COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mardi 25 octobre 2016
- Présidence de M. Jean Claude Lenoir, président -La réunion est ouverte à 14 heures.
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté est réunie au Sénat le mardi 25 octobre 2016.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président et de Mme Annick Lepetit, députée, vice-présidente, Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, sénatrices, étant désignées rapporteurs pour le Sénat, MM. Razzy Hammadi et Philippe Bies et Mme Valérie Corre, députés, étant désignés rapporteurs pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président. - J'ai le plaisir d'accueillir nos collègues députés au Sénat pour la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, soit 210 articles, sachant que le Sénat en a adopté 54 conformes et en a supprimé 82.
Mme Françoise Gatel, sénateur, rapporteur. - Aux titres Ier et III, dont j'étais rapporteur, le Sénat s'est attaché à recentrer le projet de loi sur ses objectifs initiaux, considérant que l'Assemblée nationale avait fait preuve d'un activisme conséquent lors de son examen du texte.
Le Sénat a suivi six priorités : recentrer le projet de loi sur ses objectifs ; s'assurer que les dispositions adoptées puissent effectivement être mises en oeuvre ; supprimer les dispositions relevant du domaine réglementaire et les demandes de rapports ; éviter l'ajout de nouvelles contraintes pour les collectivités territoriales et les entreprises ; supprimer les dispositions revenant sur des mesures adoptées par le Sénat lors de l'examen de lois précédentes ; affirmer le rôle de législateur du Sénat et refuser qu'il ne soit relégué au rôle de chambre d'enregistrement, ce qui nous a conduit, par exemple, à durcir les règles encadrant l'ouverture des écoles privées.
Le Sénat a amélioré plusieurs mesures de l'Assemblée nationale telles que l'élection du candidat le plus jeune en cas d'égalité lors des scrutins européens et l'extension à tous les versants de la fonction publique du nouveau contrat d'intégration.
En revanche, à l'article 5, le Sénat a supprimé le tutorat pour les mineurs réservistes de la réserve civique, considérant qu'ils étaient déjà très opérationnels - mais a musclé le tutorat au sein de la réserve civique. À l'article 8, il a supprimé le congé pour l'exercice de responsabilités associatives, la très récente loi relative au travail ayant consacré dix-sept types de congés différents. Il a toutefois contribué à la nouvelle rédaction de l'article 14 bis A incitant les jeunes apprentis à la mobilité, ce qui lui tenait à coeur. Il a fortement simplifié l'article 43 instituant le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, considérant que la loi, qui fixe le cadre, ne doit pas être bavarde.
Le Sénat a veillé à l'étanchéité entre le service civique et l'emploi. À l'article 10, il a supprimé l'extension du service civique aux organisations internationales dont le siège est implanté en France, qui ferait concurrence aux stages, ainsi que la disposition donnant aux organisations syndicales la qualité de partenaires officiels des préfets pour le développement du service civique, à l'article 12. Pourquoi introduire les syndicats dans la gestion du dispositif, s'il ne s'agit pas de travail ? En revanche, au même article, le Sénat a réintroduit l'obligation de formation des tuteurs.
Le Sénat a supprimé, à l'article 8 ter, la possibilité de financer avec de l'argent public les dirigeants de moins de trente ans d'associations ayant des fonds publics comme unique source de financement. Proposer à des jeunes un salariat pour une durée de trois ans renouvelable trois fois, au sein d'une association, ce n'est pas le meilleur chemin vers l'emploi. Nous n'avons validé que partiellement l'ordonnance de 2015 portant simplification du régime des associations et des fondations dans la mesure où le champ de l'ordonnance outrepassait l'habilitation.
Le Sénat a adopté une position différente de celle de l'Assemblée nationale sur la possibilité pour un mineur de devenir directeur de publication. Cela déresponsabilise les familles et engendre des conséquences civiles ou pénales non négligeables. Enfin, le Sénat est défavorable à la pré-majorité associative. Ce sujet concerne en fait, l'abaissement de l'âge de la majorité, qui mérite d'être traité à part entière, dans un texte ad hoc.
En matière d'éducation, le Sénat n'a pas approuvé la demande du Gouvernement de le laisser instituer par ordonnance un régime d'autorisation pour l'ouverture d'une école privée, car un tel régime nous est apparu contraire à la Constitution, qui consacre la primauté de la liberté d'enseignement. Le Sénat a plutôt renforcé les exigences du régime de déclaration en vigueur, qu'il s'agisse de financement ou de respect des normes, et il a rendu obligatoire un contrôle annuel de ces établissements. Un dossier d'ouverture peut être si bien préparé qu'il sera conforme : c'est ce qui se passe ensuite qu'il faut examiner, il faut contrôler dans la durée.
Le Sénat a également précisé le lieu de contrôle de l'instruction en famille, à propos duquel la loi était ambiguë. Il a décidé que, sauf décision motivée de l'administration, le contrôle se déroulait sur le lieu où est dispensée l'instruction, d'autant que celui-ci peut se trouver dans une zone où l'État ne va presque plus.
Quant aux articles 16, 16 ter à 16 octies et 16 decies, relatifs aux collectivités territoriales, le Sénat n'a pas souhaité revenir sur les équilibres de la récente loi NOTRe : ce texte est trop récent pour que nous y revenions déjà, nous devons faire attention à ne pas ajouter de l'instabilité législative.
En ce qui concerne les médias, le Sénat a supprimé des dispositions relatives à la diversité dans les programmes audiovisuels. Comment s'assurer de la prise en compte de la diversité de la société française dans des programmes étrangers ? Ce serait se condamner à ne plus diffuser ces derniers. Quant aux quotas de langues régionales, tout a déjà été validé dans la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Le Sénat a amélioré la rédaction de l'article 44 B afin de préciser que le CSA devait veiller au respect de la dignité de toutes les personnes, et non seulement les femmes, dans les publicités.
Le Sénat a également souhaiter lutter contre les « corbeaux numériques » et les injures sur Internet à l'article 37, en excluant les journalistes et assimilés de ces délits - ce qui nous a valu des critiques pour une attitude « liberticide »...
Le titre III comportait de très nombreuses dispositions, notamment sur le bizutage, déjà qualifié de délit, non seulement pour ceux qui le commettent mais également pour ceux qui en sont spectateurs.
Concernant la fonction publique, le Sénat n'a pas adopté l'article 36 bis B, compliqué et illusoire, qui organise de fait un fichage des candidats aux concours administratifs. Enfin, s'agissant du jury de concours de l'ENA, les sénateurs ont constaté que les contraintes de l'agenda des parlementaires rendaient leur présence impossible quelque 40 jours par an pour assurer le suivi des épreuves. Ils ont en revanche proposé l'augmentation du nombre de non fonctionnaires à ce jury.
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président. - Merci de cet exposé précis et néanmoins concis des positions du Sénat.
Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, rapporteur. - En tant que rapporteur du titre II, je me suis penchée sur les attributions de logements sociaux et leur construction, les gens du voyage, les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Le Sénat a souhaité redonner leur place aux maires, au coeur des dispositifs, sans les exonérer de leur obligation de construction de logements sociaux ou de mixité sociale. Le Sénat a simplement souhaité une meilleure adaptation des objectifs aux spécificités du terrain dans un souci d'efficacité et de bonne gestion.
Nous avons privilégié la contractualisation entre les collectivités territoriales concernées et le préfet, sous la forme d'un contrat d'objectifs et de moyens, pour définir les obligations de mixité sociale. Nous sommes revenus au projet de loi initial en ne prévoyant pas de substitution automatique du préfet aux collectivités territoriales, aux bailleurs et aux réservataires, lorsque ces derniers n'atteignent pas leurs objectifs de mixité sociale. Nous avons maintenu les prérogatives des maires, diminuées par le projet de loi, telles que la délégation aux maires du contingent préfectoral, la possibilité pour une commune de créer une commission d'attribution et la voix prépondérante du maire au sein de celle-ci. Le contrat d'objectifs et de moyens entre le maire et le préfet définira le taux de logements sociaux que la commune devra atteindre - entre 15 % et 25 % -, ainsi que le calendrier.
Le Sénat a complété la liste des logements décomptés au titre de l'article 55 de la loi SRU : logements en accession à la propriété de manière encadrée ; aires permanentes d'accueil des gens du voyage ; résidences universitaires des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) ; logements sociaux vendus à leurs locataires depuis moins de dix ans, et pas seulement cinq ans.
Dans un contexte de baisse des dotations, le Sénat a supprimé l'aggravation des sanctions financières à l'encontre des communes carencées en logements sociaux, telles que la suppression de la dotation de solidarité urbaine (DSU).
Concernant les gens du voyage, le Sénat a souhaité répondre aux difficultés concrètes rencontrées par les élus locaux. Sans remettre en cause les nouveaux droits accordés aux gens du voyage tels que le droit à l'éducation des mineurs et la suppression des livrets de circulation, le Sénat a clarifié, au sein de la loi Besson, la répartition des compétences entre les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), tout en refusant d'alourdir excessivement les normes applicables aux collectivités territoriales. La nouvelle procédure de consignation des fonds des communes carencées a été supprimée car elle présente de forts risques d'inconstitutionnalité.
Le Sénat a également amélioré la gestion des grands passages en attribuant la compétence de police à l'État et en instaurant un mécanisme d'information des communes d'accueil.
En outre, nous avons renforcé le régime d'évacuation des campements illicites dans les communes respectant les exigences de la loi Besson : des précisions ont été apportées sur les zones d'évacuation, pour éviter la reconstitution immédiate des campements évacués ; deux nouveaux critères d'évacuation ont été ajoutés - entrave à l'activité économique et présence d'une aire d'accueil à moins de cinquante kilomètres ; les délais de procédure ont été réduits et les sanctions pénales doublées pour atteindre douze mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.
Enfin, le Sénat a réintroduit le dispositif de la commune de rattachement, qui limite à 3 % le nombre de gens du voyage inscrits sur la liste électorale d'une commune, ce qui évite que 350 000 électeurs puissent changer de circonscription tous les six mois.
J'en viens aux PLU et SCOT. À l'article 33, le Sénat a précisé les termes de l'habilitation relative aux PLU. Il a également supprimé l'habilitation sur les SCOT pour les remplacer par des dispositions « en dur ». Le Sénat a également introduit des assouplissements concernant les délais de « grenellisation » des PLU et de prorogation des plans d'occupation des sols (POS). Quand l'intercommunalité est engagée dans un PLU intercommunal (PLUI), ces délais sont repoussés au 31 décembre 2019. Quand l'intercommunalité n'est pas engagée dans une démarche de PLUI, le délai de prorogation des POS est repoussé au 31 décembre 2017, à condition que le Projet d'aménagement et de développement durables (PADD) soit adopté avant le 27 mars 2017. Le délai de « grenellisation » est quant à lui repoussé au 1er janvier 2019.
Par ailleurs, le Sénat a supprimé la majorité des demandes d'habilitations à légiférer par ordonnance afin de modifier directement le droit en vigueur, en matière de résidences universitaires, de caution de la personne morale ou d'habitat indigne.
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président. - Merci de cette présentation complète et concise.
M. Razzy Hammadi, député, rapporteur. - Je salue les propos des rapporteurs, dans le respect que les deux assemblées se doivent mutuellement. Je suis un jeune parlementaire qui effectue son premier mandat, rapporteur d'une commission mixte paritaire pour la deuxième fois. La configuration politique d'aujourd'hui est semblable à celle de la première fois, pour la loi relative à la consommation : l'ensemble de la gauche a voté pour le texte, avec une partie du centre.
Je n'entrerai pas dans le détail des rapports. Les éléments apportés par le Sénat doivent être entendus, dans le respect dû au travail parlementaire, notamment l'idée selon laquelle ce projet de loi bavard s'est nourri de l'activisme des parlementaires. Il peut être expurgé d'un certain nombre d'éléments qui ne modifient pas la loi. En revanche, la vivacité de l'Assemblée nationale ne doit pas être opposée à la sagesse du Sénat, celui-ci s'étant lui-même montré vivace, par exemple en imposant un stage citoyen à tout porteur d'une burqa.
L'opposition entre l'Assemblée nationale et le Sénat est tout simplement celle entre une vision de gauche et une vision de droite. Elle est un exemple à inscrire dans les manuels d'éducation civique.
Je salue la combativité des sénateurs d'opposition, tels que M. Favier, qui sait ce que signifie « mixité sociale ». L'abbé Pierre ne s'était pas déplacé à l'Assemblée nationale pour rien, lorsque la droite voulait remettre en cause la loi SRU. Il est facile d'oublier les morts, moins leur mémoire.
Je ne reviens pas sur la réforme de la loi de 1881. Le Sénat ne s'est pas illustré de la meilleure des manières, étant donné la sensibilité du sujet et la noblesse des engagements pris par l'ensemble du corps social en 1881.
Enfin, les conditions d'ouverture d'une école privée selon le principe d'autorisation ou celui de la déclaration préalable s'inscrivent dans une situation particulière, très complexe. Je suis moi-même élu d'une circonscription de Seine-Saint-Denis où des écoles, quelle que soit leur obédience, sont créées par déclaration. L'Assemblée nationale a beaucoup travaillé sur ce sujet. J'engage tous ceux qui le souhaitent à entrer en contact avec l'Éducation nationale, qui a recensé les problèmes.
Le travail sénatorial montre le clivage qui traverse la société. Que de temps perdu, que d'énergie mobilisée, que de travail pour un résultat dont nous connaissions l'issue dès les premières heures du débat ! Sans remettre en cause telle ou telle institution, tout ceci nous pousse à envisager une réforme de la procédure parlementaire. Je ne me soumettrai pas à un simulacre de recherche d'accord, alors que nous savons tous qu'il n'y en aura pas.
M. Pascal Thévenot, député. - Le débat, à l'Assemblée nationale, n'a pas opposé la droite et la gauche, mais la gauche et la gauche.
Moi qui suis très jeune député, à l'Assemblée nationale depuis quelques mois seulement, je suis aussi maire. Le maire n'est pas l'ennemi de la République, ni du logement, ni de la citoyenneté ; il en est au contraire le premier acteur. La grande différence entre l'Assemblée nationale et le Sénat, c'est que ce dernier l'a pris en compte.
La gauche, à l'Assemblée nationale, n'a pas été unanime : j'ai partagé nombre de votes avec M. Pupponi.
M. Philippe Dallier, sénateur. - Moi qui suis un vieux sénateur, je veux expliquer la position du Sénat sur l'article 55 de la loi SRU. J'accepte mal qu'en la matière, on fasse systématiquement appel à la mémoire de l'abbé Pierre, pour lequel j'ai autant de respect que nous tous. Lorsqu'il est venu s'exprimer à l'Assemblée nationale, la loi SRU avait pour objectif un taux de 20 % de logements sociaux en 2020 et non, comme actuellement, de 25 % en 2025. Lisez le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) : les communes concernées n'y parviendront pas, malgré leur volonté. Le Sénat a remplacé une contrainte intenable par un contrat entre l'État et la collectivité territoriale, comme l'article 55 actuel le prévoit déjà après le constat de carence. Vous le savez, monsieur Hammadi : en Seine-Saint-Denis, les objectifs du contrat de mixité sociale sont parfois inférieurs à ceux de l'article 55. C'est aberrant.
Le contrat entre le préfet et le maire doit s'appuyer sur des critères adaptés au terrain, qui est différent en Seine-Saint-Denis et dans la Creuse. Ne juger de la mixité sociale d'une commune que par le prisme du mode de financement des logements est absurde. Peut-être le Sénat est-il allé trop loin dans l'élargissement de la liste des critères définissant le logement social, et je suis prêt à en discuter, mais il faudra en venir à la contractualisation, car il n'est pas acceptable de fixer des objectifs impossibles à tenir puis de sanctionner les maires. Vous réussirez seulement à dégoûter les maires actifs.
Mme Isabelle Le Callennec, députée. - Je salue la tentative du Sénat de supprimer des mesures que les députés Les Républicains ont combattues, telles que la création du congé engagement ou l'habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance la législation relative à l'ouverture des établissements privés hors contrat - je pense particulièrement à l'instruction en famille.
Merci au Sénat d'avoir tenté de revenir sur des mesures coercitives à l'encontre des maires et tenté de réformer les obligations de l'article 55 de la loi SRU, qui ne doivent pas être taboues mais abordées avec pragmatisme. L'application de la même loi partout en France est devenue source d'injustices.
Je crains que le travail du Sénat, très abouti, ne soit pas reconnu à sa juste valeur. Il est dommage que la majorité de l'Assemblée nationale le balaie d'un revers de manche. Mais il indique une autre politique, qui pourrait être conduite par une autre majorité à l'Assemblée nationale.
J'ai bien noté que M. Razzy Hammadi acceptait d'expurger certains éléments du projet de loi. Nous verrons ce qu'il en adviendra dans notre débat prochain à l'Assemblée nationale.
M. Yves Rome, sénateur. - Je ne saluerai pas, pour ma part, les travaux du Sénat, non plus que le texte qui en est issu : il marque une ligne de fracture entre la droite et la gauche.
Pour nos collègues de droite, la justice sociale est une affaire de pragmatisme; pour nous, elle passe par une réponse globale, qui tienne compte des spécificités territoriales - la loi traite ainsi différemment les zones tendues. Mais vous avez examiné ce texte à travers le prisme de l'idéologie, avec la perspective de démanteler l'État-nation : c'est une mauvaise réponse aux quelque 1,9 million de nos concitoyens qui demandent un logement.
La preuve en est que vous avez allongé la liste des logements prioritaires en y ajoutant, entre autres, les aires d'accueil pour les gens du voyage et les logements pour étudiants, de façon à fausser la réalité des chiffres constatés partout.
Vous dites préférer le contrat à la contrainte. Mais si le contrat avait permis d'aplanir les difficultés, nous n'aurions pas besoin de contraintes !
Certains propos m'ont choqué, par exemple l'argument consistant à dire, au nom de la mixité sociale, que les pauvres n'auraient guère intérêt à habiter les quartiers riches, car ce serait leur rendre la vie encore plus difficile : cela ne correspond à aucune réalité !
Enfin, alors que la commission spéciale, à l'exception d'un de ses membres, avait accepté la création d'une Foncière solidaire pour le logement, pour produire davantage de logements et libérer le foncier détenu par l'État, la droite sénatoriale l'a refusée en séance plénière. Cette décision témoigne de votre peu d'appétence pour la production de logements supplémentaires, alors que notre pays en manque cruellement !
M. Philippe Bies, député, rapporteur. - Je salue le travail réalisé par les sénateurs, mais pas son résultat.
En matière de logement, s'il est vrai que la notion de « mixité sociale » est galvaudée, nos débats démontrent l'opposition entre deux visions de la société et des politiques de peuplement. Ainsi, pour favoriser la mixité sociale, si difficile à réaliser, et le vivre-ensemble, nous travaillons de façon progressive non sur le stock, mais sur les flux.
Nous nous opposons également sur le rôle des intercommunalités. Depuis le début de la législature, nous nous efforçons que les politiques du logement, en particulier l'attribution, relèvent de l'intercommunalité, car c'est l'échelon pertinent, en lien avec les maires et les bailleurs. Vous souhaitez, quant à vous, que les maires, y compris les plus réticents, conservent ces pouvoirs. C'est un point de désaccord.
A l'article 29, vous revenez sur l'article 55 de la loi SRU lui-même, qui est reconnu comme un progrès, y compris une majorité de députés de l'opposition. Vous ajoutez les logements étudiants et les aires d'accueil des gens du voyage - pourquoi pas les places de prison ? Nous avons rejeté un amendement en ce sens à l'Assemblée nationale...
Les pragmatiques ne sont pas forcément ceux que l'on croit. La rédaction du Sénat, idéologique, a sans doute vocation, comme l'a dit Mme Le Callennec, à préparer une éventuelle alternance.
M. Jacques-Bernard Magner, sénateur. - Le Sénat n'a pas pu examiner l'ensemble des articles en séance publique, car nombre d'entre eux avaient été supprimés en commission spéciale : je le déplore, car c'est contre le débat démocratique.
Sur le fond, Mme Le Callennec a annoncé la couleur : ce texte est le programme des Républicains pour 2017. Alors qu'il comportait tant d'avancées pour la jeunesse, vous avez cru bon de profiter de son examen pour proposer la création d'emplois d'appoint pour les jeunes, qui ressemblent au contrat de première embauche (CPE) de 2006, dont on connaît l'issue. Aurez-vous le courage d'y revenir dans vos programmes électoraux ?
Autre élément frappant : votre refus de sanctionner les publications contre l'interruption volontaire de grossesse (IVG) sur internet. C'est une régression, alors même que certains pays d'Europe de l'Est font marche arrière sur cette question.
Vous êtes même allés jusqu'à remettre en cause la loi de 1881, avant que Mme le rapporteur ne fasse marche arrière pour rattraper l'erreur commise au détriment des journalistes.
Sur le contrôle de l'instruction en famille, la position du Sénat est excessive. Comme s'il était question pour nous d'interdire l'instruction au sein de la famille !
Comme l'a dit le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, nos débats ont le mérite de mettre à jour la différence nette entre les idées de la droite et celles de la gauche.
M. Christian Favier, sénateur. - La différence entre la droite et la gauche s'est cristallisée sur la question du logement, ce n'est pas surprenant.
Personne n'a le monopole de la défense des maires : être favorable à la loi SRU, ce n'est pas se défier des maires, mais tenir compte de la situation exceptionnelle du logement dans notre pays. L'Île-de-France compte à elle seule 672 000 demandeurs de logement, pour 80 000 attributions de logement par an et cette situation ne fait que s'aggraver.
La contractualisation avec les préfets existe déjà et je ne connais guère de villes qui aient été sanctionnées quand elles faisaient un effort pour atteindre les objectifs de constructions de logements sociaux fixés par période triennale. En fait, la majorité sénatoriale s'en prend frontalement à la loi SRU : avec un objectif de contractualisation de 15 %, certains maires ne voudront pas aller au-delà, les demandeurs de logements seront obligés de quitter la commune et les logements sociaux continueront de se concentrer sur certains territoires, contre toute mixité sociale.
Je regrette que nous ne puissions pas parvenir à un accord.
Mme Françoise Gatel, sénateur, rapporteur. - La commission spéciale a travaillé sur la loi, elle n'a pas énoncé je ne sais quel catéchisme de droite. Ce texte vaut mieux que le présent débat : il n'y a pas, d'un côté ceux qui savent ce qu'est le bien, et, de l'autre, les mal-pensants.
Aujourd'hui, 130 000 jeunes sortent de l'école sans maîtriser les savoirs fondamentaux et des centaines de milliers de jeunes sont sans emploi. Ce qu'ils attendent, ce n'est pas de participer à des conseils de jeunes ! Ils souhaitent que l'école les aide à acquérir ces fondamentaux. Pour cela, le contrôle exercé sur l'école doit être sérieux : ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Il n'est pas vrai que le Sénat ait fait preuve de légèreté et que nous ne voudrions pas sécuriser les conditions dans lesquelles des écoles privées peuvent se créer. Philippe Dallier l'a dit, nous sommes tous conscients du dévoiement de la liberté de l'enseignement. Mais le Gouvernement ne nous convainc pas quand il prétend vouloir améliorer les choses par ordonnances, car l'Education nationale ne remplit déjà qu'aux deux tiers son obligation légale d'un contrôle annuel de l'instruction au sein de la famille et le mécanisme du second contrôle, pour les familles signalées, n'est guère opératoire. C'est pourquoi nous proposons de rénover la procédure déclarative, avec des contrôles renforcés et effectifs, un suivi réel.
Les sénateurs, comme les députés, sont très conscients de l'état de désintégration de la société. Nous voulons, pour notre part, une société basée sur la responsabilité et le respect de tous. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu d'une loi punitive et moralisatrice à l'encontre tant des élus, des entreprises que des citoyens.
M. Frédéric Reiss, député. - Je déplore le choix de la procédure accélérée pour examiner un texte de cette importance. À un an d'échéances électorales décisives, le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté est devenu un fourre-tout incohérent. Voyez les mesures relatives au logement : elles sont pour partie coercitives à l'égard des élus locaux, quand d'autres leur confèrent souplesse et liberté.
En dépit des 54 articles adoptés conformes par le Sénat, on ne peut que constater l'impossibilité d'un accord au sein de la commission mixte paritaire.
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président. - Il me revient de faire la synthèse des interventions... qui sera brève : je constate que la commission mixte paritaire ne peut parvenir à un accord.
Mme Annick Lepetit, députée, vice-présidente. - Je fais le même constat. Ce défaut d'accord ne présume pas de la qualité de nos travaux. À l'Assemblée nationale, notre commission a siégé près de 50 heures et examiné plus de 1200 amendements. Ce texte n'a donc pas été élaboré à la va-vite ! Il serait nécessaire d'avoir d'autres débats de fond, mais tel n'est pas l'objet de notre réunion.
M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, président. - Chaque équipe affichant ses performances, j'ajoute que la commission spéciale du Sénat a travaillé, pour l'essentiel, entre les deux sessions extraordinaires.
Mes chers collègues, si vous en êtes d'accord, je constate que la commission mixte paritaire n'est pas parvenue à un accord sur un texte commun. L'Assemblée nationale puis le Sénat examineront donc en nouvelle lecture le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté.
Soit dit en passant, j'invite nos collègues députés à écarter les dispositions irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution, comme nous l'avons fait nous-mêmes... avec un grand sens de l'équilibre puisque les amendements du groupe Les Républicains ont été les plus nombreux à être déclarés irrecevables.
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté.
La réunion est levée à 15 heures.