- Jeudi 3 novembre 2016
- Politique commerciale - Rapport de Mme Gisèle Jourda sur la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques
- Culture - Proposition de résolution européenne et avis politique de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot sur la directive "Services de médias audiovisuels"
- Nomination de rapporteurs
Jeudi 3 novembre 2016
- Présidence de M. Jean Bizet, président -La réunion est ouverte à 8 h 30.
Politique commerciale - Rapport de Mme Gisèle Jourda sur la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques
M. Jean Bizet, président. - Nous examinons d'abord le rapport de Mme Gisèle Jourda sur la proposition de résolution européenne relative à l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européennes aux spécificités des régions ultrapériphériques (RUP). Cette proposition de résolution européenne a été élaborée dans le cadre de la Délégation à l'Outre-mer. Elle est cosignée par MM. Magras, Doligé, Gillot et Mmes Proccacia et Jourda.
Nous avons beaucoup débattu ces dernières semaines des accords commerciaux de l'Union européenne. Je me réjouis - comme, je crois, le Sénat - de l'issue trouvée pour l'accord avec le Canada, même si l'image de l'Union européenne a souffert de cette séquence. Nous devrons en tirer les conséquences et adapter nos modes de négociation.
Cette proposition de résolution nous invite à examiner de nouveau l'insuffisante prise en compte de la spécificité des RUP, qu'il s'agisse d'ouverture commerciale ou de cadre réglementaire.
En janvier nous avions déjà réagi, non sans un certain succès, face à un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Vietnam qui aurait pu avoir un effet très négatif sur la filière sucrière dans nos RUP. Nous l'avions fait sur la base d'une proposition de résolution de Michel Magras et Gisèle Jourda, à la suite de travaux de la Délégation à l'Outre-mer. Nous devons défendre avec vigilance les intérêts de nos collectivités d'Outre-mer.
Mme Gisèle Jourda. - Nos agricultures d'outre-mer sont pour ainsi dire prises en étau, entre d'un côté l'ouverture croissante des marchés européens aux productions des pays tiers, et de l'autre l'inadaptation du cadre réglementaire sanitaire et phytosanitaire aux besoins des producteurs locaux. Ce qui est en jeu, c'est la stratégie de développement vertueuse, suivie dans les départements d'outre-mer (DOM) au cours des dernières années, tant en matière de respect de l'environnement que de recherche de la qualité. Notre proposition de résolution identifie des pistes que doivent suivre tant la Commission européenne que nos autorités nationales
Pourquoi l'agriculture des RUP est-elle pénalisée dans son recours aux produits phytosanitaires par rapport à la concurrence des pays tiers ? Le cadre réglementaire est rigide et inadapté : les normes nationales et européennes, très imbriquées, sont conçues pour une application uniforme et sur la base des seuls besoins d'un climat tempéré. Les entreprises agrochimiques sont peu incitées à développer une offre spécifique de produits phytosanitaires pour ces marchés de faible taille. Ainsi, seulement 29 % des besoins phytosanitaires sont couverts dans les DOM, contre 80 % en métropole. Les agriculteurs des RUP sont souvent démunis face aux ravageurs et aux dévastateurs tropicaux.
À ceci s'ajoutent les effets d'une compétition déloyale avec les pays tiers. Les filières agricoles ultramarines ont accepté la logique vertueuse du mieux-disant environnemental et s'y sont adaptées, ce qui a occasionné une hausse du prix de vente de 15 % à 20 %. A contrario, leurs concurrents des pays tiers peuvent avoir recours à une palette de produits beaucoup plus large, dès lors qu'ils respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides.
La proposition de résolution formule un ensemble très complet de recommandations en matière phytosanitaire. Deux d'entre elles présentent une importance particulière. D'abord, dans la refonte du Règlement du 28 juin 2007 relatif à la production biologique, la proposition de résolution appelle à « prévoir un volet spécifique en milieu tropical, afin d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies et de permettre le traitement par des produits d'origine naturelle ». En second lieu, à l'occasion de la prochaine révision du Règlement du 21 octobre 2009 concernant les produits phytopharmaceutiques, la proposition de résolution demande une « dispense d'homologation pour tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche (...), afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs ». Plusieurs autres recommandations visent à sensibiliser les institutions européennes aux spécificités et aux besoins des agricultures ultramarines.
La concurrence qualitative se double d'une concurrence quantitative, occasionnée par l'ouverture du marché européen à certains produits de pays tiers. Sur ce point, je tire la sonnette d'alarme. La proposition de résolution aborde la question de l'ouverture commerciale et de la concurrence qui en résulte, qui met tout particulièrement à mal la filière de la banane communautaire.
Après les accords de libre-échange conclus en 2012 avec l'Amérique centrale et les pays andins, les droits de douane sur la banane, à l'importation dans l'Union européenne, seront passés de 176 euros par tonne en 2009 à 75 euros par tonne en 2020. Depuis la mise en oeuvre des accords avec ces pays, leurs exportations de bananes vers l'Europe ont fortement augmenté. La perte de parts de marché qui en résulte pour nos producteurs concernés met en péril l'avenir de la filière.
Des mécanismes de protection sont prévus : une clause de sauvegarde bilatérale et un mécanisme de stabilisation. La clause de sauvegarde spécifique prévoit que l'Union peut suspendre le droit de douane préférentiel si les importations de bananes depuis les pays partenaires se font « dans des quantités tellement accrues (...) et à des conditions telles qu'elles causent (ou menacent de causer) un préjudice grave à l'industrie de l'Union ». Le mécanisme de stabilisation, lui, permet à l'Union de suspendre temporairement - pas plus de trois mois et pas au-delà de la fin de l'année civile -, le droit de douane préférentiel, si les importations de bananes dépassent les seuils d'importation prévus dans les accords.
Mais la Commission européenne n'a jamais estimé utile ou opportun d'y recourir. Depuis 2013, aucun des deux dispositifs n'a été activé, alors même que l'évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier. D'où ma question posée en séance publique au ministre Harlem Désir lors du dernier débat préalable au Conseil européen. Mon rapport écrit présente des tableaux décrivant les dépassements répétés des seuils d'importation autorisés.
La proposition de résolution suggère quatre principales pistes d'action. D'abord, l'activation sans délai par la Commission des mécanismes de stabilisation et donc la suspension des droits préférentiels dès que les seuils de déclenchement prévus dans les accords sont atteints ; ensuite, la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de la date butoir du 31 décembre 2019 - alors qu' il est prévu de les supprimer à cette date ; la création d'observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP que sont la banane et la canne pour disposer de mesures fiables, publiques et transparentes ; enfin, la réalisation systématique, par la Commission européenne, d'études d'impact préalables sur les RUP des accords commerciaux passés par l'Union européenne.
La proposition de résolution souligne que « les contradictions de la politique européenne se révèlent particulièrement préjudiciables aux RUP qu'elles enferment dans une logique fataliste de compensation financière, de dépendance et de dépérissement, qui ne conduira en aucun cas au développement économique et social de territoires frappés par le fléau du chômage ». Ce système est absurde, quand on sait combien l'Union européenne a investi en faveur de l'agriculture dans nos DOM. Quel intérêt si nous ne pouvons plus écouler leur production ?
Quant à la logique des accords de libre-échange, négociés par la commission sur mandat du Conseil et ratifiés par les États-membres, elle n'est pas sans mérite. Mais elle ne doit pas mésestimer leur impact négatif sur des productions agricoles sensibles, qui sont par ailleurs les seules ressources des populations de ces territoires ultramarins.
La proposition de résolution préconise des solutions de nature à rétablir un juste équilibre entre producteurs concurrents et une protection justifiée pour nos producteurs ultramarins. Je vous propose de l'adopter sans modification.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour cette présentation de qualité.
M. Simon Sutour. - Belle force de conviction : l'outre-mer a trouvé au Sénat une nouvelle défenseure ! Ces problèmes sont nos problèmes, et ne doivent pas préoccuper uniquement les élus d'outre-mer. M. Raoul et moi-même nous en étions saisis. Hélas, tout ce que vous en avez dit pourrait être transposé au niveau métropolitain... Par exemple, dans notre Occitanie, les traitements autorisés ne sont pas les mêmes que de l'autre côté des Pyrénées, pour les mêmes cultures. Et c'est pire encore avec les pays extracommunautaires. Je me rappelle qu'avec notre collègue Georges Patient, en préparant un rapport sur les fonds structurels européens, nous avions visité une exploitation de canne à sucre en Guyane, à Mana, qui subissait de terribles attaques de parasites, mais ne pouvait pas utiliser certains produits phytosanitaires - ce qui est sans doute une bonne chose pour la santé publique - mais qui étaient utilisés à quelques kilomètres de là.
A ces problèmes complexes s'ajoute le fait que la situation des RUP est de moins en moins prise en compte par l'Union européenne. Il est vrai que seuls trois pays sont concernés. Encore, le Portugal et l'Espagne, avec respectivement les Açores et les Canaries, ne le sont-ils qu'au titre de régions finalement plus européennes que nos outre-mer. Il nous faut donc mener ce combat, d'autant plus que les collectivités territoriales d'outre-mer, si elles apparaissaient dans le passé comme une charge, sont aujourd'hui perçues comme une grande chance pour notre pays, qui bénéficie grâce à elles de vastes étendues maritimes propices notamment à la pêche. Leur population doit donc pouvoir y vivre d'une agriculture ne dépendant pas uniquement d'aides. Aussi voterons-nous ce rapport avec enthousiasme.
M. Jean-Paul Emorine. - Ce que notre rapporteure a dit des RUP s'applique à la production agricole française en Europe. Oui, il faut respecter des règles, mais il faut aussi les mettre en avant face aux pays tiers. La Guadeloupe et la Martinique s'orientent vers la reconnaissance d'indications géographiques protégées (IGP). Pour vendre nos productions à un prix entre 10 % et 15 % supérieur à la concurrence, c'est une solution réaliste, qui devrait pouvoir être mise en oeuvre d'ici 2020. Je reste convaincu qu'il faut des règles, des produits de qualité, et sans doute de plus en plus de contractualisation, pour sécuriser les revenus des agriculteurs. En 1998, le ministre de l'agriculture a interdit le chlordécone, mais il semble que la production de bananes en plein champ en répande moins que ce que l'on en trouvait dans les jardins privés.
Mme Gisèle Jourda. - Cette interdiction est toujours en vigueur.
M. André Gattolin. - Je me félicite que ce rapport suscite un très large consensus. Édicter des normes et des règles est une chose - et l'Union européenne y excelle - encore faut-il pouvoir en suivre l'application. Aux Caraïbes, la circulation illégale des produits entre les îles est considérable. M. Fekl nous a expliqué récemment que, si 3 000 personnes travaillaient à Bruxelles sur l'élaboration des traités commerciaux bilatéraux, le suivi de la mise en oeuvre et l'évaluation des traités déjà passés faisaient complètement défaut.
Le point 40 de la proposition de résolution « préconise de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les ravageurs, efficaces et conformes à la mutation agroécologique ». En France, la récente loi d'avenir pour l'agriculture prévoit déjà cette dispense d'homologation, mais le ministère de l'agriculture tarde à l'appliquer, et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ne sait pas comment la mettre en oeuvre.
Le point 45 « préconise d'autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitations implantées dans les RUP ». Mais qui certifiera ? C'est très flou.
Mme Gisèle Jourda. - Nos collègues MM. Doligé et Gillot et Mme Procaccia, dans le cadre de la Délégation à l'Outre-mer, ont consacré des mois à auditionner les parties prenantes, et se sont penchés de très près sur la question des phytosanitaires dans les RUP. Ils se sont rendus sur place pour prendre conscience du danger : l'homologation des deux produits les plus utilisés est en passe de disparaître, ce qui fera s'étioler comme peau de chagrin les 29 % que j'évoquais.
La piste des indications géographiques protégées (IGP) fait l'objet de travaux de la délégation aux outre-mer et d'autres organisations. Mais les difficultés qui existent sur ce point dans l'hexagone sont encore amplifiées outre-mer. Voyez par exemple ce que devient la labellisation du litchi !
En tous cas, nous ne devons pas négocier d'accords commerciaux à perte, car les premières victimes sont toujours nos collectivités d'outre-mer, dont on oublie les spécificités au cours de la négociation.
Le point 45 a suscité des débats entre nous, en effet. Mais il faut choisir entre la peste et le choléra ! La solution retenue n'est pas parfaite, mais je crois que c'est la seule envisageable. Nous aurons le débat lors de la discussion en séance publique.
Au-delà des aspects normatifs précis, la philosophie européenne doit être que chacun trouve satisfaction dans un accord commercial. Nos collectivités d'outre-mer connaissent un chômage élevé, et nous leurs imposons les normes sanitaires de l'hexagone, inadaptées pour des pays tropicaux. À nous, parlementaires, de tout faire pour susciter une prise de conscience. Sur le sucre, nous avons obtenu une belle avancée.
M. Jean Bizet, président. - Absolument.
Mme Gisèle Jourda. - Tâchons de parvenir au même résultat pour la banane. Restera le litchi, et l'ananas...
M. Jean-Paul Emorine. - Les IGP sont menacées par les traités commerciaux d'un côté, et de l'autre, c'est l'Union européenne qui bloque leur création. À nous de faire avancer les choses. Pour une IGP, il suffit que le produit passe dans la région concernée : il n'y a pas de raison que le processus dure dix ou quinze ans. Si nous ne débloquons pas la situation, l'agriculture française, qui représente 20 % de la production européenne mais 1 % de la production mondiale, risque de dépérir.
M. Jean Bizet, président. - Bravo pour ce gros travail. La logique de compensation financière relève d'une vision à court terme, et non d'une stratégie vertueuse. Aussi ne peut-elle être que transitoire - l'Union européenne doit en prendre conscience. J'ai toujours alerté les ministres successifs de l'agriculture sur le problème des petites filières, et des maladies orphelines, que les entreprises phytosanitaires négligent faute de retour sur investissement. La commission des affaires économiques devrait se pencher sur ce sujet, qui ne touche pas que les RUP. Ainsi, j'ai été saisi de la situation de la filière de l'ail, dont les producteurs, dans la Drôme, ne disposent plus d'aucun produit phytosanitaire en France. Il y a là un outil à inventer. Pourquoi pas un crédit d'impôt recherche spécifique ?
Je demande aussi au groupe de travail sur la propriété intellectuelle, que M. Yung anime, d'étudier la question des IGP. Leur mise en place ne doit pas être inutilement compliquée, car le temps économique va plus vite que le temps politique. Je me rappelle qu'il a fallu sept ans pour créer l'appellation d'origine protégée (AOP) « Prés-salés du Mont-Saint-Michel » ! À l'époque du numérique, c'est beaucoup trop.
Le principe de réciprocité figure de plus en plus explicitement dans les traités, tant les tensions commerciales s'accroissent. Cette proposition de résolution européenne sera débattue en séance le 22 novembre. Comme le lui permet le règlement, notre commission exercera les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis.
M. Richard Yung. - Il y a un travail important à faire sur les IGP et les appellations d'origine contrôlées (AOC)...
M. Jean-Paul Emorine. - On ne parle plus d'AOC mais d'AOP.
M. Richard Yung. - Oui. Le problème se pose partout.
M. Jean Bizet, président. - C'est un bon sujet pour le groupe de travail sur la propriété intellectuelle.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, à l'adoption sans modification de la proposition de résolution européenne.
Culture - Proposition de résolution européenne et avis politique de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot sur la directive "Services de médias audiovisuels"
M. Jean Bizet, président. - Nous entendons à présent la communication d'André Gattolin et Colette Mélot sur la proposition de directive relative au Services de Médias audiovisuels (SMA). Ce texte pose notamment la question de la concurrence entre les grands acteurs de l'internet et les acteurs traditionnels comme les radio-diffuseurs. Il soulève aussi la question de la régulation et de la protection des publics les plus faibles. Nos rapporteurs ont travaillé en étroite collaboration avec notre collègue Jean-Pierre Leleux, qui sera le rapporteur de la commission de la Culture. La proposition de résolution européenne qu'ils ont élaborée vous a été adressée.
Mme Colette Mélot. - Dans le cadre de la stratégie numérique, la Commission européenne propose une évolution de la directive SMA qui fixe les règles encadrant les médias audiovisuels. Ce sujet touche tout le monde, tant les vidéos sont devenues omniprésentes dans nos vies depuis qu'elles ont quitté les seuls écrans de télévision pour nos ordinateurs, nos tablettes et nos téléphones - et, demain, toutes sortes d'objets connectés.
La part des vidéos à la demande et des vidéos transmises sur les réseaux sociaux est désormais supérieure à celle de la télévision traditionnelle. Ainsi, pour retransmettre les Jeux Olympiques de Rio, France télévisions avait prévu, en plus de ses propres services, c'est-à-dire ses chaînes de télévision et ses sites internet, une chaîne spéciale sur la plateforme Youtube. Au total, 170 million de vidéos ont été vues. Or, près d'un tiers l'ont été par le biais du réseau social Facebook, soit plus que sur la chaîne Youtube prévue par le service public !
Il y a donc un phénomène de masse, qui progresse vite et qui préfigure la consommation de médias dans les années à venir. Les plus jeunes sont en effet ceux qui utilisent le plus ces nouveaux médias. Or, ceux-ci ne sont pas ou peu réglementés. Vu la place qu'ils occupent désormais dans le paysage audiovisuel, cela ne peut pas continuer. Nous devons protéger les plus jeunes consommateurs contre les publicités sur internet. Une vidéo qui fait l'apologie de Daesh ne peut pas continuer à circuler aussi facilement. Il faut une régulation.
Par ailleurs, notre système de soutien à la création audiovisuelle repose sur des contributions nationales. Une chaîne de télévision est supposée être établie dans un État membre et doit participer à la production d'oeuvres et de programmes selon les règles de cet État membre. La Commission européenne estime que les organismes de radiodiffusion télévisuelle européens investissent en moyenne 20 % de leurs recettes dans des contenus originaux, quand les plateformes proposant des vidéos sur internet investissent moins de 1 %.
De surcroît, ces nouveaux médias génèrent de plus en plus de ressources publicitaires au détriment des radiodiffuseurs. Or, ils bénéficient d'une concurrence faussée, car si la publicité est encadrée à la télévision, elle ne l'est presque pas sur internet.
Cela ne peut plus durer car c'est le modèle européen qui est remis en question. Dans notre pays, la sensibilité à ces questions est grande. Bonne nouvelle : la Commission européenne a entendu nos demandes et a fait une proposition qui va dans le bon sens !
En effet, le texte de la Commission présente de réelles avancées. Les plateformes de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion seraient incluses dans le champ de la directive et soumises à un certain nombre d'obligations, notamment en matière de protection des mineurs.
Ce texte reflète une volonté de rétablir une certaine forme d'équilibre entre les radiodiffuseurs et les fournisseurs de vidéos à la demande. Ces derniers devraient désormais proposer dans leur catalogue un quota minimum de 20 % d'oeuvres européennes et les mettre en avant. Ils se verraient aussi imposer de soutenir la création dans un État dont ils ciblent la population, alors même qu'ils ne sont pas présents sur son territoire. Dans le même temps, la Commission propose d'assouplir les règles relatives à la publicité à la télévision pour permettre aux radio-diffuseurs d'augmenter les ressources.
Enfin, dans le but d'assurer un meilleur contrôle sur l'ensemble de ces acteurs, la Commission européenne propose d'inscrire dans la directive le principe d'indépendance des régulateurs nationaux européens - comme le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA) dans notre pays. Elle propose en outre de donner une plus grande place au niveau européen à l'organe qui réunit ces régulateurs nationaux, l'Erga (European Regulators Group for Audiovisual Media Services).
M. André Gattolin. - Comme l'a dit Colette Mélot, il y a dans ce texte un certain nombre d'avancées qui répondent à des demandes de notre Gouvernement et qui constituent une réelle étape dans la régulation de l'Internet en Europe et de ces grands acteurs américains qui bousculent nos sociétés et nos économies.
La commission de la culture du Parlement européen a, par la voix de ses deux rapporteures allemandes, présenté un projet de rapport en septembre dernier qui contribue lui aussi à renforcer cette régulation. Là où la Commission européenne propose des règles distinctes entre les radiodiffuseurs, les fournisseurs de vidéos et les plateformes de partage, les rapporteures proposent de créer un socle commun pour tous, plus exigeant, plus simple et plus structurant. À la condition, toutefois, de tenir compte des spécificités de chaque média : on ne peut pas traiter de la même façon la publicité sur internet et à la télévision.
Ces règles devraient porter sur la lutte contre l'incitation à la violence ou à la haine, la lutte contre la discrimination, la protection des mineurs face aux contenus préjudiciables, les communications commerciales, le placement de produit et le parrainage, la protection des oeuvres cinématographiques et la préservation de la chronologie des médias, les droits d'information des destinataires d'un service, la corégulation, l'autorégulation, les codes déontologiques. Elles devraient également favoriser la lutte contre l'apologie du terrorisme.
Pour ce qui est de la promotion des oeuvres européennes, la Commission propose un quota de 20 % dans les catalogues de vidéos à la demande et une mise en avant de ces oeuvres. C'est très bien. Mais la Commission a fait le constat qu'en moyenne, Netflix propose déjà 27 % des programmes qui sont diffusés en Europe. Par ailleurs, les oeuvres européennes regroupent celles des 47 États membres du Conseil de l'Europe, y compris la Grande Bretagne qui produit un nombre important de téléfilms et de séries. Un quota à 20 % est donc très faible. En France, le quota est pour l'instant fixé à 60 % d'oeuvres européennes dont 40 % d'oeuvres nationales. À la télévision, le quota est de 50 %. Pour rétablir un semblant de concurrence, il serait plus judicieux et réaliste de fixer un quota à 40 %, ce qui relève le niveau au-dessus des 30 % que proposent les rapporteures du Parlement européen. Quoi qu'il en soit, l'offre doit être supérieure à celle de Netflix. Quant à la mise en avant et au référencement, ils restent difficiles à mettre en oeuvre : comment fixer des règles pour donner de la visibilité aux oeuvres sur une page web ?
Concernant la contribution à la production dans un pays par un service de médias qui n'est pas dans ce pays, mais qui cible son public, l'évolution proposée est intéressante. On procéderait en dérogeant au principe du pays d'origine, selon lequel chaque pays ne peut réglementer que les services de médias présents sur son territoire. C'est une excellente idée ! Sans remettre en cause notre législation, la réglementation s'adapte à un internet qui s'affranchit des frontières. Pourquoi ne pas aller plus loin en demandant à ces médias de respecter les mêmes quotas que ceux qu'ils viennent concurrencer ? Pourquoi ne pas leur imposer les mêmes obligations concernant la protection des mineurs ou la publicité ?
En ce qui concerne les communications commerciales à la télévision, la Commission va assez loin dans ses propositions dans le but d'augmenter les ressources des radiodiffuseurs classiques. Là où il existe une limite horaire de 20 % de publicité, soit 12 minutes par heure de diffusion, la Commission propose plus de souplesse en passant à un système de limite quotidienne : ce serait désormais 20 % entre 7h et 23h, répartis plus librement. Elle propose également d'autoriser une troisième tranche horaire de publicité dans les oeuvres protégées comme les films et les téléfilms qui constituent le patrimonial, ou encore les programmes d'information.
Or, on constate qu'un certain nombre de consommateurs se tournent vers les vidéos à la demande justement pour échapper aux coupures publicitaires. Par ailleurs, si cette proposition est juste d'un point de vue économique, elle peut donner lieu à des dérives dangereuses, comme en Espagne ou en Italie où les coupures publicitaires ont envahi les oeuvres patrimoniales.
Si la souplesse proposée peut favoriser une augmentation des recettes publicitaires pour les chaînes de télévision, il nous paraît important de conserver une protection pour les enfants. C'est pourquoi la limite horaire de 20 % devrait être maintenue entre 7h et 10h, période de pic où les plus jeunes sont devant la télévision sans la présence des parents.
Enfin, d'autres assouplissements nous paraissent inutiles, voire nocifs comme ceux concernant le placement de produits. La Commission propose notamment que l'on autorise les marques à être placées dans les programmes et séries diffusées sur les chaînes de télévision, à l'image de ce qui se fait dans les James Bond. Ce sera une ressource de plus pour les producteurs, mais pas pour les diffuseurs. Par conséquent, nous sommes très réticents sur cette mesure.
Telles sont nos analyses sur la proposition de la Commission. Nous pourrions traiter plus longuement les points qui concernent l'indépendance des régulateurs, si nous en avions le temps. Je souhaite rappeler qu'il s'agit d'une directive d'harmonisation minimale et pas totale. La France est par conséquent parfaitement légitime à adopter des mesures plus contraignantes. À chaque pays d'être mieux disant par rapport à ces propositions.
Mme Colette Mélot. - Je voudrais saluer notre collaboration avec Jean-Pierre Leleux, qui devrait être le rapporteur de cette proposition de résolution à la commission de la culture. Je dois dire que ce travail commun a été aussi appréciable qu'agréable.
Nous avons mené toutes nos auditions ensemble, à Paris comme à Bruxelles, et nous avons pu bénéficier de l'expérience de Jean-Pierre Leleux sur les questions audiovisuelles. Sans préjuger du rapport qu'il pourra faire, j'ajoute que cette proposition de résolution est le fruit d'une réflexion commune.
M. André Gattolin. - Juste une précision : nous avons auditionné à Paris le ministère de la culture, France Télévisions, le groupe Orange, les chaînes privées TF1, M6 et Canal+ ; à Bruxelles, nous avons pu entendre la Représentation permanente, la DG Connect à l'origine du texte, les représentants des auteurs et des chaînes privées en Europe et le Bureau Européen des Unions de Consommateurs.
L'expérience a montré que quand nous sommes à l'initiative d'une proposition de résolution européenne. Il est utile de collaborer bien en amont sur le texte avec la commission qui sera saisie au fond.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie. Ce travail en commun est l'une des facettes de la co-législation que nous souhaitons développer entre la commission des affaires européennes et le Parlement européen. Je ne dévoile là aucun secret. Lorsque le président Larcher a reçu Lord King, le nouveau commissaire en charge de la sécurité, ils ont conclu à la nécessité pour les parlements nationaux et le Parlement européen de légiférer avec rapidité en matière de lutte contre le terrorisme. Le principe de co-législation doit devenir la règle.
Mme Patricia Schillinger. - Je me félicite que la France se distingue par la qualité des publicités diffusées sur ses chaînes. Ce sont de véritables petits films, presque des oeuvres d'art. Rien à voir avec les publicités diffusées sur les chaînes suisses ou allemandes qui matraquent les téléspectateurs du matin au soir. Cependant, la publicité est souvent trop longue sur les chaînes françaises : elle dure parfois près d'un quart d'heure. Il faudrait également revoir la diversité des produits vantés. Les publicités à destination des enfants se sont améliorées, tout comme celles sur les produits alimentaires. On a introduit le concept de prévention, ce qui est louable. En revanche, grâce à l'offre de CanalSat et Canal+, les jeunes ont tendance à ne pas se limiter aux chaînes françaises. D'où la nécessité d'une harmonisation au niveau européen. Le principe d'un travail en collaboration avec les autres commissions et les autres parlements est très efficace. Enfin, rappelons-le, nous sommes les meilleurs ! Les publicités françaises l'emportent largement sur les publicités espagnoles ou italiennes.
M. Richard Yung. - Vive la France !
M. Claude Kern. - Je félicite les rapporteurs dont je partage le point de vue sur la nécessité de prendre en compte les programmes audiovisuels dans la lutte contre le terrorisme et de réglementer la publicité. Je les remercie également d'avoir rappelé qu'il s'agissait d'une harmonisation minimale. Pour la retransmission d'événements sportifs, le streaming facilite les diffusions pirates sur les réseaux sociaux. Le sujet a été traité au niveau national dans la proposition de loi visant à préserver l'éthique du sport. Ce texte pourrait-il nous donner l'occasion d'être beaucoup plus efficaces, en légiférant au niveau européen ?
M. Richard Yung. - Je salue l'effort de la Commission. Proposer un texte sur un sujet qui suscite autant de réactions ne va pas de soi. Quelle position défend l'industrie cinématographique ou l'industrie de la création en France ? Je crois savoir que Jérôme Seydoux était sur le sentier de la guerre contre toute proposition de réglementation ou de régulation. Sa réflexion aurait-elle évolué ? Et quelles sont les réactions dans les autres pays, notamment en Grande Bretagne ?
Il faudrait également aborder le statut des responsabilités. Doit-on considérer les plateformes qui mettent en ligne des films et des séries télévisées comme un simple support technique dépourvu de toute responsabilité quant au contenu diffusé ? Ou bien jouent-elles un rôle d'éditeurs ? Ou bien encore, faut-il leur attribuer un statut intermédiaire ? La question vient sans doute trop tôt ; il faudra la poser, le moment venu.
Enfin, vous n'avez pas mentionné la contrefaçon...
M. André Gattolin. - Une directive est en préparation sur ce sujet.
M. Richard Yung. - La France défend une position forte et originale. La pratique a montré qu'en l'absence d'une politique volontariste, une grande partie de notre industrie de la création disparaîtrait. La France a su préserver cette industrie. Continuons dans cette voie.
Mme Colette Mélot. - En ce qui concerne la publicité, nous avons beaucoup travaillé en amont. Des campagnes de prévention existent et nous sommes réconfortés de savoir que les publicités françaises sont bien meilleures qu'en Allemagne ou en Suisse. Ne baissons pas la garde, car chacun peut désormais zapper sur d'autres chaînes européennes, de sorte que même si nous sommes à la pointe, nous ne pouvons pas nous passer d'une harmonisation entre les pays.
Le streaming qui se développe notamment pour la diffusion des programmes sportifs sera traité dans la directive sur les droits d'auteurs, dont le premier projet vient d'être publié. Ce sera l'occasion pour l'industrie cinématographique d'affirmer sa position.
M. André Gattolin. - Ce texte a le mérite de rendre plus équitable le sort fait à la télévision linéaire classique par rapport à la télévision délinéarisée. D'ici quinze à vingt ans, Netflix et Golden seront devenus les patrons de la télévision en France. Le basculement du linéaire au délinéarisé est très rapide. Pour faire face à l'attaque des nouveaux médias télévisuels, les chaînes devront privilégier une production nationale ou européenne. Si la publicité se reporte entièrement sur Internet, cela favorisera le service à la demande et le modèle économique de la télévision classique s'effondrera. D'où la décision de la Commission d'abaisser les normes de la publicité et de renforcer les contraintes à destination des nouveaux arrivants. Même si cette option n'est pas la plus facile, il faut la tenter : il est dans l'intérêt de nos médias que nous imposions des règles aux opérateurs, essentiellement nord-américains.
Lorsque le numérique est arrivé dans le monde de la musique, l'industrie phonographique a commencé par dire non à tout. Puis, la Sacem a proposé une offre légale satisfaisante pour tous et qui fonctionne. L'évolution devrait être la même pour le monde du cinéma, pour l'instant replié dans sa forteresse. Une offre légale verra probablement le jour, grâce à laquelle l'industrie cinématographique continuera à capter des ressources.
Nous sommes d'autant moins favorables à la coupure publicitaire dans la troisième tranche horaire que le monde de la culture est monté au créneau avec violence lorsqu'on a pris la décision d'introduire une coupure publicitaire dans la deuxième tranche horaire. Avec Jean-Pierre Leleux, nous sommes unanimes à refuser une troisième coupure publicitaire. Pour l'instant, la proposition de la Commission européenne manque de clarté. La directive sur les droits d'auteur devrait y remédier.
Quant à la responsabilité des contenus, dans la mesure où Facebook a fait plus d'audience que les grands opérateurs sur la retransmission des grands événements sportifs, nous sommes favorables à ce que les réseaux sociaux entrent dans la distribution, même si nous manquons de soutien. Pour l'instant, les internautes se contentent de signaler les contenus qui ne seraient pas appropriés, ce qui laisse place à beaucoup de distorsion. Si la règle sur le droit d'auteur fonctionne bien, tout le reste est à inventer. On ne peut pas laisser le système s'autoréguler sans encadrer plus précisément la responsabilité des plateformes.
Attention à ne pas confondre l'absence de prise de position des réseaux sociaux avec la neutralité du Net qui signifie que les plateformes n'ont pas à privilégier certains services par rapport à d'autres.
Bien sûr, nous pouvons nous féliciter de la qualité des publicités françaises. Cependant, elles restent moins bonnes qu'en Grande Bretagne. Et les publicités bas de gamme commencent à se multiplier, notamment sur l'Internet. Quant à la prévention, je ne suis pas sûr de l'efficacité des bandeaux déroulants, surtout quand ils s'adressent à un public d'enfants, qui ne savent pas encore lire. Le rôle du CSA est de veiller à la qualité des programmes.
Mme Colette Mélot. - Les Allemands souhaitent plus de souplesse en matière de publicité et les deux rapporteures allemandes sont moins interventionnistes au sujet des plateformes. Le Royaume Uni ne s'est pas encore exprimé...
M. André Gattolin. - Trop occupé par le Brexit.
Mme Colette Mélot. - L'Espagne milite pour la protection des oeuvres et, dans l'ensemble, les pays du sud sont favorables à une plus grande régulation. Quant aux pays libéraux, comme les Pays Bas ou la Suède, ils prônent la dérégulation générale.
M. André Gattolin. - Ces petits pays voient s'ouvrir une opportunité de faire des affaires. Ils rêvent de devenir les maîtres du petit univers télévisuel européen. Même si les Allemands sont moins régulateurs que nous, ils partagent notre volonté de poser des règles plus fortes que celles proposées par la Commission sur les quotas européens.
M. Jean Bizet, président. - Je salue la compétence de nos rapporteurs sur l'ensemble de ces sujets. Lors d'échanges épistolaires musclés, le président du CSA a fini par convenir que certaines émissions soulevaient un problème d'objectivité de l'information. Par conséquent, il me paraît souhaitable de compléter le point n° 44 du texte par la phrase : « et rappelle que ces autorités doivent en particulier veiller à l'objectivité de l'information ».
M. André Gattolin. - Oui. Cependant, en Europe, les organismes régulateurs n'ont pas tous le même niveau d'indépendance, et ce n'est pas parce qu'un organisme est indépendant qu'il est nécessairement objectif. Il faudra qu'ils se mettent d'accord.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi modifiée, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Nomination de rapporteurs
M. Jean Bizet, président. - Nous devons examiner le Paquet « Droits d'auteur ». Colette Mélot et Richard Yung pourraient s'en charger. Ils travailleront en étroite concertation avec Philippe Bonnecarrère qui sera le rapporteur de la commission de la Culture.
Simon Sutour pourrait nous faire un point sur l'état d'avancement de la négociation d'un accord commercial avec le Mercosur.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 10 heures.