Mercredi 19 octobre 2016
- Présidence de M. Rémy Pointereau, vice-président -Audition de M. Jean Pisani-Ferry, Commissaire général de France Stratégie
La réunion est ouverte à 9 h 35.
M. Rémy Pointereau, président. - Mes chers collègues, je voudrais d'abord excuser notre président Hervé Maurey, absent de Paris ce matin et qui m'a demandé de le remplacer. Nous entendons Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie. Monsieur le commissaire général, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin devant notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. France Stratégie, que vous animez, mène à la fois une réflexion prospective et un travail d'évaluation qui touchent à beaucoup des centres d'intérêt de notre commission. C'est pourquoi nous souhaitions vous entendre ce matin. En effet, outre la mise en place d'une transition économique, écologique, énergétique et durable dans notre pays, nous nous préoccupons beaucoup des questions d'aménagement et de développement des territoires ; ces territoires qui sont, on ne le dit jamais assez, une grande richesse pour notre pays. Or, les années récentes ont vu s'accroître les inégalités entre territoires - les travaux que vous allez nous présenter le confirment d'ailleurs largement, il me semble.
Parallèlement, d'importantes réformes institutionnelles ont été menées avec le vote de plusieurs lois, notamment les lois Maptam et Notre. Vous les inscrivez d'ailleurs dans une sorte de mouvement général de métropolisation observé à l'échelle mondiale.
Ce nouveau cadre juridique vous parait-il réellement porteur d'espoir pour les territoires, alors que nous avons plutôt le sentiment d'un déclassement de la ruralité ? Par quelles politiques publiques doit-il être conforté ? N'y a-t-il pas urgence, par exemple, à mettre l'accent sur certaines politiques sectorielles comme le déploiement du numérique ou une meilleure régulation de la présence médicale sur l'ensemble du territoire, voire un plus grand maillage ferroviaire, afin d'enrayer la croissance des inégalités observées ? L'enjeu n'est-il pas de freiner le déclin rapide de certains territoires qui ne voient pas aujourd'hui en quoi la métropolisation pourrait être un atout, alors que la DGF est quatre fois plus importante pour les zones urbaines que rurales ? L'enjeu n'est-il pas aussi de freiner la métropolisation qui n'apparaît pas toujours comme un atout pour tous les territoires ? Comment permettre aux villes petites et moyennes, d'un côté, et aux territoires ruraux, de l'autre, d'aborder les prochaines décennies avec un peu d'espoir ? Quel doit être surtout le rôle de l'État pour remédier aux inégalités territoriales ? Vous le voyez, nous nous posons beaucoup de questions. Je ne doute pas que nos échanges de ce matin seront riches et animés.
M. Jean Pisani-Ferry, Commissaire général de France Stratégie. - Je vous remercie de m'entendre ce matin. Vous venez d'ailleurs de me fixer un programme de travail pour les cinq prochaines années, tant la liste des questions que vous venez de m'adresser me paraît longue et complète !
France Stratégie ne travaille pas spécialement sur les sujets que vous avez évoqués, même si l'institution dont nous sommes les héritiers y a consacré certains de ses travaux. Mais on ne peut désormais réfléchir à l'ensemble des dynamiques économiques et sociales, sans que ne s'invite la problématique de la dynamique territoriale. De ce fait, nous sommes parvenus à certains résultats à partir d'une interrogation nous conduisant à suivre cette clef d'analyse. Nous sommes bien conscients que nos travaux présentent un caractère partiel et vos réactions seront pour nous autant d'indications sur ce à quoi nous devrions travailler dans les années à venir.
Je vais commencer à vous indiquer où nous en sommes avec la présentation de plusieurs cartes et graphiques.
La première carte retrace l'évolution de la population en emploi de 15 à 64 ans, par aire urbaine de résidence, de 2008 à 2013. On y observe une double césure : l'une qui se manifeste à l'échelle du territoire, entre le Nord-Est et le Sud-Ouest et l'autre, qui est à l'échelle plus fine, qui concerne le développement de l'emploi dans les aires métropolitaines. Toutes ces aires ne sont cependant pas concernées : ainsi Strasbourg ou Nice y échappent. De manière générale, on constate un développement de l'emploi plus marqué dans le Sud-Ouest et dans les aires métropolitaines et, à l'inverse, sa contraction dans le Nord-Est, les villes moyennes et les territoires ruraux.
Le graphique qui retrace, hors région parisienne, l'évolution du Produit intérieur brut (PIB) entre le Nord-Est et le Sud-Ouest de la France depuis 2000 montre l'accentuation très nette de la divergence entre les deux zones, qui ne relève pas d'un phénomène conjoncturel. Le choc industriel qu'a subi notre pays explique en partie cette situation, tout particulièrement au Nord-Est.
La carte, qui mesure l'impact des exportations chinoises sur le territoire, a été récemment réalisée par la Banque de France. Une recherche analogue a été conduite aux Etats-Unis et a permis de spatialiser cet impact. Elle va au-delà d'un point de vue purement sectoriel. Il s'agit de coupler l'analyse sectorielle avec celle de la spécialisation géographique des territoires. Il est manifeste que l'exportation chinoise représente un choc réel et persistant. On observe des conséquences analogues en France à celles constatées aux Etats-Unis. L'évolution des biens échangeables représentée sur cette carte correspond très largement à l'industrie. Le Nord-Est, particulièrement atteint, présente ainsi des évolutions moins favorables que dans le Sud-Ouest. Naturellement, les exportations chinoises ne sont pas l'unique facteur de notre désindustrialisation ; les Chinois n'étant pas nos seuls concurrents.
Pour mesurer l'ampleur de ce choc, il faut également imputer la dynamique propre des territoires que retrace la mesure de l'effet local dans les bassins d'emploi. On retrouve encore cette opposition entre le Nord-Est et le Sud-Ouest. Le choc industriel, qui vient de la technologie, du commerce international et intra-européen, a donné naissance à une dynamique défavorable qui s'amplifie et va au-delà de son impact mécanique dans les territoires traditionnellement industriels.
En outre, les dynamiques interterritoriales renvoient à la notion selon laquelle les évolutions des territoires doivent être comprises globalement. La zone rouge de cette carte indique qu'une dynamique négative est à l'oeuvre dans la région Nord-Est, de la Champagne-Lorraine jusqu'au sud de la Région parisienne. Un effet d'entrainement réciproque y joue de manière négative, à l'inverse de la dynamique positive observée dans la région Ouest des Pays de Loire ou encore en Rhône-Alpes. Telle est la première grande fracture que nous constatons à l'échelle macro-territoriale qui résulte de phénomènes sectoriels.
Le second facteur réside dans la dynamique métropolitaine. Avec 14 métropoles représentant 10 millions d'emplois, la métropolisation a connu une très forte évolution sur la période 2000-2013, en matière d'emplois notamment. Lorsqu'on s'éloigne des métropoles, on observe une dégradation. Une telle dynamique est à l'oeuvre à l'échelle mondiale et résulte de la nature de notre économie où les interactions, notamment en matière d'innovation, supplantent l'intégration verticale. Dans un tel contexte, l'agglomération spatiale présente des effets positifs sur la dynamique économique. Ce ne sont pas là des jeux à sommes nulles : ce que les uns perdent se traduit en gains collectifs et en productivité pour l'ensemble des territoires, du fait de la nature du développement économique. Il s'agit de tirer parti des effets positifs de ces interactions, sans pour autant aviver la désertification du reste de nos territoires. Tel est le grand défi pour nos pays. Je ne pense pas que nous puissions dans le contexte de croissance faible de la productivité nous passer d'une telle source de dynamisme économique.
Le tableau présenté suivant indique le poids des aires urbaines selon leur taille dans le total national. Il est intéressant de voir à quel point on a une très forte concentration pour un certain nombre de caractéristiques. S'agissant notamment de la part dans la population totale des diplômés du supérieur de 25 à 55 ans, l'aire urbaine de Paris, qui représente 19 % de la population totale, accueille plus de 25% des diplômés nationaux. On constate un phénomène analogue pour les aires urbaines de plus de 500.000 habitants. La part des salaires versés suit également cette tendance puisque Paris et les aires urbaines de plus de 500.000 habitants représentent plus de 55 % de la masse salariale totale pour 40 % de la population. Cet écart de 15 points est considérable. Un tel phénomène est observable à l'échelle mondiale. Ainsi, aux Etats-Unis, les aires urbaines dans lesquelles se concentrent les diplômés de l'enseignement supérieur en accueillent quatre fois plus que les autres aires. Cette extrême concentration des ressources et des populations à hauts revenus, comme à San Francisco, induit par exemple une hausse considérable du coût de l'immobilier.
Quel est l'effet d'entraînement de ces métropoles ? Dans les aires urbaines, l'autocorrélation de l'emploi dans les secteurs de la base compétitive induit, dans la périphérie des aires métropolitaines, des effets négatifs sur l'emploi. En d'autres termes, l'effet de concentration au centre implique la raréfaction des emplois en périphérie. Dans certaines métropoles, on constate cependant des effets neutres ou positifs. Localement, l'effet de concentration avec déperdition d'emplois à la périphérie ne se fait donc pas nécessairement sentir. La question de savoir comment va s'organiser cette relation entre la croissance de la métropole et celle des territoires environnants est absolument centrale. Elle renvoie d'ailleurs à celle que vous posiez quant aux instruments qu'il importe de développer.
Les métropoles sont des territoires présentant de fortes inégalités de revenus. Avant ou après impôt, les inégalités demeurent dans les deux cas, surtout à Paris et dans les grandes métropoles, moins dans les autres aires métropolitaines ou rurales. Ces données corroborent ce que je vous indiquais sur la concentration des masses salariales et des hauts revenus, en même temps que celle des faibles revenus. La richesse n'est pas la seule à être concentrée ; les inégalités suivent également une tendance similaire qui est accentuée encore par le prix du logement.
L'impact du système socio-fiscal est un point important, comme en témoignent les travaux du Haut conseil de la protection sociale. Laurent Davezies a bien démontré le rôle d'amortisseur joué par ce système. Les écarts de PIB, d'une part, et ceux du revenu disponible par habitant selon les régions, d'autre part, manifestent cet amortissement des inégalités par le système socio-fiscal, suite aux transferts qui corrigent considérablement les inégalités entre territoires et réduisent la fracture entre zones géographiques. Ce n'est pas là l'effet d'une politique particulière. Lorsque je reprends la courbe précédente retraçant les écarts de revenus entre Nord-Est et Sud-Ouest, les écarts de revenus par habitant initiaux sont très atténués. Tel est l'effet du système socio-fiscal qui corrige mécaniquement, par le biais de revenus de transfert comme les retraites ou les prestations sociales diverses, ces inégalités dans la création de richesses.
Ceci m'amène à envisager la question des écarts de développement à l'intérieur du territoire français à l'aune de comparaisons internationales. Ces données sont extraites d'un rapport que nous venons de publier et qui porte sur les lignes de faille dans la société française. La question des inégalités territoriales y est évoquée. Tout en étant conscient du caractère parfois artificiel de telles comparaisons, nous avons tenté de comparer les écarts de revenus disponibles par habitant selon les régions avec d'autres pays. Les comparaisons portent ainsi soit sur les revenus primaires, avant redistribution, soit sur les revenus disponibles. Au regard d'autres pays, nos inégalités régionales, territoires ultramarins compris, voire davantage encore lorsque seule la France métropolitaine est prise en compte, sont beaucoup moins prononcées, que celles constatées en Italie, Espagne, voire en Allemagne ou encore au Royaume-Uni. L'effet du système socio-fiscal en France est très élevé puisqu'il divise par deux l'écart type des revenus entre régions. On ne retrouve pas une correction analogue des revenus primaires par le système socio-fiscal dans les autres pays d'Europe. Notre situation demeure, de ce point de vue, plus favorable. On peut certes objecter que l'échelle n'est pas la bonne ; j'en conviens, comme en témoigne notre première carte où figuraient des taches vertes et rouges représentant la situation contrastée de l'emploi. Il est néanmoins important de garder en tête que, contrairement à d'autres pays, notre territoire ne connaît pas de trop grandes disparités à l'échelle régionale. Autrement dit, la redistribution entre régions continue à fonctionner, même s'il faut prendre garde à l'écart entre le Nord-Est et le Sud-Ouest. Nous ne sommes pas dans une situation comparable à celle de l'Allemagne confrontée au nécessaire appel à la solidarité nationale pour ses régions de l'Est.
Je terminerai avec quelques éléments sur l'égalité des chances. Lorsqu'on réfléchit à la première mission de la puissance publique sur les territoires, on s'accordera à dire qu'il est essentiel, quelle que soit la dynamique de développement des territoires, d'assurer l'égalité des chances entre tous les citoyens où qu'ils se situent. C'est là un élément central du pacte républicain. La carte retraçant la proportion des enfants d'ouvriers et employés devenus cadres et professions intermédiaires, selon le département de naissance, représente la mobilité sociale ascendante sur une génération. Il est frappant de constater que cette mobilité sociale varie du simple au double selon le département de naissance. Nous avons récemment conduit ce travail qui a déjà été réalisé aux Etats-Unis. Cette mobilité est certes plus favorable en France sans pour autant être satisfaisante.
Les écarts constatés sont parfaitement stables dans le temps : si vous êtes né en Picardie ou en Creuse, vous avez deux fois moins de chance d'ascension sociale, avec des parents à conditions socio-économiques égales, que si vous êtes nés dans le Finistère ou en Savoie. Ce n'est pas en raison du caractère rural ou urbain des départements concernés. L'accès à l'enseignement supérieur est la variable d'explication de ces disparités et le développement économique du département joue un rôle tout à fait marginal dans l'ascension sociale. Quelle est la proportion de ces jeunes des milieux populaires qui a eu accès à l'enseignement supérieur ? Cette proportion varie elle aussi du simple au double. Qu'est-ce qui vient de la tradition ou du comportement des familles, pourquoi l'Education nationale ne corrige pas suffisamment ces traditions ? Nous avons présenté cette carte aux recteurs d'académie qui n'ont guère été surpris par les résultats de nos recherches. Un effort considérable doit ainsi être conduit pour corriger une telle situation et s'assurer que le lieu de naissance ne soit plus un élément déterminant du devenir social des individus. C'est là une clef de lecture tout à fait essentielle : s'il est important d'assurer une égalité de l'offre éducative - car il existe des collèges et des filières d'accès vers l'enseignement supérieur, la proximité de l'université n'étant pas un facteur essentiel, encore faut-il mettre en oeuvre une politique d'accompagnement qui permette d'aller au-delà.
Les dépenses pour la formation continue des chômeurs sont très variables selon les territoires. Grandes sont ainsi les différences entre les Hauts-de-France et la Bretagne. Les applications de la politique nationale de lutte de chômage sont ainsi très différentes selon les territoires. Consacrons-nous suffisamment d'efforts à la correction de telles inégalités liées au territoire de résidence ?
Mon propos portera enfin sur la carte qui concerne plus directement la ruralité et l'accès aux services publics. Cette carte traduit largement la spécificité des zones de montagne. Dans certains territoires, la distance par rapport aux services de santé s'est accrue sans que le facteur géographique n'explique totalement une telle tendance.
Pour conclure, le choc lié à l'évolution du commerce international et à la désindustrialisation est un élément nouveau et préoccupant. La métropolisation, sur laquelle il convient de miser par souci d'efficacité, est un autre phénomène macro-économique prégnant. Que faire ? L'exigence d'égalité des chances entre citoyens implique de consacrer des efforts accrus et des moyens différents, une fois constaté le caractère insatisfaisant de la situation sur le territoire.
Il faut par ailleurs organiser la diffusion de la croissance. Parler de métropolisation implique de prendre en compte les gains induits par certaines activités qui ne se développent que dans des conditions de pression qui leur sont favorables. Il faut ainsi accepter la métropolisation de ces activités. Il serait cependant absurde de considérer que l'ensemble des activités économiques demande, par nature, à être concentré dans les métropoles. Au contraire, la métropolisation peut induire des effets de congestion et l'accroissement du coût de certaines ressources, dont le foncier. Certaines activités ne tirent d'ailleurs aucun gain de la métropolisation. Il faut ainsi viser un développement du territoire conciliant le gain collectif dû à ces concentrations avec la création d'autres équilibres résultant du développement de nouvelles activités.
S'agissant de la ruralité, nous ne disposons pas de la finesse d'analyse nous permettant de l'appréhender de manière satisfaisante. En effet, comment assurer à ces territoires ruraux, à relativement petite échelle, la prospérité et une dynamique propre ? Ce n'est pas sur des cartes à l'échelle départementale ou infra-départementale qu'on va pouvoir considérer une telle dynamique. Il importe de combiner les éléments de concentration et de dynamisme économique avec l'exigence de l'équilibre territorial. Une telle démarche implique de se déprendre d'une lecture limitée à la seule économie spatiale.
Les instruments à mettre en oeuvre impliquent une réflexion spécifique, en termes de services publics, d'appui à la mobilité, d'infrastructures numériques, mais aussi de fiscalité puisque cette dernière n'a pas du tout été conçue en relation avec ce type d'économie. En effet, notre fiscalité est héritée d'un contexte dans lequel le phénomène de métropolisation n'était pas du tout le même. Dès lors, pour favoriser ce qui doit être concentré et instaurer l'équilibrage de ce qui n'a pas lieu d'être concentré, de quels instruments a-t-on besoin ? A quel échelon incombe-t-il de construire un tel équilibre ? Quel est le rôle des différentes collectivités territoriales et de l'Etat ? La répartition des compétences doit ainsi être interrogée de ce point de vue-là.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie, Monsieur le Commissaire général, pour cet exposé.
Mme Évelyne Didier. - Monsieur le Commissaire général, je suis heureuse de vous avoir entendu ce matin, mais la lecture de votre document m'a effrayée. Je suis Lorraine et lorsque j'entends ce genre de diagnostic, je ne peux m'empêcher d'avoir en tête un discours dévalorisant. Il ne faut jamais négliger l'humain qui reçoit ce genre de document. Dans le Nord-Est, durant les années 50, nous étions riches et beaux tant nos territoires étaient prospères. Les mineurs étaient financièrement à l'aise avant que ne survienne la désindustrialisation, sans qu'elle ne soit anticipée. Rien n'a été fait pour permettre aux ouvriers de se former à d'autres métiers que le leur. Nous avons remplacé une mono-industrie par les usines automobiles. Heureusement que nous avons le Luxembourg près de nous, car sans cette proximité, nous serions en-deçà du taux moyen d'emploi en France. Cette idée du déclassement est fortement ancrée dans les têtes, tel le petit haut-fourneau cher à Jacques Chérèque. Nous partageons l'idée désormais que nous sommes incapables de nous en sortir.
S'agissant de la concentration, il faudrait sortir de l'idée qu'à l'étranger, la situation est meilleure. Effectivement, notre politique sociale publique est pertinente et doit surtout être maintenue, contrairement à ce que préconisent certains.
Enfin, sur l'université et l'école, dans les territoires où le savoir-faire ouvrier existe, la perspective d'études longues n'est pas inscrite dans l'esprit des familles. Le summum dans mon enfance était de devenir institutrice. Il faut élargir l'horizon des populations aux valeurs traditionnelles en leur ouvrant l'esprit par de nouveaux moyens de culture, à l'école et dans les familles.
Mme Nelly Tocqueville. - Merci Monsieur le Commissaire général. Cette étude est fort intéressante et nous donne des pistes de réflexion. Pour autant, le grand Nord-Ouest, qui comprend les métropoles lilloise ou rouennaise, n'apparaît pas dans vos études. Quelles sont les raisons d'une telle absence ? En outre, les territoires d'outre-mer, avec leurs spécificités, ne figurent absolument pas sur vos cartes, comme s'ils n'appartenaient pas au territoire français !
M. Charles Revet. - Je vais partir du nom de votre organisme : France Stratégie. C'est là tout un programme ! Quelle stratégie pour la France demain ? C'est ainsi que je l'entends. D'ailleurs, la désignation de votre institution comporte également quatre verbes, à savoir « évaluer, anticiper, débattre et proposer. » S'il est manifeste que l'évaluation est donnée dans cette présentation, qu'en est-il des autres termes ? Votre mission est de bâtir une stratégie pour l'avenir en matière d'aménagement du territoire, que suggérez-vous ? Nos aînés ont construit le plus beau pays du monde que nous sommes en train de déconstruire. Quelle place pour le département, dans la France des métropoles, et surtout pour l'humain ? La construction des nouvelles structures répond plus maintenant qu'hier à des objectifs financiers et fiscaux principalement. Que suggérez-vous pour l'avenir sur lequel nous avons à débattre ?
M. Louis Nègre. - J'aurai trois questions. D'après la carte sur les dynamiques inter-territoriales, je comprends que l'Ouest des Alpes-Maritimes, département dont je suis issu, est à la peine. Je n'ai cependant pas l'impression qu'il soit justement à la peine. Deuxièmement, vous évoquez les réductions des inégalités et le revenu disponible qui est chez nous plus important qu'ailleurs en Europe ou dans d'autres pays. Une telle situation s'explique par la redistribution de l'argent public qui permet de diminuer les différences. Où placez-vous la limite de ces redistributions qui peut avoir des effets politiques non négligeables ? Si une politique d'offre ne suffit pas en matière d'enseignement supérieur, que doit-on faire pour aller au-delà et être plus efficace ?
Mme Odette Herviaux. - J'avais éprouvé quelques réserves à la lecture de votre publication du mois de juillet. Si le fait métropolitain est à défendre, il me semblait avoir été présenté de telle sorte qu'on occultait ce qui se trouvait alentours. Votre présentation orale, cette fois, a remis les choses en place, ce qui me va très bien ! S'agissant du tableau retraçant les dynamiques inter-territoriales, je souhaiterais revenir sur le contenu d'une émission économique qui annonçait, à l'horizon 2050, l'inversion du fait urbain. De nombreux diplômés devraient alors revenir dans les pôles ruraux, en raison notamment du télé-travail rendu possible par le très haut débit. Est-ce une tendance concevable ou une pure utopie ? Par ailleurs, on parle beaucoup de ruralité, mais celle-ci n'existe pas en tant que telle. Il existe des ruralités : entre le rural dynamique et le rural en désertification existent diverses strates réclamant des adaptations tout à fait différentes. Enfin, l'offre de l'enseignement supérieur ne constitue pas le seul motif d'adhésion des populations, tant le poids des mentalités demeure. Ainsi, en Bretagne, l'enseignement supérieur a toujours été considéré comme le vecteur de l'ascension sociale, du fait sans doute de l'absence d'industrialisation. En l'absence d'offre, il ne saurait y avoir de possibilité ! L'une de nos grandes richesses est d'avoir des pôles d'enseignement supérieur sur l'ensemble de notre territoire.
M. Jean Pisani-Ferry. - Je vous remercie de vos questions. Si nos planches ont choqué ou semblent avoir occulté le facteur humain, je tiens à vous dire que tel n'était pas notre objectif. Certaines de nos expressions peuvent certes paraître un peu abruptes, mais elles ne fournissent que des interprétations des données chiffrées. Il est important de susciter la discussion également.
Il n'y a pas de fatalité en matière de développement territorial, comme l'histoire ou la géographique économique nous l'enseignent. Le rôle du quasi-hasard est considérable et remet en cause les projections conduites à partir de certaines structures ou faits objectivés. Les effets cumulatifs peuvent jouer et le facteur humain demeure très présent dans l'histoire. Il faut toujours avoir ce point en mémoire. Le fait de savoir pourquoi, dans chaque pays, les activités se situent à certains endroits n'appelle globalement pas de réponse totalement objective, mais résulte souvent de l'histoire et du facteur humain.
La mobilité sociale est aussi l'affaire des individus. Effectivement, derrière les observations que nous faisons, se trouvent ancrés des comportements et des traditions hérités de l'histoire sociale. On ne peut accepter un tel phénomène. Il faut concevoir que la mission de service public de l'éducation nationale aille au-delà de l'égalité de l'offre, pour encourager et accompagner les trajectoires individuelles. Il faut informer les familles tant l'inégalité d'accès à l'information est manifeste, tant les filières sont complexes et une mauvaise orientation est facteur d'échec. Il ne serait pas déraisonnable de fixer des objectifs indicatifs par département en matière de mobilité sociale à l'horizon d'une décennie. Une telle démarche pourrait débuter dès le collège ou le lycée. Les collectivités locales pourraient également y aider, tant le développement de leur territoire est concerné.
S'agissant des aspects analytiques de la redistribution, les écarts en France par rapport à d'autres pays résultent notamment de l'effet socio-fiscal. Certains territoires accueillent ainsi plus de retraités ou de personnes ayant accès aux prestations sociales sous condition de ressources. C'est un effet mécanique et puissant. Mais nous avons également une situation où les inégalités de revenus primaires sont sensiblement plus faibles que dans un certain nombre d'autres pays. Ce n'est pas minimiser les divergences entre Nord-Est et Sud-Ouest que d'établir un tel constat. Il s'agit au contraire de prendre la mesure du problème auquel nous faisons face et qui, au regard des problèmes rencontrés par nos voisins, s'avère de moindre ampleur. Il vaut mieux, me semble-t-il, percevoir cette situation comme une source d'encouragement ou d'optimisme quant à nos capacités en la matière.
Les collectivités ultramarines ne figurent pas dans cette analyse. Je suis conscient qu'il faut l'améliorer sur ce point. Nous avons certes inclus ces collectivités de manière implicite dans notre comparaison des écarts de revenus avec la métropole. Mais de nombreux problèmes méthodologiques se posent, comme celui de la comparabilité des données et de leur accès.
Sur l'inclusion du grand Nord-Ouest dans le grand Nord-Est, il s'agit d'un découpage entre deux macro-régions. On peut naturellement en réduire l'échelle pour interpréter les données.
Sur les questions du retour vers le rural et de la prise en compte de ses particularismes, il ne faut pas raisonner exclusivement de manière générale. On ne peut aborder les dynamiques de développement à une trop grande échelle car, comme chacun sait, ces dernières peuvent s'avérer différentes, avec parfois des créations de prospérité considérables qui contrastent avec des situations de grande difficulté.
L'inversion possible de la dynamique métropolitaine représente un phénomène limité. Il faut certes miser dessus, car certaines populations qualifiées peuvent souhaiter ne pas vivre en ville. Mais les villes moyennes ont beaucoup de mal à retenir les populations qualifiées car celles-ci, pour des raisons d'emploi et de mode de vie, ont tendance à se rapprocher des aires métropolitaines. Cette dynamique relève d'autres facteurs que de considérations strictement économiques.
Faisons-nous de la stratégie ? Je ne prétends pas arriver devant vous avec un catalogue complet de mesures à prendre. Nous avons abordé l'ensemble de ces questions à partir d'une interrogation portant sur le développement économique général et nous ne sommes pas le Commissariat général à l'égalité des territoires dont la mission est centrée sur le développement territorial. Je suis conscient que notre démarche n'est pas exhaustive.
Si je devais résumer mon message en matière de stratégie, je dirais qu'il faut, d'une part, accepter et, d'une certaine manière, encourager le développement métropolitain comme vecteur de développement économique pour l'ensemble du territoire ; la création de ces métropoles induisant l'évolution des structures territoriales. D'autre part, se servir de ce dynamisme pour diffuser la croissance et la prospérité dans des territoires plus étendus. On peut se servir, pour ce faire, d'instruments techniques des politiques en matière d'infrastructures, d'éducation ou encore fiscales. Au niveau administratif, la dualité région-métropole me paraît favorable. Il faut éviter que les métropoles, devenues des isolats de prospérité, ne se concentrent plus que sur elles-mêmes, ce que prévient, du reste, le renforcement des régions qui sont en charge d'un territoire plus vaste et ont pour mission d'y développer l'emploi. Le fait que les régions puissent s'appuyer sur les métropoles permet de diffuser leur dynamisme sur un territoire plus large. Un tel constat ne permet certes pas de préciser les compétences dévolues à la métropole et à la région, mais il me semble que cette organisation bipolaire est pertinente. Le dernier point concerne la diffusion des politiques publiques de droit commun sur l'ensemble du territoire et la question de l'égalité des chances. Il faut que ces politiques aillent au-delà de l'objectif de l'égalité de l'offre pour honorer une exigence de résultats afin d'améliorer les situations constatées.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie pour ces réponses et je passe de nouveau la parole à nos collègues pour une nouvelle série de questions.
M. Alain Fouché. - Nous n'avons pas encore abordé la question de la formation professionnelle dans les territoires, qui est essentielle. Celle-ci représente un échec de long terme, malgré les crédits énormes et le nombre des acteurs qui ont été mobilisés, et elle concerne autant les jeunes que les chômeurs. La formation professionnelle n'anticipe pas les débouchés économiques et on oriente les jeunes vers des formations, alors même que les emplois liés à ces filières de formation ont disparu. On ne sait pas créer de niveaux de formation qui permettent de se réadapter tout au long de la vie professionnelle. Comment voyez-vous l'évolution de la formation professionnelle dont la situation est tragique en France, tandis qu'elle fonctionne bien en Allemagne ?
M. Hervé Poher. - Je remercie notre commissaire pour son remarquable diagnostic du territoire actuel. D'ailleurs, votre document écrit restera à mes yeux une référence au moins pour l'année 2016. Cependant, originaire du Pas de Calais, sa lecture m'a donné envie de prendre des antidépresseurs, tant les informations qu'il contient n'ont rien d'encourageant ! Les cartes et les graphes ont aussi leur limite et je prendrai un exemple par l'absurde pour l'illustrer. En effet, à leur lecture, on s'aperçoit que les emplois d'un certain niveau et l'argent se trouvent dans le Sud-Ouest où les Chinois exportent le plus leurs marchandises. Dans le Sud-Ouest, les aînés ont les moyens d'acheter chinois !
Par ailleurs, je n'ai pas entendu la notion de bassin de vie qui a supplanté celle de bassin d'emplois dans la gestion qu'en assurent les collectivités territoriales.
L'apparition des rurbains, survenue il y a une vingtaine d'années, est un phénomène sur lequel il faudrait se pencher et ce, d'autant plus qu'il semblerait qu'ils aient tendance à voter pour les partis extrêmes ! Enfin, en ce qui concerne l'enseignement supérieur, vous avez souligné que l'offre ne faisait pas tout. En effet, l'ancienne région Nord-Pas-de-Calais, pour quatre-millions-cinq-cent-mille habitants, ne compte qu'une seule faculté de médecine, tandis que Paris en compte onze ! Autant vous dire qu'il est difficile aux habitants de ma région de suivre des études de médecine.
M. Jean Bizet. - Avez-vous déjà anticipé et réfléchi aux deux modèles socio-économiques qui vont voir le jour avec le Brexit, c'est-à-dire le modèle libéral atlantiste et le modèle social continental démocrate étatiste ? Quelle est l'évaluation que vous pouvez en faire et les propositions que vous pourrez formuler à leur sujet ? Le pire pour la France serait de demeurer spectatrice et de ne pas faire un choix. Je m'interroge, au-delà des propositions du Premier ministre britannique qui sont contraires aux traditions de son pays en anticipant toute une série de dévaluations, monétaires, fiscales et structurelles, sur la position de la France dans cette évolution.
Mme Chantal Jouanno. - Votre intervention démontre que la métropolisation peut et doit avoir des effets d'entraînement sur le reste du pays. Comment garantir cet effet d'entraînement et à travers quels mécanismes de redistribution ? Quelle est la bonne taille des métropoles ? Vous donnez une vision assez positive sur les métropoles, mais votre carte sur l'évolution de la population en emploi tient-elle compte de la dynamique démographique de chaque territoire ? En Ile-de-France où la dynamique démographique et le solde migratoire sont importants, il n'est nullement certain que le taux d'emploi y corresponde, tant en quantité qu'en qualité.
Ma seconde question portera sur la redistribution des revenus. Pourquoi ne pas y avoir intégré le pouvoir d'achat, qui reste une donnée fondamentale pour l'accès au logement et aux transports et ce, dans le contexte d'un sous-investissement chronique dans les infrastructures ? Il serait ainsi pertinent de s'interroger sur la taille des métropoles, quitte à reprendre le vieux débat sur les grandes métropoles et le polycentrisme. Par ailleurs, Sur la redistribution des revenus, les graphiques qui comparent notre situation avec celle de l'étranger donnent une vision positive de notre mode de redistribution. Mais celle-ci augure-t-elle réellement de l'égalité des chances entre les territoires ? J'aurais souhaité avoir, de ce point de vue, des éléments de comparaison avec l'étranger. La suite de votre travail impliquerait alors de s'interroger pourquoi notre système de redistribution ne garantit pas l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire. J'espère qu'une telle démarche conduira France Stratégie à réaliser un rapport plus complet sur la métropolisation.
M. Pierre Médevielle. - Je suis du Sud-Ouest, mais je ne suis pas certain que la situation soit aussi brillante que celle que vous nous avez décrite, hormis pour Bordeaux et la métropole toulousaine. La situation est très loin d'être brillante. Certes, nous n'avons pas perdu d'emplois industriels, mais nous n'en avions pas. Depuis la fin du XIXème siècle, la population paysanne est passée de 50 % à 2 % de la population dans notre région, ce qui pose de réels problèmes, et cette métropolisation finit d'accentuer cette perte de populations dans les campagnes. Rien ne semble pouvoir l'enrayer, à moins de conduire une stratégie en matière d'aménagement du territoire, qui fournit le plus souvent un argument d'ordre électoral hélas non suivi d'effets. Alors que les pseudo-systèmes de péréquation semblent avoir trouvé leurs limites, ne faut-il pas élaborer un système d'articulation des territoires ruraux avec ces métropoles visant à leur étalement, à l'instar de ce qui se passe dans la Silicon Valley qui s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres, afin de garantir un développement plus harmonieux ?
M. Gérard Miquel. - Merci pour cette remarquable présentation avec cartes et graphiques. Je formulerai plusieurs observations. D'une part, je constate qu'il est plus facile pour un chômeur qui se trouve en Bretagne-Pays-de-Loire de trouver une formation professionnelle pertinente et un accompagnement réel que dans les Hauts-de-France. C'est une inégalité qui est anormale. D'autre part, nous avons refusé parfois le changement du fait du poids des habitudes et n'avons pas suffisamment anticipé les évolutions technologiques ni conduit les adaptations nécessaires. Le Sud-Ouest, dont je suis issu, a une position plus positive que le Nord-Est d'après vos données. Si ces dernières dataient d'il y a cinquante ans, la situation de ces deux entités géographiques eût été largement inversée. Nous avons eu, à un moment, un Etat stratège qui a investi dans la recherche et a soutenu la naissance de nouvelles activités, par exemple dans les secteurs aéronautique et spatial. Faute d'une telle intervention, le Sud-Ouest serait aujourd'hui à la dérive ! La naissance de ces activités nous a permis un développement important. Pensez-vous que l'Etat puisse continuer à jouer le rôle de stratège et de soutien à la naissance de nouvelles activités dans l'environnement libéral qui est désormais le nôtre ? En effet, si nous avions suivi un raisonnement purement libéral à cette époque, nous n'aurions pas développé ces industries dans le Sud-Ouest. Comment faire pour que l'Etat stratège continue à jouer un rôle qui soit fort.
M. Rémy Pointereau, président. - À mon tour je vous remercie pour l'état des lieux que vous avez dressé. Je souhaiterais rebondir sur la dynamique métropolitaine qui serait à l'oeuvre dans tous les pays du monde. Est-ce la bonne piste pour le développement ? Lorsque je regarde les exemples d'effets de débordement de la métropole sur l'aire urbaine, on s'aperçoit que, sur les trois villes que sont Lyon, Nantes et Lille, seule l'aire de Nantes a bénéficié de sa métropolisation. Est-ce finalement la bonne voie ? Ne risque-t-on pas de créer des poches de pauvreté plus grandes encore ?
M. Jean Pisani-Ferry. - La formation professionnelle est un échec collectif et ce n'est pas satisfaisant. Nos études ont d'ailleurs mis au jour le déficit de compétences dont souffre la France et qui résulte, pour partie, de la formation professionnelle. Nous avons pourtant conduit trois réformes en dix ans dans ce domaine. Il est difficile de faire retourner à l'école ceux qui en sont sortis de manière initialement peu satisfaisante et l'on a tendance à concentrer la formation sur ceux qui savent déjà. C'est un sujet prioritaire, car la France ne dispose pas aujourd'hui du niveau de compétences de ses actifs requis par son niveau de développement, ainsi que par ses ambitions en matière de compétitivité.
Je suis également d'accord avec la notion de bassin de vie qui représente, à mes yeux, l'échelle de la citoyenneté. C'est une véritable unité. Rapprocher la carte politique et administrative de la carte socio-économique de la France est une logique vers laquelle il faut tendre, en préservant l'attachement aux structures qui existent. Plus on le fera, plus la démocratie fonctionnera de manière satisfaisante, en assurant l'efficacité de la décision publique. C'est également une question de démocratie.
Sur les questions du vote et de l'éloignement des rurbains, il est frappant de constater que la clef territoriale explique les comportements électoraux en France et ailleurs. Si l'offre d'enseignement supérieur n'explique pas tout, encore faut-il qu'elle réponde aux impératifs de qualité et de quantité. On ne peut naturellement développer partout des universités car ces dernières doivent attirer des professeurs et des étudiants de qualité. Le bon équilibre territorial, du point de vue universitaire, est ainsi délicat.
Il faut en effet bien réfléchir aux conséquences du Brexit. Les discours, prononcés par Madame Theresa May lors du congrès du Parti conservateur, développent une nouvelle doctrine combinant de manière assez étonnante, un interventionnisme marqué, une préférence nationale assez explicite et l'ambition d'une ouverture sur le monde entier en phase avec l'apologie du libre-échange britannique traditionnel. Sa cohérence ne m'apparaît pas de prime abord, mais le Brexit représente avant tout un choc politique. Son déroulement au Royaume-Uni, la manière de parvenir à un nouvel équilibre et les répercussions sur le continent sont tout à fait essentielles. Je ne suis cependant pas certain de reprendre la division qui vient d'être évoquée entre les deux modèles économiques, mais je crois que cette situation est tout à fait importante.
La bonne taille des métropoles est une question pertinente. La volonté d'être normatif achoppe néanmoins face aux dynamiques propres. Il me semble que la création d'une dynamique relève d'un certain effet de seuil. Il ne s'agit pas pour autant de privilégier la création de super-métropoles qui induisent des phénomènes de congestion, de pouvoir d'achat ou de coût du foncier. Il est certain qu'il faudrait corriger du coût de la vie les données afin de mieux saisir les conditions de vie des populations sur les territoires. Nous disposons des éléments pour le faire.
Sur l'égalité des chances par rapport à d'autres pays, une étude a été conduite aux Etats-Unis. Nous allons regarder celles qui ont été conduites sur d'autres pays, si elles existent. Rédiger un rapport sur les métropoles est une excellente idée.
S'agissant de la situation du Sud-Ouest, l'existence de Bordeaux et de Toulouse constitue une chance pour cette région. L'articulation des territoires ruraux avec les métropoles demeure tout à fait essentielle. L'échelle de la Silicon Valley est ténue et les investissements s'y font à des distances minimales, malgré le coût du foncier.
Sur la formation professionnelle des chômeurs, je suis d'accord sur le constat qui a été fait. L'Etat peut-il encore agir en stratège ? Nous allons prochainement publier un travail sur les pôles de compétitivité, dont les effets, évalués dans la durée, vont au-delà des effets mécaniques directs induisant le juste retour des investissements, grâce aux actions de recherche et développement. Les pôles de compétitivité constituent ainsi des outils d'interventionnisme moderne et fournissent, du fait de la diversité des thématiques qu'ils abordent, l'ébauche d'une nouvelle politique industrielle s'adossant aux réseaux de laboratoires et d'unités de recherche qui constituent le creuset du développement économique.
Enfin, la métropolisation est-elle la bonne piste ? Il ne suffit pas de l'affirmer ; encore faut-il forger les instruments nécessaires à la diffusion de l'activité. Comment ceux-ci peuvent-ils contribuer au dynamisme et à l'entraînement des territoires sur lesquels sont implantées les métropoles ? Si les politiques de transport et d'équipement en infrastructures numériques peuvent s'avérer évidentes, il nous faut réfléchir à la manière dont on conçoit nos politiques publiques dans une ère de développement économique très fortement marquée par cette polarisation territoriale.
M. Jacques Cornano. - J'aurais aimé développer avec vous le sujet des inégalités régionales au regard des comparaisons internationales. En raison de la situation géographique des outre-mer, mais aussi de l'évolution de leur population et du système social et fiscal, il est dommage que ces comparaisons ne soient pas conduites. Voici un travail d'importance auquel vous pourriez vous atteler et au sujet duquel je serais heureux de vous rencontrer.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie, Monsieur le Commissaire général, pour cette audition, même si je dois vous avouer mes doutes quant à la métropolisation !
Régulation, responsabilisation et simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Rémy Pointereau, président. - Nous en venons à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes. Près de 60 amendements ont été déposés.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Pourquoi, deux ans après la loi Thévenoud, qui a prouvé qu'elle apaisait les dissensions entre les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (VTC), des tensions sont-elles de nouveau apparues dans les rues ou dans nos esprits ? La loi Thévenoud est une loi d'équilibre, mais elle aurait dû être mieux appliquée. Elle n'a pas anticipé les agissements de certaines plateformes, à la limite de la légalité, voire illégaux. Des procédures contre ces plateformes sont d'ailleurs en cours devant des tribunaux.
J'ai reçu toutes les parties au cours de mes auditions - taxis, VTC, plateformes... Même si l'on craint encore des polémiques, je n'ai rencontré, moi, que des gens tout à fait responsables.
La loi Thévenoud encadre les VTC, mais certains ont voulu avoir recours à un autre dispositif, plus souple : celui des services occasionnels régis par la loi d'orientation des transports intérieurs (Loti) de 1982, et ils se sont engouffrés dans cette loi.
Aujourd'hui, les entreprises de transport collectif Loti ont l'obligation de transporter plus d'une personne. Or la majorité des véhicules ne transportent, en fait, qu'une seule personne, comme les taxis ou les VTC. On peut comprendre la crispation des professions régulées qui, elles, respectent la loi. Certes, le nombre de véhicules de transport particulier a progressé à Paris et dans les grandes agglomérations, mais insuffisamment.
Autre élément nouveau depuis 2014 : il est difficile d'agir contre l'organisation, par certaines plateformes, de services de mise en relation entre passagers et conducteurs présentés comme des services de covoiturage, alors qu'il n'en est rien. Doit-on conserver le covoiturage dans le texte ou l'en écarter ? Notre commission se doit de présenter une position claire en séance publique. UberPop a arrêté son activité, mais la plateforme Heetch demeure. Face à ce type de phénomène, la loi Thévenoud a prévu une lourde sanction de deux ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, mais la procédure judiciaire est longue - il a fallu plus d'un an et demi pour condamner UberPop.
Les tensions ont ainsi été ravivées dans le secteur du transport public particulier de personnes, ce qui a conduit le Premier ministre à confier au député Laurent Grandguillaume une mission de concertation.
Le paysage a néanmoins changé : le conflit entre taxis et VTC semble s'être éteint. Ils se sont mis d'accord par exemple sur le principe d'un tronc commun d'examen théorique pour les taxis et les VTC. Désormais, le conflit les oppose aux transporteurs Loti.
La proposition de loi de Laurent Grandguillaume a été élaborée au pas de charge : tables rondes en avril, dépôt du texte en juin, examen à l'Assemblée nationale en juillet - le dernier texte avant la suspension estivale...
La proposition de loi supprime le statut Loti dans les grandes villes, où il est souvent détourné, en prévoyant une phase transitoire - les conducteurs pourront se convertir en chauffeur de taxi ou de VTC. Une série de mesures est par ailleurs destinée à responsabiliser davantage les plateformes et centrales de réservation et décourager les pratiques illégales et les abus vis-à-vis des conducteurs. Mes enfants utilisent des VTC, je ne vais pas condamner ce type de transport. Mais ne laissons pas les sociétés de VTC attirer les chauffeurs de taxi en leur faisant croire qu'ils peuvent, en dehors de leurs heures de travail, utiliser leur véhicule comme VTC - ce n'est pas conforme à la réglementation, la préfecture de police me l'a confirmé. Enfin, le texte transfère l'examen d'accès aux professions de chauffeur de taxi et de VTC aux chambres des métiers et de l'artisanat, dans la logique d'harmonisation des conditions d'accès aux deux professions.
Sur le fond, ces mesures complètent utilement le cadre juridique défini il y a deux ans. Je salue le difficile travail de concertation effectué, plusieurs mois durant, par Laurent Grandguillaume. Mais sur la forme, assurons-nous que la qualité du texte soit préservée, en prévoyant les conditions idéales de passage du statut Loti à celui de VTC. Je regrette vivement que le Gouvernement ait pris autant de temps pour réagir et demande ensuite au Parlement d'examiner un texte dans des délais très courts.
La précipitation s'explique par les tensions actuelles, mais elle ne saurait nous conduire à faire l'impasse sur la qualité des mesures adoptées. En utilisant une proposition de loi comme véhicule législatif, le Gouvernement se prive lui de l'avis du Conseil d'État et nous d'une étude d'impact. Ce n'est pas anodin : plusieurs dispositions de la loi Thévenoud, examinées dans les mêmes conditions, ont été censurées par le Conseil constitutionnel, saisi de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). L'interdiction d'informer de la localisation et de la disponibilité d'un VTC est en outre fragilisée par l'absence de notification à l'Union européenne dans les délais requis. Le Conseil d'État a ainsi annulé la mesure réglementaire prévoyant une sanction en cas d'infraction à cette disposition.
Or les plateformes et les centrales de réservation visées par le présent texte ne se priveront pas d'en attaquer le contenu lorsque l'occasion se présentera : nous devons être très vigilants. De fait, plusieurs dispositions ne présentent pas les garanties juridiques suffisantes. J'ai donc essayé d'y apporter une réponse, ou au moins de signaler les difficultés. Ce travail pourra être complété par la suite, en lien avec le ministère et les députés. Sur quelques dispositions, je ferai appel à votre sagesse. Enfin, comme nous y incite régulièrement notre président Gérard Larcher, j'ai cherché à supprimer les dispositions de nature réglementaire ou dont le caractère normatif est limité, car elles le rendent moins lisible et entretiennent le flou sur les responsabilités respectives du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif.
L'article 1er soumet les services de mise en relation entre des conducteurs et des passagers - centrales de réservation par téléphone, applications numériques de réservation ou plateformes de covoiturage - à des règles communes. Mais il ne définit pas en des termes suffisamment précis les contraintes qui leur sont imposées, alors qu'une sanction pénale de 300 000 euros a été ajoutée à l'Assemblée nationale. Ce dispositif n'est donc pas conforme à la Constitution : il appartient au législateur de définir précisément ces obligations. Demandons explicitement aux plateformes de vérifier les permis de conduire, justificatifs d'assurance et cartes professionnelles des conducteurs, comme la loi Thévenoud l'a déjà imposé aux plateformes de réservation de VTC. Supprimons la nouvelle amende de 300 000 euros, disproportionnée : elle met sur le même plan ceux qui n'ont pas procédé aux vérifications requises et ceux qui ont sciemment organisé des activités illégales de taxi et de VTC. La mise en place, par le pouvoir réglementaire, de contraventions exigibles à chaque manquement constaté sera plus facile à mettre en oeuvre, et tout aussi dissuasive.
L'article prévoit ensuite des obligations spécifiques pour les professionnels qui mettent en relation des passagers et des conducteurs professionnels au travers de centrales de réservation. Si cette notion fait d'abord penser aux centrales-taxi, elle inclut également les plateformes numériques de réservation. L'article étend à l'ensemble des centrales de réservation les obligations déclaratives aujourd'hui imposées aux seules plateformes de VTC. Les autres dispositions de l'article figurent déjà dans le code des transports et ont simplement été déplacées.
Le chapitre consacré aux sanctions reprend celles qui existent - hormis la nouvelle sanction de 300 000 euros déjà évoquée. Il alourdit néanmoins d'un an d'emprisonnement, en plus des 15 000 euros d'amende, la peine applicable aux centrales de taxi interdisant à leurs conducteurs de prendre des clients en maraude. Cet alourdissement n'est guère opérant, s'agissant de personnes morales...
L'article 2 vise à remédier à l'absence de données sur le secteur du transport public particulier de personnes. Mais il autorise l'administration à imposer à tous, y compris les conducteurs, la transmission périodique de données dont le champ est défini de façon très large.
M. Charles Revet. - Eh oui !
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Cela inclut même des données relatives aux déplacements réalisés ou aux passagers. Même si l'anonymisation est prévue, ce dispositif est disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi ; des procédures moins intrusives existent pour mieux connaître le secteur. Outre les données recueillies à l'occasion des différentes obligations déclaratives, il est toujours possible de réaliser une étude statistique, avec les garanties prévues par la loi de 1951 : obligation d'une concertation préalable avec les acteurs concernés, secret des informations recueillies, amendes coercitives en cas de refus de transmission des informations demandées. Je vous proposerai donc de supprimer cet article 2.
L'article 3 interdit aux centrales de réservation d'imposer des clauses d'exclusivité aux conducteurs, afin de leur laisser la possibilité d'être en lien avec plusieurs centrales de réservation ou de commercialiser eux-mêmes leurs services. Il s'agit là d'une réelle nécessité pour protéger les conducteurs. Le texte prévoit une dérogation en des termes assez larges, que je vous proposerai de préciser.
L'article 3 bis crée un label pour les exploitants de VTC offrant des prestations répondant à des normes de qualité particulières, pour un service haut de gamme. Les personnes que j'ai entendues n'étaient pas opposées à la création de ce label, maintenons-le.
L'article 4 interdit les services occasionnels Loti effectués avec des véhicules de moins de dix places dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Le statut est souvent détourné, je l'ai dit. En revanche, ils seront autorisés hors des grandes agglomérations, où ils correspondent à un réel besoin, ou dans les grandes agglomérations mais avec des véhicules plus grands, à condition que leurs conducteurs aient le permis D. Ainsi les territoires ruraux continueront à bénéficier de ces services de transport. C'est important.
Une période transitoire d'un an est prévue pour permettre aux entreprises Loti de changer d'activité en devenant exploitants de taxi ou de VTC. Mais ce délai ne court qu'à partir du 1er juillet 2017. Pour éviter que de nouvelles entreprises Loti ne se créent d'ici là, dans le seul but de bénéficier des mesures dérogatoires, avançons cette date au 1er janvier 2017 ; la transition sera plus longue - jusqu'au 1er juillet 2018.
L'article 5 regroupe les dispositions relatives à l'aptitude professionnelle des chauffeurs de taxi, de VTC et de mototaxi. J'y suis favorable, mais vous proposerai de supprimer des dispositions de nature réglementaire introduites à l'Assemblée nationale.
L'article 6 confie aux chambres des métiers et de l'artisanat l'organisation des examens d'évaluation des conditions d'aptitude professionnelle des conducteurs du transport public particulier de personnes. Les VTC craignent une réduction du nombre des sessions d'examens. Après l'audition des chambres des métiers et de l'artisanat, je crois pouvoir affirmer que ces craintes sont infondées, même si les discussions entre le Gouvernement et les chambres des métiers et de l'artisanat se poursuivent, sur le référentiel d'examen. J'attends les précisions du ministre mais je suis favorable au rapprochement des conditions d'accès aux professions de taxi et de VTC.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous aussi.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Quoi qu'il en soit, l'organisation des examens est d'ordre réglementaire : supprimons la disposition.
L'article 7 corrige un oubli de la loi Thévenoud, en précisant que la location-gérance des taxis comprend la location de l'autorisation de stationnement et la location du véhicule. L'article 7 bis autorise les conducteurs ayant obtenu une autorisation de stationnement à titre gratuit avant la loi de 2014 à la céder à titre onéreux en cas d'inaptitude définitive. L'article 8 prévoit des coordinations.
Contrairement à ce qu'affirme la campagne récente de communication d'une plateforme américaine, cette loi ne supprime aucunement les VTC, bien au contraire. Elle interdit simplement le recours par ceux-ci au dispositif de la loi Loti. L'article 1er étend même les obligations aujourd'hui applicables aux seules plateformes de VTC à l'ensemble des autres plateformes, dont celles des taxis, preuve que l'homogénéisation du cadre juridique ne se fait pas seulement par un alignement du régime VTC sur le régime taxi.
Ce texte ne privilégie aucune des deux professions. Il opère une distinction entre les conducteurs et les centrales de réservation, pour protéger davantage les premiers. C'est une avancée, même si toutes les plateformes ne jouent pas continument avec les failles de la réglementation.
Sous réserve des amendements que je vous propose, je suis donc favorable à ce texte, même s'il n'épuise pas toutes les questions posées par le transport public particulier. Il ne sera certainement pas le dernier. L'idée de créer un fonds de garantie pour les taxis, évoquée dans la feuille de route du Gouvernement, a été abandonnée car personne n'en veut. Elle devra pourtant être traitée. À moyen et long terme, les innovations technologiques, en particulier la voiture autonome, ne manqueront pas de bouleverser à nouveau un secteur en constante mutation. Nous nous reverrons donc certainement bientôt. Nous devrons également réfléchir sur la fiscalité des plateformes. Mon ancien président de groupe à la région des Hauts de France, Dominique Riquet, député européen, qui travaille au Parlement européen sur les plateformes collaboratives, m'a confirmé que la fiscalité devra être décidée à l'échelle européenne. Selon lui, tout chiffre d'affaires réalisé dans un État-membre devra être taxé dans ce pays, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Jean-Jacques Filleul. - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre travail sur ce domaine complexe. Cette proposition de loi est un texte équilibré, voté à l'Assemblée nationale avec l'abstention de l'opposition. Elle a fait l'objet d'une concertation avec l'ensemble des acteurs - VTC, taxis, plateformes, Loti... Elle repose sur trois principes : la responsabilité, la régulation et la simplification. Elle complète la loi Thévenoud, ne freine pas le développement des nouveaux modes de mobilité mais les accompagne. Tout ce qui est nouveau et numérique ne peut être synonyme de dérégulation ; ce serait un mauvais signal. Il y a des règles communes et partagées. Défendons la régulation et la concertation, tout en conservant la logique globale du texte, qui est attendu par la plupart des organisations : huit organisations de taxis et de VTC l'approuvent, dont les chauffeurs de grande remise.
Des amendements nous sont proposés par le rapporteur et par M. Pellevat. Ils modifient l'équilibre général de la proposition de loi. En conséquence, le groupe socialiste et républicain votera contre la plupart de ces amendements.
Mme Évelyne Didier. - Je suis étonnée de vos préconisations. Je n'ai pas terminé les auditions pour déterminer la position de mon groupe. Mais le texte de l'Assemblée nationale et les documents reçus récemment de la part des différents acteurs m'inclinent à poser un regard positif sur le travail des députés, opéré après une très large concertation. Un équilibre a été trouvé. Je voterai contre les amendements qui détricotent le texte, en attendant de me forger une opinion définitive d'ici la séance publique... et peut-être de changer d'avis !
M. Cyril Pellevat. - Je félicite le rapporteur pour l'amélioration du texte. Nous avons reçu de nombreuses sollicitations des plateformes VTC et des taxis. La loi Thévenoud est un texte d'équilibre, mais des lacunes sont apparues. Le rapporteur a peut-être, à la suite de ses auditions, la réponse à plusieurs de mes interrogations : je pourrais alors retirer certains de mes amendements.
La loi de 2014 autorisait les transports Loti - soit 10 000 emplois - à concurrencer les VTC et les taxis. Pour passer du statut de Loti à VTC, il y a certaines contraintes à respecter. Une étude d'impact a-t-elle été réalisée ? Y aura-t-il des évolutions jusqu'en juillet 2018 ?
Le Conseil constitutionnel, le 22 mai 2015, a considéré que l'activité de taxi était différente de celle de VTC. Or l'obligation de 250 heures de pratique est bien plus lourde que celle imposée pour le permis hélicoptère ! Ce seuil va-t-il être réduit ?
L'examen pour les conducteurs VTC a été annulé en octobre, en sera-t-il de même pour les examens de novembre et décembre ?
L'Union des acteurs de la mobilité (Unam) m'a transmis un courrier du préfet du Rhône, en date du 18 octobre, annonçant le transfert de l'examen aux chambres des métiers et de l'artisanat le 1er juillet 2017. Quelle est cette façon de faire ? On court-circuite le travail législatif ! La proposition de loi, que je sache, n'est pas encore votée.
L'article 3 bis sur le label VTC créera peut-être des différenciations inutiles. J'y suis réticent.
M. Louis Nègre. - Ce texte me pose un problème de forme : depuis des décennies, on élabore des lois pour satisfaire les uns ou les autres. Voici une énième mouture. Je prendrai quant à moi le problème par l'autre bout : le client final. C'est lui, le citoyen, qui doit être au centre de notre réflexion, et non les corporations. Nous devons garantir l'ouverture à la concurrence pour un meilleur service aux usagers et aux clients - les taxis ont bien évolué, ces derniers temps, grâce à cette concurrence - et défendre la mobilité au service de nos concitoyens. Nous avons des besoins très importants. Près de 68 000 emplois supplémentaires pourraient être créés. Voyez le décalage : on compte 20 000 taxis et 3 600 VTC à Paris, mais 25 000 taxis et 78 000 VTC à Londres... Sans compter qu'un taxi ou un VTC libère trois places de stationnement. Les usagers sont satisfaits à plus de 90 % - un taux extraordinaire ! C'est un marché en pleine évolution, tenons compte de l'avis des usagers.
Je remercie et félicite le rapporteur, qui n'a pas été un procureur trop agressif de cette proposition de loi. C'est un dossier complexe et il a auditionné très largement. La réponse du Gouvernement s'est traduite par la proposition de loi Grandguillaume. Pourquoi ne pas la voter ? Cependant, le Gouvernement a agi dans la précipitation, et les procédures accélérées ne sont pas favorables à un bon travail législatif : il n'y a eu ni étude d'impact, ni avis de l'Autorité de la concurrence, ni avis du Conseil d'État, et il manque encore l'avis de la Commission européenne, qui a été saisie. Pourquoi une telle urgence ?
Sur le fond, cette proposition de loi est-elle une bonne réponse pour pacifier le secteur et apporter le service attendu ? Je n'en suis pas certain. Le rapporteur lui-même la considère comme un texte de transition. Certains signaux sont négatifs : la nouvelle organisation des examens, d'ordre réglementaire, pose question, de même que l'annulation de l'examen d'octobre. Nos amendements d'appel invitent notre pays à ne pas craindre l'ouverture à la concurrence comme il en a trop l'habitude - et cela vaut aussi pour le monopole de la SNCF. Je suis favorable à la concurrence, si elle s'accompagne de formations et d'examens. J'approuve la lutte contre la fraude et les obligations sociales et fiscales. La régulation ne doit pas restreindre le transport public particulier de personnes. Je serai attentif au respect de la loi Thévenoud, qui favorise la mobilité des citoyens.
M. Jérôme Bignon. - Les transitions actuelles s'accompagnent d'une insécurité juridique. Je partage l'opinion du rapporteur sur l'impréparation du texte de loi, en l'absence d'avis du Conseil d'État et d'étude d'impact. Au moins, nous ne pourrons cette fois être déçus par une étude d'impact maigrelette ! Sur la loi de biodiversité, l'écart était impressionnant, d'un sujet à l'autre, entre certaines analyses très bien faites et d'autres indigentes... Les citoyens nous demandent de changer la loi, mais comment le faire sans références précises ?
Je félicite le rapporteur pour son important travail sur un texte difficile. La mobilité en ville est essentielle, mais la mobilité dans les territoires ruraux, capitale. À Guéret, après la suppression du train, le car Macron a été supprimé. Les Guérétois peuvent toujours partir à vélo, mais sans Vélib' !
Les chauffeurs de taxis ont l'impression d'être les dindons de la farce : ils ont payé leur licence entre 100 et 200 000 euros et demeureront terriblement frustrés tant qu'on ne les aidera pas à récupérer une partie de leur mise. Il faut réparer cette injustice.
M. Alain Fouché. - Les taxis ont fait pression sur les pouvoirs publics pour limiter l'attribution de licences, d'où leur prix. Le sujet des couloirs de circulation a-t-il été évoqué lors de vos auditions ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Monsieur Pellevat, le ministre ne nous a pas encore donné toutes les réponses que nous attendons : des pistes, mais aucune certitude. La suppression des 250 heures de formation pour les VTC est acquise : pour être chauffeur de VTC, l'épreuve consiste en un questionnaire à choix multiples.
Messieurs Nègre et Bignon, merci de votre constat. Monsieur Fouché, les couloirs de circulation ne sont pas directement évoqués dans le texte de loi, et les VTC savent qu'ils ne peuvent avoir gain de cause actuellement sur ce point.
Monsieur Filleul, je ne crois pas détricoter la proposition de loi. J'ai rappelé les trois enjeux de ce texte, complément essentiel à la loi Thévenoud pour sortir de la situation délicate actuelle. Je les soutiens mais préfèrerais éviter les QPC à répétition ! Nous avons beaucoup travaillé, notamment avec la commission des lois, et identifié un risque d'inconstitutionnalité sur certains articles. Pourquoi s'opposer à des amendements de clarification ? L'application par le juge en sera facilitée. Voyez l'article 2 : lors de l'examen de la loi République numérique nous avons été très raisonnables sur la transmission des données. Or ici, la transmission de données est très large et un vrai fourre-tout ! Si nous voulons progresser dans la connaissance du secteur et des agences, nous pouvons soutenir la recherche en ce domaine. Je soutiens le texte de l'Assemblée nationale, mais je ne peux préconiser un vote conforme dès lors que persistent des irrégularités de forme. Si le Gouvernement propose en séance publique une meilleure rédaction de l'article 2, tant mieux. Nous n'avons pas eu le temps de le faire. La divergence porte sur la forme, non sur le fond.
Madame Didier, le texte convient aux acteurs du transport particulier sur le fond. Travailler aussi sur la forme est dans notre rôle de parlementaire.
Je suis désolé que le préfet du Rhône fasse appliquer la loi avant qu'elle soit votée. Je vais écrire au ministre pour m'en plaindre.
M. Charles Revet. - Disons-le en séance, ce sera inscrit au Journal officiel.
Mme Évelyne Didier. - Sur certains amendements, je changerai peut-être d'avis.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je vous y incite, me souvenant des prises de position de votre groupe lors de l'examen du projet de loi sur la République numérique. Le ministre demande des données à tout va, sans être d'ailleurs en mesure de les analyser.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-35 est rédactionnel.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous voterons contre cet amendement, faussement rédactionnel, qui modifie le texte de manière insidieuse.
Mme Évelyne Didier. - Je vote contre, sans m'interdire de changer d'avis.
L'amendement n° COM-35 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-36 précise les obligations imposées aux professionnels, il ne les durcit pas.
L'amendement n° COM-36 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Défavorable à l'amendement no COM-11.
L'amendement n° COM-11 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-5 et le n° COM-2 rectifié bis sont relatifs au covoiturage. Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, il faut conserver dans le texte les dispositions touchant le covoiturage, pour protéger les plateformes sérieuses des agissements de celles qui le sont moins. Sagesse.
M. Jean-Jacques Filleul. - Pour les mêmes raisons que précédemment, nous sommes défavorables à cet amendement.
Les amendements identiques nos COM-5 et COM-2 rectifié bis ne sont pas adoptés.
L'amendement rédactionnel n° COM-37 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-38 supprime des mesures qui relèvent du domaine réglementaire.
L'amendement n° COM-38 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° COM-52 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-39 supprime une disposition redondante.
L'amendement n° COM-39 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-40 sur la prise en charge de clients en maraude est un amendement de précision.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous ne sommes pas d'accord avec le rapporteur.
L'amendement n° COM-40 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-41 supprime une disposition inutile.
L'amendement n° COM-41 est adopté.
L'amendement n° COM-12 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable ou retrait de l'amendement n° COM-13.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous voterons contre.
L'amendement n° COM-13 n'est pas adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-42 supprime la sanction de 300 000 euros que j'évoquais à l'instant.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous votons contre, en attendant une analyse plus approfondie.
Les amendements n° COM-42 et COM-16, identiques, sont adoptés.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-53 rétablit la sanction actuellement prévue par le code des transports contre les centrales de réservation qui interdiraient aux taxis de prendre en charge les clients qui les hèlent dans la rue.
L'amendement n° COM-53 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° COM-43 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement no COM-44 supprime une disposition inutile à l'alinéa 35.
Ces amendements COM-44 et COM-20, identiques, sont adoptés.
L'amendement n° COM-14 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement no COM-18.
L'amendement n° COM-18 est retiré, ainsi que l'amendement no COM-15.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement no COM-19.
L'amendement n° COM-19 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement no COM-17.
L'amendement n° COM-17 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Les amendements no COM-45 et n° COM-21 suppriment l'article 2.
M. Jean-Yves Roux. - Nous sommes défavorables à la suppression d'un article important, qui régule le secteur. Si l'on demande aux entreprises de communiquer ces données, c'est afin que les collectivités territoriales puissent adapter leur offre de transport.
Les amendements identiques nos COM-45 et COM-21 sont adoptés.
L'article 2 est supprimé.
L'amendement n° COM-22 devient sans objet.
Article 3
L'amendement rédactionnel n° COM-46 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je ne comprends guère le sens de l'amendement n° COM-23.
M. Cyril Pellevat. - Il met en conformité cette disposition avec le code de la consommation.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je demande son retrait.
M. Cyril Pellevat. - Je le modifierai pour le redéposer en séance.
L'amendement n° COM-23 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-47 apporte des précisions sur la dérogation à l'interdiction des clauses d'exclusivité. L'Autorité de la concurrence partage mon point de vue.
L'amendement n° COM-47 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement no COM-24.
L'amendement n° COM-24 est retiré.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 3 bis (nouveau)
L'amendement rédactionnel n° COM-48 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression n° COM-25.
L'amendement n° COM-25 n'est pas adopté.
L'article 3 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-49 rectifié avance le début de la période transitoire, pour les raisons que j'ai dites.
M. Jean-Jacques Filleul. - Nous nous abstenons. Nous en débattrons avec le ministre.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Vous avez du mal à dire oui !
L'amendement n° COM-49 rectifié est adopté.
L'amendement de précision n° COM-57 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° COM-54 rectifié est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-26.
L'amendement n° COM-26 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - J'ai discuté avec M. Capo-Canellas de son amendement n° COM-1 rectifié bis sur les tailles de voiture pour l'activité de Loti. Ma première impression était défavorable, faute d'expertise.
Mme Chantal Jouanno. - Nous retirons l'amendement.
L'amendement n° COM-1 rectifié bis est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-9 relève du domaine réglementaire.
L'amendement n° COM-9 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - De même pour l'amendement n° COM-10 : à l'exécutif de décider.
L'amendement n° COM-10 est retiré.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles additionnels après l'article 4
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-3 sur la possibilité de transport partagé dans les VTC et les taxis. Des dispositifs sont déjà utilisables pour réserver via des agences de voyage. Le chauffeur de taxi ou de VTC doit demander le même prix pour sa course, qu'il ait un ou plusieurs passagers. Avec le système proposé ici, cela ne serait plus forcément le cas... Même avis sur le n° COM-8, similaire.
L'amendement n° COM-3 n'est pas adopté, non plus que le n° COM-8.
L'amendement n° COM-4 est déclaré irrecevable en application de l'article 48 du Règlement.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-50 supprime des dispositions réglementaires.
L'amendement n° COM-50 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-27 qui modifie le cadre juridique du transport public particulier de personnes.
L'amendement n° COM-27 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-7 sur l'organisation de l'examen est d'ordre réglementaire.
L'amendement n° COM-7 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Même argument pour l'amendement n° COM-6.
L'amendement n° COM-6 est retiré.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 6
Les amendements de suppression nos COM-51 et COM-28 sont adoptés.
L'article 6 est supprimé.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression n° COM-29.
L'amendement n° COM-29 est retiré.
L'article 7 est adopté sans modification.
Articles additionnels après l'article 7
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-30 qui revient sur une disposition de la loi Thévenoud.
L'amendement n° COM-30 est retiré.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-31.
L'amendement n° COM-31 est retiré, de même que l'amendement n° COM-32.
M. Michel Raison. - Votre amendement n° COM-58 est excellent, monsieur le rapporteur !
L'amendement n° COM-58 est adopté.
L'article 7 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 8
L'amendement rédactionnel n° COM-56 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - L'amendement n° COM-55 supprime les alinéas relatifs à une entrée en vigueur différée de l'article 1er, qui n'est pas nécessaire compte tenu d'un autre de mes amendements.
L'amendement n° COM-55 est adopté.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° COM-34, par cohérence.
L'amendement n° COM-34 est retiré.
L'amendement n° COM-33 est retiré.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 12 h 25.
Le sort des amendements est repris dans le tableau ci-après.