Mercredi 13 juillet 2016
- Présidence de M. Alain Milon, président -La réunion est ouverte à 10 heures.
Audition de M. Lionel Collet, candidat pressenti pour le poste de président du conseil d'administration de l'agence nationale de santé publique (ANSP)
M. Alain Milon, président. - À la demande du Gouvernement et en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, nous recevons M. Lionel Collet, dont la nomination est proposée pour la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale de santé publique (ANSP). L'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé prévoit la création de cette agence issue du regroupement de l'Institut de veille sanitaire (InVs), de l'Institut national pour la prévention et l'éducation à la santé (Inpes) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Elle assurera ainsi une triple mission de surveillance, de prévention et de réponse aux urgences sanitaires.
L'agence est effective depuis de 1er mai, en application d'une ordonnance du 14 avril dernier. L'exercice de ses missions, son organisation et ses relations avec les autres services de l'État ont été précisés par un décret du 27 avril. Nous avons auditionné en mai M. François Bourdillon, chargé de la préfiguration avant d'être nommé directeur général.
Notre commission a approuvé cette simplification du paysage des opérateurs sanitaires de l'État. La fusion améliorera l'efficience comme la visibilité nationale et internationale.
Monsieur Collet, vous avez été nommé en janvier 2015 aux conseils d'administration de l'InVs et de l'Eprus. Avant de nous exposer votre conception de la fonction de président du conseil d'administration de l'ANSP, pouvez-vous nous présenter votre parcours et les compétences que vous pensez pouvoir mettre au service de l'Agence ? Parcours très riche, puisque vous avez été professeur de médecine et êtes, depuis 2013, conseiller d'État. Vous êtes également coordonnateur du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) et administrateur de l'Institut Curie.
Quelles devraient être les orientations stratégiques de l'ANSP pour les prochaines années, notamment en matière de prévention ? Quelle est votre approche de la problématique des conflits d'intérêts ? Comment les distinguer des liens d'intérêt ? Enfin, comment voyez-vous les relations de l'ANSP avec son ministère de tutelle ?
M. Lionel Collet, candidat pressenti pour la présidence du conseil d'administration de l'ANSP. - Merci de m'accueillir. Je précise d'emblée que la présidence du conseil d'administration de l'ANSP est non-exécutive, l'Agence étant dotée d'un directeur général exécutif.
Notre dispositif de protection de la santé publique repose sur la direction générale de la santé et sur cinq grands pôles : population, surveillance épidémiologique et prévention, avec l'ANSP ; sécurité des produits de santé, avec l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ; pratiques médicales, avec la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence de la biomédecine ; sécurité des milieux de vie, avec l'Anses et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) ; radioprotection et sûreté nucléaire, avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Bref, dans cette organisation polaire, sur le modèle de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, nous constituons l'une de ses agences, là aussi suivant le modèle international qui prévaut aux États-Unis avec les centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention, CDC), mais aussi au Québec ou au Royaume-Uni. L'intérêt de la santé publique suppose de rapprocher ceux qui assurent la veille et la surveillance épidémiologiques de ceux qui agissent, par la prévention ou en réponse à des urgences sanitaires. Deux de nos agences ont été créées en réponse à des crises sanitaires : vache folle et hormone de croissance contaminée, qui ont donné lieu à la loi de 1998 créant l'InVS, puis chikungunya, qui a entraîné la création de l'Eprus par la loi de mars 2007. Quant à l'Inpes, il a pris la suite du Comité français d'éducation pour la santé.
L'ANSP est donc issue de la fusion des trois agences, sachant que l'Inpes est le financeur unique du GIP Adalis (Addictions Drogues Alcool Info Service), dont le budget s'élève à 3 millions d'euros.
Le conseil d'administration de l'ANSP a trois particularités. D'abord, celle d'être le premier, chargé de mettre en route la nouvelle Agence, de bâtir son contrat d'objectifs et de performance, d'organiser le dialogue social, d'accompagner le changement, de mettre en place un système d'information commun et un schéma immobilier, l'Eprus devant rejoindre le site de Saint-Maurice...
Deuxième particularité du conseil d'administration : sa composition. Parmi la trentaine de membres figurent des représentants de l'État, des élus désignés par l'Association des maires de France et par l'Association des départements de France, des représentants de l'assurance maladie, des personnels, des professionnels désignés par l'Académie de médecine ou la Société française de santé publique, mais aussi quatre représentants des associations d'usagers - respectivement des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, des associations de défense de l'environnement, des associations de défense des consommateurs et des associations de prise en charge des malades. Le mode de vote est également particulier : une voix par membre, trois pour l'assurance maladie, deux pour chaque représentant d'un ministère, quatre pour le ministère du budget, dix pour le ministère de la santé. Un conseil d'administration restreint, limité aux représentants de l'État et de l'assurance maladie, traitera des sujets confidentiels en lien avec la défense nationale, la sécurité civile ou les secrets industriels et commerciaux.
Ancien professeur des universités-praticien hospitalier, je ne suis pas un médecin spécialiste de santé publique mais j'ai présidé le conseil d'administration de l'InVs et de l'Eprus. Comme président de l'université Claude Bernard Lyon I, gérant 5 000 personnes et un budget de 300 millions d'euros, j'ai dû mener à bien des regroupements internes, faire fonctionner les départements en synergie et non en silo. Ce fut une expérience utile, le milieu universitaire étant connu pour être parfois éruptif !
J'en viens aux orientations stratégiques de l'ANSP. Le directeur général a fait voter par le conseil d'administration un programme autour de cinq axes stratégiques -englobant aussi bien les déterminants de santé, les populations visées, les pathologies, les interventions dans les territoires que les infrastructures- et de 28 actions.
Certains sujets me tiennent tout particulièrement à coeur. D'abord, la lutte contre le tabagisme, qui n'obtient pas les résultats observés ailleurs. Ensuite, la couverture vaccinale, qui est insuffisante. Après le rapport Hurel, une consultation nationale a été confiée au professeur Alain Fischer, à laquelle l'ANSP sera associée. Enfin, les personnes âgées dépendantes, dont le nombre, aujourd'hui de 1,2 million, devrait doubler d'ici 2060. Il faudra un important travail de prévention pour réduire la dépendance.
Il faut être capable, à partir de signaux très faibles, d'annoncer l'émergence d'une nouvelle pathologie, comme le CDC avait su le faire pour le Sida à partir de moins de dix cas sur le sol américain. Cela suppose de moderniser nos techniques, en lien avec les organismes de recherche. Ainsi, l'InVs a détecté les premiers cas de Zika en Guyane et à la Martinique.
Je suis le troisième coordonnateur du Conseil stratégique des industries de santé, créé par Jean-Pierre Raffarin, avec pour mission de renforcer l'attractivité du territoire français aux yeux des industries pharmaceutiques en conciliant les impératifs industriels et l'équilibre des comptes sociaux. Une de ses mesures élaborée portait sur la qualité de l'expertise. Les industriels considèrent qu'en France, les conditions imposées pour être reconnu comme expert excluent des personnes de grande qualité, au motif qu'elles ont des liens d'intérêt avec les laboratoires. Or un expert sans liens d'intérêts ne présente pour eux aucun intérêt ! À quel moment le lien d'intérêts devient-il conflit et entraîne-t-il une perte d'indépendance ? Quelle part de financement des activités de l'expert est acceptable, sachant que la rémunération peut être directe ou indirecte ?
Je suis très attaché à la transparence des liens d'intérêts. Hormis les déclarations publiques d'intérêts de ceux qui assument des fonctions de responsabilité dans l'Agence, tous les membres des différentes instances seront soumis à une déclaration d'intérêts, et un comité de déontologie donnera un avis avant que le conseil d'administration ne se prononce sur les membres du conseil scientifique. Les règles déontologiques qui s'appliquent aux membres du personnel et aux cocontractants avec l'Agence figurent parmi les missions du conseil d'administration.
Quant aux relations avec le ministère de tutelle, elles prennent la forme d'une réunion hebdomadaire du directeur général avec le directeur général de la santé. Il me parait logique que le président du conseil d'administration entretienne des relations régulières avec la tutelle mais aussi avec les autres agences comme l'Anses.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je ne reviens pas sur votre parcours, exemplaire : on vous croirait programmé pour occuper ce poste ! Ce qui nous intéresse, c'est le programme de cette Agence.
Vous avez évoqué les questions que vous entendiez traiter plus particulièrement. Le tabagisme est un sujet qui nous préoccupe au plus haut point, notamment parce qu'il s'agit de conjuguer les exigences sanitaires et budgétaires : étant données les rentrées fiscales que procure le tabac, les intérêts de l'État sont conflictuels ! Quel est le point optimal sur lequel s'accorder ? Pour ma part, je ne vois d'autre issue que la suppression du tabac...
Le problème de la dépendance des personnes âgées est lui aussi à la fois sanitaire, budgétaire et de prévention. Le tout récent rapport de la Cour des comptes sur le maintien à domicile des personnes âgées en perte d'autonomie rejoint les préoccupations et les préconisations avancées par la mission sur l'aide à domicile que nous avions conduite avec Dominique Watrin. Pour avancer sur le traitement comme sur la prévention, il faudra des moyens...
Mme Patricia Schillinger. - Vous avez devant vous une lourde tâche. Ma question porte sur les stocks de médicaments, qui participent de la prévention. Il faut souvent des mois pour obtenir des antibiotiques ou des vaccins...
Mme Catherine Génisson. - La façon dont vous abordez la question des liens d'intérêts est intéressante, nous suivrons vos travaux de près. Entre liens et conflit d'intérêts, il s'agit de mettre le curseur au bon endroit.
Le ministère de la santé est-il la seule tutelle de l'ANSP ?
Mme Catherine Procaccia. - J'ai été alertée par les personnels médicaux et hospitaliers sur la difficulté à se procurer les vaccins BCG. L'Agence pourra-t-elle agir ?
Quelle est votre position personnelle sur la vaccination anti-variole, face au risque de bioterrorisme ? Ce vaccin n'est fabriqué que par deux laboratoires au monde. Les personnels médicaux qui sont en première ligne ne devraient-ils pas être vaccinés ?
Enfin, les médicaments sont nombreux à être fabriqués en Inde ou ailleurs. Ils ne sont soumis qu'à des contrôles aléatoires. Or le personnel médical s'interroge sur la qualité de ces médicaments. Avez-vous l'intention de mener des actions particulières dans ce domaine ?
Mme Corinne Imbert. - La ministre a décidé d'un plan d'action pour renforcer la confiance dans la vaccination, qui passe par une meilleure information du public et des professionnels de santé. L'Agence a mis en place un site internet de référence. La ministre a également souhaité une grande consultation citoyenne. Celle-ci ne risque-t-elle pas de relayer les craintes, de mettre en lumière les risques plutôt que les avantages ? Et comment prévenir les ruptures de stock ?
M. Yves Daudigny. - Le site santepubliquefrance.fr annonce la consultation nationale sur la vaccination, en effet.
Quelle est votre position sur l'antibiorésistance, qui concernerait tout particulièrement la France ?
Quels contacts y aura-t-il entre l'Agence et les industriels ?
M. Alain Milon, président. - Quelles relations avec les professionnels de santé sur le terrain ?
M. Gérard Roche. - Les conduites addictives, les effets de la pollution sur la santé sont des sujets qui nous tiennent à coeur. La remise en cause de la vaccination est un phénomène grave. Il sera difficile de renverser la vapeur, d'autant que ces thèses sont très répandues chez les enseignants. Autre sujet : la surconsommation médicale et ses possibles effets iatrogènes. Les consultations étant de plus en plus brèves, on compense en rajoutant à chaque fois une nouvelle ligne sur l'ordonnance !
Nous sommes très en retard sur le diagnostic précoce des troubles cognitifs liés au vieillissement : il y a une discordance entre la prévention sociale et le diagnostic précoce, qui suppose une présence familiale et, je le répète, des consultations plus longues.
M. Jean-Marc Gabouty. - Vous avez évoqué le risque de sous-vaccinations ; quid du risque de sur-vaccination, de vaccinations inutiles ? L'achat de 95 millions de doses de vaccins antigrippe naguère s'imposait-il ?
Le nombre de personnes âgées dépendantes va augmenter. Nous pouvons ralentir, retarder, accompagner la dépendance, pas la réduire. C'est un problème de société qui nécessiterait une approche interministérielle et une plus forte implication des collectivités locales, car il touche à la santé, au social, au logement, à l'urbanisme...
M. Lionel Collet. - Il y a un réel engagement de l'Agence pour renforcer la lutte contre le tabagisme. La France a sa « journée sans tabac », le Royaume-Uni, un mois entier ! Les mesures prises depuis trente ans ont certes fait baisser le tabagisme - mais insuffisamment chez les femmes et les jeunes.
L'intérêt conflictuel de l'État se retrouve aussi dans le secteur des industries de santé. Là aussi il faut trouver le point optimal...
Je suis d'une génération qui a appris, à la faculté, à prescrire systématiquement des antibiotiques même pour un virus, afin d'anticiper une éventuelle surinfection bactérienne. L'antibiorésistance appelle deux réponses : d'abord, ne pas prescrire d'antibiotiques pour une pathologie virale ; ensuite, identifier les germes antibiorésistants et trouver de nouveaux antibiotiques pour les traiter.
J'ai commencé mes études de médecine à une époque où la vaccination contre la variole était obligatoire. Simone Veil y a mis fin car le vaccin tuait plus que la maladie : un décès par an, alors que les cas de variole avaient disparu ! Face au risque d'attaque bio-terroriste, l'Eprus, qui gère les stocks stratégiques, doit se tenir prêt, garantir que l'on pourra fabriquer le vaccin - qui n'est pas anodin.
Mme Catherine Procaccia. - La moitié de la population de moins de 40 ans pourrait être décimée !
M. Lionel Collet. - Difficile à dire. Notre raisonnement repose sur l'équilibre bénéfice-risque. Cela fait trente ans que nous savons que le risque bio-terroriste existe.
En matière de politique vaccinale, le rôle de l'Agence, sur le plan épidémiologique, est de préciser l'état actuel de la couverture vaccinale. L'InVs identifie notamment les pathologies qui apparaissent dans d'autres pays malgré l'existence d'un vaccin. Derrière la consultation nationale, il y a un travail d'information des personnels de santé et de la population à mener. Lorsque l'on cherche « vaccin » dans Google, on tombe d'abord sur des sites anti-vaccin ! Notre site d'information doit arriver en première place.
Mme Catherine Procaccia. - Il faudra payer !
M. Lionel Collet. - Il faut surtout un site tonique, à jour, attractif. La grande consultation citoyenne fera remonter les craintes, forcément, mais le jury professionnel doit pouvoir avancer les chiffres qui les apaiseront. La poliomyélite, qui avait des conséquences dramatiques, n'a-t-elle pas été éradiquée ?
Les effets iatrogènes des produits de santé sont souvent montés en épingle. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) existe, mais il faut avant tout des personnes vaccinées pour protéger les autres !
Plusieurs questions ont porté sur les stocks de médicaments. La loi « santé » de janvier dernier a prévu un décret énumérant les produits pour lesquels les industriels devront constituer des stocks qu'ils ne pourront exporter, pour anticiper toute rupture.
Quant aux médicaments fabriqués à l'étranger...
Mme Catherine Procaccia. - Presque tous le sont !
M. Lionel Collet. - Loin s'en faut. L'industrie de la santé en France représente 200 000 emplois directs et autant d'emplois indirects. Nous avons des centres de production majeurs, y compris pour des produits matures. Assurer notre indépendance sanitaire suppose une capacité de production propre.
Les médicaments génériques sont fabriqués à 90 % en Europe - même si ce n'est pas forcément le cas du principe actif. L'ANSM suit ces dossiers.
L'Eprus étant appelé à passer des marchés pour constituer des stocks, nous avons avec les industriels des relations de client à fournisseur : elles ne vont pas au-delà. Aucun représentant de l'industrie ne siège au conseil d'administration de l'ANSP, bien évidemment.
Monsieur Roche, plusieurs études épidémiologiques se sont penchées sur les liens entre les troubles cognitifs et le vieillissement pour favoriser le diagnostic précoce. Une équipe de Baltimore a ainsi indiqué que la perte auditive non corrigée augmentait de 30 % le risque de dépendance précoce et multipliait par trois le risque de chute chez les personnes âgées. La réponse réside dans l'appareillage auditif - mais le reste à charge est important. Je rappelle au passage que la France importe 100 % des prothèses auditives, soit 700 000 par an, chiffre qui ne peut que croître. C'est une question que l'ANSP devra creuser.
M. Gabouty a évoqué le risque de sur-vaccination... On ne peut reprocher aux pouvoirs publics de prévoir une réponse face à une menace de pandémie. Qu'aurait-on dit si la menace s'était concrétisée et que les précautions n'avaient pas été prises ?
La vaccination en soi peut-elle présenter un danger en cas de sur-vaccination ? Certaines populations sont particulièrement sensibles à la vaccination par la dose antigénique, c'est vrai. Je fais confiance aux médecins de santé publique et aux comités techniques des vaccinations pour préciser le cadre, car le sujet est très technique.
Madame Génisson, le ministère de la santé est notre seule tutelle, mais les ministères de la recherche, du budget, de la défense et des outremers sont représentés au conseil d'administration.
Mme Catherine Génisson. - J'adhère à votre raisonnement sur l'antibiorésistance - qui peut être dramatique. Cela dit, il faut bien constater que l'antibiothérapie empirique a fait disparaitre certaines pathologies, comme les pathologies cardiaques liées au streptocoque.
M. Lionel Collet. - Oui, dans les le rhumatisme articulaire aigu, où le germe est clairement identifié et le traitement adapté. La question se pose quand l'antibiothérapie de prophylaxie est prescrite pour des pathologies qui ne l'exigent pas, comme les grippes.
M. Alain Milon, président. - À l'époque, nous n'avions pas le moyen de distinguer l'origine virale ou bactérienne d'une pathologie.
M. Michel Amiel. - On inciterait à recourir au vaccin hexavalent faute de pouvoir trouver le vaccin DT-Polio trivalent. Cette question fait polémique - on l'a vu avec la sanction sévère infligée au professeur Joyeux, et la clientèle de ville exprime de plus en plus ses inquiétudes. Qu'en pensez-vous ?
Selon le professeur Raoult, éminent virologue, l'antibiorésistance serait un vrai-faux problème. Il est vrai que des pathologies ont pu être éradiquées, en médecine de ville, par la pratique de l'antibiothérapie probabiliste, à l'aveugle, car on ne savait pas distinguer pathologies virales et bactériennes.
M. Lionel Collet. - Là aussi, il faut trouver le point optimal entre les cas où l'antibiothérapie est adaptée et la distribution à large spectre qui encourage l'antibiorésistance. Le rôle premier du médecin est de soigner : on ne peut lui reprocher de prescrire un antibiotique quand il n'y a pas d'autre traitement.
Peut-être notre connaissance des maladies neuro-dégénératives connaitra-t-elle une rupture significative, le jour où l'on trouvera un médicament qui guérit, comme le Sovaldi. Qui pouvait prédire la révolution qu'a été l'immunothérapie pour le traitement de seconde ligne de certains cancers ? Mes aînés ont connu de semblables révolutions dans les traitements antituberculeux ou de certaines pathologies ORL.
L'enjeu est d'assurer le contingentement des pathologies dans lesquelles on détecte une antibiorésistance, dans l'attente d'un traitement. C'est un thème que poursuivra l'Agence, comme le font l'Organisation mondiale de la santé ou One Health.
M. Alain Milon, président. - Merci. Nous aurons l'occasion de nous revoir, notamment au moment de l'examen du budget.
Travail, modernisation du dialogue social et sécurisation des parcours professionnels - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Alain Milon, président. - Nous examinons à présent en nouvelle lecture le rapport et le texte de la commission sur le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Je vous prie d'excuser l'absence de Michel Forissier, retenu, et donne la parole aux deux autres rapporteurs.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Deux semaines après avoir adopté ce projet de loi en séance publique et après l'échec de la commission mixte paritaire, nous voici face à un texte largement remanié par l'Assemblée nationale, et dont la rédaction est très proche de celle retenue en première lecture. Avec 182 amendements intégrés au texte de la commission et 111 autres considérés comme adoptés après engagement de la responsabilité du Gouvernement en nouvelle lecture, les députés ont modifié l'intitulé du texte et surtout supprimé quasiment tous les apports du Sénat. Si nous ne nous faisions guère d'illusions sur le sort réservé à certaines de nos modifications les plus emblématiques, nous regrettons que certains apports techniques ou de bon sens aient été écartés d'un revers de main.
Notre commission avait retenu 201 amendements pour répondre aux cinq enjeux essentiels que constituent la simplification et la sécurisation du cadre juridique applicable aux entreprises, le renforcement de leur compétitivité, la prise en compte des spécificités des TPE et PME, le développement de l'apprentissage et la défense des missions de la médecine du travail. Notre texte avait été enrichi en séance publique de 157 amendements, à l'issue de plus de 80 heures de discussion, au cours desquelles la ministre du travail a tenté de faire oeuvre de pédagogie car ce projet de loi, parfois dense et technique, est au fond peu connu et souvent caricaturé.
À l'article 1er, nous avions fixé une feuille de route précise et ambitieuse à la commission de refondation du code du travail, en remettant l'accent sur l'objectif initial de simplification, mais l'Assemblée nationale a rétabli sa rédaction en l'assortissant de deux modifications : la commission devra s'appuyer sur les travaux du Haut Conseil du dialogue social, et la consultation des partenaires sociaux ultramarins est prévue, selon une formulation assez peu compréhensible.
Si les députés ont approuvé l'article 1er bis A, introduit au Sénat, qui autorise le règlement intérieur à appliquer le principe de neutralité dans l'entreprise, ils ont écarté la possibilité pour un accord d'entreprise de modifier ce règlement, qui relève en effet du seul pouvoir de direction de l'employeur. Nous verrons les conséquences des conclusions que vient de rendre, sur une affaire française concernant le licenciement d'une salariée ayant refusé de retirer son foulard islamique, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui semble estimer qu'il s'agit d'une discrimination directe fondée sur la religion. Les députés ont aussi rétabli la rédaction initiale de l'article 1er bis, en supprimant la distinction que nous avions opérée entre le régime probatoire du harcèlement sexuel, aligné sur celui prévu pour les discriminations, et le régime applicable au harcèlement moral, qui demeurait inchangé afin d'éviter la multiplication des contentieux. C'est mettre le doigt dans un engrenage dangereux, comme la ministre elle-même l'a reconnu en séance.
À l'article 2, suivant la logique du projet de loi et dans la lignée de la loi du 20 août 2008 et du rapport Combrexelle, nous avions placé la négociation collective en entreprise au coeur de la définition des règles en matière de durée du travail, de repos et de congé. Dans sa rédaction initiale, cet article n'apportait que peu de modifications au droit existant. En fait, c'était une réécriture selon un schéma ternaire : principes auxquels on ne peut déroger, champ de la négociation collective et règles supplétives. Nous avons tenté de lui donner plus d'ampleur. La durée légale aurait été supprimée et remplacée par une durée de référence fixée conventionnellement. En l'absence d'accord, un décret aurait eu à fixer la durée applicable, après concertation avec les partenaires sociaux, dans la limite de 39 heures. Il est dommage que cette rédaction n'ait pas été retenue. De même, le Sénat avait proposé de substituer à la durée minimale de travail à temps partiel uniforme de 24 heures hebdomadaires fixée dans la loi une durée conventionnelle déterminée par accord dans les entreprises ou, à défaut, dans les branches.
Pas moins de 44 amendements avaient été adoptés à cet article au Sénat, afin de lui rendre l'ambition qui était la sienne avant les reculs successifs qui ont émaillé le parcours de ce texte. Il aura fallu aux députés et au Gouvernement près de 60 amendements pour rétablir, sans surprise, leur version du texte et ne retenir que des dispositions secondaires introduites par le Sénat, comme l'inscription dans la loi du délai de prévenance supplétif de 15 jours pour les astreintes ou encore l'articulation des accords d'entreprise avec les accords de branche antérieurs à 2004. L'Assemblée nationale a introduit des dispositions nouvelles, comme la reconnaissance du caractère férié de la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage dans les départements d'outre-mer, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.
À l'article 3, relatif aux congés spécifiques, l'Assemblée nationale a en outre repris l'ensemble des modifications adoptées par le Sénat, en particulier sur les congés pour événements familiaux. En séance publique, nous avions relevé la durée minimale de ce congé en cas de décès d'un proche de deux à trois jours et l'avions étendu à la disparition du concubin. Les députés ont également conservé la création d'un congé spécifique, qui ne pourra pas être inférieur à deux jours sauf accord d'entreprise, en raison de l'annonce de la survenue d'un handicap chez un enfant. Ces dispositions résultaient d'amendements de nos collègues Philippe Mouiller et Dominique Gillot.
Les députés n'ont pas suivi le Sénat dans la voie de l'assouplissement des règles relatives au compte épargne-temps, à l'article 4, et notamment sur la possibilité d'augmenter le nombre de jours de congés payés que le salarié peut utiliser pour obtenir un complément de rémunération. Ils ont également supprimé les deux articles 7 A et 7 B, que nous avions adoptés afin de relever les seuils sociaux, et refusé la généralisation de la délégation unique du personnel prévue à l'article 7 C, qui rapprochait pourtant la vie des entreprises du modèle allemand. Ils sont aussi revenus sur la suppression par le Sénat, en séance publique, avec l'article 7 AA, des commissions paritaires régionales interprofessionnelles instituées par la loi du 17 août 2015.
Les principales modifications que nous avions apportées aux nouvelles règles de négociation collective, aux articles 7 et 9, n'ont pas été retenues. Toutefois, le Gouvernement a modifié les modalités d'opposition à la publication d'un accord sur le futur portail internet dédié, ce qui offre un bon équilibre entre la protection des droits des signataires et l'exigence de transparence des accords.
À l'article 10, soucieux de ne pas bloquer le dialogue social, nous avions maintenu les règles actuelles de validité des accords collectifs, tout en introduisant la possibilité d'organiser une consultation des salariés, à l'initiative de l'employeur ou des syndicats signataires d'un accord frappé d'opposition, pour entériner cet accord. Sans surprise, les députés ont rétabli l'essentiel de leur texte, en prévoyant qu'à compter du 1er septembre 2019 tous les accords devront être signés par des syndicats représentant plus de la moitié des suffrages exprimés en faveur d'organisations ayant dépassé le seuil de 10 % lors des dernières élections professionnelles.
À l'article 11, relatif aux accords de préservation et de développement de l'emploi, dits « accords de compétitivité », seules la disposition relative à la clause de retour à meilleure fortune et celle précisant la procédure à suivre par l'employeur en cas de licenciement ont été accueillies favorablement par les députés. Le Gouvernement s'est toutefois largement inspiré de nos travaux pour clarifier le régime juridique applicable au parcours d'accompagnement personnalisé dont bénéficieront les salariés qui refuseront l'application de ces accords.
L'article 13, portant sur les missions des branches professionnelles, a acquis au fil de l'examen parlementaire une forte notoriété car il est apparu comme le contrepoids aux dispositions de l'article 2. L'Assemblée nationale a conservé l'essentiel de nos apports, qui renforçaient le rôle des commissions paritaires de branche, et je m'en réjouis. Mais cet article a été complètement modifié en nouvelle lecture par plusieurs amendements, qui sont en réalité d'une portée limitée par rapport aux dispositions actuelles du code du travail.
Tout d'abord, les accords d'entreprise ne pourront pas déroger aux accords de branche en matière de prévention de la pénibilité et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ces deux domaines viennent s'ajouter aux quatre thèmes figurant déjà dans le code du travail depuis la loi du 4 mai 2004 - classifications, salaires minima, financement de la formation professionnelle et prévoyance. Ensuite, l'articulation entre accords de branche et accords d'entreprise est clarifiée : il est dit explicitement que les partenaires sociaux pourront décider sur quels sujets les accords d'entreprise ne pourront pas être moins favorables aux salariés que les accords de branche. En outre, les partenaires sociaux devront engager dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi une négociation portant sur l'ordre public conventionnel. Faute de négociation, le ministre du travail pourra même engager une procédure de fusion de la branche concernée avec une autre branche. Par ailleurs, les organisations patronales affiliées ou adhérentes à des organisations représentatives au niveau d'une branche auront la capacité de négocier des accords dans leur périmètre puis de demander leur extension. Enfin, les conventions et les accords d'entreprise portant sur la durée du travail devront être systématiquement transmis pour information aux commissions paritaires de branche.
L'Assemblée nationale a rétabli à l'article 15 l'indemnisation obligatoire d'une organisation syndicale lorsqu'une collectivité souhaite lui retirer la mise à disposition d'un local dont elle a bénéficié pendant plus de cinq ans. Elle a également rétabli l'augmentation généralisée de 20 % du nombre d'heures de délégation des délégués syndicaux, alors que le Sénat souhaitait une augmentation ciblée sur les délégués appelés à négocier, dans des conditions définies par accord d'entreprise.
L'Assemblée nationale a repoussé le choix du Sénat d'introduire à l'article 17 une forme de concurrence dans la désignation des experts mandatés par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et de faire participer le comité d'entreprise (CE) au financement de ces expertises. De même, elle a supprimé les dispositions qui permettaient, sous réserve d'accord unanime, d'affecter l'excédent du budget de fonctionnement du CE au financement d'activités sociales et culturelles. En revanche, les dispositions de l'article 18 ter, issues d'un amendement de Pascale Gruny et visant à clarifier les modalités de répartition de la subvention utilisée pour financer les activités sociales et culturelles dans les entreprises comportant plusieurs établissements ont été conservées.
À l'article 19, les règles relatives à la mesure de l'audience patronale pour désigner les conseillers prud'hommes ont été à nouveau modifiées à l'initiative du Gouvernement. Cette mesure, qui ne sera finalement pas réalisée à titre transitoire au niveau national en 2017, reposera pour moitié sur le nombre d'entreprises employant au moins un salarié et adhérentes à une organisation patronale, pour moitié sur le nombre de salariés qui y sont employés, et non plus sur le ratio 30 % / 70 %. Espérons que les règles de la représentativité patronale, après ce nouvel aménagement, soient enfin stabilisées.
Les députés ont par ailleurs supprimé plusieurs articles additionnels introduits à notre initiative. Je pense à l'article 10 A, qui autorisait les employeurs, dans les entreprises employant moins de 50 salariés dépourvues de délégué syndical, à conclure des accords directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec les salariés. Ou encore à l'article 20 bis, qui abaissait le taux du forfait social applicable à la participation et à l'intéressement.
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. - L'approche pragmatique du compte personnel d'activité que le Sénat avait retenue n'a pas eu l'heur de convenir aux députés, qui ont privilégié l'affichage politique sur les contraintes liées à l'application au 1er janvier prochain de ce dispositif. Malgré nos mises en garde fondées sur les exemples récents du compte personnel de formation (CPF) et surtout du compte pénibilité qui, plus de deux ans après sa création, reste inapplicable, le Gouvernement n'a pas daigné examiner objectivement les griefs que nous avons soulevés.
La problématique de la valorisation de l'engagement citoyen mérite une réflexion plus approfondie que la création du compte d'engagement citoyen (CEC) proposé par le Gouvernement. Doit-elle obligatoirement se traduire par un droit à la formation renforcé ? Répond-elle réellement à une attente des bénévoles ? De plus, ce CEC regroupe des formes d'engagement civique, professionnel ou citoyen qui ont bien peu en commun : la participation à la réserve militaire est-elle assimilable au tutorat d'un apprenti en entreprise ? Enfin, l'évaluation du coût de son volet associatif et du nombre de bénéficiaires potentiels se révèle lacunaire en raison de l'évolution de son périmètre en cours d'examen parlementaire.
De même, il nous semblait pertinent que ce compte personnel d'activité soit clos lorsque son titulaire cesse son activité professionnelle, c'est-à-dire lorsqu'il liquide l'ensemble de ses droits à la retraite. Nous proposions de simplifier le compte pénibilité, afin de répondre aux nombreuses inquiétudes des employeurs. Je regrette que nous n'ayons pas été entendus sur ces points, et nous sommes curieux de voir comment se déroulera, à compter du 1er janvier prochain, la mise en oeuvre du CPA.
Concernant le reste des dispositions relatives à la formation professionnelle, l'Assemblée nationale a adopté conformes plusieurs articles introduits au Sénat, notamment celui relatif au CPF des travailleurs des établissements et services d'aide par le travail (Esat), et a approuvé les indispensables modifications juridiques que nous avons apportées à l'article 21 bis B, relatif à la réforme de la collecte de la contribution à la formation professionnelle des professions libérales, des artisans et des non-salariés.
En revanche, les députés n'ont manifestement pas le même point de vue que nous sur la façon de faire de l'apprentissage une voie de réussite. Alors que le projet de loi initial était quasiment muet sur cette problématique, le Sénat avait introduit 20 articles pour surmonter les obstacles qui freinent aujourd'hui son développement et améliorer le statut des apprentis. Aucun d'entre eux n'a été retenu, pas même l'obligation pour les entreprises d'assurer la formation des maîtres d'apprentissage. Aucune proposition alternative n'a été présentée : l'Assemblée nationale comme le Gouvernement semblent se satisfaire du statu quo en la matière, alors que les insuffisances du modèle français par rapport aux exemples étrangers sont bien identifiées.
Sans nous opposer sur le fond au dispositif de la garantie jeunes, nous avions estimé que l'expérimentation devait être poursuivie et que sa généralisation était prématurée, mais l'Assemblée nationale l'a rétablie.
Approuvant globalement les dispositions relatives à la promotion de la validation des acquis de l'expérience, le Sénat avait supprimé celles qui lui semblaient dépourvues de portée normative. L'Assemblée nationale les a rétablies, tout comme elle a persévéré dans sa demande de rapport sur les emplois d'avenir.
Parmi les articles relatifs au droit du travail à l'ère du numérique, plusieurs points de divergence sont à signaler. Le premier porte sur l'article 25, qui concerne l'obligation de négociation sur le droit à la déconnexion. Si le Sénat avait considéré que la consécration de ce droit dans le code du travail constituait une avancée, la rédaction de cet article contenait beaucoup trop de dispositions dépourvues de portée normative. L'Assemblée nationale n'a pas suivi notre souci de simplification et a même alourdi le dispositif en supprimant le seuil de 50 salariés au-delà duquel l'élaboration d'une charte définissant les modalités de mise en oeuvre de ce droit était obligatoire. Cette rédaction s'impose désormais à toutes les entreprises. De même, à l'article 26, l'Assemblée a repris son texte peu normatif de première lecture sur le lancement de la concertation sur le télétravail et les modalités d'organisation du travail pour les salariés en forfait en jours.
Sans surprise, elle a rétabli l'article 27 bis sur la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique en y introduisant deux modifications substantielles.
La première permet aux plateformes de couvrir le risque d'accident du travail, qui relève de leur responsabilité sociale, par la souscription de contrats d'assurance de groupe devant apporter une protection au moins égale aux garanties offertes par l'assurance volontaire en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
La seconde a supprimé la disposition selon laquelle la reconnaissance de la responsabilité sociale de la plateforme vis-à-vis du travailleur n'entraine pas l'établissement d'un lien de subordination. Ce faisant, les députés semblent avoir tiré les conséquences des critiques que nous avions formulées sur l'ambiguïté de cet article créant dans le code du travail un statut ad hoc de travailleurs non-salariés sans être indépendants. Une telle disposition aurait en effet interféré avec les poursuites engagées actuellement par l'Urssaf d'Ile-de-France contre Uber. Notre commission devra cependant rester très attentive sur l'application de cet article car les problèmes soulevés sont loin d'être résolus. Nous avions signalé que la réflexion préalable était insuffisante, et le débat parlementaire nous a donné raison !
L'Assemblée nationale s'est également opposée à notre souhait de créer un véritable rescrit social à l'article 28, ouvert à toutes les entreprises sans condition de taille et rendu public après anonymisation sur un site internet spécifique. Elle a par ailleurs rejeté notre proposition, à l'article 29, d'obliger les partenaires sociaux à prévoir dans tous les accords de branche, même non étendus, des stipulations spécifiques pour les entreprises employant moins de 50 salariés. Seul motif de satisfaction : le Gouvernement a réintroduit la disposition sénatoriale selon laquelle l'employeur doit informer les délégués du personnel de ses choix quand il applique un accord-type.
L'Assemblée nationale a par ailleurs rétabli l'article 29 bis A, qui crée une instance de dialogue social du réseau de franchise. Si son périmètre et ses pouvoirs ont été revus à la baisse par rapport à la version adoptée en première lecture, son principe même reste toujours aussi contestable, puisqu'il entre en contradiction directe avec l'un des fondements de la franchise, qui est l'indépendance juridique des franchisés par rapport au franchiseur et l'absence de lien de subordination entre les salariés des franchisés et le franchiseur. L'application de ce dispositif risque de rester assez théorique...
Les députés n'ont pas été convaincus par le travail de réécriture de l'article 30 relatif aux licenciements économiques. L'ensemble de nos modifications, qui clarifiaient les critères du licenciement et sécurisaient la procédure en cas de contestation devant le juge, ont été supprimées, y compris la notion de faisceau d'indices que le rapporteur de l'Assemblée nationale avait pourtant maintenue en commission. Il y a fort à craindre que la version des députés soit peu opérationnelle et n'apporte pas aux entreprises et aux salariés la sécurité juridique attendue. Nous déplorons également que l'article 30 bis B n'ait pas été retenu, car il donnait enfin la possibilité au juge judiciaire de moduler dans le temps les effets de ses décisions pour mieux maitriser les conséquences des revirements jurisprudentiels.
Alors que nous avions rétabli les dispositions figurant dans l'avant-projet de loi relatives au plafonnement des indemnités prud'homales, l'Assemblée nationale les a supprimées. Nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n'assume pas cette mesure qu'il avait lui-même portée il y un an dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Tout en invitant les partenaires sociaux à négocier sur la reconduction des contrats saisonniers, le Sénat n'avait pas souhaité habiliter le Gouvernement à fixer par ordonnance les règles supplétives en la matière. L'Assemblée nationale a toutefois rétabli cette habilitation.
En revanche, les députés ont conservé les apports du Sénat précisant le cadre juridique applicable aux groupements d'employeurs et aux particuliers employeurs.
Les dispositions relatives à une meilleure insertion et au maintien dans l'emploi des personnes handicapées ont elles aussi fait l'objet d'un consensus entre nos deux assemblées : les députés ont conservé les apports votés au Sénat relatifs au dispositif permanent d'emploi accompagné prévu à l'article 23 ter, ainsi que l'attribution à Cap emploi des missions d'insertion et de suivi dans l'emploi mentionnées à l'article 43 ter.
S'agissant de la médecine du travail, l'Assemblée nationale a, sans surprise, rétabli la plupart des dispositions issues de son texte de première lecture, notamment sur le sujet le plus débattu, en remplaçant la visite d'aptitude par une visite d'information et de prévention.
En ce qui concerne la contestation des avis d'aptitude ou d'inaptitude, la création d'une procédure d'appel devant des commissions régionales de médecins du travail a été accueillie favorablement par nos collègues députés de la commission des affaires sociales. En séance, le Gouvernement n'a cependant pas souhaité retenir cette solution. Nous ne pouvons que le regretter car le recours à la juridiction prud'homale, déjà engorgée, ne nous paraît pas offrir les garanties suffisantes, ni pour les salariés, ni pour les employeurs.
Moyennant des ajustements rédactionnels, l'Assemblée nationale a conservé la précision apportée à notre initiative sur la nécessité d'éviter la réalisation de visites redondantes pour les salariés en contrat court. Le texte qui nous est transmis maintient également les apports du Sénat sur la faculté pour un travailleur de solliciter à tout moment une visite médicale, sur la possibilité pour le professionnel de santé qui réalise la visite d'information et de prévention d'orienter le travailleur vers le médecin du travail, ainsi que sur les modalités de suivi des travailleurs de nuit. Enfin, les députés nous ont finalement rejoints pour reconnaître qu'il n'était pas opportun de modifier la gouvernance actuelle des services interentreprises de santé au travail.
En revanche, ils ont supprimé la disposition que nous avions adoptée pour préciser que l'appréciation de la responsabilité pénale et civile de l'employeur implique la prise en compte des mesures mises en oeuvre au titre de son obligation de sécurité de résultat. À l'initiative du Gouvernement, ils ont également supprimé la disposition qui incluait la masse salariale plafonnée parmi les assiettes de financement des services interentreprises de santé au travail pouvant être choisies.
En matière de travail détaché, les positions de nos deux assemblées convergent. L'Assemblée nationale a conservé l'essentiel des apports du Sénat et notamment l'information des travailleurs détachés dans le secteur du BTP sur leurs droits lors de la remise de leur carte d'identification professionnelle. L'obligation d'affichage sur les gros chantiers, que nous avions jugée inapplicable, a été rétablie. L'Assemblée nationale n'a toutefois pas conservé les dispositions relatives aux marchés publics que nous avions introduites. Au-delà des mesures que nous pouvons prendre au niveau national, nous rappelons notre attachement à une révision de la directive de 1996 et plus encore du règlement de 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
L'Assemblée nationale a rétabli la possibilité d'intégrer des contrôleurs du travail dans le corps des inspecteurs du travail par le biais d'une liste d'aptitude alors que le Sénat avait estimé que cette liste, contrairement au concours interne, ne permettait pas d'assurer la montée en compétence indispensable de ces agents. Elle a également rétabli la ratification de l'ordonnance du 7 avril 2016 sur les pouvoirs de l'inspection du travail, à laquelle le Sénat s'oppose depuis deux ans.
Enfin, l'Assemblée nationale a rétabli les articles alourdissant les pénalités en cas de nullité du licenciement, que nous avions supprimés.
En définitive, si 53 articles ont été adoptés conformes à l'Assemblée nationale, ceux-ci portaient essentiellement sur des mesures techniques ou consensuelles. Cela ne saurait masquer les profonds désaccords qui existent entre nos deux assemblées sur les insuffisances et les lacunes du projet de loi. L'intérêt de procéder à un nouvel examen du texte au Sénat dans la perspective de la lecture définitive nous paraît dès lors limité, après deux semaines de débat intense dans notre hémicycle et l'engagement à deux reprises de la responsabilité du Gouvernement à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous vous proposons que notre commission se prononce, par un seul vote, sur le rejet du projet de loi et qu'elle dépose, pour la séance publique, une motion tendant à opposer la question préalable en application de l'article 44, alinéa 3, de notre règlement.
Mme Nicole Bricq. - Merci pour ce bilan exhaustif de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. À l'article 1er, l'amendement du Gouvernement associe explicitement le Haut Conseil du dialogue social aux travaux de la commission d'experts chargée de la réécriture du code du travail. Cela n'est pas que symbolique, puisque ce Haut Conseil comprend cinq représentants des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel et cinq représentants des organisations représentatives d'employeurs au niveau national désignés par ces organisations, et que son président, Jean-Denis Combrexelle, fait autorité chez tous.
Quant à l'article 13, il n'est pas un contrepoids à l'article 2 : ce contrepoids est l'article 10, dont vous avez refusé le principe. Il ne s'agit pas d'opposer les branches aux accords d'entreprise mais de leur donner un rôle plus large, en les mettant face à leurs responsabilités : de nombreuse branches ayant compétence sur les minima salariaux sont en-dessous des accords d'entreprise, ne l'oublions pas ! Voilà trente ans que l'on parle d'égalité salariale entre les hommes et les femmes. Les branches devront s'impliquer davantage, comme sur la pénibilité.
Je vois qu'on ne m'écoute pas : vous voulez que nous adoptions la motion pour ajourner les débats... Nous avons écouté les rapporteurs avec attention. Ayez au moins la courtoisie de me laisser finir ma phrase !
Pourtant, je comprends votre position, sans la partager. Nous avons en effet eu le privilège, par rapport à l'Assemblée nationale, de pouvoir débattre longuement. La ministre a d'ailleurs reconnu vos apports. Il faut savoir terminer l'examen d'un texte.
M. Dominique Watrin. - Chacun doit pouvoir s'exprimer. Nous ne voterons pas cette motion. Non que nous soyons d'accord avec le texte issu du 49-3 : ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale montre que nous avions raison de dénoncer une volonté de passer en force, contre l'avis de la majorité des salariés. D'ailleurs, ce texte est quasiment le même que celui que nous avions combattu, à trois modifications près, qui ne reviennent ni sur l'inversion de la hiérarchie des normes, ni sur la facilitation des licenciements, ni sur la remise en cause des 35 heures. Mais la motion que proposent les rapporteurs ne rejette pas la nouvelle architecture du droit du travail, et prétend même, dans son objet, remettre en cause les droits et protections accordés aux salariés : réforme des seuils sociaux, approfondissement des accords de préservation et de développement de l'emploi - dont l'effet est pourtant de supprimer des milliers d'emplois, malgré les sacrifices déjà imposés aux salariés -flexibilisation, remise en cause des 35 heures...
Nous regrettons votre refus de débattre en séance. Malgré nos divergences, nous aurions pu progresser sur plusieurs sujets qui préoccupent nos concitoyens. En première lecture, nous avions déposé 402 amendements sur des sujets aussi divers que le temps partiel, le travail saisonnier, l'amiante, le travail détaché illégal... Hélas, aucun n'a été repris. Les prétextes pour les écarter ont varié : négociation en cours des partenaires sociaux, transposition de directives européennes, renvoi aux ordonnances ou encore plan interministériel contre le risque amiante prétendument en préparation. Nous maintenons notre position constante pour le retrait de ce projet de loi, et déposerons en séance une motion d'irrecevabilité. Nous avons également déposé une quinzaine d'amendements de suppression pour notre réunion de commission d'aujourd'hui.
Mme Hermeline Malherbe. - Au sein de notre commission, nous devons nous écouter. Nos désaccords ne nous ont jamais empêchés de nous respecter. Nous voterons contre la question préalable, dont l'objet avance des arguments inexacts : les députés n'ont pas remis en cause chacun des axes de travail qui avaient guidé la réflexion du Sénat, par exemple.
M. René-Paul Savary. - Nous voterons cette question préalable, car les débats ont montré les oppositions entre nous sur la politique du travail. Nous avons assisté à la scission de la gauche sur ce sujet, illustrée par plusieurs évènements. L'entêtement sur cette loi est regrettable, car elle ne va pas tout changer ! Plusieurs propositions de bon sens n'y figurent plus, sur la pénibilité ou l'apprentissage par exemple. C'est dommage, mais il faut savoir en finir.
M. Michel Amiel. - Sur le fond, tout n'est pas d'égal intérêt dans cette loi. Sur la forme, je voterai contre cette question préalable, car elle est au Sénat ce que le 49-3 est à l'Assemblée : une manière brutale d'éluder le débat. À l'heure où le bicamérisme est particulièrement attaqué, il est mal venu de couper court à la discussion dans notre assemblée.
M. Gérard Roche. - Nous avons vu pendant des semaines de débat s'opposer des philosophies politiques opposées. Confronté à ce fossé, le Gouvernement a dû utiliser à deux reprises le 49-3, qui interrompt la discussion parlementaire. Quant à l'atmosphère de nos présents échanges, mettons-là sur le compte de la fatigue de fin de session, surtout nos longs travaux sur ce projet de loi. Un débat sérieux a eu lieu au Sénat. Nos propositions n'ont pas été reprises, et nous le regrettons, mais nous n'allons pas tout recommencer ! « Cent fois sur le métier remets ton ouvrage », oui, mais si un résultat est en vue ! Nous voterons cette question préalable.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. - Soyons clairs : les ajouts faits à l'article 1er et à l'article 13 sont éminemment politiques, il s'agissait de donner des gages. Le texte du Sénat comme le texte initial prévoyaient déjà d'associer les partenaires sociaux au travail de refondation du droit social. Du coup, la rédaction retenue est redondante. Nous sommes prêts à refaire le débat, mais j'avais compris que c'était rendre service au Gouvernement que d'achever le processus fin juillet, et non en septembre, pour lui éviter une recrudescence des manifestations. Au cours d'une réunion, hier soir, où Nicole Bricq siégeait au premier rang, l'orateur a dit que ce projet de loi n'était déjà plus le combat d'aujourd'hui. C'est donc M. Macron qui me donne le mot de la fin !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. - Au vu de la rigidité dont a fait preuve le rapporteur à l'Assemblée nationale, je comprends mieux que le Gouvernement ait eu recours au 49-3. Il y a eu des maladresses, et certaines propositions techniques du Sénat auraient pu être retenues, surtout qu'elles étaient parfois plus proches des attentes des partenaires sociaux que le texte du Gouvernement.
M. Alain Milon, président. - Je mets aux voix le projet de loi.
Le projet de loi n'est pas adopté.
M. Alain Milon, président. - En séance publique, la discussion portera sur le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Je mets maintenant aux voix la proposition des rapporteurs sur le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable.
La commission adopte la motion tendant à opposer la question préalable.
La réunion est levée à 11 h 55.