- Mercredi 9 novembre 2016
- Loi de finances pour 2017 - Mission « Sécurités » - Programme 152 « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2017 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
- Loi de finances pour 2017 - Audition du général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale
- Questions diverses - Missions de la commission
- Loi de finances pour 2017 - Audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées
Mercredi 9 novembre 2016
- Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président -La réunion est ouverte à 9 h 05
Loi de finances pour 2017 - Mission « Sécurités » - Programme 152 « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Alain Gournac et Michel Boutant sur le programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2017.
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Je voudrais d'abord évoquer brièvement les principaux éléments du projet de loi de finances pour 2017.
Il s'agit globalement d'un budget en continuité avec le précédent, avec toutefois une croissance moindre des effectifs par rapport à 2016.
Le budget prévisionnel s'élève ainsi à 8,6 milliards en crédits de paiement, soit une augmentation de 293 millions d'euros ou +3,5 %. En réalité, cette hausse est essentiellement due à l'augmentation des dépenses de personnel consécutive aux recrutements de 2016.
Le plafond d'emploi augmente de 402 ETPT pour un total légèrement supérieur à 100 000 personnels. En net, ce sont 255 nouveaux emplois qui seront créés en 2017.
Pour parvenir à ces chiffres, la gendarmerie nationale devra recruter plus de 10 000 personnels pour compenser les départs. Les dépenses de fonctionnement et d'investissement restent quant à elles relativement stables.
Les crédits de fonctionnement courant lié à l'agent pour les fournitures de bureau, les consommables, etc., augmentent un peu, ce qui est une bonne chose.
Les crédits permettront notamment de financer pour 13 millions d'euros le début du déploiement national du projet Néogend. Je rappelle que ce programme très utile vise à doter chaque gendarme sur le terrain d'un équipement numérique afin de mieux répondre aux sollicitations du public en tous points du territoire. L'outil contient toute la documentation, les bases de données professionnelles, les bases métier, les fichiers, la messagerie interpersonnelle, etc.
Les crédits prévus correspondent également à l'emploi de la réserve opérationnelle qui nécessitera un abondement de 18 millions d'euros en hors titre 2 pour atteindre un objectif de 3 000 réservistes mobilisés par jour.
Enfin, en matière d'investissement, un montant de 70 millions d'euros en autorisation d'engagements permettra en 2017 de financer la troisième année du plan de réhabilitation de l'immobilier domanial de la gendarmerie. L'effort est porté sur les logements, dont 4 000 seront rénovés en 2017. C'est selon moi un effort encore nettement insuffisant, de nombreux gendarmes étant hébergés dans de mauvaises conditions, comme j'ai pu m'en rendre compte sur le terrain.
Les crédits permettront enfin de renouveler 3 000 véhicules légers et motocyclettes. Après l'effort important accompli l'année dernière, le renouvellement des véhicules se poursuit ainsi, mais pas assez rapidement pour éviter l'obsolescence des plus anciens.
Je voudrais à présent évoquer quelques sujets de préoccupation pour l'année à venir.
D'abord, la question du gel des crédits. Cette année comme les années précédentes, en vertu de la LOLF, des gels de crédit ont eu lieu à hauteur de 99 millions en crédits de paiement. Mais paradoxalement, ce sont des dépenses de loyer qui ont été gelés. Le côté positif, c'est que les commandes de matériels et de véhicules ont pu être faites dès le début de l'année, de sorte que les unités en bénéficient déjà. En revanche, les bailleurs ne sont pas encore payés. Nous pourrons interroger le général Lizurey sur cette question.
Second point de préoccupation, l'application de la directive européenne 2003/88/CE relative au temps de travail. À la suite du recours d'une association devant le Conseil d'Etat, cette directive a en effet due être appliquée de manière anticipée par la gendarmerie nationale, avant même sa transposition qui devrait avoir lieu l'année prochaine. En prévoyant un repos obligatoire de 11 heures toutes les 24 heures et une durée maximale hebdomadaire de 48 heures maximum avec des dérogations complexes, les nouvelles règles sur le temps de travail bouleversent les missions. Finalement, c'est l'équivalent de 3 000 à 5 000 équivalents temps plein (ETP) qui pourraient ainsi être perdus. Or le budget n'a rien prévu pour remédier à cette perte nette !
Je souhaiterais enfin évoquer les Associations professionnelles de militaires de la gendarmerie (APNM).
Nous avons reçu des représentants de l'ADEFDROMIL-GEND, qui est celle qui compterait le plus d'adhérents. Il s'agit d'une APNM interarmées. Deux éléments ressortent de cet entretien.
Tout d'abord, ces représentants regrettent une prise en compte insuffisante des APNM au sein de la Gendarmerie. Selon eux, le nouveau directeur général a déclaré souhaiter travailler avec les APNM mais la hiérarchie intermédiaire serait réticente. Il faut suivre cette question de près car nous devons éviter à tout prix une dérive vers une attitude unilatéralement revendicative ou vers une médiatisation semblable à celle qui prévaut pour la police.
Par ailleurs, je les ai interrogés sur l'état d'esprit de la « base » par rapport à celui qui prévaut dans la police nationale et qui donne lieu aux manifestations auxquelles nous assistons actuellement.
Selon eux, outre le durcissement du rapport à la population dans certains cas, les gendarmes ressentent comme les policiers une certaine lassitude du fait d'un alourdissement des tâches due notamment en partie à l'accroissement des tâches administratives ou encore à la multiplication des exercices menés dans le cadre de la lutte anti-terroriste, comme l'exercice Minerve conduit avec l'armée de terre dans le cadre de l'opération Sentinelle.
Ils suggèrent, pour y remédier, de redéfinir les missions régaliennes de manière à déléguer certaines tâches actuelles au secteur privé. À cet égard, le plan « sécurité » annoncé par le ministre de l'intérieur la semaine dernière comporte des points positifs, puisqu'il prévoit justement l'abandon des tâches indues.
Ce plan prévoit également un renforcement de l'équipement des policiers et gendarmes ainsi qu'une réflexion sur la légitime défense en vue de formuler des propositions dès la fin du mois de novembre. Nous devrons être attentifs à cet aspect qui concerne aussi les militaires de l'opération sentinelle.
Voilà les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance.
Compte tenu des risques qui pèsent sur les missions de la gendarmerie nationale en raison de l'application de la directive 2003/88/CE relative au temps de travail, dont les conséquences ont sans doute été insuffisamment anticipées et qui ne font l'objet, en tout état de cause, d'aucune mesure de compensation dans le présent projet de budget ; compte tenu également des conditions difficiles dans lesquelles nombre de gendarmes continuent à vivre du fait d'une rénovation trop lente des logements, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits du programme « Gendarmerie nationale » de la Mission « Sécurités ».
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis - Je ne serai pas aussi pessimiste que mon co-rapporteur ! En cette période d'intense mobilisation de toutes les forces de sécurité pour la protection des Français, le budget de la gendarmerie pour 2017 offre en effet plusieurs sujets de satisfaction : une augmentation de 3,5 % des crédits de paiement, des effectifs en hausse de 255 ETP après de très nombreux recrutements en 2016, la commande de 3 000 nouveaux véhicules ou encore l'extension du projet Néogend à l'ensemble du territoire national. Il ne faut pas oublier en outre que 144 effectifs supplémentaires, financés par EDF, iront renforcer les Pelotons spécialisés de protection de la Gendarmerie (PSPG), affectés à la sécurité des centrales nucléaires.
Je voudrais quant à moi attirer plus particulièrement votre attention sur plusieurs missions de la gendarmerie qui sont en train de connaître des évolutions importantes.
Tout d'abord, la gendarmerie mobile a été sous forte pression à la fin de 2015 et en 2016 et devrait le rester en 2017.
En particulier, la mission de maintien de l'ordre a été très mobilisatrice, notamment en raison d'événements majeurs tels que le crash de la Germanwings, les manifestations liées au projet du barrage de Sivens, la COP 21 ou encore l'Euro 2016.
Cette intense activité a fort heureusement été partiellement équilibrée par les évolutions permises par le budget voté l'année dernière, avec le recrutement d'effectifs supplémentaires dédiés.
Ces effectifs ont d'une part permis la mise en place d'un 5ème peloton au sein de 22 escadrons de gendarmerie mobile à compter du 1er juillet 2016, ce qui représente 22 hommes supplémentaires au sein de chacun de ces escadrons.
D'autre part, un nouvel escadron de gendarmerie mobile a été créé à Rosny-sous-Bois. Il s'agit de la première création d'un escadron depuis de nombreuses années. Désormais, la gendarmerie mobile en compte ainsi 109.
Autre formation de la gendarmerie à avoir connu des évolutions importantes en 2016, le GIGN.
La gendarmerie a fait évoluer les pelotons d'intervention interrégionaux de gendarmerie en « antennes GIGN » avec un armement et des protections renforcés. Trois nouvelles antennes GIGN ont été créées à Nantes, Reims et Tours.
Le nouveau schéma national d'intervention (SNI), que le Ministre de l'intérieur est venu présenter devant notre commission, distingue les unités d'intervention spécialisées que sont le GIGN, les six Antennes GIGN de métropole et les sept Antennes GIGN outre-mer, et les unités d'intervention intermédiaire, à savoir les pelotons de surveillance et d'intervention (PSIG) en configuration dite SABRE, les pelotons d'intervention des escadrons de gendarmerie mobile ainsi que les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG).
Je précise que les pelotons de surveillance et d'intervention dits SABRE constituent une nouvelle configuration des pelotons de surveillance et d'intervention, dotés de moyens de protection et offensifs supplémentaires et d'une mobilité supérieure grâce à des véhicules Sharan.
La gendarmerie nationale est ainsi pleinement intégrée dans le schéma national d'intervention. Un tel progrès dans la coordination était nécessaire après certaines critiques qui avaient suivi les attentats et pour éviter les habituelles remises en cause de la coexistence de deux forces distinctes de sécurité intérieure, coexistence à laquelle notre commission reste attachée.
Je voudrais à présent évoquer la question de l'organisation du Renseignement au sein de la gendarmerie nationale. Nous avons pu entendre à ce sujet le général Sauvegrain, sous-directeur à l'anticipation opérationnelle.
Je rappelle que la SDAO, créée en 2013, n'est pas un service de renseignement du type de la DGSE ou de la DGSI. Il s'agit d'une structure légère d'environ 70 personnels chargée de centraliser le renseignement produit par les bureaux renseignement des régions ainsi que les cellules et officiers adjoints « renseignement » des groupements de gendarmerie. L'information recueillie est intégrée dans le système d'information « base de données de sécurité publique » (BDSP) en vue de son exploitation et de son analyse.
Nous avons interrogé le Général Sauvegrain sur l'articulation de cette chaîne du renseignement de la gendarmerie avec le Service central du renseignement territorial (SCRT). En effet, certains (Commission d'enquête Fenech/Pietrasanta à l'AN) estiment qu'il y a une redondance entre la SDAO et le SCRT et que ces deux services devraient être fusionnés.
Or, tout d'abord, la SDAO et le SCRT coopèrent dorénavant étroitement. Des bureaux de liaison ont été créés à tous les niveaux : départementaux, régionaux et zonaux. Trois services départementaux du renseignement territorial sont en outre dirigés par des officiers de gendarmerie. Au total, le renseignement territorial emploie 198 gendarmes. En outre, au niveau central, un adjoint gendarmerie est placé auprès du chef du SCRT et deux divisions du service sont pilotées par des officiers de gendarmerie, tandis que la SDAO accueille un commissaire de police, adjoint au sous-directeur, ainsi qu'un capitaine de police.
Selon le Général Sauvegrain, il n'y a pas de doublons mais une saine répartition des tâches. Au SCRT, le rôle de service centralisateur qui rédige des notes d'angle stratégiques pour le Gouvernement. Au SDAO la préparation des opérations délicates en zone gendarmerie, avec par exemple des informations très concrètes sur les difficultés du terrain que les gendarmes mobiles vont devoir affronter lors d'une intervention.
Par ailleurs, la gendarmerie a besoin d'avoir un service de renseignement en propre et perdrait beaucoup en opérationnalité à dépendre d'une nouvelle direction qui serait probablement rattachée à la police nationale.
Enfin, il paraît imprudent de remettre encore en cause une organisation récemment bouleversée. La question aujourd'hui est plutôt celle du partage d'information maximal pour ne laisser échapper aucun « signal faible ». Il reste encore du chemin à parcourir pour arriver à cette fluidité dans la circulation de l'information, mais nous avons le sentiment que la situation s'améliore.
Sous réserve de ces quelques observations, je vous proposerai quant à moi de donner un avis favorable aux crédits de la gendarmerie au sein de la mission Sécurités, qui, comme l'année dernière, affichent une augmentation satisfaisante, après une période de vaches maigres.
M. Joël Guerriau. - Auriez-vous des informations relatives à la gendarmerie maritime, qui intervient notamment sur les questions migratoires Outre-mer et en particulier à Mayotte, avec des matériels vétustes et parfois dans des situations d'urgence médicale ?
M. Daniel Reiner. - Le fait qu'il y ait deux avis divergents n'est pas pour nous étonner compte tenu des circonstances. Mais le budget 2017 de la gendarmerie confirme bien la remontée en puissance engagée depuis trois ans. Concernant le renseignement, la suppression des Renseignements généraux nous a posé un grand problème ! Je crois qu'il faut saluer cet effort sur le renseignement territorial. Former des gendarmes est un exercice compliqué. J'ai connu une période où on fermait des écoles de gendarmes : à présent on les rouvre ! Ce budget est donc positif pour les forces de gendarmerie, il serait curieux de ne pas l'approuver ! Concernant les logements, les problèmes existent mais ne sont pas nouveaux ! Sur les véhicules, sur le projet Néogend, il y a un effort colossal. On redonne des moyens à la gendarmerie. Il faut aussi du temps pour former les recrues. Pour l'ensemble de ces raisons, il serait positif de donner un avis favorable.
M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Concernant la gendarmerie maritime, c'est un vrai problème et nous vous apporterons une réponse chiffrée.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités », par 25 voix contre et 21 voix pour, M. Jacques Gautier s'étant abstenu.
Loi de finances pour 2017 - Mission « Action extérieure de l'Etat » - Programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » - Examen du rapport pour avis
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jacques Legendre et Gaëtan Gorce sur le programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - de la mission « Action extérieure de l'Etat » du projet de loi de finances pour 2017.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. - Le budget du programme 185 - diplomatie culturelle et d'influence - s'élève à 713 millions d'euros, au sein d'une mission « action extérieure de l'État » qui représente, au total, un peu plus de 3 milliards d'euros.
Ce budget diminue de 1,2 % en 2017, après un recul de 3,7 % l'an dernier. La baisse est de -1,6 % hors titre 2 (crédits de personnel).
Hors mesures de sécurisation des réseaux, qui représentent 14,7 millions d'euros pour les établissements d'enseignement à l'étranger et 2 millions d'euros pour les Alliances françaises, la baisse est du même ordre que l'an dernier, soit 3,5 %.
Je commencerai par vous présenter les crédits de l'action culturelle extérieure, et ceux de la promotion du tourisme rattachés depuis deux ans au programme 185.
L'Institut français perçoit une subvention qui s'élève à 28,7 millions d'euros, en baisse de 3 %. Il bénéficie également d'une subvention au titre de la Mission « Culture », qui est stable. L'Institut français est - depuis la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine - sous la double tutelle des ministères en charge des affaires étrangères et de la culture. Cette double tutelle justifierait, à notre sens, une contribution accrue du budget de la culture à l'Institut français.
Depuis 2011, les crédits totaux de l'Institut français ont diminué de 25 % (en incluant 2017), et ses crédits d'intervention de 34 %.
Les crédits de la coopération culturelle et de la promotion du français diminuent de 2,8 %. En particulier, les dotations pour opérations aux établissements à autonomie financière (EAF), qui s'élèvent à 17 millions d'euros environ, diminuant de près de 5 %.
Seuls les crédits des alliances françaises sont préservés, par effet d'optique, du fait de l'attribution de crédits pour leur sécurisation. D'un montant de 2 millions d'euros, ces crédits permettent une hausse globale de + 25 % de l'ensemble des dotations aux Alliances françaises, qui correspond en réalité à une baisse de 16 %, hors sécurisation, même s'il est évidemment appréciable que les Alliances françaises puissent bénéficier de crédits publics pour renforcer leur sécurité.
La politique immobilière du ministère a des objectifs louables : redéploiement vers les zones prioritaires, regroupement et fonctionnalité des bâtiments. Toutefois, s'agissant des instituts français, elle a conduit à céder plusieurs bâtiments symboliques de l'influence française tels que la Maison Descartes à Amsterdam ou le Palais Clam-Gallas à Vienne.
Or des alternatives paraissent possibles : à Florence, par exemple, l'Institut français accueille une librairie et une boutique qui lui permettent d'engranger des recettes. Ce modèle peut drainer de nouveaux publics. Il est suivi par plusieurs instituts étrangers à Paris qui disposent de lieux de restauration (Maison du Danemark,...) ou mènent une stratégie offensive de vente de cours de langue (British Council). Il serait souhaitable d'évaluer l'intérêt et la faisabilité de ce type de pratiques au sein de notre réseau culturel.
Dans ce contexte budgétaire contraint, le réseau culturel poursuit sa lente mutation. La carte des implantations se réorganise autour de zones et thématiques prioritaires. Les zones prioritaires sont l'Afrique, les grands émergents, et une attention particulière est portée à l'Europe, du moins en affichage puisque les 4 antennes supprimées en 2016 sont toutes situées en Europe au sens large : à Kosice (Slovaquie), Kharkiv (Ukraine), Porto (Portugal) et Tuzla (Bosnie-Herzégovine).
Quant aux thématiques prioritaires, elles sont nombreuses... l'accent étant mis globalement sur les synergies avec la diplomatie économique. L'utilité d'améliorer ces synergies n'est pas contestable, mais ne devrait faire oublier ni la spécificité de la diplomatie culturelle, ni la nécessité d'évaluer les résultats obtenus au regard des objectifs, ce qui semble peu pratiqué.
Le ministère considère, de façon générale, que ce n'est pas parce qu'une zone ou une thématique est prioritaire qu'il faut y mettre davantage de moyens. Les partenariats sont recherchés, ce qui est, là encore, une bonne chose, mais comporte des limites. On constate, en pratique, que si les ressources propres des EAF augmentent, c'est surtout grâce aux recettes provenant des cours en ligne, examens, billetterie, et procédures dématérialisées... plutôt que des partenariats et du mécénat, dont les recettes ont tendance à suivre la contraction globale des moyens budgétaires.
L'Institut français joue, dans ce contexte, son rôle d'interface entre l'offre culturelle nationale et la demande de culture française à l'étranger. Il accompagne les postes grâce à un dispositif de programmation par fonds ou appels à projets, dans divers domaines tels que le cinéma, les nouvelles technologies, la scène française, la promotion de la langue française. Des actions de formation des agents des réseaux sont également organisées.
L'Institut français pourra-t-il continuer à mener ainsi des actions dans la plupart des secteurs culturels, ou devra-t-il procéder à des choix ? C'est une question qui se pose aujourd'hui au regard de la réduction des moyens.
Enfin, les relations entre l'Institut français et le réseau continuent à évoluer, après l'échec de l'expérimentation du rattachement, prévue par la loi du 27 juillet 2010 - échec que je persiste à regretter. L'Institut français prépare actuellement la mise en place de conventions de partenariat avec les postes, ce qui permettra de mettre en place un cadre de travail pluriannuel, plus pérenne et mieux structuré.
J'en viens aux crédits de la promotion du tourisme, action de diplomatie économique désormais intégrée au programme 185.
La subvention d'Atout France s'élève à 33 millions d'euros, en baisse de 0,8 %, dont 400 000 euros sont fléchés pour la sécurité. Ces crédits du programme 185 doivent être complétés, dans le cadre des plans de relance du tourisme adoptés en 2015 puis en 2016. Un premier plan de relance, annoncé en octobre 2015 prévoit l'attribution de produit des recettes additionnelles des droits de visa, pour un montant de 4,5 millions d'euros. Seul 1 million d'euros a pour le moment été versé à Atout France, qui attend le reliquat.
Par ailleurs, 10 millions d'euros ont été promis par le ministre, lors du comité d'urgence économique pour le tourisme du 13 septembre 2016. Or on sait que les recettes issues des droits sur les visas peuvent rapporter au mieux 4 à 5 millions d'euros. D'où viendront les crédits supplémentaires ? Un dégel du budget du Quai d'Orsay est évoqué mais de nombreuses incertitudes demeurent pour l'opérateur quant au montant et à l'échéance de ce versement.
Or les chiffres du tourisme en 2016 sont très affectés par les attentats de Paris et de Nice, avec des premiers chiffres particulièrement préoccupants pour les régions d'Ile de France et de PACA.
A Paris, entre janvier et octobre 2016, la baisse de la fréquentation touristique est évaluée à 11 %, malgré l'organisation de l'Euro de football. Cette diminution n'est pas dû qu'aux attentats, mais aussi aux images de violence de rue, et aux faits divers véhiculés par les réseaux sociaux, qui semblent avoir altéré durablement l'image de Paris.
Sur la Côte d'Azur, la diminution est évaluée à environ - 20 % entre la mi-juillet et fin août. La baisse est particulièrement sensible s'agissant des touristes asiatiques (Japonais, Chinois).
En dehors de ces régions toutefois, le tourisme semble résister. Les résultats sont notamment bons dans l'outre-mer, où des efforts ont été réalisés sur l'offre d'hôtellerie et de transport aérien : accès de compagnies américaines. Atout France mise sur la diversité des territoires, et sur la richesse des marques régionales, qui ne semblent pas altérées pour le moment par l'actualité nationale.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour avis. - Je présenterai, pour ma part, les crédits dépensés en faveur de l'enseignement : AEFE d'une part, et attractivité de l'enseignement supérieur et de la recherche française d'autre part.
S'agissant de l'AEFE, dont la subvention représente 55 % du programme, les crédits s'élèvent à 396 millions d'euros, en légère hausse, pour la première fois depuis 2013 (+0,43 %). Hors sécurisation toutefois, le budget de l'AEFE diminue de 13 millions d'euros.
Les travaux de mise en sécurité constituent une priorité et il faut se réjouir qu'ils n'aient pas à être imputés sur les dotations existantes mais fassent l'objet d'une dotation nouvelle, même si le solde n'est pas favorable.
Ces crédits, d'un montant de 14,7 millions d'euros, devraient permettre de répondre aux besoins, qui ont déjà été chiffrés poste par poste, à l'issue d'audits de sécurité : 9,5 millions d'euros serviront à financer des travaux dans les établissements en gestion directe ; 2,15 millions d'euros seront alloués aux établissements conventionnés et 3 millions d'euros aux établissements partenaires.
Le réseau de l'AEFE demeure attractif avec 336 000 élèves dont 62 % d'élèves étrangers et 38 % d'élèves français. Les effectifs ont augmenté de 13,5 % en cinq ans, les hausses les plus significatives étant observées en Asie-Océanie, et dans l'élémentaire.
La question qui se pose à l'AEFE est donc celle d'un réseau « à la croisée des chemins », comme le dit la Cour des comptes dans un rapport récent, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat : comment concilier le désengagement progressif de l'État et la hausse continue de la demande de scolarisation, sans remettre en cause un modèle fondé sur l'excellence, accessible aux familles, et qui est l'un des vecteurs majeurs de l'influence française dans le monde ?
L'AEFE s'emploie à résoudre cette équation, en suivant trois pistes :
- diversifier les sources de financement de l'agence, afin d'augmenter l'effet de levier de la subvention budgétaire. Les ressources propres reposent sur une participation financière complémentaire sur les frais de scolarité des EGD, et sur une participation des établissements à la rémunération des personnels résidents. Elles augmentent mécaniquement, du fait de l'augmentation moyenne de 2 % par an du nombre d'élèves dans le réseau. Cette diversification ne saurait toutefois se traduire par une augmentation des frais de scolarité, qui ont déjà fortement augmenté depuis 2008 (+ 37 % dans les lycées en gestion directe), alors que l'enveloppe consacrée aux bourses continue de baisser (passant de 115 à 110 millions d'euros en PLF 2017). Cette enveloppe, qui relève du programme 151, n'est, du reste, pas entièrement consommée, ce qui soulève des interrogations ; elle bénéficie en moyenne à 20 % des élèves français du réseau.
- élaborer une stratégie des ressources humaines assurant un nouvel équilibre entre les différents types d'emplois : expatriés, résidents et agents de droit local. C'est l'un des axes que la Cour des comptes invite l'AEFE à privilégier, avec néanmoins des difficultés qui nous ont été rappelées par les syndicats d'enseignants. Le nombre d'expatriés a déjà fortement diminué (-13 % en 6 ans), alors que le nombre de recrutés locaux est en forte croissance (+30 %). Par ailleurs, de nombreux postes de détachés demeurent non pourvus, d'une part car le statut de résident est insuffisamment attractif dans certaines zones et, d'autre part, en raison de blocages au niveau du ministère de l'éducation nationale qui refuse un certain nombre de détachements, en raison de la situation des effectifs dans les académies. Nous envisageons d'examiner plus en détail ces questions relatives aux ressources humaines, s'agissant notamment du recrutement et de la mobilité au sein du réseau AEFE, et nous vous proposerons, Monsieur le président, si vous en êtes d'accord, une communication à ce sujet.
- accroître l'offre complémentaire au réseau, pour répondre à l'augmentation de la demande d'enseignement français. Plusieurs dispositifs existent à cette fin, notamment le Label « FrancEducation », qui apporte une reconnaissance à des établissements étrangers ayant fait le choix de la langue française.
Les critères d'obtention de ce label ont été récemment assouplis, ce qui a permis d'augmenter le nombre d'établissements labellisés de 70 % en un an. 157 établissements bénéficient aujourd'hui de ce label dans 35 Pays. Cette démarche est intéressante si elle vient compléter et non se substituer au réseau AEFE.
Relevant du budget des affaires étrangères, l'AEFE n'est donc pas incluse dans le champ de la priorité nationale à l'éducation, ce qui est sans doute regrettable. Nous l'avions déjà dit l'an dernier : une implication plus grande du ministère de l'éducation nationale serait souhaitable. À ce titre, des réunions interministérielles MAE-MEN sur l'enseignement français à l'étranger sont organisées avec une fréquence croissante mais ne permettent pas d'aboutir à des résultats tangibles, susceptibles de garantir l'avenir de l'enseignement français à l'étranger dans de bonnes conditions.
S'agissant de l'attractivité de l'enseignement supérieur et de la recherche française, les crédits diminuent de 5,2 %. La subvention à Campus France est stable, après une baisse importante l'an dernier. En revanche les crédits des bourses continuent de baisser (-4,4 %).
La France demeure attractive. Le nombre d'étudiants étrangers accueillis en France (300 000) augmente (+3,2 % en 2015-2016), tiré par un marché mondial en pleine expansion (doublement du nombre des étudiants internationaux de 2000 à 2012).
La France reste le troisième pays d'accueil au niveau mondial, mais une rétrogradation est prévisible, suite à un changement des méthodes de comptage par le ministère de l'éducation nationale, qui devrait faire passer l'Australie, et peut-être aussi l'Allemagne devant la France, après les États-Unis et le Royaume-Uni.
L'objectif fixé à Campus France est de doubler le nombre d'étudiants étrangers pour passer à 600 000 en 2020.
Cet objectif paraît difficilement atteignable, alors que les crédits des bourses de mobilité étudiante continuent de décroître, après -40 % de 2004 à 2014. Les crédits votés en loi de finances ne sont pas reversés en totalité à Campus France et Campus France ne bénéficie pas du produit des Centres d'études en France (CEF), c'est-à-dire des frais de tests et d'entretiens versés par les candidats boursiers, qui sont gérés par les postes diplomatiques.
Ainsi, le nombre de boursiers du gouvernement français est de 12 900 en 2015, alors qu'il était de 15 400 en 2010.
Dans ces conditions, il paraît difficile de mener une politique d'influence autre que de tenter de maintenir l'héritage de l'histoire. Mais même là où l'enseignement supérieur français est traditionnellement attractif (en Afrique, d'où proviennent 45 % des étudiants en mobilité en France), l'influence de la France est soumise à forte concurrence. La mobilité internationale des étudiants s'est fortement accrue, avec une situation de plus en plus concurrentielle. On le voit en Afrique, où, par exemple, le Moyen-Orient a récemment renforcé son attractivité en développant une offre de bourses d'études vers les universités islamiques.
En Europe, nous subissons une très forte concurrence de l'Allemagne, actuellement cinquième pays d'accueil, qui dispose de moyens sans commune mesure avec les nôtres. Le budget total de l'agence de mobilité allemande (chargée de la mobilité entrante et sortante) est de 441 millions d'euros, alors que Campus France a un budget de 28 millions d'euros et gère 64 millions d'euros de bourses. La présence allemande en Afrique, en Syrie ou encore en Iran va se renforcer, au détriment de l'influence française.
Or nous continuons à penser que l'accueil d'étudiants étrangers en France reste une absolue nécessité, pour diversifier nos recrutements et nos compétences, notamment dans les domaines scientifiques. C'est aussi un outil d'influence. C'est, enfin, un apport économique, qui est évalué à 1,7 milliard d'euros net annuel.
Indépendamment des gouvernements, nous avons le sentiment, depuis une dizaine d'années, que la volonté de faire en sorte que la France puisse assumer totalement son rayonnement à l'étranger s'est atténuée. Les ambitions reculent au regard de la place à laquelle nous pourrions légitimement prétendre. Nous avions une ambition de rayonnement, qui a cédé la place à une ambition d'influence. Nous contenterons-nous demain d'une ambition de présence, voire de résilience ?
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. - C'est la France qui a inventé la diplomatie d'influence culturelle, dès la fin du dix-neuvième siècle, avec l' « alliance française ». Depuis lors, d'autres puissances ont compris que l'influence n'était pas seulement d'ordre militaire. Ces puissances consacrent aujourd'hui des moyens importants au développement de leur influence culturelle, notamment comme appui à leur action économique.
Or en France, nous reculons un peu plus chaque année. Les instruments de notre influence culturelle affichent encore des objectifs ambitieux mais leurs moyens sont insuffisants.
Cette dégradation n'est pas conjoncturelle. Nous l'avions déjà signalée les années précédentes, en dehors de tout contexte électoral. Il s'agit d'une inquiétude profonde. Il ne nous semble pas possible, en l'état, d'être favorables aux crédits du programme 185.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je partage les propos des rapporteurs. La contribution du ministère des affaires étrangères aux efforts de redressement des finances publiques, notamment en matière de réduction de personnel, est un facteur d'affaiblissement de notre compétitivité. Ces efforts sont disproportionnés au regard du budget de ce ministère.
L'éducation est un secteur aujourd'hui très compétitif. Notre réseau, unique au monde, est en difficulté. Le ministère en charge des finances doit comprendre que, pour rester compétitifs, nous avons besoin de moyens et d'investissements. Ces investissements n'ont pas un retour immédiat. Mais les entreprises françaises ont besoin de notre réseau éducatif et culturel. Il ne s'agit pas seulement de scolariser les enfants des expatriés, dont le nombre diminue. Il s'agit aussi de scolariser les enfants des employés recrutés localement, ce qui renvoie à la question du rayonnement et de l'influence de la France, ainsi que du soutien à une francophonie aujourd'hui très mise à mal.
S'agissant de la sous-consommation de l'enveloppe des bourses d'aide à la scolarité dans le réseau AEFE, il faut savoir que les postes diplomatiques ont été encouragés à faire des économies en demandant des enveloppes au plus juste. C'est pourquoi la somme des enveloppes locales est inférieure, chaque année, à l'enveloppe globale que nous votons. Un changement de culture est indispensable. Ce n'est pas aux familles de fournir le plus gros effort, surtout lorsque le budget nécessaire a été voté par le Parlement.
Je regrette que la concertation entre les ministres respectivement en charge des affaires étrangères et de l'éducation nationale n'ait pas permis d'avancer sur la question du détachement des professeurs. Des décisions doivent être prises au plus haut niveau. J'espère qu'une rencontre entre les deux ministres aura lieu avant la fin de l'année.
Mme Nathalie Goulet. - Ce programme, consacré à la diplomatie culturelle, est particulièrement important et nous devrions le porter à l'attention du prochain ministre en charge des affaires étrangères.
En ce qui concerne les bourses de l'enseignement supérieur, nous faisons la même observation chaque année : non seulement nous ne distribuons pas suffisamment de bourses par rapport à nos concurrents étrangers, mais nous ne suivons pas d'assez près les anciens étudiants étrangers en France. Aux États-Unis ou au Canada, ces jeunes constituent un réseau doté d'une force et d'une puissance d'intervention importante. Nos services ont-ils progressé à ce sujet ?
S'agissant des alliances françaises, l'appel à des fondations, à des mécènes, qui viendront ensuite au soutien de la France, est l'une des voies à exploiter pour parvenir à une plus grande autonomie et à une plus grande efficacité. Le cas de l'alliance française de New-York est particulier mais néanmoins intéressant, de ce point de vue.
M. Alain Néri. - Le réseau culturel et les lycées français doivent être soutenus. Il y a encore, dans beaucoup de pays étrangers, une reconnaissance de la valeur de la pédagogie française. La demande reste importante. Notre système d'éducation est apprécié et nous pouvons en être fiers.
La défense de la francophonie doit être plus déterminée ; c'est une affaire de tous les jours, et non de quelques sommets. Lorsque nous représentons la France dans des organisations internationales, nous devrions tous nous exprimer en français, surtout lorsque le français est langue officielle.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Comme l'a dit Abdou Diouf, le problème du français n'est pas un problème de demande mais d'offre.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour avis. - Le réseau « France Alumni » répond, pour une part, à la question sur le suivi des anciens étudiants étrangers en France. Ce réseau, présent dans 70 pays, est développé en liaison avec les lycées français. Un effort important a été réalisé depuis 2014.
M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis. - J'approuve les propos tenus sur la francophonie. C'est un combat de tous les jours. Le président Jacques Chirac a dit que l'avenir de la francophonie se jouerait d'abord en Europe. Nous n'y avons pas été suffisamment attentifs. J'en donnerai un exemple : le processus de Bologne de rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur européens, dont la seule langue est l'anglais alors qu'il a été lancé en Italie, à la suite d'un appel tenu à la Sorbonne en 1998 ! Le combat pour le français est à reprendre de manière énergique.
M. Alain Néri. - Nous devrions être plus pugnaces au sein des organisations internationales, dont nous sommes parmi les premiers payeurs.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Les jeunes diplomates doivent être incités à utiliser le français plutôt que l'anglais.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Nous devrions aborder cette question de la défense du français dans le cadre de notre groupe de suivi, commun avec la commission des affaires européennes, sur le Brexit.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - C'est exact. Si nous ne menons pas ce combat, qui le mènera ?
La commission réserve son vote jusqu'à la fin de l'examen des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » le 16 novembre 2016.
Loi de finances pour 2017 - Audition du général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale
La commission auditionne le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, sur le projet de loi de finances pour 2017.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - J'accueille à présent le Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale. Mon Général, notre procédure nous oblige à examiner les rapports législatifs en première partie de matinée et nous avons ainsi délibéré, au sein de notre commission, avant de vous entendre. L'avis de la commission est globalement plutôt défavorable, mais chacun pourra s'exprimer. Vos propos nous sont fort utiles une fois dans ce contexte où nos deux rapporteurs ont exprimé leurs avis divergents. Notre commission a en effet bien noté les évolutions tendancielles et les problèmes ponctuels de la Gendarmerie qui nous donnent un sentiment mitigé. Mon Général, je vous laisse la parole avant que ne s'engage un débat avec les membres de notre commission.
Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ravi de m'exprimer devant vous alors que j'ai pris mes fonctions à la tête de la gendarmerie nationale le 1er septembre dernier. Dans un contexte sécuritaire où émergent continuellement de nouveaux défis, cette audition m'offre l'opportunité de dresser un bilan du chemin parcouru et de vous présenter les grandes orientations que je retiens pour 2017 au regard des moyens budgétaires qui sont alloués à la gendarmerie par le projet de loi budgétaire.
Il me paraît en effet essentiel d'échanger sur la dynamique engagée. En effet, la gendarmerie est aujourd'hui en mouvement. Les événements sont nombreux, qu'ils soient programmés ou relatifs à la menace terroriste, et impliquent la disponibilité du gendarme. Il lui faut ainsi être dans l'action et disposer des équipements nécessaires pour assumer les missions qui lui sont confiées. La menace terroriste impacte de plus en plus notre activité et nous oblige à revoir nos modes d'action et de raisonnement. C'est donc là une opportunité d'évoluer, de manière concertée et coopérative, avec l'ensemble des autres partenaires de la sécurité intérieure.
J'en viens à présent aux différentes menaces et aux évolutions auxquelles il nous faut faire face. L'année 2016 a été exceptionnelle à maints égards. Au niveau opérationnel d'une part, cette année a été marquée par le renforcement des effectifs, à hauteur de 2 188 ETP, induit par la mise en oeuvre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), du plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) et du pacte de sécurité (PDS). Une telle démarche est assez exceptionnelle dans le contexte actuel. Ces nouveaux effectifs nous ont permis de renforcer nos moyens d'intervention et les unités territoriales. Un escadron de gendarmerie mobile a ainsi été créé à Rosny-sous-Bois et vingt-deux escadrons ont été dotés d'un cinquième peloton, afin d'assumer les missions sur le terrain qui sont en nombre croissant, avec 230 jours de déplacement annuel par unité. Au total, trois antennes du GIGN ont été créées en métropole auxquelles se sont ajoutées trois antennes résultant de la transformation de trois PI2G. En outre, une septième antenne du GIGN a été créée à Mayotte dont la situation est problématique, en raison de l'immigration massive et permanente et des tensions sociales explosives qui s'y font jour. Ce département est ma première préoccupation en Outremer. Nous avons également renforcé, à hauteur de 183 ETP, des unités territoriales situées dans les zones frontières et sur les axes de circulation dans le cadre du contrôle des flux. Notre ambition est ainsi d'être présent sur les axes de communication, afin d'y mettre en place des dispositifs de lutte contre le terrorisme, la délinquance et, résiduellement, de police de la route. Il s'agit d'y surveiller les mouvements de terroristes et de délinquants, afin de recueillir de précieux renseignements.
Ces évolutions de structures ont induit celles des méthodes de travail et de la coopération entre les forces de sécurité intérieure. Sous l'égide du Ministre de l'intérieur, nous avons mis en place le schéma national d'intervention qui marque une évolution culturelle importante. Jusqu'à présent, chaque force disposait de sa propre dynamique en matière d'intervention spécialisée de haut niveau, comme le GIGN pour la Gendarmerie et le RAID pour la Police nationale, ainsi que la BRI pour la Préfecture de police de Paris. Désormais, en cas d'alerte attentat, dans le cadre du plan d'alerte d'urgence, la force la plus proche de la zone concernée interviendra la première. La proximité l'emporte ainsi. Ce nouveau dispositif a d'ailleurs été mis en oeuvre à Saint-Etienne-du-Rouvray et, plus récemment, à l'occasion de l'alerte donnée dans le quartier des Halles à Paris. Ce schéma d'intervention représente ainsi une avancée majeure en termes de méthodologie et de coopération inter-forces.
La loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 a permis de nous doter de nouvelles compétences pour conduire des manoeuvres en parfaite intelligence avec la Police nationale, au sein du service central de renseignement territorial et, pour les menaces les plus avérées, avec la Direction générale de la sécurité intérieure. Dans ce domaine également, le décloisonnement des informations a bien évolué. Les nouveaux moyens matériels conférés par les différents plans nous ont permis d'organiser la protection balistique de nos personnels, y compris ceux des brigades territoriales. Notre dispositif de formation a également été rationalisé à l'occasion de l'incorporation exceptionnelle de quelque quatorze mille nouveaux personnels, qu'il s'agisse des gendarmes-adjoints volontaires et des sous-officiers ou encore du renouvellement des départs en retraite ou encore des effectifs supplémentaires. A cette occasion, nous avons diminué de trois mois le présentiel en école pour les anciens gendarmes-adjoints volontaires. Nous avons créé à Dijon, dans une ancienne base aérienne que la Gendarmerie a racheté pour quinze millions d'euros au Ministère de la Défense, une école supplémentaire qui fonctionne depuis le 18 octobre dernier et qui a vocation à terme à intégrer jusqu'à six compagnies d'élèves-gendarmes. Je tiens à cet égard à saluer la coopération avec l'Armée de l'air dans cette opération.
Le budget 2017 va nous permettre de poursuivre la dynamique enclenchée et de réfléchir à de nouvelles pistes en matière notamment de maillage territorial. Des postes budgétaires ont été créés pour lutter contre le terrorisme et la délinquance. 255 nouveaux postes ont ainsi vocation à renforcer les unités territoriales et les antennes du renseignement territorial qui y ont été instituées depuis ces deux dernières années. Les personnels affectés à ces antennes répondent fonctionnellement aux directions départementales du renseignement territorial tout en étant intégrés au dispositif de la Gendarmerie. En 2017, vingt-cinq antennes supplémentaires, parmi lesquelles neuf seront placées dans les aéroports et les aérodromes en métropole, devraient être créées sur l'ensemble du territoire. Les unités territoriales devraient être renforcées par deux cents renforts dont la nécessité est avérée, suite à l'entrée en vigueur de la directive européenne sur le temps de travail. En outre, 144 ETP devraient être intégrés dans les pelotons de surveillance et de protection de la Gendarmerie. Bien que ces effectifs, qui renforcent la sécurité des centrales nucléaires, soient payés intégralement par l'Opérateur EDF, ils apparaissent dans notre schéma d'emplois et résultent uniquement de l'adaptation de nos forces au nouveau temps de travail induit par l'entrée en vigueur de la directive.
L'année 2017 devrait également être marquée par la montée en puissance de la réserve de la Gendarmerie, dont le commandement vient d'être créé le 1er novembre dernier. Celui-ci a vocation à poursuivre l'action conduite par les 25 800 réservistes opérationnels d'aujourd'hui et par les 1 300 réservistes citoyens. La réserve, qui est une composante indispensable du service public que nous délivrons à nos concitoyens, est totalement intégrée à notre dispositif. Il me paraît essentiel d'augmenter la présence sur le terrain des réservistes, qui sont déjà au nombre quotidien de 1 600, afin d'apporter plus encore de service public de sécurité à nos concitoyens. La réserve de la Gendarmerie a vocation à être gérée à plusieurs niveaux : départemental, avec des cellules réserve qui seront officiellement créées, mais aussi régional et national. La création de la Garde nationale, qui labellise les réserves existantes, repose sur deux piliers : celui de la Défense, avec la réserve des armées, et celui de la sécurité intérieure, avec les réserves de la Gendarmerie et de la Police nationales. Si le mode de fonctionnement et l'organisation de ces piliers n'ont pas vocation à être modifiés, ceux-ci doivent en revanche être intégrés dans une dynamique commune incarnée par le Secrétaire général de la Garde nationale qui peut être appelé à porter des sujets transverses. Le sujet de la forfaitisation des réservistes est également un sujet important afin d'éviter la complexité des modes de calcul actuels et de diminuer substantiellement l'ensemble des charges administratives lié à la convocation des réservistes. Je propose également que soit alignée la logistique médicale de ces réservistes, qui implique notamment une visite médicale annuelle, sur celle des personnels d'active. Le Secrétaire général de la Garde nationale doit ainsi apporter sa plus-value à l'ensemble des réservistes et il faudra certainement aller plus loin, notamment en matière budgétaire, afin d'assurer la montée en puissance de cette nouvelle structure.
Le budget pour 2017 comprend également des crédits hors T2 destinés à sanctuariser les moyens consacrés au fonctionnement et à relancer l'investissement pour consolider et développer les capacités opérationnelles des unités. A cet égard, le véhicule représente un outil de travail essentiel du gendarme qui lui permet d'accéder à l'ensemble du territoire et de venir au contact des populations. Sur les 30 000 véhicules dont dispose la Gendarmerie, 3 800 sont effectivement réformables avec plus de huit ans d'âge et de 150 000 kilomètres au compteur. Or, ceux-ci doivent être maintenus en fonction afin d'éviter un trou capacitaire. Le renouvellement annuel de 3 000 véhicules permet d'obtenir une flotte opérationnelle ; ce que nous avons réussi à faire durant l'année 2016. Le retard est donc important et doit être rattrapé dans la durée. En 2017, les crédits permettront d'acheter à nouveau 3 000 véhicules et d'amorcer une tendance vertueuse, même s'il faudra plusieurs années pour résorber le trou capacitaire hérité du passé.
L'immobilier a servi pendant trop longtemps de variable d'ajustement budgétaire. Pour la troisième année consécutive, en 2017, 70 millions d'euros y sont consacrés dans le plan d'urgence. En 2015, nous avons rénové 3 000 logements et en 2016, 5 000 ; l'année prochaine, nous devrions en rénover 4 000 autres. Ce n'est certes pas suffisant, mais ces rénovations domaniales améliorent les conditions de travail et le moral des personnels. D'autres travaux sont inclus dans ces 70 millions d'euros et concernent l'urgence sécurité des casernes. Il faudra que cet effort soit poursuivi dans la durée, voire amplifié si possible.
Le budget comprend également des mesures catégorielles qui visent l'ensemble des statuts de la Gendarmerie et représentent 77 millions d'euros. Ces mesures relèvent du protocole du 11 avril 2016 conjointement signé par le Ministre de l'intérieur et le Groupe de liaison du CFMG, alors qu'était signé un protocole équivalent avec les syndicats de la Police nationale. Cette démarche est assez exceptionnelle puisque ce protocole fournit aux gendarmes un signal fort de la reconnaissance de leur engagement et de leur disponibilité.
Un effort sera également conduit pour les Outremer. A Mayotte, où les difficultés sociales induisent des impacts collatéraux en matière de sécurité, une antenne GIGN forte de 32 personnels a été créée. Nous allons remplacer dès que possible un moyen nautique actuellement en panne et professionnaliser le centre opérationnel. Il faudra cependant engager d'autres moyens dans les années à venir pour répondre aux besoins exponentiels sur ce territoire. Par ailleurs, le niveau de violence dans les Antilles-Guyane connaît une augmentation importante et les gendarmes, ainsi que les policiers, doivent tenter de la combattre. Enfin, la situation de la Nouvelle-Calédonie est préoccupante. A la suite de la réunion du comité des signataires des Accords de Nouméa qui vient de se tenir avec le Ministre de l'intérieur, un effort sera conduit, dès 2017, pour augmenter les effectifs en Nouvelle-Calédonie et mieux assurer la protection de nos personnels. En effet, la Nouvelle-Calédonie est le territoire d'Outremer où le nombre de tirs directs par arme à feu sur les gendarmes est le plus important. Plus le référendum s'approche, plus le niveau de violence augmente. Il nous faut ainsi nous préparer, le jour du référendum, à mettre en oeuvre un dispositif du maintien de l'ordre public.
Notre deuxième axe de travail vise à remettre la brigade territoriale, véritable brique de base de la Maison, au centre de notre dispositif. Par le passé, nous avons consacré beaucoup d'efforts aux activités de police judiciaire et aux interventions. Un groupe de travail sur ces brigades territoriales a permis d'évoquer un certain nombre de pistes et mon souhait est de travailler sur leur périmètre de mission. Près de cinq cents de ces brigades connaissent d'importantes difficultés de fonctionnement, du fait de leurs faibles effectifs, de l'étendue des territoires qu'il leur faut couvrir et de l'ensemble des missions qu'il leur faut assumer. L'évolution de leur maillage doit être reconsidérée : depuis une dizaine d'années, près de cinq cents brigades ont été dissoutes et nous sommes passés à 3 100 brigades afin de rationaliser notre dispositif. Deux options s'offrent à nous : soit le regroupement des effectifs dans des unités plus importantes se poursuit, soit, partant du constat des difficultés de fonctionnement des brigades à moins de six gendarmes générées notamment par l'application de la directive européenne sur le temps de travail, le maintien de l'implantation et des personnels, mais en reconsidérant leur contrat capacitaire et en y évinçant toutes les activités qui ne relèvent pas du contact avec les populations. Le service public de sécurité serait toujours présent et on reviendrait à la mission originelle du gendarme qui est d'être sur le terrain et au contact avec les populations. Les missions de police de la route seraient alors assumées par les brigades motorisées situées à proximité et les missions de police judiciaire par les unités de police judiciaire placées en renfort. Une telle démarche permettrait de maintenir le maillage et de demeurer dans la profondeur du territoire, dans le contexte de menaces qui est le nôtre. On rendrait alors aux élus leurs gendarmes. Pendant trop longtemps, on a perdu de vue le contact humain qui relève de l'expérience quotidienne et qui ne relève pas d'une logique strictement budgétaire, mais d'une logique de conception du service. Certaines expérimentations vont ainsi être lancées début 2017, afin de remettre à l'honneur cette mission fondamentale qu'est le contact humain.
Je souhaite que soit également mis en place en 2017 un centre national de formation à la sécurité publique destiné aux départementaux.
Notre troisième axe de développement concerne la modernisation de la Gendarmerie et la diffusion des technologies électroniques qui permettent notamment de lutter contre la cybercriminalité. Dans ce cadre, nous travaillons à l'élaboration du véhicule de patrouille du futur. Il faut ainsi disposer d'un temps avance pour conduire des actions efficaces.
La directive temps de travail me pose aujourd'hui difficulté. Sa mise en oeuvre - s'agissant notamment des onze heures de repos physiologique quotidien - se solde par une baisse de 5 % de l'activité horaire, soit l'équivalent de 5 000 ETP. Sa dernière clause, qui porte sur les 48 heures d'activités maximales hebdomadaires, doit être transposée avec le Ministère de la Défense et je ne vous cacherai pas mon inquiétude sur sa transposition définitive.
Je terminerai mon propos en évoquant à l'état d'esprit des gendarmes qui sont inquiets. Ceux-ci sont sensibles aux risques de leurs camarades policiers et sont en empathie avec leur inquiétude. L'expression de cet état d'esprit demeure dans le cadre des structures de concertation de notre Maison dont le groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire Gendarmerie (CFMG) a été reçu à la fois par le Ministre de l'intérieur et le Président de la République. Je veille au maintien d'un dialogue très régulier non seulement avec la hiérarchie - commandants de groupement et de région -, mais aussi avec la chaîne de concertation qui demeure le second pilier de la Maison dont le premier est la voie hiérarchique. Notre chaîne de concertation a été dynamisée par l'élection au suffrage indirect du nouveau CFMG dont la majorité des soixante-quinze nouveaux membres détiennent un mandat local. C'est une chance pour la Maison que d'avoir dynamisé notre chaîne de concertation. A l'inverse, les APNM doivent dépasser leur logique actuelle de rébellion pour s'engager dans la voie d'un dialogue constructif où chacun écoute l'autre.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci mon Général pour votre intervention. Je passe tout d'abord la parole à nos deux collègues rapporteurs, MM. Alain Gournac et Michel Boutant, ainsi qu'à notre collègue M. Alain Marc de la commission des lois, qui assiste à notre réunion de ce matin.
M. Alain Gournac, co-rapporteur. - Mon Général, je souhaitais vous remercier pour les éléments que vous nous avez donnés et qui confortent notre perception de l'état d'esprit qui est actuellement celui de la Gendarmerie. S'agissant de la concertation, je ne souhaite pas que le dialogue au sein de la Gendarmerie s'inscrive dans une sorte de logique syndicale. Il me semble, à la lueur de mes expériences auprès des gendarmes, que ceux-ci déplorent avant tout l'absence de contact. Leur moral est important et le logement y contribue, ainsi, d'ailleurs, qu'à celui de leurs familles ! Je m'inquiète du gel de crédits de 99 millions d'euros qui frappe un grand nombre de bailleurs sociaux et des collectivités territoriales dans ce domaine. Or, ceux-ci ne sont pas toujours payés. Vous avez évoqué la lassitude des gendarmes qui assument un nombre considérable de tâches bureaucratiques, lorsqu'ils ne doivent pas lire une foultitude de notes et de circulaires qui parfois se contredisent les unes les autres ! J'approuve également vos propos sur le manque de liens entre les élus et les brigades sur le terrain. On ne voit plus les gendarmes sur le terrain ! Je suis également inquiet de la mise en oeuvre de la directive des onze heures qui pourrait se solder par une baisse de 3 000 à 5 000 ETP et je ne vois pas de crédits qui y soient dédiés. En outre, je suis contre l'incitation qui est faite en gendarmerie de déposer une main courante plutôt que porter plainte. N'est-ce pas là uniquement un moyen de faire baisser les statistiques ? Enfin, le débat sur les conditions de la légitime défense doit absolument être mené pour que les gendarmes puissent se défendre correctement. Je terminerai mon propos de manière optimiste : la tablette, que nous appelions de nos voeux avec mon collègue co-rapporteur, arrive enfin dans les brigades, ce dont nous sommes ravis !
M. Michel Boutant, co-rapporteur. - Contrairement aux années précédentes, j'ai un avis tout à fait différent de celui de mon co-rapporteur sur le budget de la Gendarmerie. Mon Général, je vous avais fait part de mon inquiétude, dans un courrier en date du 21 septembre dernier, quant aux conséquences de l'évolution du maillage territorial des brigades. Votre volonté de rendre leurs gendarmes aux élus et de restaurer leur lien avec les populations à travers la création de brigades de contact me satisfait pleinement. Les augmentations d'effectifs, qui ont eu lieu depuis ces deux dernières années, rompent avec la logique de suppression qui avait prévalu lors de la précédente mandature. En tout cas, le projet de budget prévoit notamment des créations de pelotons supplémentaires dans vingt-deux escadrons et la création d'un escadron supplémentaire de gendarmes mobiles nous satisfait. Je formulerai néanmoins trois questions : d'une part, les crédits du budget 152 seront-ils modifiés pour tenir compte du nouveau plan de sécurité du Ministre de l'intérieur ? D'autre part, où en est-on sur la question des transfèrements, en principe désormais confiés à l'administration pénitentiaire Enfin, le dégel des crédits de la Gendarmerie nationale interviendra-t-il bien avant la fin de cette année ?
M. Alain Marc, rapporteur de la commission des Lois. - Vous avez évoqué la rénovation des logements dont la plupart appartient aux collectivités locales ou aux bailleurs sociaux. En Aveyron, la Gendarmerie a demandé à surseoir au premier paiement de loyer pour une commune. Je suis conseiller général puis départemental depuis 22 ans et j'ai pu mesurer la perte progressive du contact de la Gendarmerie avec les populations qui fournissaient pourtant la première source de renseignements. Par contre, j'espère que le bénéfice du recentrement des brigades sur le contact ne sera pas ruiné, sur le long terme, par une réduction ultérieure des effectifs conduisant à leur suppression. Je serais, à ce titre, heureux que votre discours soit davantage perçu par les élus locaux qui aiment leurs gendarmes. Je suis également inquiet de la directive européenne, tout comme un grand nombre de chefs de brigade que j'ai rencontrés en Aveyron. Sans doute une exception est possible et il faudra que les élus que nous sommes promeuvent, au niveau européen, la singularité du statut militaire des gendarmes et de ses exigences au regard du contenu de cette directive.
M. Jacques Gautier. - Mon Général, vous permettrez tout d'abord de vous féliciter pour votre nomination. Je voudrais, à cette occasion, saluer la disponibilité, le savoir-faire et la sérénité des gendarmes à Mayotte où je viens d'effectuer un stage d'immersion de cinq jours. J'ai pu y mesurer la violence, la vigueur de l'immigration clandestine et l'engagement permanent de vos gendarmes dans des conditions toujours difficiles. A cet égard, le bateau semi-rigide d'intervention rapide devra être remplacé, fort de l'octroi de mer qui rapporte 450 000 euros. En outre, les véhicules blindés à lames, qui n'ont toujours pas été remplacés au niveau national, sont particulièrement utiles à Mayotte où le caillassage des forces est quotidien. D'ailleurs, le renouvellement ou le complément de la flotte d'hélicoptères, non seulement à Mayotte mais aussi pour l'ensemble du territoire national, me paraît également un point important. Le seul hélicoptère, qui assume une grande diversité de missions à Mayotte, est celui de la Gendarmerie. Il faudra bien que l'on réfléchisse à l'évolution de votre parc aérien ! Je poserai deux questions. La première concerne la réserve de la Gendarmerie nationale, dont le maillage territorial est un gage d'efficacité. Votre logiciel de gestion permet également d'obtenir des réservistes à la journée. Ainsi, le secrétaire général de la Garde nationale va-t-il y avoir accès ? Une telle démarche me paraît indispensable. D'autre part, nous sommes très attachés à deux forces de sécurité intérieure que sont la Gendarmerie et la Police. Par contre, une réflexion est actuellement conduite sur la fusion des groupes d'intervention Raid-GIGN allant au-delà de la notion de primo-intervenant. Quel est votre point de vue sur cette question ?
M. Cédric Perrin. - Je m'associe naturellement aux félicitations de mon collègue à votre endroit. Je partage vos propos sur la proximité des gendarmes dont nous sommes très fiers. En tant qu'élu, j'ai pu constater leur implication, malgré une certaine démotivation suite à l'absence de réponse pénale. On se demande parfois s'il est utile de porter plainte... La gendarmerie de contact est un sujet récurrent et la capacité de renseignement, qui faisait auparavant l'une de ses forces, a décru, suite à l'augmentation inconsidérée des procédures administratives qui tendent à consigner les gendarmes dans leur bureau. Je suis l'un des rares maires à avoir inauguré une nouvelle caserne de gendarmerie dans sa commune, ce dont je vous remercie car cette inauguration marque l'aboutissement de nos échanges initiés lorsque vous étiez Place Beauvau. Une telle démarche s'inscrit sur une durée de cinq ans, soit le temps d'un mandat ce qui, outre les difficultés administratives suscitées, tend à limiter l'engouement des élus en faveur de la rénovation ou d'une nouvelle installation de caserne. Enfin, j'en viens aux véhicules de la gendarmerie. Originaire du Territoire de Belfort, je souhaite que les nouveaux véhicules qui doteront la Gendarmerie soient fabriqués en France. Les autres polices privilégient leurs marques nationales et je ne vois pas pourquoi nous ne parviendrions pas à assurer, quant à nous, le renouvellement de notre flotte avec des véhicules français et ce, dans le cadre d'un marché d'appel d'offres européen.
Mme Gisèle Jourda. - Nous avons rendu un rapport, avec mon collègue Jean-Marie Bockel, sur la Garde nationale qui constitue une réponse à la menace sur notre territoire. Comment rendre réactif ce nouveau corps ? Le maillage territorial des réserves de gendarmerie est un exemple pour nous. Comment cette nouvelle Garde nationale peut-elle bénéficier d'un maillage territorial, plus particulièrement dans des zones définissables comme des déserts militaires ? Comment dynamiser les autres réserves et assurer une réelle capacité opérationnelle à cette Garde nationale présentant une chaîne de commandement spécifique ? Enfin, ma ville est passée d'une zone de commissariat à une zone de gendarmerie. Celle-ci a su, dans notre territoire, apporter les bonnes réponses et mettre en oeuvre une approche fructueuse de la sécurité sur notre territoire. Il ne faut donc pas avoir peur en l'avenir et veiller à répondre aux attentes des populations, qu'elles soient rurales ou urbaines.
M. Daniel Reiner. - Je reviendrai sur la directive européenne sur le temps de travail qui me rappelle le débat que nous avions eu en 2003 lors de l'intégration de la Gendarmerie au Ministère de l'intérieur. Je m'étais opposé à cette intégration. Nous avions à l'époque précisé que les forces de police avaient leur propre spécificité et que les gendarmes garderaient leur statut militaire. C'était d'ailleurs dans la conjonction historique de ces deux forces qu'on devait assurer la sécurité de nos concitoyens de manière efficace. L'affirmation du statut militaire me paraît contradictoire avec l'idée même d'une application d'une directive sur le temps de travail, sauf à rapprocher plus encore les gendarmes et les personnels sous statut militaire des autres personnels, dont ceux de la Police. Un tel rapprochement pourrait alors augurer de la disparition des spécificités des deux corps. Quel est l'état d'esprit de la Gendarmerie nationale française au regard de l'application de cette directive ?
M. Gilbert Roger. - La doctrine de l'emploi des forces depuis les attentats, s'agissant notamment du positionnement des sentinelles, me préoccupe. La réaction des policiers a-t-elle des répercussions au sein de la Gendarmerie, du fait de l'empathie et de la proximité des tâches que vous nous avez évoquées ?
M. Christian Namy. - Comme élu d'un département rural, j'apprécie beaucoup votre évocation des brigades territoriales. En concertation avec vos chefs de groupement, êtes-vous prêt à revenir sur des décisions antérieures ou à stopper la mise en oeuvre de décisions en cours ?
Général Richard Lizurey. - La directive sur le temps de travail ne comprend aucune dérogation statutaire et concerne l'ensemble des forces armées. Elle est transposée en lien avec le Ministère de la défense et son dispositif s'applique de manière statutaire à l'ensemble de nos camarades des armées, peut-être à l'exclusion des OPEX. Je n'ai que peu d'emprise sur ce sujet politique en tant que directeur général de la Gendarmerie nationale. Ce sujet est venu sur la table suite à une plainte de l'un de nos personnels auprès des instances européennes et seule une discussion politique avec ces dernières est de nature à en assurer l'évolution. L'application de cette directive induit une dégradation du service. Le Gendarme est attaché à son statut militaire et souhaite le conserver. Ces contraintes ne reflètent nullement la préoccupation de l'ensemble de nos personnels qui sont engagés et disponibles.
Nous sommes attachés à la dualité des forces et je me méfie de la vision fusionnelle qu'on peut entendre çà et là. S'il est nécessaire de poursuivre une réflexion commune, il est nécessaire de respecter les compétences et les spécificités, parmi lesquelles la disponibilité qui est propre aux militaires et que je souhaite maintenir.
Au sujet des APNM, je rappelle que la loi leur confère une légitimité nationale, mais pas régionale, ni locale.
La brigade de contact n'est pas un sujet facile, car il nous faut évoluer dans notre mode d'action et rénover notre vision. Les gendarmes veulent retrouver leur métier et ne plus être pollués par un ensemble de tâches qui entravent leur présence sur le terrain. J'ai demandé aux commandants de groupement, il y a un mois, de porter ce sujet avec les élus qui doivent jouer un rôle essentiel dans ce redéploiement. L'intelligence locale doit l'emporter sur la vision nationale. Sur la partie dispositif, ce qui a été décidé n'a pas vocation à être revu puisque ces décisions ont fait l'objet de concertations préalables. En revanche, la Direction générale travaille avec les commandements de groupement pour gérer, au cas par cas, les opérations qui n'ont pas été décidées. Une telle démarche ne saurait interdire la dissolution de certaines brigades dans le temps. En effet, celles qui se trouvent en zone policière n'ont pas vocation à y être maintenues, pas davantage d'ailleurs, que celles qui menacent ruine. Les opérations immobilières - à savoir les 5 000 logements de 2016 et les 4 000 pour 2017 - s'avèrent urgentes et concernent le domanial ; l'immobilier locatif s'inscrivant dans une autre logique. Aujourd'hui, 99 millions d'euros ne sont toujours pas dégelés et je ne suis pas en mesure de payer des loyers depuis le mois d'octobre. Si ce dégel n'est pas mis en oeuvre, la charge sera reportée sur l'année suivante.
La situation à Mayotte est explosive et les véhicules blindés qui sont sur place ont jusqu'à cinquante ans d'âge. On ne dispose pas aujourd'hui des crédits nécessaires à l'achat de nouveaux véhicules blindés. Cependant, les véhicules blindés à roues de la Gendarmerie (VBRG) seront entretenus, tout en en projetant de la métropole. Cette situation est, à cet égard, valable pour tous les outremers. Il nous faudra également y déployer des véhicules de type Defender afin d'assurer la protection de nos personnels. L'augmentation de notre flotte d'hélicoptère, qui compte 56 appareils après la perte de l'un d'eux occasionnant le décès de quatre de nos camarades avant l'été, n'est pas à l'ordre du jour.
Le logiciel Minotaur a vocation à être partagé avec l'ensemble des réserves au travers de la Garde nationale. Il est également à la disposition des armées car il permet à chaque réserviste de déclarer ses disponibilités et de l'engager en conséquence de manière extrêmement souple. La Garde nationale a ainsi vocation à servir dans un cadre territorialisé. Je dois d'ailleurs m'en entretenir avec le Général de Raucourt. Plus que le rattachement des réservistes à une structure, il importe de préciser les missions qui leur seront confiées. Nos camarades de la réserve de la Gendarmerie nationale ont ainsi comme mission le renfort dans les opérations de sécurité auprès de la population. La Garde nationale en est encore à ses débuts.
Depuis le début du mouvement social de la Police nationale, je suis très attentif aux réactions de nos personnels qui sont en empathie avec les questions posées. Les risques évoqués concernent l'ensemble des forces et nous partageons un certain nombre de sujets communs. Aujourd'hui, la concertation nous permet d'échanger avec nos personnels, de dialoguer et de remonter des informations sans que pour autant les gendarmes ne soient obligés de descendre dans la rue. J'ai été marqué par le mouvement de 2001 que j'ai vécu en tant que commandant de groupement. L'idée est de ne plus arriver à une telle situation. Les gendarmes restent à la fois vigilants et confiants dans les moyens et le soutien hiérarchique qui leur sont accordés. Dans ce cadre, nous travaillons avec la Police nationale et l'Institut des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), plus particulièrement avec sa directrice, Madame Hélène Cazaux-Charles, pour aboutir à un texte régissant l'usage des armes commun à la Police et à la Gendarmerie. Nous venons de transmettre une proposition en ce sens, qui vise à maintenir notre cadre d'usage des armes et à y intégrer les fonctionnaires de la Police nationale. Une telle démarche me paraît aller dans le bon sens.
L'évolution du transfèrement judiciaire, auquel nous avions accordé il y a quelques années des ETP, ne s'est pas soldée par la fin de cette mission pour la Gendarmerie. Un rapport a été récemment rendu par les inspections qui évalue la nécessaire dotation en effectifs pour assumer cette mission. Nous sommes à ce sujet en pourparlers avec l'Administration pénitentiaire. Je suis déterminé à ce que, sur cette question, les choses reviennent dans l'ordre.
Enfin, s'agissant des commandes publiques de matériels, je suis tenu par le Code des marchés publics, lorsque j'engage des crédits.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie, mon Général, pour votre clarté et votre détermination. Le contact rénové des brigades de gendarmerie répond aux préoccupations des membres de la Haute assemblée qui sont sur le terrain et appellent de leurs voeux la fertilisation de l'enracinement de la Gendarmerie. En effet, sans contact, il ne saurait y avoir de démocratie possible.
Questions diverses - Missions de la commission
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mes chers collègues, en « questions diverses », je voulais vous soumettre le résultat des deux réunions qu'a tenues notre Bureau pour fixer le programme de travail de la commission en 2017.
Nous poursuivrons les réunions avec les commissions homologues d'Allemagne et de Grande-Bretagne, sur la défense, mais aussi, nos « dialogues stratégiques de haut niveau » entamés avec la Fédération de Russie et l'Iran : des déplacements à Moscou et Téhéran sont prévus, pour faire vivre nos précédents rapports.
Nous irons comme chaque année à l'ONU (et le cas échéant à Washington) à l'automne, pour un point de situation global sur les crises internationales.
La commission est engagée dans le « Groupe de suivi sur le Brexit et la refondation de l'Union européenne », qui rendra son rapport en février, après s'être rendu à Strasbourg, Berlin, Bruxelles et Londres.
Une étude sur nos « forces de souveraineté » nous permettra de mettre en lumière la maigreur des moyens alignés outre-mer, sans rapport avec les enjeux géostratégiques à nos frontières maritimes ; la commission pourrait se rendre soit Guyane ou aux Antilles, soit à la Réunion.
Enfin, le Bureau a souhaité que la commission travaille plus spécialement sur la défense en 2017, afin de livrer, en juin, des « lignes directrices » de la commission pour la préparation de la prochaine loi de programmation militaire. Je souhaite vraiment que nous continuions dans le climat de responsabilité qui est la marque de fabrique de notre commission.
Plusieurs sujets sont retenus :
- « les drones », enjeu industriel européen et enjeu opérationnel (un déplacement en Israël pourrait être utile) ;
- « la modernisation de la dissuasion nucléaire » : avec un déplacement sans doute au Royaume-Uni, en plus des sites de la dissuasion en France ;
- « la disponibilité des hélicoptères », rapport que nous déciderons ou non de mener en fonction des résultats d'un prochain comité exécutif du ministère de la défense ;
- enfin, un rapport de synthèse, court, que je pourrais porter avec les rapporteurs « défense » de la commission, sur la trajectoire financière de la programmation et qui amènerait une vision d'ensemble.
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Loi de finances pour 2017 - Audition du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées
La commission auditionne le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2017.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Mon Général, bienvenue. C'est un plaisir de vous retrouver, à l'occasion de l'examen du projet de budget 2017 de la défense.
En commençant cette audition je veux rendre hommage à notre 18ème soldat tombé au Mali la semaine dernière et à son régiment charentais.
Nous mesurons l'engagement de nos armées à la fois sur le territoire national et en OPEX et l'effort qu'il représente.
L'actualisation de la programmation militaire en juillet 2015 a marqué un début de retournement. Les décisions du conseil de défense du 6 avril sont venues les compléter. Nous voulons travailler à la poursuite de cette dynamique.
Pour 2017, les crédits augmentent, suite à l'arrêt des déflations et à la montée de la réserve, mais avec un mix de crédits, de recettes immobilières et de ces fameux « coût des facteurs », c'est-à-dire en fait d'économies sur le cours du pétrole. Il y a des inquiétudes sur la fin de gestion puisque la DGA est en cessation de paiement anticipée par rapport à l'année dernière, avec un niveau sans précédent de crédits gelés sur le programme 146. Nous faisons à nouveau face à un risque de report de charges massif pouvant compromettre la bonne exécution de la programmation. Sans parler du financement du surcoût net de 830 millions d'euros pour les OPEX et les OPINT en 2016, en cours d'arbitrage.
Mais ce qui nous inquiète vraiment, c'est la fin de la programmation : 2018 et 2019, avec un effet cumulatif pour à la fois moderniser la dissuasion, combler les lacunes capacitaires, financer les mesures annoncées en termes d'opérations intérieures, voire, comme certains le souhaiteraient, relever les contrats opérationnels ou accélérer la livraison de certains matériels ! À cet égard, les mesures catégorielles récemment annoncées (en fin de législature), pour justes et attendues qu'elles soient, auront un impact durable .... Les besoins principalement liés à Sentinelle pour 2018 et 2019 sont évalués par le rapport officiel du gouvernement à respectivement 1 milliard et 1,2 milliard d'euros en 2018 et 2019 - non financés et non programmés à ce stade-, la discussion étant renvoyée au prochain gouvernement.... Mon Général, je vous laisse la parole.
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier très sincèrement de m'accueillir, une nouvelle fois, au sein de votre commission. C'est pour moi autant un rendez-vous majeur qu'un honneur de m'exprimer devant vous pour vous délivrer quelques messages et répondre à vos interrogations.
Permettez-moi de vous dire, pour commencer, à vous, Monsieur le Président et à votre commission en totalité, toute ma reconnaissance pour votre soutien ferme et pour la dynamique que vous avez su créer autour des questions de Défense, tout au long de ces dernières années.
Vos interventions et vos prises de position ont toujours eu un écho important et constitué des bases solides et structurantes pour la préparation de l'avenir. Merci, donc, à nouveau, pour cette relation de confiance et cette convergence qui existent entre vous, sénateurs, et nous, militaires. J'y suis très sensible, ainsi que l'ensemble de la communauté militaire.
Suite aux attentats du 13 novembre dernier, le Président de la République a décidé, sous l'impulsion de notre ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, d'adopter un certain nombre de mesures fortes. C'est à ce titre que le Conseil de Défense du 6 avril 2016, a reconnu des besoins supplémentaires. Sa concrétisation repose également sur votre vigilance et votre engagement. C'est la raison pour laquelle j'attache la plus haute importance à nos échanges.
Pour moi, chef militaire, j'attends tout simplement du PLF 2017 qu'il garantisse la cohérence entre les menaces auxquelles nous faisons face, les missions qui nous sont confiées et les moyens qui nous sont octroyés. J'aborderai cette question en articulant mon propos en trois parties :
- le contexte sécuritaire, en intégrant un horizon stratégique qui dépasse la seule annuité budgétaire ;
- le PLF 2017, le coeur de notre sujet, aujourd'hui, en insistant sur ses caractéristiques essentielles ;
- mes points de vigilance. En toute transparence et vérité, comme d'habitude.
Pour commencer, donc : le contexte sécuritaire.
La dynamique stratégique mondiale est de plus en plus agressive et l'idée d'insularité stratégique de la France s'efface à mesure que la guerre se rapproche des portes de l'Europe.
Notre continent, et singulièrement notre pays, doivent faire face, désormais, à l'affirmation, de plus en plus évidente, non pas d'une mais de deux menaces qui sont distinctes, mais certainement pas disjointes :
- d'une part, le terrorisme islamiste radical : une idéologie qui envisage la violence barbare comme une fin. Au service de cet objectif, les terroristes islamistes mettent en oeuvre une stratégie totale qui leur permet de porter la guerre dans tous les champs : matériels et immatériels, religieux, politiques, sociétaux, culturels, économiques et, bien sûr, militaires ;
- à côté de cette réalité du terrorisme, il nous faut garder à l'esprit que subsiste, d'autre part, la menace qui résulte du retour des Etats-puissances. Aux portes de l'Europe, en Asie, au Proche et Moyen Orient, de plus en plus d'Etats mettent en oeuvre des stratégies qui reposent sur le rapport de force et le fait accompli ; beaucoup réarment. La liberté de circulation et la liberté d'action, dans le respect du droit international, que nous tenions pour acquises, sont remises en cause par le phénomène du déni d'accès. Il y a là un risque majeur de déstabilisation qu'on aurait tort d'ignorer ou, tout simplement, de sous-estimer.
Au global, les rapports de puissance qui existent entre nous et nos adversaires potentiels - je parle ici autant de l'ennemi terroriste que des Etats-puissances - sont profondément modifiés. Ils ont déjà conduit à un engagement accru de nos armées.
Cet engagement vise à préserver nos intérêts. Au quotidien et dans la plus grande discrétion, il passe, vous le savez, par les postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime mais aussi, bien sûr, par la dissuasion nucléaire.
L'engagement de nos armées passe ensuite, et bien évidemment, par nos opérations extérieures, dont je tiens à vous faire un très rapide tour d'horizon.
Au Sahel, je crois que nous pouvons être fiers du rôle que la France a tenu depuis l'opération Serval pour contrer l'installation et le développement d'un sanctuaire djihadiste. La semaine dernière a été dure avec trois attaques contre nos forces, un sous-officier tué et cinq soldats blessés. Je tiens à leur rendre hommage avec mon coeur et mes tripes de CEMA.
La force Barkhane poursuit résolument son action contre les terroristes, tout en s'appuyant, jour après jour, sur son partenariat avec les forces du G5 Sahel qui montent en puissance.
Cette approche transrégionale et transfrontalière de la lutte antiterroriste, telle que nous l'avons conduite en BSS a, désormais, valeur d'exemple. Le 17 octobre dernier, à Washington, les chefs d'état-major du G5 ont d'ailleurs été invités à témoigner des résultats obtenus dans la lutte contre les organisations terroristes grâce à ce type d'approche. Il y avait, dans la salle, 43 pays représentant les cinq continents et incarnés par leurs chefs d'état-major respectifs. J'y étais et ce fût un honneur et un bonheur d'entendre mes amis africains parler de notre partenariat élargi.
Nous savons, cependant, que les succès militaires enregistrés dans le cadre de cette stratégie n'auront d'effets durables que s'il existe une volonté politique forte de les exploiter. C'était le thème de notre dernière université d'été de la défense ; je n'insiste pas.
Sur la Libye, quelques mots, là encore. La situation y reste très préoccupante. Les difficultés des deux parties à s'entendre enferment le pays dans une impasse, alors que le combat contre notre ennemi commun, Daesh, qui compte une force résiduelle estimée à 700 djihadistes, est loin d'être terminé.
Après le Sahel et la Libye, le Levant. Là encore, le combat contre Daesh continue. Le groupe aéronaval y contribue de manière déterminante, depuis quelques semaines, en complément du remarquable travail réalisé par l'armée de l'air, depuis plus de deux ans maintenant. Nos avions sont fortement sollicités, par la coalition, pour l'opération de reconquête de Mossoul comme en atteste notre consommation de munitions qui a été multipliée par trois depuis la mi-octobre. Au sol, un groupement tactique d'artillerie complète notre dispositif d'appui par le feu, aux forces irakiennes. Cet appui direct vient s'ajouter au soutien en termes de formation qui dure depuis deux ans.
Reste que la multiplicité des acteurs et la diversité de leurs agendas fait peser des risques d'escalades entre les différents acteurs. Il restera sur ce plan à analyser en profondeur les conséquences des résultats des élections américaines dans les semaines qui viennent. En outre, la question de l'après-Daesh demeure entière. Là encore « gagner la guerre ne suffira pas à gagner la paix ».
Je terminerai ce tour d'horizon par notre engagement terrestre sur le territoire national. La menace terroriste est réelle. Face à elle, notre réponse ne cesse de s'adapter. Durant ces trois derniers mois, en étroite coordination avec le Ministère de l'Intérieur, nous avons fait trois progrès essentiels pour l'opération Sentinelle, dont nous n'avons peut-être pas assez parlé :
- nous sommes redescendus à 7 000 hommes, tout en conservant une réserve stratégique de 3 000 ;
- nous avons rééquilibré notre dispositif à 50-50 entre Paris et la province ;
- et surtout, nous avons abandonné la posture statique, héritée de Vigipirate. Désormais, la quasi-totalité de nos forces patrouille en dynamique, ce qui rend les missions beaucoup plus valorisantes et efficaces, et nos soldats moins vulnérables.
Notre objectif est bien de garantir une utilisation optimisée de nos moyens et de nos savoir-faire ; en d'autres termes : mettre nos spécificités au service de la protection de nos concitoyens sur le territoire national, dans une logique de complémentarité avec les forces de sécurité intérieures.
Au terme de ce tour d'horizon de nos opérations, j'observe que, partout, la guerre s'étend au-delà des limites qui lui servaient de cadre. Les équilibres sont durablement bousculés et appellent un engagement accru de nos armées. 30 000 soldats sont aujourd'hui en posture opérationnelle. C'est beaucoup dans la durée.
Je vois deux conséquences immédiates à cette tendance lourde :
- d'une part, il nous faut travailler au renforcement de la coopération entre les pays européens, en s'appuyant en particulier sur le pilier franco-allemand, mais aussi, simultanément, sur les accords de Lancaster House. Dans cet esprit, nous avons initié, avec mes homologues anglais et allemands, un cycle de rencontres à trois. Nous n'avons d'autre choix que de poursuivre dans cette voie suivant une approche raisonnable et pragmatique.
- d'autre part, nous devons, tout à la fois, nous assurer que nos armées disposent bien des ressources dont elles ont besoin pour assurer leurs missions actuelles, mais également dans la durée, car nos engagements risquent d'être longs. Ils nécessiteront un effort de guerre.
Cela m'amène à ma deuxième partie consacrée à ce qu'autorise le PLF 2017.
Le PLF 2017 accorde aux armées, directions et services les moyens strictement nécessaires à l'exécution de leurs missions actuelles ; en stabilisant les ressources à 1,77% du PIB, il préserve la cohérence de notre modèle d'armée qui a prouvé toute sa pertinence et qui repose, je le rappelle, sur l'équilibre subtil entre les cinq fonctions stratégiques : dissuasion, protection, intervention, connaissance-anticipation et prévention.
En termes de ressources, le PLF 2017 est conforme à la LPM actualisée et permet de financer les besoins reconnus en Conseil de Défense, avec un budget de 32,68 milliard d'€, soit 600 millions d'€ supplémentaires par rapport à la LFI 2016.
Il consacre les trois priorités suivantes :
- 1ère priorité : les effectifs. Le conseil de défense a acté la sauvegarde de 10 000 postes sur la période 2017-2019, qui s'ajoutent aux moindres déflations de 18 500 postes décidées précédemment. Pour le PLF 2017, cela se traduit par la création nette de 400 postes en 2017, alors que 2 600 postes devaient être supprimés.
- 2e priorité : la consolidation au profit du capacitaire avec 17,3 milliards d'euros, en augmentation de 1,8% par rapport à 2016, avec un effort marqué sur l'infrastructure, en raison de l'arrêt des déflations, ainsi que sur les munitions et les équipements individuels.
- 3e priorité : le renforcement de la fonction « connaissance et anticipation » avec un effort en hausse de 20 millions d'euros, soit +8% par rapport à 2016.
Ces points méritaient d'être soulignés. Ils attestent de la prise en compte des besoins immédiats liés à l'engagement accru de nos armées.
Néanmoins, l'annuité 2017 reste soumise à plusieurs risques et je me dois de vous en faire part en toute vérité :
- d'abord, la consommation de 250 millions d'euros de ressources issues de cessions, dont 200 millions d'euros de cessions immobilières, soit 100 millions d'euros supplémentaires, alors que nous connaissons le caractère éminemment aléatoire de ce type de ressources ;
- ensuite, les 205 millions d'euros de gains liés au coût des facteurs identifiés comme source de financement d'une partie des décisions prises en Conseil de défense ; il faudra être vigilant en gestion sur ce point ;
- puis, troisième risque, les surcoûts liés à la Garde nationale. Pour 2017, ce sont de l'ordre de 45 millions d'euros qu'il faudra ajouter en LFR ;
- enfin, le financement des mesures catégorielles qui pourraient être décidées dans le cadre du CSFM du 16 novembre prochain.
A ces risques qui pèsent sur l'annuité 2017, il me faut ajouter deux points d'attention majeurs : d'une part, le financement des besoins reconnus par le conseil de défense du 6 avril dernier, au-delà de l'annuité 2017 et, d'autre part, la fin de gestion 2016, point particulièrement d'actualité aujourd'hui.
- 1er point, donc, les besoins reconnus en conseil de défense.
Je viens d'évoquer devant vous la fragilité de la couverture des 775 millions d'euros de besoins reconnus à financer dès 2017. Mais au-delà de l'annuité 2017, la couverture des besoins pour 2018 et 2019 - qui se montent respectivement à 1 milliard d'euros et 1,2 milliard d'euros - est renvoyée aux négociations budgétaires des deux prochaines années. Il convient donc de sécuriser la ressource avec un éclairage pluriannuel pour ne pas « tuer dans l'oeuf » l'effort de remontée en puissance à venir. En conséquence, je considère que le rapport d'information sur la programmation militaire pour les années 2017 - 2019 constitue le socle de référence pour les besoins reconnus en conseil de défense et non encore honorés.
- 2e point, après le conseil de défense, la fin de gestion 2016.
C'est elle qui conditionne la sincérité du PLF 2017. Si la fin de gestion n'est pas en cohérence avec la loi de finance initiale, l'ensemble de l'édifice « PLF 2017 », dont j'ai souligné les fragilités intrinsèques, s'effondrera.
Les crédits de la mission Défense doivent impérativement être au rendez-vous en fin de gestion 2016, selon le volume prévu, soit 33,5 milliards d'euros, conformément à la LFI de 32,1 milliards d'euros auxquels il faut ajouter 590 millions d'euros de reports de crédits de 2015 et 830 millions d'euros de surcoûts liés à l'engagement massif des forces armées en opérations, ainsi que l'a rappelé le Ministre de la Défense lors de son intervention à l'Assemblée nationale, le 2 novembre dernier.
J'ajoute, qu'en raison de la fragilité de l'équilibre trouvé en 2016, la Défense doit être exonérée de la cotisation interministérielle au titre de la Loi de finance rectificative de fin d'année. Toute autre option reviendrait à mettre en cause la sincérité du PLF 2017, alors même que nous sommes fortement engagés dans des opérations très lourdes.
Ainsi, comme vous le voyez, le costume reste taillé au plus juste, au moment même où le contexte sécuritaire est profondément bouleversé et alors que les principales ruptures capacitaires acceptées lors de la construction de cette LPM sont devant nous.
Cela me conduit naturellement à ma dernière partie, relative à mes points de vigilance.
Dans l'immédiat, j'ai trois préoccupations principales : le moral de nos armées, la transformation de notre modèle de ressources humaines et la protection de notre personnel et de nos installations militaires. Au-delà, nous sommes face à un impératif : ce que j'appelle l'effort de guerre.
- 1er point de vigilance : le moral.
Je l'évoque à chacune de mes auditions, car il constitue une part déterminante de la capacité opérationnelle des armées.
Comment va le moral de nos armées ? Il est aujourd'hui contrasté : porté par les opérations, il est néanmoins fragilisé par des motifs d'insatisfaction liés à la conciliation vie professionnelle - vie privée, mais aussi parfois aux conditions de travail.
Dans ce contexte, je constate que les hommes et les femmes qui servent dans nos rangs, avec un sens aigu du service, attendent de justes compensations des efforts consentis.
Nous avons, donc, un devoir de vigilance absolue sur ce sujet. Le manque de moyens au quotidien, les difficultés de la famille à gérer l'absence accrue et les difficultés du conjoint à accéder à l'emploi contribuent, directement, à la fragilisation du moral.
Sur cette base, des mesures ont bien été prises. Ainsi, en 2017, 207 millions d'euros de dépenses catégorielles nouvelles, par rapport à 2016, ont été intégrées en programmation, dans deux directions :
- 1ère direction : la compensation de la « suractivité » : avec la création de l'indemnité d'absence cumulée à partir de 150 jours et l'élargissement de l'assiette de l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle (AOPER), dont le montant a, en outre, été doublé, cet été, en passant de 5 euros à 10 euros par jour.
- 2e direction : l'équité interministérielle : avec la transposition du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations, pour le personnel militaire et le personnel civil.
Mais certaines mesures, dites d'équité, très attendues restent incertaines, comme la transposition du protocole adopté pour la gendarmerie, avec, en particulier, la monétisation de cinq jours supplémentaires d'ITAOPC (85 euros par jour). Le CSFM du 25 novembre constituera, sur ce plan, un rendez-vous majeur à ne pas manquer. Il y a là un enjeu, tout à la fois, humain et opérationnel.
- 2e point de vigilance : la réussite de la transformation de notre modèle RH.
A chacune de mes fréquentes rencontres avec la jeunesse qui est dans nos rangs - y compris quand c'est depuis quelques jours à peine - je constate combien elle est enthousiaste et combien son potentiel est prometteur. Je crois fermement en ses qualités. J'apprécie son état d'esprit. Nous avons une responsabilité vis à vis d'elle : celle de la former et de la faire grandir avec sérieux et professionnalisme ; car, elle est notre plus grande force.
A cet effet, avec les chefs d'état-major d'armée, nous voulons un modèle plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus souple, plus attractif. Nous voulons rétablir la cohérence entre le grade, les responsabilités et la rémunération. Nous voulons mettre davantage de transparence dans la gestion et multiplier les passerelles entre l'institution militaire et le monde civil. Je vous en ai déjà parlé plusieurs fois.
Ce modèle RH intègre, également, un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-nation et précieux renfort pour les armées.
L'objectif est d'atteindre une capacité de déploiement sur le territoire national de 1 500 réservistes par jour avant la fin de l'année 2018. Aux réservistes, il convient d'apporter une réponse en termes de lisibilité de carrière et de perspective d'évolution.
De ce point de vue, la création de la Garde nationale représente une réelle opportunité en termes d'attractivité et de parcours de carrière pour nos « militaires à temps partiels ». C'est une avancée que nous attendions depuis longtemps. Je suis prêt à répondre à vos questions sur ce point, si vous le souhaitez.
- 3e point de vigilance : la protection de notre personnel et de nos installations militaires.
La menace terroriste qui pèse sur notre pays vise aussi les militaires pour ce qu'ils représentent. Nous devons prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos installations, de nos personnels et de leurs familles. Il s'agit de se protéger sans se retrancher.
Le personnel affecté sur chaque emprise doit rester le premier acteur d'une défense collective, cohérente et coordonnée.
Un effort doit également être produit en termes de durcissement des infrastructures. Ce sera le cas en 2017 et 2018 grâce à la priorité, actée en programmation. Il faudra poursuivre les opérations engagées au-delà de 2018. Cela passera nécessairement par des dépenses d'infrastructures et de personnel militaire supplémentaires.
Au-delà de ces trois points de vigilance, j'identifie un impératif : l'effort de guerre.
Autrement dit, le prix de la paix. La nécessité de mettre la Nation tout entière en « ordre de bataille », fait désormais consensus.
L'actualisation de la loi de programmation militaire 2014-2019 a marqué une première étape en mettant un terme inédit à la tendance baissière des trente-cinq dernières années. Désormais, cet effort doit se traduire par une hausse progressive du budget de la défense pour rejoindre la cible de 2% du PIB, pensions comprises, durant le prochain quinquennat, si possible dès 2020 (soit à cette échéance, 41 milliards d'euros constants 2017, auxquels il faudra ajouter les pensions).
Cet effort, qui correspond, d'ailleurs, à un engagement international de la France et de ses partenaires de l'OTAN, a le mérite de la clarté. Il doit compenser l'usure accélérée du modèle.
Mon constat est que, dorénavant, cet effort ne pourra être ni allégé, ni reporté, en dépit de la complexité de l'équation budgétaire étatique, en particulier dès 2018. Il vise l'atteinte de trois objectifs qui tous concourent à la robustesse et à l'efficacité de nos armées :
- 1er objectif : « boucher les trous », c'est-à-dire récupérer des capacités auxquelles nous avions choisi de renoncer temporairement, pour des raisons budgétaires, à un moment où le contexte sécuritaire l'autorisait. La liste des capacités concernées est claire. Je vous l'épargne mais nous pourrons y revenir lors des questions.
- 2e objectif : aligner les contrats opérationnels simplement sur la réalité des moyens que nous engageons aujourd'hui. Ces contrats, détaillés dans le Livre blanc, sont désormais en-deçà de l'engagement réel et actuel de nos forces. Cette situation de distorsion, commune à nos trois armées, n'est pas tenable.
- 3e objectif : assurer l'indispensable crédibilité de la dissuasion nucléaire par le renouvellement successif de ses deux composantes, océanique puis aérienne. Pour être soutenable, l'effort doit être lissé sur les quinze prochaines années ; il en va de la cohérence de notre défense au moment du retour des Etats-puissances. Différer cette décision acterait, en réalité, un renoncement coupable.
Je considère, qu'en maintenant l'effort de défense à 1,77% du PIB, le PLF 2017 permet d'éviter le décrochage de nos moyens par rapport à la menace et à nos missions. Ce faisant, il constitue une base crédible pour amorcer la remontée en puissance et l'accroissement de l'effort de défense qu'avec les trois chefs d'état-major d'armées nous appelons de nos voeux, dès 2018. Autrement, ce serait un autre modèle pour d'autres ambitions, à revoir à la baisse bien sûr.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour conclure, vous le voyez, nous sommes entrés dans des temps difficiles et incertains.
Les perspectives sécuritaires sont dégradées. Les guerres actuelles dureront. Les foyers de crises se multiplient aux portes de l'Europe. Les Etats-puissances développent des stratégies de plus en plus offensives et le terrorisme djihadiste frappe jusque sur notre sol.
Désormais, il n'est plus possible de « tenir la guerre à distance » ni de la « cantonner dans un cadre strict ».
Il faut, plus que jamais, conserver la garde haute !
C'est, d'ailleurs, ce que pressentent nos concitoyens. C'est ce à quoi travaillent quotidiennement nos soldats.
Je crois que nous pouvons être légitimement fiers de ce que réalisent - et de ce que sont - nos armées, directions et services.
Fiers, d'une part, parce que nos armées ont su s'adapter, en temps réel, au durcissement de la donne sécuritaire. Les opérations que nous menons - interarmées, interalliées - attestent de la maturité de nos forces.
Fiers, d'autre part, des hommes et des femmes qui ne comptent pas leurs efforts et qui sont d'ailleurs un signe d'espérance pour notre jeunesse.
Je vous remercie encore du soutien sans faille dont votre commission a gratifié les armées, pendant toutes ces dernières années, pour leur donner les moyens d'agir. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel et ma totale loyauté. Je nous sais tous ici habités d'une seule ambition : le succès des armes de la France au service d'une paix d'avance !
Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos questions.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci beaucoup, Monsieur le Chef d'état-major. Engagement, pugnacité, loyauté : vous incarnez bien votre message. Il est ferme et clair sur les enjeux des prochaines années.
La parole est à mes collègues, pour les questions.
M. Jacques Gautier. - Mon Général, merci pour votre exposé complet, lucide, volontariste et sans concession, à votre image. Je serai moi aussi sans concession.
Le point d'entrée du budget 2017 de la défense dépendra, comme vous l'avez indiqué, de la fin de la gestion du budget 2016. Il est donc nécessaire de sécuriser celle-ci. À cet égard, les actuels gels de crédits, les réserves de précaution, encore non levées, et les surcoûts d'OPEX d'ores et déjà enregistrés, sont autant d'éléments d'inquiétude.
Je ne tiens pas à évoquer ici les nombreux sujets liés au programme d'équipement des forces que nous avons régulièrement l'occasion d'aborder avec vous. Je rappellerai simplement notre vigilance en ce qui concerne la nécessaire amélioration du maintien en condition opérationnelle de la flotte d'hélicoptères - des appareils de haute technologie, fort onéreux, mais trop peu disponibles ! Le chantier en ce domaine a été lancé : où en est-on ?
Par ailleurs, en appui aux propos tenus devant notre commission, le mois dernier, par le Général Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre, nous recommandons d'anticiper autant que possible les commandes et livraisons du programme Scorpion. Préférons la livraison accélérée de VBMR Griffon, équipements modernes, au prolongement coûteux de nos vieux VAB !
Une question relative aux effectifs. Alors que les médias se sont fait l'écho d'un renouveau de la volonté d'engagement des Français, en particulier les jeunes, auprès de leurs armées, à la suite des attentats que nous avons connus en novembre 2015 et juillet dernier, on a constaté cette année une sous-réalisation du plan de recrutement militaire, notamment celui de l'armée de terre, aux niveaux des soldats du rang et des sous-officiers. Cette situation suscite-t-elle votre inquiétude pour l'avenir ?
Dernière question : quelle réaction appelle, de votre part, la perspective de mettre en oeuvre les règles de la directive européenne sur le temps de travail, qui ne paraissent guère adaptées au fonctionnement militaire ?
M. Daniel Reiner. - Merci, Mon Général, pour ce discours de vérité, fidèle à vous-même et que nous aimons entendre. Il reflète bien l'effort que toute la communauté de défense porte depuis plusieurs années.
Le projet de budget de la défense pour 2017 est le dernier sur lequel j'aurai à m'exprimer en tant que sénateur. Ce projet décline pour l'année prochaine la loi de programmation militaire qui, elle-même, a procédé du Livre blanc à l'élaboration duquel Jacques Gautier et moi-même avons participé.
Alors que les LPM précédentes ont toutes dérivé, quant aux calendriers ou aux coûts, la LPM de 2013, actualisée, s'avère, de notre point de vue, respectée au mieux. Le Parlement, le Sénat en particulier, a pris toute sa part dans ce résultat : chaque fin d'année, nous avons plaidé pour le déblocage des crédits, le rétablissement des ressources nécessaires aux OPEX... Nous avons eu gain de cause. On ne comprendrait pas qu'il en aille différemment cette année : non seulement le budget pour l'année prochaine s'en trouverait entravé par avance, mais tout ce qui a été fait depuis 2013 perdrait sa cohérence.
On sait la difficulté d'un exercice de Livre blanc sur la défense et de programmation militaire. J'ai le sentiment que cet exercice a été bien mené ; j'aimerais savoir si vous partagez ce sentiment. Au-delà de la trajectoire décrite pour la période 2014-2019, un modèle d'armée a été défini à l'horizon 2025. Ce modèle est-il toujours pertinent ? Répond-il encore aux circonstances et aux menaces ? Des actualisations de la programmation militaire en cours ont été effectuées, de nouvelles pourraient l'être dès l'année prochaine ; des révisions fortes sont-elles à préparer en vue de l'échéance de 2019 ?
Plusieurs points paraissent essentiels.
Concernant tout d'abord l'entretien programmé du matériel, si des efforts financiers ont été fournis, ils ne permettent pas de répondre à l'enjeu. Certains matériels - je pense notamment aux hélicoptères de l'armée de terre - sont en effet beaucoup trop peu disponibles au regard de leur coût d'acquisition, ce qui n'est pas acceptable.
L'opinion publique a conscience, dans le contexte sécuritaire actuel, de la nécessité de renforcer l'effort de défense et les moyens mis à la disposition de nos armées. Les choix qui seront faits concernant les équipements n'en seront pas moins déterminants. Pensez-vous revoir certains calendriers de livraison ? Ne faudrait-il pas notamment accélérer la livraison des équipements directement destinés à la lutte contre le terrorisme plutôt que donner la priorité à la rénovation de la dissuasion ? Il s'agit de placer le curseur au bon endroit, en se fondant d'abord sur les besoins de nos armées.
Enfin, concernant le financement des OPEX, il faut en finir avec cette hypocrisie consistant à inscrire une enveloppe limitée dans le budget de la défense pour aller ensuite puiser dans le budget général alors que le surcoût est en réalité largement prévisible.
M. Gilbert Roger. - Je souhaiterais vous poser deux questions. La mise en oeuvre de l'opération Sentinelle a déjà fait l'objet d'adaptations. Pourrait-elle encore être améliorée ? Je suis persuadé que le déploiement de nos armées sur le territoire national a vocation à durer mais que ses modalités devront évoluer. Par ailleurs, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à instaurer une exonération fiscale sur les primes perçues par les militaires dans le cadre de Sentinelle. Cette mesure laisse de côté les militaires chargés d'autres missions de protection du territoire national telles que Cuirasse. Qu'en pensez-vous ? Je suis prêt à travailler à une rédaction permettant une application plus large de cette mesure.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. - Mon Général, vous avez déjà évoqué devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale la question du maintien en condition opérationnelle des équipements aéronautiques. Si j'ai bien compris, en étant pleinement conscient du problème, vous estimez que son règlement prend du temps et que les bonnes décisions ont déjà été prises. Nous avons entendu en audition le chef d'état-major de l'armée de terre et le chef d'état-major de l'armée de l'air qui nous ont tous deux fait part de leur souci de faire face au poids que représentera, en 2017, le soutien à l'exportation. Il semble que le risque majeur pour l'année à venir porte sur la capacité de la maintenance étatique et industrielle à générer le potentiel supplémentaire nécessaire tout en assurant les actions au profit du soutien à l'export. Faut-il en conséquence s'interroger sur la capacité à remplir à la fois le contrat opérationnel et à assurer les missions de soutien à l'exportation ? Ne serait-il pas souhaitable que cet engagement de l'armée aux côtés des industriels, que l'on appelle le SOUTEX, trouve une sorte de retour dans l'amélioration des conditions de l'entretien programmé du matériel ? Comment avancer sur ce sujet ? Pensez-vous qu'il faille modifier le décret du 21 octobre 1983 fixant les conditions de remboursement de certaines dépenses supportées par les armées dans le cadre du SOUTEX afin de prendre en compte l'augmentation des exportations d'armement et les besoins des armées ?
Si vous me le permettez, je souhaiterais sortir un instant du cadre budgétaire pour évoquer l'élection du nouveau président des États-Unis. Pourrait-elle pousser les Européens à avoir une réflexion sur l'évolution nécessaire de la défense européenne ? Je ne sais pas, Monsieur le Président, si vous jugerez opportun d'élargir le débat hors du cadre budgétaire.
Mme Michelle Demessine, rapporteur. - Général, vous nous avez indiqué que l'ajustement à la hausse pour 2017 de la trajectoire financière de la loi de programmation militaire devait être couvert, en dehors de l'abondement spécifique des ressources budgétaires, par le redéploiement de ressources internes issues des gains sur le coût des facteurs. Pouvez-vous nous préciser, si elle a été évaluée, l'économie que représenterait, notamment dans le parc des équipements terrestres, mais pas seulement, la substitution de matériel neuf à l'entretien programmé et au maintien en condition opérationnelle de véhicules de plus de 50 ans, d'hélicoptères de plus de 30 ans, etc ? Il me semble qu'il y a là des gisements de gains sur le coût des facteurs... Il me paraît urgent qu'une réflexion sur ce modèle économique soit menée en raison de l'ampleur de son incidence financière, mais aussi de son impact sur le moral des troupes dont vous nous rappeliez tout à l'heure qu'il est l'une de vos priorités. Comment avancer sur ce sujet ? L'armée a-t-elle les moyens d'évaluer elle-même le moment auquel il est plus avantageux de procéder à l'achat d'un équipement neuf plutôt que de dépenser des crédits d'entretien programmé du matériel ?
M. Jacques Legendre. - Mon Général, dans l'exposé que vous avez fait tout à l'heure des différentes situations sur les théâtres extérieurs, vous n'avez pas évoqué la fin de la mission Sangaris. Sommes-nous véritablement assurés de ne pas avoir à réintervenir en Centrafrique alors que des bandes armées et actives sont encore à l'oeuvre et que les forces déployées par les Nations unies ne semblent pas d'une combativité exemplaire et ne bénéficient pas d'un mandat robuste ? Ne serons-nous pas contraints, dans ce contexte, à intervenir de nouveau, avec les conséquences financières qui en découlent ?
M. Alain Gournac. - Mon Général, je voulais m'associer à l'hommage rendu au militaire français mort récemment au Mali. Je voudrais féliciter nos armées de la présentation qu'elles ont donnée à voir lors du salon Eurosatory. Nous y avons appris qu'un hélicoptère sur deux ne fonctionnait pas à ce jour. Comment une armée comme la nôtre, la question a été posée par Daniel Reiner, peut-elle continuer à supporter cela ? J'aimerais également savoir s'il est utile de dépenser autant pour rétrofiter des matériels anciens. Je me demande s'il ne serait pas plus intéressant d'acheter de nouveaux équipements, et je ne parle pas seulement des équipements de l'armée de terre auxquels mon collègue Jacques Gautier a fait référence.
Par ailleurs, si l'évolution en Syrie et en Irak donne de l'espoir, je reste très inquiet de la situation que connaît la Libye, qui est particulièrement explosive. Quelles sont vos préconisations en la matière ?
Mme Nathalie Goulet. - L'appréciation que la population porte sur l'armée a changé. Il y a une dizaine d'années, lorsque l'on parlait des budgets militaires, on constatait que les gens ne s'y intéressaient pas du tout. Lorsque l'on indiquait que le budget militaire était une variable d'ajustement, cela ne suscitait pas d'opposition. La situation internationale et la sécurité générale ont changé la donne. En revanche, ce qui n'a pas changé, c'est la fidélité de cette commission à ce budget.
J'ai une question à vous poser sur les OPEX. On a évoqué à plusieurs reprises l'idée de contributions étrangères, dans la mesure où nos forces contribuent à une sécurité collective. Dans les discussions que vous pouvez avoir avec vos homologues étrangers, est-ce que cette idée de contributions des autres forces, notamment européennes, à notre effort, émerge ?
Mme Éliane Giraud. - J'ai rencontré les soldats en mission Sentinelle à Grenoble et je tiens à vous dire mon admiration pour le travail effectué par l'armée dans un délai si court. Les forces sont organisées, ont une philosophie très respectueuse des missions de chacun et ont parfaitement conscience des enjeux, mais aussi des spécificités et de la complexité de leur mission.
J'ai demandé au préfet de l'Isère de faire un état des lieux de la situation sécuritaire avec l'ensemble des parlementaires. Nous pouvons nous réjouir que les différentes forces de sécurité, qu'elles soient militaires ou civiles, s'épaulent et se coordonnent.
Nous avons raison d'être positifs concernant la défense de ce budget militaire. Je me réjouis également des bons rapports qu'ont développés les militaires avec les habitants et les associations, qui soutiennent leur armée. Merci, Général, pour le travail effectué, et merci à l'ensemble de nos forces sur place qui agissent dans un contexte difficile et se sont adaptées en si peu de temps.
Mme Leila Aïchi. - Quels sont les changements qu'un éventuel désengagement des États-Unis pourrait provoquer au niveau international ? Quelles pourraient en être les conséquences sur notre modèle d'armée ?
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous ressentons tous aujourd'hui le soutien de l'opinion publique à l'armée. Mais ce soutien est fragile et nous devons rester extrêmement vigilants.
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - S'agissant de la fin de gestion 2016, la copie est claire : 32,1 milliards d'euros en LFI, 590 millions d'euros de reports de crédits de l'année 2015 et 830 millions d'euros de surcoût OPEX, ce qui doit donc faire, au total, 33,5 milliards d'euros.
A défaut, cela constituerait une entorse à la LPM et aux décisions prises par le Président de la République. Cette entorse se traduirait par une augmentation des reports de charges et par un report des commandes de matériel, ce qui n'est pas envisageable dans le contexte actuel de tensions capacitaires.
Concernant le MCO aéronautique et la disponibilité des hélicoptères, c'est ma principale préoccupation pour les opérations. Nous souffrons plus globalement, dans la troisième dimension, d'une insuffisance de drones et de capacités ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) ainsi que d'une insuffisance de flotte de transport.
Concernant les hélicoptères, la réponse recouvre deux catégories de mesures. D'une part, d'un point de vue quantitatif, il faut adapter à la marge notre modèle 2025 issu du Livre blanc et de la LPM et qui reste, globalement bon. Nous avons besoin de davantage d'hélicoptères d'observation, de transport et d'attaque. L'atteinte des 2 % du PIB doit nous permettre d'acquérir ces hélicoptères supplémentaires. Ils sont absolument nécessaires pour mener les opérations. 2 % du PIB, cela signifie 0,23 point de PIB supplémentaire. En 2020, cela représenterait 8 milliards d'euros de plus que la ressource allouée par le PLF 2017. La pente sera raide en 2018, avec 2 à 3 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2017.
D'autre part, il faut améliorer le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères. Pour cela nous travaillons avec la direction générale de l'armement et l'industriel, à un plan d'actions d'urgence qui comprend différents domaines, car plusieurs causes sont à l'origine de l'indisponibilité d'une partie du parc. La résolution de l'ensemble des problèmes prendra du temps. Il y a toujours des délais, entre le moment de la décision et ses effets. Depuis deux ans, nous avons amélioré la disponibilité des hélicoptères en opération, c'était ma priorité. Nous sommes dans la bonne direction car nous avons identifié les marges d'amélioration. Souvenons-nous qu'il y a quelques années, nous étions confrontés à des problèmes de disponibilité des « Rafale ». Aujourd'hui, nous avons amélioré la disponibilité des Rafale de 10 %, ce qui est considérable.
S'agissant des effectifs, nous sommes en phase avec nos prévisions de recrutement. Je n'ai pas d'inquiétude. C'est un gros effort en volume pour l'armée de terre avec la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre de 11 000 hommes en 2 ans. Elle a recruté 15 000 militaires en 2015, sans diminuer la qualité du recrutement. Je suis impressionné par les jeunes que nous recrutons. Ils ne viennent pas seulement pour trouver un métier, mais ils s'engagent de plus en plus parce qu'ils recherchent, au sein des armées, des valeurs, une utilité, du respect, de l'égalité avec l'uniforme et une grande cause à défendre : la France. Leur motivation est extraordinaire. Cela met en évidence, depuis quelques années, une évolution très sensible des mentalités de notre jeunesse. Cela explique aussi les améliorations que vous constatez sur le terrain dans la relation Armée-Nation. Nous recrutons des jeunes qui, parfois, sont déstructurés, au bord de la désespérance, et, en quelques mois ou années, peuvent devenir des héros. Nous avons recruté 26 000 jeunes en 2016. Dans une société qui doute parfois d'elle-même, c'est un signe très encourageant d'espérance.
L'accélération du programme Scorpion est l'un des objectifs qui motive notre souhait d'un modèle d'armée à 2 % du PIB. Nous devons accélérer le remplacement de matériels très anciens, sur usés et sur utilisés, comme les VAB qui ont plus de 30 ans, les avions ravitailleurs qui ont plus de 50 ans et certains bâtiments de la marine qui ont plus de 35 ans. Pour cela nous devons avancer la mise en service d'un certain nombre de programmes, dont les BATSIMAR, les EBRC, les VBMR ou les MRTT. En outre, il est préférable de se doter de matériels modernes que de rénover à coût élevé les matériels très anciens. C'est un calcul économique autant qu'opérationnel.
Bien sûr, nous avons pris connaissance du projet de directive européenne sur le temps de travail, mais quand on mesure le degré d'engagement de nos soldats, le temps passé hors de chez eux et le besoin d'assurer la sécurité de nos concitoyens, le débat est un peu... décalé. Nous travaillons à l'élaboration d'une réponse adaptée.
Pour répondre à la question de la programmation et de sa mise en oeuvre, nous ne pouvons que nous réjouir de la conduite vertueuse du processus (Livre Blanc, LPM, actualisation de la LPM et son adaptation), mais aussi de la programmation et de l'exécution budgétaires annuelles qui se sont trouvées en phase avec la programmation. Le modèle est bon. Certes, il s'use, mais je note que c'est la première fois qu'une LPM est exécutée au-delà de la programmation initiale. Les circonstances l'exigeaient. Grâce au soutien des parlementaires et, notamment, des sénateurs, la nation a consenti à l'effort immédiat nécessaire.
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - Aucune armée européenne n'intervient plus que nous dans le monde. Nous sommes estimés à notre juste valeur par nos alliés, notamment américains. Le modèle que nous avons construit est bon. Il faut le maintenir et le moderniser. Ce modèle a été conçu pour répondre aux deux lignes de conflictualité que j'ai précédemment exposées. Il faut l'adapter aux nouveaux enjeux et procéder à quelques ajustements capacitaires.
S'agissant de la méthode, je préconise de rester dans le même processus vertueux, tout en l'accélérant par rapport à ce qui s'est fait en 2012 car nous sommes en guerre. Il faudra, avant la fin de l'année 2017, procéder, de manière cohérente, à l'adaptation du Livre Blanc, au vote de la LPM et à celui du budget 2018.
À titre personnel, je tiens à remercier M. Daniel Reiner, et le binôme qu'il a constitué avec M. Jacques Gautier, symbolique du rassemblement nécessaire pour les questions de défense.
Oui, il faudra poursuivre l'augmentation du budget de l'EPM, mais ce n'est pas un puits sans fond et je pourrais vous démontrer, flotte par flotte et matériel par matériel, l'intérêt d'un euro supplémentaire investi.
S'agissant de l'opinion publique, les armées se sentent soutenues, aujourd'hui plus que jamais. Ce soutien est total, y compris s'agissant des décisions d'ordre budgétaire. Les Français ont confiance dans leurs armées pour les protéger. Ils apprécient, par ailleurs, cette institution stable, avec des valeurs pérennes. Nous n'avons aucune difficulté à recruter des jeunes.
Sur le financement des OPEX, il faut doter le budget de la défense à hauteur des surcoûts OPEX pérennisés, plutôt que de les imputer en interministériel. Ce surcoût doit être intégré au budget de la défense, dans le cadre de l'objectif des 2 % du PIB.
J'apprécie vos propos sur l'opération Sentinelle. Oui, il faut aller plus loin. Mais nous nous réformons en permanence. Plus de mobilité, plus d'imprédictibilité sont souhaitables, car le terrorisme d'aujourd'hui n'est pas celui des années 1980. Nous le connaissons, ce terrorisme, grâce à nos opérations extérieures. Nous savons ce qu'il faut faire et ne pas faire. L'effet de surprise est un atout essentiel. Notre collaboration avec les forces de sécurité intérieure a progressé. Il faut continuer, en particulier en matière d'échange d'informations. Le contrôle des flux arrière dans les zones frontalières, la coordination avec la gendarmerie sont également des aspects essentiels. Nous avons beaucoup progressé. Il reste encore à faire, mais cette opération Sentinelle, qui relève bien sûr du choix politique, me semble efficace et utile, car le premier devoir des soldats français est de protéger la France et les Français là où ils sont.
Je soutiens évidemment l'amendement d'exonération fiscale sur les indemnités versées pour la participation à l'opération Sentinelle. L'important est ici de trouver le bon calibrage, en élargissant la mesure à tous ceux qui contribuent à la protection du territoire national, de façon équitable en interarmées.
Au sujet des résultats des élections américaines, j'en ai déjà dit un mot dans mon propos liminaire. Les militaires sont habitués au temps long et ils savent que, parfois, il faut éviter toute précipitation. Dans quelques jours, j'appellerai mon homologue américain, nous en parlerons et nous étudierons ensemble les conséquences en matière de défense et en matière militaire. Indépendamment des élections américaines, il faut faire un effort de coopération avec les pays européens, dans un équilibre subtil entre l'intergouvernemental et le communautaire, entre la défense de l'Europe et la défense européenne.
Sur le coût des facteurs, je l'ai inclus dans les facteurs de risque et cela me semble prudent. Pour 2017, on a intégré 205 millions d'euros de coût des facteurs - carburant, inflation - à partir des hypothèses économiques pour les trois années qui viennent. Ces hypothèses ont fait l'objet de deux des rapports de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA). Ces rapports précisent d'ailleurs que les charges additionnelles, hors loi de programmation militaire (LPM), sont supérieures aux économies liées à l'évolution du coût des facteurs.
Sur l'Irak, nous progressons à Mossoul conformément à la planification de la coalition. Nous sommes même en avance dans la partie centrale : l'Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS) y est entré il y a neuf jours. La coalition fait face à des adversaires résolus, préparés, et qui ont pris le temps de valoriser le terrain avec des mines, des pièges, des fossés, des snipers... Cela sera difficile, mais nous allons gagner.
Sur la Syrie, Raqqa est notre objectif stratégique. Nous avons obtenu de la coalition que les forces démocratiques syriennes se déploient plus vite que prévu : elles ont d'ailleurs commencé à intervenir pour isoler Raqqa.
Sur la Libye, nous sommes vigilants face au message d'al-Baghdadi de cette semaine qui appelle les djihadistes à ne plus rejoindre l'Irak et la Syrie, mais à aller en Libye. Schématiquement, la Libye est partagée en deux camps : le camp du Gouvernement d'entente nationale de transition (GEN) de M. Sarraj et le camp de l'Armée nationale libyenne (ANL) avec le général Haftar. Il y a néanmoins de nombreux autres camps, par exemple celui de M. Ghweil qui se revendique à la tête du Groupement de salut national (GSN). La situation est donc extrêmement complexe avec « une marqueterie » de mouvements. Il y a 170 milices à Tripoli, dont certaines possèdent des moyens de combats lourds comme des chars. Nous sommes donc très vigilants à l'égard de la situation en Libye et nous nous concertons avec nos alliés, en particulier américains et britanniques. La France soutient le gouvernement Sarraj, en privilégiant le dialogue. A ce stade, c'est un problème plus diplomatique que militaire.
Sur la contribution des pays européens pour nous aider à financer les opérations extérieures (OPEX) et la protection que nous apportons à l'Europe, j'estime avoir déjà répondu. On peut sans doute s'interroger aussi sur le dispositif de financement des OPEX en lien avec le calcul du déficit public et du plafond des 3 %, mais c'est, là encore, un sujet plus politique que militaire. Il est cependant clair que nous apportons à nos amis européens une protection que nous payons.
Je n'ai pas parlé de la mission Sangaris, parce que l'opération est terminée depuis la fin de semaine dernière. Cela ne veut pas dire que nous abandonnons la République Centrafricaine (RCA). La France y reste présente au travers de trois dispositifs : premièrement une capacité de soutien national, deuxièmement l'European Union Training Mission (EUTM), mission dont nous fournissons 60 % des effectifs ainsi que le général qui la commande - l'opération est sur les rails et nous appelons à sa poursuite après juin 2017 - et troisièmement, la présence française dans la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA), au travers de l'état-major mais aussi des capacités - nous allons projeter, en liaison avec l'ONU, nos drones tactiques SDTI (système de drone tactique intérimaire) en RCA dans les semaines qui viennent, pour qu'ils soient opérationnels début 2017. Cette opération est réussie : nous avons évité un massacre interethnique ; il y a eu des élections démocratiques ; il y a un président et l'Etat se reconstitue progressivement. Nous n'avons pas vocation à suppléer la communauté internationale qui, au travers de la MINUSCA, déploie plus de 10 000 hommes capables de prendre le relais. La situation en RCA ne sera pas stabilisée avant des années, une quinzaine d'années selon moi.
Enfin, vous m'avez interrogé sur l'équilibre entre le Soutex et le maintien en condition opérationnelle (MCO). Cette question est prise en compte dans le cadre des travaux d'optimisation du modèle d'armées. Aujourd'hui, le surcoût en effectifs et en crédits lié au Soutex n'est pas intégré à la LPM ; il s'agit d'une charge additionnelle. Je me réjouis de la réussite des entreprises françaises. Les armées sont prêtes à apporter leur soutien aux exportations. Elles le font bien et le feront d'autant mieux qu'elles auront les crédits et les effectifs pour cela. La remontée de l'effort de défense à hauteur de 2% du PIB intègrera cette dimension. Il y a une équipe France et un engagement fort du ministre. N'oublions pas que la réussite opérationnelle compte également pour beaucoup. Peut-être n'en parlons-nous pas suffisamment.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Une évolution du décret de 1983 est-elle souhaitable ?
Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - Un groupe de travail, auquel participe le ministère de la défense, a été mis en place pour en étudier les adaptations nécessaires et leurs impacts. Quoiqu'il en soit, et comme toujours, il s'agit de veiller à la juste adéquation entre les charges nouvelles et les moyens conférés aux armées. De toute évidence, les exportations apportent des ressources aux industriels. Cela devrait permettre de financer des besoins supplémentaires.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Merci mon Général et merci aux commissaires, en particulier à M. Reiner, qui achève bientôt son dernier mandat et à M. Gautier pour leur partenariat très utile, dont je souhaite qu'il continue à servir de modèle, à l'avenir, pour notre commission.
La réunion est levée à 13 heures.