Mardi 13 décembre 2016
- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST -
La réunion est ouverte à 18 heures.
Audition, ouverte à la presse, du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)
M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST. - Cette réunion a pour objet l'audition du président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), M. Etienne Crépon, que je salue et que nous sommes heureux de recevoir à nouveau pour un échange avec l'OPECST sur son rapport d'activité 2015.
À vos côtés, Monsieur le président, je salue également Mme Séverine Kirchner, directrice adjointe de la recherche pour les questions de santé et de confort, ainsi que M. Jean-Christophe Visier, directeur énergie environnement, que nous connaissons bien aussi à l'OPECST, car c'est un familier de nos auditions publiques depuis 2009.
Cette audition relève des rencontres régulières entre l'OPECST et le CSTB prévues par l'article 9 de la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique, à l'image des habitudes similaires que nous avons déjà avec l'Autorité de sureté nucléaire ou l'Agence de biomédecine.
Nos liens sont maintenant assez réguliers, puisque, dernièrement, nous avons retrouvé M. Hervé Charrue, directeur général adjoint en charge de la recherche lors de l'inauguration de la plateforme technologique TIPEE à La Rochelle, et Hervé Charrue représentait le CSTB lors de notre audition publique du 24 novembre 2016 sur l'apport de l'innovation dans la lutte contre le changement climatique.
Cette audition publique a accueilli M. Carlos Moedas, commissaire européen à la recherche, à l'innovation et à la science, ainsi que Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, et comportait un volet relatif aux progrès de l'efficacité énergétique des bâtiments.
Monsieur Crépon, je vous laisse quelques minutes pour présenter les dernières actualités du CSTB en débordant peut-être sur les activités de l'année 2016, puis nous vous poserons un certain nombre de questions en lien avec des sollicitations récentes dont nous avons été nous-mêmes l'objet.
Je dois dire que les premières pages du rapport d'activité 2015 qui mentionnent la nécessité d'une « garantie de résultats et non pas seulement de moyens », et font ressortir le souci de la mesure de la « performance réelle » entrent en cohérence avec l'une des analyses importantes du rapport que j'ai rendu en juillet 2014 avec l'ancien sénateur Marcel Deneux sur les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment.
Par ailleurs, la page 11, mentionnant les efforts pour mettre en réseau le monde scientifique du bâtiment, converge avec l'affirmation du besoin d'un nouvel élan dans notre pays en faveur de la physique du bâtiment.
Enfin, je souligne l'importance, tout à fait justifiée selon moi, que le rapport d'activité accorde à la question de la qualité de l'air intérieur (page 35) ; la présence à vos côtés de Mme Kirchner met en valeur également cet aspect essentiel des activités du CSTB, puisque les progrès de l'isolation imposent par contrecoup une vigilance accrue dans ce domaine.
M. Etienne Crépon, président du CSTB. - En préambule, je précise que Mme Séverine Kirchner deviendra, d'ici quelques jours, directrice santé confort du CSTB, en remplacement de M. Christian Cochet, qui partira en préretraite tout en conservant des liens avec le CSTB.
Le CSTB ayant pour vocation d'aider, par ses travaux de recherche et de développement technologique, les acteurs du secteur du bâtiment, et au premier chef les pouvoirs publics, à se préparer aux principaux enjeux auxquels ce secteur va se trouver confronté au cours des prochaines années, je commencerai par évoquer ces enjeux.
J'en distingue quatre majeurs, sans que ma liste implique qu'il y ait entre eux un ordre de hiérarchie ou de priorité.
D'abord la transition environnementale, qui va au-delà de la transition énergétique, et a conduit à l'élaboration du nouveau label « Performance Environnementale des Bâtiments Neufs » qui a été présenté récemment par les deux ministres de l'environnement et du logement, et qui préfigure la future réglementation environnementale. Conformément aux voeux répétés du Parlement, exprimés tant lors de la loi Grenelle II que lors de la loi sur la transition énergétique, ce label prend en compte l'ensemble des paramètres environnementaux, et particulièrement les émissions de CO2 sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment. Les importants travaux du CSTB à cet égard depuis le début de l'année 2015 ont été menés principalement pour le compte de l'État, mais aussi en accompagnement d'autres acteurs, dont des start-up souhaitant se positionner sur la question de l'énergie dans le bâtiment.
Le deuxième enjeu est la révolution numérique qui attend le secteur du bâtiment dans quelques années, après les autres secteurs de notre économie. Depuis maintenant deux ans, le secteur se saisit des outils numériques et cela va profondément modifier les modes de fonctionnement. Le CSTB avait porté la maquette numérique sur les fonts baptismaux voici déjà une trentaine d'années, et joue aujourd'hui un rôle essentiel dans le déploiement du plan de transition numérique ; il a accompagné un certain nombre d'acteurs dans leur propres efforts de mise en oeuvre, notamment des centres hospitaliers universitaires dans diverses régions de France ou encore certains aménageurs responsables de grandes opérations d'intérêt national, comme Euroméditerranée à Marseille et Euratlantique à Bordeaux.
Le troisième enjeu est d'ordre social et sociétal, et concerne le confort d'utilisation des bâtiments, alors que l'esprit « productiviste » a dominé jusque-là dans la conception de bâtiments notamment non résidentiels. Des travaux de recherche, auxquels le CSTB a participé, ont montré que le confort d'utilisation des bâtiments jouait sur la qualité de vie dans les lieux de résidence et sur la productivité dans les lieux de travail. Au-delà, mes échanges avec des grands bailleurs sociaux me confortent dans l'idée que nous devrons réfléchir au moyen d'améliorer les conditions du « vivre ensemble » dans les logements collectifs. Il s'agit notamment de mieux gérer les bruits, et de permettre à des personnes ayant des rythmes de vie différents de cohabiter au sein d'un même immeuble. C'est un sujet à la fois scientifique et sociologique, qui sera au centre des préoccupations du secteur dans les années à venir.
Enfin, le quatrième défi rejoint un point que vous avez vous-même relevé en introduction, Monsieur le président. Il est lié au fait que le secteur du bâtiment va être, de plus en plus, confronté à une obligation de résultats, et non plus à une stricte exigence de moyens. C'est une évolution naturelle qu'ont connu antérieurement les autres grands secteurs industriels, mais qui va poser d'énormes difficultés d'ordre scientifique à l'ensemble des acteurs, ne serait-ce que parce que l'occupation d'un bâtiment modifie les conditions de fonctionnement de celui-ci, par rapport aux simulations théoriques qui ont été effectuées lors de la conception. Et la capacité à distinguer, dans les performances d'un bâtiment, ce qui relève du bâtiment lui-même et ce qui relève du comportement des habitants, constitue un des enjeux essentiels des travaux scientifiques pour le secteur, dans la prolongation de ceux déjà engagés par le CSTB.
Ce sont donc là les quatre principales orientations des activités scientifiques du CSTB.
Mais, au-delà de ses activités de recherche, le CSTB reste mandaté par l'État pour évaluer les produits nouveaux, notamment au travers de la procédure de l'avis technique. En 2015 et 2016, cette procédure a été recentrée sur les produits vraiment innovants.
Afin de rendre l'avis technique plus facile d'accès, notamment pour les TPE et les PME, nous avons poursuivi le déploiement de notre service Ariane, permettant d'accompagner les TPE et les PME dans leurs démarches d'évaluation technique sur les territoires, en concluant de nouveaux accords avec des partenaires locaux, la prochaine signature à Montpellier devant nous permettre de couvrir la région d'Occitanie.
J'en ai fini, Monsieur le président, avec les propos d'introduction que je souhaitais tenir et nous nous tenons maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Avant de laisser la parole à mes collègues, j'aurai une question concernant le premier défi que vous avez mentionné, à savoir la transition environnementale. La discussion de la loi sur la transition énergétique a fait ressortir le fait que la réglementation thermique RT2012 ne tenait pas compte des émissions de CO2, comme si ce sujet avait été passé par pertes et profits ; cela a fait l'objet notamment d'un amendement de François Brottes. Nos collègues Claude Birraux et Christian Bataille avaient déjà préconisé dans un rapport de 2009 qu'un plafond de CO2 vienne recentrer la norme de performance énergétique sur l'objectif essentiel de la lutte contre l'effet de serre.
Certes, l'expérimentation « Performance Environnementale des Bâtiments Neufs » mise en place pour tester la future réglementation thermique comporte un « socle carbone ».
De ce qu'on nous en a dit, il ressort que ce « socle carbone » serait très peu contraignant. Comme le label prévoit par ailleurs un resserrement de la norme en énergie primaire, il renforcerait le phénomène d'éviction de l'électricité, d'autant que le moteur de calcul continuerait à prendre en compte le chauffage électrique sur le mode du convecteur classique, quel que soit la sophistication de l'équipement utilisé, par exemple lorsqu'il s'agit d'une pompe à chaleur. Tout cela est-il exact ? Peut-on afficher un objectif de limitation des émissions de CO2 s'il n'y a aucun effet contraignant ? Pourquoi ne pas reprendre l'idée d'un plafond d'émission de CO2 ?
Le CSTB a lui-même travaillé, c'est indiqué page 29 de votre rapport d'activité, à l'élaboration d'une méthode qui évalue l'impact carbone de la fourniture d'énergie d'un bâtiment en exploitation. Comment expliquez-vous alors que la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) ne vous suive pas en ce sens, et n'adopte pas dans ce domaine une attitude plus volontariste ?
La question a été soulevée au cours de notre récente audition publique du 24 novembre 2016 relative au rôle de l'innovation dans la lutte contre le changement climatique, lors d'un échange entre M. Yves Bamberger, membre de l'Académie des technologies et M. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, et j'ai préféré éviter alors qu'on entre dans le vif du sujet. Nous avions compris qu'il n'était pas possible, en réponse à la préconisation du rapport de Claude Birraux et Christian Bataille, de modifier tout de suite la réglementation thermique alors qu'elle venait tout juste d'être finalisée. Mais une promesse a été faite à cette époque pour la prochaine réglementation thermique, confirmée l'an dernier par l'adoption de l'amendement de François Brottes qui a rapproché l'échéance à 2018. Si ces demandes répétées du Parlement ne sont pas satisfaites, nous allons finir par nous fâcher, et notre collègue Anne-Yvonne Le Dain pourra en rendre compte dans son prochain rapport sur la stratégie nationale de recherche en énergie.
De votre point de vue bien informé, puisque vous connaissez les textes qui ont été pris à cet égard, cette « Performance Environnementale des Bâtiments Neufs » permet-elle vraiment d'avancer dans la prise en compte des rejets de carbone ?
M. Etienne Crépon. - Quelques éléments de réponse à ces questions. D'abord, le maître d'ouvrage du nouveau label de performance pour les bâtiments neufs, c'est le Gouvernement. En la matière, le CSTB est son bras armé scientifique, qui élabore les méthodologies de calcul et les partage avec les acteurs ; mais la définition des seuils relève totalement et complètement de l'exécutif.
Au-delà de cela, pour ne pas donner l'impression d'esquiver la question, j'observe qu'il faut avoir conscience que le calcul du carbone dans un bâtiment, en analyse du cycle de vie, est un exercice fondamentalement nouveau pour l'ensemble de la filière de la construction. Dans une première étape, l'ensemble de la filière, dans sa diversité, devra se saisir du sujet, et apprendre à tenir compte du carbone rejeté par les opérations réalisées, en vue de maîtriser cette nouvelle problématique comme elle est parvenue à appréhender par le passé, à force de pédagogie, la consommation d'énergie, ou la performance acoustique ou la performance sanitaire des bâtiments. Nous en sommes aujourd'hui dans cette étape d'apprentissage par l'ensemble des acteurs.
Enfin, concernant le label de performance environnementale, dont les seuils, je le répète, relèvent de l'exécutif, et auquel le CSTB a contribué pour l'élaboration des méthodes de calcul, je constate que, malgré des voix divergentes, il a été porté par l'ensemble des acteurs de la construction réunis au sein du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique, mis en place par la loi sur la transition énergétique, et que tous, à l'issue des travaux de concertation menés par le Gouvernement, ont salué la mise en place de ce label. Donc, qu'il soit imparfait, c'est possible, voire probable, comme toute première étape dans une démarche ; de là, à dire qu'il doit être rejeté car il existe quelques voix discordantes, me paraît un peu extrême.
Au-delà de cela, pour répondre à des questions plus techniques concernant le contenu même du label, je propose de passer la parole à M. Jean-Christophe Visier, qui a travaillé depuis plus d'un an sur le sujet.
M. Jean-Christophe Visier, directeur énergie environnement du CSTB. - Suite aux demandes insistantes pour prendre en compte le rejet de carbone comme marqueur du changement climatique, les travaux qui ont été menés, dans le cadre d'un projet Assu-performance, qui pendant plus de deux ans, a associé l'ensemble des acteurs un peu en pointe sur ce sujet, ont montré que le carbone représentait en moyenne une émission d'une tonne et demi par mètre carré de surface construite, dont la moitié était liée à la manière dont on construit les bâtiments, à travers la mobilisation des matériaux de construction, la conduite du chantier, et l'autre moitié à l'énergie consommée pendant la phase d'exploitation. Avec la différence que cette première moitié est émise de suite, donc contribue instantanément au changement climatique, tandis que l'autre moitié est émise au cours de la vie du bâtiment. Il y a eu une prise de conscience des acteurs, non seulement qu'il fallait prendre en compte les émissions de carbone, mais aussi agir sur ces deux volets concernant d'une part la manière dont on construit, et d'autre part, l'énergie qu'on utilise en exploitation. Cette prise de conscience s'est faite progressivement.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Cela concerne les bâtiments neufs. Mais pour les bâtiments existants, et notamment les « passoires » thermiques ?
M. Jean-Christophe Visier. - Oui, le label concerne les bâtiments neufs. Pour les « passoires » thermiques, l'émission de carbone atteint quatre tonnes par mètre carré en exploitation ; c'est donc bien la partie d'exploitation sur une durée de cinquante ans qui représente la composante majeure d'émission. De là, l'enjeu de travailler sur l'ensemble du cycle de vie, qui a d'ailleurs été bien pris en compte par la loi sur la transition énergétique (modification en ce sens de l'article L.111-9 du code de la construction et de l'habitation).
Le référentiel « Énergie-Carbone » a été élaboré autour de plusieurs niveaux. Le premier niveau en énergie représente en gros cinq pour cent de moins que le niveau en énergie de la réglementation thermique ; le quatrième niveau correspond à une couverture complète des consommations énergétiques par des énergies renouvelables. S'agissant du carbone, le référentiel prévoit deux niveaux. Le niveau un est peu exigeant ; son objectif est d'amener tous les acteurs de la construction à apprendre à peser le carbone, de manière à ce qu'ils puissent faire ensuite des progrès. En revanche, le niveau deux est nettement plus exigeant, à un point tel que les acteurs du gaz le considèrent comme inatteignable pour eux dans certaines zones géographiques. Il faut donc bien distinguer ce premier niveau d'apprentissage, accessible y compris avec de l'énergie carbonée, et le niveau « Carbone 2 » qui, lui, est très contraignant, même hors de portée pour certaines techniques, sauf à effectuer des progrès considérables.
Une précision par rapport à l'une de vos interrogations : dans la RT2012, l'utilisation des pompes à chaleur est bien évidemment valorisée beaucoup mieux que le chauffage électrique direct. Le recours à ce dernier impose, pour respecter la réglementation, une sur-isolation du bâtiment par rapport à l'isolation requise en combinaison avec les pompes à chaleur. D'ailleurs, celles-ci se sont fortement répandues dans les constructions de maisons individuelles, conférant à la France un leadership dans ce secteur, en termes notamment de nombre de pompes à chaleur installées.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Le nouveau label est donc peu exigeant pour le carbone ?
M. Jean-Christophe Visier. - Le niveau « Carbone 1 » est peu exigeant dans l'absolu, sauf qu'il est exigeant au sens où il oblige tous les acteurs à travailler le sujet des émissions de carbone ; sachant que le nombre d'acteurs capables de faire une évaluation des émissions de carbone est extrêmement faible, et que c'est un véritable enjeu de faire évoluer la filière dans cette direction, et notamment d'obtenir des industriels qu'ils fournissent l'ensemble des données nécessaires pour pouvoir faire les calculs. Le CSTB a dû faire des approximations pour un millier de données qui n'existaient pas. Il y a, derrière cela, un enjeu de montée en compétence de la filière comme le disait M. Crépon.
M. Jean-Yves Le Déaut. - C'est bien d'avoir un objectif pédagogique, mais il faut tout de même faire preuve d'un peu d'ambition, car, sans contrainte, on risque de ne pas avoir de progrès. Après une RT2005 qui favorisait l'électricité, puis une RT2012 qui favorise le gaz, il faudrait parvenir à une réglementation thermique qui ne s'occupe ni de l'électricité, ni du gaz, et qui permette d'atteindre les objectifs de la France en matière de rejet de gaz à effet de serre. On a tout de même l'impression que c'est l'idéologie et non la science qui prime sur certaines décisions qui pourraient être prises. On ne peut être que d'accord avec la décision prise par le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique, sauf que le diable est dans les détails, lesquels, tels qu'ils sont en train de se préciser peu à peu, ne vont pas dans le bon sens.
M. Etienne Crépon. - Faites confiance aux acteurs de la construction, Monsieur le Président, pour avoir regardé très en détail et négocié pied à pied l'ensemble des éléments de ce label. Ils sont conscients que c'est l'avenir de la construction qui se dessine globalement au travers de ce label, et par là, l'avenir de leur propre activité. Vous avez raison d'indiquer que le diable se niche dans les détails, mais justement ils ont été très vigilants sur les détails.
S'agissant du niveau d'exigence, on aurait pu effectivement partir sur un degré d'exigence très élevé, mais l'expérience qu'on peut avoir de ce genre d'expérience au CSTB, et que je peux avoir à titre personnel, montre qu'on rebuterait alors quatre-vingt-dix pour cent des acteurs, que seulement dix pour cent environ des acteurs se saisiraient véritablement de l'enjeu, et qu'on ne parviendrait pas à créer un mouvement de masse ; on manquerait alors l'objectif que l'ensemble de la filière, le million trois-cent mille personnes qui y travaillent, s'approprient cet enjeu de l'émission du carbone.
Or, clairement, l'enjeu majeur aujourd'hui, c'est celui-là. Il s'agit de faire en sorte qu'une filière industrielle, qui est la principale émettrice de gaz à effet de serre aujourd'hui, se saisisse de la question des rejets de carbone. L'atteinte de ce but passe par une exigence forte de pédagogie, et, le fait de mettre la barre à un niveau atteignable par tout le monde, niveau qui, encore une fois, relève clairement d'un choix politique qui appartient au Gouvernement et non au CSTB, constitue une bonne manière, en matière de politique publique, d'obtenir l'implication de l'ensemble des acteurs, sans qu'ils ne soient rebutés.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l'OPECST. - J'aurai trois questions qui concernent la stratégie de recherche du CSTB, d'une manière globale, ensuite les axes de cette stratégie, et enfin la place des start-up et autres entreprises innovantes dans le secteur.
Le contrat d'objectifs et de performance du CSTB fait bien référence à la stratégie nationale de recherche, mais j'aimerais savoir si le CSTB a bien été directement associé aux réflexions qui ont conduit à l'élaboration de la stratégie de recherche en énergie, et de quelle manière.
Ma deuxième question s'appuie sur le rapport de la Cour des comptes de septembre 2016 qui porte sur l'efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, et qui observe une quasi-stagnation de la consommation énergétique des bâtiments, avec une diminution de 1 % depuis 2009 à comparer avec l'objectif d'une diminution de 38 % d'ici 2020 prévu par la loi Grenelle I, alors que les dépenses fiscales relatives au logement, qui sont considérables, contribuent à un grand nombre de rénovations. En particulier, il y a un biais à expliquer concernant le faible impact des progrès enregistrés sur le chauffage, qui a enregistré, pour sa part, une diminution de consommation énergétique de plus de 7 %.
M. Etienne Crépon. - Le CSTB est membre de l'Alliance nationale pour la recherche dans le domaine de l'énergie, ANCRE, et à ce titre, a été associé aux travaux d'élaboration de la stratégie nationale de recherche en énergie.
S'agissant du décalage que vous évoquez, j'ai posé la même question à la direction des analyses et des études économiques et à la direction Énergie Environnement du CSTB pour qu'ils m'apportent des éléments d'analyse dont je ne dispose pas pour l'instant, en tous cas de façon quantitative. Mais, pour ce qui concerne des éléments non quantifiés, non objectivés, je prendrais en compte d'abord l'augmentation du parc, qui se poursuit au rythme de trois à quatre cent mille logements supplémentaires par an, constructions neuves minorées des démolitions ; ensuite le fait que les bâtiments les plus difficiles à rénover sont les plus énergivores, notamment parce qu'ils concernent généralement les ménages les plus modestes qui n'ont pas les moyens d'effectuer des travaux de rénovation énergétique, et c'est la raison pour laquelle la loi de transition énergétique a mis en place des outils financiers spécifiques ; enfin, les changements de mode de vie et de comportements, l'émergence des objets connectés et des outils numériques au sein des logements ont peut-être eu un impact, mais qui reste à démontrer scientifiquement. Mais, sur ces différents points, je ne peux formuler que des pistes de réflexion sur lesquelles les équipes du CSTB sont en train de travailler.
Mme Delphine Bataille, sénatrice. - J'aurais voulu savoir si le CSTB travaille en partenariat avec d'autres acteurs du bâtiment, notamment en ce qui concerne l'économie circulaire ; si, à cet égard, le CSTB met en oeuvre des outils spécifiques que vous pourriez nous décrire, et le cas échéant, quel bilan vous pourriez en tirer.
M. Etienne Crépon. - Au plan scientifique, nous sommes en relation avec les principaux centres de recherche français, comme le CNRS, le CEA ou un certain nombre de laboratoires universitaires comme le LASIE (Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement) de l'université de La Rochelle, ou le LEMTA (Laboratoire d'énergétique et de mécanique théorique appliquée) de l'université de Lorraine.
Nous avons aussi des partenariats avec les principaux centres de recherche étrangers intervenant dans le secteur du bâtiment : très fréquemment en Europe, avec nos collègues finlandais, suédois, danois, espagnols, dans le cadre de réponses à des appels d'offre de la Commission européenne ; en dehors de l'Europe, avec le NIST (National Institute of Standards and Technology) au États-Unis, le CNRC (Conseil national de recherches du Canada) au Canada, le BRI (Building Research Institute) au Japon, pour mentionner les principaux.
À chaque fois, il s'agit pour le CSTB d'aller chercher une expertise reconnue au niveau international, et inversement d'apporter notre collaboration sur nos domaines d'excellence, comme par exemple celui de la qualité de l'air qu'a évoqué le président Jean-Yves Le Déaut, les travaux menés par le CSTB dans ce domaine faisant globalement référence.
Au plan de l'accompagnement de l'innovation, nous avons établi des partenariats avec des plateformes sur tout le territoire ; nous en avons deux en nouvelle Aquitaine, un couvrant les Pays de Loire et la Bretagne, un dans les Hauts-de-France, un dans le Grand Est, un en Bourgogne-Franche Comté, un en Auvergne-Rhône-Alpes, et comme je l'ai déjà mentionné, je signe après-demain une convention avec un partenaire en région Occitanie. Nous aidons tous ces membres de ce réseau d'accompagnement à guider les TPE et PME qui portent une innovation à aborder le marché de la construction qui est fondamentalement complexe du fait de la multiplicité des donneurs d'ordre, chacun ayant un pouvoir de blocage ; il s'agit de les convaincre de donner leur feu vert. Certains des partenariats sont, de ce point de vue, très productifs ; d'autres méritent d'être redynamisés, voire reconsidérés.
Dans ce domaine de l'accompagnement, nous avons également établi des partenariats à l'étranger, principalement avec nos homologues européens, là aussi avec quelques belles réussites et quelques expériences moins efficaces.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je voudrais revenir sur la question de la performance réelle. Nous avons appris que la DHUP avait commandé au CSTB une étude sur l'intégration de la gestion active de l'énergie au moteur de calcul. Qu'en est-il, et pouvez-vous nous en donner les principales conclusions ?
Par ailleurs, où en est-on dans la mise en oeuvre, notamment sur la base de votre accord avec le bailleur 3F, des techniques des mesures de performance réelle mises au point par le CSTB ? À savoir notamment les méthodes ISABELE (In Situ Assessment of the Building Enveloppe Performance) et REPERE (Retour d'expérience sur la performance effective des rénovations énergétiques), que nous avons citées lors de notre audition publique du 24 novembre déjà évoquée ?
M. Etienne Crépon. - Pour la première question, je passerai la parole à Jean-Christophe Visier. Pour la seconde, je rappellerai d'abord que la méthode REPERE consiste à appareiller un bâtiment devant être rénové avec des systèmes de mesure, un an avant le début du chantier, afin de disposer de données de référence sur l'intégralité d'une saison de chauffe, puis à laisser les capteurs sur place une fois les travaux faits, notamment un capteur thermique par pièce et un capteur sur le compteur d'électricité. Les données recueillies permettent ainsi d'effectuer une mesure de performance corrigée des effets des variations climatiques et des changements de comportement des utilisateurs ; il permet de détecter d'éventuelles erreurs de réalisation du projet de réhabilitation.
La méthode ISABELE concerne les logements neufs et permet de mesurer la performance de l'enveloppe en matière d'isolation.
Ces deux méthodes sont issues de travaux du CSTB remontant à plusieurs années ; un accord avec l'immobilière 3F permet de tester la méthode ISABELE qui est encore en phase de développement, les premiers essais ayant eu lieu au printemps de l'année 2016, et prévoit, par ailleurs, de tester la méthode REPERE grâce à l'appareillage prochain de 1 000 logements. Des accords ont été passés avec d'autres bailleurs pour conduire d'autres tests, en vue notamment de répondre à leur souhait de pouvoir s'appuyer sur un savoir d'expert indépendant opposable aux locataires, susceptible d'expliquer les écarts entre les performances annoncées et les résultats que ceux-ci constatent.
M. Jean-Christophe Visier. - Concernant le contrôle actif des bâtiments, la DHUP a commandé une étude au CSTB consistant à identifier, dans l'ensemble des dispositifs concernés, ceux qui sont déjà intégrés à la RT2012, il y en a déjà beaucoup, et ceux qui ne le sont pas, en évaluant pour ces derniers les moyens à mettre en oeuvre pour leur intégration. Cette intégration est complexe à l'image des 1 500 pages de la réglementation thermique, les 1 315 pages d'origine auxquelles se sont ajoutées les pages des « Titre V » venues le compléter entretemps. L'enjeu est d'intégrer tous les contrôles actifs en s'appuyant sur ceux qui correspondent au développement le plus large, et ceux qui suscitent un consensus quant à leur efficacité. Cette étude a conduit à réaliser des interviews d'industriels ; la DHUP a reçu le rapport récemment et est en train de l'analyser.
Pour revenir sur la méthode ISABELE, elle vise à vérifier la performance du bâtiment au moment où il est livré. Nous sommes à cet égard confrontés à une large demande des industriels qui souhaitent pouvoir montrer à leurs clients la qualité du travail qu'ils ont effectuée, d'une part pour satisfaire à l'attente de ceux-ci, d'autre part, pour pousser leurs concurrents travaillant de façon un peu approximative, à progresser. La méthode permet de vérifier l'isolation du bâtiment dans sa globalité. Elle résulte d'une démarche scientifique ayant conduit d'abord à effectuer des essais sur des cellules expérimentales au sein du CSTB, ensuite à réaliser des mesures sur des bâtiments réels avec un équipement de laboratoire mis en oeuvre par le CSTB, puis le CSTB a mis au point un kit d'instrumentation qui a été testé entre les mains d'opérateurs autres que ceux du CSTB, et l'on se rapproche maintenant du moment où l'on pourra transférer les outils correspondants à des acteurs de terrain, le but étant, non pas de laisser au CSTB la charge de faire toutes les mesures sur le terrain, mais plutôt de parvenir à un système pouvant être déployé à l'échelle de l'ensemble des constructions.
Aujourd'hui, lorsqu'on réceptionne un bâtiment, on mesure sa perméabilité à l'air, c'est à dire qu'on vérifie s'il n'y a pas de fuites, et les dispositifs pour effectuer cette vérification sont disponibles, et ont été imposés par la RT2012. Pour la mesure de la performance en isolation, on pense être en mesure de mettre les outils correspondants entre les mains d'opérateurs volontaires d'ici dix-huit mois, en espérant ensuite amorcer une généralisation sur le modèle de ce qu'on a pu faire avec la perméabilité à l'air.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Où en est-on des évolutions du moteur de calcul ?
M. Jean-Christophe Visier. - Le moteur de calcul a été mis en mode de logiciel « ouvert », et est utilisé de trois manières différentes : les éditeurs de logiciel l'intègrent à leurs produits de conception, et travaillent sur les interfaces ; on en compte une quinzaine, qui ont pour clients tous les bureaux d'études français ; ensuite, certaines start-up intègrent le moteur de calcul à des outils d'assistance à la rénovation, destinés à fournir du conseil ; enfin, quelques scientifiques, quelques industriels utilisent la possibilité d'entrer dans le code source, mais cette utilisation demeure minoritaire par rapport à l'intégration sous forme compilée en vue d'utiliser le moteur par lui-même. Nous avons pourtant informé la communauté scientifique de cette nouvelle possibilité d'accéder au code source ; quelques équipes se sont emparées de cette possibilité, par exemple à l'université de La Rochelle, mais cela reste une affaire de spécialistes.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Avez-vous effectué des comparaisons d'autres moteurs de calcul, comme on l'a vu pratiquer dans d'autres pays, le but étant de vérifier que les mêmes variations produisent les mêmes effets ?
M. Jean-Christophe Visier. - Des benchmarks sont conduits régulièrement pour permettre aux développeurs de nouveaux moteurs de se caler par rapport aux cas de référence. Des publications indiquent le positionnement du moteur de calcul par rapport à ces cas de référence. Mais ceux-ci sont généralement extrêmement courants, et ne comportent pas, par exemple, le moyen de tester la qualité d'intégration des systèmes de gestion active de l'énergie, parce qu'il n'y a pas suffisamment d'acteurs impliqués dans les développements logiciels correspondants.
Concernant les contrôles actifs, l'association européenne des industriels qui les développent a conduit une étude auprès des différents pays pour évaluer comment ces contrôles actifs étaient pris en compte ; et il apparaît que la France n'est pas à la traîne dans ce domaine.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Je reviens à des questions de fond un peu différentes. Que représente le CSTB pour la recherche publique, et, par ailleurs, pour le secteur privé ? À côté des missions d'accompagnement de l'action publique, qui mobilisent probablement des juristes, que représente le CSTB en termes de forces de recherche ? Est-ce qu'il conduit lui-même des recherches, et en lien avec quelles autres institutions de recherche ? En ce cas, quels sont les axes autour desquels se structurent ses travaux ? Est-ce que le CSTB essaime sous forme de jeunes entreprises innovantes ? Et à cet égard, y-a-t-il des domaines qui sont privilégiés, ou au contraire, dans une logique Open Bar, toutes les pistes sont-elles encouragées avec l'idée de donner sa chance à ce qui marche ? Pouvez-vous nous faire une présentation d'ensemble permettant de comprendre plus clairement le rôle du CSTB ?
M. Etienne Crépon. - Je suis désolé que vous ayez un sentiment d'opacité. Le CSTB rassemble mille collaborateurs, exactement 919, dont une force de recherche de deux cents personnes. C'est un organisme qui fait de la recherche et de l'expertise sur l'ensemble des secteurs qui intéressent le bâtiment, notamment l'énergie, l'environnement, l'acoustique, la santé notamment pour la qualité de l'air, que ce soit au regard des émissions de composés organiques volatiles, ou de la présence d'amiante. Le CSTB s'occupe aussi de la sécurité, par exemple la sécurité incendie, et il est à ce titre l'un des laboratoires de référence pour le ministère de l'intérieur. Enfin, il s'occupe du déploiement du numérique dans le secteur du bâtiment.
Les axes de recherche du CSTB font l'objet chaque année d'une délibération de son conseil d'administration, et d'une évaluation par son conseil scientifique. Le CSTB bénéficie d'une subvention qui couvre 30 % de son activité de recherche. Elle a connu une baisse de plus de 30 % ces deux dernières années.
Sur les quarante millions de notre budget de recherche, un peu moins d'un tiers provient de la dotation publique, et permet de faire de la recherche amont ; un tiers consiste en un soutien technique aux pouvoirs publics, notamment pour l'élaboration ou l'évaluation des règlementations ; un tiers enfin s'appuie sur des contrats avec des partenaires économiques, dont des collectivités territoriales, qui sollicitent de plus en plus le CSTB sur les questions énergétiques et numériques, et des start-up qui ont besoin d'un accompagnement pour entrer sur le marché de la construction.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Placé où vous êtes, avez-vous une information sur l'état d'avancement de la rédaction du décret en conseil d'État sur la rénovation énergétique qui est prescrit par l'article 14 de la loi sur la transition énergétique ?
M. Etienne Crépon. - Je ne sais pas du tout où en sont les ministères sur l'élaboration de ce projet de texte.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous n'avez pas été sollicités, d'aucune manière ?
M. Jean-Christophe Visier. - C'est le genre de sujet, sur lequel nous n'intervenons potentiellement qu'en expertise. Mais, alors que, pour le label « Énergie-Carbone », nous étions au coeur du dispositif, là nous n'avons fait l'objet d'aucune demande structurée.
M. Etienne Crépon. - Les ministères en charge de la construction disposent éventuellement d'autres ressources d'expertise que le CSTB. Le fait que nous n'ayons pas été sollicités n'implique pas forcément qu'aucun travail scientifique ne soit conduit sur le sujet.
Du côté du CSTB, les équipes scientifiques compétentes en matière d'énergie et d'environnement, qui représentent une quarantaine de chercheurs ont été, ces derniers mois, très, très fortement mobilisées par la préparation du label de performance environnementale des bâtiments neufs, Jean-Christophe Visier ayant fourni à leur tête un travail considérable.
M. Jean-Christophe Visier. - La stratégie de recherche du CSTB comprend un programme « Énergie - Environnement » qui a été décliné en trois actions correspondant au développement, premièrement, des bases scientifiques du label « Énergie-Carbone », deuxièmement, de la méthode REPERE centrée sur la mesure de la performance énergétique, et troisièmement, d'outils pour gérer les parcs de bâtiments.
S'agissant du décret sur les bâtiments existants, en fait, avant de poser des questions scientifiques, la rénovation soulève prioritairement, d'une part, des problèmes de financement, qui ne se posent pas dans les mêmes termes pour la construction, laquelle s'appuie toujours au départ sur un budget, et, d'autre part, des problèmes de protection du patrimoine. Sur ces deux aspects, l'expertise scientifique du CSTB n'est d'aucun apport.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je suis d'accord avec vous sur le blocage lié au financement. Un calcul d'ordre de grandeur du coût de la rénovation, trois cents euros au mètre carré pour trois milliards de mètres carrés, permet d'estimer le besoin supplémentaire de financement pour la rénovation à neuf cent milliards d'euros. J'ai moi-même veillé à faire adopter, dans la loi sur la transition énergétique, un dispositif répondant pour partie à ce besoin, permettant de mobiliser la valeur patrimoniale du bien pour gager des emprunts, dont le remboursement s'opère au moment de la mutation du bien. Il n'empêche que la rénovation comporte une dimension scientifique importante, dans la mesure où il s'agit de définir, pour chaque cas, les techniques les plus appropriées afin de minimiser les coûts.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - J'ai justement une question relative à la dimension scientifique des activités du CSTB. Vos chercheurs publient-ils ? Dans ce cas, où publient-ils ? Dans quel type de revues ?
M. Etienne Crépon. - Séverine Kirchner vous donnera des détails, mais effectivement, les chercheurs du CSTB publient dans des revues à comité de lecture. Le contrat d'objectif et de performance du CSTB prévoit même à cet égard des indicateurs chiffrés.
Mme Séverine Kirchner, directrice adjointe de la recherche pour les questions de santé et de confort. - Le CSTB formalise un programme de recherche annuel, et même pluriannuel. Un des indicateurs est le nombre de publications dans des revues de rang A. On accueille également des doctorants pour faire de la formation par la recherche ; le CSTB noue des partenariats comme celui qui le lie à l'université de La Rochelle pour accueillir des doctorants et des post-doctorants. Le CSTB accueille également des chercheurs étrangers qui viennent nous aider à exploiter les bases de données qui font l'originalité du CSTB, en particulier les bases de données nationales relatives à la qualité de l'air intérieur.
Il y a donc une véritable vie de recherche au sein du CSTB, y compris sous l'angle de l'évaluation, puisqu'un Conseil scientifique, composé de scientifiques indépendants est chargé de l'évaluation des programmes de recherche et notamment de la qualité des productions scientifiques des résultats, des partenariats et co-programmations, des publications et des travaux de valorisation.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Est-ce que vous financez des allocations de recherche ?
Mme Séverine Kirchner. - Oui, nous finançons nos doctorants, en collaboration avec l'ADEME, notamment.
M. Etienne Crépon. - Nous accueillons en permanence une soixantaine de doctorants, ce qui signifie un flux d'entrées et de départs de vingt par an en moyenne.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Sont-ils tous sur le site du CSTB ?
M. Etienne Crépon. - Le CSTB a quatre implantations, dont la principale à Champs-sur-Marne, et les autres à Nantes, Grenoble et Sofia-Antipolis, et les doctorants se répartissent entre ces quatre sites.
M. Jean-Christophe Visier. - Le CSTB pratique aussi les échanges de chercheurs avec d'autres établissements, ce qui fournit l'occasion de découvrir des cultures différentes.
Mme Séverine Kirchner. - Tous nos doctorants suivent une formation doctorale qui fait l'objet d'un encadrement universitaire.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je voudrais revenir sur le coefficient de conversion de l'électricité. Dans le domaine de l'automobile, on encourage les véhicules électriques. Mais, dans le bâtiment, ce coefficient de conversion a un effet d'éviction de l'électricité, même si on a bien entendu que la RT2012 prend mieux en compte aujourd'hui les pompes à chaleur.
Mais la part de production d'électricité à partir des énergies renouvelables augmente, et cela devrait se refléter dans le calcul du coefficient de conversion.
J'observe d'ailleurs que l'industrie du gaz elle aussi s'inscrit dans une logique faisant progressivement augmenter la composante renouvelable du gaz pour limiter les rejets de carbone.
La Commission européenne serait, paraît-il, ouverte aujourd'hui à la fixation d'un coefficient de conversion de l'électricité qui pourrait descendre jusqu'à 2 au lieu du 2,58 actuel. Avez-vous été saisi pour des réflexions sur ce sujet ?
M. Jean-Christophe Visier. - Tout à fait. Dans le cadre du label « Énergie-Carbone », une des importantes évolutions consiste à ne compter que la part non renouvelable de l'énergie, dans le but de limiter celle-ci, ce qui va complètement dans votre sens. Nous avons proposé d'adapter le coefficient de conversion de l'électricité en conséquence, mais la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a estimé que la variation, de l'ordre de 4 %, n'était pas suffisante pour justifier une modification du référentiel de calcul. Ce n'était donc pas une décision du CSTB.
M. Etienne Crépon. - Quelques éléments de réponse complémentaires. On sait bien que ce coefficient de conversion fait débat, sachant que ce coefficient est censé représenter la part d'énergie qui se dilapide sur le réseau électrique entre le lieu de production et le lieu de consommation. Mais, même si nous avons été amenés à donner un avis dans le cadre de nos travaux sur le label « Énergie-Carbone », c'est clairement un sujet sur lequel le CSTB n'a pas de compétences scientifiques ; d'autres structures sont bien mieux placées scientifiquement pour évaluer, par exemple, les pertes sur les lignes à haute tension.
Concernant l'application du coefficient de conversion de 2,58 aux énergies renouvelables en autoconsommation, c'est une question que nous avons posée nous-mêmes à la DGEC, qui l'a tranchée en opportunité. Mais je répète que le CSTB n'a pas les compétences scientifiques pour valider ou invalider la valeur du coefficient de conversion de l'électricité.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - On parle très peu des réseaux de chaleur ; or, c'est un moyen de transporter de l'énergie sur de grandes distances, avec des déperditions assez faibles grâce à l'inertie thermique. Est-ce que le CSTB est associé à la politique menée dans ce domaine-là ? Je pense en particulier au logement collectif ou au réseau de ville.
M. Jean-Christophe Visier. Sur le plan réglementaire, le moteur de calcul de la RT2012 intègre depuis longtemps les réseaux de chaleur, et les récupérations de chaleur, par exemple en chauffant de l'eau grâce à la chaleur dégagée par la climatisation du bâtiment d'à côté, sont fortement valorisées. Sur le plan de la recherche et développement, le CSTB développe un outil logiciel qui permet d'optimiser les réseaux, qu'ils soient de gaz, d'électricité, de chaleur, de façon à les utiliser de façon optimisée dans les zones d'aménagement. Il s'agit notamment d'identifier des chaleurs fatales qui pourraient être récupérées pour le chauffage de logements, par exemple celles produites par les centres de calcul ou les business centers, qui sont quasi-gratuites. Pour le CSTB, ce développement constitue un investissement scientifique fort ; il vise à donner aux aménageurs, dès l'amont du projet, et ensuite tout au long du projet, les éléments de faire des choix en connaissance de cause.
Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Le CSTB met en place des outils. Sont-ils certifiés ? Quelles normes leur sont appliquées ? Sont-ils vendus, voire exportés ?
M. Etienne Crépon. - Comme nous l'avons fait pour le moteur de calcul, nous confrontons nos outils à l'ensemble de la communauté scientifique, et la vente de nos outils logiciels constitue l'un des aspects de nos relations avec les acteurs économiques ; le chiffre d'affaires ainsi réalisé est modeste, de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'euros ces dernières années ; il devrait atteindre en 2016 près de cinq cent mille euros, avec l'objectif de poursuivre cette croissance, car j'estime que, au-delà de l'aspect financier, la diffusion de ces outils auprès des acteurs du secteur, collectivités locales ou bureaux d'études, fait complètement partie de nos missions. Des partenariats permettent d'étendre les ventes à l'Espagne et au Maroc notamment.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Trois dernières questions pour conclure. D'abord, l'arrêté du 3 mai 2007 définissant la réglementation thermique des bâtiments existants « élément par élément » a été mis à jour récemment sous la pression du Réseau pour la transition énergétique (CLER) et de l'ONG France Nature Environnement (FNE), qui avaient porté plainte auprès de la Commission européenne afin d'obliger la France à réviser et adapter ce texte « obsolète » aux évolutions technologiques, conformément à ce qu'impose tous les cinq ans la directive européenne relative à la performance énergétique des bâtiments.
Comment la rénovation « élément par élément » se combine-t-elle avec la nécessité d'une approche globale de la rénovation énergétique, qui permet de cibler par priorité les opérations de rénovation les plus efficaces, ainsi que je l'ai souligné dans mon rapport de 2014 ?
M. Jean-Christophe Visier. - Quand on fait une réglementation « élément par élément », on est confronté à des réactions sur le mode : « Sur tel élément, ce qui est exigé n'est pas possible ! ». Mieux vaut donc une réglementation « molle », car ce cas se rencontre toujours. À l'inverse, une réglementation globale permet d'avancer de manière plus pragmatique ; si l'isolation d'une certaine paroi n'est pas possible, on peut en isoler une autre, et atteindre d'une autre manière l'objectif d'une performance globale. Le CSTB est très impliqué dans ce domaine, avec une double vision : d'abord, utiliser le moteur de calcul réglementaire pour la rénovation ; ensuite, compléter l'approche réglementaire par une démarche volontaire, et c'est dans cette logique que le CSTB a équipé certaines entreprises d'outils permettant d'effectuer une évaluation globale afin d'identifier les opérations de rénovation les plus pertinentes. À cet égard, le CSTB se trouve engagé tant avec le secteur public qu'avec le secteur privé.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Comme j'ai pu m'en rendre compte lors d'un déplacement effectué, voici un an et demi, à Phoenix en Arizona, le label américain LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) s'appuie sur un comptage des consommations d'énergie simple et transparent : on compte toutes les consommations du bâtiment, utilisation d'équipements comprise, et on évalue ces consommations à partir des factures. À partir des coefficients de conversion appliqués aux différentes énergies utilisées, on peut évaluer les émissions de CO2. Le fait de tout compter, et non pas seulement les usages liés à l'utilisation de l'enveloppe (chauffage, eau chaude, éclairage, ventilation, climatisation) semble aller plutôt dans le sens de l'histoire, puisque les normes européennes poussent par ailleurs à une meilleure efficacité énergétique des équipements. Quels inconvénients verriez-vous à ce qu'on en vienne à un tel système pour la future réglementation thermique française de 2018 ?
M. Etienne Crépon. - Il faut bien séparer les choses. LEED est une certification volontaire à laquelle les maîtres d'ouvrage peuvent recourir sur une base déclarative. La France est dotée d'une certification volontaire similaire qui est la certification HQE performance, et en termes de performance et d'efficacité, la certification HQE performance est, aux dires des maîtres d'ouvrage, bien plus pointue que la certification LEED ; notamment, elle présente l'énorme atout d'être décernée par des tiers indépendants. Mais, à côté de la certification volontaire, c'est une autre chose d'établir une réglementation dont les critères doivent être pris en compte en amont, dès la conception, de façon à modifier si nécessaire le projet pour bien la respecter. On est vraiment là sur deux stades de vie différents du bâtiment, et deux démarches différentes : d'un côté le respect d'une obligation, d'un minimum réglementaire, de l'autre, la valorisation d'une performance, notamment au titre de la « valeur verte » pour le patrimoine tertiaire, et là-dessus, même si les Américains sont meilleurs commercialement, je ne pense pas que la certification française ait beaucoup à en rabattre par rapport à LEED.
M. Jean-Christophe Visier. - Deux compléments d'information. D'abord, le label « Énergie-Carbone » prend en compte effectivement tous les usages au sein du bâtiment. Ensuite, le moment de l'évaluation de la performance est déterminant ; aussi bien pour LEED que pour HQE, on distingue l'évaluation de performance à la conception, qui ne se mesure pas, mais se prévoit, et l'évaluation de performance en exploitation, qui peut là se traduire par une mesure puisque le bâtiment existe concrètement. Les promoteurs de LEED doivent gérer de nombreux contentieux du fait de performances affichées non réellement atteintes.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Justement, on pourrait prendre pour norme l'objectif à atteindre, en mettant tous les outils de conception au service de l'atteinte de cet objectif réel. Une expérimentation en grandeur réelle à Berlin a montré qu'on pouvait avoir une consommation réelle d'énergie double de sa valeur théorique.
M. Etienne Crépon. - Le décalage entre les consommations annoncées et les consommations réelles est l'un des sujets majeurs de préoccupation des grands maîtres d'ouvrage publics, pour lequel ils demandent des travaux scientifiques du CSTB. Quelquefois les écarts peuvent s'expliquer quand, par exemple, on livre une crèche sans expliquer au personnel comment utiliser la chaufferie de dernière génération.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Selon votre rapport d'activité, le nombre d'ATEX (Appréciation technique d'expérimentation) augmente vite, progressant de 23 % en 2015 par rapport à 2014 et de 43 % par rapport à 2013. Quels sont les domaines techniques qui paraissent les plus innovants ? Voyez-vous des innovations qui aident à une plus grande précision de mise en oeuvre ?
M. Etienne Crépon. - L'appréciation technique d'expérimentation est une procédure bien plus légère que l'avis technique ; elle s'obtient en deux mois, et c'est ce qui explique son succès auprès des industriels. Ce succès est aussi le résultat de la démarche d'accompagnement des innovateurs mise en place dans les territoires à travers le réseau ARIANE : cela permet de dire à l'industriel : voilà, dans votre cas, la procédure d'évaluation à suivre. Les domaines d'innovation les plus dynamiques en ce qui concernent les ATEX, sur les trois dernières années, sont principalement les solutions techniques pour les façades.
Une dernière remarque : jusqu'à l'an dernier, les appréciations techniques expérimentales se faisaient surtout sur des chantiers ; en 2016, on a constaté une très forte croissance des appréciations techniques expérimentales de procédés, qui concernaient donc le produit de manière générique. Ce basculement est révélateur d'un regain de confiance des industriels des matériaux de construction vis à vis d'une possible reprise du marché, puisqu'ils effectuent l'appréciation non pas uniquement sur la base d'un contrat donné, mais d'une manière générique en visant l'ensemble du marché.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous ne nous avez pas parlé de questions budgétaires. Comment cela se passe-t-il sur ce plan pour le CSTB ? Il faut que vous sachiez que nos relations régulières signifient aussi que nous pouvons intervenir si vous êtes victimes de coupures décidées en dépit du bon sens ; un communiqué de presse récent témoigne ainsi d'une intervention de l'OPECST en faveur des moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire, agence qui rend compte également chaque année sur son rapport d'activités devant l'OPECST.
M. Etienne Crépon. - Nous avons désormais des parlementaires au sein de notre conseil d'administration, et de toute façon, notre situation est différente de celle d'une autorité administrative indépendante. Mais nous assumons notre part des restrictions budgétaires imposées par la nécessité de lutter contre les déficits publics.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Ces restrictions budgétaires ont-elles une incidence sur le coût des évaluations techniques pour les entreprises ?
M. Etienne Crépon. - En ce domaine, la tendance est plutôt à l'abaissement du barème des avis techniques. Au total, nous maintenons l'équilibre des comptes, mais cela passe par une politique salariale très rigoureuse.
M. Jean-Yves Le Déaut. - Je vous remercie pour l'ensemble de vos explications. Nous savons maintenant que vous étiez au coeur de la définition du label « Énergie-Carbone », mais que les décisions quant aux différents seuils étaient de nature politique. Vous avez confirmé le bas niveau d'exigence de ce label s'agissant des rejets de carbone, et nous avons entendu l'argument de la nécessité d'une démarche progressive à des fins pédagogiques.
M. Etienne Crépon. - Je me permets en effet de rappeler mes propos sur la nécessité d'une progressivité pour obtenir la pleine adhésion de tous les acteurs.
M. Jean-Yves Le Déaut. - J'entends bien. Il existe effectivement un risque de donner un coup d'épée dans l'eau si l'exigence est d'emblée trop forte. Mais il y a néanmoins un meilleur équilibre à trouver pour que la réglementation, conformément aux voeux exprimés par le Parlement en 2010, puis à nouveau en 2015, permette tout de même de maîtriser un tant soit peu les émissions de gaz à effet de serre. Et puisque la définition de cet équilibre relève de la responsabilité du Gouvernement, c'est à nous d'intervenir en ce sens au niveau politique.
La séance est levée à 20 heures