Jeudi 20 octobre 2016
- Présidence de M. Michel Magras, président -Examen de la proposition de résolution européenne sur l'inadaptation des normes agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques
M. Michel Magras, président. - Nous nous étions quittés en juillet dernier après avoir adopté le rapport de nos collègues Éric Doligé, Catherine Procaccia et Jacques Gillot consacré aux normes applicables à l'agriculture. Lors de nos auditions de la semaine dernière qui ont ouvert les travaux sur le second volet de l'étude sur les normes, consacré au secteur du BTP, nos invités n'ont pas manqué de saluer la qualité du travail réalisé par la Délégation sénatoriale. Les premiers effets de nos préconisations commencent à se faire sentir, des dossiers se débloquent à La Réunion notamment.
Il reste néanmoins beaucoup à faire, en particulier au niveau européen, pour défendre les intérêts de nos territoires, trop facilement oubliés. C'est pourquoi nous nous retrouvons aujourd'hui pour examiner une proposition de résolution européenne reprenant nos recommandations d'adaptation des normes agricoles. Elle comprend également un volet consacré aux accords commerciaux qui poursuit notre action en faveur d'un rééquilibrage des négociations européennes. Nous n'avons eu de cesse collectivement, depuis l'impulsion donnée par Serge Larcher que j'ai souhaité prolonger, d'alerter les autorités européennes sur la nécessité de prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques. Nous avons ainsi adopté des résolutions sur la banane, sur la politique de la pêche, sur la fiscalité du rhum et, vous vous en souvenez, encore cette année sur les sucres spéciaux pour infléchir les termes de l'accord avec le Vietnam.
Nos efforts convergent avec ceux des commissions permanentes du Sénat. La Commission des affaires économiques a également pointé l'inadéquation des normes agricoles dans un récent rapport. Le président de la Commission des affaires européennes est pour sa part intervenu auprès des autorités européennes pour s'inquiéter de l'inapplication des mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane avec les pays d'Amérique latine. C'est pourquoi Jean-Claude Lenoir, Jean Bizet et moi-même avons conjointement demandé à la Conférence des présidents d'inscrire l'examen de notre proposition de résolution européenne en séance plénière pour donner plus de solennité à son adoption par le Sénat. Le débat se déroulera le mardi 22 novembre au soir.
En outre, je vous proposerai à l'issue de notre réunion d'approuver la traduction en anglais, mais aussi en espagnol et en portugais, de notre proposition de résolution afin de mobiliser nos alliés d'Espagne et du Portugal, dont les RUP souffrent également des politiques européennes. Notre résolution sur le sucre a déjà été traduite en anglais. Le Président du Sénat Gérard Larcher a fait une nouvelle fois la preuve de son engagement sans faille pour nos territoires en cosignant avec moi un courrier de transmission de cette version anglaise à la Commission européenne. La réponse de la Commissaire Malmström est encore insuffisante mais nous invite à accentuer nos efforts de persuasion. Si nous parvenions à entraîner les parlements espagnols et portugais avec nous, en appui de nos collègues du Parlement européen, dont je salue l'action, nous serions encore beaucoup plus incisifs. Un déplacement de la Délégation, par exemple aux Îles Canaries, pourrait également être envisagé pour échanger sur nos problèmes communs !
Je laisse maintenant la parole à mes collègues qui vont vous présenter en détails le contenu de la PPRE. Pour en faciliter la lecture, chacune des recommandations, dans la dernière partie du texte, est numérotée.
M. Éric Doligé. - La proposition de résolution européenne que nous soumettons à votre approbation reprend les préconisations destinées aux instances européennes de notre rapport sur les normes agricoles. Comme nous l'avions souhaité lors de l'adoption du rapport en juillet dernier, ce texte permettra d'associer l'ensemble du Sénat à notre action et de soutenir très directement les efforts de nos collègues parlementaires européens, non seulement français mais aussi espagnols et portugais, pour faire reconnaître les spécificités des régions ultrapériphériques.
Notre proposition de résolution européenne intervient dans un contexte très particulier, marqué à la fois par la multiplication des projets d'accords de libre-échange et par des projets de modification des règlements européens de 2007 sur la production biologique et de 2009 sur les pesticides. Nous devons profiter de cette fenêtre d'action pour faire avancer nos positions dans les cercles bruxellois. C'est pourquoi notre texte vise à dénoncer l'inadéquation du cadre réglementaire phytosanitaire et de la politique commerciale de l'Union et à demander une réorientation au service du développement endogène des RUP.
Depuis plusieurs années, les filières agricoles des outre-mer ont consenti de très importants efforts pour faire face à la concurrence internationale en modernisant leur outil de production et en revoyant leur stratégie de commercialisation. Les gains de compétitivité réalisés ne sont pas dus à une baisse quelconque des standards sociaux et environnementaux. Bien au contraire, les outre-mer se sont engagés dans une politique vertueuse de mieux-disant social et environnemental, avec notamment une réduction drastique de l'emploi des herbicides, fongicides et pesticides et d'ailleurs le soutien financier de l'Union européenne.
Ces efforts d'adaptation sont toutefois menacés d'être réduits à néant par des politiques européennes inadaptées et incohérentes entre elles. En somme, ceux qui font des efforts sont pénalisés.
En effet, l'architecture de la réglementation phytosanitaire européenne est faite pour les conditions tempérées de l'Europe continentale, sans forte pression de maladies et de ravageurs. Elle ne tient pas compte des caractéristiques de l'agriculture en milieu tropical. Les RUP restent ainsi dans l'angle mort.
Cela contribue fortement à la prégnance des usages orphelins : seuls 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les RUP françaises sont couverts, alors que la moyenne nationale française s'établit à un taux de couverture de 80 % des besoins environ pour l'ensemble des cultures. Les filières de diversification sont très impactées, mais les grandes cultures de la banane et de la canne ne sont pas épargnées, car elles sont à la merci d'une perte d'homologation d'une poignée de produits absolument indispensables à la survie même des plantations. Les procédures d'homologation complexes, lourdes et onéreuses sont directement responsables de l'indisponibilité de solutions phytopharmaceutiques dans les RUP, alors même que celles-ci existent dans les pays tiers concurrents qui exportent leurs productions vers l'Union européenne.
L'Équateur est déjà le premier exportateur de bananes sur le marché européen. Son adhésion prochaine à l'accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou conclu en décembre 2012 constitue une nouvelle menace. L'abaissement des droits de douane ne manquera pas de provoquer un afflux d'importations qui frappera durement nos planteurs. Pourtant, l'Équateur traite ses bananes 40 fois par an avec une gamme d'une cinquantaine de produits phytopharmaceutiques. Par comparaison, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent 7 traitements.
C'est dans cette politique inéquitable du « deux poids, deux mesures » que réside le noeud du problème. Il paraît aberrant de procéder simultanément à l'abandon des tarifs douaniers et au démantèlement des protections non-tarifaires. C'est pourquoi nous estimons indispensable que les autorités communautaires garantissent la cohérence entre elles des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l'Union européenne. Nous invitons en particulier la Commission européenne à acclimater les normes en matière d'agriculture et d'élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités de la production en milieu tropical. Ce sont les préconisations numérotées 1 et 2 dans le document qui vous a été distribué.
Pour vous présenter plus en détail le dispositif de la proposition de résolution, je cède la parole à nos collègues Catherine Procaccia et Jacques Gillot sur la question des normes agricoles, puis à Gisèle Jourda sur les accords commerciaux.
Mme Catherine Procaccia. - Nous en avons fait le constat très clairement dans notre rapport de juillet : l'application uniforme dans les outre-mer de la réglementation phytosanitaire européenne conçue pour des latitudes tempérées conduit à une impasse. La survie de filières agricoles entières est directement menacée par cette aberration.
L'agriculture des RUP souffre des très nombreux usages phytosanitaires orphelins, mais aussi de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique menacée par des retraits soudains d'homologation de substances actives. C'est le cas aussi bien des filières de diversification comme l'ananas ou l'igname que des grandes cultures exportatrices comme la banane et la canne. Le maintien de la culture de la canne et donc la survie des filières du sucre et du rhum dépend de la prolongation du seul herbicide autorisé. L'Agence européenne de sécurité alimentaire est en train de procéder au réexamen de son autorisation. Notre proposition de résolution intervient aussi au bon moment de ce point de vue.
Il faut ici déplorer l'absence de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, parce qu'ils ne sont pas intégrés dans la nomenclature des usages pesticides. Même lorsque des produits phytosanitaires sont autorisés, l'encadrement de leurs conditions d'utilisation n'est pas adapté au climat tropical : les instances européennes ne tiennent pas compte des différences de température, de pluviosité, de vent ou de typologie des sols. Pourtant tous ces facteurs jouent sur la dispersion et la rémanence des produits. Dans notre rapport, vous retrouverez une description précise de ces aberrations.
C'est pourquoi nous préconisons de procéder à la révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d'homologation les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans les RUP. C'était un point fort de nos recommandations pour valoriser notre recherche. C'est notre recommandation n°3. Elle permettrait enfin de doter les agriculteurs de moyens de protection à la fois efficaces et sûrs du point de vue sanitaire et environnemental. L'Inra et le Cirad ont développé et testé des solutions. Mais les procédures d'homologation au niveau européen sont trop rigides et onéreuses, ce qui bloque leur utilisation. Aujourd'hui, ce sont les pays tiers avec lesquels la France mène des actions de coopération qui profitent des résultats de la recherche financés sur fonds publics et pas les outre-mer !
Nous savons aussi que certains produits phytosanitaires ne sont pas autorisés pour les outre-mer seulement parce qu'ils ne constituent pas un marché assez important pour que les laboratoires déposent un dossier d'homologation. En revanche, ces mêmes produits sont homologués et utilisés dans des pays tiers. Nous proposons de réduire les usages orphelins et de rétablir en même temps la balance entre les outre-mer et les pays tiers en demandant à la Commission européenne d'établir une liste positive de pays dont les procédures d'homologation sont équivalentes à celles de l'Union européenne. Et il en existe un certain nombre ! À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l'usage en outre-mer d'un produit homologué dans un des pays de la liste. C'est notre proposition n° 4.
Nous recommandons également d'autoriser pour les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen des variétés. Pour l'instant, cette absence d'inscription empêche de recourir à des plants naturellement résistants que l'on trouve dans les pays tiers. C'est notre proposition n° 5.
Plus largement, il nous paraît essentiel pour acclimater les normes aux conditions de production agricole de revoir les référentiels que l'Agence européenne de sécurité alimentaire utilise pour l'évaluation des risques. C'est notre proposition n° 6. Pour mémoire, je rappelle que les sols ultramarins sont aujourd'hui assimilés dans ces référentiels aux sites de Châteaudun en France et de Plaisance en Italie !
Par ailleurs, l'Union européenne doit agir pour faire cesser les importations de pays tiers où les conditions de production sont laxistes. En l'état du droit européen, les denrées des pays tiers, dès lors qu'elles respectent les limites maximales de résidus (LMR) de pesticides, sont acceptées sur les marchés européens, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs de l'Union européenne. L'importation de denrées traitées par des substances actives interdites dans l'Union européenne est expressément permise par un système de tolérances à l'importation, dont les instances communautaires peuvent faire bénéficier les pays tiers. C'est à la fois un risque en matière de sécurité alimentaire pour le consommateur européen, un danger pour la santé des producteurs non-européens, d'autant qu'ils n'ont pas les mêmes règles de protection et de transparence, et un cas éclatant de concurrence déloyale pour les productions des RUP. Nous demandons donc la suppression du système des tolérances à l'importation avec la recommandation n° 10.
Dans la même ligne et en complément, nous recommandons à la Commission européenne d'établir une liste noire pour interdire les importations de produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité massivement par le passé leur production avec des substances polluantes rémanentes dans le sol et l'eau. Il s'agit en quelque sorte d'une application aux pays tiers de mesures qui ont été rendues nécessaires aux Antilles par la crise du chlordécone. Je vous renvoie sur ce dernier point à notre recommandation n° 11, avant de passer la parole à Jacques Gillot. S'agissant du chlordécone, ce produit a été beaucoup plus utilisé en Allemagne de l'Est et en Pologne que dans nos Antilles...
M. Jacques Gillot. - Il ne fait aucun doute que les agriculteurs des RUP pâtissent de politiques européennes très favorables aux pays tiers. Il suffit pour s'en convaincre de constater :
- d'une part, la multiplication d'accords de libre-échange qui mettent en péril les grandes filières exportatrices ;
- d'autre part, le faible degré d'exigence des normes imposées aux produits agricoles importés depuis ces pays.
Nos outre-mer, qui doivent tenter de résister sur leurs marchés traditionnels à l'export, comme sur leurs marchés locaux, sont obligés d'endosser un handicap normatif dont l'Union européenne exonère les pays tiers. Pour rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans l'Union européenne doivent exiger des normes de production plus stricte que le seul respect des LMR. C'est pourquoi nous demandons à la Commission européenne d'assurer la cohérence des normes de production et des normes de mise sur le marché pour résorber le handicap des RUP, tout en améliorant la protection du consommateur européen.
Parallèlement, il est indispensable de développer l'information du consommateur sur deux points : les conditions de travail dans les pays tiers et le différentiel de qualité environnementale entre leurs productions et celles des RUP.
Qui peut savoir que les bananes vendues comme biologiques en provenance de la République dominicaine sont traitées avec des substances qui sont interdites aux planteurs conventionnels des Antilles ? Pour l'instant, l'Union européenne accepte l'étiquetage biologique de productions agricoles importées de pays tiers qui ne respectent pas son propre cahier des charges défini par un règlement de 2007 sur l'agriculture biologique !
Pour assurer la transparence de l'information apportée au consommateur et rétablir l'équilibre entre les RUP et leurs concurrents, nous préconisons l'interdiction de l'étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsqu'ils ne respectent pas les mêmes normes que les producteurs biologiques européens. Je viens de vous présenter nos recommandations n° 9, 12 et 17.
Les producteurs ultramarins sont engagés dans une stratégie de montée en gamme et de certification. Il s'agit à la fois d'une démarche ambitieuse et de leur seule perspective de survie face à la concurrence de plus en plus féroce des pays à bas coûts de main d'oeuvre. Mais cette stratégie ne pourra réussir tant que certaines productions des pays tiers bénéficient parallèlement de labels de qualité européens sans pour autant respecter pleinement les exigences communautaires. Il faut apporter de la cohérence à la politique européenne !
En particulier, les perspectives de développement du Bio, qui constitue une voie d'avenir possible pour les agricultures ultramarines, sont bridées par une réglementation européenne inadaptée, qui n'a jamais été élaborée en tenant compte du contexte tropical des RUP.
C'est pourquoi nous recommandons, à l'occasion de la refonte en cours du règlement sur la production biologique de 2007, de prévoir un volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical. Cela offrirait l'opportunité d'assouplir le recours aux semences conventionnelles, d'autoriser la culture sur claies, de raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte par des produits d'origine naturelle.
Nous préconisons plus spécifiquement d'autoriser la certification de l'agriculture biologique par un système participatif de garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, ce qui rendra facultatif le recours à un organisme certificateur pour les exploitants des RUP et allègera les coûts et les délais. Aujourd'hui en effet, ces organismes payants ne sont pas présents dans les territoires ultramarins, ce qui renchérit et rallonge les procédures, et au final décourage les agriculteurs ultramarins.
Ayant explicité ces préconisations numérotées 8 et 9, je cède la parole à notre collègue Gisèle Jourda sur la question spécifique d'un nouvel accord commercial sur la banane.
Mme Gisèle Jourda. - Mon intervention porte sur le volet de la proposition de résolution qui traite plus spécifiquement des accords de libre-échange. C'est une constante de notre Délégation d'exercer, en lien avec les professionnels, une grande vigilance sur les négociations commerciales européennes susceptibles d'impacter les économies ultramarines. C'est ainsi qu'en janvier 2016 nous avions fait adopter une résolution européenne sur la protection des sucres spéciaux en pleine négociation d'un traité de libre-échange avec le Vietnam. Notre mobilisation avait contribué alors à faire pression sur les négociateurs pour infléchir les termes initiaux de l'accord en obtenant un contingentement strict des importations de sucres roux.
C'est aujourd'hui le secteur de la banane qui s'inquiète à juste titre des conséquences de l'adhésion de l'Équateur à l'accord de partenariat conclu en 2012 avec le Pérou et la Colombie. Notre Délégation s'était déjà penchée sur ce premier accord au moment de sa ratification par le Sénat en décembre 2014. Nous faisions le constat, toujours d'actualité, que la compétitivité-coût des pays tiers est insurpassable, du fait de niveaux de salaire nettement moins élevés et de conditions de travail beaucoup plus rudimentaires que dans les RUP, si bien que la préservation des barrières tarifaires et non-tarifaires est indispensable pour protéger leurs productions.
Le point le plus inquiétant réside dans le fait que les clauses de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords de libre-échange se révèlent totalement inopérants, non pas seulement à cause de lacunes ou de défauts de conception, - nous pourrions encore le comprendre et les corriger - mais surtout parce que la Commission européenne a décidé de ne pas déclencher ces dispositifs. Il ne s'agit pas simplement d'une omission ou d'une négligence : la Commission européenne se refuse systématiquement à activer les mécanismes de stabilisation qu'elle a elle-même négociés, bien qu'elle fasse elle-même le constat de dépassements répétés des quotas d'importation par le Pérou de 2013 à 2015 et par le Guatemala en 2015. L'Équateur est sur le point de bénéficier du même démantèlement tarifaire massif, qui a déjà permis au Pérou de tripler ses exportations de bananes depuis 2012.
J'insiste sur ce point. Ma première participation aux réunions de la Délégation en 2014 portait sur les accords commerciaux avec le Pérou et la Colombie. Les experts de l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) tiraient déjà la sonnette d'alarme.
En d'autres termes, c'est la volonté qui fait défaut alors que les instruments de protection, certes imparfaits, existent déjà ! C'est pourquoi nous devons par une initiative forte porter la voix des outre-mer au sein même des cénacles européens. J'approuve totalement la suggestion du Président Magras de faire traduire en espagnol et en portugais notre texte, car les députés européens des Canaries, Gabriel Mato et Juan Lopez Aguilar, se sont fortement mobilisés sur le dossier de la banane.
Aux termes de notre proposition de résolution, et plus précisément de ses recommandations 13 à 16, nous demandons à la Commission européenne d'infléchir sa pratique pour préserver des pans fondamentaux de l'activité économique des outre-mer. Nous voulons qu'elle active automatiquement les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords commerciaux dès que les importations en provenance de ces derniers dépassent les seuils de déclenchement fixés. Cela aura pour effet de suspendre avec effet immédiat les droits préférentiels octroyés aux pays tiers.
Par ailleurs, les mécanismes de stabilisation prévus dans les accords sur la banane avec les pays d'Amérique latine expirent en principe le 31 décembre 2019. Nous recommandons à la Commission européenne de prolonger au-delà de cette date les mécanismes de stabilisation afin d'assurer aux producteurs ultramarins une visibilité économique et une protection pérenne.
Nous devons aussi compléter notre arsenal pour pouvoir contrôler l'évolution des marchés. C'est dans cet esprit que nous défendons la création d'observatoires des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP, la banane et la canne, afin de disposer de mesures fiables, publiques et transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers. Nous nous heurtons bien trop souvent à la difficulté d'apporter suffisamment tôt et avec la rigueur nécessaire la preuve de la perturbation des marchés. La Commission européenne en prend prétexte pour justifier son immobilisme.
Enfin, nous appelons la Commission européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords commerciaux qu'elle négocie. Cela nécessitera des études d'impact préalables. Il reviendra au Gouvernement d'exercer la plus grande vigilance sur la définition du mandat de négociation de la Commission, ainsi que sur le suivi de l'application des accords commerciaux. En tant que parlementaires, nous devons également être tenus précisément informés des évolutions des négociations et de leur impact potentiel afin de réagir à temps.
M. Michel Magras, président. - Vous avez pu constater la valeur du travail des rapporteurs sur ce sujet d'une grande importance. Les 17 recommandations dessinent notre champ de bataille. Nous devrons nous battre avec force. J'ai pu vérifier par le passé que les États-membres donnaient trop souvent des mandats de négociation imprécis et sans prise en compte des RUP. Il ne faut pas alors s'étonner que les négociateurs européens négligent nos territoires car ils ne font leur travail qu'avec les informations dont ils disposent et selon les directives qu'ils reçoivent.
J'attends beaucoup du débat du 22 novembre et de l'adoption de notre PPRE par le Sénat. Je vous rappelle que notre dernière résolution avait fortement contribué à l'abaissement de 20 000 tonnes à 400 tonnes du quota de sucres roux accordés au Vietnam par l'Union européenne.
M. Félix Desplan. - Si nous proposons de faire traduire en espagnol et en portugais cette résolution, cela veut-il dire que nos collègues parlementaires d'Espagne et du Portugal au niveau national comme européen sont déjà mobilisés et sur le pied de guerre ?
M. Michel Magras, président. - Les parlementaires espagnols, des Canaries notamment, tout comme nos parlementaires européens français, se sont en effet déjà mobilisés à l'occasion de la signature des accords commerciaux sur la banane. Les RUP espagnoles et portugaises constituent des alliés objectifs que nous devons associer à nos démarches européennes pour gagner en capacité d'influence et de conviction.
Une fois adoptée par le Sénat, notre résolution sera transmise au Gouvernement et aux instances européennes. Nous pourrions alors prolonger notre action en nous rendant nous-mêmes à Bruxelles pour rencontrer les Commissaires concernés. Il nous faut absolument agir dès les travaux préliminaires de la Commission tant en matière de négociation commerciale que de révision du règlement sur les pesticides. Nous avons vu encore récemment que des textes que l'on nous présentait comme intangibles pouvaient profondément être mis en cause. J'en veux pour preuve le projet de traité de libre-échange avec le Canada.
M. Gilbert Roger. - Nos collègues, que je félicite pour leur travail, ont mis l'accent avec raison sur le développement du bio en outre-mer. Je crois en effet que nous devons encourager ces territoires à s'engager résolument dans la production biologique. Par ailleurs, si vous me permettez de rappeler mon expérience de vice-président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, j'ai été amené à discuter de l'allocation des fonds structurels européens et en particulier de la délimitation des zonages qui est à la fois extrêmement fine et délicate. J'avais fait spécialement le déplacement à Bruxelles pour rencontrer Michel Barnier, alors Commissaire européen, mais également l'ensemble des groupes représentés au Parlement européen. Certains rendez-vous pouvaient être très brefs mais ils nous ont aidés à faire avancer nos dossiers. Il ne serait pas mauvais que la Délégation à l'outre-mer prépare à son tour un déplacement du même type à Bruxelles. J'approuve d'ailleurs la traduction en espagnol et en portugais de notre texte car ces territoires ont, eux aussi, autant à perdre et à gagner que nous. Le déplacement à Bruxelles pourrait également nous permettre de rencontrer les représentations permanentes de l'Espagne et du Portugal, ainsi qu'éventuellement celles des Canaries, de Madère et des Açores, si elles existent.
M. Georges Patient. - Je félicite à mon tour les auteurs de la proposition de résolution pour la clarté et la profondeur de leurs analyses. Aux cas de la banane et du sucre dont nous avons déjà parlé, j'attire votre attention sur un cas concret similaire, celui du riz de Guyane. Éric Doligé se souvient certainement de notre visite commune des rizières de Mana en 2009. Les producteurs de riz guyanais, soumis à la totalité de la règlementation européenne très stricte, n'ont pas eu les armes nécessaires pour affronter la concurrence déloyale des importations du Suriname et du Guyana. Parce que l'Union européenne acceptait de faire entrer sur son marché intérieur le riz en provenance de ces deux pays même s'il subissait des traitements phytosanitaires interdits en Europe, la filière guyanaise s'est effondrée.
M. Michel Vergoz. - Je suis heureux de voir aujourd'hui mes collègues hexagonaux aussi impliqués et réactifs. Au-delà de l'outrage que nous ressentons tous, comment agir ? Nous ne pouvons pas rester isolés. Nous devons agréger des énergies au-delà du Sénat. À l'Assemblée nationale et au Parlement européen, notamment, pour associer tous les parlementaires français sans tenir compte des clivages politiques. En tant que Domien, toujours pris comme une variable d'ajustement, je suis réconforté par les convictions et l'engagement de nos collègues. Malheureusement, le réconfort ne me suffit plus, les paroles seules ne guérissent pas. Nos gouvernements, aujourd'hui comme hier, ne se battent pas assez pour nous au niveau européen.
Mme Vivette Lopez. - Je rejoins les propos de notre collègue, Michel Vergoz. Le travail des auteurs de la proposition de résolution est extrêmement fouillé et magnifiquement abouti. Il ne doit absolument pas tomber aux oubliettes. Nous devons porter nos propositions auprès des instances communautaires en appui de nos collègues parlementaires européens.
M. Éric Doligé. - J'approuve totalement les propos de Michel Vergoz. Comme lui après plusieurs années de combat pour les outre-mer, j'arrive à bout de patience. Nous devons aller toujours plus fort et plus loin pour faire changer le regard sur les outre-mer. En toute franchise, il faut avoir beaucoup de calme et jouir d'une paix intérieure pour continuer à multiplier les rapports de fond avec des propositions construites dont la qualité est reconnue sans que les lignes bougent.
Mme Catherine Procaccia. - Je nuancerai volontiers le pessimisme de mes collègues. Depuis 2008-2009, et notamment depuis la création de la Délégation, je constate des progrès réels. L'association des hexagonaux et des ultramarins est très bénéfique car elle fait percoler nos convictions dans l'ensemble du Parlement. C'est grâce à cela que la Commission des affaires économiques et la Commission des affaires européennes s'associent à notre démarche et la soutiennent. Ma seule inquiétude réside plutôt dans la frilosité de nos ministres quand on parle d'adapter les règles phytosanitaires parce qu'ils ne prennent pas en compte le contexte tropical dans lequel se trouvent nos RUP.
Autre point positif, la Commission européenne est aujourd'hui mise en cause comme jamais par les États-membres et par les citoyens. Cela peut l'inciter à bouger.
M. Jacques Gillot. - Notre rapport de juillet et notre PPRE répondent à un véritable projet politique. Nous devons arrêter de penser seulement les outre-mer au travers du prisme des fonds structurels. Il faut dépasser la logique des subventions et compensations pour pousser le développement endogène de nos territoires. C'est cela faire de la politique. Alors nous pouvons toujours nous rendre à Bruxelles mais nous n'arriverons à quelque chose qu'à la condition d'entraîner le Gouvernement avec nous. Notre succès sur les sucres spéciaux vient de ce que nous avons amené le Gouvernement à prendre ses responsabilités.
Mme Gisèle Jourda. - Nous avons appris à nous parler entre parlementaires, nationaux et européens. Après l'adoption de notre résolution sur les sucres spéciaux et l'accord UE-Vietnam, j'ai pris contact avec Éric Andrieu, notre député européen de l'Aude, mon département, afin qu'il prolonge notre action. Je le remercie de l'avoir fait avec force et conviction. Certes, l'échelon gouvernemental ne doit pas être oublié mais je crains qu'il n'ait par trop souvent brillé par son silence.
M. Michel Magras, président. - L'essentiel, c'est bien évidemment la coordination entre les parlementaires nationaux, les parlementaires européens et le Gouvernement français. Il reviendra aux parlementaires européens de traduire nos propositions en amendements aux projets d'actes communautaires qui leur seront soumis, en particulier sur le bio et les pesticides. Par ailleurs, lorsque le Sénat aura adopté notre résolution, nous pourrions la transmettre à la Délégation à l'outre-mer de l'Assemblée nationale afin qu'elle prenne l'initiative de la faire adopter également par nos collègues députés. Misons sur les synergies, c'est la stratégie gagnante.
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.
M. Félix Desplan. - Nous approuvons des deux mains.
M. Michel Magras. - Il en est ainsi décidé à l'unanimité. Je considère que vous avez également approuvé la proposition de traduction en anglais, en espagnol et en portugais.