Lundi 12 décembre 2016
- Présidence de M. Jean-Noël Cardoux -Projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne - Examen des amendements sur les articles délégués au fond
La réunion est ouverte à 14 heures.
M. Jean-Noël Cardoux, président. - La commission examine les amendements de séance sur les articles délégués au fond sur le texte de la commission sur le projet de loi (n° 47 rectifié, 2016-2017), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Les amendements nos 45, 209 et 178 sont quasi identiques. L'accès à un service de réanimation fait partie des soins urgents déjà cités dans l'article. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. L'amendement n° 398 a déjà été rejeté par notre commission la semaine dernière. Défavorable.
Mme Annie David. - Nous attendons une précision car la réanimation n'est pas mentionnée.
Mme Nicole Bricq. - Nous nous abstenons.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 45, 209 et 178.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 398.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Nous avons déjà rejeté les amendements identiques nos 169, 262, 300, 346, 354, 379 et 431. Retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 169, 262, 300, 346, 354, 379 et 431.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 18 a pour objet l'adaptation de la tarification hospitalière aux zones de montagne. Des dispositifs existent déjà pour compenser les surcoûts. Retrait ou avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 18.
Article additionnel après l'article 8 septies
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a déclaré irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution les amendements identiques nos 108, 162 rectifié et 448.
Article additionnel après l'article 8 nonies
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 316 rectifié vise à exonérer partiellement de cotisations retraite les médecins retraités continuant à exercer en zone de montagne. Avis favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 316 rectifié.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 317 rectifié bis vise à rendre possible l'association des maisons de santé au projet médical des groupements hospitaliers de territoire (GHT) dans les zones de montagne. C'est à l'ARS qu'il appartient de veiller à la cohérence du projet médical des GHT avec celui des autres acteurs : retrait, sinon avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 317 rectifié bis.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 10 vise à supprimer l'article 8 octies, qui prévoit une extension limitée du dispositif d'autorisation d'exercer la propharmacie. Or le texte établi par la commission des affaires sociales a sécurisé le dispositif. Avis défavorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 70 rectifié a pour objet d'attirer les médecins dans les zones sous-dotées en facilitant l'autorisation d'exercer la propharmacie. Le but n'est pas tant d'attirer les médecins dans les zones sous-médicalisées que de combler les défauts de couverture du réseau officinal. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 70 rectifié.
Article additionnel après l'article 10
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 74 vise à restreindre les cas de recours au CDD saisonnier, déjà défini à l'article 8 de la loi Travail. Cet amendement pose des problèmes de forme : il tend à compléter la définition du CDD d'usage et non celle du CDD saisonnier. Avis défavorable.
Mme Annie David. - Il ne s'agit pas de restreindre le recours au contrat saisonnier mais de compléter la définition d'un tel contrat en la subordonnant à la situation de l'employeur, et non simplement, comme aujourd'hui, à celle du travailleur. Autrement dit, l'employeur qui embauche en contrat saisonnier doit avoir lui-même une activité saisonnière.
Beaucoup d'entreprises situées dans des zones touristiques, dans la grande distribution notamment, signent, l'été, des contrats saisonniers au lieu de conclure des CDD pour surcroît d'activité, lesquels donneraient davantage de droits aux travailleurs. Ce détournement légal de la loi permet à ces entreprises de verser moins de cotisations et surtout de ne pas avoir à payer la prime de précarité au terme du contrat.
Les contrats saisonniers doivent être réservés aux employeurs saisonniers. En tant que législateurs, nous devons faire en sorte que la loi soit respectée par les salariés comme par les employeurs.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 74.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'article 86 de la loi Travail a obligé les partenaires sociaux à lancer une négociation avant début février sur la reconduction du contrat de travail saisonnier et la prise en compte de l'ancienneté des salariés.
Cette même loi prévoit que le Gouvernement pourra prendre avant le mois de mai prochain une ordonnance sur ce sujet ; cette ordonnance s'appliquera de manière supplétive en l'absence d'accord de branche ou d'entreprise. Les auteurs de l'amendement n° 73 souhaitent aller plus loin et anticipent les résultats de cette négociation. Ne changeons pas la loi si rapidement et faisons confiance à la négociation entre les partenaires sociaux. Retrait ; à défaut, avis défavorable.
Mme Annie David. - Les négociations sont en cours depuis quinze ans ! On demande, depuis tout ce temps, qu'une clause de reconduction du contrat figure dans les conventions. Dans certains métiers saisonniers, comme ceux des remontées mécaniques, une telle reconduction existe bien. Arrêtons de perdre du temps. Si la convention collective ne prévoit pas de clause de reconduction, alors qu'au moins la prime de précarité soit versée aux saisonniers. Il y a quinze ans, ils avaient l'une ou l'autre. Aujourd'hui, ils n'ont plus ni l'une ni l'autre.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 73.
Article additionnel après l'article 11
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Les amendements nos 109 et 163 ne présentent aucun lien, même indirect, avec le texte et ont été déclarés irrecevables par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'article 11 bis apporte de la souplesse car il prévoit que le lissage de la rémunération des salariés qui participeront à l'expérimentation sera facultatif et non plus obligatoire. Avis défavorable à sa suppression, donc à l'amendement n° 75.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 75.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 28 rectifié bis porte sur l'expérimentation du CDI intermittent en faveur des saisonniers. L'article 87 de la loi Travail la prévoit dans les branches dont le Gouvernement déterminera la liste par arrêté, y compris là où aucun accord de branche ou d'entreprise ne l'autorise - c'est le droit commun. Il est inutile de préciser que l'information du comité d'entreprise ou des délégués du personnel ne se fera que dans « les entreprises qui en sont pourvues ». L'absence de telles institutions ne fait pas obstacle à l'expérimentation.
Il importe surtout, aujourd'hui, que le Gouvernement désigne les branches. Peut-être le ministre pourra-t-il nous donner des précisions sur ce sujet ? En attendant, retrait ou avis défavorable.
Mme Annie David. - On frise l'irrecevabilité au titre de l'article 45...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 28 rectifié bis.
Article additionnel après l'article 11 bis
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Les amendements identiques nos 180, 254, 331, ainsi que les amendements identiques nos 246 rectifié, 321 rectifié bis et 405 ont pour objet le droit du travail applicable dans les groupements pastoraux. Ils sont satisfaits par le droit en vigueur et ont pour cette raison été rejetés la semaine dernière. Avis défavorable.
Mme Nicole Bricq. - Les groupements pastoraux sont-ils des groupements d'employeurs ?
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Non, c'est autre chose.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 180, 254 et 331 ainsi qu'aux amendements nos 246 rectifié, 321 rectifié bis et 405.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 25 vise à préciser dans quels cas de figure une entreprise sera ou ne sera pas assujettie à la TVA lorsqu'elle recourt à des salariés mis à disposition par un groupement d'employeurs.
Les représentants des groupements d'employeurs que j'ai rencontrés m'ont effectivement signalé les problèmes que posent les règles d'assujettissement à la TVA et les inconvénients qui en résultent face à la concurrence des agences d'intérim. Mais je ne peux être favorable à cet amendement, d'abord parce qu'il est sans lien avec le texte, ensuite parce que le débat sur l'application de la TVA aux salariés mis à disposition par un groupement d'employeurs a plutôt vocation à être traité dans le cadre d'un projet de loi de finances. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 25.
Article additionnel après l'article 13
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 77 vise à appliquer les règles du logement décent au logement des travailleurs saisonniers. Le sujet, également abordé à l'article 14 du projet de loi, est intéressant.
En l'état actuel de sa rédaction, néanmoins, cet amendement n'est pas acceptable car il empiète de manière manifeste sur le domaine réglementaire. Il avait du reste été déclaré irrecevable au titre de l'article 41 de la Constitution lors de l'examen au Sénat de la loi Travail au mois de juin dernier.
Sur le fond, le Gouvernement pourra éclairer notre assemblée car les règles prévues dans le code du travail sont en effet moins protectrices pour les travailleurs que celles prévues pour les habitations classiques. Avis défavorable.
M. Jean Desessard. - Je ne comprends pas le raisonnement de madame la rapporteure, ou plutôt sa conclusion. Un avis de sagesse m'aurait semblé plus logique. Demander que les travailleurs saisonniers vivent au minimum, pendant la durée de leur contrat, dans 9 mètres carrés et 20 mètres cubes, ce n'est pas demander l'impossible !
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - C'est un vrai sujet qui mérite en effet d'être étudié. Mais cela relève du domaine réglementaire. Nous attendons donc l'éclairage du Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. - M. Desessard a raison mais en la matière on part de très loin. Les travailleurs saisonniers sont vraiment logés dans des conditions terribles.
Mme Annie David. - La règle, aujourd'hui, c'est 6 mètres carrés ! La demande traduite dans cet amendement est ancienne.
Mme Nicole Bricq. - Il faut définir des objectifs et une trajectoire pour y parvenir mais le problème ne peut être réglé d'un coup de baguette magique. Ne rêvons pas !
Mme Annie David. - Il faut au moins harmoniser le code du travail et le code de l'urbanisme.
Mme Nicole Bricq. - Inutile de nous faire plaisir en écrivant la loi, songeons plutôt à améliorer le sort de ces travailleurs, sans agir brutalement : les secteurs intéressés apportent de la vitalité aux territoires.
Mme Annie David. - C'est vrai qu'on part de très bas ; mais cela fait longtemps que cette revendication est portée par les travailleurs saisonniers eux-mêmes. La loi SRU énonce qu'un logement est indigne si sa surface est inférieure à 9 mètres carrés. Il faut procéder par étapes, certes, mais même 9 mètres carrés, pour habiter une saison entière, c'est tout juste digne, et je pèse mes mots !
Cette question relève plutôt du domaine réglementaire, madame la rapporteure, et je vous remercie de laisser prospérer cet amendement jusqu'en séance. Lors de l'examen de la loi Travail, j'avais fait une intervention sur ce sujet mais nous n'avions pu en débattre avec la ministre. Nous le ferons cette fois. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut revoir le logement des saisonniers ; reste à le faire effectivement !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 77.
Mme Annie David. - Je retirerai l'amendement n° 76, de repli. Je n'osais espérer un avis favorable sur le précédent...
Mme Nicole Bricq. - Mme David est prévoyante !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 76.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 27 vise à étendre aux branches offrant une priorité de réembauche à leurs saisonniers la possibilité pour ces derniers de bénéficier d'une période de professionnalisation.
La loi Travail a ouvert aux saisonniers bénéficiant de la reconduction de leur contrat de travail l'accès à la période de professionnalisation, dispositif qui vise, dans le droit commun, à garantir le maintien dans l'emploi des salariés en CDI via une formation qualifiante. Son financement est assuré par les entreprises à travers les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), en fonction des priorités définies par les partenaires sociaux de la branche.
Le présent amendement vise à étendre ce dispositif à des salariés dont le parcours professionnel est moins sécurisé que celui des travailleurs reconduits automatiquement d'une saison sur l'autre. Je ne sais quelles branches pratiquent la priorité de réembauche, ni quelles sont les incidences financières exactes de cette disposition : sagesse, donc.
Mme Nicole Bricq. - Je souhaite apporter une information complémentaire : effectivement, nous avons engagé ce processus dans la loi Travail, en donnant un avis très favorable à la proposition du Gouvernement. Celui-ci s'était engagé à organiser des négociations sur le travail saisonnier entre les partenaires sociaux. Elles ont débuté.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 27.
Article additionnel après l'article 14 bis
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - Les amendements identiques nos 187 rectifié, 238, 304, 358 et 385 modifient les règles applicables aux groupements d'employeurs en matière d'assurance contre le non-paiement des salaires. Nous les avons déjà repoussés en commission la semaine dernière. Avis défavorable.
M. Jean Desessard. - Je me rangerai à l'avis de la rapporteure car j'ai du mal à comprendre l'esprit de ces amendements. Il serait bizarre de poser une obligation de poursuites contre le groupement pour pouvoir engager des poursuites contre l'un des employeurs. Si la faute incombe à un seul employeur, pourquoi d'abord poursuivre le groupement ? Ai-je mal compris ?
Mme Nicole Bricq. - Nous nous abstenons.
La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 187 rectifié, 238, 304, 358 et 385.
Mme Patricia Morhet-Richaud, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 370 rectifié a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE
La réunion est close à 14 h 35.
Mercredi 14 décembre 2016
- Présidence de M. Gérard Dériot, vice-président -La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de M. Luc Derepas, candidat la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail
M. Gérard Dériot, président. - Je souhaite tout d'abord excuser le président Alain Milon, qui a été retenu par une réunion imprévue et qui nous rejoindra dans la matinée.
Dans le cadre des dispositions du code de la santé publique prévoyant l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination ou leur reconduction, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agence sanitaires, nous recevons ce matin M. Luc Derepas. Le Gouvernement souhaite en effet lui confier la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), pour succéder à l'actuel président, désigné il y a trois ans, M. Didier Houssin.
L'Anses est issue de la fusion en 2010 de deux agences, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Cette agence est placée sous la tutelle de cinq ministères : santé, agriculture, environnement, travail et consommation. Ils sont bien sûr représentés dans son conseil d'administration, de même que les ministères chargés du budget, de la recherche et de l'industrie. Les représentants de l'État forment le premier collège. Cinq autres collèges représentent les associations, les organisations patronales, les organisations syndicales, les élus et personnalités qualifiées et, enfin, les personnels de l'Agence.
C'est donc un conseil d'administration particulièrement étoffé et divers qu'il vous est proposé de présider avec, pour l'Agence, des enjeux très importants, à savoir fournir une expertise crédible et de qualité, dans des délais raisonnables, sur les multiples sujets entrant dans son domaine de compétence.
Monsieur Derepas, vous êtes conseiller d'État et vous avez notamment siégé dans la section sociale. Vous avez une expérience de l'administration et des affaires internationales. Nous vous remercions de nous avoir fait parvenir votre biographie ainsi que votre déclaration publique d'intérêts. Je vous propose d'évoquer dans un premier temps votre parcours professionnel et la façon dont vous abordez la fonction que le Gouvernement souhaite vous confier. Vous répondrez ensuite à nos éventuelles questions.
M. Luc Derepas, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Anses. - J'ai l'honneur de me présenter devant vous en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique car je suis pressenti par le Gouvernement pour occuper les fonctions de président du conseil d'administration de l'Anses. Cette Agence est un établissement public qui assure une expertise indépendante et de haut niveau, en vue d'assurer la protection des populations dans les domaines de la santé alimentaire et environnementale et du travail. Il s'agit de la plus grande agence sanitaire d'Europe, avec 1 350 agents, un budget de 138 millions et onze laboratoires répartis sur seize sites en France. Il s'agit donc d'une entité majeure au niveau européen qui a un haut niveau d'expertise scientifique et qui est aussi un facteur d'aménagement du territoire compte tenu de sa présence sur divers sites.
Le législateur et le Gouvernement ont voulu que cette Agence ait une expertise transversale, irriguée par les courants de la recherche scientifique mais aussi par les apports de la société civile et des milieux professionnels. La composition de son conseil d'administration en témoigne, avec cinq collèges institués à la suite du Grenelle de l'environnement : les représentants de l'État mais aussi ceux des associations de malades, de consommateurs, de victimes d'accidents du travail, des milieux économiques, des organisations professionnelles, des organisations syndicales et des élus. Ce conseil d'administration a donc une composition plurielle, potentiellement conflictuelle. Le mandat de président du conseil d'administration est non exécutif, non rémunéré. L'agence est dirigée par un directeur général, le président du conseil d'administration ayant pour mission essentielle de coordonner et d'animer les travaux de celui-ci. Ce conseil vote les orientations générales de l'Agence, sa stratégie pluriannuelle et son contrat d'objectifs et de performance avec l'État. Il est irrigué par la présence de représentants de la société civile et des milieux économiques et par les conseils scientifiques qui constituent les forces vives de l'Agence en termes de discussions thématiques. Cinq comités d'orientation sont rattachés au conseil d'administration : alimentation, environnement, travail, santé animale, santé végétale. Ces comités sont chargés de parvenir à des consensus thématiques pour qu'ils remontent au niveau du conseil d'administration.
Enfin, les différentes parties prenantes peuvent saisir le conseil d'administration pour qu'il aborde de lui-même certains sujets et définir ainsi la stratégie de l'Agence. Ce conseil d'administration n'est donc pas une chambre d'enregistrement : il vient en appui de la direction générale et son rôle prépondérant est de rassembler l'ensemble des opinions potentiellement divergentes. La tâche du président du conseil d'administration est d'assurer que cette dialectique soit vertueuse : l'Agence demeurera ainsi le pôle de référence qu'elle est depuis sa création. Je tiens à saluer le travail de mes prédécesseurs : Philippe Bas, Didier Houssin et Pierre-Yves Montéléon, vice-président qui a assuré l'intérim. Grâce à leur engagement, l'Agence a acquis sa stature actuelle.
La capacité d'expertise de l'Agence est unanimement reconnue, qu'il s'agisse de ses experts permanents ou de ses experts membres des comités scientifiques. Elle doit conserver sa force de frappe scientifique pour garantir son haut niveau, son indépendance et une déontologie irréprochable. Mais une expertise sans contact avec les forces vives perdrait de vue les enjeux sociétaux et une expertise par trop soumise aux pressions économiques et sociales perdrait son indépendance et faillirait à sa tâche. Le tour de force des créateurs de l'Agence a été d'encourager la dialectique entre ces deux forces.
Aujourd'hui, l'Anses se penche sur les sujets les plus importants en matière de santé alimentaire, environnementale ou au travail. Ainsi a-t-elle travaillé sur le bisphénol A en 2011, 2013 et 2015 ; elle a validé l'interdiction de ce produit, interdiction confirmée par le Conseil d'État au contentieux. De même, l'Agence a accompagné le ministère de l'agriculture dans la gestion de la grippe aviaire. Sa présence sera également indispensable à l'occasion de l'interdiction des néonicotinoïdes en septembre 2018 ; des mesures d'accompagnement et de dérogations, ainsi que les alternatives possibles, doivent encore être examinées. Enfin, l'Anses s'est prononcée sur les critères d'identification des perturbateurs endocriniens : la réponse de la Commission européenne a été jugée trop peu protectrice.
L'Agence devra relever plusieurs défis. En premier lieu, elle devra s'adapter aux nouvelles missions confiées par le législateur ou par le droit européen. Alors qu'elle était essentiellement une instance d'évaluation, l'Agence est également devenue depuis un an et demi une instance de délivrance d'autorisations. D'experte, elle doit désormais prendre des décisions tout en conservant son indépendance et sa déontologie.
Autre défi : la redéfinition de son modèle économique dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire. Si des missions nouvelles sont confiées à l'Agence et si de nouvelles demandes d'autorisation et d'instruction des dossiers lui sont adressées, il lui faudra des moyens supplémentaires. Le Brexit risque d'accélérer cette évolution car diverses demandes d'autorisations basculeront vers le continent européen. L'Anses étant en pointe dans tous ces dossiers, elle sera certainement davantage sollicitée que par le passé. Compte tenu du plafond d'emploi actuellement défini et de ses ressources, l'Anses risque de se trouver dans une position inconfortable. Or, la qualité de l'expertise et le traitement des dossiers ne doivent pas souffrir de cette situation. Le conseil d'administration devra proposer à ses tutelles un nouveau modèle économique pour développer des ressources supplémentaires liées à l'instruction des dossiers.
J'en viens à mon parcours. J'ai 50 ans et je suis conseiller d'État. Après une première partie de carrière dans la diplomatie, je suis entré au Conseil d'État en 1997 à ma sortie de l'ENA. Depuis lors, j'ai exercé divers postes au sein du Conseil d'État et à l'extérieur. Je n'ai pas le niveau scientifique et le degré d'expertise qu'avait M. Houssin mais je peux apporter mon expertise juridique et institutionnelle que j'ai acquise au Conseil d'État au contentieux en tant que juge et aussi en section administrative au sein de la section sociale. En outre, j'ai l'expérience du travail collégial et de la délibération, ce qui permet de mener de façon vertueuse des discussions collectives. Enfin, l'éthique et l'indépendance sont des vertus essentielles prônées au Conseil d'État.
À titre plus personnel, j'ai toujours été attentif au cours de ma carrière aux questions liées à la santé et à la sécurité sanitaire. Jeune diplomate, j'ai suivi les travaux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. À mon arrivée au Conseil d'État, j'ai exercé les fonctions de conseiller juridique du ministère des affaires sociales. Au Conseil d'État, j'ai été nommé à la section sociale et à la première sous-section du contentieux qui est spécifiquement chargée du contentieux de la santé et de l'aide sociale. Enfin, en tant que conseiller juridique du Bureau international du travail (BIT) à Genève, j'ai assisté à la mise en place du droit international du travail, y compris dans sa composante santé et sécurité au travail.
J'ai également exercé d'autres fonctions dans des domaines plus régaliens, notamment en tant que directeur général des étrangers au ministère de l'intérieur. Si j'ai été pressenti à ce poste, c'est sans doute en raison de cet ensemble d'acquis professionnels, de mon attention à la régularité juridique, de ma pratique de la discussion collective, de mon souci de la défense de la déontologie et de l'indépendance, de mon attention aux questions de santé. Je serais très honoré de pouvoir défendre ces valeurs au sein de cette belle institution.
J'en viens aux quatre défis majeurs de l'Agence pour les années à venir. Il faudra d'abord veiller à assurer les conditions d'une expertise de haut niveau, collective et contradictoire, à travers l'ensemble des conseils scientifiques et des personnels de haut niveau de l'Agence. Ensuite, il faudra assurer la crédibilité des travaux de l'Agence par son indépendance en s'appuyant sur son code de déontologie, sur son comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts et sur l'ensemble des règles et des pratiques mises en oeuvre au sein de l'Agence qu'il faudra régulièrement questionner, évaluer et améliorer. Il nous faudra vérifier en permanence que les missions et les moyens de l'Agence soient bien en adéquation. Un nouveau modèle économique devra être défini, dans le respect des règles budgétaires. Enfin, nous devrons renforcer la place de l'Agence en Europe, notamment à l'occasion du dialogue serré que nous devons avoir avec la Commission européenne, avec nos homologues européens et avec l'ensemble des parties prenantes au niveau international.
Compte tenu des évolutions géopolitiques récentes, il n'est pas interdit d'imaginer que les États-Unis réduiront leurs exigences en matière de protection de la santé alimentaire et environnementale. Le Royaume-Uni, qui cherchera probablement à compenser sa sortie de l'Union européenne, pourra être tenté par la diminution de ses protections pour améliorer sa compétitivité. Au sein du monde occidental, deux poids lourds pourraient ainsi choisir d'abaisser leurs barrières de protection en matière de santé alimentaire et environnementale. L'Union européenne - notamment la France - devra donc défendre un haut niveau de protection. L'Anses sera un atout majeur dans ce domaine et, si je suis nommé, je m'emploierai à y contribuer.
M. Jean-Noël Cardoux. - Je souhaite revenir sur l'actuel épisode de grippe aviaire. Le virus H5N8 est extrêmement contagieux mais ne concerne pas les hommes, à moins qu'il ne mute. Les mesures prises sont bien sûr justifiées. Mais il y a trois jours, le Gouvernement a déclaré que l'ensemble du territoire connaissait un risque élevé, avec des conséquences économiques pour le monde agricole que vous imaginez. J'ai lu avec attention les deux avis de l'Anses au Gouvernement avant la publication des arrêtés et des circulaires. J'ai beaucoup de mal à comprendre le cheminement qui a abouti à ces avis puis aux circulaires prévoyant des dérogations. Le Gouvernement a voulu que certaines activités économiques ne soient pas trop pénalisées mais les circulaires sont totalement inapplicables. Ne pourrait-on publier des avis compréhensibles qui s'adaptent aux situations locales ? Lorsque les mesures prises ne sont pas intelligibles, elles révoltent. Il faudrait donc que l'Anses et le Gouvernement se rendent compte de la situation sur le terrain. N'aurait-il pas été préférable que le Gouvernement mette en place un protocole pour cette épizootie, puisque ce virus n'est pas près de disparaître. En cas de danger, il se déclencherait automatiquement mais les éleveurs seraient préalablement informés : il est toujours plus simple de travailler à froid.
Mme Catherine Génisson. - Concernant le bisphénol A, l'Europe se hâte lentement. Que faire ?
Le dossier de l'étiquetage des produits a entraîné des démissions au sein de l'Anses. Quelle est votre position, notamment sur l'étiquetage des composants des produits ?
Enfin, j'ai bien compris que vous continueriez d'exercer vos fonctions de conseiller d'État.
Mme Corinne Imbert. - Quels seront vos axes stratégiques prioritaires dans les années à venir ? Quelle est votre position face au sacro-saint principe de précaution ?
M. René-Paul Savary. - Nous attendons, de l'Anses, une vision scientifique et une vision de territoire de façon à prendre des décisions pragmatiques. On ne peut interdire le bisphénol A ou les néonicotinoïdes sans dire comment les remplacer. Nous attendons de l'Agence des positions pratiques mais pas des interdits mettant en péril des secteurs entiers de notre économie.
M. Daniel Chasseing. - Pour la grippe aviaire, quels sont les contrôles en Hongrie et en Roumanie, pays qui nous envoient des foies gras et des canards ?
Vous avez dit que les néonicotinoïdes seraient interdits en 2018 mais que des dérogations seraient prévues. Les pays européens feront-ils de même ?
M. Jean-Louis Tourenne. - Vous avez présenté les ambitions de l'Anses dans le domaine scientifique et vous avez évoqué rapidement ses vertus en matière d'aménagement du territoire. Les pouvoirs publics ne risquent-ils pas d'être tentés de reconcentrer les laboratoires, estimant que ce qui est regroupé est plus efficace ? Pour ma part, je souhaite qu'ils restent sur le territoire, car ils participent à la diffusion de la science et à la vie locale. Quelle serait votre position si des concentrations vous étaient proposées ?
Mme Patricia Schillinger. - J'ai été rapporteure du texte sur le bisphénol A mais je m'inquiète des dérives constatées sur les bisphénols S et F.
Mme Pascale Gruny et moi-même allons présenter demain à la commission des affaires européennes un rapport sur l'étiquetage. Au sein de cette même commission, je travaille avec Alain Vasselle sur les perturbateurs endocriniens : notre rapport devrait être publié en janvier.
Comment allez-vous travailler avec l'Europe ? Comment faire entendre la voix de la France qui est, dans ces domaines, précurseur mais souvent seule ?
M. Luc Derepas. - M. Cardoux m'a interrogé sur l'épisode de grippe aviaire. En tant que juriste, je comprends ses préoccupations : il est toujours difficile de rendre un document technique compréhensible par le plus grand nombre : pour qu'elles soient acceptées, les décisions doivent être intelligibles. En matière sanitaire, comme en domaine juridique, le défi est le même. L'Agence doit rester dans son rôle scientifique en élaborant des documents irréprochables mais il appartient aux pouvoirs publics qui sont responsables des décisions de les rendre compréhensibles. Le rôle de l'Agence n'est pas de faire de la vulgarisation.
En ce qui concerne les plans de protection en cas d'épizootie, je ne connais pas le détail de leur organisation au sein du ministère et des préfectures. Plutôt qu'une question de préparation, je pense qu'il faut bien informer en amont.
Mme Génisson m'a interrogé sur la position de l'Europe sur le bisphénol A. Nous sommes le seul pays à l'avoir interdit. Un travail d'identification des perturbateurs endocriniens est actuellement mené au niveau européen. Je demanderai à l'Anses de vous transmettre une réponse écrite sur le sujet.
Concernant l'étiquetage des produits, l'Anses n'est pas partie prenante du processus en cours et qui a suscité diverses difficultés. Les pouvoirs publics ont mené au niveau ministériel une concertation et une expérience grandeur réelle pour déterminer le meilleur système possible. L'Agence a été amenée à travailler sur le sujet en juin 2015 : l'étude portait sur le système mis en place au Royaume-Uni et la façon dont il pouvait être transposé dans notre pays. Elle mène aujourd'hui un travail plus large pour évaluer l'ensemble des systèmes possibles et ses conclusions devraient paraître en début d'année prochaine.
Mme Imbert m'a demandé quelles seraient mes orientations stratégiques : bien sûr, il faudra sécuriser l'existant. Ensuite, nous devrons nous concerter avec nos cinq tutelles pour élaborer un nouveau contrat d'objectifs et de performance, afin de sécuriser notre modèle économique. Notre budget et notre plafond d'emplois sont limités tandis que notre activité - rémunératrice - se développe. Si la place de l'Agence est amenée à se renforcer en Europe et si de nouvelles missions lui sont confiées, son travail d'instruction prendra plus d'ampleur alors que ses moyens seront plafonnés. Son modèle économique doit donc évoluer, dans le respect du droit budgétaire. Mon deuxième axe stratégique concernera l'Europe. Les ministères qui interviennent à Bruxelles et l'Agence doivent défendre la position française, souvent plus exigeante que la plupart des pays européens.
Le principe de précaution est désormais bien assis dans notre droit : il a trouvé des traductions juridiques claires. Dès lors que l'on a affaire non pas à un danger caractérisé mais à un risque, qui est une probabilité de danger, suffisamment étayé par divers indices, il appartient aux pouvoirs publics de prendre les mesures pour pallier ce risque. Reste bien sûr la question de la place du curseur pour chaque cas particulier. Face au niveau de risques, il faut déterminer les mesures à prendre pour le contrer. Des débats techniques ont alors lieu et le juge doit avoir beaucoup d'humilité à cet égard : le Conseil d'État exerce, quant à lui, un contrôle restreint car il ne veut pas se substituer aux scientifiques. Il se borne à dire si l'État a commis ou non une erreur flagrante dans l'appréciation des risques et dans la définition des mesures prises.
Je suis d'accord avec M. Savary : rien n'est pire dans un système normatif qu'un vide juridique. Si l'on édicte une interdiction, il faut en parallèle prévoir une mesure pour pallier cette interdiction afin que la société et l'économie puissent continuer à vivre normalement. La définition d'alternatives et l'évaluation de leurs risques potentiels font partie des mesures d'interdiction. Parfois, c'est impossible car les interdictions sont indispensables et soudaines. Pour l'interdiction des néonicotinoïdes, le schéma proposé est intéressant avec une mesure d'interdiction et une évaluation des alternatives possibles pour limiter les perturbations dans les champs économiques et sociaux concernés.
Concernant les mesures prises dans d'autres pays européens à l'égard de la grippe aviaire, je ne dispose pas d'informations précises. L'Anses vous transmettra une note sur le sujet. En outre, nous sommes le seul pays européen à avoir interdit l'utilisation des néonicotinoïdes, même si un moratoire a été décidé par la Commission européenne.
Comme l'a dit M. Tourenne, la présence des laboratoires de l'Anses en France est un facteur d'aménagement du territoire. Cela dit, je ne nie pas les réflexes de concentration dans un moment budgétaire difficile : cette question doit se résoudre par un dialogue avec les collectivités territoriales et les acteurs locaux concernés. Il faudra trouver les moyens d'assurer le maintien de ce maillage sur tout le territoire.
L'échelon européen est majeur, madame Schillinger. Les questions les plus sensibles doivent y être traitées. En tant que président du conseil d'administration, je n'aurai pas de rôle à jouer à ce niveau, mais j'encouragerai la direction générale et les services de l'Agence à porter haut et fort la parole française au sein des instances européennes. Notre message de protection doit être perçu comme précurseur afin d'entraîner les autres pays européens.
M. Gérard Dériot, président. - Merci pour toutes ces réponses précises.
Prise en charge de personnes handicapées en dehors du territoire national - Présentation du rapport d'information
M. Gérard Dériot, président. - Nous entamons la présentation du rapport d'information de nos collègues Claire-Lise Campion et Philippe Mouiller relatif à la prise en charge de personnes handicapées en dehors du territoire national.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - La prise en charge des personnes handicapées françaises dans des établissements situés en-dehors du territoire national, qui a fait l'objet du travail de notre mission d'information, puise ses racines dans un phénomène dont l'actualité s'est emparée depuis quelques années, lui conférant ainsi une portée considérable. Notre haute assemblée s'en était déjà saisie lors du débat autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, au cours duquel nous nous étions interrogés sur les modalités de prise en charge financière par l'assurance maladie de nos concitoyens frappés de handicap et soignés à l'étranger.
Devant l'importance d'un phénomène dont les incidences sont loin d'être seulement financières et qui touchent la question fondamentale de l'accueil réservé par notre société à la personne handicapée, notre président a décidé de la constitution d'une mission d'information dont les travaux seraient rapportés par deux membres de la commission des affaires sociales issus de deux sensibilités politiques différentes.
Un premier constat irrigue le travail que nous vous présentons : le départ de nos concitoyens, malgré la dimension dramatique dont il est parfois revêtu, est dans de nombreux cas motivé par une approche différente de la prise en charge en Belgique, qui peut la rendre aux yeux des familles plus souhaitable et mieux adaptée, et parfois par le manque de réponse adaptée à leur proximité.
Ce constat posé, le sujet sur lequel nous avons travaillé, parce qu'il touche au secret des foyers et au drame personnel que vivent les proches aidants, exige de nous que nous en définissions les termes avec tact et rigueur. Aujourd'hui, ce sont près de 6 800 personnes handicapées françaises qui sont hébergées et soignées dans un établissement médico-social en Belgique - plus particulièrement en Wallonie - et qui vivent donc séparées de leur famille. Ce chiffre important a de quoi interpeller. Nous avons voulu comprendre pourquoi un nombre aussi élevé de nos concitoyens frappés de handicap estimaient préférable d'être pris en charge à l'étranger plutôt que dans leur propre pays. Nous avons voulu connaître les motifs qui les ont conduits à ce choix.
Au-delà du problème de nature presque éthique qu'il soulève, le départ de personnes handicapées françaises en Belgique enclenche un ensemble de procédures complexes liées aux échanges entre acteurs de pays différents, complexité dont les familles se trouvent être les premières victimes. En vertu du droit communautaire, la protection sociale française est certes tenue d'assumer l'intégralité des soins prodigués à une personne contrainte de recourir à des services à l'étranger lorsque la France ne peut les lui fournir. Ce n'est donc pas à un problème strictement financier que les familles se trouvent confrontées mais plus à l'inquiétude et aux difficultés engendrées par la distance et par l'absence.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - La prise en charge des 1 451 enfants en Belgique se fait selon un circuit relativement bien défini : l'assurance maladie est l'unique interlocuteur des parents et les deux pays sont parvenus, par un partenariat dont nous détaillerons plus loin les modalités, à permettre un échange d'informations suffisant. En revanche, les adultes, au nombre de 5 350, qui représentent donc la grande majorité, ont à affronter des circuits bien plus complexes. En effet, passés 18 ans, l'offre médico-sociale à destination des personnes handicapées les contraint à un changement d'interlocuteurs : selon l'importance du handicap, la famille aura pour référent soit le conseil départemental seul - dans le cas des foyers de vie - soit le conseil départemental et l'assurance maladie - dans le cas des foyers d'accueil médicalisé. Les départs vers la Belgique ne sont donc plus contrôlés par un acteur unique mais par des acteurs multiples, rendant le recensement des personnes et le suivi de la qualité de la prise en charge beaucoup plus difficiles.
L'enjeu est de taille et l'impératif d'associer plus étroitement les conseils départementaux aux dispositifs de contrôle des établissements wallons où les personnes adultes sont accueillies a été récemment réaffirmé comme une priorité du Gouvernement.
Ces constats ont amené l'exécutif et la représentation nationale à se saisir en urgence du dossier. Afin de découpler la gestion de ces questions de l'agenda médiatique, les pouvoirs publics se sont attelés à la définition de propositions concrètes destinées à soulager ces familles et à remédier aux départs contraints.
Des solutions ont été proposées par le Gouvernement et ont eu le mérite d'apporter des réponses circonstanciées aux départs non souhaités de personnes handicapées en Belgique, sans pour autant occulter le traitement systémique des difficultés présentées par l'offre médico-sociale destinée aux personnes handicapées.
Trois grandes réponses apportées par le Gouvernement peuvent être distinguées.
La première a trait à nos concitoyens déjà accueillis sur place. En réaction à certains scandales relatifs à la qualité de la prise en charge en Belgique, le Gouvernement français et le Gouvernement de la région wallonne ont pris l'initiative en 2011 d'un accord-cadre qui a permis d'établir les bases d'une coopération transfrontalière dans l'objectif d'améliorer la prise en charge et les modalités de contrôle des établissements. Signé en 2011, entré en vigueur en 2014, cet accord-cadre est le fruit de l'engagement de deux majorités successives, également conscientes de l'urgence de la situation de nos compatriotes concernés. Il identifie l'agence régionale de santé des Hauts-de-France comme le centralisateur des données pour les deux pays - néanmoins uniquement pour les prises en charge financées par l'assurance maladie - et définit les modalités d'inspections communes transnationales, en partenariat avec l'agence pour une vie de qualité (Aviq), l'instance belge chargée du contrôle des structures médico-sociales. La commission de suivi de l'accord-cadre s'est récemment réunie le 16 novembre dernier et a permis au Gouvernement de renouveler son engagement dans le suivi des personnes handicapées expatriées et la lutte contre les départs subis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - La seconde concerne nos concitoyens pour lesquels le départ en Belgique s'impose faute de solution adaptée sur le territoire national. Le fonds d'amorçage de 15 millions d'euros, entièrement financé sur des crédits de l'assurance maladie et dont le déploiement doit servir à financer des solutions alternatives aux départs contraints, tente de pallier ce problème des départs contraints. Les critères de ventilation de ce fonds entre les différentes régions prennent notamment en compte le nombre de départs relevés et ciblent donc les territoires les plus concernés. Partant de l'intention louable de consacrer pour la première fois un financement pérennisé au problème de la prise en charge en Belgique, les effets de ce fonds d'amorçage devront néanmoins faire l'objet d'une attention toute particulière de notre commission. Nous avons évoqué que l'un des principaux problèmes rencontrés par les familles d'adultes handicapés réside dans la multiplicité des acteurs concernés par la prise en charge - conseil départemental et assurance maladie. Or, les crédits de ce fonds d'amorçage étant uniquement prélevés sur l'Ondam médico-social, ils toucheront peu les prises en charge cofinancées par les conseils départementaux, qui ne bénéficieront donc pas de cette incitation financière. Cette difficulté, identifiée par le Gouvernement, ne pourra être surmontée qu'au prix d'une coopération renforcée entre les acteurs. Par ailleurs, ce secours financier apporté aux familles contraintes a reçu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 des gages de pérennisation.
La troisième réponse est d'ordre structurel et engage une réforme profonde de l'orientation des personnes handicapées. Le grand chantier « réponse accompagnée pour tous », entamé par le Gouvernement à l'issue des préconisations du rapport remis par Denis Piveteau sur les ruptures de parcours, doit en effet définir un nouveau paradigme en la matière. Cette ambitieuse réforme propose que la décision d'orientation émise par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) ne soit plus seulement fondée sur les disponibilités de l'offre médico-sociale mais sur une évaluation individualisée des besoins de la personne. Voilà qui semble relever de l'évidence mais qui s'approche pourtant bel et bien de la révolution ! Car, trop souvent, un départ en Belgique s'explique par une décision d'orientation inadéquate parce que prise sans considération suffisante de la personne et de sa singularité. En co-construisant avec la personne et avec les acteurs concernés un « plan d'accompagnement global », la CDAPH permettra de limiter les ruptures de parcours ainsi que les départs par défaut de réponses adaptées. Là encore, il nous faudra montrer une vigilance particulière dans le suivi de cette réforme qui modifie profondément les pratiques des acteurs de l'orientation. Vingt-quatre départements se sont lancés dans cette expérimentation dont la généralisation est prévue pour le 1er janvier 2018.
Soucieux d'étayer nos diagnostics par un retour d'expérience, Claire-Lise Campion et moi-même, accompagnés d'une délégation de notre commission des affaires sociales, avons effectué un déplacement de trois jours en Belgique et avons visité quatre établissements accueillant exclusivement des personnes handicapées françaises et nous avons pu constater que la prise en charge pouvait différer d'une structure à l'autre dans d'assez larges proportions. Nous avons aussi pu nous assurer de l'engagement de l'agence pour une vie de qualité dans le contrôle de ces structures. Malgré cela, la grande liberté laissée aux gestionnaires dans la définition de leur projet peut tout autant déboucher sur des réalisations d'excellente qualité que sur des structures qui peuvent parfois laisser un peu plus songeur. Plus que jamais, nous avons besoin que l'accord-cadre vive et que les contrôles conjoints qu'il prévoit soient fréquemment activés.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - À ce stade de la réflexion, notre mission d'information, bien consciente que la thématique apparemment isolée des personnes handicapées prises en charge en Belgique n'était pas dissociable d'un état des lieux de l'offre médico-sociale en France, a souhaité consacrer un volet de son travail aux perspectives d'améliorations à lui apporter.
Nous avons identifié trois grands axes d'amélioration qui doivent, selon nous, orienter la politique nationale du handicap dans les prochaines années. Le premier, dans la continuité des actions entamées par le Gouvernement, vise à retenir le parcours individualisé de la personne comme principal déterminant de l'offre. Le second, plus ambitieux, identifie les difficultés de réorganisation que connaissent aujourd'hui les établissements et les services médico-sociaux et propose plusieurs pistes de réformes et de simplification. Enfin, le troisième s'attarde davantage sur la situation des personnes atteintes d'autisme dont nous avons constaté qu'elles sont, en raison des spécificités liées à des handicaps parfois complexes, les premières victimes de parcours accidentés.
Nous formulons plusieurs propositions pour améliorer la continuité des parcours et limiter le plus possible les risques de ruptures. Elles s'articulent principalement autour de deux idées. Il faut d'abord garantir aux familles une information méticuleuse et la plus précise possible lorsque l'établissement rencontre des difficultés de prise en charge de la personne afin de leur laisser le temps de solliciter et de construire une solution alternative. Les textes existent mais leur application fait trop souvent défaut et nous devrons nous y montrer particulièrement attentifs, pas seulement en tant que législateurs mais aussi en tant qu'élus locaux.
Ensuite, il faut encourager la mise en réseau et les partenariats entre établissements afin que le parcours de la personne ne soit pas la préoccupation unique de la famille, mais puisse aussi se faire à l'initiative d'établissements et de services renseignés sur les besoins et aptes à offrir d'eux-mêmes une prise en charge plus adaptée. Ce pas important à franchir nécessite que les autorités de tarification et de contrôle accompagnent et encouragent ce dialogue inter-établissements. La généralisation des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) va indéniablement dans le sens que nous appelons de nos voeux.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Dans la continuité de ce que nous venons d'évoquer concernant le nécessaire dialogue entre établissements, nous portons également plusieurs diagnostics sur l'offre médico-sociale à destination des personnes handicapées. Un constat tout d'abord. Nos auditions n'ont cessé de le confirmer : dans le cas des départs contraints en Belgique, la première cause est sans conteste le manque de places. Nous nous félicitons des réalisations des différents plans pluriannuels engagés depuis 2008, dont l'ambition réelle a conduit à quelques améliorations, mais le chantier est d'une ampleur telle que l'effort doit être poursuivi et accentué.
Conscients que les délais légaux et les contraintes des finances publiques retardent l'ouverture de places, nous proposons plusieurs ajustements qualitatifs de l'offre existante, au premier rang desquels une démarche de décloisonnement.
Un premier décloisonnement doit concerner les agréments attribués aux établissements. Nous souhaitons en effet favoriser les structures à agréments multiples afin d'assurer à la personne handicapée la plus grande continuité de parcours au sein du même établissement en fonction de l'évolution de ses besoins. Les principes qui doivent prévaloir en matière de prise en charge sont la souplesse et le primat du projet de vie de la personne handicapée sur le projet d'établissement. Nous sommes néanmoins bien conscients que pour prospérer comme structure intégrée, il faut pouvoir compter sur un effet de taille et une trésorerie de départ assez importante. Ces deux paramètres constituent un véritable défi pour les établissements.
Un deuxième décloisonnement doit être opéré dans les financements. Nous avons trop souvent entendu parler de fongibilité asymétrique des crédits sans en constater l'effectivité. Rappelons brièvement qu'il s'agit d'autoriser, au sein de l'enveloppe globale de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), le transfert de crédits originellement dédiés à des structures sanitaires vers des structures médico-sociales, sans que la réciproque ne soit possible. L'idée est excellente car, outre qu'elle favorise les moyens alloués aux structures accueillant nos concitoyens en situation de handicap, elle permet de développer la nécessaire complémentarité des sphères sanitaire et médico-sociale, qui fait encore trop souvent défaut. Elle est malheureusement trop peu appliquée. Trop de personnes handicapées sont encore orientées vers des hospitalisations psychiatriques non adaptées, par défaut de place en établissement médico-social.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Une autre approche a retenu tout notre intérêt : la désinstitutionalisation. Elle désigne le mouvement visant à aider les personnes à gagner ou à reconquérir le contrôle de leur vie en tant que citoyens à part entière, en favorisant le plus possible leur intégration au milieu ordinaire. Autrement dit, la désinstitutionalisation tendrait à réduire les admissions en établissement aux cas les plus nécessaires et à étendre aux autres les solutions modulaires permettant le maintien de l'autonomie. Il pourrait être intéressant de définir une « stratégie de désinstitutionalisation » afin de mieux allouer les places effectivement installées et d'orienter vers l'accueil en établissement les cas les plus lourds, pour lesquels l'appui familial est insuffisant. Concrètement, la clef de répartition s'appuierait sur le degré de dépendance. Les handicaps mentaux et psychiques lourds doivent pouvoir continuer à bénéficier d'orientations en établissement, tandis que certains handicaps moteurs et psychiques légers pourraient se voir proposer des solutions de logement autonome avec un accompagnement serré et un étayage familial.
Une autre grande mutation à accompagner concerne la frontière d'âge. Trop de personnes handicapées, concernées ou non par les départs en Belgique, voient leur prise en charge interrompue du fait de la frontière étanche entre le secteur enfants et le secteur adultes. Les situations dites d'amendement Creton ont pu un temps permettre d'atténuer la brutalité de cette transition. Pour mémoire, il s'agit de permettre aux enfants handicapés de plus de 18 ans de demeurer dans la structure les accueillant de façon dérogatoire jusqu'à l'âge de 20 ans, en attendant qu'une place dans le secteur adultes se libère. Les limites de cet aménagement ont été rapidement atteintes. En décalant la frontière de deux ans, il n'est offert rien de plus aux familles qu'un simple sursis qui, une fois les 20 ans de leur enfant atteints, débouche sur la même impasse. Par ailleurs, il faut bien avoir conscience que les deux secteurs - enfants et adultes - ne se distinguent pas seulement par le critère d'âge mais aussi par la nature de la prise en charge. Qu'elle soit éducative, pédagogique ou comportementale, elle devient nécessairement plus médicalisée, plus standardisée quand l'âge de la personne rend ses progrès moins évidents et moins rapides.
Le recul de l'espérance de vie des personnes handicapées, dont on ne peut que se réjouir, doit nous amener à repenser, au cas par cas, les phases de la prise en charge. Il ne devrait plus s'agir seulement de raisonner selon la dichotomie minorité/majorité mais bien en « périodes de vie ».
Nous voudrions, avant de conclure, évoquer plus particulièrement la situation des personnes atteintes d'autisme, dont les troubles envahissants du développement ou du comportement les rendent particulièrement vulnérables aux ruptures de parcours et qui sont les principaux concernés par les départs en Belgique. Le troisième plan autisme 2013-2017, qui bénéficie d'un financement dédié de 205 millions d'euros a défini cinq axes de priorité : le diagnostic précoce, l'accompagnement tout au long de la vie, le soutien aux familles, le soutien de l'effort de recherche et la formation de l'ensemble des acteurs. Le Président de la République, poursuivant l'effort collectif en faveur de ce handicap en particulier, a annoncé, lors des conclusions de la dernière Conférence nationale du handicap, un quatrième plan autisme et la concentration des moyens sur le diagnostic.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Malgré cela, deux grands défis, dont l'urgence n'est plus à démontrer, restent à relever. Le premier concerne la diffusion auprès des établissements accueillant des adultes frappés d'autisme des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé. Ces dernières existent bel et bien pour la prise en charge des enfants mais leur publication se fait toujours attendre pour celle des adultes. Ce retard a d'importantes conséquences. D'une part, il maintient autour de la prise en charge des adultes atteints d'autisme une imprécision autant dommageable aux personnes qu'aux gestionnaires d'établissement. La définition d'un référentiel et l'identification des pratiques à encourager ainsi qu'à éviter sont très attendues par les familles et par les professionnels et doivent permettre de mieux structurer le traitement d'un handicap dont les formes sont plurielles. D'autre part, nous sommes convaincus que ce retard de publication explique en grande partie l'atonie de l'offre médico-sociale destinée à ces publics en particulier, en raison des risques que les incertitudes font peser sur les gestionnaires.
Le deuxième grand enjeu a trait aux orientations en établissement psychiatrique dont sont victimes les personnes atteintes d'autisme. Dans de nombreux cas, l'hospitalisation de ces personnes peut être décidée faute de pouvoir les orienter vers un établissement médico-social adapté. Parce que le handicap est trop lourd, trop complexe ou trop pluriel, l'offre disponible n'est pas en mesure de proposer une prise en charge adaptée et l'admission en centre hospitalier spécialisé est le seul recours qui s'offre à des familles souvent démunies. Mes chers collègues, la véritable mutation à porter dans le monde de l'autisme se trouve ici. Nous proposons que les autorités de tarification et de contrôle soient plus incitatives, via les procédures d'appel à projet et les différents régimes d'exonération qui leur ont été apportés, et encouragent le déploiement de projets expérimentaux, d'établissements innovants où le projet et le parcours de la personne primeront effectivement et où on ne pourra plus refuser personne sous prétexte « que, ce handicap-là, on ne sait pas le traiter ».
Compte tenu des nombreuses ramifications de notre sujet et parce que le phénomène des départs en Belgique nous interroge plus largement sur la place que nous devons faire aux personnes handicapées dans notre société, notre rapport contient quarante propositions, dont plusieurs se veulent ambitieuses et porteuses de réformes profondes.
M. Georges Labazée. - Je remercie vivement les deux rapporteurs de ce remarquable travail. Je souhaite faire part de trois observations. Vous évoquez les modalités de fléchage des crédits du fonds d'amorçage et semblez déplorer qu'ils ne concernent que partiellement les départements. Effectivement, eu égard aux dépenses de prestation de compensation du handicap (PCH) qu'ils ont à assumer, cela aurait été intéressant. Proposez-vous un correctif en la matière ? Ensuite, je crois qu'on ne pourra pas se dispenser d'une revalorisation de la PCH, dont le niveau est aujourd'hui trop bas. Enfin, permettez-moi de faire référence au rapport que je dois rendre à la secrétaire d'État aux personnes âgées, en tant que parlementaire en mission, sur les services d'aide à domicile (Saad). Mes auditions m'ont fait prendre conscience du désir de diversification de ces services, qui incluent de plus en plus le handicap dans leur offre. Or, les interventions auprès de personnes âgées et de personnes handicapées ne sont pas les mêmes. Envisagez-vous un effort de formation pour ces Saad qui souhaitent intervenir dans le champ du handicap ?
Mme Isabelle Debré. - Vous évoquez le manque de places ainsi que l'impératif de décloisonnement des agréments attribués aux établissements. Lors de notre voyage en Belgique avec Claire-Lise Campion, nous avions constaté que les normes d'installation des établissements y étaient beaucoup moins contraignantes. L'avez-vous constaté pour les établissements que vous avez visités et pensez-vous que nous devrions réformer le degré de contraintes des normes en France ?
M. Jean-Marie Morisset. - Pourriez-vous nous expliquer le fonctionnement du fonds d'amorçage ? Je rebondis sur la question de Georges Labazée concernant l'accès des départements à ce fonds. J'exprime une crainte quant à l'universalité des plans d'accompagnement globaux ; cela ne pourra marcher qu'à la condition d'un certain dynamisme de l'offre, que nous ne constatons pas aujourd'hui, en tout cas au niveau départemental. Je souhaitais aussi souligner le besoin de rénovation urgent de certains établissements existants, qui s'interdisent de participer à des appels à projet par peur de devoir engager des dépenses d'investissement qu'ils ne pourront pas assumer. Enfin, quelle place donneriez-vous aux établissements d'aide par le travail (Esat) dans les solutions alternatives à promouvoir face aux départs en Belgique ?
Mme Catherine Génisson. - Je m'associe aux remerciements adressés à nos rapporteurs. La proposition sur le décloisonnement retient particulièrement mon attention. La Belgique appréhende le handicap de façon fondamentalement différente : l'approche est avant tout soucieuse de continuité dans les soins, tout au long de la vie de la personne. En proposant un décloisonnement des agréments, nos rapporteurs proposent d'aller dans ce sens, ce que je crois tout à fait salutaire. Concernant l'autisme, permettez-moi de réagir à la résolution déposée à l'Assemblée nationale sur les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé (HAS). Le législateur ne peut s'ériger en prescripteur médical.
M. Olivier Cigolotti. - Nous avons affaire en Belgique à un système à deux vitesses. Certains établissements reçoivent un agrément alors que d'autres, parfois des sociétés commerciales, accueillent la grande majorité de nos concitoyens. On peut légitimement s'interroger sur les avantages que les pouvoirs publics trouveraient actuellement à laisser perdurer une situation qui n'appelle d'eux qu'une prise en charge financière à distance.
Par ailleurs, vous évoquez le concept de désinstitutionalisation. Que recouvre-t-il exactement ? Enfin, je souhaitais vous interroger sur l'extension de ces départs, qui auparavant ne touchaient que les départements frontaliers et qui aujourd'hui semblent concerner l'ensemble du territoire français.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je répondrai globalement sur les problèmes relatifs à l'insuffisance de l'offre. Nous nous accordons tous sur l'aporie financière des départements. Non seulement les crédits du fonds d'amorçage ne les concernent pas mais ils sont en plus soumis à une pression importante de développement de l'offre à venir et de rénovation de l'offre existante. L'entrave n'est néanmoins pas seulement financière. Nous proposons dans notre rapport de repenser le système des appels à projets afin de rendre le développement de l'offre plus rapide et de consommer effectivement les crédits notifiés par les grands plans de créations de places. Nous souhaitons également rationaliser l'offre existante en la concentrant sur les profils les plus complexes et en favorisant le logement familial ou le logement semi-autonome pour les autres profils. Il nous faut proposer des solutions réalistes au regard de la tension sur l'offre et de la demande toujours plus croissante.
Monsieur Labazée, le renfort financier de la PCH serait souhaitable mais je crains que l'état des finances départementales ne le rende impossible. En revanche, je vous rejoins tout à fait sur l'effort de formation à faire porter sur les Saad pour les rendre compétents en matière de handicap, même s'il existe déjà des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) dont c'est en partie la mission.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Je souhaiterais pour ma part répondre aux questions relatives aux normes applicables en France et en Belgique. Il est certain qu'en Belgique, les normes pour ouvrir un établissement accueillant des personnes handicapées sont bien moins contraignantes. Pour autant, il ne faudrait pas que nous allions vers trop de dérégulation. Il ne s'agit pas pour nous de nous calquer sur le modèle belge, précisément au moment où la législation wallonne vise à aligner le régime des établissements titulaires d'une autorisation de prise en charge (APC), qui fait l'objet de critiques, sur celui des établissements agréés. Dans le même temps, l'accord-cadre franco-wallon a pour ambition de veiller, via des inspections conjointes entre les deux États, à la qualité de la prise en charge selon des standards définis par convention par les autorités françaises.
Catherine Génisson a évoqué le décloisonnement. Il est en effet nécessaire que nous engagions cette évolution. Nous appelons de nos voeux le pluri-agrément des établissements. Nous regrettons de n'avoir pu nous rendre à la fondation John-Bost qui, depuis plus d'une centaine d'années, fonctionne de façon à offrir à une personne handicapée l'accueil tout au long de la vie en prenant en compte les mutations nécessaires de la prise en charge. Concernant l'autisme, sans être des prescripteurs médicaux, nous avons un devoir de vigilance quant aux recommandations de la HAS et quant à leur application. Ces recommandations ne sont toujours pas publiées concernant les adultes atteints d'autisme.
Pour répondre à Olivier Cigolotti, s'agissant de la désinstitutionalisation, je pense qu'il s'agit de quelque chose d'attendu par certaines personnes handicapées, désireuses que leur autonomie soit valorisée. Enfin, les personnes prises en charges en Suisse ou en Espagne forment un contingent très limité en comparaison des personnes installées en Belgique.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je souhaitais revenir sur les critères de ventilation du fonds d'amorçage. Sur les 15 millions d'euros, 10 ont déjà été dépensés et 5 restent encore à répartir. Ces crédits se concentrent sur les territoires particulièrement concernés par les départs, donc surtout le Nord, le Pas-de-Calais et l'Ile-de-France.
Toujours sur les questions financières, gardons en tête que le financement global, État et départements confondus, de la prise en charge des personnes en Belgique s'élève à 400 millions d'euros, dont le montant dont être comparé à celui, plus modeste, du fonds d'amorçage. Il s'agit de nous interroger sur les moyens qu'il aurait été possible de déployer sur le territoire national à l'aide de ces 400 millions d'euros. Pour aller plus loin, Claire-Lise Campion évoquait à l'instant la désinstitutionalisation et la nécessité de prioriser l'accueil en établissement pour les cas de handicap les plus lourds. Cette stratégie, si elle est retenue, doit s'accompagner d'une rénovation des modalités de financement des établissements, dont on doit pouvoir faire évoluer la dotation en fonction de la complexité des profils dont ils acceptent la prise en charge.
Je souhaite enfin apporter une précision quant aux partenariats conclus avec la Belgique dans le suivi de la qualité de la prise en charge de nos concitoyens. Il est urgent que les départements y prennent toute leur part, les données actuellement centralisées par l'ARS des Hauts-de-France ne les incluant pas.
M. René-Paul Savary. - Je souhaite vous faire part d'un témoignage local, en tant qu'élu de la Marne. Dans mon département, 72 personnes handicapées sont prises en charge en Belgique dans trois établissements agréés et contrôlés. Il faut savoir que l'ouverture d'un établissement cofinancé par le conseil départemental représente un coût important en matière de fonctionnement, au minimum porté à 1,2 million d'euros par unité ouverte, avec des seuils d'ouverture minimaux de 40 places.
La gageure financière ne se limite pas à la question des ouvertures d'établissements. Vous avez évoqué la réforme profonde de la « réponse accompagnée pour tous » qui déterminera désormais les orientations de la personne en fonction des projets de vie individualisés. Il faut savoir que si la personne ne trouve pas d'établissement correspondant à ce projet, le département sera tenu de verser une PCH pouvant parfois atteindre jusqu'à 12 000 euros par mois. Pour reprendre l'exemple de mon département, la dotation de l'État pour la PCH, qui s'élève à 5 millions d'euros, serait alors très rapidement absorbée. En revanche, le département ne prend pas en charge l'accueil en maison d'accueil spécialisé (Mas). Il faut donc être attentif aux orientations prononcées par la CDAPH et à leurs incidences financières pour les différents acteurs.
En tant que rapporteur du secteur médico-social de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), je m'inquièterai des crédits alloués au plan d'aide à l'investissement (PAI), financés sur les réserves de la caisse nationale de la solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui sont par nature non pérennes. Ces crédits doivent financer la rénovation de l'offre médico-sociale existante et nous ne connaissons toujours pas les conditions de leur renouvellement.
Pour aller dans votre sens ainsi que dans celui de nos collègues, la Belgique prend effectivement le handicap en compte de façon globale, alors que nous en sommes restés à une approche segmentée, ce qui n'est pas pertinent pour les personnes atteintes de polyhandicap.
M. Dominique Watrin. - Ayant fait partie de la délégation sénatoriale s'étant rendue en Belgique, je souhaitais saluer l'excellent climat que nos rapporteurs ont su entretenir au cours de nos travaux. Je les rejoins dans leurs conclusions, même si je note que quelques-unes de leurs propositions me paraissent pécher par modestie. Vous êtes passés un peu rapidement sur les nécessaires créations de places. Selon la CNSA, 4 729 places en établissements et en services vont être créées sur la période 2016-2019, faisant ainsi évoluer sur un an l'offre de 3 % pour le public adulte et de 1,5 % pour le public enfant. C'est tout de même très peu. La critique rejoint le niveau du fonds d'amorçage, qu'on peut trouver insuffisant au regard des objectifs. À titre d'exemple, la région Hauts-de-France, pourtant destinataire de 3 millions d'euros, donc d'une fraction importante de ce fonds, a calculé que ce montant ne permettrait que l'ouverture de 38 places en Mas, pour un besoin de 11 000 personnes.
Je vous ferais aussi part de mon scepticisme quant à la stratégie de désinstitutionalisation. Il n'y a pas de raison que les familles, qui ont la charge d'un enfant frappé d'un handicap pas forcément qualifié de « lourd », se voient défavorisées par rapport aux autres. Elles sont elles aussi fortement mises à l'épreuve.
Concernant la prise en charge en Belgique, même s'il me faut mentionner les dérives mercantiles qui peuvent exister, on est contraint de leur reconnaître deux grands atouts qualitatifs sur nous : leur capacité à accompagner les cas les plus lourds, que certains établissements français hésitent à accueillir lorsqu'ils ne cadrent pas avec le projet de l'établissement, et la véritable inclusion scolaire des enfants handicapés. De ce point de vue-là, nous avons encore de considérables progrès à accomplir.
M. Yves Daudigny. - J'habite un département frontalier de la Belgique et connais bien ces problématiques. Il faut rappeler que, pour quelques-uns d'entre eux, ces départs se traduisent par de véritables réussites. Outre cela, je souhaitais évoquer deux points. En premier lieu, celui de l'orientation en établissement psychiatrique de personnes atteintes de handicap mental lourd : l'attrait pour la Belgique semble s'expliquer par l'existence d'une offre spécifique destinée à ces publics, alors que rien n'est prévu en France... En second lieu, avez-vous envisagé les situations où les enfants atteints d'autisme sont placés, au titre de l'aide sociale à l'enfance, chez leurs grands-parents ?
Mme Corinne Imbert. - Je voulais vous faire part de mon expérience d'élue locale de Charente-Maritime. Nous avons mis en place un observatoire départemental chargé de l'objectivation du nombre de places disponibles au sein des établissements et du suivi des listes d'attente. Cela appelle un vrai travail collaboratif avec les gestionnaires d'établissements qui montrent parfois des réticences aisément surmontables.
Nous nous sommes aussi beaucoup servis des Cpom pour opérer des redéploiements. Les taux d'occupation de certains foyers d'hébergement et Esat affichaient des niveaux insuffisants, ce qui nous a incités à les reconvertir en foyers occupationnels et en services d'accueil médico-social pour adulte handicapé (Samsah). Il en a résulté une création de 120 places à moyens constants.
La question du diagnostic précoce de l'autisme chez l'enfant est de première importance. Il arrive qu'on en vienne au placement de l'enfant au titre de l'aide sociale à l'enfance lorsque le diagnostic est contesté par les parents.
Enfin, comment est traitée la question des personnes handicapées vieillissantes en Belgique ?
Mme Élisabeth Doineau. - Je me réjouis des propositions contenues dans ce rapport, qui vont nous permettre de sortir des seules incantations. J'engage avant toute chose la commission à la prudence concernant les jugements émis sur la prise en charge en Belgique ; je rappelle qu'elle vient pallier des carences de l'offre en France et que nous devrions d'abord diriger la critique sur nous-mêmes.
Par ailleurs, le montant de 400 millions d'euros mentionné par Philippe Mouiller n'est pas si considérable comparé aux moyens consacrés à d'autres politiques publiques. La question des départs en Belgique résulte moins d'un problème financier que du choix des priorités politiques. Les 15 millions d'euros du fonds d'amorçage - montant bien modeste - confirment bien cette idée.
À mon tour de faire part de mon expérience d'élue locale. Nous accueillons en ce moment en Mayenne deux jumelles atteintes d'autisme, dont la prise en charge s'élève à 300 000 euros par an. Nous avons pu constater que la construction d'une solution adaptée ne pouvait se dispenser de la participation de tous les acteurs - département et ARS. Le multi-partenariat et l'inter-professionnalité sont, à mon sens, les deux dynamiques à encourager en ce sens. J'en veux pour exemple les grandes difficultés qu'éprouvent les parents d'enfants handicapés à monter des projets d'établissements. Nous peinons encore à leur apporter le soutien financier, logistique et administratif qui doit venir en appui de leurs idées.
Mme Michelle Meunier. - Je joins mes félicitations à celles de mes collègues pour la qualité de ce rapport. Parmi les quarante propositions que vous exposerez, laquelle vous paraît être la plus importante ? Pour ma part, je pense que beaucoup relève de l'éducation précoce et du repérage. Par ailleurs, quelles suites pensez-vous donner à ce travail ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je partage beaucoup des remarques de René-Paul Savary. Je reviens sur le niveau du fonds d'amorçage qui est appelé à être pérennisé. Le montant de 15 millions d'euros est évidemment insuffisant pour apporter une réponse d'ampleur, mais le Gouvernement a assuré que son financement serait abondé d'année en année, ce qu'il convient de garder en tête. Néanmoins, la politique nationale du handicap souffre de financements souvent mal définis et priorisés. Les sources de recettes ne sont pas toujours pérennes - les réserves de la CNSA en sont l'exemple-type - alors que les besoins exprimés le sont.
Nos travaux m'ont progressivement fait prendre conscience que la réponse à apporter au problème n'était pas uniquement quantitative - le nombre de places - mais aussi qualitative. Je répète mon attachement à la désinstitutionalisation : il n'est pas normal que des familles se retrouvent à gérer des handicaps très lourds à la maison avec la PCH pour seul renfort financier, quand des établissements ne prennent en charge que des cas moins complexes. En redéfinissant leur dotation en fonction de la complexité des profils accueillis, on devrait pouvoir permettre aux établissements de décharger les familles.
L'expérience décrite par Corinne Imbert illustre très bien les vertus du Cpom. Une offre assouplie est nécessairement plus réactive aux besoins. Les obstacles administratifs, qu'ils soient liés aux appels à projet, aux mono-agréments, à la fongibilité insuffisante, sont encore malheureusement trop nombreux. Encore une fois, il ne s'agit pas là de manquer de moyens mais d'être administrativement empêché de les employer.
Quant aux suites de notre travail, il m'est difficile de vous répondre maintenant, mais je souhaite que nos propositions soient portées après les prochaines échéances électorales.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - La pérennisation du fonds d'amorçage a bien été clairement annoncée par la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées. J'entends le scepticisme de Dominique Watrin sur la désinstitutionalisation mais je reste convaincue qu'il nous faut aller dans ce sens, d'autant que c'est une attente réellement exprimée par les personnes handicapées et leur famille.
La question d'Yves Daudigny me permet d'aborder la question délicate de l'aide sociale à l'enfance et de son articulation difficile avec la question du handicap de l'enfant. Le sujet est d'une extrême gravité : il n'est pas normal que les services sociaux soient sollicités en cas de contestation par les parents du diagnostic posé sur leur enfant.
Pour répondre à Michelle Meunier sur la place accordée à l'Éducation nationale dans notre rapport, une de nos propositions s'appuie sur une expérimentation menée par l'association de parents de jeunes handicapés (Apajh) dans le département de l'Ain. Il s'agit d'ouvrir des unités d'enseignement maternel (UEM) à proximité des écoles et de permettre une mobilité des personnels enseignants entre les deux structures. Nous souhaitons que ces unités soient généralisées à tous les départements.
M. Olivier Cadic. - En tant que sénateur représentant les Français de l'étranger, je peux témoigner de l'importance de ces sujets pour nos concitoyens expatriés. On parle très rarement de ces départs à l'étranger et j'espère que votre rapport leur apportera la notoriété nécessaire. Vous n'avez pas mentionné la question du personnel français employé par les établissements belges. Ils m'ont fait part des avantages importants que le travail en Belgique présentait sur la France. Peut-on envisager une amélioration du travail des éducateurs et des personnels spécialisés en France ? De façon générale, je rejoins Dominique Watrin sur les différences culturelles entre les deux pays concernant la perception du handicap.
Vous avez évoqué les plans de créations de places. Vous paraissent-ils assez ambitieux et de nature à véritablement endiguer le phénomène ? Sur la question des normes, j'entends bien l'inquiétude de Claire-Lise Campion sur la dérégulation excessive, mais je suis convaincu qu'il va nous falloir évoluer vers moins d'entraves administratives.
Mme Annie David. - Je m'associe aux remerciements qui vous ont été adressés. Plutôt que de reprendre les sujets déjà abordés par nos collègues, je voulais évoquer un pan du problème qui ne rentre que partiellement dans le cadre de votre mission. Je suis en effet beaucoup sollicitée sur des départs en Belgique consécutifs à des maltraitances subies par des enfants handicapés dans des établissements français. Il nous faudra un jour aborder le sujet de la prise en compte de la parole de l'enfant handicapé. Le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), qui vient d'être mis en place par la ministre de l'enfance, des familles et des droits des femmes, aura-t-il compétence pour les questions relatives aux enfants handicapés ? Je suis convaincue qu'une part non négligeable des départs en Belgique s'explique par la fuite de situations de maltraitance, dont je suis obligée de constater qu'elles sont de plus en plus fréquentes.
Je rejoins les rapporteurs sur le constat qu'ils posent de l'insuffisance de l'offre spécialisée pour les personnes atteintes d'autisme. L'absence de structure adaptée et la saturation des établissements psychiatriques ôtent toute possibilité de prise en charge pour ces publics qui sont obligés de recourir aux centres hospitaliers ordinaires, où les personnels ne sont absolument pas formés pour les soigner.
M. Michel Forissier. - Je prendrais volontiers le contrepied de certains de mes collègues sur le poids excessif des normes dans les établissements pour personnes handicapées. La prise en charge du handicap ne me semble pas se prêter aussi bien que d'autres secteurs au procès de l'inflation normative.
La désinstitutionalisation est une excellente idée. Mais le développement des logements semi-autonomes ne s'appuie aujourd'hui que sur l'initiative de certains bénévoles. Le secteur associatif n'est pas encore suffisamment investi dans le domaine. De toute évidence, ce seront les collectivités territoriales qui devront se charger de cette impulsion. Le département du Rhône a expérimenté l'attribution d'une aide financière à tous les bailleurs sociaux qui réservaient 5 % de leur parc aux logements adaptés. Ces initiatives sont toutes louables et mériteraient que l'on réfléchisse à un cadre législatif à leur donner, en conservant bien la compétence en la matière du couple commune/département.
M. Daniel Chasseing. - Je souhaite intervenir particulièrement sur la psychiatrie. Je ne reviens pas sur la crise que connaît actuellement la pédopsychiatrie en France. En Belgique, la prise en charge psychiatrique s'appuie beaucoup moins sur le traitement médicamenteux mais nécessite, par conséquent, une intervention du personnel beaucoup plus soutenue.
Je ne suis pas contre la désinstitutionalisation. Mais si, pour prendre l'exemple des Esat, on réserve l'accueil en établissement aux cas les plus lourds et qu'on privilégie pour les cas les moins lourds une immersion en milieu professionnel ordinaire, qui va financer l'accompagnement de ces derniers ?
M. Gérard Roche. - J'ai tout de même du mal à adhérer au tableau assez sombre que les interventions de mes collègues brossent de la prise en charge en France. Je ne peux pas croire que nous soyons les champions simultanés de l'inhumanité et de la maltraitance ! En revanche, ce que je reconnais bien volontiers aux Belges, c'est d'avoir compris la formidable opportunité que représentait l'économie sociale et solidaire en potentiel d'emplois. Ils sont parvenus, en déployant une offre attrayante et de qualité, à convaincre des personnes handicapées françaises de venir se faire soigner chez eux.
Mme Agnès Canayer. - Pour conclure, je souhaitais juste évoquer le blocage fréquent de la volonté des parents qui ne souhaitent pas faire de demande de réorientation lorsque leur enfant est admis en établissement et lorsque son âge nécessite sa prise en charge par une structure plus adaptée.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Pour répondre à Olivier Cadic, il est vrai que le personnel éducateur en Belgique est mieux responsabilisé, mieux payé pour les plus spécialisés d'entre eux et leur formation universitaire est moins coûteuse. Nous pouvons avoir certaines inquiétudes quant au départ des professionnels de la prise en charge dans les départements frontaliers, qui risquent de créer de véritables « déserts médico-sociaux ».
Concernant les créations de places, on estime à 500 000 le nombre de personnes atteintes d'autisme en France. Si l'on retient que, sur la programmation 2016-2019, environ 4 500 places d'établissements et de services leur sont réservées, on mesure la disproportion des besoins et de l'offre disponible.
Monsieur Forissier, vous évoquez avec justesse la question des logements semi-autonomes. L'association « Ilot Bon Secours », sise à Arras, nous a suggéré une solution intéressante : la mutualisation de la PCH des locataires des logements semi-autonomes afin de financer les charges communes et d'assurer la solvabilité des projets.
Monsieur Chasseing, je tiens à vous assurer que la désinstitutionalisation se ferait à périmètre financier constant. La prise en charge par l'assurance maladie pour les établissements et le renfort financier de la PCH pour le maintien de l'autonomie ont vocation à s'équilibrer. Reste à redéfinir la place occupée par les finances départementales dans le dispositif.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteure. - Les conclusions de notre rapport n'ont pas toutes vocation à connaître une traduction législative. N'oublions pas qu'en tant que parlementaires, notre rôle est aussi d'aiguillonner le Gouvernement et de veiller à ce que les promesses faites en matière de contrôle des établissements belges sont bien tenues.
Madame David, j'estime comme vous que le CNPE devrait prendre en compte la parole de l'enfant handicapé et les cas de maltraitances que vous avez soulevés.
Monsieur Forissier, mon expérience d'élue locale de l'Essonne rejoint tout à fait la vôtre quant aux expérimentations conduites sous l'égide de bénévoles uniquement, notamment pour ce qui est de l'ouverture de crèches pour enfants handicapés. Ce sont des initiatives qu'il nous a fallu porter avec force et conviction. Cela étant, n'oublions pas que sans le tissu associatif, le monde du handicap ne connaîtrait pas le degré de développement dont nous pouvons quand même être fiers aujourd'hui.
M. Philippe Mouiller, rapporteur. - Je souhaiterais clôturer nos débats en saluant le travail qu'a mené Claire-Lise Campion en faveur du monde du handicap tout au long de ses mandats.
M. Gérard Dériot, président. - La commission autorise-t-elle la publication du rapport d'information ?
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 55.