- Jeudi 15 décembre 2016
- Politique commerciale - Instruments de défense commerciale : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul
- Agriculture et pêche - Étiquetage des produits alimentaires : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mmes Pascale Gruny et Patricia Schillinger
- Économie, finances et fiscalité - Régulation de la finance parallèle (shadow banking) : communication de M. François Marc
Jeudi 15 décembre 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 35.
Politique commerciale - Instruments de défense commerciale : proposition de résolution européenne et avis politique de MM. Philippe Bonnecarrère et Daniel Raoul
M. Jean Bizet, président. - Notre commission a beaucoup travaillé sur la politique commerciale de l'Union européenne avec, souvent, le sentiment d'une certaine naïveté de l'Union dans les négociations - qui accepte d'ouvrir largement ses marchés à des partenaires économiques qui, de leur côté, n'hésitent pas maintenir des barrières au commerce.
Nous voulons au contraire une Europe qui affiche sa puissance, certes ouverte sur les échanges commerciaux avec l'extérieur, mais apte à défendre ses intérêts et à utiliser, si nécessaire, des instruments de défense commerciale. Il est donc regrettable qu'à ce jour il n'y ait pas un consensus des États membres sur ce point. C'est donc tout l'intérêt de la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci de cette mise en perspective. Les termes de « défense » et « commerce » vous donnent bien le cadre de la proposition de résolution européenne que Daniel Raoul et moi-même vous soumettons aujourd'hui, dont l'objectif est que la politique commerciale de l'Union européenne vise davantage la défense des intérêts économiques européens. C'est un thème classique des réunions de notre commission. En d'autres termes, nous souhaitons faire en sorte que dans le cadre de son ouverture commerciale, l'Union européenne utilise des armes équivalentes à celles dont disposent ses partenaires pour des échanges équilibrés, réciproques et régulés.
J'évoquerai le renforcement des instruments dits de défense commerciale dont l'Union dispose, en particulier la lutte contre les pratiques commerciales déloyales qui faussent artificiellement les termes des échanges ; Daniel Raoul abordera ensuite l'établissement d'une réciprocité équilibrée dans l'accès aux marchés publics et moyens pour l'Union de contrer l'effet extraterritorial de certaines législations nationales, en clair certaines législations américaines - autre thème sur lequel nous nous sommes fréquemment mobilisés.
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) a posé les règles de base des échanges commerciaux internationaux, parmi lesquelles figure la possibilité de contrer des pratiques commerciales déloyales et inéquitables. Les mesures antidumping, avec les instruments anti-subventions, sont les plus couramment utilisées.
Les premières s'attaquent aux importations de produits venant d'un pays tiers vendus à des prix inférieurs à une valeur dite « normale », dans la mesure où elles affectent les intérêts de l'Union.
Les secondes permettent de se protéger des subventions publiques massives qui donnent à l'exportateur de l'État tiers des avantages particuliers, avec le même résultat : la possibilité de vendre à un prix inférieur à la normale. Ces mesures de défense commerciale de l'Union européenne n'ont jamais été réellement actualisées depuis 1995 : leur modernisation fait l'objet d'une réflexion en cours.
Les textes de la Commission européenne débattus depuis trois ans au Conseil européen, jusqu'à présent sans résultats opérationnels, ont d'abord pour objectif de donner aux opérateurs concernés - importateurs et exportateurs - une pré-information d'un mois avant la mise en place des contre-mesures commerciales pour leur permettre de se préparer ou de réagir, et raccourcir de deux mois les délais d'enquête de la Commission afin de rendre les mesures plus efficaces.
Il est également prévu qu'afin d'éviter des mesures de rétorsion contre un producteur européen qui déposerait une plainte contre l'exportateur concurrent d'un pays tiers, la Commission européenne puisse ouvrir elle-même une enquête d'office, mettant ainsi l'entreprise concernée dans une position plus confortable.
Les propositions de modernisation visent également à faciliter l'action des PME dans des procédures de défense commerciale souvent longues et complexes.
Mais la réforme la plus importante concerne l'application de la règle dite du droit moindre. Pour justifier une mesure antidumping, il faut prouver la réalité de cette pratique et la causalité entre ce dumping et le préjudice subi par l'industrie - c'est la règle traditionnelle de la responsabilité en droit civil. Le droit antidumping établi correspond alors soit à la marge du dumping lui-même tel qu'il est objectivé, soit au niveau nécessaire pour éliminer le préjudice, si celui-ci est plus faible. En d'autres termes, nous appliquons deux règles et non une seule, et celle du droit moindre est retenue. C'est cette pratique qui a toujours été privilégiée par la Commission, contrairement à tous nos partenaires.
Une position de compromis entre deux positions maximalistes exprimées par les États membres - supprimer la règle ou n'y rien changer - a été proposée au Conseil. Elle consiste, sans l'abroger, à laisser cette règle de côté dans deux cas bien délimités, les plus graves au point de vue commercial : des subventions publiques massives, et surtout une distorsion manifeste des coûts de production d'un bien exporté résultant d'un prix artificiel des matières premières ou de l'énergie payé dans le pays de référence. Autant de pratiques qui alimentent les surcapacités sur les produits sidérurgiques mais aussi, demain, des produits à base d'aluminium et - au grand dam de l'Italie - de céramique. Un document joint précise la position de compromis soumise par la Présidence slovaque : un abandon, dans certaines conditions très encadrées, du droit moindre.
Au Conseil de l'Union européenne, à 14 États contre 14, la position de compromis était possible compte tenu du poids respectif de chaque État dans le calcul de la minorité de blocage, la France et l'Allemagne étant partisans de l'abandon de la règle. Avant-hier, au Conseil, les États membres ont finalement trouvé un accord sur la proposition slovaque de compromis. Il semble que l'Estonie et les Pays-Bas, pourtant un pays à tradition libérale, aient fait pencher la balance du côté de la position défendue par l'Allemagne et la France.
Deuxième élément, que l'on pourrait appeler le paquet « Chine » : le nouveau mode de calcul de mesures antidumping à l'égard d'entreprises chinoises qui le pratiquent à grande échelle. En effet, certaines dispositions du protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC étant venues à échéance le 11 décembre dernier, le mode de calcul des pratiques de dumping d'entreprises devra changer. Vous avez exprimé vos inquiétudes à ce sujet. Il va de soi que la Chine ne saurait, comme elle le réclame, être considérée comme une économie de marché, ce qui aurait réduit drastiquement les capacités de défense de l'Union européenne. Avec le nouveau mode de calcul, cette dernière aura au contraire des éléments de réponse.
La Chine a, dès lundi 12 décembre, déposé un recours à l'OMC. Cependant, la position juridique de l'Union européenne est plus solide que si elle avait conservé le statu quo. Économiquement enfin, ses capacités de défense devraient rester au moins aussi protectrices qu'aujourd'hui grâce aux deux bornes que j'ai présentées, alors que l'octroi du statut d'économie de marché à la Chine les aurait réduites, selon nos interlocuteurs, de 90 % au moins.
M. Daniel Raoul. - Vous évoquez, monsieur le Président, la naïveté de la Commission européenne ; je parlerais plutôt d'inertie. L'échéance du 11 décembre était connue depuis longtemps.
L'ouverture des marchés publics européens doit désormais être conditionnée à une meilleure réciprocité - je tiens à ce terme - de la part de nos pays partenaires. En 2012, la Commission européenne avait adopté une proposition de règlement assez offensive - peut-être trop - sur ce sujet. Elle prévoyait par exemple, dans le cas de marchés publics où l'Union européenne n'avait pas pris d'engagements internationaux, la possibilité pour un adjudicateur européen d'exclure une offre émanant d'un pays tiers où il n'y avait pas de réciprocité ; ainsi que la possibilité pour la Commission européenne, après enquête et négociation, de fermer son marché ou de décider des pénalités de prix.
J'avais eu l'occasion de rapporter et de défendre, au nom de la commission des affaires économiques, la proposition de résolution européenne du Sénat soutenant cette option, mais elle n'a jamais franchi l'étape du Conseil : il était difficile d'obtenir une majorité sur une position aussi volontariste, compte tenu de la culture de certains États membres.
C'est pourquoi, en janvier dernier, la Commission a proposé une nouvelle approche plus consensuelle consistant, tout en excluant une fermeture complète de nos marchés publics, à maintenir la sanction par le prix : le soumissionnaire d'un pays peu ouvert aux offres européennes verra ainsi son offre enchérie d'autorité de 20 %.
Cette pénalité de prix serait appliquée d'office sauf si l'offre de l'entreprise soumissionnaire n'est constituée qu'à moins de 50 % de produits ou de services originaires de son pays. Par ailleurs, les entités fédérées d'un pays, ou ses municipalités, pourront être expressément impactées si elles pratiquent de leur côté une discrimination à l'endroit de soumissionnaires européens. Ce sujet a été abordé dans les discussions sur l'accord avec le Canada et son application par les provinces. Cet instrument ne vise que les marchés publics dits « non couverts » par les accords internationaux auxquels l'Union européenne est partie (l'accord multilatéral sur les marchés publics dit AMP) ; l'Union européenne respecte donc les engagements pris dans ce cadre-là, au demeurant assez restrictifs.
Pour autant, si des difficultés apparaissent dans la négociation d'accords bilatéraux - c'est le cas du TTIP -, l'existence de cet instrument serait en quelque sorte l'épée de Damoclès pesant sur le pays partenaire, s'il n'y a pas d'entente sur la réciprocité des marchés publics. Je ne sais pas si nous aurons à nous en servir, mais c'est le principe de la dissuasion.
Il importe par conséquent que le Conseil valide rapidement un dispositif qui rétablisse un peu d'équilibre là où la disparité est aujourd'hui flagrante. Malheureusement la France est très seule dans ce débat : certains pays ont peur des rétorsions que pourraient subir leurs entreprises.
Le dernier point abordé par notre proposition de résolution européenne est l'application extraterritoriale de certaines lois nationales de pays tiers.
Là encore, la Commission européenne avait, en 1996, au lendemain de l'adoption par le Congrès américain des législations sanctionnant toute relation commerciale ou financière avec Cuba ou avec l'Iran et la Libye, adopté un dispositif dit de « blocage » de l'effet extraterritorial de ces lois.
Ce texte, assez fort, est devenu caduc ; il a fait l'objet d'une refonte formelle en 2015, mais son adoption en Conseil semble malheureusement fort peu probable. Dans l'exposé des motifs, nous rappelons que, pour les États-Unis, il n'y a pas d'extraterritorialité, en raison de leur définition très extensive du lien de rattachement territorial. La définition d'une « US person » (« personne américaine ») est particulièrement floue ; et le dollar jouant un rôle prépondérant dans les transactions mondiales, les places financières américaines sont le lieu obligé de toute compensation ou transaction finale dans cette monnaie. Or cela suffit pour que le lien territorial soit considéré comme établi par la justice américaine. Ainsi, les transactions franco-iraniennes se faisant en dollars, les entreprises concernées s'exposent à des sanctions. C'est ce qui est arrivé à la BNP qui n'est pas, à ma connaissance, une entité américaine...
L'Union européenne ne peut envisager de promulguer à son tour des législations extraterritoriales comparables qui, pour l'essentiel, sont contraires aux règles internationales et à celles de l'OMC. En revanche, l'existence d'un bouclier juridique robuste contre leur application aurait un sens. Malheureusement, comme dans le cas précédent, la France est bien seule à promouvoir cet instrument.
Force est donc de laisser sur ce sujet complexe un espace à la coopération et au dialogue, en particulier avec l'Ofac (Office of Foreign Assets Control) qui gère les sanctions économiques édictées par les États-Unis. Confier, en plus des démarches nationales, à une instance de l'Union européenne le rôle d'interlocuteur unique européen pour déminer les procédures susceptibles de frapper nos entreprises en recherche de marchés serait utile - en particulier en Iran, où persistent encore certaines sanctions américaines anciennes, voire demain en Russie. Le fait que les sanctions édictées par l'Union européenne relèvent d'une action intergouvernementale et que leur impact économique concerne la politique commerciale, compétence exclusive de l'Union européenne, complique la donne. Ce rôle doit-il être confié au Service européen d'action extérieure (SEAE), les sanctions étant un instrument de la politique étrangère et de sécurité commune, ou à l'Office européen antifraude (OLAF) ? Notre proposition de résolution européenne ne tranche pas, mais prône la systématisation d'une coopération qui peut être mutuellement bénéfique.
La notion de protection contre des abus manifestes de puissance, tout comme la défense des intérêts de l'Union européenne, sont des valeurs politiques que nous devons promouvoir. Elles s'appliquent aux trois sujets que nous venons d'évoquer et qui inspirent l'essentiel de cette proposition de résolution européenne que nous vous demandons d'adopter.
M. Jean Bizet, président. - Je me félicite que la France soit en première ligne, mais je déplore qu'elle y soit isolée... Notre partenaire allemand est-il susceptible de nous rejoindre sur ces positions ?
Je suis sensible au principe du dialogue avec l'Ofac : on évite ainsi le couperet. Certes, l'heure est plutôt au bilatéralisme - on connaît les difficultés du multilatéralisme, entre les 164 pays qui composent l'OMC - mais les fondamentaux de cette organisation restent, notamment le règlement des différends. Nous allons le voir bientôt, avec la procédure d'appel lancée par la Russie pour défendre son embargo sanitaire.
M. Daniel Raoul. - Matthias Fekl m'a dit hier que l'Allemagne soutiendrait nos positions.
M. Claude Kern. - Ce serait une bonne chose.
M. Jean Bizet, président. - Nous travaillons sur le sujet avec le Gouvernement, les membres de la société civile et les responsables de la Direction générale du Trésor, qui sont particulièrement compétents et ouverts sur le sujet. Il serait en effet bienvenu que l'Allemagne nous emboîte le pas.
M. Philippe Bonnecarrère. - La politique commerciale relève de la compétence exclusive de l'Union européenne ; d'autre part, nos concitoyens y sont très sensibles. Le thème de la protection est très présent dans notre vie publique. L'Union européenne améliore ses éléments de protection en restreignant l'utilisation du droit moindre, que les États-Unis ne pratiquent pas.
D'après nos correspondants du Trésor, l'Allemagne est plus réticente sur la réciprocité en matière de marchés publics. Je croyais que l'explication résidait dans l'atypique système allemand, sur lequel la Cour de justice de l'Union européenne s'est penchée, grâce auquel les entreprises municipales échappent aux procédures de délégation de service public. Ainsi, leurs marchés publics sont moins vulnérables que les nôtres. Mais en réalité, la réticence allemande va plus loin : nos partenaires craignent de froisser la Chine. Siemens, en particulier, souhaite éviter les mesures de rétorsion dans les appels d'offres internationaux. Beaucoup de travail reste à faire.
L'extraterritorialité des règles américaines ne touche pas que les grandes entreprises ; son impact est ressenti dans le quotidien de notre vie économique. Ainsi, un projet de reprise d'une entreprise de métallurgie installée près d'Albi par des investisseurs russes, homologué par le tribunal de commerce, se heurte au refus des succursales bancaires locales d'ouvrir un compte à la société russe. Le monde bancaire est traumatisé par les procédures de contrôle, mais aussi par les sanctions... Il convient que les entreprises en contact avec des partenaires russes ou iraniens puissent se tourner vers un guichet pour savoir ce qu'il leur est possible de faire. C'est le sens de la proposition, détaillée par mon co-rapporteur, de création d'un organisme européen coordonnant la réponse aux régulations extraterritoriales.
Mme Pascale Gruny. - Merci pour cet exposé très intéressant. La protection est un sujet économique majeur. Comment l'application du paquet juridique contre le dumping sera-t-elle contrôlée ? Les entreprises ont recours à des montages juridiques, notamment des holdings, très opaques. Le contrôle au sein de l'Union européenne est parfois abrupt ; qu'en est-il dans les pays tiers ?
Le point 21 de la proposition de résolution envisage un cadre permanent de dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis dans le domaine commercial. Est-ce un voeu pieux ?
M. Philippe Bonnecarrère - Il y a déjà un dialogue bilatéral sur les effets de l'extraterritorialité, même s'il conviendrait que les entreprises soient mieux informées de ce qu'elles doivent faire vis-à-vis des sanctions. Les agents du Trésor ont obtenu des éléments de réponse de leurs homologues américains. Rappelons que le montant de l'amende infligée à la BNP était justifié par le fait que celle-ci n'aurait pas respecté les dispositions retenues dans le cadre des discussions engagées entre les deux pays.
Le calcul des coûts de production des exportateurs issus d'un pays tiers n'a pas vocation à être effectué par un organisme équivalent à notre direction de la concurrence ; ce sont les entreprises elles-mêmes qui peuvent constater des prix anormaux et saisir directement les autorités compétentes, ou passer par la Commission européenne dans le cadre d'une saisine d'office qui les protègera des mesures de rétorsion. Le calcul est effectué sur la base d'une analyse par la Commission de la part des matières premières et de l'énergie dans le coût total du produit. Ce sont des données de marché ; il n'est pas nécessaire d'examiner les comptes des entreprises visées. L'objectif est de contrer les industries sidérurgiques de pays comme la Chine, qui jouent sur les coûts.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
M. Jean Bizet, président. - Nos concitoyens ont fortement ressenti un manque de protection de l'Europe. Je me félicite que les mesures que vous avez présentées soient mises en place, avec la France en première ligne, même s'il est un peu tard... Elles ont pour objet de nous retrancher derrière des frontières, mais de définir une politique agressive dans le cadre du fair trade et de la réciprocité.
Je propose que cette proposition de résolution européenne fasse l'objet d'un communiqué ; nous montrerons ainsi que les choses changent. Enfin, une suggestion : nous pourrions écrire, les deux auteurs et moi-même, un courrier demandant au ministère de l'économie des éclaircissements sur la situation de l'entreprise albigeoise.
Agriculture et pêche - Étiquetage des produits alimentaires : rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique de Mmes Pascale Gruny et Patricia Schillinger
M. Jean Bizet, président. - La question de l'étiquetage des produits alimentaires est sensible et revêt plusieurs dimensions : d'abord, la parfaite information des consommateurs sur les produits qu'ils consomment ; ensuite, la lutte contre le gaspillage alimentaire, objet d'un rapport de notre ancienne collègue Bernadette Bourzai ; enfin, les obligations précises et justifiées auxquelles il convient de soumettre les producteurs, au regard des enjeux en cause.
Mme Patricia Schillinger. - Deux expérimentations sont aujourd'hui menées en France, en liaison avec les services de la Commission européenne : la première dans le domaine de l'étiquetage nutritionnel, la seconde dans celui de l'étiquetage des plats cuisinés. L'une et l'autre, conduites à la suite du scandale de la fraude à la viande de cheval dans les plats cuisinés en 2013, constituent un précédent dans l'Union européenne.
Ce constat liminaire souligne les dimensions très variées de la question de l'étiquetage alimentaire, ainsi que l'étroite imbrication des actions menées au niveau national et au niveau européen. En outre, le sujet n'est pas sans lien avec la problématique de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
C'est pourquoi Pascale Gruny et moi-même avons souhaité approfondir nos réflexions sur l'étiquetage alimentaire, au sens le plus large du terme, dans le cadre d'un projet de rapport d'information et d'une proposition de résolution européenne.
Cette dernière formule des recommandations autour de deux orientations complémentaires : le soutien aux initiatives françaises tendant à améliorer les modalités d'étiquetage et, par là même, de lutter aussi contre le gaspillage alimentaire et la nécessité de compléter ces démarches nationales par une nouvelle impulsion au niveau européen.
Concernant le premier point - Pascale Gruny présentera le second -, la clé de voûte de la réglementation applicable en France et en Europe est le règlement du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires dit « règlement INCO ». Sa mise en oeuvre a nécessité plus de cinq années de préparation, dans l'industrie agroalimentaire et le secteur de la distribution. Au terme de ce vaste effort collectif, les consommateurs y ont gagné une information plus transparente et de meilleure qualité.
Après avoir souligné cet acquis, notre proposition de résolution européenne salue les deux initiatives nationales visant à en améliorer encore le contenu. D'abord, l'étiquetage nutritionnel. Le règlement INCO prévoit une déclaration nutritionnelle obligatoire sur l'emballage pour aider le consommateur à mieux choisir les aliments qu'il achète. Figurent ainsi six rubriques : les quantités contenues dans 100 g ou 100 ml de lipides, d'acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel, ainsi que la valeur énergétique, exprimée à la fois en kilojoules et en kilocalories.
Durant dix semaines à compter du 26 septembre, quatre logos éclairant les décisions d'achat ont été évalués dans quarante supermarchés français. Le premier est le dispositif Nutri-Score conçu par l'Inserm pour le ministère de la santé, qui repose sur un système de notes de A (la meilleure note, en vert) à E (en rouge). Le deuxième est le Système d'étiquetage nutritionnel simplifié (SENS) développé par l'entreprise Carrefour et la grande distribution, classant les aliments selon leurs défauts et leurs qualités nutritionnelles. Il indique la fréquence de consommation souhaitable du produit sur la base de sa teneur en nutriments : « très souvent », « souvent », « régulièrement en petite quantité », ou « occasionnellement en petite quantité ». Le troisième logo est l'étiquetage Nutri-Repère de l'industrie agroalimentaire qui indique l'apport de chaque aliment au regard des besoins en matières grasses, énergie et sel, à la fois en pourcentage et en valeur. Enfin, le système dit des « feux tricolores » mis en oeuvre au Royaume-Uni est similaire au précédent avec, en plus, un code couleur allant du vert au rouge, pour chaque catégorie de nutriments (calories, matières grasses, acides gras saturés, sel, sucre).
Les résultats de ces quatre expérimentations, en cours d'analyse, devraient être disponibles au début 2017. Les pouvoirs publics français auront alors toute latitude pour en tirer les conclusions qui s'imposent, sous la forme probable d'une disposition réglementaire faisant prévaloir l'un de ces logos.
Notre proposition de résolution fait valoir la nécessité de promouvoir « une information synthétique et compréhensible par tous les consommateurs », afin d'éviter que « trop d'information ne tue l'information ».
Elle salue également la seconde expérimentation française sur l'étiquetage des plats cuisinés, menée avec l'assentiment de la Commission européenne. La base juridique de cette expérimentation est constituée par les dispositions d'un décret du 19 août 2016 prévoyant l'étiquetage de l'origine des viandes et du lait, applicables aux plats contenant au minimum 8 % de viande (bovine, porcine, ovine, caprine, ainsi que les volailles) et 50 % de produits laitiers (le lait, la crème de lait, le beurre, le babeurre, les pâtes à tartiner, les yoghourts, le lactosérum et les fromages).
L'expérimentation, qui durera deux ans, ne commençant que le 1er janvier 2017, la résolution propose d'approuver « la démarche qui consistera à évaluer in fine les effets de ce dispositif avant d'envisager les modalités de sa pérennisation ». Naturellement, cela supposerait alors une harmonisation européenne par le haut.
Deux remarques pour conclure. Je plaide en faveur d'une plus grande lisibilité des informations. En effet, nos auditions ont mis en lumière les effets négatifs d'une mauvaise compréhension, par une large partie des consommateurs français, de la différence entre les mentions « à consommer de préférence avant... » et « à consommer jusqu'au... ». Il serait également utile de faire figurer dans l'étiquetage le nombre de jours où la consommation est possible après ouverture, ainsi que, en termes simples, les informations nécessaires aux personnes diabétiques ou astreintes à respecter des régimes sans sel.
Enfin, à mes yeux, le renforcement des obligations en matière d'étiquetage doit s'accompagner de moyens de contrôle accrus accordés aux services de l'État, notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) - faute de quoi ces obligations nouvelles, très importantes pour les consommateurs, seraient insuffisamment respectées.
M. Jean Bizet, président. - Des entreprises ont élaboré des puces et des emballages innovants mesurant l'état de conservation du produit, qui est une donnée plus pertinente que la date limite de consommation.
Mme Pascale Gruny. - J'aborderai la dimension européenne de notre rapport d'information et de notre proposition de résolution européenne.
Les efforts réalisés en France dans le domaine de l'étiquetage alimentaire et nutritionnel, ainsi que dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, ne sauraient se concevoir isolément de ceux de l'Union européenne et de ceux des autres États membres. Les actions menées en France nécessitent donc d'être complétées par une impulsion complémentaire à l'échelon européen.
Pour mémoire, le Parlement européen a adopté une résolution, le 19 janvier 2012, intitulée « Éviter le gaspillage des denrées alimentaires : stratégies pour une chaîne alimentaire plus efficace dans l'Union européenne ».
À cette première résolution s'en est ajoutée une seconde, le 9 juillet 2015, consacrée à l'utilisation efficace des ressources vers une économie circulaire.
À cette occasion, un amendement a été adopté, sur l'initiative de l'eurodéputée française Angélique Delahaye, visant à promouvoir, à l'échelon des États membres, la mise en place de conventions entre les grandes surfaces et les associations d'aide alimentaire, afin que ces dernières bénéficient des invendus.
Ces deux résolutions revêtent une portée symbolique importante et témoignent d'une réelle prise de conscience politique. Pour autant, l'amélioration de la lutte contre le gaspillage alimentaire au niveau européen nécessitera, sur le plan opérationnel, l'adoption d'une définition commune, d'indicateurs communs et de méthodes communes. Ce sont ces éléments qui manquent aujourd'hui.
Notre proposition de résolution appelle de ses voeux de telles « actions convergentes au niveau de l'Union européenne ». Elles pourraient intervenir, en particulier, à l'occasion du prochain examen par le Parlement européen, début 2017, du paquet législatif en faveur de l'économie circulaire.
Notre proposition de résolution se félicite également de la bonne coopération existant entre la Commission européenne et la France pour les deux expérimentations menées sur notre territoire. En effet, l'une et l'autre constituent à plus d'un titre une première et auront valeur de précédent.
La proposition de résolution exprime également, d'une façon générale, son attachement à l'unité du marché intérieur, ce qui implique une harmonisation par le haut des efforts nationaux tendant à améliorer les modalités d'étiquetage.
En définitive, par leur initiative, vos deux rapporteurs souhaitent pouvoir utilement contribuer à l'information du Sénat, en exposant les différentes dimensions du sujet de l'étiquetage alimentaire.
La question, il est vrai très vaste et à bien
des égards fort technique, est généralement abordée
dans le débat public sous l'angle d'une seule de ses facettes
- l'étiquetage alimentaire ou nutritionnel, l'origine des
produits, le dossier des plats cuisinés, le lien avec la lutte contre le
gaspillage alimentaire - mais rarement dans une perspective globale.
Les problématiques de santé publique, à commencer par la lutte contre l'obésité, qui toucherait jusqu'à 17 % de nos concitoyens adultes, de même que l'impératif de réduire le gaspillage alimentaire, font l'objet d'appréciations consensuelles. Il en va de même pour la plupart des très nombreuses dispositions techniques du règlement « INCO » qui, en tant que telles, n'appellent pas de commentaire particulier.
En conclusion de mon propos, je souhaite, à l'instar de Patricia Schillinger, faire valoir une appréciation plus personnelle sur un point précis. Elle porte sur les détails de notre dispositif d'étiquetage de l'origine du lait et de la viande dans les plats cuisinés.
L'initiative française répond fort opportunément à une revendication ancienne des associations de consommateurs. Nos producteurs s'y sont ralliés récemment, à la faveur de la crise de l'élevage, afin d'encourager implicitement l'achat de viande produite en France.
Pour autant, il conviendra également de bien apprécier le risque d'une pénalisation des seuls agriculteurs et industriels français par des obligations supplémentaires non opposables à leurs concurrents. En effet, ledit décret prévoit expressément que les produits importés d'un État membre ou d'un État tiers ne figurent pas dans son champ d'application.
On retrouverait ici, paradoxalement, un résultat analogue à celui du phénomène de surtransposition des directives européennes, dont il est si souvent fait état pour le regretter.
Au surplus, le risque d'un morcellement du marché intérieur, néfaste à nos propres exportations, ne peut être écarté en cas de généralisation d'initiatives nationales disparates. Or cela semble être déjà le cas en Lituanie, en Italie et au Portugal. Il pourrait, à brève échéance, en aller de même en Roumanie, en Grèce, en Finlande et en Espagne.
In fine, ce sujet nécessitera de procéder à un arbitrage entre le souhait légitime des consommateurs de connaître l'origine des produits qu'ils achètent et l'inquiétude qui pourrait apparaître dans l'agriculture, l'industrie agroalimentaire et la distribution françaises si l'on venait à leur imposer des obligations supplémentaires, dont seraient exonérés leurs concurrents de l'Union européenne.
Le recul de deux années, dont nous disposerons à l'issue de l'expérimentation qui débutera le 1er janvier 2017, permettra d'établir un bilan éclairé sur cette question.
À l'avenir, nous demeurerons également particulièrement attentifs aux actions entreprises, tant à l'échelon français qu'à l'échelon européen, contre le gaspillage alimentaire. Nous nous intéressons à ce sujet depuis l'adoption, en juin 2013, du pacte national destiné à le réduire de moitié à l'horizon 2025. À la suite du rapport de Bernadette Bourzai, la commission des affaires européennes avait adopté une résolution européenne relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, devenue résolution du Sénat le 5 juillet 2013.
Nous aurons à coeur de poursuivre ce travail.
M. Jean Bizet, président. - Merci aux deux rapporteurs pour leur excellent travail. Nous aurons donc d'autres rendez-vous sur cette délicate question, pour faire le bilan des expérimentations.
Je suis ravi que ce sujet, qui avait soulevé des débats importants, retrouve un peu de la rationalité qui lui manquait.
M. Claude Kern. - Je félicite les rapporteurs pour cet excellent rapport, dont je partage les conclusions.
Deux questions seulement.
Tout d'abord : l'excès d'informations ne risque-t-il pas de tuer l'information ? J'ai peur que, devant l'abondance des éléments devant figurer sur les étiquettes - depuis la responsabilité élargie du producteur jusqu'au mode de tri -, l'adage ne se vérifie.
Ensuite : quelle sensibilisation faut-il mettre en place, par les industriels notamment, pour lancer la nécessaire campagne d'information accompagnant ces étiquetages ? Les consommateurs ne sauront pas interpréter les logos si on ne les leur explique pas. C'est un point très important, car il est fréquent que les produits de moindre qualité nutritionnelle soient achetés par des gens disposant d'un revenu faible, et dont le niveau social est relativement bas. Il est donc crucial de les sensibiliser à ces nouvelles informations.
M. Michel Raison. - Je veux à mon tour féliciter les deux rapporteurs pour leur excellent travail sur un sujet délicat.
L'étiquetage des produits est en effet sujet à polémiques. Tous les acteurs sont d'accord pour l'améliorer, mais s'opposent sur la méthode pour ce faire.
Dans ce dossier sensible, la sémantique a son importance. J'ai relevé quelques points dans le rapport qui méritent qu'on y revienne, afin d'éviter toute forme d'amalgames.
Je lis par exemple, à la page 14, qui traite de l'expérimentation des nouveaux logos : « Par là même, il s'agit de permettre aux consommateurs d'identifier plus facilement les aliments bons pour leur santé ». J'y vois un début de confusion. Les acides gras ne sont pas nécessairement mauvais pour la santé, un « Nutriscore » rouge non plus.
D'ailleurs, le terme même de « qualité nutritionnelle », certes utilisé partout, me pose problème car il comporte plutôt des indications sur la composition du produit.
Nous savons tous que manger un kilo de rillettes par repas est moins bon que manger un kilo de salade. Le vrai problème qui se pose est celui de la quantité ingérée.
En page 17, il ne me paraît pas possible de rapprocher le scandale de la viande de cheval de celui de la vache folle. De plus, le scandale de la viande de cheval ne provenait pas d'un problème d'étiquetage : c'était tout bonnement une escroquerie.
Le dossier de la vache folle est totalement différent, lui aussi. Il est aujourd'hui utilisé par les altermondialistes pour salir l'agriculture et le secteur agroalimentaire modernes.
Évitons les amalgames, donc, cela ne donnera que plus de force à la clarification de l'étiquetage des produits.
J'ai rencontré hier le professeur Serge Hercberg, président du programme national nutrition santé, qui est à l'origine du système des cinq couleurs, sur lequel il a beaucoup travaillé.
À mes yeux, ce système est fait pour comparer les produits d'une même famille. Pour comparer les pizzas entre elles, par exemple, il est efficace : certaines obtiennent la couleur verte - il paraît que c'est possible ! -, d'autres la rouge. Cela se complique quand il s'agit de comparer des produits de familles différentes.
Pour ma part, je préférerais un système comportant des indications sur la quantité qu'il est recommandé de manger. Il paraît que ce n'est pas bien, car c'est aussi le système que veulent les industriels...
Nous verrons bien ce que donnent les expérimentations prévues, et dont nous tirerons le bilan.
Un point sur lequel a insisté le professeur Hercberg me semble très important : en tout état de cause, il ne faut pas laisser croire que l'étiquetage seul permettra de résoudre le problème de l'obésité dans notre pays. Ce n'est qu'un des petits outils d'une lutte globale.
La proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, déposée par André Gattolin, que nous avons examinée en deuxième lecture récemment, me semble plus efficace.
La lutte contre l'obésité commence par l'éducation ; elle commence à l'école, où des efforts sont par exemple à faire dans les cantines scolaires.
Le vrai problème, c'est celui de l'équilibre alimentaire. Vous pouvez être certains qu'un enfant continuera de manger des chips, même si leur emballage comporte une étiquette rouge, en regardant la télévision et les spots publicitaires sur des barres chocolatées, tant qu'il n'aura pas été sensibilisé à cette question !
L'étiquetage n'est donc qu'un outil.
Il est vrai qu'il n'est pas facile, aujourd'hui, de lire les informations sur certains produits. Il faut donc des logos plus pédagogiques, en expliquant bien la différence qui existe entre les informations sur les ingrédients qui entrent dans la composition du produit - sur ce point, les règles actuelles me semblent bien faites - et l'étiquetage qui pourrait apparaître sur le devant du paquet et portant sur la qualité nutritionnelle du produit.
Une dernière remarque, pour finir.
Je lis, page 18, que les denrées alimentaires préemballées bénéficiant d'une appellation d'origine seront exonérées des règles du décret sur l'étiquetage de l'origine des viandes et du lait. C'est tout à fait normal : un produit bénéficiant d'une appellation d'origine subit un cahier des charges rigoureux.
Or je constate, à mon étonnement, que cette exonération concernera aussi les denrées issues de la production biologique. Il s'agit seulement d'un mode de production : on ne sait pas exactement d'où vient la denrée alimentaire.
M. René Danesi. - Je ne pense pas que le risque vienne d'un surcroît d'informations. Il y a suffisamment d'autres risques à considérer avant de s'en inquiéter !
Le premier risque, à mon sens, provient d'une information qui a pour but de vendre davantage et donc de jeter davantage. Je pense à la fameuse « date limite d'utilisation optimale », qui joue sur le fait que le consommateur ne fera pas la différence avec la date limite de consommation. C'est une information vraiment nuisible. On peut en trouver d'autres équivalentes.
Un autre risque, à mon sens, est celui d'une information trop complexe, marquée par une multiplicité de logos et de signes. Dans ce cas, seul le consommateur averti peut s'en sortir. L'information, en somme, devient inutile. On obtient même l'effet inverse à celui qui était recherché. C'est un écueil qu'il faut à tout prix éviter.
Dernier risque : l'information inspirée par une idéologie, qu'il s'agisse de l'altermondialisme ou de l'hygiénisme, par exemple, et qui se traduit souvent par une volonté de prendre en main la vie des gens. L'information doit rester une information : chacun est ensuite libre d'en tirer les conclusions. Il ne s'agit pas de dire aux consommateurs ce qu'ils doivent ou non acheter. C'est une atteinte à liberté, et je ne suis pas sûr que ce soit efficace.
Dans les années à venir, nous attacherons de plus en plus d'importance à l'information sur les produits, mais je rappelle tout de même une chose : les problèmes les plus graves que nous ayons connus ne sont pas venus de l'étiquetage.
Mme Gisèle Jourda. - Je veux saluer à mon tour la grande qualité du rapport, dont les conclusions sont très claires et très directes.
Je centrerai mon propos sur l'importance que revêt, pour moi, la lisibilité de l'étiquetage. Le rapport mentionne les nouveaux logos, qui ajoutent des informations supplémentaires pour le consommateur. Tout cela est très bien, mais je tiens à dire une chose : nous voyons fleurir, depuis quelques années, les étiquettes les plus innovantes. Résultat : on ne lit plus rien. Il y a quelques années, on pouvait facilement voir sur l'opercule la date de fabrication et la date limite de consommation. Aujourd'hui, les trouver est un vrai jeu de piste.
Je tiens aussi à dire que, pour une personne en situation de handicap, visuel par exemple - c'est l'ancienne présidente de l'Association pour adultes et jeunes handicapés de l'Aude qui parle -, ces informations sont introuvables.
Il devrait y avoir, pour chaque type d'emballage, des normes précises relatives à la lisibilité des étiquettes, avec un emplacement prédéfini pour les deux dates que j'évoquai à l'instant, pour la composition, le nombre de calories, etc.
Par ailleurs, le rapport aborde la question du coût de l'étiquetage pour les producteurs. La somme m'a horrifiée !
Enfin, je tiens à dire que le département dont je suis l'élue a été fortement touché par le scandale de la viande de cheval évoqué dans le rapport. Cela s'est passé à quelques kilomètres de chez moi. Ce scandale a plombé pendant longtemps l'activité de ce secteur, malgré tous les efforts du fondateur de l'entreprise concernée pour redorer son image.
Mme Patricia Schillinger. - Je vais tenter de répondre à la plupart des questions et remarques.
Oui, monsieur Kern, nous avons vu l'Association nationale des industries alimentaires à propos de la nécessaire sensibilisation des consommateurs. Il nous a semblé que les industriels étaient d'accord pour aller dans ce sens.
Il faut bien sûr un étiquetage clair et lisible. Pensons par exemple à une personne malade, atteinte de diabète ou de cholestérol : il est crucial pour elle de trouver toutes les informations. Savez-vous qu'il y a du sucre dans un yaourt nature ? Or, aujourd'hui, cette information, pourtant cruciale pour une personne malade ou au régime, n'est pas mentionnée.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Raison : il faudrait un code couleur qui fasse comprendre que manger une pizza une fois par semaine va encore, mais tous les jours, non !
Notre rapport insiste sur la nécessaire réglementation européenne en la matière : un étiquetage franco-français ne servirait à rien. Bien sûr, cet étiquetage commun doit être disponible en français. Tout le monde ne maîtrise pas l'anglais.
M. Michel Raison. - Encore moins le chinois !
Mme Patricia Schillinger. - Nous avons rencontré les producteurs pour rédiger ce rapport : nous en avons eu de bons échos. Ils ont l'habitude des problématiques liées au nutritionnel. Ils joueront le jeu.
Monsieur Raison, je vous propose d'enlever du rapport la phrase de la page 14 que vous avez pointée : « Par là même, il s'agit de permettre aux consommateurs d'identifier plus facilement les aliments bons pour leur santé ».
M. Danesi a évoqué la question des dates limites de consommation. Je proposerai également la mention sur les produits alimentaires d'une date de consommation après ouverture. Jusqu'à quand consommer une bouteille de lait, un tube de mayonnaise, des sauces qui ont été ouverts ?
M. Michel Raison. - Cela existe déjà sur certains produits.
Mme Patricia Schillinger. - Nous devons agir pour que cette information figure sur tous les produits.
Je suis également d'accord avec Gisèle Jourda : il est fréquent de ne pas pouvoir lire la date limite de consommation sur un produit. Je demande donc un contrôle de l'étiquetage, mené par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Sans contrôle, l'étiquetage est inopérant.
Bien sûr, rien ne se fera sans l'Europe. Mais nous pouvons donner le ton, c'est important pour nos concitoyens. Nous constatons depuis quelques années une progression constante de l'obésité en France et dans l'Union européenne. Elle touche souvent les classes les plus démunies, qui consomment une alimentation de mauvaise qualité.
Je crois, moi aussi, aux campagnes d'information dans le milieu scolaire. Ce point figure d'ailleurs dans le texte de la résolution.
Pour ce qui est de la phrase relative au scandale de la viande de cheval, page 17, que vous avez mentionnée, monsieur Raison, nous allons trouver une autre rédaction.
Mme Pascale Gruny. - Je partage tout ce que vient de dire Patricia Schillinger.
Trop d'information tue l'information. Il faut donc un étiquetage clair et précis, mais aussi former à l'information : les enfants, bien sûr, dans les écoles, mais aussi les personnes handicapées. C'est d'autant plus important que l'illettrisme est une réalité, en France.
La signification des logos n'est pas toujours évidente. Il ne faudrait pas que cela finisse par nuire à l'industrie agroalimentaire. Les personnes que nous avons rencontrées travaillent à trouver des solutions qui satisfassent tout le monde.
Quant au scandale de la viande de cheval, nous avons eu affaire à une fraude, qui aurait eu lieu quelle que soit l'étiquette sur l'emballage !
M. Michel Raison. - Je dirais même que c'est grâce à l'étiquette que l'on sait que c'est une fraude !
Mme Pascale Gruny. - En tout état de cause, cette fraude a eu pour effet de pousser la Commission européenne à autoriser, en France, l'expérimentation sur l'origine des viandes et du lait à compter du 1er janvier 2017.
Pour ce qui est du coût de l'étiquetage pour les producteurs, point soulevé par Gisèle Jourda, nous n'avons pas senti que cet aspect leur posait forcément problème : le coût va s'amortir dans le temps. Le vrai problème vient pour eux du changement de réglementation, qui entraîne à chaque fois des coûts supplémentaires. Si elle change tout le temps, le coût devient carrément insupportable.
Je suis bien sûr d'accord avec les propos de ma collègue Patricia Schillinger.
Pour revenir sur la traçabilité de la viande d'origine, l'étiquetage manquait jusqu'à présent de transparence, car il n'était pas possible de retracer au niveau du produit emballé le fait qu'un animal était né en Grande-Bretagne, élevé en Roumanie et enfin abattu en Belgique.
Je suis tout à fait favorable à l'idée d'imposer une appellation d'origine sur la viande, d'autant plus que nous cherchons actuellement à aider les filières agricoles et, notamment, l'élevage français.
Cela étant, l'impact de ce nouvel étiquetage sur nos exportations est difficile à évaluer si les autres pays européens l'adoptaient également. En apposant la mention d'origine française sur les produits, on incite les Français à en manger davantage. Si tous les États européens faisaient comme nous, il est impossible de mesurer les effets que cela aurait pour nos filières d'exportation. Nous sommes tous d'accord pour améliorer l'étiquetage des produits, car il s'agit d'une excellente idée, mais il faut parfois savoir se poser les bonnes questions et se demander si la mesure ne risque pas d'être contre-productive pour les filières que l'on cherche justement à soutenir.
Mme Patricia Schillinger. - Je voudrais revenir sur les logos faisant l'objet de l'expérimentation. Pour ma part, j'ai un faible pour le logo n° 4, le logo RNJ. Je le trouve assez parlant.
M. Michel Raison. - À ce propos, ma chère collègue, pouvez-vous me dire si vous avez auditionné le professeur Hercberg ?
Mme Patricia Schillinger. - Non, nous avons en revanche auditionné le professeur Benoît Vallet, directeur général de la santé.
Pour finir, je ne sais pas si c'est envisageable, monsieur le président, mais je souhaiterais que notre rapport d'information soit distribué aux membres de la commission des affaires sociales et à ceux de la commission du développement durable.
M. Jean Bizet, président. - C'est tout à fait possible, d'autant plus que cette question doit intéresser les commissaires des affaires sociales au plus haut point.
Je voudrais m'associer aux compliments adressés à nos deux collègues pour leur travail sérieux et fondamental. Nous aurons l'occasion d'en reparler à l'issue de l'étude expérimentale. Dès à présent, je considère qu'il serait souhaitable de communiquer sur ce rapport relatif à l'étiquetage des produits alimentaires. En effet, l'examen de cette proposition de résolution montre bien que l'Europe nous protège : elle protège la santé des consommateurs, en plus de défendre les citoyens et les entreprises en matière commerciale, comme l'ont montré nos collègues Daniel Raoul et Philippe Bonnecarrère.
J'avoue également ma préférence pour le logo RNJ. Je le trouve un peu moins subjectif que les autres, beaucoup plus didactique et scientifique.
Comme Pascale Gruny, je tiens à saluer la pertinence de l'initiative française après qu'ont été révélés plusieurs scandales alimentaires. Il faut cependant veiller à ne pas tomber dans un travers protectionniste, car cela pourrait être préjudiciable à notre balance commerciale.
Le point 19 de la proposition de résolution doit nous inciter à ne pas perdre de vue le fait que nous évoluons dans un marché unique et que l'étiquetage alimentaire doit faire l'objet d'une harmonisation communautaire.
J'apprécie également le clin d'oeil qui nous est adressé par l'intermédiaire du point 18 de la proposition de résolution, avec la référence faite aux « puces intelligentes » et aux « emballages innovants ». Derrière cette recommandation, il y a des entreprises qui émergent, parmi lesquelles des entreprises françaises, et des entreprises allemandes. Cette disposition complète utilement la dimension visuelle du nouvel étiquetage des produits, puisque ces puces changent de couleur en fonction du degré de péremption des produits et de la façon dont ils ont été entreposés. C'est primordial pour les consommateurs, car ceux-ci regardent souvent les emballages un peu trop rapidement et n'ont pas toujours les moyens d'analyser correctement les informations figurant sur les produits.
Je voudrais enfin saluer la démarche de l'association Solal, créée il y a quelques années par un ancien président de la FNSEA, Jean-Michel Lemétayer, et présidée aujourd'hui par Angélique Delahaye, députée européenne. Cette structure met en relation les agriculteurs avec les ONG ou les associations, comme la Banque alimentaire ou les Restaurants du coeur, en favorisant les dons de produits invendus.
Nous verrons bien comment la PAC évoluera au-delà de 2020, mais je constate qu'un début de food stamp program, c'est-à-dire un programme de bons alimentaires, se met en place. Or je n'ai jamais caché mon souhait de voir progresser ce type d'actions au niveau communautaire, tout d'abord parce qu'il est tout à fait salutaire de rapprocher consommateurs et producteurs et, ensuite, parce que les dons s'accompagnent de mesures de défiscalisation et d'amortissement. C'est un système global qui a été imaginé par la « famille agricole ».
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a autorisé la publication du rapport d'information et a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, ainsi qu'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera transmis à la Commission européenne.
Économie, finances et fiscalité - Régulation de la finance parallèle (shadow banking) : communication de M. François Marc
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, nous allons désormais entendre notre collègue François Marc sur l'encadrement de la finance parallèle, laquelle forme un processus complexe en constante évolution, qui suscite à la fois des attentes et des craintes. Deux textes sont encore en cours de discussion au sein des institutions européennes et doivent contribuer à une meilleure régulation de la finance parallèle. L'un concerne les fonds monétaires, l'autre la titrisation.
Il a paru opportun de demander à François Marc de faire le point sur un sujet qui, j'en suis persuadé, est encore un peu obscur pour une grande partie de la population française. Pour ma part, j'y attache beaucoup d'importance. Sans imaginer copier le modèle anglo-saxon, les évolutions récentes de l'économie européenne, en particulier en France, montrent une tendance à s'approprier certaines de ces méthodes anglo-saxonnes qui ne sont pas dénuées de pertinence et d'intérêt. Je pense notamment au fonds Juncker qui contribue au financement de l'économie grâce à des investissements privés, sans pour autant faire appel à l'intermédiation classique des banques.
M. François Marc. - J'ai le plaisir d'aborder un thème qui est désormais assez familier pour les membres de cette commission.
Après la crise financière de 2007-2008, nous avons porté une attention soutenue à l'intermédiation financière, laquelle comprend à la fois des activités régulées et des activités qui le sont moins. L'activité bancaire s'inscrit dans un processus régulé, contrôlé et surveillé, puisque l'on exige des intermédiaires de respecter un certain nombre de règles. En revanche, il subsiste des activités peu régulées, qui suscitent encore quelques inquiétudes, dans la mesure où elles ont probablement occasionné certains dysfonctionnements à l'origine de la crise.
C'est la raison pour laquelle notre commission s'est penchée sur le sujet depuis plusieurs années. C'est même le sujet du rapport d'information qu'elle a établi il y a quelques mois sous le titre : « Le système financier parallèle : pour une transparence accrue et une régulation améliorée en Europe ».
L'objectif de ma communication est double. Il s'agit d'abord de vous informer sur l'état d'avancement des deux principales initiatives européennes visant à encadrer la finance parallèle et à limiter des risques qui pourraient se révéler explosifs : le règlement concernant les fonds monétaires et celui sur la titrisation.
En préambule, je rappelle les particularités d'un processus législatif désormais largement prédominant et qui n'est pas sans poser de problèmes. Simon Sutour et vous-même, monsieur le président, dans le cadre de vos travaux sur le « mieux légiférer », nous avaient déjà alertés sur les négociations informelles, mieux connues sous le nom de « trilogues », et sur les enjeux qu'elles soulèvent en termes de transparence. Dans la procédure législative ordinaire, le Parlement européen et le Conseil adoptent conjointement des propositions législatives. En réalité, lors de la dernière législature, 85 % de la législation a été adoptée en trilogues. Au cours des deux législatures précédentes, ce chiffre ne s'élevait qu'à 29 % !
L'incertitude est totale en ce qui concerne la composition des trilogues. Par ailleurs, l'ordre du jour des réunions ou leurs comptes rendus ne sont pas publiés. Enfin, il est difficile d'obtenir les documents de compromis... À l'heure où le déficit démocratique de l'Union européenne est constamment souligné, il est impossible de savoir comment et pourquoi les décisions finales concernant plus de 80 % de la législation européenne sont prises en trilogues. Les parlements nationaux sont, eux aussi, privés de toute information sur la façon dont sont prises en compte les observations qu'ils ont pu transmettre, tant à leurs gouvernements qu'à la Commission européenne, sur les textes concernés.
La médiatrice européenne Emily O'Reilly, après une longue enquête sur le sujet, a demandé aux institutions - Conseil, Parlement européen et Commission - de lui indiquer les mesures qu'elles prendront ou envisagent de prendre pour pallier l'opacité de ce processus. Les réponses doivent lui parvenir aujourd'hui même, alors que les présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, prévoient d'adopter une déclaration commune identifiant près de quarante propositions législatives qui seront adoptées en procédure accélérée - c'est-à-dire lors de trilogues - en 2017. Parmi les sujets abordés dans ces textes, on trouve le « paquet Télécom », les droits d'auteur, les travailleurs détachés, l'Union économique et monétaire, l'union des marchés de capitaux, les droits fondamentaux, etc. Bref, il est prévu de travailler de nouveau lors de trilogues sur un champ considérable de questions et d'aboutir ainsi à des décisions importantes sans toute la transparence requise.
Je m'arrête là pour ce rappel général et en viens plus précisément à une illustration concrète du fonctionnement en trilogue.
Un accord politique informel vient d'être trouvé sur le règlement européen concernant les fonds monétaires au terme de cinq trilogues confidentiels. Rappelons que l'encadrement des fonds monétaires constitue un enjeu majeur, tant pour la stabilité financière que pour le financement de l'économie : il s'agit en Europe d'un marché de plus de 1 000 milliards d'euros. Or ces fonds sont souvent présentés à tort comme des produits sans risque, car principalement investis dans des titres souverains ou des certificats de dépôts des établissements financiers. Ils font en réalité courir de réels risques au système financier, en raison de leur vulnérabilité à des rachats massifs de titres et parce qu'ils sont susceptibles de nécessiter un sauvetage sur fonds publics.
Dans notre rapport sur le système financier parallèle, nous avions indiqué qu'il était nécessaire que l'Union européenne adopte une législation ambitieuse pour renforcer l'encadrement de ces fonds. Il faut donc bien sûr se réjouir du fait que l'Europe se dote enfin d'un règlement sur les fonds monétaires. Jusqu'à présent, nous faisions figure de mauvais élève au regard notamment du Conseil de stabilité financière et de l'Organisation internationale des commissions de valeurs.
L'accord trouvé semble satisfaire l'objectif de stabilité financière, puisque l'on remplace des fonds monétaires à valeur liquidative constante, les CNAV - Constant Net Asset Value -, considérés comme les fonds les plus risqués par un nouveau type de fonds à faible volatilité, dit LVNAV - Low Volatility Net Asset Value. Il semble aussi de nature à préserver le financement de l'économie européenne et notamment de la zone euro, via des dispositions adaptées et différenciées pour les différentes typologies de fonds présents en Europe.
Il convient toutefois de poser un regard plus exigeant et, ce faisant, plus critique sur le compromis obtenu.
Dans le prolongement des travaux internationaux, le Comité européen du risque systémique s'était prononcé, dès 2012, pour une suppression des CNAV, qui sont susceptibles de donner une illusion trompeuse de stabilité et de quasi-équivalence avec des dépôts bancaires, alors même que, dans les faits, leur valeur liquidative ne représente pas la valeur des actifs sous-jacents.
La proposition élaborée par la Commission européenne en septembre 2013 était ambitieuse et en ligne avec ces recommandations. Elle prévoyait notamment des exigences en fonds propres spécifiques pour les CNAV, réduisant de facto la viabilité de ces produits qui, rappelons-le, représenteraient près de 65 % de l'encours global mondial des fonds monétaires. La proposition de la Commission européenne a suscité de très vives réactions, et ce n'est qu'en avril 2015, après de longs débats et près de 800 amendements, que le Parlement européen s'est prononcé sur ce projet. L'idée de contraindre significativement l'utilisation des CNAV n'a pas été retenue par les députés européens, qui ont opté pour une solution intermédiaire en proposant la création temporaire de fonds monétaires à faible volatilité, les LVNAV. Aucune étude d'impact sur ce nouveau type de fonds n'a, à notre connaissance, été publiée. Le Parlement européen est finalement allé moins loin que certaines propositions concernant ce produit à risque.
Il a ensuite fallu attendre l'actuelle présidence slovaque pour engager un trilogue sur ce sujet qui, au-delà des enjeux de stabilité financière, cristallisait des oppositions entre certains États membres. En effet, au sein de l'Union européenne, trois pays se partagent plus de 95 % du marché de la gestion monétaire : l'Irlande pour 42 %, le Luxembourg pour 24 % avec des fonds CNAV et, enfin, la France pour 29 %, via des fonds monétaires à valeur liquidative variable, c'est-à-dire considérés comme plus sécurisés.
L'accord issu des trilogues confirme la création des LVNAV proposée par le Parlement européen, mais supprime la clause de conversion des fonds après cinq années. Même s'il en renforce les contraintes réglementaires, il pérennise le modèle des CNAV à travers un règlement applicable à l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Ainsi, il aura fallu plus de trois ans pour que l'Union européenne se dote d'un règlement qui était certes indispensable, mais au sujet duquel il nous est difficile de savoir si les arbitrages finaux adoptés en trilogue l'ont été à bon escient. On relèvera l'influence déterminante des banques anglo-saxonnes, ainsi que l'insuffisance d'un regard démocratique extérieur sur le processus.
Le temps qu'il aura fallu pour que le règlement soit adopté aurait pu contribuer à ce que s'instaure une relative transparence des négociations mais, en l'espèce, tel n'a pas été le cas.
Sur les fonds monétaires, on peut se réjouir que les choses aient avancé. Nous avons limité les risques de façon conséquente, mais la faible transparence du processus d'adoption, qui a pourtant duré trois ans, nous a rendus critiques et lucides sur le manque de dialogue en Europe à ce sujet et sur le fonctionnement des trilogues.
Le parcours européen du règlement relatif à l'encadrement de la titrisation, deuxième vecteur sur lequel nous souhaitons avancer, n'a d'autre point commun avec les fonds monétaires que le fait d'être destiné, lui aussi, à une prise de décision en trilogue. Là s'arrête la similitude. Les deux projets de règlement adoptés par la Commission européenne en septembre 2015 ont fait l'objet d'un accord au Conseil Ecofin en moins de trois mois. Alors que ce mandat de négociation du Conseil a formellement ouvert la voie aux discussions avec le Parlement européen, les travaux parlementaires sont depuis lors à l'arrêt, sans qu'il soit possible de comprendre les causes réelles du blocage. Aussi, nous devons nous passer, pour de nombreux mois encore, d'un texte qui, même imparfait, avait le mérite de fixer un cadre pour les opérations de titrisation européennes. Si le marché se développe dans les prochains mois au gré de l'évolution des taux et des contraintes réglementaires, il le fera sans cadre européen.
Je crois utile que notre commission mesure le chemin qu'il reste à parcourir et les difficultés rencontrées pour encadrer la finance parallèle en Europe. Notre vigilance doit être élevée, tant sur le fond des législations que sur le processus d'adoption lui-même, car les acteurs du secteur voient les positions acquises potentiellement remises en jeu, et que les exigences en matière de stabilité financière sont plus que jamais d'actualité.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie François Marc et tiens à le saluer pour avoir évoqué un sujet par essence complexe, et qui se caractérise par son manque de transparence. Si j'en crois votre analyse, mon cher collègue, la maîtrise des risques s'est accrue, mais elle n'est peut-être pas parfaite. Cela étant, je ne sais pas si la perfection dans ce domaine peut être atteinte.
Le rôle des parlements nationaux est malheureusement assez limité. Si nous ne nous étions pas saisis du sujet, nous n'aurions sans doute même pas été informés de l'évolution de la réglementation.
Un règlement européen va s'appliquer. Il me semble avoir compris que ce n'est pas la procédure législative européenne en tant que telle qui est critiquable, mais les réunions en trilogues, qui fonctionnent à huis clos.
Il faut continuer à suivre cette question de près. Nous devons tenir compte de l'évolution de cette finance à connotation anglo-saxonne et chercher à la maîtriser. Nous savons bien que nos amis britanniques sont très forts dans ce domaine parfois un peu scabreux.
La réunion est close à 10 h 25.