Jeudi 27 octobre 2016
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -Table ronde dans le cadre de la préparation du rapport sur l'évolution des missions assurées par les services déconcentrés de l'État au profit des collectivités territoriales
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui avec les représentants des associations d'élus locaux et ceux du ministère de l'Intérieur, dans le cadre de la préparation d'un rapport d'information que notre délégation a confié à Éric Doligé et à Marie-Françoise Perol-Dumont. Ce rapport est relatif aux incidences de la réforme des services déconcentrés de l'État sur l'efficacité de la relation entre l'État et les collectivités. Nous voulions entendre les différentes sensibilités locales. Je précise que nous avons reçu une riche contribution de Villes de France, dont la présidente, notre collègue Caroline Cayeux, n'a pas pu être présente aujourd'hui.
Il nous a semblé utile d'organiser cette audition dans le cadre d'une réunion plénière de la délégation : nos collègues membres de la délégation pourront ainsi profiter de ces échanges.
M. Éric Doligé, rapporteur. - Mesdames, Messieurs les représentants des associations d'élus locaux, n'hésitez pas à nous faire part de vos réflexions ! Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même avons eu des responsabilités locales importantes. En revanche, nous n'avons pas exercé de responsabilité au sein de l'État : ses représentants nous feront part de leur vision de la question.
À ce stade de nos travaux, nous avons auditionné un certain nombre d'acteurs, parmi lesquels le secrétaire général du ministère de l'Intérieur et la secrétaire générale à la modernisation de l'action publique, le préfet chargé de la réforme des services déconcentrés régionaux, le préfet en charge de l'association du corps préfectoral, ainsi que deux préfets de région à la tête de régions nouvellement fusionnées, et des membres de corps d'inspection.
Nous avons également organisé, début octobre, une table ronde réunissant les syndicats représentatifs des fonctionnaires de l'État.
Par ailleurs, nous effectuerons prochainement deux déplacements - l'un à Orléans le 7 novembre, l'autre à Limoges le 14 novembre -, au cours desquels nous rencontrerons des représentants des services déconcentrés et des collectivités territoriales. Nous avons choisi ces deux villes, car nous sommes certains d'y être bien reçus, aussi bien par les élus que par les représentants de l'État !
Enfin, nous avons sollicité les élus locaux, afin qu'ils répondent à une consultation sur le site internet du Sénat. Rémy Pointereau avait déjà organisé une telle consultation lors de son travail sur la simplification des normes en matière d'urbanisme, qui a recueilli de nombreuses réponses. Beaucoup de réponses intéressantes nous sont déjà parvenues : nous aurons ainsi une large vision des réflexions des élus locaux.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - Nous sommes à mi-terme de notre rapport. Nous avons, de par nos fonctions, des contacts réguliers avec les différents types d'élus locaux. Nous pensons connaître leur sentiment sur les réformes en cours, mais nous souhaitions tout de même entendre ce matin les représentants d'associations d'élus locaux, lesquelles ont une légitimité particulière. Je remercie nos nombreux collègues membres de la délégation présents ce matin. Il est important que nous ayons également leur sentiment sur le sujet.
Nous souhaiterions que chaque association réponde à trois séries de questions.
Tout d'abord, quel bilan faites-vous des réformes successives des services déconcentrés, en particulier de la réforme des services déconcentrés régionaux et du plan Préfectures nouvelle génération ? Avez-vous été suffisamment associé à ces réformes ? Vous semblent-elles pertinentes et efficaces ?
Ensuite, quelle appréciation portez-vous sur l'évolution des missions exercées par les services déconcentrés, notamment le contrôle de légalité et l'ingénierie territoriale ? Observez-vous une dégradation ou une amélioration du service rendu ou un report de charge vers les collectivités ? Disposez-vous d'interlocuteurs suffisamment identifiés, disponibles et qualifiés ?
Enfin, quelles seraient vos préconisations pour faire émerger un véritable « État facilitateur » dans nos territoires ? Sur quels points améliorer l'organisation et les missions des services déconcentrés ?
Nous tenons également à remercier les représentants du ministère de l'Intérieur de leur présence.
Avec ce rapport, nous souhaitons aller au-delà des constatations et présenter des préconisations.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je donne la parole en premier lieu aux représentants des associations d'élus, pour que chacune réponde de façon très synthétique aux questions des rapporteurs. Je souhaite que chaque association se limite autant que possible à une intervention de 5 ou 6 minutes. Je donnerai ensuite la parole aux représentants du ministère de l'Intérieur, avant de laisser le débat s'engager avec les membres de la délégation.
Je laisse la parole à la représentante de l'Association des maires de France (AMF).
Mme Rachel Paillard, membre du comité directeur de l'Association des maires de France. - Les différentes réformes des services déconcentrés de l'État ont conduit à une réduction et à un redéploiement des effectifs. Les élus ont le sentiment d'un déclin de leur relation avec des services devenus exsangues, qui font davantage de contrôles procéduriers que de l'accompagnement et du conseil. Je prendrai deux exemples : les directions départementales des territoires (DDT), qui sont considérées comme tatillonnes depuis le transfert de l'instruction des permis de construire ; les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS), qui livrent souvent une interprétation excessive des normes, particulièrement dans le domaine de la petite enfance, ce qui explique pour partie la difficile mise en place des rythmes scolaires. L'État n'a plus les moyens d'exercer son rôle de conseil quand des réformes régulières et incessantes conduisent à un transfert de responsabilités aux élus locaux.
Le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) est une réforme mal perçue dans les zones rurales. L'AMF pense que, dans ces zones, la rationalisation de la carte pourrait être lancée, avec la création de grands arrondissements s'appuyant sur des bassins de vie. La proximité ne semble pas être le but premier de cette réforme.
En ce qui concerne la réforme des cartes nationales d'identité (CNI), elle est très mal ressentie par les communes rurales, qui considèrent qu'elle conduit à un délitement du lien entre les concitoyens et leur commune. Ce désengagement de l'État, qui fragilise l'institution communale, devrait être minutieusement étudié par le ministère de l'Intérieur. L'AMF souligne également le caractère très rapide de la mise en place, à titre expérimental, dans les Yvelines, du nouveau mode de délivrance des CNI, adossée au bureau délivrant les passeports. Nous avons également interpellé le ministère de l'Intérieur quant au coût pour les communes de cette réforme.
Ce qui compte pour nous, c'est davantage le résultat sur le terrain que la méthode employée. Passer de la révision générale des politiques publiques (RGPP) à la modernisation de l'action publique (MAP) ne change pas grand-chose et confirme la tendance d'un désengagement de l'État. Les élus se soucient peu de la méthode de travail employée au sein du ministère de l'Intérieur. Ils veulent savoir comment ces réformes peuvent participer au renforcement de la proximité avec les citoyens et à une meilleure gestion des services publics. Nous ne voulons pas d'une France immuable ; nous souhaitons participer aux évolutions, en étant davantage associés en amont.
Nous vivons sur nos territoires non seulement la réorganisation territoriale de l'État, mais aussi l'application de la loi NOTRe. Or les services de l'État ont des difficultés à accompagner, sur les questions tant fiscales que relatives aux bases locatives, les communes et communautés de communes qui vont devoir « grossir » ensemble.
À cela s'ajoute la réforme des régions. Une préfecture de région devient une simple préfecture de département, perd ses repères... Quand un élu interpelle les services de l'État, ceux-ci font désormais preuve d'une grande prudence.
Rien n'a été mis en place pour accompagner le développement des territoires ruraux. Nous sommes obligés, pour certains projets, de faire appel à des services privés, via des appels d'offres et des mises en concurrence lourdes à organiser. Dans un contexte budgétaire contraint, cela engendre de nouvelles dépenses. Les jeunes élus n'ont pas forcément la culture de cette mise en concurrence systématique.
Des réformes sont mises en place pour compenser la nouvelle organisation de la DDT, mais leur application sur le terrain montre des inégalités entre les territoires.
Il faut donner plus de latitude aux services de l'État, dont les compétences sont mal exploitées, les mettre davantage en valeur, sous l'autorité du préfet, et leur permettre d'adapter les actions et procédures aux réalités locales. Il faut passer d'une culture de l'administration procédurière à une culture de projet et d'évaluation. Les élus ont besoin d'être accompagnés, particulièrement dans les territoires qui ont peu de moyens d'ingénierie.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je donne la parole au représentant de l'Association des maires ruraux de France.
M. Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France. - Je partage les propos de notre collègue de l'AMF. Les conseillers municipaux et maires ruraux sont conscients de la nécessité de faire évoluer les structures. Néanmoins, ils regrettent qu'en ce qui concerne la réforme de l'État, on tombe dans les mêmes travers qu'avec les lois NOTRe et MAPTAM. Nous aurions souhaité que la réorganisation territoriale soit précédée d'une réflexion sur un aménagement équilibré du territoire.
On peut dresser trois constats : une propension à la concentration vers le pôle urbain de la strate supérieure - la notion de proximité est vraiment virtuelle ! ; l'absence de prise en compte de la diversité des territoires - même si je sais que la notion d'unité doit être prise en compte ; le manque de concertation.
Les arguments employés sont parfois fallacieux. Pour la réforme de la CNI, la sécurisation des titres et les économies réalisées sont mises en avant, mais on aurait dû prendre en compte le paramètre de la proximité, du maintien du lien avec l'échelon communal. S'agissant de l'assistance technique fournie par l'État aux collectivités pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), Mme Lebranchu avait promis aux maires, lors d'un congrès de l'AMF, que l'on n'y toucherait pas. Deux ans après, elle était supprimée ! Cela exaspère les maires ruraux...
Concentration, oubli de la diversité des territoires, manque de concertation : autant de facteurs qui expliquent les tensions actuelles !
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je passe la parole au président délégué de l'Assemblée des communautés de France (ADCF). Il est accompagné de Nicolas Portier, qui a souvent animé les séminaires et universités d'été de Mulhouse Alsace Agglomération, de Floriane Boulay, responsable des affaires juridiques et institutionnelles, et de Mme Montaine Blonsard, chargée des relations avec le Parlement.
M. Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France. - Je rejoins les propos de mes collègues, étant moi-même maire ; néanmoins, au titre de l'ADCF, j'apporterai un éclairage quelque peu différent.
Les différentes tentatives de réorganisation ont certes permis de faire des économies, mais ont-elles contribué à améliorer l'efficacité du service public et l'utilité sociale et économique de l'État dans les territoires ? Nous n'en sommes pas certains.
L'État a cherché à diminuer ses moyens sur les territoires et à réduire sa fonction de conseil, qui a quasiment disparu. Les conseils municipaux renâclent aujourd'hui à payer les indemnités des comptables, en arguant de l'absence de conseil... Ils ne font plus que signer, et encore ! Pour le recouvrement des dettes, on assiste à des retards importants, ce qui nous fait perdre de l'argent. Mais si l'on propose de s'en occuper, la direction générale des Finances publiques (DGFIP) nous rétorque que ce n'est pas de notre ressort.
Parallèlement à ce manque de conseil, on assiste à une montée en puissance du contrôle, au plan départemental comme au plan régional. C'est un jeu à somme nulle !
Si l'on veut, par exemple, créer une zone industrielle, nous avons autour de la table le département, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et les agences. Une fois réglé le problème de l'instruction du permis de construire, qui nous incombe désormais, le parcours du combattant est donc loin d'être fini... Les délais d'instruction, d'organisation et de réponse sont très longs. Nous n'avons pas du tout gagné en efficience.
Une clarification réelle des compétences doit être opérée. L'État a « agenciarisé » un certain nombre de politiques pour rendre les choses plus faciles, aller plus vite... Mais ce n'est pas ce qui se passe sur le terrain, car l'État garde le contrôle sur certains secteurs, ce qui constitue un frein.
Il faut aussi préciser le rôle des préfets. Le préfet départemental a-t-il la clause de compétence générale ? Quel rôle a-t-il vis-à-vis de la DGFIP, de l'éducation nationale ? Le préfet n'est plus, comme avant, omniscient et omnipotent. Il devra peut-être se recentrer sur des fonctions régaliennes, notamment la sécurité. Nous devons réfléchir aussi sur le rôle du préfet de région. Cela nous amène à la question des doublons. La DREAL a une capacité d'expertise pour un certain nombre de schémas, notamment environnementaux ; idem pour le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) en matière économique. Comment articuler leur intervention avec celle des régions, qui vont avoir la même responsabilité pour l'établissement des schémas ? Si l'on fait tout en doublon, nous allons perdre beaucoup de temps ! Les expertises ne doivent pas conduire à neutraliser et à retarder les dossiers ; elles doivent permettre d'aller de l'avant.
L'État doit-il tout faire ? Doit-on parler de déconcentration ou de décentralisation ?
Pour finir, je voudrais évoquer la question du périmètre des territoires. On est passé de 2 000 à 1 200 ou 1 300 intercommunalités. Comment concevoir une intercommunalité écartelée entre trois ou quatre périmètres différents - pour la santé, l'Éducation nationale, les arrondissements... ? Se pose donc la question du rôle de coordonnateur du préfet s'agissant des schémas départementaux d'accessibilité des services au public, qui sont départementaux. Idem pour le rôle du sous-préfet : doit-il travailler uniquement au niveau de sa sous-préfecture ou a-t-il une mission départementale ?
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je donne la parole à M. Alexandre Touzet, , vice-président du conseil départemental de l'Essonne, qui intervient pour l'Assemblée des départements de France. Il est accompagné de MM. Amaury Duquesne et Jérôme Briend, ainsi que de Mme Marylène Jouvien.
M. Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l'Essonne. - Je commencerai en saluant l'action des services de l'État, qui ont vécu en une génération une transition extrêmement importante.
Nous ne sommes pas en première ligne, comme les communes et les intercommunalités. Le retrait des services du département ne nous touche pas directement, mais la loi nous impose de mettre en place des mesures compensatoires en direction du bloc communal. Cet effet redistributif a un impact sur nous : nous devons prendre à notre charge la mission d'ingénierie territoriale, alors que la situation financière des départements est difficile.
Dans nos relations avec l'État, nous entendons un discours unique sur les fonctions exercées par l'État déconcentré. Mais, en pratique, un préfet ou un sous-préfet peut parfois être « interventionniste », à bon escient, alors que les services déconcentrés restent dans une logique régalienne.
Sur la nouvelle cartographie qui se met en place, il est logique de faire coïncider le bloc local et les services territorialisés des départements. Le problème vient de l'Éducation nationale, qui reste toujours à part.
On a noté le risque de délaissement des acteurs territoriaux. La mise en cohérence de ces acteurs est une bonne chose, mais n'y a-t-il pas derrière cela une volonté de l'État de ne plus financer à terme les schémas d'accessibilité des services au public ?
Il faut absolument maintenir un équilibre entre l'État déconcentré au niveau régional, qui exerce une fonction stratégique, et l'État déconcentré à l'échelon départemental, qui exerce une fonction opérationnelle. Le sous-préfet doit rester le poste avancé dans les territoires.
Le dialogue social est nécessaire dans le cadre des restructurations de l'État. Je me souviens que, lorsque les départements ont récupéré les collèges, nous avons trouvé des personnels techniques complètement délaissés, manquant de repères hiérarchiques. Il faut aussi réfléchir à la question de la formation, initiale et permanente, du corps préfectoral, si on lui confie de nouveaux métiers.
Enfin, s'agissant du contrôle de légalité, on constate un hiatus entre le nombre d'actes à contrôler et les effectifs mis en place par l'État. En matière financière, il faut réfléchir à un autocontrôle des collectivités à base de certification. L'État doit tenir un discours de franchise, entre la sécurité juridique qu'il doit assurer et les moyens qu'il met à disposition des services déconcentrés.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie pour ce propos équilibré.
Je donne maintenant la parole au directeur général de Régions de France, qui est accompagné de Mme Marie-Reine Dubourg, conseillère aux relations parlementaires.
M. Gilles Mergy, directeur général de Régions de France. - Je vous prie d'excuser l'absence de Philippe Richert, qui est retenu en région. Tous les présidents de région, même les plus girondins d'entre eux, considèrent que la France n'est pas un État fédéral. Par conséquent, la présence de l'État dans les territoires de la République n'est ni contestable ni contestée. Elle est pleinement légitime pour assurer les missions régaliennes - éducation, justice, ordre public, gestion de crises, sécurité publique, sanitaire et environnementale.
En revanche, les contraintes de finances publiques et les exigences d'efficacité de l'action publique plaident pour une nouvelle organisation de l'État déconcentré, un renforcement sur ses missions essentielles et l'abandon des doublons découlant des compétences décentralisées aux collectivités locales. S'agissant de ces dernières, nous plaidons soit pour des compétences exclusives d'un niveau de collectivités locales, soit, a minima, pour un chef de filat renforcé.
La question des doublons se pose quant à elle, du point de vue des régions, essentiellement pour le champ du développement économique et de la formation professionnelle, le pôle 3E des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Nous estimons que 500 personnes font pour l'État les mêmes missions que les régions en matière de développement économique et 1 200 dans le champ de la formation professionnelle.
La loi NOTRe a permis quelques évolutions positives, notamment la délégation de la compétence emploi pour les régions - cela permettra de mieux articuler le rôle des DIRECCTE et des régions -, le pilotage du plan 500 000 formations pour les demandeurs d'emploi, confié aux régions et pas aux DIRECCTE, et les crédits d'animation des pôles de compétitivité.
L'État déconcentré est pleinement légitime pour les questions de contractualisation des politiques publiques. Il reste des compétences partagées entre l'État et les collectivités locales : cela a du sens de contractualiser en matière d'enseignement supérieur et de recherche, d'emploi, de transport, si l'État ne cherche pas à faire financer ses propres priorités par les collectivités locales et si Bercy honore les engagements pluriannuels de l'État.
Plusieurs missions régaliennes de l'État sont sous-exercées aujourd'hui : la police nationale, la protection des consommateurs, la gestion des risques naturels et technologiques, la justice.
En ce qui concerne les réformes successives de l'État, nous sommes assez perplexes. Il manque une vision claire de ce que doit être l'État déconcentré. À quel niveau géographique - régional ou départemental - l'État est-il le plus pertinent ? On observe aussi une certaine inertie des services de l'État déconcentré, notamment les DIRECCTE.
Pour autant, nous estimons que, dans le cadre de la fusion des régions, la mission conduite par le préfet Jean-Luc Nevache sur la réorganisation des services de l'État au niveau régional est exemplaire, tant en matière de dialogue avec les régions que de choix de la spécialisation géographique fait par les services de l'État. Néanmoins, les régions n'ont pas retenu cette approche de spécialisation des anciennes capitales régionales.
L'État déconcentré est donc pleinement pertinent pour assurer les missions de contractualisation, les missions régaliennes, les missions de contrôle de légalité. L'organisation administrative de l'État, qui relève du pouvoir réglementaire, ne contrecarre-t-elle pas parfois le souhait du législateur en matière de décentralisation de compétences ? L'expertise technique territoriale a été assez largement abandonnée par l'État ; les agglomérations et les départements peuvent prendre le relais de l'État en la matière.
M. Jean-Marie Bockel, président. - La parole est maintenant au directeur des ressources humaines et au directeur du projet plan Préfectures nouvelle génération du ministère de l'Intérieur.
M. Stanislas Bourron, directeur des ressources humaines du ministère de l'Intérieur. - Cette table ronde est très intéressante pour nous : il est toujours utile d'entendre les positions de nos partenaires du quotidien représentant les différentes catégories de collectivités et d'EPCI. Je précise que nous intervenons au nom du ministère de l'Intérieur, et non pour le compte des autres ministères cités : finances, écologie, transports.
La réforme des préfectures doit permettre de répondre à certaines inquiétudes ou demandes exprimées. Nous nous inscrivons dans un contexte de contrainte budgétaire forte qui pèse sur l'État et ses services déconcentrés et qui a conduit notamment à la création des directions départementales interministérielles.
Après des années pendant lesquelles il a fallu « rendre » des postes, le ministère de l'Intérieur s'est demandé s'il était encore tenable, pour assurer des missions vitales et d'avenir qui sont demandées par nos partenaires locaux, de continuer la logique du rabot. La réponse a été négative. Il fallait trouver une solution différente, en s'interrogeant de nouveau sur les missions menées. C'est l'origine du plan Préfectures nouvelle génération, amorcé à l'été 2015. Celui-ci répond à un certain nombre de préoccupations : revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire aux missions régaliennes des services du ministère de l'Intérieur et des préfectures sur le terrain. Comment conforter au niveau départemental les services de l'État et les préfectures ? L'un des choix faits a été de « socler », c'est-à-dire de fixer un seuil minimum d'effectifs par préfecture pour les plus petites d'entre elles. En dessous de ces seuils, nous ne pouvons plus assurer nos missions. Cela répond au souhait exprimé de conserver un niveau pertinent d'intervention à l'échelon départemental.
On a assisté à une baisse importante des effectifs affectés au contrôle de légalité, à l'expertise juridique et au conseil. Là aussi, nous voulons « socler » un effectif minimum. Grâce à la réorganisation en cours, nous allons pouvoir dégager des moyens nouveaux pour renforcer ces services. Nous pourrons ainsi apporter du conseil, et non plus seulement du contrôle.
La proximité est maintenue. Nous souhaitons adapter la carte des arrondissements aux nouvelles intercommunalités. Les sous-préfectures sont maintenues, pour conseiller les communes rurales.
Enfin, il faut utiliser de nouveaux outils technologiques. Les usagers ont des attentes différentes. Nous allons déployer de nouvelles mécaniques plus modernes pour la délivrance de différents titres en préfecture, afin de fournir un meilleur service public.
M. Michel Bergue, directeur du projet plan Préfectures nouvelle génération. - La réforme des préfectures - le plan Préfectures nouvelle génération - est axée sur la préfecture de département et sur les sous-préfectures. Elle ne concerne pas l'échelon régional. La philosophie qui a présidé à cette réforme, c'est de passer, pour un certain nombre de compétences traditionnelles des préfectures, à l'administration numérique.
Un volet important de la réforme est la délivrance de quatre titres traditionnellement délivrés par les préfectures : la carte nationale d'identité, le passeport, le permis de conduire et le certificat d'immatriculation. La numérisation de ces procédures est destinée à dégager des économies en personnel sur les tâches de production répétitives, pour réduire les effectifs et renforcer les quatre missions identifiées comme prioritaires par le ministre de l'Intérieur : l'expertise juridique, la coordination territoriale des politiques publiques, la gestion de crise et enfin la lutte contre la fraude documentaire. Parallèlement, un effort important de formation est engagé pour libérer une matière grise supplémentaire dans les préfectures. Voilà la philosophie générale de la réforme.
Dès la fin des années 2000, la proposition de loi sur la protection de l'identité envisageait la numérisation de la délivrance des titres. La réforme en cours ne reprend pas l'ensemble de cette loi, en grande partie censurée en 2012 par le Conseil constitutionnel, mais le principe de sécurisation des titres d'identité y était déjà inscrit.
Les discussions conduites depuis quelques mois, notamment avec le Comité des affaires générales de l'Association des maires de France (AMF), nous ont donné l'occasion d'expliquer dans quelles conditions nous envisagions de modifier les conditions de délivrance de la carte nationale d'identité. Ce n'est pas un transfert aux collectivités locales, mais une nouvelle répartition des compétences entre les mairies équipées de dispositifs spéciaux pour la délivrance des titres et les autres. Au demeurant, le représentant de l'AMF au Comité national d'évaluation des normes a voté en faveur du décret instituant cette réforme.
M. Vanik Berberian. - Ce n'est pas tout à fait vrai.
M. Michel Bergue. - Le Comité national d'évaluation des normes (CNEN) s'est prononcé en faveur du décret, avec certaines conditions que nous sommes en train de mettre en oeuvre.
Nous sommes sensibles au souci des communes de conserver un lien avec leurs habitants ; mais je rappelle que les cartes nationales d'identité ayant une durée de validité de quinze ans, la périodicité du lien auquel vous faites référence est assez peu fréquente... Quoi qu'il en soit, dans un souci de maintien de la proximité, nous avons donné aux communes la possibilité - sur la base du volontariat - de mettre en place la pré-demande en ligne, proposant au demandeur une saisie informatisée. Il existe un dispositif analogue pour le permis de conduire et la carte grise.
Parallèlement, cette réforme devrait dégager des économies sur les tâches répétitives de délivrance des titres et renforcer les effectifs dédiés par les préfectures et sous-préfectures à l'ingénierie publique. Le ministre de l'Intérieur y tient particulièrement.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour cet exposé très intéressant.
M. Charles Guené. - Je me félicite que nous ne nous restions pas dans la nostalgie. Nous entrons dans une véritable révolution ; le numérique et la dématérialisation modifient les services tels que nous les connaissions.
S'agissant des inquiétudes des communes rurales, il faut reconnaître qu'il existe une large part de ressenti, dû en grande partie aux réformes territoriales successives qui ont, à mon avis, éloigné le citoyen de ses centres de décision. Il n'y a plus de conscience des réalités ; même la crédibilité de l'intercommunalité est remise en cause sur le terrain.
Admettons également un problème de moyens : l'ingénierie ne relève plus exclusivement de l'État, puisqu'elle est reprise en partie par les collectivités et le secteur privé. Or, dans les territoires ruraux, il n'y a plus de masse critique pour la faire vivre.
Le coeur du sujet est la nouvelle césure entre les services de l'État, les collectivités territoriales et le privé. L'échelon privilégié de l'ingénierie est à mes yeux le département. À ce niveau, trois acteurs sont impliqués : les départements, les intercommunalités - davantage que les communes - et l'État. Or le contenu de la solidarité territoriale n'a pas été défini. Les intercommunalités et départements s'interrogent sur la répartition des compétences : dans mon département, la Haute-Marne, l'eau et l'assainissement doivent aller aux intercommunalités, mais les compétences sont au niveau des services départementaux. Il conviendrait de constituer un syndicat départemental où seraient reversés les personnels compétents. Or ce n'est pas ce qui se fait.
L'État donne l'impression d'avoir des préoccupations existentielles, mais de négliger son rôle de pilote, comme pour ce qui est des schémas d'accessibilité, auxquels les intercommunalités auraient dû être associées. En l'état, tout blocage d'une des parties compromet l'avancée des travaux, et le cas se produit souvent. Pour avancer dans la mise en place de l'ingénierie, il faut redéfinir la notion de solidarité territoriale, mettre en place une nouvelle culture et réunir les acteurs autour d'une table.
M. Jean-Marie Bockel. - Nous sommes plusieurs à pouvoir témoigner de ces blocages.
Mme Nelly Tocqueville. - Les collectivités éprouvent souvent le sentiment de ne pas être associées aux décisions qui les concernent, malgré la « galaxie d'instances locales » - l'expression est d'une personne que nous avons rencontrée -, censées faciliter le dialogue : nous avons recensé 75 commissions départementales ou régionales consacrées à la concertation avec les collectivités...
Il existe également une forte demande de concertation avec les préfets et sous-préfets, dont le rôle a été renforcé. L'Association des départements de France (ADF) a reconnu, lorsque nous l'avons entendue, que « la concertation locale avec l'État s'incarne de façon privilégiée dans les départements », insistant sur le pragmatisme à ce niveau, car « l'État est au plus près des réalités de terrain ». Le travail réalisé est par conséquent reconnu.
Toute réforme entraîne des questionnements, des remises en cause et des doutes. Maire d'une commune et vice-présidente de la métropole de Rouen, qui compte 500 000 habitants, je puis témoigner que la réorganisation d'un territoire n'entraîne pas nécessairement une relégation des petites communes : c'est une question de volonté, celle de maintenir les liens entre l'EPCI et les élus de proximité. Au sein de la métropole, je suis tout particulièrement chargée de ces questions. C'est une transition difficile à appréhender et à vivre pour les élus locaux, mais aussi pour certains de nos concitoyens qui perdent leurs repères. Redonner une priorité au préfet, au sous-préfet et de manière générale à l'État dans le département est aussi une force.
Il convient enfin de réfléchir au rôle du Sénat dans cette réorganisation, et de mettre en valeur sa place auprès des collectivités.
M. Jean-Marie Bockel. - Je m'associe pleinement à nos propos. En tant que président de communauté d'agglomération, j'ai reçu davantage de critiques que l'État sur le thème du manque de proximité. J'ai dû en conséquence remettre en question ma propre gouvernance pour engager une démarche de proximité et d'écoute. Lorsque nous nous tournons vers l'État, n'oublions pas de balayer devant notre porte.
M. René Vandierendonck. - Ce rapport arrive à point nommé. La ministre Marylise Lebranchu, sous prétexte que cela relevait du domaine réglementaire, avait refusé que s'engageât le débat sur la déconcentration au moment de l'examen des lois MAPTAM et NOTRe.
Je me félicite du rééquilibrage des effectifs et savoir-faire au sein des territoires et au niveau départemental. Mais nous étions il y a deux semaines à Aurillac, où, avant la RGPP, la préfecture employait 164 personnes ; elles sont 100 aujourd'hui... Pour saisir les opportunités - je songe notamment à la mobilisation du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et du Fonds européen de développement économique régional (FEDER) - nous avons besoin d'une matière grise au plus près des besoins ainsi que d'un État facilitateur. Il faut pour cela mettre en oeuvre une bonification indiciaire, afin que ceux qui sont encore en surnombre dans les services régionaux soient incités à travailler au plus près de la production des dossiers, c'est-à-dire à l'échelon départemental.
Depuis le décret de 1970 sur la déconcentration, les rectorats sont en-dehors du périmètre ; et, plus grave encore, le ministère de l'Écologie a recentralisé ses compétences. Je me suis entendu dire par des préfets de région que les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) se référaient directement au ministère, rendant impossible toute adaptation locale des normes dont ces directions sont pourtant le principal émetteur.
Le président Larcher a souligné, lors des débats sur la loi NOTRe, que pour les services économiques comme pour la formation, le travail de préparation du transfert de personnel de l'État vers les régions n'avait pas été effectué. Or un agent de la Région qui perd une partie de ses prérogatives devient généralement un contrôleur des normes particulièrement pointilleux ; c'est humain...
Lors du congrès de l'Association des départements de France (ADF), les intervenants ont rappelé fort logiquement que les départements n'étaient pas cantonnés au social et qu'ils avaient un rôle à jouer dans l'ingénierie au service des territoires. Ce n'est pas parce le paysage intercommunal a été rationalisé que les collectivités sont égales devant l'ingénierie territoriale. À l'État et aux départements de jouer leur rôle.
M. Antoine Lefèvre. - La réforme des sous-préfectures devrait être conduite avec le même pragmatisme que la refonte des juridictions, désormais complètement acceptée. Il conviendrait de renforcer les moyens des préfectures plutôt que de maintenir des sous-préfectures qui, souvent, n'emploient guère qu'un chauffeur, une cuisinière et une assistante... Inciter avec une réforme indiciaire peut être une solution ; fort heureusement, nous avons des sous-préfets motivés, mais qui n'ont pas les moyens suffisants au niveau local. Il faut maintenir, mais aussi rationaliser. On ne peut défendre un modèle qui n'existe pratiquement plus.
M. Joël Labbé. - La mutation dans laquelle nous sommes engagés nécessite l'acquisition d'une nouvelle culture, qu'il convient aussi de diffuser au sein de la population, avec laquelle le fossé se creuse. Les maires, adjoints et conseillers municipaux sont les premiers interlocuteurs de la population ; ce sont les garants du lien entre la puissance publique et les administrés. Ma collègue Nelly Tocqueville a signalé l'excellente initiative de la métropole de Rouen, qui l'a chargée du lien avec les petites communes. Une proposition de loi dont François Calvet est le coauteur, votée par le Sénat à la quasi-unanimité en première lecture, prévoit la création d'un poste de référent juridique pour conseiller et informer les porteurs de projet, ainsi qu'une conférence de conciliation et d'accompagnement des projets locaux dans le domaine particulièrement sensible de l'urbanisme. Ce sont des initiatives importantes.
M. Christian Manable. - Les réformes territoriales se sont bousculées depuis quelques années, causant beaucoup de soucis et de travail aux élus locaux. Mais gardons-nous de tout conservatisme nostalgique. Dans l'inflation des réformes, la création des communes nouvelles prévue par la loi Pélissard s'est révélée tout à fait pertinente au regard du nombre excessif de communes en France - nous détenons le record européen. Cette loi est surtout pertinente pour les petites communes, parce que la dynamique vient du terrain, du bas, des initiatives locales, des élus, acteurs économiques, associatifs, etc. Co-rapporteur de la loi, j'ai pu, lors des travaux préparatoires, constater les progrès qu'elle représentait. Dans le département du Maine-et-Loire, près de la moitié des communes ont formé des communes nouvelles. Mon département, la Somme, compte 782 municipalités, au troisième rang national, dont 752 sont rurales et 117 comptent moins d'une centaine d'habitants. Cela a-t-il encore un sens ? Mourir seul ou vivre ensemble, voilà l'alternative.
On entend souvent que les réformes territoriales ont éloigné les services de la population ; mais, dans l'Ouest, la mise en place des communes nouvelles a permis le maintien de services de proximité que les communes rurales n'auraient pu assurer à elles-seules.
M. Louis Pinton. - Dans l'Indre, Vanik Berberian pourra en témoigner, l'absence d'un sous-préfet pendant trois ans n'a pas causé de variations notables dans l'action publique locale... La loi NOTRe, qui relève de ce que l'on pourrait appeler la marotte du changement, a eu un effet dévastateur en éteignant, à travers les transferts de compétences, l'action publique des départements et régions en matière d'agriculture et de développement économique ; mais si malgré cela les services continuent à fonctionner, alors il faut s'interroger sur la qualité de cette action publique qui était conduite.
Mme Éliane Giraud. - Je partage l'opinion selon laquelle il faut s'interroger sur l'efficacité de la puissance publique et, à travers elle, sur les métiers et les savoir-faire. On a l'impression que, dans les administrations territoriales, tout le monde peut remplacer tout le monde.
Il convient de revenir aux fondamentaux. Dans les territoires ruraux, le principal enjeu à mes yeux, est le maintien de l'emploi, l'introduction de l'innovation et l'accompagnement vers la modernité. Cela dépasse le cadre de l'informatique. Comment y parvenir, avec quels supports et quelles priorités ?
Le dialogue avec l'État, n'est pas seul en cause : il convient aussi d'améliorer les méthodes de travail entre régions, départements et intercommunalités, et de faire appel à l'imagination. Encore faut-il être clair avec les personnels : dans la situation actuelle, on a l'impression qu'ils ne servent à rien dans certains cas, ou ne sont pas suffisamment spécialisés.
Redéfinir leurs métiers et leurs missions, tel est le chantier auquel nous faisons face, en partant de la réalité vécue. J'ai présidé un parc naturel régional pendant seize ans. La question centrale de la ruralité est l'économie : en zone rurale, les populations n'ont pas forcément le désir de se déplacer pour chercher du travail. Il faut donc moderniser les entreprises existantes, mais aussi offrir un accompagnement, notamment en matière de documents d'urbanisme. J'ai chargé une personne d'accompagner les maires dans la définition du cahier des charges adressé aux entreprises. Résultat, nous n'avons eu aucun problème dans l'adoption des plans locaux d'urbanisme. Il est nécessaire de redéfinir la forme de conseil dont les territoires ont besoin, en entrant dans le détail. L'imagination est sur le terrain ! Dans le parc naturel régional que j'ai présidé, des centaines de bénévoles portaient les manifestations, en s'investissant en-dehors de leur travail.
Mme Rachel Paillard, membre du comité directeur de l'Association des maires de France. - Au-delà de ces expériences certes positives, il convient de travailler sur la place et le rôle de l'État. Les élus ne sont pas figés sur leurs positions, mais nous avons un problème de gestion de la ressource humaine. Ainsi, nous ne sommes pas attachés aux sous-préfectures ad vitam æternam, mais nous avons besoin d'un interlocuteur identifiable.
Concernant la carte d'identité, je ne peux laisser dire que nos services ne rencontrent nos concitoyens que tous les quinze ans. Il s'agit d'un réel contact, d'autant qu'une mère vient parfois déposer un dossier pour son fils, et que ces démarches nous donnent une meilleure connaissance de la population, notamment les familles recomposées. Comment peut-on nous demander de travailler sur la radicalisation sans cette connaissance de terrain ? Sur ce dossier, la concertation n'a pas été parfaite, loin de là. Nous avons découvert les expérimentations menées dans les Yvelines et le Morbihan par les réseaux locaux.
Notre principale demande est l'amélioration de la concertation entre l'État et les collectivités ; le Sénat y a toute sa place.
M. Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France. - L'exemple de la carte nationale d'identité illustre parfaitement le manque d'échange et de coordination. La CNEN a en effet rendu un avis favorable, mais avec des réserves ; les maires n'ont pas été informés des expérimentations conduites. La méthode est essentielle. Dans le périmètre d'économies générales, les élus sont soumis à l'obligation de rendre des postes et des fonctions, mais la suppression d'actions n'est jamais évoquée. Une expertise serait à mener dans ce domaine. Ce que l'on fait à chaque échelon est-il toujours utile ?
Le développement du numérique, qui imprègne notre quotidien, et l'affaiblissement de la parole politique conditionnent fortement notre action. Ils ne peuvent être évacués.
Concernant l'approche, je suis très sensible à la dimension psychologique. Il est démoralisant pour des élus de voir une sous-préfecture fermer : les symboles comptent. La République doit être partout, y compris dans les territoires ruraux. Au-delà des communes nouvelles, le véritable enjeu reste la présence de l'État. Autre exemple de l'importance de la psychologie, la réorganisation des implantations de La Poste a entraîné une guerre ouverte avec les élus, jusqu'à ce que son président, Jean-Paul Bailly, annonce qu'il ne fermerait aucun bureau sans l'accord du maire. Par cette simple déclaration, il a déminé le sujet. Il y a également des leçons à en tirer sur le plan de la méthode : un Observatoire national de la présence postale associe l'AMF, l'État et La Poste dans un partenariat décliné sur le terrain, au niveau local. Voilà une approche démocratique. À l'opposé, quelle fantaisie que les Conseils départementaux de l'éducation nationale (CDEN) ! Pour retrouver une utilité, il conviendrait qu'ils appliquent les méthodes de concertation que j'ai évoquées.
Enfin, l'espace de référence dans les territoires ruraux reste le département. Envisager de supprimer cet échelon était catastrophique.
M. Jean-Marie Bockel. - Il y a du moins un temps pour tout. La précipitation avec laquelle ce projet a été annoncé a créé de la confusion, et je me félicite que le projet ait été abandonné.
M. Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France. - La notion d'accueil et de proximité n'est pas la même pour tout le monde, notamment pour les jeunes générations. Ce débat ne fait que commencer. Je représente une commune issue de la loi Marcellin ; nous passons désormais aux communes nouvelles. Dans nos communes associées, 2,5 personnes sont accueillies par jour en moyenne : c'est sans commune mesure avec le passé. Le maintien de la proximité ne saurait servir de prétexte à l'inaction.
Le préfet a-t-il toujours la clause de compétence générale ? La question ne concerne pas seulement la carte d'identité, mais la culture de la sécurité civile dans son ensemble. Il faut délimiter le domaine du régalien, ce qui nous renvoie à la question de la contractualisation : le schéma départemental d'accessibilité aux services publics doit être discuté par les administrations, les conseils départementaux et les délégations régionales. Communes et intercommunalités ont un rôle commun à jouer dans ce domaine.
Dans ces conditions, l'État ne doit pas plaquer sur l'organisation territoriale les décisions qu'il prend pour son propre personnel. Quelque 77 % des agents des collectivités relèvent de la catégorie C. L'homologie ne fonctionne pas.
M. Jean-Marie Bockel, président. - On nous impose des niveaux de rémunération...
M. Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France. - L'État ne doit pas infantiliser les élus.
M. Alexandre Touzet, vice-président du conseil départemental de l'Essonne. - Les fonctionnaires des services déconcentrés sont, comme les élus, épuisés par la réforme territoriale et la production normative. La France ira mieux lorsque nous serons réellement passés à l'État déconcentré.
Pour « socler » l'ingénierie dans les territoires, le ministère de l'Intérieur doit agir en cohérence avec l'État législateur, qui prévoit la spécialité territoriale des départements. C'est par conséquent une question de moyens.
Enfin, le sous-préfet doit être détaché de la sous-préfecture pour exercer une mission à la fois territoriale et transversale sur certaines thématiques.
M. Jean-Marie Bockel. - Cela se fait souvent dans la pratique.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure. - Les échanges ont été intéressants, parfois iconoclastes. J'en retiens le refus de la nostalgie et un besoin d'évolution de la présence de l'État dans un contexte de réforme territoriale : non pas plus d'État, mais mieux d'État. Les réformes territoriales ont commencé dans un contexte beaucoup plus drastique budgétairement, la RGPP ayant réduit les moyens de l'État et rendu exsangues certains services territoriaux. J'ai ainsi pu observer que, dans les commissions départementales chargées du handicap, nous avons parfois du mal à faire venir les représentants de l'État.
Vous demandez aussi un État moins tatillon dans ses contrôles, mais plus présent dans le conseil en amont et l'accompagnement. L'exemple de La Poste a été cité comme une évolution plutôt réussie ; l'organisation des DREAL a été critiquée. En tout état de cause, la réorganisation doit passer par le préfet, caisse de résonance globale de la mise en cohérence de l'État. La question de l'ingénierie s'est posée dès la disparition de l'Assistance technique pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) ; les départements n'ont pas attendu la loi NOTRe pour travailler sur les solidarités territoriales. Le département est le niveau privilégié de la péréquation ; les communautés de communes ont d'autres missions. Il ressort de vos propos un besoin d'État en amont : davantage de moyens dans les territoires, mieux ciblés et définis. Parallèlement, vous regrettez tous de ne pas être assez associés à la réforme de l'État dans les territoires.
Quel sera le rôle du Sénat une fois entrée en vigueur la loi sur le non-cumul ? J'ai démissionné de mes mandats exécutifs locaux dès que mon groupe politique a appliqué la mesure. Or en perdant ses mandats locaux, on ne peut plus siéger au sein de la Commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI), ni dans la Commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA). Avec René Vandierendonck, j'ai tenté d'associer les parlementaires à ces instances via une proposition de loi, mais le texte n'est pas allé au bout du processus législatif en raison de l'opposition de la commission des Lois. Il conviendrait d'y revenir.
Mme Catherine Troendlé. - En tant que membre de la commission des Lois, je me dois de signaler qu'un texte a tout récemment réintroduit cette mesure ; Rien n'empêche les sénateurs d'assister aux réunions des CDCI, qui sont publiques. De plus, les conseillers municipaux et communautaires peuvent y siéger.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Certes, mais les sénateurs feront valoir qu'il leur est difficile, avec leur emploi du temps chargé, de s'y rendre sans recevoir de convocation. On ne peut pas être et avoir été...
M. Éric Doligé, rapporteur. - Toutes les lois de réforme territoriale mettent en avant la simplification et la clarification. Or, que ce soit en termes de rôle du préfet, de présence dans les territoires ou d'économies - celles-ci restent pour l'instant concentrées dans les services de l'État - cette table ronde montre que la clarification est encore loin. Quant à la simplification, elle est difficile à discerner dans l'empilement des niveaux, de la commune à l'État en passant par l'intercommunalité, la métropole... Ces niveaux ne trouvent pas leur positionnement, et l'on crée des doublons au lieu d'en supprimer.
Le rapport que Marie-Françoise Perol-Dumont et moi-même préparons a pour objet d'apporter des réponses en matière de réorganisation des services déconcentrés. Chacun s'est exprimé librement et de nombreux points de convergence ont pu émerger.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Cette table ronde témoigne du rôle privilégié du Sénat en tant que chambre des territoires. Merci à l'État de sa présence et de son écoute !
Nomination de rapporteurs
M. Jean-Marie Bockel, président. - Mes chers collègues, nous devons maintenant désigner deux rapporteurs pour un travail de simplification des normes des installations sportives à entreprendre en coopération avec la commission de la Culture.
Lors de sa réunion du 3 octobre dernier, la délégation a souhaité entreprendre, en étroite coopération avec la commission de la culture, un travail visant à mieux encadrer le pouvoir réglementaire des fédérations sportives dans le domaine des installations sportives et à limiter son incidence sur les finances des collectivités.
Dans cette matière régie par le pouvoir réglementaire, il s'agit :
- de s'appuyer sur les recommandations des rapports publiés ces dernières années, en particulier celui de la mission commune d'information du Sénat sur le sport professionnel en avril 2004, et celui d'Alain Lambert et Jean-Claude Boulard sur la lutte contre l'inflation normative en mars 2013 ;
- d'entendre à nouveau l'ensemble des parties intéressées, à commencer par les représentants des collectivités territoriales et les fédérations sportives ;
- d'élaborer un projet de résolution qui sera examiné par le Sénat après avoir été préalablement présenté aussi bien à la commission de la Culture qu'à notre délégation, à travers le groupe de travail que préside Rémy Pointereau.
Il s'agirait de renforcer l'influence des représentants des intérêts des collectivités dans le processus d'examen des projets de normes par la Cerfres et, le cas échéant, par le Conseil national d'évaluation des normes.
Un contact pris avec la commission de la Culture a permis de vérifier sa disponibilité pour engager ce travail en commun. Il a été prévu de désigner quatre rapporteurs, deux provenant de la délégation et deux issus de la commission de la Culture. Dans chaque instance, les deux rapporteurs seront issus de la majorité et de l'opposition. Notre délégation pourrait désigner Dominique de Legge et Christian Manable, qui ont fait savoir leur intérêt. Christian Manable appartient à la commission de la Culture et pourra assurer le lien avec elle.
En fonction des autres obligations des rapporteurs, ce travail pourrait idéalement aboutir à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine.
La délégation valide la désignation de MM. Dominique de Legge et Christian Manable comme rapporteurs.