lorsque l'employeur ne lui a pas remis la déclaration préalable de détachement des travailleurs. Toutefois, aucun décret d'application n'a été publié à ce jour !

Du reste, ce ne sont là que des expédients tant que la directive concernant le détachement de travailleurs n'aura pas été révisée de fond en comble. Il faudra aller plus loin que le projet proposé le 8 mars dernier par la Commission européenne qui se heurte à la forte opposition des pays de l'Est. La ministre a annoncé faire pression sur nos voisins pour obtenir la révision de cette directive. Il faudra également revoir le règlement du 29 avril 2004 qui fixe le principe selon lequel les règles de l'État d'origine s'appliquent en matière de sécurité sociale car il engendre une concurrence déloyale. Mais face à l'intransigeance de certains pays, la France ne devrait-elle pas prendre des mesures dérogatoires comme Manuel Valls, alors Premier ministre, l'avait lui-même envisagé, ou suspendre l'application de la directive ?

Enfin, la loi « Travail » dénature les missions de la médecine du travail à travers la suppression de l'universalité de la visite d'aptitude à l'embauche. En effet, à compter du 1er janvier prochain, les salariés ne conserveront qu'une simple visite d'information et de prévention effectuée après leur embauche par un professionnel de santé membre de l'équipe pluridisciplinaire, par exemple un infirmier. Le principe de visites périodiques tous les vingt-quatre mois est lui aussi supprimé.

Ces dispositions éloigneront définitivement les salariés de la médecine du travail. Elles entérinent un suivi médical à plusieurs vitesses ; la périodicité des visites dépendra de la décision individuelle de chaque médecin. Le projet de décret présenté aux partenaires sociaux porte en effet à cinq ans le délai maximal entre deux visites médicales périodiques. Pour les salariés qui feront l'objet d'un suivi individuel renforcé, ce délai est fixé à quatre ans. Il sera de trois ans pour les travailleurs mineurs, les travailleurs de nuit et les travailleurs handicapés.

Le Gouvernement prétend adapter sa stratégie à la diminution continue du nombre de médecins du travail, à laquelle il se résigne trop facilement. En réalité, la voie qu'il choisit conduira inévitablement à une sélection médicale de la main-d'oeuvre, à rebours de toutes les actions de prévention en matière de santé au travail.

Ainsi, la loi « Travail » modifie la procédure de recours contre l'avis d'aptitude qui sera désormais porté devant les prud'hommes, l'inspection du travail se trouvant dessaisie. Le juge prud'homal est maintenant chargé de désigner un médecin-expert dont la décision se substituera à celle du médecin du travail. Compte tenu de l'engorgement des juridictions prud'homales, cette réforme est préjudiciable aux salariés, d'autant plus que le coût des expertises médicales sera intégralement à leurs frais en cas de contestation de leur part.

Par ailleurs, le décret d'application relatif au repérage de l'amiante avant travaux, l'une des principales recommandations du comité de suivi sur l'amiante mis en place en 2014 par notre commission, n'a toujours pas été publié. Le Gouvernement, contrairement aux engagements pris au Sénat, tarde aussi à rendre public son plan interministériel de lutte contre les risques liés au désamiantage.

Vous pouvez le constater, les quelques avancées de la loi « Travail », comme la création du compte personnel d'activité ou la généralisation de la garantie jeunes, ne peuvent contrebalancer tous ces reculs sociaux.

Il aurait pourtant été possible de dessiner les contours d'un nouveau code du travail, rénové et simplifié, répondant aux évolutions technologiques, économiques et sociales, tout en rétablissant et étendant les protections des salariés et leur pouvoir d'intervention. Ce n'est manifestement pas la voie choisie par le Gouvernement, bien au contraire.

C'est pourquoi je vous invite à adopter cette proposition de loi d'abrogation afin d'envoyer un message fort au Gouvernement et à nos concitoyens. Ils n'attendent pas du législateur qu'il démantèle notre modèle social, fruit des luttes passées et garant de la cohésion nationale, mais qu'il assure sa préservation et son développement.

M. Michel Amiel. - Notre société évolue, l'exercice de la médecine aussi. Le désenchantement dont il est victime, en particulier dans la médecine du travail, entraîne un manque de médecins du travail. Dès lors, soit on se voile la face et on continue comme avant, en toute illégalité, ce qui signifie que les missions de la médecine du travail ne sont pas remplies, soit une refonte complète est entreprise. J'aurais voulu une vraie loi consacrée à la seule question de la médecine du travail, et même plus largement celle de la santé au travail.

Cependant, le principe prévu par le texte d'une prise en charge des salariés par des équipes pluridisciplinaires - un peu comme cela se fait en psychiatrie - est un pis-aller, certes, mais relativement efficace et n'est pas préjudiciable à la santé des salariés. Les équipes restent dirigées par un médecin du travail.

Nous embauchons dans cette fonction un grand nombre de médecins qui n'ont pas toujours cette qualification spécifique - c'est le cas, par exemple, dans le centre de gestion de la fonction publique territoriale des Bouches-du-Rhône, dont je préside le conseil d'administration. Dans ce cas, nous les formons. En effet, nous sommes confrontés à une carence de médecins du travail et la situation n'a aucune chance d'évoluer. La fonction n'est pas attractive, non pas pour des raisons financières mais en raison d'un mode d'exercice qui ne séduit pas les jeunes médecins. En conséquence, les postes de médecine du travail à l'examen national classant (ENC) ne sont pas pourvus.

Les dispositions de la loi « Travail » constituent par conséquent un expédient acceptable en attendant une refonte de la spécialité et une approche rénovée de la médecine du travail par un nouveau texte.

Mme Nicole Bricq. - Voilà une proposition de loi radicale qui prend appui sur l'article 8 de la loi, relatif à la durée du travail et aux accords d'entreprise et l'article 67, relatif au licenciement économique, contestés au Parlement et dans la rue, pour rejeter l'ensemble du texte. C'est comme si l'on coulait un navire au prétexte qu'il transporte deux passagers indésirables... Cette attitude compromettrait de nombreuses avancées issues de la loi « Travail ».

Je peux comprendre l'attitude du groupe Communiste républicain et citoyen (CRC), qui exerce la fonction tribunicienne d'un groupe d'opposition - et il a raison de le faire...

Mme Laurence Cohen. - Merci de votre autorisation !

Mme Nicole Bricq. - Mais je m'interroge sur le calendrier : le texte arrivera en séance le 11 janvier, juste avant la primaire socialiste...

La loi apporte de nouveaux droits aux salariés. Elle comporte un grand nombre d'articles d'application directe, comme ceux qui touchent aux accords de branche. Or on voit d'ores et déjà des accords se conclure : ainsi l'accord de branche de la métallurgie, critiqué par le rapporteur, n'a pas été signé par la CGT mais elle ne s'y est pas opposée et la CFE-CGC et FO, qui ont manifesté contre la loi « Travail », l'ont approuvé. Certains accords sont signés, d'autres ne le sont pas, mais toujours en fonction de la réalité de l'entreprise ou de la branche.

Quant aux 130 décrets d'application, selon mon décompte, la ministre du travail s'est engagée à en prendre 80 % avant la fin de l'année, et cet objectif sera atteint. Un grand nombre de mesures, dont celles qui concernent la durée du travail, entreront en application au 1er janvier 2017.

De plus, les dispositions relatives aux droits syndicaux donnent aux organisations des armes pour améliorer le rapport de force dans les négociations qui s'engagent. C'est important, au moment où François Fillon annonce son intention de légiférer par ordonnances - mais c'est peut-être ce que le groupe CRC préfère ? Le président Gérard Larcher est chargé de déminer le terrain en recevant les organisations syndicales qui ont compris que l'atterrissage risquait d'être dur au mois de juin en cas d'alternance !

Enfin, pour la première fois, la responsabilité sociale des plateformes numériques envers les travailleurs, quel que soit leur statut, est reconnue dans le code du travail, ce qui sera particulièrement utile aux chauffeurs de VTC dans le cadre du conflit qui les oppose à Uber.

Sur son site « Fillon2017.fr », le candidat de la droite à l'élection présidentielle promet un « électrochoc ». J'ai pris l'attache d'un médecin qui m'a assuré que le procédé était utilisé de manière très marginale...

M. Alain Milon, président. - Sauf pour la dépression.

Mme Nicole Bricq. - À ces remèdes de cheval je préfère une loi « Travail » qui renforce le principe de l'accord majoritaire et les droits des salariés.

M. Jérôme Durain. - Le texte que nous examinons est un galop d'essai dans la perspective de la primaire socialiste, dont deux candidats défendent l'abrogation de la loi « Travail ». Le caractère abrupt de la proposition - un seul article - renvoie à la brutalité du 49-3 et ne rend pas justice à la complexité du texte ni à ses nombreuses mesures.

La loi pose cependant trois difficultés majeures : alors qu'elle prétendait développer la flexi-sécurité, elle est riche sur la flexibilité et pauvre sur la sécurité, comme des économistes pourtant plutôt libéraux l'ont reconnu ; elle rend difficile la réconciliation entre l'entreprise et les salariés ; enfin, la méthode employée a laissé des traces. Plusieurs mesures doivent être abrogées, comme l'inversion de la hiérarchie des normes, la réforme du suivi médical, la création des accords dits « offensifs » et les règles d'adoption des accords. Cela m'incite à avoir une position mesurée dans ce débat.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je partage une grande partie des inquiétudes de mes collègues communistes. J'ai manifesté, dès le début de l'examen de la loi « Travail », mon opposition farouche à l'inversion de la hiérarchie des normes. On s'apercevra, à l'usage, que les accords de branche et la primauté de la loi sur les accords d'entreprise sont les meilleures garanties des droits des salariés.

Ainsi, sur le conflit qui oppose les chauffeurs de VTC à Uber, on se rend bien compte qu'il n'y aura pas d'accord d'entreprise. L'entreprise fera sans doute des propositions mais la question de fond - c'est-à-dire le fait que ces chauffeurs sont des salariés de fait sans protection ni droit - ne sera pas réglée. Seul un accord de branche, héritage des accords de Matignon en 1936, est à même de le faire.

L'abrogation pure et simple de la loi n'est peut-être pas la bonne solution. Le compte personnel d'activité, la généralisation de la garantie jeunes - son expérimentation dans mon département a été très positive - et le droit à la déconnexion des salariés sont des avancées incontestables. Il aurait suffi d'abroger certains articles. Mais l'utilisation abusive du 49-3 a empêché un vrai débat à l'Assemblée nationale.

Mme Laurence Cohen. - C'est exact !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Le Gouvernement n'a pas dialogué avec sa majorité. Je m'abstiendrai sur cette proposition de loi, ce qui ne préjuge pas de mon vote en séance publique.

Mme Catherine Génisson. - Les dispositions de la loi « Travail » sur la médecine du travail ne sont pas satisfaisantes, nous l'avons dit durant les débats, et Évelyne Yonnet partage sans doute mon avis sur ce point. La médecine du travail relève d'ailleurs sans doute davantage du ministère de la santé que de celui du travail. Il convient de concevoir cette activité comme une prise en charge de la santé des salariés par un collectif composé, à côté des médecins du travail, d'infirmiers, de psychologues et de tous ceux qui, dans l'entreprise, travaillent sur cette problématique. La médecine du travail, comme la médecine générale au demeurant, mérite une revalorisation. La fonction apporte de véritables satisfactions professionnelles, même si - c'est un autre débat - les conditions d'exercice ne sont pas identiques dans un service inter-entreprises et dans un service autonome au sein d'une entreprise.

Enfin, soulignons que la médecine du travail est embouteillée par la forte croissance du nombre de salariés embauchés en CDD de très courte durée. C'est pourquoi nous devons relever la durée des CDD.

Mme Annie David. - Je n'ai rien à retrancher aux propos de Dominique Watrin : je les partage entièrement. Nous ne sommes pas maîtres de l'ordre du jour et si notre proposition de loi vient en discussion le 11 janvier prochain, c'est que la Conférence des Présidents nous a affecté un créneau ce jour-là au titre de l'espace réservé à notre groupe. Et précisément parce que peu d'heures nous sont attribuées, nous avons choisi la radicalité : abroger la loi « Travail », pour relancer la débat et la négociation avec les organisations syndicales. Il y a sans conteste plus à jeter qu'à conserver dans ce texte. Mais comment nous accuser de préférer les ordonnances, nous qui nous sommes constamment opposés à cette procédure, parce qu'elle dépouille le législateur de sa compétence ?

Ce ne sont pas seulement les médecins du travail qui sont en nombre insuffisant, mais tous les médecins quelle que soit leur spécialité. Pourtant, vous ne nous suivez jamais lorsque nous proposons des mesures coercitives comme imposer aux jeunes une installation dans les territoires sous-dotés. Toute la médecine est dévalorisée ; mais à une période où les drames se multiplient dans les entreprises, la santé des travailleurs devrait nous préoccuper au premier chef.

Enfin, les organisations syndicales sont-elles vraiment renforcées, quand un accord d'entreprise peut être moins favorable que la loi ? Comment penser qu'elles pourront obtenir gain de cause plus facilement ? Nous serons présents et combatifs le 11 janvier prochain.

M. Olivier Cadic. - On peut continuer sans toucher à rien ou refondre entièrement la médecine du travail, dit Michel Amiel. Il oublie une troisième voie. Car quel est le but de la médecine du travail ? Combien coûte-t-elle ? Les personnes sont-elles mieux protégées en France que dans les pays où elle n'existe pas ? Et si elle est fondamentale, pourquoi le ministère de l'Éducation nationale, premier employeur de France, en est-il dépourvu ?

La troisième voie consisterait à supprimer la médecine du travail pour s'en remettre à la responsabilité individuelle des acteurs. Ce serait une vraie simplification, qui est demandée par les entreprises.

M. Jean Desessard. - Dans un premier temps, je voulais écarter cette proposition de loi car tout n'est pas à rejeter dans la loi « Travail » et une partie des dispositions est déjà en application. Puis j'ai entendu Manuel Valls regretter l'usage du 49-3, le juger antidémocratique ; et Myriam El Khomri reconnaître que cela n'est pas sérieux, autrement dit que c'était une erreur, qu'il aurait fallu écouter davantage les parlementaires. Ils étaient emportés par la passion et la volonté de vaincre. À présent, en campagne électorale, ils considèrent les grands enjeux de la nation... si bien qu'ils deviennent les alliés objectifs des auteurs de la proposition de loi ! Celle-ci aide en effet la gauche à préparer le rassemblement grâce auquel nous gagnerons dans quelques mois, après quoi nous pourrons recommencer le débat.

Mme Laurence Cohen. - Le débat sur la loi « Travail » a été antidémocratique. La ministre a asséné des arguments, elle n'a rien démontré. Elle n'a pas voulu débattre. Elle n'a pas voulu admettre les conséquences de l'inversion de la hiérarchie des normes. « Fonction tribunicienne » et « radicalité » ai-je entendu pour qualifier l'action de mon groupe : mais ce sont, à mes yeux, des qualités. Nous nous opposons sans relâche au détricotage, poursuivi depuis le début du quinquennat, des règles protégeant les salariés. Nous avons montré notre pugnacité et la fidélité à nos valeurs. Cette fidélité, beaucoup pourraient s'en inspirer...

Nous n'avons pas choisi la date du 11 janvier. Surtout, la vie politique et parlementaire ne tourne pas autour des primaires ! La loi « Travail » est une très mauvaise loi et nous voulons la remettre à plat.

Mme Évelyne Yonnet. - Organisons donc une mission d'information sur la médecine du travail car c'est un vrai problème et il serait bon de renforcer la prévention en matière de santé. Les remises en cause des droits des salariés par ce texte sont lourdes ; comme Catherine Génisson, je crois que les ministères du travail et de la santé doivent ensemble trouver des solutions pour améliorer ce qui a été voté. Les délais entre deux visites médicales sont trop longs, il faut en particulier organiser un meilleur suivi des personnes en CDD.

Mme Hermeline Malherbe. - Il y a aujourd'hui plus matière à dire qu'à faire mais c'est normal, cela fait partie du rôle démocratique de nos assemblées. Le 49-3 est un outil de notre démocratie. Dans la campagne électorale pour l'élection présidentielle, certains remettent en cause le système : quand les outils sont utilisés de cette façon, cela n'est guère étonnant.

Ce n'est pas seulement la santé au travail mais le travail lui-même qui évolue. C'est pourquoi une vision globale est si importante.

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Je partage les propos de d'Evelyne Yonnet et la remarque de Catherine Génisson : le texte est très en-deçà des ambitions du troisième plan santé au travail qui avait fait l'unanimité des organisations patronales et syndicales. Un tel renoncement finit par dénaturer la mission même de la médecine du travail. Nicole Bricq minimise la dureté de cette loi alors que les visites médicales des travailleurs de nuit, désormais, auront lieu à une fréquence de trois ans et non plus de six mois. On observe pourtant, par exemple, une multiplication des cancers du sein, dont la corrélation avec le travail de nuit est manifeste. Le Gouvernement n'a pris aucune mesure depuis 2012 pour enrayer la baisse du nombre des médecins du travail. La conseillère de la ministre que j'ai rencontrée m'a annoncé qu'une mission sera lancée pour réfléchir à la façon de rendre plus attractif la médecine du travail. C'est bien tardif alors que nous sommes à la fin du quinquennat !

Faut-il couler le navire parce que deux passagers ont la peste ? La peste n'est pas une maladie bénigne. L'article 8 inverse la hiérarchie des normes et dans vingt-trois domaines supplémentaires, la négociation d'entreprise pourra déroger à celle de branche : demain, les branches auront bien du mal à verrouiller les règles contre les abus des accords d'entreprises. La situation est grave.

L'article 67 modifie les conditions du licenciement économique. La définition a été changée. La liste exhaustive disparaît et la rédaction comporte un « notamment » qui ouvre toutes les possibilités aux entreprises. Les critères retenus, chute du chiffre d'affaires, baisse des commandes, inciteront les employeurs à élaborer des montages financiers pour faciliter les licenciements.

Je suis opposé au programme de François Fillon dont vous avez déjà mentionné certaines dispositions. Une sévère cure d'amaigrissement du code du travail est prévue : il n'en resterait que 5 % du volume actuel !

Le représentant de la CGT que nous avons auditionné est d'accord avec les motivations de notre proposition de loi mais il a aussi souligné que la centrale se mobilise également pour l'amélioration des droits des salariés. Manifestement, il n'est pas possible d'améliorer la loi, mieux vaut repartir sur d'autres bases. Quand dans un incendie, 80 % de la poutre maîtresse est incandescente, on ne cherche pas à conserver les 20 % restants...

Mme Laurence Cohen. - Très bien !

M. Dominique Watrin, rapporteur. - Merci à Jérôme Durain et Jean-Pierre Godefroy. Non seulement les syndicats, mais aussi les petites entreprises, sont attachés au rôle de la branche, qui est le niveau où remontent les préoccupations du terrain. Que celle-ci soit marginalisée et les grosses entreprises feront la loi...

Bien sûr, la loi « Travail » comporte quelques mesures positives mais elles ne suffisent pas à sauver l'ensemble. Jean Desessard a raison de rappeler la brutalité du 49-3. On aurait sans doute abouti à un tout autre texte si le débat à l'Assemblée nationale n'avait pris fin avant même le vote de l'article 2. Sur l'amiante, sujet qui occupe notre Haute Assemblée depuis plus de dix ans, nous avons appris, uniquement parce que j'ai posé la question, qu'un plan interministériel était mis en oeuvre depuis mars 2016. Il ne nous a pas encore été présenté !

Sur les travailleurs saisonniers, on nous annonce des progrès...Et sur les travailleurs détachés, on ne peut se contenter d'invoquer l'opposition de certains pays à toute renégociation de la directive. C'est un problème pour les salariés français mais aussi pour les travailleurs détachés, traités indignement.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

M. Alain Milon, président. - La commission n'a pas adopté de texte. C'est donc le texte de la proposition de loi du groupe CRC qui sera discuté en séance publique le 11 janvier 2017.

Nominations de rapporteurs

La commission nomme :

- M. Jean-Baptiste Lemoyne comme rapporteur sur la mise en oeuvre des accords de compétitivité au sein des entreprises ;

- Mme Elisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy comme rapporteurs sur la prise en charge sociale des mineurs étrangers isolés ;

- Mmes Catherine Génisson et Laurence Cohen et M. René-Paul Savary comme rapporteurs sur la situation des urgences hospitalières, en liaison avec l'organisation de la permanence des soins.

La réunion est close à 11 heures 55.